Atterrissage sur le bidon à DAKAR, suite

Il y a un peu plus d’un an je vous avais proposé un article sur l’atterrissage sur le bidon à Dakar du “gros”. Aujourd’hui, c’est le récit de son équipier, le sergent Fifi (eh oui, à l’époque, il y avait encore des sergents pilote dans l’Armée de l’Air), pour qui c’était ses premiers pas en Afrique. Vous verrez, ce n’est pas tout à fait la même perception des faits.

Mon premier convoyage sur JAGUAR.

Après une mise en place on ne peut plus conventionnelle à Istres le jeudi 4 mars 1982, nous nous sommes retrouvés avec l’équipage du ravitailleur pour un briefing sur le convoyage du lendemain.

La routine pour eux, mise en place de deux Jaguar à Dakar et une découverte pour moi pour qui il s’agissait du premier convoyage, 4 mois après ma transformation Ravito.

Les points importants sont vus avec l’équipage du Boeing, trajet uniquement maritime, fréquences radio, timing des 1er et deuxième ravito voir du 3ème, pétrole prévu, terrains de déroutement en cas de panne sur le trajet, séparation du Boeing pour départ en basse si les conditions météo le permettent et arrivée au break à Dakar en fonction de la piste en service, à priori la 01. Puis, petit briefing particulier avec mon leader et les 2 pilotes retour en ce qui concerne les horaires de lever, petit déjeuner, heure aux avions, contact radio puis mise en route.

Logés dans un hôtel à Istres avec l’équipage Jaguar prévu au retour, nous nous sommes retrouvés en ville pour un petit resto, classique, puis couché.

Mauvaise nuit… Du mistral, des volets qui claquent et un réveil plus que matinal pour un p’tit déj à l’aube puis un contact radio nocturne.

Mise en route sans PB mais pas pour le Boeing qui reporte le décollage. S’en suit une très longue attente en tenue (combinaison étanche) jusqu’à une heure avancée qui ne nous garantissait plus un dernier ravitaillement de jour ou un atterrissage de jour à Dakar (j’ai oublié).

Rebelote pour le briefing du soir pour une mission reportée au lendemain. Logés cette fois ci sur la base, la seconde nuit ne fût pas plus excellente que la première, toujours à cause du vent.

Cette fois, le Boeing est OK à la mise en route, alignement et décollage et c’est parti pour l’Afrique.

Le jour se levant avec un beau ciel bleu, la fatigue s’estompe un peu après le décollage.

Panique à bord cependant. Cap vers le sud en montée, pas d’ horizon. La mer est bleue, le ciel également le tout dans un halo blanchâtre. Un léger malaise m’envahit, j’ai bien peur de me sentir mal par manque de repères. Je me jette sur la boule pour recaler mes gyros avec un coup d’oxygène en surpression. Pourvu que tout le trajet ne se passe pas comme cela, je ne tiendrai pas. Je ne l’annonce pas non plus, la honte, risquer de faire annuler la mission. Finalement en prenant sur moi, en me rapprochant du Boeing, un œil dehors et un sur les instruments, cette sensation de malaise disparait au bout d’une vingtaine de minutes. La brume blanchâtre finit par laisser apparaître un superbe horizon bien marqué.

Le convoyage en lui-même, les ravitos, rien à dire, tout roule.

A l’approche du Sénégal, météo connue sur Dakar, on quitte le Boeing travers Saint Louis pour descendre sur la mer et arriver en basse au break. Que du bonheur, un peu d’air en BA, moins sec à respirer que là-haut.

Contact avec l’Airport, crise de rigolade en cabine. L’accent local est vraiment bien particulier. Le phrasé également. Peu importe, c’est l’Afrique patron.

Beau temps sur Dakar, ciel bleu sans vent de poussières ni brume, un vrai temps de curé quoi (assez rare pour y avoir séjourné plus tard en détam). Contournement des Almadies, présentation face à la 01 et arrivée au break.

Départ du leader, espacement puis break à mon tour. Content d’arriver, fatigue et faim se font sentir.

Environ 800 mètres arrière, je regarde partir mon leader en dernier virage qui annonce « train sorti verrouillé, trois verte » sans bip, mais rien ne me choque, nous sommes en Afrique sur un terrain civil, les pratiques peuvent être différentes et puis c’est le leader, je ne suis que P.O. A mon tour de partir en dernier virage, même annonce plus le bip, l’habitude pour moi.

Face à la piste je regarde le leader se poser. Nuage de fumée. Le leader annonce, j’ai éclaté un pneu. Et moi de rajouter – oui … il y a même des étincelles !!! Parachute frein pour lui et remise de gaz pour ma part, un p’tit passage sur la piste et un coup d’œil sur l’avion arrêté sur la partie gauche de la piste. Curieux cet avion, il penche vers la droite et semble bien près du sol. Une idée me traverse l’esprit, une petite annonce radio, « t’as sorti le train ?». Pas de réponse. Passage vent arrière pour une présentation côté droit de la piste, 3000 mètres de long, la bande droite est libre, ça passe.

C’est le black-out à la radio, silence complet. Je me présente en finale train sorti verrouillé bip bip… pour me poser quand une voix bien de chez nous me dit : « ici l’OPO, vous vous déroutez à Thiès… ».

Thiès, jamais entendu parlé. C’est quoi, c’est où ? Il me reste entre 900 et 1100 kg. Non, non je me pose, ça passe sur la bande droite.

C’était sans compter sur l’intervention des pompiers Sénégalais qui ont déjà investis la piste sur la partie disponible. Remise de gaz et là après mon annonce radio, nouvelle intervention de l’OPO.

Vous vous posez en 04… En 04 ???. Eh bien cherchons là cette 04. C’est plus facile à 1500’ de visualiser l’ensemble du terrain. Une vieille piste avec des Dakota dessus, des tronçons de taxiway, l’aéroport civil, tient une bande de bitume qui pourrait bien ressembler à une 04 et en plus c’est écrit dessus

Bon, elle semble un peu courte et commence au raz de la falaise. On va jouer au marin en essayant de ne pas s’emplafonner le porte avion. Pas facile de visualiser le POR qui n’existe pas et de bien viser l’entrée de piste sans être ni trop court ce qui s’avérerait être fatal ni trop long étant donné la longueur de la piste.

A peine posé, j’ai la désagréable impression d’avoir « bouffé » toute la piste. Parachute sorti et freinage appuyé, ouf il en reste. La piste était seulement bombée.

Là par contre, je ne sais pas où aller. Une petite question à la tour, je vais où ? Tout droit est la réponse. Sauf que tout droit, c’est la pampa. Du coup, je sors le plan de l’aéroport et c’est parti. Une petite ballade par l’aéroport civil, une autre par la partie militaire sénégalaise, personne. Personne pour m’indiquer ou me parquer. Après un demi-tour, j’aperçois un marin qui me fait de grands signes. C’est là. Toute l’équipe Jaguar est partie sur le lieu du crash et les 4 autres avions sont en vol pour un brin de ravito.

Arrêt des moteurs, verrière ouverte, une R16 arrive en dérapage à côté de l’avion. Je suis le commandant de base me dit-il. Il parait que votre copain s’est éjecté !!!

Je n’ai rien vu, pas de parachute non plus au sol. Je saute de l’avion, montez me dit-il, je vous emmène. Pas le temps de poser l’anti-G.

C’est parti, à fond la R16. J’ai vu passer l’avion sans train raconte le colonel, le temps que je me précipite sur le téléphone pour prévenir la tour, c’était trop tard…Arrivés sur la piste, le Jaguar a triste mine, couché au ras du sol sur le côté droit, il lui manque bien le train d’atterrissage.

Marc, le leader est bien là. Ouf, il ne s’est pas éjecté. Il me dit juste qu’il a oublié. Il ne comprend pas.
La responsabilité de la mission et de son équipier ajouté à deux très mauvaises nuits, 5 heures 30 de vol et trois ravitos peuvent pour moi expliquer cet oubli.

Un peu à l’écart, un policier Sénégalais me demande : c’est vous le pilote ? Oui, enfin non lui dit-je, c’est mon collègue là-bas. Mais dites- moi c’était prévu ??? Non non. Nous ne faisons pas d’exercice de ce genre. Il sort alors une vieille chaine d’arpenteur toute rouillée, pour prendre avec son collègue des mesures par rapport aux balises d’éclairage du bord de piste.

Un petit camion grue est arrivé, mais il ne peut soulever que 6 ou 7 tonnes alors que l’avion vide en fait 7.2 plus environ 1 tonne de pétrole restant.

La piste internationale est bloquée. Pas le temps de tergiverser, les autorités veulent pousser l’avion dans la verte avec un bulldozer.

Il y a de quoi s’offusquer. Mais il n’a rien ce Jaguar. Un bidon ventral aplatit, un bout de saumon, un bout de volet, une quille et un bout de plan horizontal légèrement râpés.

Le cadre spécifique installé pour soulever l’avion, c’est parti. Un coup c’est l’avion, un autre ce sont les roues avant du camion qui se soulèvent puis on rapproche la flèche de la verticale et c’est reparti, l’avion les roues du camion, la flèche. Géniale l’équipe de mécanos du 3/11.

L’avion quitte enfin le sol. Un peu de pétrole s’écoule.

Panique chez les pompiers. Le chef du camion de pompier crie un ordre à un subalterne qui se rue sur une vanne du camion pour libérer une mixture marron et malodorante. Mauvaise pioche, la vanne n’est reliée à aucun tuyau. Le commandant de base qui surveillait les opérations se prend tout dans le dos. C’est l’Afrique patron…

Une fois soulevé à une hauteur suffisante, la grue ne pouvant pas déplacer l’avion en roulant sans risque pour ce dernier, la batterie est mise en route puis l’électro-pompe pour la sortie du train. Il rentrera, fier sur ses roues, remorqué par un tracma.

  • Quinze jours d’indispo. peu de pièces changées et il repartira en vol comme avant, meilleur à la lunette qu’auparavant dixit la mécanique.
  • Trois heures d’indispo. pour la piste internationale.
  • Un déroutement pour le Boeing.
  • Des tonnes de basket pour les 4 Jaguars du détam en place qui se posant en 04 non pas osé utiliser leur parachute (à choisir, je crois bien que les mécanos auraient préféré les parachutes à replier plutôt que les roues à faire).

Une bonne soirée aux Almadies pour un max de pilotes, de mécanos et le second de base de chez nous. Une fin heureuse, pleins de souvenirs à raconter. L’aventure continue.

Ah. J’avais oublié la fabuleuse question de la FATAC : mais que faisait un sergent P.O. dans un convoyage ?

Fifi.

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La trajectoire du “roulage”
La finale du roulage
La finale du roulage
Un peu légère la grue !
Un peu légère la grue !
Finalement, le bidon a bien tenu
Finalement, le bidon a bien tenu
Avec le bidon, le saumon fut une des rares pièces à changer !
Avec le bidon, le saumon fut une des rares pièces à changer !
La salle d'ops Fifi, Olive, Le melon Teteille Noel N'djamena 1983
La salle d’ops Fifi, Olive, Le melon Teteille Noel N’djamena 1983

5 réponses sur “Atterrissage sur le bidon à DAKAR, suite”

  1. J’étais à Dakar Ouakam quand le sergent Léo ou Lau (je ne sais plus)? a du se poser sur la piste de secours motif : son équipier Cne L… a oublié de sortir le train d’atterrissage de son avion (Jag A 157 )

  2. bonjour,
    j’avais participé à une journée réservistes en 1983, nous étions partis de la BA128 vers la 136 un samedi après-midi; nous pensions avec mes collègues à une journée ordinaire, mais en arrivant nous avons été reçu par l’escadron de chasse 2/11 ‘Vosges’, avec des expositions statiques de Jaguar (MH-A/143, MG-A/133, etc.) avec le mythique ‘ masque de comédie ‘; un jaguar sous hangar avec la panoplie de son armement et les explications pointues d’un capitaine pilote muni de son haut-parleur; dans un autre hangar 2 Jaguar ou nous pouvions monter jusqu’aux cabines pour admirer le poste de pilotage qui me paraissait spacieux et attirant ; à l’extérieur sur le A – MW des armuriers positionnaient du matériel sous la voilure; une démonstration aérienne à couper le souffle et après l’atterrissage discussion avec les pilotes; je me souviens bien du visage de Noël comme sur la photo ci-dessus pour cette raison que je poste quelques mots; je voulais juste lui dire encore merci à lui et à tous ces amis pilotes présents ce jour là car ce sont des souvenirs inoubliables même 33 ans après; merci enfin pour tous les reportages que vous faites partager sur ce site. Bien amicalement.

  3. De mémoire, c’était le CNE LANG qui pilotait cet avion! Une équipe du GERMAS 15.011 a procédé à la remise en état de cet avion sur le site de Dakar! Chef d’équipe ADC ROBIN, dit Sherwood, avec Perrette, Cartigny (bouboul), Vincent et d’autres…! Les dégâts étaient minimes, seul le réservoir pendulaire était hors service!

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