HISTOIRE DE L’ARMEMENT GUIDE LASER

Configuration BGL 1000kg +nacelle Atlis+ Barrax

DANS L’ARMÉE DE L’AIR

Les débuts de l’armement guidé laser ont déjà fait l’objet d’un article de la part du Général BRETON. Jean Claude VERGNERES a été lui aussi au cœur de ce programme, puisqu’après être passé à la 11EC sur F 100 et JAGUAR, il a intégré l’Equipe de Marque ATLIS au CEAM puis a travaillé chez TOSA au développement des PODS ATLIS, PDLCT, CTS et DAMOCLES. Je le remercie de nous faire de son témoignage  d’un programme long et complexe. 

HISTORIQUE

       Le développement de l’armement guidé laser n’a pas débuté en France mais aux USA (comme souvent dans le domaine des armements). En effet durant la guerre du Viet Nam, les forces aériennes US cherchaient à détruire le pont de chemin de fer de Thanh Hoa près d’Hanoï.  Après bien des bombardements conventionnels et de nombreux échecs associés à des pertes considérables, une nouvelle technologie à fait son apparition : le guidage d’une bombe larguée à distance de sécurité par un avion sur un objectif localisé par ses coordonnées géographiques. Cette bombe munie d’un autodirecteur est autopilotée vers un endroit bien précis de l’objectif « éclairé»  par faisceau laser,  lui-même  émis depuis un autre avion. La précision d’impact de cette nouvelle bombe appelée PAVEWAY a enfin permis en 1972, en détruisant la pile centrale du pont en une seule mission, de réduire cette cible stratégique.

      L’Armement guidé laser était né mais la complexité de la synchronisation tireur/ illuminateur a engagé l’US AIR FORCE à lancer le développement d’un système autonome de guidage laser pour tir de précision à distance de sécurité : l’avion illuminateur est aussi l’avion tireur.

      Un appel d’offre est lancé et la société MARTIN-MARIETTA (devenue par la suite LOCKHEED MARTIN) gagne ce développement.

       En parallèle en France la société THOMSON CSF commence à travailler sur des systèmes de tracking télévision à partir de capteurs testés en vol sur Nord 262 au CEV de Brétigny (système TANAGRA) et la société CILAS développe un laser embarquable émettant en 1,06 µm

       Ces deux sociétés travaillent donc sur des programmes dont les caractéristiques sont très proches. Ces programmes sont conduits sous l’autorité des Bureaux Programmes des États-Majors respectifs. Il y a donc concordance de travaux de recherche et concordance de fiche programme pour un équipement ; il ne restait plus que la volonté de coopération des deux pays pour avancer en commun. Le coup de pouce significatif de cette coopération viendra de la volonté de deux hommes positionnés aux BSA des deux Etats Major US et Français) au travers du Colonel BOICHOT, chef du Bureau Opérations à l’EMAA (futur Général et malheureusement décédé en service aérien commandé ) et de son beau-frère occupant un poste équivalent à l’Etat-Major de l’USAF. Tous deux vont faire en sorte de faire signer une convention de développement Franco-Américaine entre la société MARTIN MARIETTA et THOMSON CSF.

        Un contrat de coopération est signé entre les deux pays et le POD ATLIS 001 («Automatic Tracking and Laser Integration System») était né.

NAISSANCE de l’OPTRONIQUE

      La technologie Optronique consiste à coupler l’OPTIQUE, la Mécanique et l’Electronique dans un même équipement. THOMSON CSF Optronique (devenu quelques années plus tard THALES Optronique) est créé en 1975.

     Martin Marietta assemble le premier POD dans son usine à ORLANDO. Ce POD Intégré sur un simulateur de vol va permettre aux ingénieurs des essais en vol de venir définir le futur emploi de ce système dans un cadre opérationnel contraint pour permettre son intégration sur avion d’arme avec la capacité illuminateur/tireur.

DEFINITION du SYSTEME.

     Deux opérationnels Français participeront à Orlando (en Floride) à ces travaux : les Cdt Le Bretton (Général 2s), pilote d’essais du CEV de Cazaux et le Cdt Sayous de l’Annexe du  CEAM à Cazaux. En parallèle sont lancées l’ensemble des fiches programmes nécessaires au développement de ce système d’arme complexe qui dépasse bien sûr le seul développement du Pod de targetting.

    Le JAGUAR, l’avion Français de l’époque dévolu aux missions tactiques, a tout naturellement été choisi pour assurer cette future mission d’attaque au sol.

JAG ATLIS
JAG ATLIS

 

  La société DASSAULT AVIATION s’est vu confier la modification très importante du Jaguar A4 (avion de première tranche et futur avion d’essais du système AGL). La modification série sera appliquée sur tous les avions 4ème tranche à partir du N°140. Cette modification consistait en d’importantes transformations cabine avec l’adjonction d’un moniteur TV de 11cm en partie latérale en haut et à gauche, d’un boîtier de commande du Pod et de gestion du code laser sur la banquette latérale droite et d’un mini-manche de pilotage du Pod, côté gauche, (avec pas moins de 7 commandes). Le Jaguar étant un avion rustique, sans calculateur de mission, Thomson CSF a dû développer un calculateur appelé BAD qui réalisait l’interface avion système. Il a été intégré dans un des compartiments avion sur la partie droite sous l’entrée d’air. Enfin un magnétoscope au format VHS fut intégré dans le compartiment latéral permettait la restitution totale de la mission.

    Bien évidemment en parallèle sont lancés les développements d’armements associés.
Pour la France :

            – L’AS 30 L basé sur le missile AS 30 de la société AEROSPACIALE qui équipait les Mirage 3 pour l’attaque au sol auquel a été adjoint un autodirecteur Laser ARIEL développé par THOMSON CSF. Cet autodirecteur équipé d’un gyroscope à lancement pyrotechnique avait un champ étroit de 6° (j’y reviendrais plus tard).

            – La BGL de 1000Kg développée par MATRA Défense sur laquelle était intégré un autodirecteur EBLIS développé par THOMSON CSF avec un champ de 32°.

     Nous voyons que pour l’ensemble de ce système d’armes, toutes les grandes sociétés françaises d’armement aéronautiques ont été concernées et à partir de 1975 conduites à coopérer pour faire une réussite de ce programme dont les développements ont été étalés sur plus de 15 ans.

Mais revenons aux essais.

LES ESSAIS

      A partir du lancement de la coopération Thomson CSF / Martin Marietta en 1975, Thomson CSF Optronique a débuté l’assemblage du deuxième POD en France dans son usine d’Issy les Moulineaux.

     Ce pod identique à celui testé à Orlando comportait :

          – une caméra TV à tube qui travaillait dans le proche visible et très proche infrarouge dans la bande 0,5µm à 0,9µm.

          – un télémètre /illuminateur laser émettant en 1,06µm et modulable en fréquence pour être codable.

         – un système de roulis de type « queue de cochon » autorisant un roulis maximum de la tête de 270°.

         – les systèmes optiques avec verrière et téléobjectif permettant des champs optiques de 6° et 1,5° sous-balayés électroniquement pour obtenir 3° et 0,75° de champ.

        – un compartiment électronique comprenant 23 cartes spécifiques pour le pilotage des différentes fonctions du POD.

        – deux alimentations pour l’électronique et le laser et enfin un groupe de climatisation pour le refroidissement de l’ensemble corps électronique et émetteur laser.

     Une fois intégré et testé ce pod a été avionné sur le Jaguar A4 à Cazaux pour débuter les essais en vol d’ouverture de domaine et d’essais système en septembre 1976. Une cible spécifique a été développée et construite sur le champ de tir de Calamar à Cazaux (champ de tir parallèle à la piste de décollage et limitrophe du lac de Cazaux). Cette cible constituée d’un mur vertical de 12m x 12 m sur lequel était peint un carré central blanc de 8m x 8m entouré de noir était parfaite pour le développement du TIC (Trackeur sur Information de Contraste). Les cibles d’opportunité telles que chars existant sur le site ont constitué les cibles pour le développement du système.

      Dans le cadre du CEV (Centre d’Essais en Vol) de Cazaux, un grand nombre d’essais fonctionnels et d’ouverture de domaine ont été réalisés par les pilotes d’essais (essentiellement G Le Bretton).

     Le cadre d’emploi étant très contraint (avion monoplace, concept tactique TBA/TGV), Il n’a pas été simple de définir l’ergonomie des commandes, de réaliser la mise au point du/des traqueurs puisqu’assez rapidement un nouveau traqueur sur information de contraste appelé TAC a été développé et intégré. Beaucoup de modifications et d’améliorations ont été apportées au système par l’industriel durant cette période d’essais pour le rendre susceptible d’emploi opérationnel en unité de chasse. Comme l’a fort bien décrit le Gal Le Bretton dans son article sur l’AGL (article du 27 avril 2019 anciens de la 11em Escadre), ces essais n’ont pas laissé indifférentes certaines nations et des démonstrations ont été conduites au CEV avec le soutien de l’industriel THOMSON CSF pour démontrer l’avancement et le potentiel de ce système.

 Démonstrations

         – à la RAF sans succès car lié à un concept d’emploi inadapté, la RAF considérant que l’utilisation d’un avion monoplace pour une telle mission était dangereuse.

         – à l’US Air Force pour une adaptation au F16 plutôt satisfaisante.

  Nous étions au début des années 1980 et le programme avançait bien mais malheureusement le congrès US en 1981 a décidé de rompre le contrat de coopération franco/américain sur ce programme pour le réorienter sur un programme national qui débouchera sur le LANTIRN. Une des raisons invoquée a été la non permanence de la menace avec la nacelle ATLIS capable de n’être utilisée que de jour du fait de son capteur TV ;  contrairement au LANTIRN qui avait la capacité nuit grâce à l’intégration d’un capteur Infra Rouge travaillant dans la bande 8µm à 12µm en lieu et place de la caméra TV. Technologie non disponible en France à l’époque et considérée comme stratégique par les US. Ce nouveau pod sera livré à l’US Air Force en 1987.

     Voilà donc Thomson CSF Optronique contraint de poursuivre le développement et de “Franciser”, avec l’accord de la DGA et de L’état-major de l’Armée de L’air.

       Le Pod ATLIS II devient donc : Autopointeur Television à Laser Illuminant le Sol……

      Ce pod conservera la caméra de télévision après accord de transfert de technologie de la part des USA mais surtout sera doté d’un joint tournant permettant la rotation de la tête optique sur 360° ce qui opérationnellement sera indispensable pour permettre une poursuite stabilisée durant le dégagement de l’avion sans trop de limitations exceptées celle du masque avion. Ce développement si essentiel a demandé beaucoup d’essais usine car il permettait au corps central de dialoguer avec l’optique et l’électronique du traitement d’image recueillie par la caméra et les systèmes optiques mais également d’alimenter l’émetteur laser et de le refroidir ainsi que l’ensemble électronique du tronçon avant. Il a fallu développer des joints tournant hydrauliques pour le coolanol (liquide de refroidissement) et des joints tournants électriques pour la basse et haute tension. Ce fut fait et bien fait puisqu’au cours des essais nous n’aurons pas eu de défaillance de ce côté.

     Le POD ATLIS II livré à Cazaux, les essais opérationnels pouvaient débuter et c’est donc à cette époque, décembre 1981, que l’équipe de marque AGL est créée au sein de l’annexe du CEAM à Cazaux avec pour mission :

             – Définir le concept d’emploi opérationnel de ce système,

            – Qualifier opérationnellement les différents armements (AS 30L et BGL 1000Kg),

            – Définir l’emploi technique et la maintenance 1er et 2em échelon,

            – Rédiger les documents supports techniques et opérationnels,

           – Transformer les équipages et techniciens de l’unité de chasse ( 11ème Escadre ) à l’emploi de ce système.

        Vaste programme qui va s’effectuer sur une période de 5 ans et qui va nécessiter près de 200 vols d’essais qui vont se dérouler majoritairement sur le champ de tir de calamar sous la conduite des ingénieurs d’essais du CEV de Cazaux, dont Philippe Maubert a été la cheville ouvrière.

        Dans un premier temps, il faut rappeler le contexte dans lequel ce développement a été réalisé ; en effet nous étions en pleine guerre froide et l’ensemble de l’armée de l’air était tournée vers la “noble” mission de  DA (défense aérienne) ; je monte/ je membre / je rentre.
Ces missions étaient dévolues aux Mirages III et F1avec des moyens de restitutions plutôt “verbaux ” que techniques ( cela changera avec l’arrivée en unité du couple M2000/RDI ).
Comme vous pouvez l’imaginer, le développement d’un système d’attaque au sol, sur Jaguar, permettant de restituer l’ensemble de la mission  par vidéo n’a pas été du goût de beaucoup et ce développement a été réalisé dans une relative indifférence voire suspicion de la part de beaucoup d’aviateurs de haut rang à l’époque. Mais rendons grâce à certains d’y avoir cru : le Gal Gueguen sous-chef Plans Programmes, Le colonel Claude Mennessier au BPM, le Col Détry au CEAM, le colonel Gérard Le Bretton au CEAM et, bien évidemment le Gal Boichot à l’origine du programme. Sans eux et leur soutien indéfectible ce programme n’aurait certainement pas abouti de la même façon et les laborieux que nous fûmes n’auraient pu le faire autant évoluer.

      La mise au point de ce système dans les conditions d’emploi de l’époque TBA/TGV sur l’avion Jaguar a nécessité de nombreuses modifications et améliorations de l’ensemble des éléments Pod, Armements, et avion. Je vais essayer de vous relater les principales.

      Au cours d’un des premiers vols d’essais que j’ai réalisés, j’ai essayé de reproduire ce que je venais de vivre au Tchad : la TBA/TGV, et qu’elle n’a pas été ma surprise de constater qu’au cours du dégagement sous 4g à partir de 450 Kt un flou d’image apparaissait rendant très délicat le suivi de la poursuite sur cible. Plusieurs vols ont permis de faire le même constat et l’industriel malgré ses réticences et surtout la forte pression de l’État-major et de la DGA a dû reprendre des essais en soufflerie pour constater un décollement de couche limite à partir de 420 Kt lié à la forme des verrières. Il a donc fallu reprendre la forme de la pointe avant, rajouter une vitre et ainsi recoller la couche limite. Ce fut fait avec succès.

     Mais entre-temps les essais ont continué pour améliorer un autre point majeur : la pilotabilité de la ligne de visée. En effet le pilote disposait d’un Joy Stick sur la poignée ATLIS qui permettait au pilote de piloter sa ligne de visée sur la cible. La logique de déplacement liée à cette commande tenait plus de la savonnette que d’une commande asservie.  Après bien des essais pour améliorer ce point, il a été décidé de doter ce Joystick d’une commande à deux vitesses (rapide et lente). Ainsi, il était enfin possible, sans trop de charge de travail, de positionner la ligne de visée sur la cible et d’effectuer pendant le dégagement des mini recalage liés aux glissements des systèmes de poursuite automatiques. (TAC/TIC/TAZ)

Justement venons-en aux systèmes de poursuite automatiques. Au début du programme le système était doté de deux traqueurs de poursuite :

                – L’un basé sur la corrélation d’image (TAC) qui permettait une poursuite stable sans évolution,

               – Et un autre sur information de contraste (TIC) très stable sur une cible à contour très géométrique et très contrastée, ce qui était le cas sur le champ de tir, pour les essais, mais très rare dans la nature.   

      Ces deux traqueurs nécessitaient beaucoup de recalages pilote dans la phase très délicate du dégagement et après bien des essais il a été décidé de supprimer le TIC jugé non opérationnel pour le remplacer par un traqueur à corrélation sur zone réduite (TAZ) qui donnait une bien meilleure stabilité de la ligne de visée en dégagement.

      Une autre amélioration a été amenée par les essais. Elle consistait au couplage de ligne de visée du Pod sur le système de navigation de l’avion. En effet au tout début le Pod avait un positionnement prédéfini dans l’axe du vecteur vitesse de l’avion. Cela imposait au pilote d’acquérir à vue la cible avant l’engagement de la poursuite automatique du pod. Cela rendait la mission très complexe et diminuait très sensiblement le pourcentage de réussite de la mission si cette acquisition n’était pas réalisée sur des cibles masquées. Sur le Jaguar qui avait un système de navigation “perfectible” à Doppler, cette amélioration n’a pas été très efficiente mais par contre sur les avions dotés de centrales à inertie type Super Etendard, F1 EQ et Mirage 2000 de l’époque cela a été essentiel et a permis la réussite de très nombreuses missions de guerre.

       En parallèle à ces essais en vol était développé le concept de maintenance premier échelon à Cazaux et 2ème échelon au CEAM de Mont de Marsan sous la supervision du Cdt  Dominique Jamaux pour la maintenance des Pods, le test du Missile AS 30L et de la BGL 1000Kgs afin de préparer l’infrastructure, avec salle blanche,  à réaliser sur la base 136 de TOUL. En effet la maintenance de la nacelle devait se faire dans un environnement particulièrement sain et exempt de toute impuretés afin d’éviter des destructions d’optiques dues à la combustion de microparticules sous l’effet du rayon laser. La pointe avant du pod ne pouvant donc être ouverte pour maintenance que dans cet environnement spécifique et particulièrement contraignant pour les opérationnels.

QUALIFICATION de l’AS 30L

       Bien des modifications ont été apportées pour arriver en fin 1986 à la transformation de la 11ème Escadre.

      A partir de 1983 la nacelle ATLIS arrivant à maturité et permettant un emploi opérationnel l’Etat-Major a décidé de lancer la phase de qualification opérationnelle du missile AS30L.  5 missiles dont 4 à case télémesure et 1 “bon de guerre” ont été affectés pour cette phase de qualification. Tous ont générés d’importantes modifications et ont permis de faire de ce système une réussite opérationnelle en IRAK comme dans la guerre du Golfe  Pour ces essais le CEL avait construit face à la côte un “Mur AS 30” identique à celui utilisé au CEV de Cazaux sur le champ de tir de Calamar, à savoir, un mur de 12/12m avec peint sur fond noir un carré blanc de 8/8m

Le premier tir

     Le 5 /12/ 1983 avec le Jaguar A4 et un missile AS30L dont la charge militaire était remplacée par une case à télémesure pour la restitution a été réalisé au Centre d’Essais des landes (CEL) sous la conduite d’ingénieurs d’essais du CEV/CEL (dont Michel Delage). Les paramètres de tir étaient haut du domaine ouvert au préalable par le CEV à savoir :

                     – Vitesse 450kt ;

                    – Altitude 1000ft

                    – Et distance de tir 10Km les conditions météo temps clair mais fort vent du nord de 32Kts.

Tous les éléments de tir sont respectés le tir est réalisé le dégagement conforme mais le missile n’a jamais vu la tâche laser ! Après restitution de l’ensemble des paramètres il s’est avéré que le tir réalisé en limite de domaine angulaire de l’axe du vecteur vitesse avion et de la cible, l’autodirecteur de champ 6° n’est pas rentré dans le champ de rétrodiffusion du laser sur la cible du fait de l’importante dérive liée au vent. Il a donc fallu fixer une consigne de limite de champ latérale au cours de la visée : le pilote doit donc vérifier cette limite avant le tir que nous avons définie à l’aide de la symbologie existante sur Jaguar. Premier échec !!

Le deuxième Tir

        Réalisé au Centre d’essais de la Méditerranée (CEM) sur la coque Aunis un bateau de la marine Nationale utilisé pour les essais de tir de missile antiradar et ancré au large de l’Île Longue. Ce cas de tir devait nous permettre de valider le concept opérationnel de tir après une mission longue avec ravitaillement en vol. La mission : décollage de Cazaux rejointe du ravitailleur C135 au large de la Corse et, au top du CEM, descente rapide et tir après 3h de vol. L’avion utilisé était le Jaguar A160 en configuration dissymétrique Pod ATLIS en ventral Missile AS30 L à droite et bidon à gauche.

    Paramètres de tir : Distance 9 km, vitesse 450Kt et altitude 500ft.

    Le tir et le dégagement sont réalisés conformément aux ordres mais après environ 30 km de vol le missile a percuté la mer sans avoir ne été piloté ni détecter la tache laser. La restitution des éléments par le constructeur de l’autodirecteur et le missile ont permis de mettre en cause le gyroscope de l’autodirecteur. En effet ce gyroscope permet au missile d’être piloté avec une référence de verticale et celui-ci est lancé par pyrotechnie juste au moment du tir. La pyrotechnie a bien fonctionné mais la graisse du gyroscope ayant gelée durant le long séjour en altitude a bloqué le lancement du gyroscope. Bien sûr le type de graisse a été changée et tout ensuite a bien fonctionné dans les opérations suivantes.  Donc :  Deuxième échec

Troisième Tir.

       Pour ce cas, l’objectif était de valider le comportement de l’avion et du système dans le cas du tir en salve et du dégagement du côté du missile tiré.

Le tir a été réalisé le 13/11/1985 à partir de la base aéronavale de Hyères dans la zone du CEM et la cible était toujours la coque Aunis. Le Jaguar A 160 en configuration dissymétrique avec un missile AS30L à case télémesure en voilure gauche

        Les paramètres de tir : Vitesse 450 Kt ; distance 10 km, Altitude 500Ft

        Le tir est effectué conformément aux ordres, le dégagement à 4g engagé immédiatement a amené l’avion à croiser le souffle du missile qui a provoqué une très forte turbulence avec passage dos de l’avion et perte de la génération électrique avion et apparition d’alphanumériques sur le moniteur de l’avion et évidemment perte de poursuite. Heureusement la position inusuelle à très basse altitude a été récupérée mais la génération électrique est restée défaillante et le tir un échec bien que le missile ait parcouru 30 Km…. Bien sûr cela a engendré une modification du domaine de tir en interdisant le dégagement coté missile tiré et une modification de la génération électrique du Pod et de l’avion pour éviter des déclenchements sur forte turbulence. Donc : Troisième échec 

Quatrième tir

    Dernier tir de la série de qualification. C’était le tir en salve avec un missile bon de guerre et un missile à télémesure pour vérifier le comportement du deuxième missile après l’explosion du premier sur la cible. Ce tir réalisé le 3 /03/1987 par Bernard Foron un pilote d’essais du CEV.  Au départ de la base de Hyères toujours sur la coque Aunis au CEM.

      L’avion le Jaguar A 160 et les paramètres : vitesse 420Kt / altitude1000Ft / distance 10KM.

      Le tir est effectué nominalement les missiles touchent la coque en son centre avec un délais de quelques secondes.

       Le premier missile explose et le second, à télémesure fait un trou bien visible à côté de la première explosion. Tout est donc nominal sauf que la coque Aunis équipée de caméras à très grande vitesse, pour la restitution des impacts, et réputée insubmersible par nos camarades marins, a coulé au fond de la Méditerranée 30 minutes après l’impact. Quatrième  Réussi    Ce dernier tir a très certainement convaincu l’État-major de la marine Nationale de se doter de ce système d’arme, ce qui fut fait et adapté par Dassault Aviation au Super Etendard à partir de 1988.

      Ainsi s’est achevée la phase de qualification AGL de l’AS30L.

      Tous ces échecs ont bien évidemment permis d’engager les modifications du système d’arme nécessaires à son efficacité et à sa fiabilité. Cela lui aura  permis de connaître beaucoup de succès au cours des conflits des années 1990 (IRAN/ IRAK; la  Guerre du golfe; ex Yougoslavie)  et ainsi donner aux forces aériennes Française, dans le domaine de l’attaque au sol la crédibilité qui est la sienne aujourd’hui.

LE DEBUT des OPERATIONS

     Mais revenons au développement du système qui s’est poursuivi tout au long de l’année 1985 pour enfin arriver à maturité en cette fin d’année. A ce stade un certain nombre de démonstrations ont été faites aux plus hautes autorités de l’Armée de L’Air et des Armées.

     La première démonstration au CEMAA réalisée au CEAM de Mont de Marsan n’a pas été couronnée de succès, le système étant jugé trop complexe à utiliser, sans avenir donc : « circulez il n’y a rien à voir..»

     La deuxième démonstration beaucoup plus importante sur la base Aérienne 136 de TOUL au CEMA le Gal SAUNIER. Très intéressé par la présentation, le Chef D’Etat Major des Armées une fois revenu à son bureau a demandé des explications complémentaires. Je me suis donc retrouvé un jour de novembre 1985 convoqué rue St Dominique en présence du futur Gal Le moine ancien de la 11 et pas étranger à cette convocation…pour une présentation précise de nos capacités d’intervention avec un tel système basé sur le trinôme Jaguar/ATLIS/AS30L. J’étais accompagné dans ce périple du Col DETRY, Cdt le CEAM. Cela nous a d’ailleurs valu un déroutement et une nuit à Cognac, le brouillard nous interdisant l’atterrissage à Mont de Marsan…. Mais au-delà de cette péripétie j’ai été contraint avec mes troupes rapprochées de l’équipe de marque à la tenue d’une astreinte permanente pour un éventuel départ en mission opérationnelle…….Tout se passait donc bien nous poursuivions les vols d’essais pour les dernières mises au point et améliorations. Je décide alors, début février, de m’accorder un séjour au ski avec ma famille à St Lary. Le soir de mon arrivée à la station, conformément à mon astreinte, je préviens la gendarmerie de ma position exacte au “Plat d’Adet”. Les gendarmes obéissants enregistrent bien qu’interloqués, et incrédules ma déclaration. Nous montons nous installer prêts pour une grandiose semaine de ski….Mais voilà,  le lendemain matin à 7h, toc, toc! les gendarmes viennent me prévenir qu’ils avaient ordre de créer une DZ et un hélicoptère est venu me récupérer direction Mont de Marsan puis Cazaux puis Istres et le lendemain mon équipe et moi-même partions pour une mission opérationnelle AGL en Afrique qui durera deux mois mais cela est une autre histoire qu’il faudra raconter…..
Dans un premier temps Libreville; puis Bangui; puis Ndjamena deux mois plus tard je rentrais fort de cet enseignement opérationnel qui nous aura permis de vérifier le bien-fondé de ces développements et du travail effectué.

      Parmi les enseignements retirés, au-delà du fait que c’était la première fois qu’un détachement opérationnel était conduit par le CEAM, il y a eu des enseignements retirés pour le système. En premier, le constat que le Pod ATLIS n’aimait “pas du tout” les orages tropicaux et il aura fallu une très importante modification de l’étanchéité du tronçon central électronique pour que celui-ci résiste aux intempéries.

     En second, l’autodirecteur ARIEL de l’AS30L a été très érodé par les vols à grande vitesse en conditions tropicales. Afin d’éviter une trop forte dégradation des optiques, il a été développé une coiffe en bakélite pour leur protection et éjectée au moment du tir grâce à un cordon détonant ouvrant le cône de protection qui s’éjectait.  Aucun dysfonctionnement n’aura été constaté en opération sur cet armement malgré les très nombreux tirs effectués dans la zone tropicale désertique (golfe persique). Enfin la déficience du système de navigation du Jaguar rendait l’acquisition de la cible très aléatoire et le couplage avec le système de navigation a été une évidence. De plus, dans les zones opérationnelles ou la maîtrise du ciel est assurée l’utilisation de l’AGL est particulièrement adaptée et c’est ce qui s’est vérifié depuis sur tous les théâtres opérationnels sur lesquels il a été utilisé. (IRAK, Golfe, Ex Yougoslavie, Sahel…)

      Dans bien de ces cas, l’Armée de L’air Française n’aurait pas été éligible dans les coalitions internationales sans ce type d’armement incontournable aujourd’hui.

 

UN CAS CONCRET D’UTILISATION D’ARMEMENT GUIDE LASER 

Le Jaguar au départ de la mission
Le Jaguar au départ de la mission
Stollice, juste avant l'impact. ON peut voir que que l'ATLIS est en champ 4 et utilise le tracker TAZ
Stollice, juste avant l'impact. ON peut voir que que l'ATLIS est en champ 4 et utilise le tracker TAZ
Le résultat de l'attaque
Le résultat de l'attaque
Pilotes ayant participé à l'opération
Pilotes ayant participé à l'opération

        Le « système » étant arrivé à son stade de développement final et sa capacité opérationnelle étant vérifiée, la transformation de la première unité de chasse au système AGL a été engagée à Mont de Marsan le 6 Mai 1986. 15 jours de transfo de la première équipe de pilotes et mécaniciens conduite par le Cdt de la 11ème Escadre, le futur Gal Longuet. Ce fut donc la fin de cette première histoire de L’AGL en France.

      Il restait encore des développements et des tests à réaliser :

                – En particulier la validation de la BGL 1000Kgs développé par MATRA et son directeur de programme Mr Evrard.

               – S’agissant des systèmes et bombes US Paveway, cela a été fait dès leur mise en service et a permis leur utilisation opérationnelle avec succès dans certains conflits.

      Thomson CSF Optronique devenu THALES Optronique a beaucoup œuvré pour que ces développements aboutissent et je dois rendre hommage aux industriels visionnaires et déterminés qui se sont lancés, à l’époque, dans cette aventure si évidente aujourd’hui. Il faut bien évidemment citer le premier d’entre J Barbet le PDG mais aussi les ingénieurs, techniciens directeurs techniques et de programme qui à l’époque n’ont pas compté leurs heures et leurs efforts.  Citons, messieurs JC Nico, T Arnaud, JL Ricci,  Grancoin,  Lepeytre et bien d’autres.

     Une famille de Pods a été développée depuis : ATLIS/ PDL CT / PDL CTS / DAMOCLES/ TALIOS,

     Tous adaptés à de nombreux avions : JAGUAR /Super Etendard /Mirage F1EQ / F16 /TORNADO /Mirage 2000 D, Mirage 2000EAD / Mirage 2000 Indien /RAFALE.

     Plusieurs types de capteurs sont utilisés en fonction des capacités technologiques du moment :

                   – La Caméra TV pour ATLIS.

                   – Le détecteur IR en 8-12 µm pour le PDL CT et CTS,

                  – Le détecteur 3-5µm pour Damocles.

                  – Les détecteurs Visible et 8-12µm pour TALIOS

                Tous ces Pods ont conservé le concept d’utilisation mis au point plus de 30 ans auparavant tout en améliorant leurs capacités d’acquisition, d’identification et de reconnaissance ; de jour comme de nuit, avec pour objectif d’augmenter la précision et donc l’efficacité opérationnelle tout en diminuant considérablement les effets collatéraux.

        Une belle réussite technique et une extraordinaire aventure humaine.

                                                                                             Jean-Claude VERGNERES

TAM 88

TAM 88

      TAM 88 était un exercice majeur OTAN qui s’est déroulé en 1988 à partir de la base canadienne de Solingen (RFA) , auquel la France participe bien qu’elle ne fasse pas partie de la structure intégrée. Cela fait 35 ans mais quelques souvenirs notoires me restent encore : 

       – tous les jours un “Mass-raid” d’une cinquantaine d’avions décollait de Solingen et il y en avait presque pour une heure à mettre tout le monde en l’air ; un grand spectacle 

       –  le briefing du soir qui rassemblait l’ensemble des participants commençait toujours par le “Hack” qui consistait à synchroniser les montres des participants. Le général Britannique responsable de l’exercice avait chronométré le temps qu’il lui fallait pour aller de la porte d’entrée de la salle jusqu’à son siège de façon à ce qu’il s’assoit quand l’officier en charge du briefing prononce le mot “Hack” ; du grand art ! 

       –  pour pénétrer dans la zone OPS (celle d’un escadron), les véhicules étaient systématiquement fouillés, un miroir passé sous la caisse,… car à l’époque l’IRA (branche armé Irlandaise) avait menacé de s’en prendre aux intérêts de l’OTAN. Quelle ne fut pas la surprise du fusilier commando Canadien quand à l’ouverture du coffre de la 305  du détachement français, il vit un pilote (Gadget) lui demander comment il allait ! L’histoire fit rapidement le tour des participants qui en rigolèrent ; pas certain qu’il en soit encore ainsi à notre époque….

–  cela me permet aussi d’adresser un petit coucou à “Néné” chef du détachement français. 

TAM 88

       Dans la jungle des exercices aériens qui événement a été régulièrement commenté dans se déroulent régulièrement dans les cieux européens, nul doute que les lecteurs ou « aérophiles » peuvent y perdre un peu le nord…

    Bien que pour eux des notions telles que « Tiger Meet », « Tactical Meet », « Best Focus », «Central Entreprise», « Datex », «Reforger» soient souvent synonymes de « beaucoup d’avions rassemblés en un même jour en une même place, donc une opportunité photographique sans pareille, on sait beaucoup moins ce qui se cache derrière ces exercices eux-mêmes.

      Nul besoin d’avoir honte de son ignorance car en Amérique du Nord, avec des exercices tels que « Red Flag », « Blue Flag », « White Flag », « Maple Flag « Giant Voice », « Bull’s Eye » et beaucoup, beaucoup d’autres, il faut être spécialiste pour distinguer ce qui fait l’originalité de chacun d’eux, ainsi que leur raison d’être. 

   Le « Tactical Air Meet » est l’un de ces exercices qui se déroule tous les 2 ans et que tout le monde connait maintenant puisque cet évènement a été régulièrement commenté dans les pages de notre magazine. C’est devenu une chose tellement courante en fait, qu’on ne sait plus très bien à quoi il sert, ni comment il se déroule !

Canberra Tornado TAM 88
Canberra Tornado TAM 88

    Est-ce une réunion « amicale » du type « Tiger Meet » ? Est-ce une compétition entre escadrons ou avions ? Ou alors s’agit-il de mettre en commun ses forces pour faire face à une menace commune ?

       Autres questions. Comment les participants vivent-ils cet exercice ? Volent-ils avec moins de restrictions ? Accumulent-ils plus d’heures de vol ? En retirent-ils vraiment des leçons, qu’ailleurs ils n’auraient jamais pu apprendre ? Bien entendu, ces questions concernent tout aussi bien les équipages navigants que les techniciens au sol.

       Cette année, c’est ta base canadienne de Baden Solingen qui a été choisie pour accueillir être cet événement. Une chose est certaine de prime abord : le fait de changer tous les deux ans de base aérienne en lieu et place d’une base d’exercice unique comme il en existe en Sicile, en Sardaigne ou même en Corse est révélateur sur deux points. Premièrement, on ne peut contredire le caractère d’exercice que prend une telle manifestation dans la mesure où la base qui accueille 70 appareils supplémentaires, devra forcément s’adapter à un rythme différent, tant au niveau de l’infrastructure, de la logistique et, du ravitaillement qu’à celui du « management », dirons-nous, de l’espace disponible pour permettre à toutes les équipes invitées de travailIer dans les meilleures conditions possibles.

       Cette pression se fait également sentir au niveau des contrôleurs aériens, assurant la gestion totale de l’ensemble des mouvements sur l’aérodrome, depuis les circuits d’approche jusqu’à la circulation sur les taxiways et la piste principale.

On peut aller plus loin encore, en évoquant l’intégration de 200 personnes supplémentaires, équipages, techniciens et autres personnels qu’il faudra nourrir, loger et transporter. Bref, pour la base qui reçoit, il s’agit effectivement d’une mise à l’épreuve et d’un contrôle de ses capacités à s’accommoder d’un rythme de vie non conforme à son activité quotidienne habituelle. Par contre, c’est un scénario qui pourrait se jouer dans l’hypothèse d’une crise sérieuse ou d’un conflit… Un autre élément entre en faveur du choix d’une base opérationnelle « normale », située sur le continent.

TAM 88-2 JAG de RAF en DL PS
TAM 88-2 JAG de RAF en DL PS
F 16 Danois
F 16 Danois

      Il s’agit pour les équipes participantes d’évoluer dans un espace aérien et dans une zone géographique identiques à ceux dans lesquels elles auraient à intervenir en cas de conflit, et dans le cadre de leurs responsabilités au sein de l’OTAN. Mener un tel exercice à partir d’une base en Sicile, par exemple, impliquerait des problèmes logistiques énormes, et l’intervention quasi systématique de ravitailleurs en vol pour se rendre jusque sur le continent et en revenir.

      Bref, pour le « base commander » de Baden-Solingen, accueillir le TAM 88 fut un honneur, mais pas forcément une partie de plaisir. On pourra ainsi vérifier en pratique ses capacités de « manager », et à la fin de l’exercice, c’est lui qui recevra des messages de félicitations et de remerciements, mais c’est également lui qui sera la cible n°1 si, au soir d’une journée de travail, les mécanos n’ont pas d’eau chaude pour prendre leur douche : c’est accessoire direz-vous, mais ça compte, et c’est essentiel pour conserver sa bonne réputation…

      Et justement, les mécanos et les chefs de piste, ceux qu’on oublie trop souvent, comment cela se passe-t-il pour eux ?

     A leur niveau, le défi à relever est certainement plus grand encore que pour tous les autres, et sans commune mesure avec le travail quotidien sur leur base d’origine. Imaginez la situation sous l’angle suivant. Au TAM, vous aurez trois ou quatre forces aériennes qui, toutes, sont venues avec quatre avions, tous du même type, le F-16 par exemple ; Belges, Danois, Hollandais et Américains vont s’observer mutuellement pour voir lequel d’entre eux pourra, au jour le jour, aligner ses quatre avions disponibles à 100 %. Pas une mince affaire en soi car, si l’une des équipes a des difficultés à ce niveau, ou une indisponibilité de 25 % voire de 50 % sur un avion identique, cela peut-être révélateur d’un problème sur le plan de la maintenance. Pour les équipes au sol, ce sera indubitablement une espèce d’épreuve, et la volonté, surtout, d’atteindre le statut opérationnel des collègues étrangers. Mais heureusement, dans ce type d’exercice international, voué à la réussite d’une cause commune – la défense des pays de l’OTAN –  il est normal que l’on tire des leçons de ses éventuels échecs, et que l’on bénéficie de l’expérience des autres.

      C’est ainsi qu’un technicien hollandais donnera quelques « tuyaux » à un collègue belge sur un problème de maintenance bien particulier. Alors qu’un technicien de l’USAF ayant travaillé sur F-16 dans le climat aride de l’Arizona, dispensera des conseils judicieux aux Européens sur la maintenance de l’avion en plein air, lors de nos étés continentaux. Mais on pourra également discuter d’un problème commun à l’avion, d’une panne ou d’une défaillance fréquente, et trouver, ensemble, un moyen d’y remédier. Lors d’une telle manifestation internationale où chacun défend ses « couleurs », ce sont eux, les techniciens qui tiennent un peu la barre. Sans eux, même le plus « tigre » des pilotes sera dans l’impossibilité de voler, et s’il le faut, ils travailleront toute la nuit pour que le lendemain toute l’équipe, pilotes compris. puisse répondre « présent » et relever un nouveau défi.

EF 111 Guerre Electronique
EF 111 Guerre Electronique
F 16 de Spangdalem
F 16 de Spangdalem

      En ce qui concerne les pilotes, les choses ont quelque peu changé pour eux, à ce TAM 88.

       Dorénavant, il ne faudra plus confondre un TAM avec ce qui fut jadis un « Weapon Meet » ou un « Royal Flush ». Autrement dit, il ne s’agit plus d’une compétition ou d’un concours dans le style « allez-y et que le meilleur gagne ! » Il n’y a plus de classement au TAM, ni d’équipe gagnante. L’esprit du « Meet » a changé : il est devenu plus réaliste.

     En effet, comme devait le déclarer un général lors de la cérémonie d’ouverture : « ce serait une contradiction de nous battre entre nous, alors que le but recherché est d’être efficace ensemble, contre un ennemi commun. » Quoi de plus logique !

     Un participant devait par ailleurs déclarer : « l’abandon de la notion de compétition enlève une partie du stress qui pesait sur les équipages. Aujourd’hui, on recherche l’harmonie et non plus le duel. Au niveau sécurité, c’est mieux également car les équipages ne prennent pas de risques inutiles. » Voilà dans l’esprit dans lequel s’est déroulé ce TAM 88.

     Passons maintenant à la raison d’être du TAM. En termes généraux, il s’agit de recréer un environnement qui permette aux forces aériennes de l’OTAN (Allied Air Forces Central Europe – 2nd et 4th ATAF) de mettre en pratique des tactiques et procédures qui ont été développées conjointement au niveau des forces d’attaque, de défense aérienne, de reconnaissance et de guerre électronique, afin d’en assurer une utilisation harmonieuse tout en tenant compte des divers matériels utilisés.

Les objectifs recherchés par ce biais sont de nature variée : étendre le champ d’activité et d’intervention des différentes forces aériennes concernées, améliorer les capacités de commandement et de contrôle, faire un usage intensif des moyens d’interprétation et d’aides informatiques pour le planning des missions, et enfin, assurer une meilleure compréhension des opérations aériennes combinées. Parallèlement et indirectement, l’exercice permet également de développer la confiance mutuelle entre les divers équipages participants sur un plan plus humain et personnel.

     Concrètement, comment fonctionne l’exercice ? Les participants qui, tous, se retrouvent regroupés sous la notion de force « attaquante », sur la même base, en l’occurrence Baden-Solingen, sont structurés en cinq « escadres TAM », dont chacune a un rôle bien particulier : deux sont vouées à l’attaque au sol, une à la couverture aérienne/chasse, une à la reconnaissance et une à la guerre électronique. Les missions sont coordonnées par un « ATOC » (Allied Tactical Operations Center). Ces escadres effectuent une mission d’attaque « en masse » (près de 40 avions ou plus) une fois par jour, scénario au cours duquel elles obtiennent également l’appui d’un E-3A AWACS de l’OTAN. Leur mission consiste à défaire et à pénétrer le réseau de défense aérienne d’un ennemi hypothétique, pour attaquer ensuite, derrière les lignes, divers objectifs. En 1988, ceux-ci étaient situés en Belgique et en France, exclusivement dans le Nord-Est. A titre d’exemple, l’ancienne base américaine de Chaumont figurait sur la liste des objectifs attaqués.

CF 18 Canadien
CF 18 Canadien
F 15 de Birburg
F 15 de Birburg

      Les forces de défense aérienne ne font pas partie intégrante du TAM, mais participent à l’exercice en jouant le jeu. Ces dernières consistaient en deux escadres de chasse, des sites de missiles sol-air, des stations de détection fixes et mobiles, et elles disposaient elles aussi d’un AWACS. En résumé, toutes les missions dites offensives s’effectuèrent au départ de Baden. Il y en eut 600 en tout.

       Toutes les missions dites de défense, soit 300 au total, furent lancées à partir de diverses bases localisées en France, en Belgique et en Allemagne. On estime qu’environ 500 avions furent concernés par l’exercice, alors que l’équipe TAM elle même disposait de 73 avions à Solingen.

       Afin de tirer le maximum de leçons de cet exercice, une place prépondérante avait été laissée aux missions de préparation, puis à l’analyse des résultats. Une équipe spéciale avait même été mise en place afin d’en vérifier tous les éléments et de se prononcer, ensuite, sur la « qualité » de la mission effectuée.

On comprend mieux l’importance de la planification, lorsque l’on considère que tous les avions partent du même terrain. Il faut donc se rassembler quelque part dans le ciel afin de former le dispositif d’attaque prévu. Or, un F-104 ou un F-5 n’a pas la même autonomie qu’un F-111 ou un Tornado par exemple ; mais il faut que tout le monde arrive sur l’objectif et puisse en revenir avec assez de pétrole.

       Ainsi, durant les missions quotidiennes, on pouvait assister en premier lieu, au décollage de I’AWACS, suivi des avions ECM, puis des F-111 , puis des Tornado et ainsi de suite, les F- 104 et F-5 décollant, en général, en dernier. Au retour, le scénario se déroulait en sens inverse, I’AWACS se posant en dernier, bien après fa grande masse des chasseurs

Et les équipages, d’où proviennent-il ? Il est à signaler que chaque pays présentait une équipe formée d’éléments (avions et hommes) provenant de divers escadrons. Les pilotes eux-mêmes, il faut le préciser, ne sont pas des « débutants ». Ils sont tous certifiés et diplômés du « T.L.P. » (Tactical Leadership Program), et ont une qualification de chef de patrouille leur permettant de mener quatre avions, et de types différents qui plus est. Leur expérience servira bien entendu à la formation des jeunes dans leurs unités respectives

      La France, qui ne fait plus partie intégrante de l’OTAN, avait participé au TAM 88, une fois de plus en tant qu’invitée, avec les 2e , 7e, 11e et 33e escadres. Il en fut de même pour l’Italie et le Danemark qui, eux, ne font pas partie du « Allied Air Forces Central Europe ».

      La conclusion de cet exercice, le général Fred Noak (RFA), commandant en second de I’AAFCE, devait la résumer en ces termes « contrairement à « Maple Flag » ou « Red Flag », le TAM nous offre un bonus non négligeable ; celui de mener des opérations à basse altitude et de manière réaliste, dans un environnement géographique que nous aurions à défendre en cas réel. On ne pourrait trouver un exercice plus adapté que celui-ci pour des membres de l’OTAN.

        Jean-Pierre HOEHN   AIR FAN 

UNITÉS PARTICIPANTES AU TAM 88

        BELGIQUE : Escadron – Bierset, Mirage V (2) / 8e Escadron – Chièvres, Mirage V (2) / 42e Escadron de Reconnaissance – Florennes / Mirage V BR (2) / 349e Escadron – Beauvechain, F-16 (1)

       ITALIE :  62e Escadre – Ghedi, Tornado (2) / 9e Escadre – Grazzanise, F-104S (1) / 36e Escadre – Gioia del Colle, Tornado (1)  Escadre – Trapani, F-104S (1) / Escadre – Istrana. F-104S (1) /  350e Escadron — Beauvechain, F-16 (1)

     HOLLANDE : 314e Escadron – Eindhoven, NF-5 (2) / 316e Escadron — Gilze-Rijen, NF-5 (2)

    CANADA : 409e Escadron Nighthawks » – Baden Soelingen, CF-18 / 421e Escadron Red Indians » – Baden Soellin CF-18 / 439e Escadron « Tigers » – Baden Soellingen CF-18. Le Canada a participé avec 8 avions.

      GRANDE-BRETAGNE – : llnd Squadron – Laarbruck, Jaguar (2) / IXth Squadron – Brüggen, Tornado GR. 1 (4) / XIXth Squadron – Wildenrath, FG.R2 Phantom (2)

      RAF Germany : Unités de la RAF basée en Grande-Bretagne : 29th Squadron –  Coningsby, Tornado F3 (2) / 560th Squadron – Wyton, T-17 Canberra (1) (ECM) / 617th Squadron – Marham, Tornado GR.1 (4)

     DANEMARK : 730th Squadron – Skrydstmp, F-16 (2) / 725th Squadron – Kamp, F-35 Draken (4)  

     FRANCE : 2e Escadre de Chasse – Dijon, Mirage 2000 (2) / 11e Escadre de Chasse Toul, « Jaguar (2) / 7e Escadre de Chasse – St. Dizier, Jaguar (2) / 33e Escadre de Reconnaissance – Strasbourg, Mirage F1CR (2)

     USA : 20th TFW – Upper Heyford, F-111E (4)CF-18 / 52nd TFW – Spangdahlem, F4G (2) et F-16 (2) / 42nd Electronic Combat Squadron – Upper Heyford, EF-111A (2) (ECM) / 36th TFW – Bitburg, F15C (2)

     RFA : JaBo 32 – Lechfeld, HFB-320 Hansa Jet (ECM) (2) / JaBo 33 – Büchel, Tornado (4) / AkG 51 – Bremgarten, RF4E (2) / IG 74 – Neuburg, F-4E (2)

     Enfin il y eut le Nato Airbone Early Warning Force (NAEWF) avec un E-3A aux couleurs de  l’OTAN.

COLMAR, mes souvenirs avec ceux de la 11EC

La base de Colmar

MES SOUVENIRS AVEC CEUX DE LA 11EC, de 1965 à 1967

(par un ancien chef de quart de l’approche de Colmar)

                               Plus que des anecdotes, ces souvenirs sont une évocation de l’activité aéronautique de l’Armée de l’Air, dans l’espace aérien de l’Alsace du sud entre 1965 et 1967. Deux escadres de chasse française séparées par le Rhin s’y entraînaient intensément à leurs missions de guerre respectives dans un esprit de compétition exacerbée. Toutes deux disposaient d’un encadrement de grande qualité qui avait acquis expérience et combativité dans des conflits où ils étaient sortis vainqueurs. Ces hommes remarquables, commandant d’escadrille, commandant d’escadron ou commandant d’escadre qui furent un peu plus tard mes chefs forgeront une aviation de combat exceptionnelle dont les appareils interviendront victorieusement dans de multiples parties du monde. J’ai pris du plaisir à citer certains noms, car ils ont fait partie de ma vie militaire.

                               Lieutenant du corps de Bases de l’Armée de l’Air, promotion 1962 de l’École de l’Air, à la sortie de Salon j’avais choisi la spécialité de contrôleur de circulation aérienne désirant être au plus près des avions et des pilotes. Je suis affecté à ma demande le 10 décembre 1965, au contrôle local d’aérodrome (C.L.A) de la B.A.132 de Colmar-Meyenheim au titre d’officier contrôleur d’approche.

                Je sortais de ma période de spécialisation qui s’était déroulée à l’École Nationale de l’Aviation Civile qui à l’époque était installée à Orly. Ma connaissance de l’Armée de l’Air était superficielle, pendant ma formation je n’avais connu que les bases aériennes de Salon, Cazaux, Mont de Marsan, Cognac et Étampes. Aussi lors de visites organisées par notre centre de formation nous avions pu nous renseigner sur notre futur travail et je fus littéralement conquis par l’importance guerrière de la B.A.132 et son contrôle d’aérodrome. C’était un autre monde que celui qui existait sur les autres bases aériennes que j’avais connu, nous sortions de la guerre d’Algérie et l’Armée de l’Air fonctionnait alors à deux vitesses : l’une regardait devant elle vers l’Est et l’autre regardait maintenant derrière son épaule, vers le Sud. Lors de notre amphi-garnison mon rang de sortie me permit de choisir parmi la dizaine de bases proposées celle qui m’avait le plus impressionné.

                Les approches des bases aériennes du Commandement Tactique étaient modernes, toutes équipées d’un radar (RAdio Detection And Ranging) panoramique, le S.R.E. (Search Radar Equipment) qui pour faciliter l’identification des aéronefs comprenait un radar secondaire, signal électronique émis par l’avion, l’I.F.F (identification ami ennemi) qui codé devenait le S.I.F.. Le reste des approches françaises avaient encore les goniomètres de la seconde guerre mondiale, le gonio axial était disposé sur le terrain et le gonio ”flanquer” ou latéral, armés par quelques opérateurs isolés se trouvait à une dizaine de kilomètres de la base. L’identification des avions était assurée par le croisement sur la table traçante des deux faisceaux lumineux maniés manuellement et dont les données provenaient des relevés des deux gonios transmis téléphoniquement, vestige de la deuxième guerre mondiale. 

                    Un chasseur-bombardier impressionnant Le F 100.

F 100 à Bremgarten
F 100 à Bremgarten

                Très vite je fus confronté aux caractéristiques aéronautiques des F 100 Super-Sabre stationnés sur la B.A.136 de Bremgarten, située tout à côté, en face, de l’autre côté du Rhin. Bien que leurs missions d’entraînement s’effectuaient essentiellement en basse altitude. Cependant, certaines de type haut-bas-haut ou lors de missions plastron (chasseur ami servant de cible d’exercice) au profit des chasseurs de D.A. transitaient par notre intermédiaire à destination notamment de la station radar de Contrexeville. L’approche de Bremgarten n’ayant de liaison directe qu’avec l’autre station radar ”du secteur” Drachenbronn récemment inaugurée en 1964. La mission secondaire de la 11 était l’interception de jour.

                De temps en temps, nous recueillons à l’approche de Colmar certaines patrouilles de F 100 D monoplace et F 100 F biplace de la 11 qui venant de France (de l’intérieur comme on disait en Alsace) qui préféraient ”percer” (traverser la couche de nuage) avec nous pour ensuite rejoindre directement leur base soit en basse altitude à vue, soit par ”hand-over” ou transfert d’approche à approche entre Colmar et Brem…

                Parfois nous recevions la visite d’autres F100 super sabre français, il s’agissait de ceux de la 3e EC en provenance de la base aérienne 139 de Lahr située de l’autre côté du Rhin en face de la B.A. 124 de Strasbourg, mais c’était peu courant. Et nous avions régulièrement les déroutements des appareils de chasse de nos autres bases de l’Est, F84F, RF84, mystère IV et mirage IIIR qui pour des raisons techniques concernant soit les avions, soit l’état de l’infrastructure de leur terrain ou à cause de l’aggravation brutale de la situation météorologique de leur base de stationnement, étaient dirigés sur notre plate-forme. Pour la 11, les déroutements étaient dus à des raisons techniques, essentiellement des ”engagements barrière”, car entre les deux plateformes très poches, à une dizaine de nautiques seulement (une vingtaine de kilomètres), la situation météo était identique et souvent favorable à cause de l’effet de ”foehn” qui relevait le ”plafond” (sommet de la couche nuageuse) grâce à la présence du massif vosgien.

                C’est ainsi que j’ai pu véritablement contempler cet oiseau métallique mythique qui avait écrit son histoire au Vietnam, impressionnant par ses dimensions comparées à celle des Mirages certes élégants mais qui semblaient fragiles à côté de ce croiseur des airs qui dégageait une impression de puissance. 

                Avec le F100, le plus impressionnant était le décollage, car, pour atteindre sa vitesse critique décollage, le F100 devait utiliser sa ”military power” ou ”post-combution” ou P.C. Les vieux pilotes de F100 qui avaient été ”lâchés” par des instructeurs U.S utilisaient souvent doctement le terme de military power. Au ”top décollage”, les F100 ouvraient l’écoulement du carburant nécessaire à l’augmentation de puissance, les volets de la tuyère à l’arrière du réacteur se refermaient et pour nous spectateurs attentifs nous entendions tout d’abord une détonation brutale très forte (par condition de vent favorable nous pouvions entendre les détonations des P.C des F100 au décollage de Brem). Puis c’était un vrai feu d’artifice qui éclairait l’arrière de l’avion, la couleur était principalement mauve entourée de deux anneaux lumineux caractéristiques et se terminait par un panache d’une dizaine de mètres de couleur rougeâtre. Comme toujours, l’avion quittant le sol, le bruit cessait brusquement et le feu arrière s’éteignait aussitôt.

              Un décollage de F100 était donc toujours spectaculaire et attirait tous les regards.

F 100 prêt à décoller
F 100 prêt à décoller

                Les F100 n’avaient pas des moyens de transmission exceptionnels, son poste radio principal était un U.H.F américain (Upper High Frequency) qui était souvent en panne. Heureusement il disposait d’un deuxième poste radio mais, celui-ci était un V.H.F (Very High Frequency) à canaux présélectionnés, ce poste secondaire était de faible puissance, il représentait un cauchemar pour les contrôleurs.

                Les F100, pour assurer leur mission principale de pénétration en basse altitude volaient toujours avec des bidons supplémentaires et les contrôleurs les considéraient comme des appareils qui ayant beaucoup de ”pétrole” ou carburant, n’avaient donc pas la priorité pour l’approche. Mais lorsqu’ils étaient en configuration lisse, sans bidons extérieurs supplémentaires, ce n’était pas la même chose et je me souviens des remarques répétées de certains cadres inquiets de la 11 qui nous rappelaient qu’avec cette configuration le F100 n’avait pas plus de carburant que les Mirages, ce qui voulait dire pas beaucoup.

  L’alerte permanente.

                Pendant les premières années de mon affectation à Colmar, notre pays faisait encore partie de la structure intégrée de l’O.T.A.N. et notre rythme opérationnel était intense. Dans les escadres, et les escadrons de chasse il régnait alors une odeur de combat et les pilotes étaient des guerriers. La grande majorité d’entre eux avaient été engagés dans les opérations aériennes d’Algérie, certains d’entre eux y avaient été marqué dans leur chair. Le commandant Jean Bonnet, ancien commandant du 1/3 de Lahr sur F100, était chef des opérations de la 13e escadre en 1965, il avait eu en Algérie son avion touché et qui avait pris feu en vol, il parvint à crasher son T6 et se dégager brûlé à 50%, il finit sa carrière comme général à la Direction du personnel militaire de l’Armée de l’Air, où il fut de nouveau mon chef alors que j’étais le sous-chef du 2e bureau de cette direction (bureau des sous-officiers). De même, le commandant du CEVSV, unité navigante stationnée alors à Colmar, le commandant Le Noury, portait également les marques de brûlures sur tout un côté du visage et du corps. Claude Le Noury sera commandant de la base de Colmar en 1977. Beaucoup de ces navigants avaient effectués en plus, en 1956, des missions de guerre au-dessus du territoire égyptien qui vit plusieurs de nos escadrons de chasse intervenir pour la reconquête du canal de Suez. Sur ces deux théâtres d’opérations, ils étaient sortis vainqueurs mais on leur avait volé leurs victoires, alors ils continuaient le combat. L’odeur de la guerre était présente partout, à commencer par la tête de notre commandement, le général commandant la Fatac-1ere RA, ancien de l’École de l’Air, promo 1938, était parmi les ”as de guerre” il nous commandait 20 ans après la fin de la guerre, il était titulaire de 9 victoires aériennes et de 13 citations. Son indicatif ”maquis 01” semait la terreur parmi les contrôleurs d’aérodrome, à chaque passage sur une base, le contrôleur de service prenait systématiquement 8 jours d’arrêt, par principe, aussi nous avions décrété un tour pour permettre à tous d’avoir le plaisir de signer au bas de la page de sanction.  

                Dans cette ambiance tendue, les alertes succédaient aux alertes et les exercices plus ou moins importants venaient agrémenter notre travail. Le classeur qui décrivait tous les exercices, les CPX (Consignes Permanentes d’Exercices) était d’une belle épaisseur.

                Je me souviens par exemple de l’exercice ”roulette” qui était toujours déclenchée à des heures impossibles surtout au milieu de la nuit par des officiers sadiques. Il consistait à faire rouler les avions d’alerte jusqu’en bout de piste où était relevé le temps de réaction. Pour le plaisir, les responsables de ces exercices poussaient parfois la plaisanterie à poursuivre la manœuvre par un autre exercice qui exigeait le décollage. Alors, au cours d’une nuit noire, imaginez l’angoisse du pilote de la 13 qui avait décollé en pyjama négligeant sa combinaison de vol croyant en un retour rapide dans les bras de Morphée et qui propulsé dans les airs sur son moderne destrier se voyait accueilli par des camarades chasseurs hilares stationnés sur une autre plate-forme au mieux française mais qui aurait pu être alliée. Le terrain de Ramstein en Allemagne, ainsi que celui de Neubourg dans une moindre mesure, étaient l’un des terrains préférentiels des déroutements imposés en vol par Aircent aux Mirage III. A l’époque Ramstein Air Base, du district de Kaiserslauten au Nord de Strasbourg, était la principale base de chasse de l’USAFE. Toutes les communications radio se passaient en anglais, cette procédure était obligatoire et ne demandait aucune peine pour les cadres P.N. formés par des instructeurs U.S. Mais quand nous quittâmes l’Otan et du jour au lendemain sur un ordre, nous devions parler français et que le français. Quelques années plus tard, le retour à la procédure anglaise fut difficile aussi bien pour les pilotes que les contrôleurs. J’étais alors à Dijon et mon commandant de base le Colonel Jacques Bourillet qui avait été brigadier de promotion à Salon lorsque j’étais élève, puis ancien commandant d’escadron du 1/11 sur F100 en 1965, avait payé, sur ses crédits instruction, à mes contrôleurs, pendant deux ans de suite, des cours d’anglais hebdomadaires de deux heures de conversation, qu’un professeur civil venait nous dispenser à la tour de contrôle tous les mercredi matin pendant la matinée réservée à l’instruction. Nous acquîmes rapidement tous le Cmlp un ou certificat militaire de langue parlé du premier degré d’anglais et certains furent reçus au deuxième degré. Rendons un hommage bien mérité au Général Michel Forget notre chef à la Fatac, d’avoir compris que seule la pratique pouvait nous faire progresser. Il avait réussi à convaincre son homologue de l’USAFE que les échanges de contrôleurs US et Français ne pouvaient être que bénéfiques pour nos deux armées. Pendant quatre ans, les contrôleurs des CLA de la Fatac iront à tour de rôle passer trois semaines dans les tours de contrôle US d’Allemagne. Nos progrès furent immédiats, la motivation accrue et pour les contrôleurs US ce fut de bonnes vacances, surtout gastronomiques très appréciées par des sous-officiers majoritairement d’origine mexicaine.       

        La valse des codes.

                Les navigants d’aujourd’hui pensent que les indicatifs codés des escadres et des escadrons étaient permanents, il n’en était rien. Sous les ordres du 1er Catac tous les premiers de chaque mois nous procédions à la redistribution de ces indicatifs entre toutes les escadres et escadrons rattachés. Et pour faire bonne mesure c’était en même temps la redistribution des fréquences particulières U.H.F des tours de contrôle et des quatre fréquences attribuées à chaque approche du commandement tactique. Chaque base aérienne, chaque centre de contrôle étaient nommés par un nom codé sans relation avec son implantation géographique et que personnel navigant et contrôleur devaient impérativement utiliser, ce code tournant changeait également le 1er de chaque mois. Je vous laisse imaginer le désordre radiophonique de chaque 1er de mois. Les ordres correspondants étaient tombés dans la nuit, donc en général, cette matinée du premier de chaque mois était une période de ”no fligth” car il fallait laisser le temps à la section photo de tirer les fiches de renseignements emportées en vol par les pilotes qui indiquaient codes terrains et fréquences radio à utiliser. Cette valse des codes perdura quelques mois après que nous ayons quitté l’OTAN et puis un jour tout cessa et les escadrons conserveront pour longtemps le dernier code tournant qui leur fut attribué.

                Plein de sollicitude à notre égard, les officiers de la 4e ATAF voulaient s’assurer de notre constante disponibilité et de notre faculté d’adaptation. Pour cela, ils avaient une manœuvre préférée c’était ”l’évaluation opérationnelle” uniquement tournée vers le côté opérationnel, la Fatac repris cette habitude qui devint une ”évaluation tactique” plus générale, mais sans jamais atteindre le réalisme otanien. Donc, régulièrement nous recevions la visite d’une vingtaine d’officiers alliés avec un majorité d’officiers belges qui entendant le français étaient plus particulièrement chargés de découvrir les ”adaptations” françaises au règlement interallié. Bref, le réalisme était toujours présent, en salle d’approche quand le chef de quart se voyait remettre une fiche lui indiquant que son radar de détection était en panne, ce n’était pas simplement une indication car l’officier évaluateur se faisait un malin plaisir à éteindre tous les ”scopes” (écrans) de la salle de contrôle. Si l’approche avait des appareils en compte et c’était toujours le cas ou alors il n’y aurait pas eu de plaisir, il devait prendre les bonnes décisions en liaison avec le directeur des vols : soit il assurait le guidage par les autres moyens restant à sa disposition soit il procédait au déroutement. En ce temps-là on déroutait beaucoup et chaque mess-officiers de la Fatac mettait à la disposition des pilotes voyageurs le ”kit propreté” du Robinson aviateur consistant en savon pour la douche, le gant de toilette et les serviettes, la crème à raser et le rasoir, la brosse à dent et le dentifrice. Nos chevaliers du ciel étaient reçus comme des petits rois.!!! ils y prenaient goût et revenaient souvent. 

                Enfin, à chaque évaluation nous jouions le grand jeu du desserrement et toujours après un ramassage général du personnel au cours de la nuit. Le nombre important de bus affectés aux bases aérienne était la conséquence de ces alertes et de la nécessité de procéder à la récupération de l’ensemble des personnels logés et regroupés principalement dans les regroupements d’habitations, les fameuses cités militaires construites en même temps que les nouvelles bases aériennes mais qui se dégraderont rapidement par manque d’entretien de l’organisme de gestion, la SNI (Société Nationale Immobilière), pourtant émanation de l’État, une anomalie.

                Parfois ce desserrement était un vrai déplacement, en réalité c’était un déménagement complet, la 13 EC rejoignait son terrain de Belfort Fontaine (90). Les échelons précurseurs des escadrons mais aussi des opérations et donc du contrôle d’aérodrome avec sa salle d’approche sous tente, son radar (SRE) et son radar de précision atterrissage (PAR) prenaient la route en convoi. Le dernier desserrement de mirage IIIC à Belfort eut lieu en 1964, je ne l’ai pas connu mais j’en ai connu plusieurs semblables ailleurs. En particulier la base de Colmar disposait près de son dépôt de munitions de Munchhouse d’une piste de secours sous la forme d’une portion de route rectiligne située à 5 kilomètres au sud-est de la BA 132 au milieu des champs et se terminant par des alvéoles cachées dans la forêt de la Hardt (j’y ai fait une récolte fabuleuse de cèpe). Lors des exercices, les chasseurs étaient tractés depuis la base en utilisant les routes existantes jusqu’au lieu secret de stationnement. En 1967, lors d’un exercice, le contrôle local y avait installé une vigie mobile qui était sa jeep-radio-follow-me qui servait principalement de véhicule d’inspection de piste. Très rapidement après son arrivée le service incendie de piste avec la grue servant éventuellement à l’extraction du pilote de l’avion craché étaient mis en alerte, de même que l’ambulance de piste du service médical avec médecin à bord, c’était le temps heureux où les armées pouvaient disposer d’appelés nombreux et dévoués. On donna alors l’autorisation de décollage à une patrouille de F100 du 3/11. Tout cela était parfaitement huilé, les difficultés hiérarchiques avaient été aplanies, il faut dire que du temps de l’OTAN, les moyens opérationnels étaient rattachés à l’escadre et en conséquence les contrôleurs du CLA portaient l’insigne de leur escadre. Pilotes et contrôleur avaient le même chef. J’appartenais donc à la 13e EC dont je portais fièrement l’insigne.

                Le terrain de Colmar avait une place prépondérante dans le dispositif de l’A.D. (Air Defense) ou Défense Aérienne de la 4e A.T.A.F (4th Allied Tactical Air Force) du théâtre Centre-Europe de l’OTAN. Pour notre Armée de l’Air, les opérations aériennes d’entraînement étaient dirigées par le 1er CATac (1er Commandement Air Tactique) pour l’Europe et par le 2eme CATac pour les opérations extérieures dépendant du commandement des forces aériennes tactiques qui devint FATac/1er R.A. le 1er mai 1964.

                Bref, Colmar était le terrain de stationnement de deux escadrons de défense aérienne qui avaient pris le qualificatif de ”tout temps” lorsqu’ils avaient reçu des F-86K équipé d’un radar de bord, qualification confirmée avec ses deux escadrons 1/13 Artois et 2/13 Alpes équipés des tous récents Mirage III E. Je me souviens de la grande personnalité de deux commandants d’Escadron du 2/13, le premier qui avait eu son commandement en 1965 était le capitaine Gérard Arnaubec, plus tard, il fut mon supérieur direct comme chef des moyens opérationnel de la base de Dijon après avoir commandé la 10e EC. Le second qui lui succéda au 2/13 en 1966, était le capitaine Étienne Copel, en campagne de tir à Cazaux, il avait pris de son temps pour venir assister à mon mariage à Arcachon. Curieusement ces deux officiers furent amenés à quitter précocement l’Armée de l’Air à cause de leurs témoignages et de leurs réflexions. Le premier qui avait fait paraître un livre sans autorisation, sous le pseudonyme de Spartacus ‘‘Les documents secrets, Opération Manta, Tchad 1883-1984”, fut condamné pour divulgation de secrets d’État ? et emprisonné. Affecté à Balard à cette époque, je me reproche de n’avoir pas essayé de le revoir, car c’était un homme intègre et un grand chef, toute l’Armée de l’Air l’a banni et abandonné. Étienne Copel fut une personnalité forte de cette nouvelle Armée de l’Air, toujours premier en tout, il largua la première bombe nucléaire tactique à Mururoa à partir d’un Mirage III E, le 28 août 1973, alors qu’il était commandant de la 4e EC. En 1981 il fut le plus jeune général en activité, en 1984 alors sous-chef d’État-major de l’Armée de l’air, il démissionna de son poste pour pouvoir s’exprimer librement sur sa conception de la politique de défense de la France. Il publiera alors son premier livre ” Vaincre la guerre” et poursuivra jusqu’à ce jour une carrière politique. Incompris par ses pairs qui voyaient surtout son départ de l’Armée de l’Air comme l’élimination d’un redoutable concurrent, il fut marginalisé. Chapeau mon général!!!

    LE CEVSV 338 à Colmar

                Était également stationné sur le terrain de Meyenheim, une unité particulière le ”CEVSV” 338 ou Centre d’entraînement au vol sans visibilité qui faisait passer ”la carte blanche” pour les équipiers et ”la carte verte” (qualification au VSV) à tous les chefs de patrouille de l’Armée de l’Air et de la Marine. Il disposait alors d’une dizaine de T 33 U.S pour cette mission (altimètre en pouce comme tous les appareils d’origine U.S.). Le contrôle se devait d’anticiper dès le premier contact radio et donner la bonne pression atmosphérique du terrain, le QFE, en millibars pour les appareils de construction française et en pouces pour ceux provenant des USA, d’où l’importance de connaître par cœur les indicatifs escadrons et donc le type d’avion qui se présentait en approche. Cette unité avait un magnifique insigne peint sur le fuselage, il représentait un diable montrant au pilote une carte blanche dans sa main droite et une carte verte dans sa main gauche ou l’inverse. Ces ”T. Birds” étaient équipés du nouveau moyen de navigation le T.A.C.AN. qui affichait azimut et surtout distance et qui était celui des chasseurs modernes F 100 et Mirage III E. Le TACAN (TACtical Air Navigation) est un système de navigation militaire qui permet à un avion de se situer par rapport à une balise en distance et en direction. Lorsqu’un contrôleur annonce sa position à un chasseur, le pilote qui reçoit les mêmes données fournies par l’écran de son tacan à bord, est tout de suite rassuré sur la bonne identification. Afin de pouvoir assurer ce contrôle et notamment les évolutions inusuelles avec tonneaux et barriques du stagiaire en place arrière sous capote, une unité de contrôle et de surveillance spécifique avait été créé à l’approche de Colmar, qui avait l’indicatif de ”Mira” et qui possédait son propre espace aérien réglementée (restricted aera) située au-dessus de la Forêt Noire et du terrain de Bremgarten. Cette zone réglementée dévolue au contrôle français en territoire allemand était un reliquat des droits issus de l’occupation du territoire allemand par les forces militaires françaises. Les pilotes moniteurs de cette unité officiers et vieux sous-officiers étaient tous des navigants de grande expérience, nous les avions souvent au téléphone pour débriefer leurs vols, ils recherchaient toujours la perfection et la diffusion de leur expérience. Nous devions faire du contrôle final au degré près !!!, j’en rêve encore. Pour les stagiaires, ce contrôle d’aptitude était une remise en cause de son professionnalisme. Ils abordaient cette semaine de vol le plus humblement possible, elle consistait en trois vols d’instruction et un quatrième vol pour l’examen, le jeudi. Pour les recalés le vendredi était un vol de repêchage. Chaque vol entièrement sous capote consistait d’abord en évolutions en panneau partiel : sans horizon artificiel ni conservateur de cap, puis en positions inusuelles, ensuite venait la partie entraînement au VSV, l’avion devait faire une QGH (percée par passage à la verticale du terrain) à l’aide du radiocompas ou du Tacan, complété par un GCA, une remise de gaz pour un nouveau GCA avec atterrissage, chaque vol durait environ une heure et demi. J’ai vu défiler et contrôler tous nos pilotes-chasseurs, pour nous les jeunes contrôleurs, c’était une formidable école de formation. Débutant, profitant de mon inexpérience, l’un de ces moniteurs me donna une leçon qui est encore gravée dans ma mémoire. Je contrôlais donc un T33 qui avait remis les gaz après une finale GCA et qui se présentait pour une nouvelle finale avec atterrissage, je lui ordonnais un nouveau cap (direction) sans indication de sens de virage. La procédure correcte était : ” à gauche cap 200” et non pas ”cap 200”, le pilote confirma l’ordre et presque immédiatement annonça avoir exécuter l’ordre, incrédule le plot de l’avion était au même endroit, il n’avait pas bougé et pour le faire revenir sur l’axe, je lui donnais un nouveau cap. Le moniteur intervint pour ironiquement demander confirmation de cette succession de caps. J’avais compris, le T 33 avait fait un looping, j’eus droit à un débriefing sanglant, mais je n’ai plus donné de cap sans indiquer le sens à prendre. J’évoque, la personnalité étonnante d’un adjudant-chef moniteur de cette unité, l’adjudant-chef Toussaint, tout le monde le craignait, il faisait trembler jeunes pilotes, contrôleurs et mécaniciens. Comme il avait été le moniteur de presque tous les commandants d’escadrille et d’escadron, il avait une aura telle que peu de personnes osaient lui demander des comptes. Il connaissait parfaitement le fonctionnement de son avion, toujours avec le tournevis dans sa tenue de vol, il lui arrivait de démonter en vol le tableau de bord et de résoudre la panne en vol. Lors de vol de navigation, il démontrait à certains de ses élèves comment l’on pouvait augmenter la distance de vol d’un appareil. Cette manœuvre consistait à couper le réacteur en haute altitude, restons sérieux avec le T33 disons 30 000 pieds et à planer, puis en basse altitude rallumer le réacteur (il faut avoir confiance en son matériel) et recommencer la manœuvre. Il nous fit un jour un vol de plus de quatre heures, ces démonstrations seront arrêtées par un général stagiaire sans humour qui n’avait pas apprécié cette technique d’allonge. Les minimas étaient théoriquement de 200 pieds, mais je n’ai jamais dérouté un T33 du CESVS pour QGO (météo inférieure aux minimas), c’était de sacrés pilotes et ils avaient confiance en nous. Mais ils nous maintenaient la pression, le même moniteur, célibataire endurci, dormait très peu et la nuit faisait du bricolage dans sa chambre. Pour vérifier que nous tenions correctement la veille, la nuit pendant les alertes, il nous contactait sur le canal radio de la vigie ou de l’approche avec son indicatif personnel pour demander les éléments météo, à par exemple à trois heures du matin !!! cela motive.        

Un T33 du CEVSV 338
Un T33 du CEVSV 338

    Les exercices d’interception et d’arraisonnement.

                La frontière ennemie, était à ”une étape du tour de France” de notre propre frontière nationale comme l’avait dit le Général de Gaule et comme la base de Meyenheim était sur notre frontière de l’Est, l’alerte D. A. s’y tenait H 24 et à deux avions à 5 minutes et 2 avions à 15. Pour assurer nos missions, l’approche de Colmar disposait de deux radars de recueil, le bien connu S.R.E  (search radar equipment) en service dans presque tous les C.L.A. de France et un autre système de radar d’origine américaine composé d’un radar panoramique le M.P.S. 11 et d’un radar d’altitude à balancement le M.P.S.14. Ces radars étaient les éléments restants des stations de guidage des missiles tactiques Nike des unités de l’Armée de l’Air stationnées à Friedrichshafen pour la 501e brigade d’engins française et à Stetten pour la 500e brigade. Nous étions donc une approche très bien équipée et donc très sollicitée et en outre nous servions systématiquement de terrain de dégagement (déroutement) éventuel pour les appareils des forces aériennes stratégiques.

                Les nuits étaient longues. Aussi incroyable, je vois que vous en doutez, pendant trois années ma moyenne horaire de présence à l’approche de Colmar fut de 72 heures par semaine… Notre record de mouvements pour un aérodrome militaire avait atteint le chiffre de 319, sachant qu’un espacement de trois minutes entre deux mouvements d’appareils à réaction est indispensable et minimum pour éviter les turbulences, le décrochage à l’atterrissage et la libération complète de la piste pour les décollages, vous pouvez constater que l’on ne pouvait pas faire beaucoup mieux. Notre plate-forme était considérée comme sûre pour le recueil d’appareils de tous types.

           Une odeur de poudre.

                Donc, en ces derniers jours de 1965, l’alerte DA à Colmar était tenu par deux Mirage IIIC de la 2e EC de Dijon, car la 13, qui venait de toucher à partir de mai 1965 ses premiers Mirage IIIE, n’était pas encore qualifiée ”alerte DA” par la 4e ATAF (la disponibilité de ces avions neufs bourrés d’électronique était très faible comme toujours en pareil cas). C’était une fin de matinée si mes souvenirs ne me trahissent pas, soudain nous entendîmes un appel sur la fréquence commune de l’OTAN, la Gold 1 où fréquence de ”garde” un message automatique d’alerte : ” Brass Monkey”. Cette annonce répétée plusieurs fois nous avait préparé à un événement futur, elle prévenait le pilote d’un appareil navigant cap à l’est qu’il avait pénétré dans la zone tampon ou A.D.I.Z. (Air Defense Identification Zone) et que poursuivre selon cette trajectoire pouvait conduire à un incident diplomatique avec les pays du Pacte de Varsovie soit au pire au déclenchement de la troisième guerre mondiale.

                Encore quelques minutes et la sirène retentit dans notre salle d’approche et à la Vigie nous prévenant du déclenchement d’un décollage sur alerte. Le directeur des vols confirme par haut-parleur le ”scramble” de nos deux avions d’alerte.

                Dans toutes ces histoires on ne fait rien pour simplifier la vie du contrôleur, la zone d’alerte est toujours située sur le côté en fin de la piste d’atterrissage préférentiel, soit à Colmar la piste 20 (pour un cap 200). Les avions d’alerte vont devoir décoller en Contre-QFU (le code Q est un code de l’aviation internationale qui signifie sens d’atterrissage, ici dans notre exemple le QFU est 20), mais à condition que le vent contraire ne soit pas supérieur à 10 nœuds, ce qui était très rarement le cas.

                Pour décoller et se diriger en montant selon le cap requis par les ordres d’opérations en toute sécurité il appartient au contrôle (Vigie et approche) de dégager l’espace aérien devant les avions en ”scramble” (décollage sur alerte) et ce n’est jamais une chose simple pour un contrôle toujours surchargé de trafic et avec des pilotes toujours pressés de se poser dans ces cas-là.

                Mais, ça passe toujours pour les ”hots”, pour les ”practice” (décollage sur alerte en exercice) le contrôle a très souvent interdit ces décollages en Contre-QFU, après une passe d’arme avec la direction des vols, car il était le seul à pouvoir juger de la situation instantanée régnant parmi les ”short” pétrole.

                La situation est très intéressante mais que deviennent nos F100. Un peu de patience j’y viens.

                PC maintenu allumée, nos chasseurs rentrent le train, prennent le cap 080 vers l’Est et contactent la console ”montée” du contrôle local, lequel après identification de leur écho radar les autorisent à poursuivre leur ascension vers un niveau de vol (F.L.) plus élevé. En salle d’approche on s’active, le contact téléphonique avec la station radar de défense et de surveillance aérienne allemande de Mestetten, a été réalisé, ce dernier identifie nos chasseurs et le ”hand-over” peut donc s’effectuer, nos Mirage III passent sur la fréquence du contrôleur allemand. C’est fini pour nous, la routine reprend mais le directeur des vols qui a une grande expérience fait en sorte que nos avions en vol regagnent au plus vite la plate-forme. Le temps passe vite et peut être 15 minutes environ après le scramble, le contrôle de Mestetten nous rend la patrouille. Le contact radio est difficile, les deux avions échangent des messages dont la signification nous semble étrange. La patrouille demande priorité pour l’atterrissage, elle encadre deux avions arraisonnés, l’approche est faite directement pour une arrivée à vue, le terrain étant vert (code couleur indiquant la possibilité de se poser à vue après une traversée des nuages). Tout le reste va se passer à vue, je viens de grimper quatre à quatre les quatre étages qui séparent la salle d’approche de la vigie de la tour qui contrôle le roulage au sol, les décollages et les atterrissages et j’aperçois en longue finale nos quatre avions. Les pilotes des Mirages échangent de multiples messages me faisant croire que les avions arraisonnés ne sont pas tout à fait coopératifs. Le premier Mirage est devant le premier ennemi que suis le deuxième, il sort le train pour indiquer l’ordre d’atterrissage, les deux avions ennemis que je vois mieux maintenant, sont métalliques, ils sortent chacun leur train, ils n’ont aucune marque distinctive peinte ni sur le fuselage ni sur la queue, pardon la dérive, ils ressemblent à tout cracher à des avions de construction soviétique, la tension monte. Le second Mirage est derrière, il n’a pas sorti son train, il surveille et menace de ses armes de bord les intrus contre toute manœuvre intempestive. La tour donne les autorisations d’atterrissage doublées par deux fusées de couleur verte… et… en très courte finale, une double détonation confirme le déclenchement des P.C. des inconnus qui rentrent le train accélèrent brutalement virent brusquement à gauche au ras des pâquerettes, c’est à dire en frôlant le toit de la tour pour prendre un cap à l’Est. Par radio nous informons nos chasseurs, surtout le premier qui ne pouvait voir la manœuvre des ennemis. La réponse est claire est sans appel : ”short-pétrole” and full stop (atterrissage).

                Pendant quelques minutes nous nous sommes pris au jeu de la guerre et nous sommes déçu du résultat, c’est un échec de nos chasseurs et une victoire des ennemis qui n’étaient autres que deux F100 de la 11. Des traîtres !!! 

                Régulièrement nous devions contrôler des F100 de la 11. C’était souvent un des premiers vols d’un jeune pilote qui venait se familiariser avec son nouvel avion et avec son terrain de déroutement de prédilection.

        La France quitte l’OTAN.

                Toutes ces relations étaient bien ordonnées mais un événement politique va briser nos habitudes.  Le 21 février 1966, le Président de la République, le général de Gaule fait savoir que La France va se retirer du commandement intégré de l’OTAN. La fin de la subordination des forces françaises à l’OTAN est fixée au 1er juillet 1966, mais le retrait des bases alliées en France s’échelonnera du 1er avril 1966 au 1er avril 1967, ce qui décalera le retour dans l’hexagone des escadrons français en Allemagne.

                La 11e EC était particulièrement concernée et devra quitter Bremgarten. Ce déplacement sera préparé en amont et l’escadron 3/11 Corse nouvellement crée le 1er avril 1966, va faire un mouvement préalable sur Colmar Meyenheim au cours du mois de juin 1966. Ce sont les 17 F100 de cet escadron qui s’installent sur la ”marguerite” sud-est de la base de Colmar Meyenheim. Sur une base aérienne une marguerite est une aire de stationnement pour aéronefs disposée selon le dessin d’une marguerite avec de 15 à 18 pétales chacune pouvant recevoir 2 chasseurs et au centre de cet ensemble il y avait un hangar pour la ”mécanique”. Ces F100 étaient la propriété de l’état français qui les avait achetés à la différence des autres F100 qui étaient prêtés à la France par les États-Unis. Le PC (ici il s’agit du poste de commandement) de l’escadron était installé dans un abri antiatomique enterré à proximité qui était équipé de tous les moyens téléphoniques nécessaires au fonctionnement des ”OPS” ou opérations. Cependant, c’était du camping, car il n’y avait pas d’installation en dur, seules quelques tentes apparaissaient çà et là pour protéger les mécanos, ainsi qu’une grande remorque US qui se dépliait sur les côtés, certes, confortable qui servait essentiellement aux préparations des missions.

                Une remarque sur les caractéristiques des bases types de l’OTAN qui doit être oubliée à ce jour. Sur les 17 nouvelles bases construites pour l’OTAN, l’infrastructure se présentait de la même manière : une piste de 2 400 mètres utiles, un taxiway ou chemin de roulement et 3 marguerites. Ces taxiways de même longueur que la piste mais moins large servaient de piste de secours pour le décollage et l’atterrissage pour un seul chasseur alors que deux réacteurs pouvaient utiliser la piste principale en même temps. La caractéristique commune était la distance strictement la même pour tous les terrains entre la piste et le taxiway afin de pouvoir faire un atterrissage mauvais temps avec le G.C.A. sur ce taxiway. Les approches d’aérodromes avaient un seul radar d’atterrissage le P.A.R qui permettait au contrôleur de guider l’appareil en finale jusqu’à ses minimas. Or ce radar avait été conçu pour permettre le guidage de ces finales sur l’axe de piste mais aussi sur l’axe du taxiway dont les écartements étaient standards.

           Le Closing Pattern.

                Ces radars d’atterrissage ne fonctionnaient que dans le QFU préférentiel. Alors quand le vent était contraire et le terrain classé code couleur ”Vert” (ou atterrissage possible à vue), les appareils étaient amenés en vue du terrain, sous la couche de nuages afin de passer directement ”vent arrière” et de poursuivre en dernier virage pour l’atterrissage dans le QFU en service. Mais si le terrain était couleur ”Jaune”, (atterrissage mauvais temps) nous appliquions une procédure spécifique appelé le ”closing pattern”, non traduit en français certainement un truc de cow-boy. Elle permettait un atterrissage avec 500 pieds de plafond seulement, le guidage radar se faisait jusqu’à 500 pieds en contre-QFU, sur ordre, le pilote ouvrait à droite de 20 degrés en maintenant l’altitude, alors il devait rechercher à vue les points caractéristiques au sol en l’occurrence la station d’essence qui était le point de début du dernier virage. Cela marchait et cela évitait les déroutements mais cette procédure était réservée aux seuls initiés du terrain. L’affectation d’un nouveau radar d’atterrissage le S.P.A.R (Sligth P.A.R) utilisable dans les deux sens d’atterrissage supprima la pratique du ”closing pattern”. Cependant la disparition des P.A.R vieillissant interdit les atterrissage type G.C.A sur le taxiway.     

          Le 3/11 à Colmar

                L’ambiance était chaleureuse, le personnel avait reçu des consignes, il n’était pas chez lui, mais de passage. Cependant les échanges entre pilotes des autres escadrons étaient parfois vifs lorsque tout le monde se retrouvait au briefing météo du matin. Chacun vantait les qualités supérieures de son vecteur, les appareils américains étaient supérieurs en tous points aux avions de construction française, les pilotes du 3/11 pouvaient compter sur l’appui des vieux moniteurs du CEVSV qui n’avaient volé que sur des appareils de conception américaine. En infériorité numérique, le pilote de Mirage ne pouvait faire entendre son point de vue. Je me souviens d’un argument sans appel des pro-américains qui affirmaient que dans le cockpit du F100 le pilote pouvait se permettre de déplier en vol tranquillement sa carte de Nav. Avant de partir faire son vol de navigation en basse altitude à vue, le pilote de Mirage devait avoir préalablement plié sa carte de manière scientifique s’il ne voulait pas se perdre. Sur notre base, on reconnaissait facilement un pilote de F100 d’un pilote de Mirage, le premier avait souvent une combinaison de vol usée, délavée, parfois trouée, et avec un blouson de vol qui tombait en lambeaux, alors que le chasseur de DA portait un équipement beaucoup plus neuf. Mais tout cela s’explique, les renouvellements de tenues de vol mais également ceux des tenues du personnel non-navigant, ne se faisaient qu’au compte-goutte, la priorité était ”tout pour les Fas” et si les chasseurs de la 13 avaient des tenues plus récentes ils le devaient à leur bel avion tout neuf que des personnalités extérieures venaient contempler. Quand on pense que des milliers de tenues et surtout des blousons de vol neufs avaient étaient détruits par le commissariat à Bou-Sfer (base aérienne d’Oran) en Algérie, parce que ce matériel commissariat ne faisait pas partie des priorités pour le rapatriement en métropole. Cela faisait rager tous ceux qui se gelaient sous les frimas de l’Est.

                 Les pilotes du 3/11 étaient inquiets de leur sort, depuis qu’ils avaient quitté l’Allemagne ils n’avaient plus de mission de guerre, l’avenir prouvera que cette inquiétude sera infondée, cet escadron aura un brillant avenir. En attendant les F100 servaient surtout de plastron (cible fictive) pour les autres escadres et se spécialisaient dans la formation de tous les jeunes pilotes affectés à la 11. L’ambiance générale était morose, malgré les encouragements à l’optimisme délivrés par le nouveau commandant d’escadron, le capitaine Roumilhac qui sera plus tard mon commandant de base de 1779 à 1781. Plusieurs anciens de la 11 furent mes commandants de base, je pense ici au colonel Desjobert, commandant d’escadron sur F100 au 2/11 en 1956-1958, et qui commandera Colmar en 1969.   

                Le 3/11 était temporairement stationné à Colmar-Meyenheim, les personnels attendaient impatiemment leur affectation définitive. Tous les matins les cars militaires amenaient les personnels du 3/11 en Alsace, les familles étant restés en Allemagne et tous les soirs après les vols les cars faisaient le chemin inverse. Quelques personnes de l’escadron utilisaient leur véhicule personnel et il y eut des accidents de circulation qui eurent des conséquences néfastes sur le moral général

Le 3/11 à Colmar ; les reconnaissez vous ?
Le 3/11 à Colmar ; les reconnaissez vous            

La corvée de charbon.

                Il s’agit des conséquences du ”Crash aérien dans le ciel de Rixheim”. Cet accident raconté par Frédéric Casarin par un article paru le 28 mai 2016 sur internet dans l’histoire de la 11e EC. Cela se passe en 1966, deux pilotes confirmés de la 11 se heurtent en vol quelques minutes après leur décollage de Brem en direction de la plaine d’Alsace. Ils s’éjectent, tombent à proximité de l’aérodrome de Mulhouse-Habsteim, et sont sain et sauf, les deux avions s’écrasent le premier sur Rixheim et le second sur la gare SNCF de l’île Napoléon. Il n’y a que des dégâts matériels plus conséquent à la gare. Les secours militaires et civils rapidement sur place, rencontrent un problème de sécurité. Les F100 étaient armés et les munitions sont encore actives, le casse-tête concerne l’énorme tas de charbon qui a accueilli les obus des canons des deux appareils. Ces obus ont pénétré profondément dans le charbon devenu dès lors inutilisable. Les dégâts commis aux biens des particuliers comme à ceux des entreprises sont tout de suite pris en compte et seront remboursés par le contentieux. Mais reste un problème de taille, le tas de charbon, il est invendable en l’état, on risque l’explosion d’un obus à la combustion. La SNCF et l’Armée de l’Air vont se mettre d’accord : la base aérienne de Colmar achètera le charbon de la 11, charbon dont elle a besoin pour le fonctionnement de sa chaufferie. 

                Alors, commence la dépollution du tas de charbon, les obus peuvent exploser si on les manipule brusquement, il va falloir faire le travail à la main et être patient. Tous les jours ouvrables, une section de militaires du rang quittent la BA 132 pour la gare de triage de Mulhouse afin d’effectuer cette dépollution qui durera une dizaine d’années !!!  

               Les huîtres d’Arcachon n’aiment pas l’altitude.

                Les fêtes de fin d’année 1966 approchent et ici en Alsace elles sont particulièrement suivies. Sur la base de Colmar comme sur toutes les autres bases de l’Armée de l’Air, chaque unité se doit d’organiser un repas convivial, véritable rite de rassemblement coutumier au sein de l’Armée de l’Air. Il y avait deux très grandes fêtes, celle de la Noël et surtout celle de ”la Saint-Eloi”  à l’origine fête des mécaniciens, cette dernière donna lieu à des exagérations qui conduisit à sa quasi suppression. L’Armée de l’Air eut à combattre une grave épidémie contractée en Indochine, puis en Algérie : l’alcoolisme, qui avait touché toutes les spécialités et tous les grades. Les aviateurs originaires du sud-ouest comme moi étaient nombreux au sein de nos bases aériennes de l’Est, pour eux un repas de fêtes comprend impérativement des huîtres que l’on ne trouvait pas facilement sur les marchés locaux, aussi il fallait aller les chercher à la source. Pour l’officier responsable de la restauration de la base 120 de Cazaux, cette période était riche en achats groupés d’huîtres du Bassin d’Arcachon, il reçoit des commandes venant de toutes les bases aériennes, car tous les pilotes de chasse sont passés par Cazaux ils connaissent le goût particulier de nos huîtres. Cet officier va stocker les bourriches dans les frigos de ses mess et chaque unité navigante va lui donner rendez-vous pour la veille de ses agapes.

                Chaque escadre de chasse disposait d’un MD 312 (Marcel Dassault) Flamand affecté au titre d’appareil de liaison et d’entraînement à partir de 1963 et jusqu’en 1974. La 11 et la 13 chacune de leur côté vont donc utiliser cet appareil pour aller chercher les fameuses huîtres à Cazaux. Cet appareil étant qualifié IFR, la mission ne pouvait qu’être réussie, mais les bouches à nourrir étaient nombreuses sur les bases aériennes et certains avions de chasse étaient capable d’être configuré avec un bidon valise. Il n’y en avait pas pour le Mirage III, mais le CEVSV et le 3/11 avaient des bidons-valises, aussi les opérations de chaque unité avaient programmé un vol avec escale à Cazaux au titre de l’entraînement des équipages. En cette veille de fêtes tous étaient revenus en début d’après-midi seuls les deux F100 du 3/11 sont en retard et la météo se dégrade dans la vallée du Rhin. A l’approche de Colmar nous attendons la patrouille pour passer en quinze minutes, nous sommes le soir de Noël, elle doit nous rejoindre par un vol en COM.V (vol à vue en circulation opérationnelle militaire). Rien ne peut surprendre un contrôleur, la patrouille contacte l’approche, après identification il apparaît que les avions sont au sud-ouest pour une cinquantaine de nautique (90 kilomètres) environ, ils volent à environ 1000 pieds-sol et ils demandent le guidage vers le terrain, la pluie bouchant parfois l’horizon. Le contrôleur veut les faire monter plus haut pour dépasser la hauteur de sécurité au-dessus des obstacles que représentent le massif vosgien, fixée à 6500 pieds (2200 mètres), le chef de patrouille refuse expliquant que les huîtres du bassin d’Arcachon ne supportent pas l’altitude. Alors carte en main le contrôleur de service conseille la meilleure route à prendre pour la navigation basse-altitude de cette patrouille de F100. Les huîtres du 3/11 furent sauvées !!!

                Nos peines.

                Nous devions connaître un drame. Le crash d’un appareil du 3/11 au cours d’un exercice d’un vol plastron au profit des intercepteurs de la 13eEC interrompu pour cause de panne électrique.

                Notre terrain étant temporairement déclaré technique pour panne du radar panoramique, selon la règle de la série des embêtements groupés, cet avion piloté par un des plus expérimenté de l’escadron fut pris en compte par l’approche de Bremgarten afin de brûler son carburant en basse altitude en faisant une série de G.C.A. d’entraînement (ground control approach) ou guidage par radar par un contrôleur pour un atterrissage de précision). Que s’est-il passé, nous ne le savons pas avec certitude, l’appareil a percuté le sol à proximité de la BA 136. J’ai mis ma chemise blanche pour la cérémonie, ce fut une des trop nombreuses cérémonies semblables que j’ai connu en unité. J’en suis marqué pour la vie.

                Moins dramatique furent les quelques incidents concernant des appareils du 3/11 à Colmar, il y eu quelques engagement barrières dus à une vitesse d’atterrissage mal contrôlée, surtout sur piste mouillée, il est vrai que les freins du F100 étaient moins performant que ceux des Mirages après un peu d’aquaplaning. 

                   Départ avorté.     

                              Vint la date du départ du 3/11 annoncée depuis longtemps, reportée et maintenant fixée.

                La 11e EC devait s’installer sur la base aérienne de Toul-Rosière laissé libre par l’U.S.Air Force. La rancœur de ces américains chassés de cette base qu’ils avaient édifiée était grande, ils faisaient pour les peuples libres, partout dans le monde, la guerre aux rouges et ici en Europe, les Français les trahissaient et les abandonnaient en plein combat. L’intelligence n’étant pas répartie dans tous les cerveaux de la même manière, certains responsables américains de Toul voulurent se venger et entreprirent un sabotage en règle. Tous les tuyaux d’eau potable, de chauffage, de gaz, ainsi que tous les fils électriques et téléphoniques furent sciés au ras du sol. Pour rendre difficile la reprise de cette base, les saboteurs coulèrent systématiquement du béton dans tous les trous, chaque installation sanitaire, W C, douches, lavabos furent rendus inutilisable. Pour toutes ces raisons la venue de la 11 fut décalée et certaines installations n’étaient pas encore prêtes en temps utile.   

                La 11e EC avait été commandé par le commandant Capillon de 1966 à 1967, général commandant en second la Fatac 1ere RA, il sera mon chef direct lorsque je serai affecté à la section circulation aérienne de cet État-major en 1980-82. Le général Théodore Mahlberg lui succédera à ce poste, s’il avait été mon commandant de base à Dijon, il avait été préalablement commandant d’escadron du 1/11 en 1961 et chef des OPS de la 11 en 1962.

                 Le nouveau commandant d’escadre, le commandant Ghesquière, avait fixé au 14 septembre 1967 le déploiement sur Toul. Il voulait marquer la vie locale et comme Lafayette avant lui il voulait à son tour pouvoir déclarer ”nous voilà”. La météo n’était pas excellente, Toul était jaune comme tous les terrains de l’Est. C’était un temps assez habituel pour une grande partie de l’année, les américains qui venaient du Texas, de Floride ou de Californie appréhendaient leur affectation en Europe, pour eux la caractéristique aéronautique européenne était le pays du ”poor weather” (temps pourri).

                L’escadre va donc se présenter à l’atterrissage à Toul en deux vagues, la première partira de Bremgarten et la deuxième sera constituée par le 3/11 qui décollera de Colmar avec un décalage de  10 minutes environ. L’approche de Colmar assurera le transfert des appareils vers ”Menthol’‘, indicatif radio de la station de détection et de contrôle de Drachenbronn. Cette première partie s’exécuta conformément au plan, mais environ une demi-heure plus tard, en ordre dispersé tous les appareils du 3/11 demandèrent l’approche et l’atterrissage à Colmar. Nous apprendrons plus tard que la plupart des F100 n’avaient pu ”percer” (approche à travers les nuages) une véritable panique s’étant emparée du contrôle de Toul surchargé.

                Le commandement avait commis une erreur, il s’était montré exagérément optimiste quant au niveau opérationnel des contrôleurs de l’approche de Toul. Ces derniers étaient de nouveaux affectés pour la plupart, ils n’étaient pas suffisamment entraînés aux délicates procédures locales d’approche. La base de Toul était proche de celles de Nancy-Ochey et de Metz-Frescaty, quantité d’avions se partageait cet espace aérien relativement restreint, aussi, devant ce problème de concentration de trafic et de danger d’abordage, l’ U.S. Air Force avait créé une station d’approche commune qui s’appelait ”Moselle Contrôle” et qui avait la responsabilité du départ et des arrivées des trois terrains cités auquel il fallait ajouter celui de Grostenquin des canadiens et celui de Phalsbourg. Toutes ces précautions bien connues des cadres auraient dû alerter les responsables de la Fatac.

                Le départ définitif du 3//11 s’échelonnera le lendemain et les jours suivants. C’est avec beaucoup de nostalgie que nous les avons vus nous quitter, nous étions habitués à la détonation caractéristique de leur P.C. et de la sonorité propre de leur poste radio, ils nous ont manqué. 

                Nous ressentions un grand vide, il ne restera sur la base de Colmar qu’une seule escadre à 2 escadrons de la 13e EC, à 15 avions chacun, car le CEVSV nous avait également quitté pour la base aérienne de Saint-Dizier en juillet 1967 et non pas 1965 comme il est écrit la plupart du temps. Un détachement Hélicoptère du 2/67 prendra sa place en 1971, nous apportant un surplus bienvenu d’activité.

                La 11e EC (et la 3) avait permis à la FAS (Force Aérienne Stratégique) une montée en puissance extrêmement rapide au grand étonnement du monde entier, en retour c’est grâce à la FAS que le 3/11 du capitaine Roumilhac apprit la technique du ravitaillement en vol. Le 3/11 puis la 11 tout entière fut l’escadre de chasse unique chargée de l’intervention en Afrique, mais elle commit le péché d’orgueil, elle ne voulut pas partager. Un jour, tous les navigants et mécaniciens de cet escadre transmirent à l’État-major de la Fatac leurs demandes de permission sur une feuille double 21/29,7 car ils n’avaient pu les prendre l’année passée étant en mission outre-mer. La réponse fut réglementaire négative, assortie d’un avertissement : partagez !!!  Depuis lors, tous les pilotes des autres escadrons de Jaguar purent à leur tour accéder aux missions de guerre, l’adrénaline fut partagée. Je suis fier d’avoir un peu contribué à l’entraînement de tous ces hommes.

       COLONEL B. DUTEIN

Les 6 MYSTERE IV de Séville ( 1/2 )

Mystere IV

       Les 2 prochains articles racontent l’aventure des 6 Mystère IV décollant de Cazaux et à destination de Séville et qui,  suite à un concours de circonstances défavorables, s’est terminée par 6 éjections. Dans la patrouille figuraient 2 pilotes de la 11EC, JJ Brie auteur de ces articles et “Tonton” TURINA  qui à l’occasion inaugurait sa série de 3 éjections racontée dans l’article précédent.

 

27 MAI 1966 : SIX MYSTÈRE IV À SÉVILLE

(Première partie)

           En ce mois de mars 1966, nous voici donc, le premier tiers de la promotion, sur la base aérienne de Cazaux, en OTU, à l’escadron de chasse 2/8 « Nice », équipé de Mystère IV, pour poursuivre notre cycle de formation au difficile mais si beau métier de pilote de chasse.

       Là, pour la première fois, nous volions avec une combinaison « anti-g », pleine de lacets partout, ancêtre de l’actuel pantalon du même nom et qui nous faisait plus ressembler à ces prédécesseurs de Patrick Baudry tirés d’un livre de Jules Verne, qu’à des pilotes de Mirage 2000.

      Cazaux. Bien que lieutenants, nous n’étions encore que des poussins. Une base magnifique au bord d’un lac, une escadre de chasse, un avion d’homme, monoplace, des instructeurs, chefs et sous-chefs de patrouille expérimentés, qu’il n’aurait pas fallu appe­ler «monit » depuis le macaronage à Tours ; nous n’étions plus élèves pilotes, mais pilotes de chasse à l’instruction. La transmission du savoir avait un je ne sais quoi de magique, fait, pour ceux qui le trans­mettaient, de rigueur et de fermeté mais aussi de compréhension et de complicité, et pour nous, d’hu­milité, de confiance et d’obéissance presque aveugle.

      Le matin, tous les avions étaient en ligne impec­cable sur le parking devant l’escadron, et nous allions bavarder avec les mécanos qui s’affairaient à la pré­paration pour le vol : pleins de kérosène et d’oxygène, petits dépannages, et changements de confi­guration (avion lisse ou bidons de 625 litres, paniers roquettes, bombes ou armement des canons ou encore équipement en « biroutier » suivant la mis­sion).

      Et puis, un jour, la nouvelle tombe : l’escadron est désigné pour effectuer un voyage de fin de stage à l’étranger. De telles missions étaient parfois déclen­chées afin d’accoutumer les pilotes aux procédures internationales de navigation. C’est ainsi que des patrouilles simples (4 avions) s’étaient déjà rendues en Espagne et en Italie. Le fait que la promo soit exceptionnelle n’était probablement pas étranger au fait que, pour la première fois, il avait été décidé de porter l’effectif de ce huitième voyage à six avions. Objectif : Séville, à l’occasion des célèbres fêtes saintes de Pentecôte (la « Romeria » d’El Rocio).

       Inutile de décrire l’exaltation et la fébrilité qui régnaient dans la salle d’opérations de l’escadron quand, de sa blanche main innocente, le sergent-chef marqueur martiniquais tira au sort, dans un calot bien entendu, les noms des trois stagiaires privilé­giés (Tonton, Jean-Joseph et Pépé), puis celui d’un remplaçant (Pierrot) qui devait rejoindre Séville par avion de transport avec l’échelon technique.

  

       Inutile de décrire l’exaltation et la fébrilité qui régnaient dans la salle d’opérations de l’escadron quand, de sa blanche main innocente, le sergent-chef marqueur martiniquais tira au sort, dans un calot bien entendu, les noms des trois stagiaires privilé­giés (Tonton, Jean-Joseph et Pépé), puis celui d’un remplaçant (Pierrot) qui devait rejoindre Séville par avion de transport avec l’échelon technique.   

         Difficile de décrire les nombreuses pressions et les propositions plus ou moins honnêtes dont les heu­reux désignés furent l’objet pour céder leur place. Pierrot, le remplaçant, n’était pas le seul à s’enquérir tous les matins sur l’état de notre santé ; en bons chasseurs, il nous a fallu d’ailleurs mettre en appli­cation l’un des principaux préceptes du métier : la surveillance de nos arrières.

6 pilotes et Taureau
Les 6 pilotes de Mystere IV

   

    Pendant plusieurs jours, le chef de la future patrouille, le capitaine Paul, commandant de l’une des deux escadrilles, aidé de ses deux autres leaders, le capitaine Olivier et le sergent-chef Michel, collec­tent les divers documents et autorisations nécessaires et préparent la mission.

      La veille du départ, le jeudi 26 mai, nous traçons l’itinéraire sur la carte de radionavigation au 1/2.000.000 et sur la carte au 1/1.000.000 de l’Es­pagne qui nous avait été distribuée (édition 1952, la seule disponible à l’escadre). Puis, je vais passer la soirée chez mes parents, en région bordelaise, où j’en profite pour récupérer le magnifique costume que j’ai fait confectionner chez le tailleur du village (il ne faut pas plaisanter avec l’image de marque de l’Armée de l’air à l’étranger, ni avec celle de pilotes de chasse français face aux petites Sévillanes). Ce brave tailleur, qui n’avait pas eu le temps de préparer la facture de son œuvre me dit qu’il n’est pas inquiet : je paierai à mon retour…

      Le 27 mai au matin, dernier regard scrutateur des copains,… et surtout de Pierrot. La santé et le moral sont de fer. Nous peaufinons la préparation de la mis­sion. Avant d’aller déjeuner, nous amenons nos petites valises au bureau de piste pour que les mécanos les installent dans le compartiment ad hoc derrière la ver­rière. Repas au premier service. Au mess, un collègue me rembourse une belle somme d’argent que je lui avais prêtée quelques semaines auparavant. Voilà qui fera mon affaire pour acheter en Espagne la belle veste en daim dont je rêve depuis longtemps. De retour à l’es­cadron, je fais récupérer ma valise qui contient mon portefeuille. Autant mettre les billets à l’abri et leur éviter la sueur de la combinaison de vol.

     Il est 12 h 30. La patrouille des « Riquet noir » est réunie en salle d’opérations pour le briefing.

      Appel : « Leader, capitaine Paul, n°2 lieutenant Ton­ton, n°3 et deputy-leader, capitaine Olivier, n°4 lieu­tenant Jean-Joseph, n°5 sergent-chef Michel, n°6 lieutenant Pépé ». Nous étudions la mission en détail. Les tâches et les responsabilités sont définies. Nous aurons un temps de curée sur le trajet et à l’arrivée. La patrouille adoptera la formation défensive rap­prochée pour garder la cohésion dans les voies aériennes. Le leader est ferme. Pas de complaisance. Les équipiers seront fidèles à la devise affichée en salle d’opérations, à côté des panneaux de sécurité des vols : « L’équipier tient sa place ou crève ». Ils se tiendront en formation intégrée sur leurs leaders, à 50 mètres, surveilleront le ciel et suivront la naviga­tion. Des questions leur seront posées en vol. Les fréquences des balises de radionavigation qui maté­rialisent la voie aérienne, ainsi que celle du terrain de Séville San Pablo (au cas où une percée au radiocompas serait nécessaire), sont évoquées une der­nière fois ; nous connaissons déjà par cœur les fré­quences et les indicatifs en morse. Nous n’ignorons pas que les seules aides à la navigation sur le Mystère IV sont le radiocompas, le crayon gras et le cal­culateur (pour paraphraser certaines affirmations bien établies). Les balises qui jalonnent l’itinéraire tracé sur nos cartes sont répertoriées à côté des fréquences radio, principales et secondaires des différents organismes de contrôle, sur le bloc note qui sera fixé sur la cuisse gauche.

        Les procédures de secours et les modalités d’un éventuel déroutement sont rappelées en détail. Le pétrole restant au début de la descente, donné par le computer, sera d’environ 1000 kg, soit 150 kg de plus que la sécurité « terrain jaune » en vigueur : le pied ! Je me dis que l’arrivée au break en patrouille à six devrait décoiffer. La percée radiocompas est révisée. Il est 13 h 35. Nous allons aux avions. Celui qui aura des problèmes à la mise en route restera au parking.

        Je dépose ma petite valise au pied de l’avion et, après avoir fait le tour de vérification, je m’installe. J’attends que le mécano monte à l’échelle pour m’aider à me brêler, car, avec la Mae West en plus, il faut avoir fait un stage de contorsionniste pour réussir à enfiler seul le parachute. Je n’aperçois pas mon homme ; il doit être affairé au compartiment valise. Mes collègues à droite et à gauche sont déjà prêts et les réacteurs commencent à tourner. Cela signifie que le check radio a été fait sans moi et que la mise en route a été ordonnée. Paniquant à l’idée de rester à Cazaux pour avoir été trop lent, j’essaie, toujours en vain, d’enfiler le parachute, les sangles ne voulant pas remonter jusqu’aux épaules. Je parviens enfin à le boucler tant bien que mal (ce serait bien le diable que nous ayons à l’utiliser) et à me brêler. Au moment où les autres avions commencent à rouler, les différents indicateurs du tableau de bord m’indi­quent que le groupe électrogène est branché sur mon avion ; j’aperçois enfin mon mécano, auquel je fais signe d’une rotation de l’index particulièrement rapide qui traduit une nervosité non dissimulée que je vais mettre en route. Une impulsion sur le démarreur. La turbine tourne. Les pressions se stabilisent. Le poste de radio est enfin chaud ; le mécano finit le tour de l’avion, monte à l’échelle pour ôter les sécurités de verrière et de siège. Les cales ne sont pas encore enlevées lorsque j’annonce, comme si je renaissais à la vie, « Riquet Noir 4 sur la fréquence – prêt à rouler ». Le leader me demande de les rattraper et de reprendre ma place au point de manœuvre : Ouf ! Je serai du voyage, mais il s’en est fallu de peu !

       Nous décollons individuellement à 10 secondes. Il est 13 h 45 ; dans 1 h 15 environ, nous serons sur le sol de Séville.

      Stable au niveau 290 (le 310 nous ayant été refusé), rivé dans les 50 mètres de mon leader que je main­tiens légèrement au-dessus de l’horizon, je me livre, malgré l’étroitesse de l’habitacle, à une gymnastique savante pour essayer de remonter les sangles du para­chute vers les épaules. Après tout, on ne sait jamais. Je parviens enfin tant bien que mal à les glisser sous le col du gilet de sauvetage. Il fait beau. Les contacts radio avec les organismes de contrôle sont clairs. La procédure anglaise passe bien. Les timings sont respectés. Les balises sont musclées et faciles à prendre, et je regarde avec une satisfaction bien légitime l’aiguille du radiocompas basculer franchement à leur verticale. A chaque check radio après changement de fré­quence, il manque bien toujours quelqu’un, pro­blème bien connu avec les postes UHF de l’époque (je m’expliquerai plus en détail dans la suite de ce récit) :

     – allez chercher le 6 sur la fréquence précédente,

     – 5, reçu,

et un moment après :

      – Riquet noir 6, de 5, check radio,

      – numéro 6, 5 sur 5,

      – leader, numéros 5 et 6 sur la fréquence.

  De temps en temps, comme prévu au briefing, le leader teste notre attention :

        – Noir 2, quelle est la rivière à neuf heures ?

        – 6, le nom de la ville à midi ?

     Après un coup d’œil rapide sur les cartes dépliées sur nos genoux, nos réponses ne se font pas attendre. Aussi, comprendra-t-on la vague d’orgueil qui m’envahit aux diverses occasions où je fus concerné, telles par exemple :

     – Noir 4, quel est le nom de la rivière que l’on vient de franchira

     – l’Henares, ou bien

     – Noir 4, quel est le terrain à trois heures bas ?

     – Madrid Barajas !

     Après tout, ce n’est pas si difficile que cela de navi­guer en CAG à l’étranger. Un peu moins d’une heure après le décollage, nous arrivons à la verticale de la dernière balise de notre trajet dans la voie aérienne, Hinojosa. Dans un quart d’heure si tout va bien, nous serons posés. Les aiguilles basculent et nous prenons le cap sur Séville San Pablo. Nous préparons sur nos radiocompas la balise du terrain. Il nous reste 1000 kg, un peu moins que ce qu’avait donné le calculateur, mais compte tenu de la marge qui avait été prévue, il n’y a pas de raison particulière de s’inquiéter.

      Devant, nous apercevons une importante couche nuageuse ; elle n’avait pas été prévue au programme. Si nous restons à cette altitude, nous y avons droit. Mais jusqu’où descend-elle ?

    Le leader demande l’autorisation de descendre au niveau 230. Madrid contrôle nous donne son accord et nous fait passer sur Séville contrôle. La fréquence est très encombrée. Plusieurs personnes parlent en même temps, tant en anglais qu’en espagnol. II nous faut attendre assez longtemps pour pouvoir enfin faire le check radio au sein de la patrouille. Bien sûr, comme à tout changement de fréquence, il manque quelqu’un à l’appel et il faut aller le rechercher sur la fréquence précédente.

      La balise de San Pablo (260 kHz) est difficile à accrocher. Elle n’a pas la puissance de celles que nous venons d’utiliser. Je ne parviens pas à recevoir l’indi­catif et mon aiguille a plus tendance à s’orienter vers l’ouest que droit devant comme cela devrait être le cas. L’histoire nous dira plus tard qu’elle avait des problèmes de fonctionnement et qu’une balise de fréquence proche (262 kHz), installée au Portugal, avait plus de vitalité. Le leader semble également avoir des difficultés pour la sélectionner. Il demande si quelqu’un a un gisement ; les réponses divergent. Profitant d’un créneau de silence, il cherche à établir le contact avec Séville. Mais les autres communica­tions radio interfèrent et couvrent la sienne.

     Pendant ce temps-là, nous avançons, et la visibilité diminue.

     Nous repassons sur Madrid contrôle pour deman­der une autre fréquence. Course habituelle après les équipiers… mais je n’en parlerai plus car ce sera à chaque fois la même chose. Madrid ne répond plus, et nous revenons sur Séville contrôle. Le scénario n’a pas changé.

    Nous sommes pratiquement dans les nuages. Le leader nous a demandé de resserrer la formation. Je pose ma carte et je viens « sucer le saumon » du numéro 3, à droite. Tonton est en patrouille à gauche et le 5 et le 6 sont sur moi. Profitant d’un créneau, le leader annonce qu’il est en descente vers le niveau 230. Pas de réponse de l’organisme de contrôle. La visibilité horizontale est nulle, et nous ne voyons qu’épisodiquement le sol. Nous continuons à cher­cher à établir le contact avec Séville ; le n° 3 et le n°5 essaient à leur tour. La couche étant plus épaisse que prévue, nous demandons à poursuivre la descente vers le niveau 170. Un moment après, Séville répond enfin « Stand-by », puis, « remontez au niveau 230 ». Le dialogue de sourd s’installe ; nous sommes coupés sans cesse. Le leader tente d’expliquer que nous sommes six avions en formation serrée et qu’il pré­fère garder la vue du sol. Il lui faut répéter plusieurs fois. Dans l’enchevêtrement des voix, nous compre­nons que Séville accorde le niveau 170 en VMC et nous demande de contacter la tour de contrôle de Séville (l’histoire nous dira que le contrôle avait com­pris que, dès lors que nous passions en vol à vue en espace inférieur, nous clôturions de facto notre plan de vol).

   Nous sommes toujours en patrouille serrée. Je fixe mon attention sur le n° 3, trop préoccupé de ne pas le perdre de vue et d’éviter de « pomper » pour me faire « remonter les bretelles » par le n° 5. Je n’ose pas imaginer ce qui se passerait si, en plus des difficultés auxquelles nous commençons à être confrontés, j’étais amené à annoncer : « Leader, perdu de vue ! », et à me retrouver tout seul en plein ciel de gloire ! Nous ne parvenons pas à établir le contact sur Séville tour. Le même enfer continue. Impossible d’en placer une. Une voix ininterrompue égrène des informations météorologiques. Pas moyen de com­muniquer. En double fond, nous entendons la tour qui nous appelle, mais elle semble ne pas nous rece­voir. Bref, c’est laborieux. Mais je me sens serein. J’ai déjà une petite habitude des aléas de la radio. Ça nous arrive souvent d’avoir des problèmes de contact avec le sol sur certaines fréquences et il faut en essayer d’autres. Je ne m’en fais pas trop ; j’ai un chef; il sait ce qu’il fait et il doit avoir plus d’un tour dans son sac. Je lui fais confiance. Et puis, il y a deux autres leaders ! Je n’aurai par la suite aucune notion du temps passé ni de notre position dans l’espace. Je suis préoccupé par la tenue de ma place, et je n’ai pas encore l’ai­sance nécessaire pour, à la fois, mettre la tête dans la cabine, surveiller le chronomètre, l’horizon artificiel ou les caps, et mémoriser.

    Si je relate avec un peu plus de précisions nos dif­férentes évolutions, c’est grâce à la restitution que nous avons pu en faire plus tard. Nous faisons environ dix minutes au cap 215 sur Séville, puis nous ouvrons à droite vers un lac qui ne figure pas sur la carte. L’histoire nous dira que le leader pense avoir passé le travers est de Séville. Ne voulant pas pénétrer dans la zone sans contact radio, il nous fait faire demi-tour par la gauche jusqu’au cap 010. Nous sommes à 14 000 pieds. Je saurai plus tard qu’il essayait de garder le contact visuel avec le sol, mais, compte tenu de la visibilité oblique médiocre, il ne trouvait pas de repères caractéristiques. Quant à nous tous, nous sommes bien en patrouille serrée sans visibilité ; et dans ces cas-là, il y a autre chose à faire qu’à chercher à regarder en bas.

     Nous quittons la tour et repassons sur Séville contrôle qui nous donne pendant environ une minute sans interruption des Fréquences sur lesquelles nous pouvons contacter la tour de Séville, puis nous ignore malgré nos appels.

    Il reste 730 kg. Dans mon for intérieur, je me dis que la sécurité carburant étant de 850 kg par terrain « jaune », s’il ne fait pas beau en bas, il serait grand temps que quelqu’un nous prenne en charge pour nous amener rapidement en finale ; et je réalise que nous n’avons plus les 800 kg nécessaires au déroute­ment sur Madrid. Une certitude : il faudra bien se poser à Séville. Un sentiment étrange m’envahit alors. Espérons qu’il fait beau en bas, et que le terrain est au pire en condition « vert ». Dans ce cas, la sécu­rité carburant pour percer et se poser est de 650 kg ; nous n’y sommes pas encore.

    On sent comme un flottement dans l’air. Le leader nous demande si nous avons un gisement sur San Pablo et Moron. Les commandes du radiocompas se trouvant sur la banquette droite, je me livre à l’exer­cice délicat qui consiste à piloter de la main gauche afin de pouvoir sélectionner les indicatifs sur les deux postes avec la main droite, regarder les tambours de fréquences sombres et mal placés, tourner les mani­velles et trouver des indicatifs morses qui se che­vauchent les uns les autres, sans réussir à trouver le bon, puis sélectionner la fonction « compas » et affi­ner la position des manivelles pour trouver un gise­ment qui se stabilise. Puis recommencer l’opération car il est rare d’accrocher une balise à la première tentative et généralement rien d’exploitable ne s’en­tend. Pendant ce temps-là, il faut continuer à tenir la patrouille serrée avec la main gauche, avec la sou­plesse que cet exercice de style comporte, sans attar­der le regard à l’intérieur car un écart est vite fait. Et bien sûr, la manette des gaz étant momentanément abandonnée, on a tendance à doubler ou à prendre du retrait. Toute cette gesticulation prend, on le comprendra, du temps et de l’énergie.

Personne n’obtient de renseignement exploitable. J’avais bien quelque chose de stable vers l’ouest (je pense maintenant que je devais être accroché sur la balise du Portugal), mais je ne parviens pas à perce­voir l’indicatif.

     Nous avons repris le cap initial (210) par la gauche et nous essayons de contacter le radar américain de Moron. La gesticulation des fréquences continue. On se souviendra qu’elle est aussi sportive que celle du radiocompas. Le poste UHF est sur la banquette gauche et les quatre lucarnes d’affichage des fré­quences ne sont pas très lisibles. A chaque change­ment, il faut abandonner la manette des gaz pour afficher avec la main gauche un à un les quatre chiffres du canal. Chaque manipulation est entre­coupée d’un regard à l’extérieur et d’une reprise de la manette des gaz. C’est bien le diable si dans l’inter­valle, on n’a pas « encastré » ou pris du retrait, ce qui engendre une manœuvre un peu brusque qui se répercute, amplifiée, sur ceux qui tiennent la patrouille sur vous. Et parfois, soit le poste ne posi­tionne pas sur la fréquence sélectionnée (c’est un sif­flement interminable dans les oreilles, et il faut recommencer l’opération), soit on s’est trompé d’un chiffre et on n’est pas sur la bonne fréquence. En désespoir de cause, il faut revenir sur la fréquence précédente où l’on ne tarde pas à venir vous chercher. On imagine les poussées d’adrénaline que toutes ces opérations génèrent chez l’opérateur et les pertur­bations qu’elles peuvent provoquer chez celui qui conduit la patrouille.

Moron est également saturé. Pas moyen d’obtenir un contact, pas plus qu’un gisement significatif sur la balise de San Pablo. L’histoire nous dira que le leader a un gisement 50° arrière droite (confirmé par le n°3) qui le conforte dans son sentiment d’être au sud-est de Séville. Nous prenons le cap 330.

    Check pétrole : 600 kg, et nous n’avons toujours pas commencé notre percée. II ne reste plus qu’à espérer que nous allons trouver le terrain dans un trou si nous voulons avoir les 500 kg réglementaires (normes « terrain bleu ») au break. Et pourvu que personne n’éclate un pneu à l’atterrissage car la remise des gaz va être chère ! Nous repassons sur Séville contrôle. La fréquence est encombrée par un autre avion et nous ne parve­nons pas plus à capter l’attention du contrôleur qu’à faire taire son interlocuteur. Le sentiment est que personne ne nous entend.

Le leader nous fait prendre le cap 270 pour annu­ler ce qu’il estime être son gisement sur San Pablo et demande confirmation à ses chefs de patrouilles. Le n° 3 a 20° d’écart et le n° 5 a l’indicatif, mais pas de gisement. Il nous dit alors :

   – Eh bien, nous sommes dans de beaux draps !

   Jusqu’à ce moment, nous étions tous persuadés qu’il connaissait sa position et savait ce qu’il faisait. Le sentiment étrange qui s’était emparé de moi peu de temps auparavant se précise ; il fait place à une brusque angoisse. C’est maintenant que je mesure l’ampleur du problème. Nous sommes perdus, et nous sommes dans une impasse. Il reste certes de quoi voler encore un peu, mais si quelqu’un arrive à nous guider vers notre terrain, nous risquons fort d’éteindre avant d’y arriver, soit sur le trajet si nous sommes loin, soit en finale radar si le terrain est « jaune » ; et en plus, il faudra dissocier les avions, donc rallonger la procédure ! Je me vois mal faire un GCA individuel réel en langue hidalgo-anglaise dans le ciel sévillan ! Plus que jamais, je me cramponne à mon leader. II ne nous reste plus qu’à tenir notre place, à attendre que ça sèche (façon de parler) et à observer le jaugeur, qui descend inexorablement. Les leaders parlent entre eux et essaient de s’entraider. Le n° 5, qui avait pressenti quelque chose, avait depuis quelque temps déjà passé son IFF sur Emergency. Le leader admet s’être trompé et pense être à l’ouest de Séville. Mais où ?

    Nous essayons de contacter Moron mais la fré­quence est saturée. Séville parle en même temps et on sent que la panique a gagné le sol. Il reste 400 kg Nous passons sur Guard (fréquence de détresse), et nous branchons nos IFF sur Emergency. On sent que l’ambiance devient tendue au sein de la patrouille. Les six IFF sur Emergency, ça va bien réveiller un contrôleur tout de même ! Et puis, sur cette sacro-sainte fréquence de détresse, ça devrait décoiffer !

    Le leader annonce : « Emergency fuel », et dit que nous sommes perdus et que nous désirons une prise en compte rapide vers Séville ou Moron. Mais hélas, les liaisons sont toujours aussi mauvaises. J’ai l’im­pression d’entendre le poste de radio de ma grand-mère, celui avec l’œil vert, sur ondes courtes, avec la fréquence qui fluctue et qui chevauche les voisines. Nous recevons Moron par intermittence, faible, puis fort, puis disparaissant sur fond de Séville contrôle qui interfère et s’affole. Chacun à notre tour, nous essayons de passer un message, ponctué de May-Day, qui en espagnol, qui en français. J’essaie même en italien ! Le leader tente, en vain, de faire taire Séville. Plusieurs voix s’entremêlent. Nous discer­nons difficilement l’identité de ceux qui nous par­lent. On continue de nous passer les renseignements météo et des fréquences de contact. Dans ce brouhaha et cette ambiance de stress étouffé mais croissant, je me conforte dans la certi­tude que cette affaire va mal se terminer. Les statis­tiques d’éjection sur Mystère IV me reviennent en mémoire : sur trente-trois, onze seulement avaient réussi. N’écoutant que mon égoïsme et mon instinct de conservation, je me dis qu’avec un peu de chance, je serai bien parmi les deux heureux élus !

    Mais même si ça marche bien, où vais-je tomber ? Et si je me casse à l’arrivée, alors que personne ne sait où nous sommes ?

    Mille choses se bousculent dans ma tête. Les sou­venirs défilent. Les sentiments d’impuissance et d’in­justice se renforcent. Ce n’est pas vrai ! Ce n’est tout de même pas à moi que ça va arriver ! Nous continuons à annoncer notre détresse et à demander assistance. En bas, c’est toujours la même pagaille. Et dire que j’avais toujours cru que Guard était le saint Bernard des gens en perdition ! Le silence devait y être de rigueur et l’on devait y trouver en permanence et immédiatement l’ange sauveur prêt à vous aider ! Les consignes étaient claires et connues de tous : à n’utiliser qu’en cas d’absolue nécessité !

     À un moment, un message enfin en clair parvient à passer. Ce n’est plus l’anglais approximatif des pro­cédures internationales mais une voix américaine qui annonce :

    – Riquet Noir, contact. Take heading 1.9.0 (prenez le cap 190).

     Le leader accuse réception et demande confirma­tion du contact. Le renseignement n’est plus confirmé, et nous n’entendrons plus cette voix. L’idée m’effleure qu’en bas, on commence à craindre de recevoir quelque chose sur la tête et qu’on cherche à nous envoyer au-dessus de la mer. Nous prenons le cap vers le sud. Il reste 350 kg. Plusieurs organismes sont en réel contact avec nous et parlent simultanément sur la fréquence malgré l’ordre que leur donne le leader de se taire (on saura plus tard qu’il y avait Moron, Séville contrôle, approche et tour, chacun ne sachant pas bien sûr au sol que l’autre émettait en même temps). Mais les conversations sont inexploitables à cause du niveau et du débit.

    Le leader reprend le cap ouest pensant trouver la côte à l’ouest de Séville. Quatre minutes plus tard, il aperçoit une rivière importante au cap 210 qu’il pense être le Guadalquivir. Il signale sa position approxi­mative au-dessus du fleuve que nous suivons un moment au cap 210 (logiquement, le Guadalquivir doit nous mener à Séville). Durant ce trajet, il demande cap et distance sur n’importe quel terrain et annonce : « Emergency Fuel, autonomie 5 minutes ». Il nous reste 150 kg.

    Depuis un moment, nous sommes descendus au niveau 100. La visibilité oblique est toujours médiocre mais on voit le sol à la verticale. La patrouille s’est un peu relâchée, les numéros 3 et 5 ayant repris leur carte et essayant d’apporter leur aide. Quant à nous, nous continuons à rester en patrouille serrée afin de ne pas gêner les manœuvres de nos leaders, un œil rivé – on nous le pardonnera – sur le jaugeur.

    Voyant, après quelques minutes, que la rivière fait un crochet au sud et apercevant la mer, le n° 3 annonce qu’il est repéré et que nous sommes à che­val sur la Guadaiana, qui fait frontière entre l’Es­pagne et le Portugal (nous sommes alors à 150 km environ à l’ouest de Séville), et qu’il faut prendre le cap 90. Il part immédiatement à gauche et je le suis. Pendant quelques instants, je vois les autres avions amorcer leur virage derrière nous.

    Dernier check pétrole : il nous reste 50 kg, soit un peu moins de deux minutes de vol. Ma voix semble être mal passée à la radio ; tous ont compris qu’il me restait 150 kg, soit cinq minutes de vol. Stable au cap, une minute plus tard je vois l’avion de mon lea­der ralentir. Afin d’éviter de toucher à la manette des gaz, je commence à faire une barrique pour prendre du retrait, comme on nous l’avait appris en école.

    Le n° 3 annonce :

–      3, j’ai éteint. Noir 4, continuez à ce cap. Séville droit devant à sept minutes.

     Je le vois partir en virage à gauche en descendant, puis je le perds de vue. Le leader demande la confir­mation de l’extinction et ordonne l’éjection. Le n° 3 ne répond pas. Il a débranché son cordon radio. Je ne vois plus les autres. Je demande au leader s’il a visuel sur moi, il répond :

     –  Négatif.

      Je réalise alors que je suis tout seul dans le ciel espa­gnol. Me voilà bien. Je suis tétanisé. Mes yeux deviennent des lasers. Je scrute droit devant, mais la visibilité oblique est toujours mauvaise. Pas de repères, pas de villages, des collines partout ; c’est plutôt désert. Et si je ne trouve pas le terrain ?

      Mais je n’ai pas le temps de réfléchir plus long­temps. J’entends mon réacteur dévisser, le klaxon de panne retentit dans mes oreilles et tout s’allume dans la cabine. J’annonce mon extinction au leader, qui me rappelle les consignes d’abandon de bord et m’or­donne de m’éjecter. Pensant qu’il pouvait rester un petit quelque chose dans les réservoirs largables, je les branche à nouveau, et j’essaie le rallumage en vol ; sans résultat. Brusquement, c’est le grand silence, et l’euphorie me gagne. Fini le stress ; je me sens envahi par une sensation de bien-être indescriptible. L’avion vole, je m’y sens bien et, je n’ai plus envie de sauter. Je déconnecte cependant le cordon radio, car envie ou pas, il va bien falloir que je m’éjecte ! A droite, la mer ; la visibilité dans ce secteur est meilleure. J’aperçois alors une piste, parallèle à la côte. Je me mets en virage vers elle en vol plané en conservant 250 nœuds. En m’approchant, je réalise avec le reflet du soleil qu’il s’agit d’un canal. Pas de chance ! Très près, la plage semble sécurisante. Mais je n’y tente­rai pas un « acontucou » (Atterrissage configuration turbine coupée). Je me souviens des conseils des anciens et des consignes à Cazaux : la plage tue. Formellement interdit.

      Je suis à 7000 pieds. L’éjection est inéluctable. Je règle l’avion en palier, face à la mer. Je redresse la tête et je ramène les jambes en arrière. Coudes ren­trés, je lève les deux bras pour saisir le rideau au-des­sus de ma tête. Je tire d’un coup sec vers l’avant. Panique ; rien ne se passe ! (il faut une seconde pour que la verrière parte ; je n’ai pas réalisé qu’une seconde, parfois, c’est très long). Au moment où je baisse la tête pour regarder sous le rideau, une grosse explosion, un appel d’air, la cabine est envahie par une fumée bleutée, et un gigantesque coup de pied dans les fesses me catapulte vers le haut, me faisant peser 20 fois mon poids sur le siège. Mon avion devient de plus en plus petit, comme au cinéma. Vite ! Me séparer du siège pour autoriser l’ouverture du parachute. Bien que la séquence soit automatique, il vaut mieux aider les événements ! Ça tourne dans tous les sens, puis c’est la chute. Tout va très vite. Une grande force me tire dans les épaules ; le parachute doit être ouvert. Je vois passer mon siège, mais je n’y vois que d’un œil. Je suis borgne ! J’essaie de lever la tête pour observer la cou­pole. Je ne peux pas. Et pour cause ; les suspentes sont torsadées et je me mets à pivoter très vite sur moi-même. Enfin stabilisé, je m’aperçois que mon casque avait tourné et m’occulte la visibilité d’un côté. Je le remets en place et je vois à nouveau nor­malement ; je dégrafe mon masque qui commence à m’étouffer. Un regard vers la coupole. Elle est magni­fique. Je suis vivant ! L’hystérie me gagne alors et je me mets à hurler et à chanter. Puis l’euphorie cède à la place à une profonde déprime.

      Et les autres. Ont-ils pu rejoindre un terrain ? Et s’ils ont sauté, ont-ils eu de la chance ? Et si je me casse en bas, qui va me retrouver ?

      Je fais un rapide tour d’horizon. Aucune habita­tion, si ce n’est une petite maison blanche, assez éloi­gnée. Je note qu’il faudra que je marche vers l’est pour l’atteindre. En proie à ces réflexions peu opti­mistes, je réalise que le vent me pousse vers la côte. La déprime cède la place à la panique. Je ne veux pas tomber en mer ! Personne ne sait où nous sommes et je ne tiens pas à finir ma vie sur un canot de sauve­tage ! Je me mets à tractionner comme un fou sur les élévateurs afin d’annuler mon déplacement. Je tire tellement fort que je parviens à attraper les suspentes et à atteindre le bord d’attaque de la voile du para­chute, que je garde fermement à hauteur de mon visage Un parachutiste d’essais dira plus tard qu’il n’est pas possible pour un homme normalement constitué de tractionner jusqu’à la voile, et quand bien même cela arriverait, le parachute se mettrait en torche. Je me félicite de constater que les parachu­tistes n’ont jamais eu peur.

   Le sol se rapproche très vite, et lorsque j’ai acquis la certitude que même un mistral à décorner tous les taureaux de Camargue ne me ferait plus dériver vers la mer, je relâche. Des collines, ma petite maison blanche au loin, et au-dessous, très près, un champ, avec quelques arbres et des vaches noires. Mon regard est alors attiré par un poteau de ligne à haute tension, puis un deuxième. Je ne vois pas les câbles. Je lève les bras pour tractionner afin de m’en écarter, mais ceux-ci tétanisés, par l’effort précédent ne par­viennent pas à dépasser l’horizontale

     Ma trajectoire converge vers un arbre et une vache. Je suis incapable de prendre la bonne traction pour l’atterrissage. Le sol arrive très vite ; je tombe sur les fesses à deux pas d’un bovin ébahi ; le choc, bien qu’amorti par le paquetage de survie que j’avais oublié de dégrafer en passant 1500 pieds, est violent pour mon fondement. Je me relève. Rien de cassé ! Je suis vivant ! C’est à nouveau l’hystérie. Je chante, je crie, je salue les rumi­nants en ponctuant mes marques de respect d’un tonitruant Ole ! Revenu très vite à la réalité, je pose mon casque et je commence à étaler la voile du para­chute afin qu’on puisse me repérer ; si tant est qu’il y ait des recherches.

      Il est 15 h 40. Le vol a duré 1 heure et 50 minutes portant à 69 heures mon expérience sur Mystère IV et à 300 heures celle de pilote. Sur mon carnet de vol, à la date du 27 mai 1966, dans la colonne « atterris­sage » n’apparaît pas le chiffre 1. Il est tout simple­ment écrit : « Ole ». Au cours des 35 dernières minutes, l’avion a consommé la précieuse réserve qu’il aurait dû avoir au parking. Et moi j’ai fait de l’huile !

     Mais ce n’est pas fini !

Au bout du parachute

       Pendant que je suis affairé à étaler la voile, j’en­tends souffler à côté de moi. Relevant la tête, je vois le bovidé, revenu de sa surprise, gratter le sol. Il ne me faut pas une heure pour réaliser, à l’analyse de sa morphologie, qu’il ne s’agit pas d’une vache mais d’un taureau. Les autres compères commencent à s’approcher et à charger. Je prends les jambes à mon cou et, est-ce l’effet produit par mon gilet de sauve­tage orange « fluo », ça suit derrière, et vite ! Pas loin de là, je trouve un fossé assez profond sans eau. Peu m’importe, je plonge, et Dieu merci, mes aficionados restent alignés sur la berge et m’observent, avec, il ne faut pas craindre de le dire, des yeux vides de sym­pathie.

     Je ne me suis pas chronométré, mais je suis sûr que j’ai battu mon propre record sur 100 mètres départ arrêté, enregistré au concours d’entrée à l’Ecole de l’air. Mais inutile d’en parler aux parachutistes d’es­sais ; ils auraient évidemment un doute.

     Je décide de laisser sur place casque, paquetage et parachute, et de partir à la recherche de la maison que j’avais repérée. Je marche un bon moment et de colline en colline ; je gamberge dur. Est-ce que je ne rêve pas ?… Et les autres ?… L’impact de cette mésa­venture Et le compte rendu de perte en sept exemplaires : « J’ai l’honneur de vous rendre compte de la perte de mon Mystère IV, de mon chronomètre et de mon couteau de survie ! ». Cela ressemble à un gag. Enfin, on verra bien.

    Bientôt, j’aperçois au loin une maison blanche. Enfin de la vie ? Déception, ce n’est qu’une grange, avec de la paille pas très fraîche. Il doit y avoir quelques lunes qu’elle n’a pas été habitée. Je continue mon parcours évasion lorsque, d’un point haut, j’aperçois au loin une autre maison. C’est une hacienda, avec des fleurs et des barreaux aux fenêtres. Mais les volets sont fermés et il n’y a pas âme qui vive. Un chemin ; je décide de le suivre ; il doit bien mener quelque part, vers la civilisation ?

     Mon espoir est de courte durée. Après une marche plutôt longue, je ne peux plus avancer. Le chemin s’enfonce dans un radier plein d’eau. Preuve qu’il ne doit pas être utilisé si souvent. C’est alors que j’entends des voix. De l’autre côté, deux hommes à cheval rassemblent des troupeaux de taureaux. On imaginera aisément leur surprise lorsque je les appelle, puis leur stupéfaction à la vue du martien, tout de vert vêtu, avec son pantalon anti-g et sa Mae West « fluo » ! Ne parlant pas un mot d’es­pagnol, je m’époumone en utilisant toutes les langues que je connais, pour me rapprocher de celle de Cer­vantes :

     – lo, piloto frances – Avion boum-boum. Mi andare a Sevilla! Por favor!

     C’est la panique dans les rangs. Mes cavaliers éperonnent leurs montures et disparaissent. Puis, le plus jeune revient, traverse le radier me prend en croupe et me fait chevaucher derrière lui. Il me parle, je ne com­prends rien, et je réponds : « Si Si Gracias ! ». Je me cramponne à lui ; la bête est avantageuse et chaque mouvement de roulis me fait craindre le pire. Nous « roulons » ainsi jusqu’à une route. Mon hôte me dépose et me dit en me montrant l’ouest, puis l’est :

        – Por aqui Huelva, 30 kilometros, y por aquiSevilla 70 kilométros.

     A l’entrée du chemin, une pancarte indique le nom de la propriété : « Al Dolmen », qui, m’apprendra-t­on plus tard, est très réputée pour ses élevages de taureaux. Une voiture arrive. C’est une 4L. À ma vue, le chauffeur ne me donne pas l’impression de vouloir s’arrêter. Je lui barre la route. Toujours dans mon meilleur espéranto, j’essaie de lui faire comprendre qui je suis, ce qui m’est arrivé et que j’ai hâte d’aller à Séville, pour donner de mes nouvelles et avoir celle des autres. Comme il ne semble pas comprendre, il répond « Si, Si », et nous roulons, à 30 km/h. Et chaque fois que je lui dis :

      – Pronto, pronto, io soy muy pressado,

il répond (décidément ce n’est pas mon jour…) :

      – Si, en rodaje.

     J’élargis ainsi l’éventail de mon savoir en devinant que la voiture était en rodage.

     En traversant une agglomération, je demande à mon Fangio de m’arrêter pour téléphoner à l’aéro­port de Séville. Il me facilite la tâche en m’introduisant chez l’habitant. Mais impossible d’avoir la com­munication. Je suis pressé. J’abandonne. Deux heures plus tard, j’arrive enfin. Il doit être aux alentours de 19 h 30. L’équipage du MD312 est là avec l’échelon technique. La surprise, une demi-joie et toutes les interrogations du monde se lisent sur leurs visages.

    Pierrot me tombe dans les bras en sanglotant et me dit qu’il a fumé un paquet de cigarettes depuis son arrivée. Après l’heure prévue de notre atterrissage, le commandant de bord, inquiet, avait cherché à savoir ce que nous étions devenus. Il avait su par Séville que nous avions eu des problèmes, avait appelé Madrid et Cazaux pour savoir si nous nous étions déroutés ou si nous avions fait demi-tour. Puis les autorités sur place lui avaient appris que nous avions annoncé notre détresse et certainement épuisé notre autono­mie. Nous devions être quelque part, mais où ?

    Par la suite, mon leader (le n° 3) avait donné de ses nouvelles depuis Huelva. II était sain et sauf. Il a raconté que nous nous sommes retrouvés à bout de carburant. Il a éteint en premier. Il a repéré la ville, s’en est rapproché en se laissant planer et, à basse alti­tude, lorsqu’il a acquis la certitude que son avion ne présentait plus de risques pour les populations, il a sauté et a atterri dans un champ de cacahuètes. Il ne savait pas ce qui était arrivé aux autres. II a été recueilli par les habitants et amené chez le consul général où on lui a servi une bonne omelette et un cigare. Depuis, nos camarades, à l’aéroport, étaient sans nouvelles du reste de la patrouille. Aussi, me saute-t-on dessus, avec, on l’imagine, un flot de questions, mais sans me rassurer.

(Suite au prochain numéro)

ET QUE ÇA SAUTE, PREMIÈRE !

Mystère IV de l'EC 2/8

             Denis TURINA fait partie du club (très) fermé des pilotes qui se sont éjectés 3 fois ; les éjections N°2 et N°3 ont déjà été publiées précédemment et il ne restait plus qu’à raconter la première qui est restée dans l’histoire puisque Denis était dans la patrouille des 6 Mystère IV qui ont décollé de Cazaux pour Séville… et qui ne sont jamais arrivés. L’affaire avait fait grand bruit à l’époque. 

ET QUE ÇA SAUTE, PREMIÈRE !

        Il y a bientôt 50 ans, 6 Mystère IV de la 8e Escadre décollaient de la base de Cazaux pour aller à Séville ; ils ne s’y sont jamais posés et cela se termina par 6 éjections.

Les 6 pilotes de Séville
Les 6 pilotes de Séville

Escadron de chasse 2/8 “Nice” – Séville 27 mai 1966.

         Après avoir été “bœufs” puis “pilotes” de l’Ecole de Chasse à Tours, notre promotion, forte d’une quinzaine d’individus se retrouve à la 8e Escadre de chasse, à Cazaux. Là, nous sommes les “sbires”, et nous chevauchons des Mystères IV équipés de réacteurs “Verdon”, plus puissants que les Tay montés sur les Mystères IV de Tours. Nous étudions la manœuvre, le combat, le tir, et nous passons le mur du son en vol horizontal… Nous apprenons le tir air-air, au canon, et les joies de la noria à quatre avions sur un remorqueur (biroutier) T33 ou Mystère IV, qui traîne une cible de type panneau à 200 kts (360 km/h), vers 25.000 pieds (7.500 m), au-dessus de la mer. Nous apprenons le tir air-sol, au canon ou à la roquette, le bombardement en vol rasant ou en piqué à 60°, qui s’effectuent sur le champ de tir du Trencat, aujourd’hui désaffecté. Les vols sont denses et l’attente des résultats des tirs ajoute au suspense. Les cabines de nos avions sentent la poudre et nous avons l’impression de devenir des guerriers, prêts à défendre le pays contre l’envahisseur. Le programme d’instruction prévoit aussi des navigations à longue distance sous contrôle civil et la possibilité de rallier des aérodromes étrangers.

         Nous sommes au mois de mai, les fêtes de la Pentecôte arrivent. Les chefs prévoient, pour ce grand week-end et dans le cadre des vols à longue distance, un vol à six avions, Trois cadres et trois “sbires”. Après moult discussions entre nos chefs et l’État-major, il est décidé que nous irons à Séville, en Espagne, et que les noms de quatre “sbires” seront tirés au sort. Le quatrième “sbire” est prévu pour remplacer un pilote défaillant au départ. Un bimoteur Dassault 312 est du voyage. Il assure le soutien technique de la patrouille. Le quatrième “sbire” est son copilote, il assurera quand même le vol retour d’un des Mystère IV. Pour le tirage au sort, devant la méfiance des intéressés, l’unanimité se fait en faveur de la main “blanche et innocente” du secrétaire/rédacteur/gardien du cahier d’ordres de vol de l’escadron, un Sgc antillais !

J’ai la chance de faire partie des élus, HEUREUX.

        La préparation de la partie aérienne du périple est d’abord et surtout l’affaire des “leaders”. Notre rôle est de tenir notre place sans causer de problème, en vol et au sol. Je prépare ma valise, annonce la bonne nouvelle à ma famille et à mes amis et participe au mieux à la préparation de ce voyage extraordinaire et inespéré. Je suis N° 2 de la patrouille des Riquet noir. Je dois tenir ma place en formation sur le leader et, surtout, ne pas gêner la manœuvre des quatre autres avions de la patrouille. Décollage, rassemblement, montée, contact avec les organismes civils de contrôle aérien français puis espagnols. Tout va bien. Nous survolons des terres inconnues pour nous et nous nous réjouissons de retrouver nos mécaniciens et l’équipage du Dassault 312, certainement déjà arrivés à Séville et prêts à nous y accueillir. Tout baigne dans l’huile, même si nous distinguons, à l’horizon, quelques nuages non prévus au départ. Au passage à la verticale de la balise d’Hinojosa la visibilité diminue, les nuages se font plus proches. Le leader nous ordonne de resserrer la formation et demande au contrôle l’autorisation de descendre un peu, pour que les six avions puissent rester en zone de bonne visibilité. Puis nous contactons Séville contrôle. La communication n’est pas facile. Plusieurs avions sont déjà sur la fréquence et coupent les messages radio. Le cirque commence.

        Cette situation me plait. Pour une fois, ce sont les chefs qui sont dans la mouise…

        Nous faisons preuve de patience car nous disposons de 30 min de réserve de pétrole, ce qui est énorme pour des avions de chasse ! Il n’est donc pas question de commencer à descendre sans autorisation, ni de prendre le moindre risque de croiser la trajectoire d’un avion de ligne.

– « Comment vont-ils s’en sortir ?  Il faut que je suive ça de près, je sens que je vais apprendre des choses ».

      Les nuages d’orage se rapprochent, la visibilité horizontale diminue. Les échanges radio avec la base américaine de Moron, qui nous sert de dégagement et dont les radars pourraient nous aider sont soit brouillés par d’autres transmissions, soit hachés ou inaudibles. La proximité des orages rend nos radiocompas inutilisables. Nous essayons de nous repérer sur le sol. La visibilité oblique est très faible et nous distinguons des lacs réservoirs et des canaux d’irrigation qui ne figurent pas sur nos cartes, trop anciennes. Nous n’identifions aucun repère utilisable avec certitude et je commence à penser que nous sommes perdus. Vingt minutes plus tard, la situation ne s’est pas améliorée et la quantité de carburant qui reste dans les réservoirs de nos avions diminue dangereusement. Sans trop y croire, je resserre mon harnais. Je note la direction du vent et jette un regard inquiet sur les nuages qui s’épaississent à l’Ouest. Pas fier du tout, je me rapproche de mon leader et m’accroche à son aile. Non. Comme un petit garçon, je me raccroche à sa main.

Enfin nous y sommes.

         Notre position est sûre, mais nous arrivons pratiquement à la frontière portugaise et la lampe BAS NIVEAU CARBURANT (10 min de vol restant) est allumée dans les cabines. La piste d’atterrissage la plus proche reste Séville. Tout le monde cap à l’Est, en régime économique. Le leader et moi sommes devant, les autres avions sont derrière nous. Je ne vois donc plus que mon leader et je m’efforce de tenir ma place. L’ambiance n’est pas à la fête… Curieusement, depuis quelques minutes, après que nous ayons placé nos IFF sur EMERGENCY la radio est devenue pratiquement silencieuse. Nous sommes entre nous et le dernier check pétrole donne entre 2 et 5 min de vol restant pour les avions de la patrouille. Nous nous sommes rapprochés de la mer. La campagne que nous survolons à une altitude d’environ 8.000 pieds (2.400 m), sous la couche nuageuse, est pratiquement désertique et semble marécageuse. Nous distinguons la côte, qui n’est pas très loin. Nous savons où nous sommes et nous savons aussi que tous nos avions n’atteindront pas Séville. Si les jaugeurs sont bons, le leader et moi avons une bonne minute de carburant de plus que les autres équipiers.

Le leader donne les consignes :

        – « Si vous éteignez, dirigez-vous vers une zone inhabitée et éjectez-vous. Ne tentez pas d’atterrissage forcé en campagne. »

          Égoïstement, je pense que je ne serai pas le premier à éteindre et que j’arriverai peut-être à Séville. Je commence à “gamberger”. Au cours d’une éjection qui venait d’avoir lieu à Salon sur Mystère IV, le pilote avait été retrouvé noyé dans un trou d’eau. Son siège était emmailloté dans le parachute. Vraie ou fausse, la rumeur voulait qu’il y ait à peu près un tué ou un blessé grave pour trois pilotes éjectés. Je me souviens avoir alors pensé que, statistiquement, deux d’entre nous ne dîneraient pas avec le reste de la patrouille ce soir-là. Les sièges éjectables de l’époque ont sauvé beaucoup de vies, mais ils n’avaient pas les performances de ceux que nous connaissons aujourd’hui. C’est alors que le numéro 4 annonce l’extinction de son réacteur. Le leader lui ordonne de sauter et doit répéter son ordre plusieurs fois. Le malheureux est persuadé que nous arriverons tous à bon port, sans lui.

      Puis, après l’extinction de leur réacteur, le N°6, le N°3 et le N°5 sautent à leur tour.

Le leader et moi sommes seuls maintenant.

        Nous n’avons pas vu sauter nos camarades, qui sont derrière nous et nous ne savons pas ce qu’ils sont devenus. J’écarquille les yeux pour essayer de voir Séville qui se trouve à une ou deux minutes devant nous. Je commence à espérer et à envisager de faire un atterrissage réacteur éteint sur la piste.

Je “gamberge sévère” » :

– « Et si je coupe la route à un avion de ligne ? »

– « Et si je loupe mon coup et que je bloque l’aérodrome pour plusieurs heures ? Etc… ».

        Je regarde le sol et ne vois aucune zone habitée à proximité. Je me concentre mentalement sur les événements à venir. Les instructeurs et ceux qui ont déjà sauté nous ont dit que le temps parait long entre l’action sur le rideau qui commande l’éjection et le départ du siège et qu’il ne faut pas bouger, sous peine d’avoir la colonne vertébrale brisée par les 18 à 20 g du départ vers le haut. Il me faudra aussi me séparer du siège, car il n’y a pas encore de séparation automatique. Un dernier coup d’œil, en forme d’au revoir à la cabine, je place l’avion en léger cabré et règle le compensateur. Vers 250 Kt (450 kmh), je lâche le manche et tire à deux mains le rideau qui commande l’éjection. Je commence à compter, comme on me l’avait appris chez les paras. Une explosion, le bruit du vent. Les cartouches d’éjection de la verrière ont bien fonctionné. Je serre très fort les fesses dans l’attente du coup de pied qui doit me sortir de là.

– « Un, deux, trois, quatre ». Rien !

– « Je suis sûr que, même si j’ai compté un peu vite, le siège aurait dû partir. Que faire ? »

Pour la première fois je ressens, tout au fond de moi, que je tiens ma vie entre mes mains et que je ne peux compter que sur moi. Les décisions que je vais prendre dans les secondes qui arrivent sont vitales.

– « Ne panique pas, réfléchis. L’avion vole et le sol est encore loin. Tu as une bonne expérience de parachutiste, tu dois t’en tirer. Tu ne peux pas être du mauvais côté des statistiques ». Puisque je dispose d’un peu de temps, et pensant que je n’ai peut-être pas tiré assez fort la première fois, je décide de refaire un essai avec le rideau. Sans bouger je commence, dans ma tête, à préparer la suite.

– « Ok, je vais tirer le rideau une deuxième fois. Mais dans quelle position est l’avion ?

      Pour le savoir, je dois regarder dehors et il faut que je lâche le rideau. Oui mais, sans verrière, le rideau risque d’être entraîné par le vent relatif. Soit il déclenche le départ du siège, soit je ne pourrai plus l’atteindre. Dans les deux cas, ce n’est pas bon. Alors ? ». Finalement, je décide de garder fermement le rideau dans ma main gauche et de l’écarter pour voir un peu d’horizon. Tout s’est bien déroulé. Avec ma main droite et sous le contrôle de mon œil droit, j’ai remis l’avion en léger cabré puis, à deux mains, j’ai tiré, très fort, sur le rideau. Un grand choc, un grand bruit, une douleur aigue dans la colonne, c’est parti pour ressentir quelques émotions nouvelles. J’ai bien repoussé le siège, bien senti le coup de frein du parachute qui s’ouvre et apprécié à sa juste valeur le calme et le repos qui suivent ces moments d’excitation particulièrement denses. Je pousse un OUF de soulagement mais je ressens une douleur assez vive au niveau des lombaires. La séparation siège/pilote s’est bien passée et j’ai entendu, à travers mon casque, le bruit du vent fait par le siège qui tombait. Je l’ai vu passer vraiment très près avant de disparaître, plus bas. Le parachute s’est ouvert vers 7.000 pieds (2.100 m) et la zone d’atterrissage est plane et semi désertique.

       Premier souci : « Où est l’avion ?». En cherchant bien, je le vois qui descend suivant une trajectoire assez perturbée. Il n’y a pas de village à proximité, je suis rassuré. Coup d’œil en haut, le parachute est bien ouvert. Cour d’œil autour, je vois l’avion de mon leader qui s’en va. Je pense que l'”ancien” ne doit pas être à la fête. Coup d’œil en bas, je vois, assez loin, deux petits groupes de maisons. Je cherche à revoir “mon” avion. J’en vois un que je pense être le mien et je le suis des yeux jusqu’au crash. Pas de bruit, pas de flammes, pas de fumée. J’ai l’impression qu’il est tombé à plat sur un sol marécageux. Je cherche l’avion de mon leader et je vois, assez loin, un….parachute. Coup d’œil en bas, ça descend dans la bonne direction. Je décide de ne pas larguer le paquetage pour que, avec le dinghy toujours plié, il reste facile à transporter car je ne suis pas encore arrivé à destination. Je garde sur moi le harnais avion qui, sur ce type de siège, restait pendu au cou du pilote après la séparation.

Et, JE ME REPOSE.

– « Quel M… ».

– « Et les autres, pourvu qu’ils soient en bon état, pourvu qu’il n’y ait pas de morts et pas trop de dégâts au sol. Il y a assez de problèmes comme ça… ».

      La suite de mes pensées tourne autour de l’évènement “Séville” : les médias, l’information des familles (avec le bruit que ça va faire, les miens vont savoir que je suis vivant et en bon état), le debriefing (j’imagine les flûtes à 18 trous sortant des tiroirs des bureaux, dans les États-majors). Je ne suis pas trop inquiet car, pour moi, pilote stagiaire ou “sbire” à Cazaux, si l’aventure est assez extraordinaire, la phase parachute est tout à fait classique.

      Des villageois me regardent descendre et je les entends parler. Je me dis qu’il est trop tard pour apprendre l’espagnol et j’espère qu’ils n’ont ni fourche ni intention agressive. Il faut savoir que, peu de temps avant, un B 52 porteur d’une arme nucléaire s’était écrasé dans la région, à Palomarès. L’atterrissage a lieu dans un champ au bord de la route. Les villageois m’accueillent gentiment sans trop comprendre car, apparemment, ils n’ont ni vu ni entendu les avions. Nous rejoignons, à pieds, le village où l’on m’offre de l’eau et une salade de tomates avec des oignons. La conversation et la communication sont réduites car je ne parle pas un mot d’espagnol. J’essaye de leur expliquer qu’il faut prévenir la garde civile et l’aéroport de Séville pour qu’ils organisent les secours et je demande d’où je pourrais téléphoner. On me fait comprendre qu’il n’y a pas de téléphone sur place mais qu’on va s’arranger. On me questionne. J’essaie d’expliquer qu’il n’y a pas de risque, que les avions se sont écrasés sans carburant et sans munitions. (Syndrome Palomarès ?). Un cavalier arrive et on me fait comprendre qu’il peut m’emmener à un téléphone. A ce moment, un des interlocuteurs qui me fait face ouvre de grands yeux. La conversation s’accélère et le ton monte d’un cran. Je me retourne et vois une colonne de fumée noire qui monte. J’explique que c’est certainement de l’huile qui vient de s’enflammer dans une épave car il n’y a plus de carburant dans les avions. Je pense qu’il s’agit de l’avion du leader et demande au cavalier s’il peut m’y emmener, pour le cas où le pilote serait blessé. Après quelques minutes de discussion entre espagnols, le cavalier me fait signe de monter « en place arrière » sur son cheval. Je confie à un villageois le parachute, le paquetage de survie et le harnais de l’avion. Nous voilà partis, au cap, en direction de la fumée qui n’est plus maintenant qu’un mince filet. J’ai toujours mal à la colonne vertébrale et, après une petite demi-heure passée à monter et à descendre du cheval pour franchir les clôtures, je déclare forfait car la fumée ne semble guère se rapprocher. Je demande à mon « cocher » de me ramener au village par la route.  Sur le chemin du retour nous croisons un garde civil en scooter. Je change de monture et nous retournons au village. Discussion entre espagnols puis, avec mon parachute, mon paquetage et mon harnais, d’abord en scooter puis en Land Rover, nous rejoignons le commissariat local où je retrouve notre leader. Il est en bon état physique, mais « un peu » abattu. C’est ma faute, dit-il. C’est ma faute, dit-il. Il a été récupéré assez vite et est content de me découvrir en bon état. Il attend des informations sur la situation des autres membres de la patrouille et sur les possibles dégâts au sol. Ce sont nos seuls vrais soucis. Les informations que nous recevons ne sont pas fiables, c’est le moins que l’on puisse dire. Nous ne parlons pas beaucoup, mais nous sommes contents d’être ensemble. La hiérarchie n’a pas totalement disparu et c’est normal, mais je crois que nous nous sentons solidaires, vraiment solidaires, partageant le même souci quant au sort des autres pilotes de la patrouille. L’autre préoccupation est l’information des familles. Deux des leaders sont “chargés” de famille. Quant à moi, je n’ai plus mes parents et le reste de ma famille n’écoute pas trop la radio. De ce côté-là, je ne suis pas trop inquiet.

      Vers 18 h, un hélicoptère américain de sauvetage arrive et nous transporte à l’aérodrome de Séville. Nous ne nous sommes finalement retrouvés, tous les six en bon état, que vers 23 h. Plus tard à Cazaux, j’ai récupéré ma valise et son contenu, à peu près en bon état. Ils avaient été retrouvés dans l’avion. J’ai aussi gardé, en souvenir, la boucle du harnais du siège éjectable et la poignée du parachute. Je les ai toujours…

       Le reste : le débriefing, l’enquête, les sanctions, c’est une autre histoire. Je garde en mémoire l’attitude d’un jeune capitaine qui a revendiqué et assumé l’entière responsabilité de l’accident. Un vrai chef. Mis à part quelques rares réflexions glissées en face ou à la cantonade, faciles et souvent peu argumentées, nous, les équipiers, n’avons jamais eu à pâtir de cette aventure. J’avoue que cette expérience arrivée en début de carrière m’a quand même beaucoup marqué. Je m’en suis souvenu plusieurs fois en vol, dans des situations critiques.

                                                                                                                      Denis TURINA

      Pour ce qui me concerne, si ce qui s’est passé en vol, dans la patrouille, me semble à peu près clair, il reste beaucoup de zones d’ombres dans la partie enquête et debriefing. Nous étions en CAG / IFR et je n’ai pas le souvenir qu’il y ait eu une enquête de l’aviation civile internationale (OACI). Je crois aussi me rappeler que le Conseil Permanent de la Sécurité Aérienne (le CPSA) a été créé à la suite des sanctions qui ont été prises pour cet accident…

NDLR : lire ce qui s’est réellement passé et comment l’affaire fut traitée à l’époque.  https://www.pilote-chasse-11ec.com/affaire-des-6-mystere-iv-de-seville-mai-1966-un-accident-aerien-mediatique/

A suivre avec le récit d’un autre pilote de la patrouille….

La vie quotidienne sur TRAB (2/4)

TRAB, route vers la tour

         

             LA VIE QUOTIDIENNE SUR TRAB PENDANT LA PÉRIODE AMÉRICAINE  (2/4)

 

      Les deux bâtiments à deux étages  de TRAB (actuels LC O et LC 1 EP- Escadron de Protection ) sont semblables à ceux des hommes de troupe, exception faite qu’ils sont composés de chambres à un et deux lits, pouvant comporter un bureau et une salle de bains commune séparant deux logements.

TRAB ; chambre officier
TRAB ; chambre officier

 

       En face du Mess officiers, “le Commissary” : magasin de vente de victuailles, dépendant de I’AFEX, situé à l’emplacement de notre armurerie. On y trouve déjà des produits surgelés et des viandes sous vitrines réfrigérées.

Coutume typiquement américaine : vivre à crédit ! Le jour de la paye (qui a lieu tous les débuts de mois), la solde aussitôt touchée, on se rue vers les magasins d’où chacun ressort avec des “caddies” débordant de victuailles destinées à nourrir toute la famille. En sortant, plus un dollar ! Pour les célibataires : ruée vers le jeu, le poker surtout, où l’on peut très bien, en une seule soirée, perdre toute sa solde… Pour quelques-uns : la bonne vieille “cuite” afin d’oublier…! et, ensuite, i/ ne reste plus qu’à retourner à la banque pour solliciter un crédit..

Nous voici arrivés au point central de la Base, intersection des quatre voies principales. Devant nous se continue la “New-York Avenue” jusqu’à la descente à la Chapelle qui prend le nom de “Chapel

Drive” (allée de la Chapelle). La New-York Street et le Seventh Street (T avenue) se croisent à angle droit.

A droite et à gauche, la “7th Street” longe les deux Mess actuels.

Passons le point central et continuons tout droit dans la New-York Avenue. Sur la droite, nous passons devant le Cinéma “Shylark Theater” : lieu où l’on se détend.

Le cinéma et l'ancien emplacement de la boutique d'alcool
Le cinéma et l’ancien emplacement de la boutique d’alcool

 

Il fut construit en 1954, et existe toujours. On peut y assister à la projection des -meilleurs films US. Trois séances durant le week-end, ticket à 25 cents, avec grosse consommation de pop-corn et de milk-shakes (crème glacée au lait et mixée). On y fait aussi du théâtre.

Derrière le Cinéma, une boutique de vente d’alcools et de vins, aujourd’hui démolie, à l’emplacement du parking du Mess sous-officiers, appelé “Class VI”. De l’autre côté de la route, la Banque (14), bâtiment disparu. C’est un bureau de l’Américan Express, qui permet toutes les opérations possibles : emprunts, encaissements de chèques, envoi de télégrammes, communications téléphoniques à longue distance et un bureau de la Bourse de New-York.

A côté de la Banque, un bâtiment appelé “Toy Land” (secteur variété) qui subsiste toujours et qui sert au SRH (Service de Restauration et Hôtellerie), est utilisé par un personnel féminin retouchant les vêtements. Il y a aussi un photographe, un cordonnier, etc…

A coté de la banque, la "Toy Land"
A coté de la banque, la “Toy Land”

 

Derrière la Banque, une grande surface américaine, appelée “Base-Exchange” , cerveau de I’AFEX, avec son PX : supermarché traditionnel, accessible à tous. On peut y acheter des produits en provenance directe des Etats-Unis. Il est particulièrement bien approvisionné, on y vend de tout (sauf de la nourriture qui est le propre de “Commissary”). Plus de 10 000 articles y sont proposés et les Américains des bases environnantes viennent s’y ravitailler. Les prix sont plus bas qu’aux Etats-Unis. Outre des articles courants, quincaillerie par exemple, on y trouve des articles de luxe : bijouterie, maroquinerie, parfums, meubles… Il est également possible de s’y faire coiffer. On y trouve des tailleurs travaillant sur mesure. Ce grand magasin occupe notre actuel “INFRA” (Service d’Infrastructure). La “Base Exchange” est particulièrement bien située au centre de la zone-vie de la Base et elle a comme annexe le bâtiment de notre actuelle bibliothèque.

Le "fameux BX" de TRAB
Le “fameux BX” de TRAB

 

Dans le prolongement de ce supermarché, les deux bâtiments actuels T2 (INFRA) et LC 9 (hébergement sous-officiers), ainsi que les trois bâtiments d’en face T8, T9 et TIO (occupés actuellement par les appelés du contingent), sont réservés également aux “Airmen”. Le BCC (Bâtiment Cadres Célibataires) n’existait pas ; il a été construit en 1972 – 1973. La route qui sépare ces différents blocs s’appelle le “Squadron Lane” (allée de l’escadron), route qui mène à la Chapelle.

Nous poursuivons tout droit dans la New-York avenue jusqu’à son extrémité et empruntons l’allée de la Chapelle (Chapel Drive). A notre gauche, le gymnase : même emplacement.

Le gymnase
Le gymnase

 

Sa construction a commencé en 1957 pour s’achever fin de la même année. Il existait primitivement un très grand gymnase construit en bois, à l’emplacement du parc d’entraînement des chiens. Il était flambant neuf et a été complètement détruit par un incendie.

Parlons un peu sport. Ici, les sports suscitent un grand enthousiasme, et de nombreuses compétitions ont lieu entre escadrons. Dans le gymnase, on pratique tous les arts martiaux : judo, aïkido, karaté, escrime et boxe, basket-ball, handball et volley-ball : squash en simple et double. Bien sûr, des terrains sont aménagés pour les autres sports : football, base ball, rugby et tennis.

Les “Toul Tigers” (les tigres de Toul) étaient particulièrement appréciés. Ils se sont fait remarquer en 1956 et 1957 en remportant le championnat de France, décrochant la victoire sur toutes les équipes militaires U.S stationnées en France. En 1958, ils ont été classés premiers au championnat de tennis, de bowling et de “track” (randonnées – recherches)

Le bowling
Le bowling

 

     –  en avion : recherche d’un ennemi

     –  sur terre : recherche à la boussole.

Une équipe de football composée d’employés français travaillant sur la base (Les diables Noirs) dispute aussi les matches avec les équipes américaines. A signaler qu’un sauna existait dans la partie gauche au fond du gymnase, démoli en 1989.

TRAB a toujours été une base réputée pour ses nombreuses attractions et distractions son bowling moderne a six pistes, situé dans un bâtiment faisant face à l’actuelle ETIS (Equipe Technique d’instruction Spécialisée) (aujourd’hui démoli) avec compétitions personnelles et par couples attire beaucoup de monde.

    – de même ses boutiques à jeux, ses courts de tennis, ses terrains de base-ball, de ball-trap, de football et son golf.

Les emplacements de ball-trap sont situés, l’un route du 1/11, l’autre près de I’ETIS. Le golf à 9 trous tracé entre la serpentine et l’entrée de la route de Toul, le long de la RN 411, derrière le 1/11. Les courts de tennis sont répartis à différents endroits de la Base (près de I’ERT – 1/11 – 3/11). Il en est de même pour le base-ball, sport favori des Américains. Il y a même eu un projet de course de voitures (karting) pour lequel un plan a été établi, le situant face à la grande boucle qui mène au 1/11, opposée à la route de Rosières. Mais ce projet n’a pu être réalisé. Pour faire du kart, les adeptes de ce sport se rendent en Allemagne à Hahn, ou font partie des équipes régionales. Il y a derrière la Chapelle des terrains de tennis, de football et de base-ball.

Par contre, pour faire du kart, il fallait aller à Hahn en Allemagne
Par contre, pour faire du kart, il fallait aller à Hahn en Allemagne

 

Le “Service Club” (Officiers Club – NCO Club – Airmen’s Club) est particulièrement dynamique. Il comporte en effet de nombreuses activités récréatives : billards, ping-pong, échecs, jeux de cartes, spectacles de variétés, bals etc… En plus, sur Nancy, l’American Red Cross (Centre de la Croix Rouge) ouvert tous les jours, propose un programme de distractions.

Le “Rec Center” qui est à la disposition des militaires et de leurs familles, organise des excursions, des soirées dansantes, des spectacles variés et des réceptions officielles pour les activités franco-américaines.

Les clubs sont très nombreux et très variés.
Les clubs sont très nombreux et très variés. 

 

     – Le club franco-américain de la Base est particulièrement actif. Exemple : le 12 mars et le 3 décembre 1960, il a mis sur pied un grand bal au profit des victimes du désastre de Fréjus. Chaque année, il organise un thé dansant pour venir en aide aux orphelins de l’orphelinat Colombé de Pontà-Mousson, ou du Petit Arbois de Nancy. On y tire les rois chaque année.

Deux clubs de tir avec leurs stands : un pour les jeunes et un pour adultes “Tir Club”. Les jeunes “Junior Rifle Club” (25 % de filles) disposent d’un bâtiment en face de I’ERT actuel.

– Le club de chasse et de pêche (Rod and Gun). Avec l’argent des cotisations des adhérents, les Américains louent des étangs et des forêts dans les environs. Pour les Américains, une battue au sanglier est une découverte. Chez eux, on chasse pour le trophée ; chez nous, ils ont appris à battre la campagne et la forêt pour le plaisir.

      –  Un club musical, les “Country Saints” qui se produisent en faveur des enfants déshérités de la région.

       –   Un club de photographes “Camera Club” où membre américains et employés français et leurs familles sont invités à se joindre aux amateurs et professionnels de la photo. Une réunion hebdomadaire avec projection de diapos et présentation de photos permet des discussions sur des problèmes pratiques. Des sorties ensemble sont organisées avec concours des meilleurs clichés.

Tout ceci contribue à créer ou à maintenir d’excellentes relations.

     –   Un club des amis de la bibliothèque “The Friends of the Library”

      –   Un club de danseurs les “Danseurs Indiens” se produit aux journées franco-américaines.

      –   Un club caritatif s’occupe spécialement de la visite des malades, de la célébration de messes, de l’aide aux familles victimes d’accidents sur la Base ou au travail.

      –   Une troupe de Boys Scouts et de Girls Scouts accueille volontiers sur Base les Scouts et Guides de Toul et de Pont-à-Mousson, et manœuvrent ensemble à l’occasion des feux de la St-Jean.

Sans compter tous les clubs sportifs.

A suivre

La 50 -ème Escadre US

Insigne de la 50 ème escadre

        Dans les numéros de “Reflets” que m’a fait parvenir le général Ratié, j’ai découvert que le père Derule aumonier pendant 17 ans sur la BA 136 s’était intéressé à la période au cours de laquelle les Américains ont occupé la base qui s’appelait TRAB. D’autres articles à suivre….

Une escadre de chasse a particulièrement marqué la base de Toul-Rosières durant les années 1956-1958. C’est la 50ème, « l’Escadre des champions », ainsi surnommée parce qu’elle fut l’une des plus courageuses de la Deuxième Guerre mondiale.

Créée au début de la guerre, elle est, dans un premier temps, groupe de « poursuite » transformé en groupe « de chasse », puis « de bombardement ». De OMAHA BEACH aux objectifs stratégiques de la vallée du Rhin, la 50ème est intervenue pour supporter les troupes au sol par des bombardements importants ou mitraillages contre les voies de chemin de fer ou les routes de l’ennemi.

A la fin des hostilités, rentrée aux Etats-Unis, elle est dissoute le 7 décembre 1945. Pour son offensive aérienne en Normandie, dans le Nord de la France et en Centre Europe, elle a reçu de nombreuses décorations, incluant la « Distinguished Unit Citation » pour son action valeureuse en Allemagne du 13 au 20 mars 1945 et le 25 avril 1945, autorisant ses personnels à porter la fourragère correspondante.

Le 1 er janvier 1953, la 50ème est réactivée à Clovis AFB (Nouveau Mexique) puis, en juillet 1953, elle rejoint la base de HAHN en Allemagne. Elle est la première unité US en Europe à être équipée de chasseurs à réaction « Sabre ». En novembre 1955, elle prend le contrôle opérationnel de la base aérienne de TOUL-ROSIERES et commence son transfert le 19 juin 1956, lequel s’achèvera le 1er août 1956.

Désormais, « TRAB » devient « l’Escadre des champions ». Pendant son séjour à TOULROSIÈRES, elle poursuit son rayonnement, hérité des « Champions », en devenant célèbre par son efficacité au combat, sa sécurité des vols, son ambiance et ses activités sportives. Le refus du Gouvernement français d’accorder des droits de stockage d’armes nucléaires sur son territoire provoque son retour à la base de HAHN à partir de décembre 1959. Une stèle a été érigée, dans l’axe de la piste, au-dessus du village de ROSIERES, tout près de la statue de la Vierge qui surplombe le pays, pour rappeler l’accident survenu, au décollage, à l’un des pilotes de la 50e.

Stèle en souvenir du Ltt AUREL de la 50 ème

Pendant la « guerre froide », la 50e escadre est successivement équipée de P 4 Thunderbolt, de F 86 H « Sabre » puis de F 100 D, premier chasseur supersonique en vol horizontal, et, enfin, de F 100 F « Super Sabre ».

F 100
F 100

En 1957, TOUL-ROSIÈRES Air Base prend une extension sans précédent. Sa population locale approche les 3 500 personnes et elle devient une petite ville américaine au cœur de la Lorraine. La base vie, invisible des routes qui longent TRAB, est cachée dans un bois. Elle a tout ce qu’il faut pour la faire vivre : écoles, cinéma, baraquements pour célibataires, et tout un village pour les familles, constitué de grosses caravanes (« trailers ») dont on a supprimé les roues, et posées sur des socles en béton. Cependant, plusieurs centaines de familles logent chez l’habitant, à 30 km à la ronde.

Bientôt les premiers plans sont tracés pour la construction de villages aux pavillons standardisés, style US, ce seront : le village de « Toulaire », situé au-dessus de LIVERDUN, puis celui de « Régina Village » à TOUL, près du quartier de la Croix de Metz.

Entrée de Toulaire
Entrée de Toulaire

C’est alors que TOUL-ROSIÈRES accède à l’ère supersonique. Parmi les bases américaines en France prévues pour recevoir le F 100 « Super Sabre il y a : CHAMBLEY, CHAUMONT, ÉTAIN et bien sûr, TOUL-ROSIÈRES. Le modèle prévu est le « nec plus ultra » du Super Sabre, la version D 100 chasseur bombardier supersonique en vol horizontal à capacité nucléaire et parfaitement adapté pour les missions d’appui conventionnel.

En outre, il est équipé d’un pilote automatique et d’une perche de ravitaillement en vol, ce qui lui permet d’effectuer des missions à très long rayon d’action. L’entraînement des pilotes se déroule sur la base de Wheelus en Libye au cours de l’automne 1957 pour se terminer au printemps 1958. Avec quatre escadres de F 100 D armés d’engins nucléaires, l’USAFE maintient en France une force de frappe nucléaire sans précédent. Mais la présence du F 100 en France, et donc à TOUL-ROSIÈRES (87 appareils : 78 F 100 D monoplaces et 9 F 100 F biplaces), sera éphémère car fin 1958, le Gouvernement français prend la décision d’interdire le stockage d’armes nucléaires sur son territoire, à moins d’en avoir le contrôle.

Les F 100 D quittent donc TOUL pour plusieurs bases en RFA, en particulier, HAHN et RAMSTEIN. C’est ainsi qu’à partir du 1er septembre 1959, TOUL-ROSIÈRES devient une base de reconnaissance, son infrastructure lui permettant à n’importe quel moment d’accueillir une unité opérationnelle. Après le départ de la 50ème escadre, TRAB est utilisé comme base de déploiement. Commence alors une activité de routine dans le cadre de la « reconnaissance » au profit de l’OTAN jusqu’en 1961.

Ses avions, les RF 101 « Voodoo », effectuent des missions de reconnaissance photo tactiques à basse, moyenne et haute altitude, de jour comme de nuit. Cet avion de reconnaissance photographique est le plus rapide (1 900 km/ h) et le plus sophistiqué de l’arsenal américain en Europe et même aux Etats-Unis. C’est un bel appareil qui mesure 21 m de long et 12 m d’envergure, muni de tout un système de caméras déclenché automatiquement qui permet au pilote de prendre à 13 716 m d’altitude une photo d’une superficie de 368 km2 sur un seul négatif. N’oublions pas qu’à cette époque (début des années 1960), nous sommes à l’un des moments les plus tendus de la guerre froide : celui de la construction du « mur de Berlin ». C’est alors que TOUL-ROSIÈRES va quelque peu sortir de sa vie routinière.

Voodoo et F 84 F
Voodoo et F 84 F

A son actif, le Voodoo possède 3 records de vitesse transcontinentaux dont LOS ANGELES à NEW YORK et retour en 6 h 46 mn à la moyenne de 1 161 km/ h, le 14 novembre 1957.

En novembre 1961, pendant la crise de BERLIN, arrive à TOUL, avec son état-major, une partie de la Garde nationale du Missouri, soit une trentaine d’avions de chasse-bombardement du type F 84 F. Le bon vieux temps de la chasse est ainsi de retour. Quatre avions sont maintenus en état d’alerte opérationnelle 24 heures sur 24 avec leurs pilotes et leurs mécaniciens installés à proximité dans un petit baraquement. Leur tour d’opération terminé, ils quittent la base de TOUL en juillet 1962.

Entre le 15 juillet et le 1 er août 1962, deux escadrons équipés de RB 66 « Destroyer » font mouvement de leurs bases britanniques vers le continent jusqu’à TOUL-ROSIERES, et par voie de fait, TRAB devient la seule base de l’USAFE en France à dépendre d’un état-major situé en Grande-Bretagne.

Le RB 66 est un biréacteur d’une taille impressionnante chargé de la reconnaissance électronique et météorologique. Ce type de reconnaissance électronique se subdivise en deux catégories : active et passive.

Le RB 66 et le Mac Donnel Douglas F4
Le RB 66 et le Mac Donnel Douglas F4

Active : lorsqu’un avion brouille des émissions radio et radar par différentes méthodes, soit électroniques, soit classiques, par exemple à l’aide de petites lamelles métalliques.

Passive : lorsqu’un avion est chargé du recueil de renseignements et d’analyse des signaux radio et radar. Ces avions, équipés d’une perche de ravitaillement en vol dans le nez, peuvent donc aller loin vers l’Est et longer le « rideau de fer » pour capter et analyser tous les signaux radio et radar de « ceux d’en face » afin de les exploiter pour mieux connaître leurs moyens de défense aérienne. Opérationnellement, c’est certainement l’une des périodes les plus « chaudes » de TOUL-ROSIÈRES.

Un événement tragique se rattache à cet avion. Au cours de l’année 1965, un RB 66 dont l’équipage était composé de deux pilotes et d’un observateur, parti pour une mission de reconnaissance le long du rideau de fer, s’est aventuré au-delà de la frontière et a pénétré en Allemagne de l’Est. Abattu par les forces ennemies, les deux pilotes furent tués et l’observateur eut les deux jambes brisées. Les corps des deux aviateurs furent rendus rapidement aux Américains, mais l’observateur blessé demeura prisonnier pendant plusieurs mois en Allemagne de l’Est. Cet incident fit grand bruit dans la presse de l’époque et le responsable des RB 66 fut relevé de ses fonctions.

En septembre 1963, avec l’arrivée de la 10e escadre, TOUL-ROSIÈRES devient la 3e base de la Force Aérienne Américaine en Europe continentale. De mars à octobre 1963, les RB 66 opèrent de la base aérienne de CHAMBLEY, pendant que la piste de TOUL-ROSIERES fait l’objet d’importantes réparations. Durant les mois d’octobre et novembre 1963, elle est l’une des bases de l’USAF de France et d’Allemagne qui reçoit des avions et des troupes en relation avec l’opération « BIG LIFT » qui transporta toute la 2e division blindée en Europe.

C’est en 1964 que l’état-major américain décide d’équiper TOUL-ROSIERES d’un nouvel avion, et pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit du dernier-né de l’arsenal américain en matière de reconnaissance tactique : le fameux « Phantom » RF 4 C, le plus rapide du monde, muni à l’avant d’une énorme caméra pour filmer. Le colonel BORDMAN, commandant la base, est arrivé des Etats-Unis à bord d’un PHANTOM qu’il pilotait lui-même. Il a, sans se presser, franchi 7 000 km en 4 heures avec 4 ravitaillements en vol (cf. photo MAC DONNEL-DOUGLAS F4).

Cet avion possède deux énormes réacteurs ainsi qu’une crosse d’appontage. A cet effet, il y a sur la piste (comme sur les porte-avions) à deux endroits, un brin d’arrêt avec freins hydrauliques souterrains. A cette fin, des travaux d’aménagement sont entrepris sur la base, en particulier au niveau de la piste, rallongée à ses extrémités, pour recevoir des « over run » (appelés aussi POR • Prolongement Over Run). Cette piste se compose de 1 920 mètres de revêtement souple, bitumineux, au centre, avec de chaque côté 240 mètres de dalles bétonnées : soit 2 400 mètres de long, de seuil à seuil. Avec un over run de 275 mètres de chaque côté, elle est donc actuellement de 2 950 mètres. Les travaux sont achevés en juillet 1965. C’est sur la base de CHAMBLEY que sont mutés les avions de TOUL pendant la durée des travaux qui s’activent en juillet 1965.

Ouvrons ici une parenthèse et parlons un peu des différents stades d’évolution de cette piste, des origines à nos jours, et nous saisirons alors combien est fausse l’idée selon laquelle la piste aurait été chauffée en hiver par des canalisations souterraines. En 1952, l’ensemble de l’ouvrage a une structure rigide en béton de ciment. Rapidement, et pour diverses raisons, un rechargement avec reprofilage est réalisé en béton bitumineux sur une épaisseur de 8 cm. Or, dans un délai assez bref, le tapis se fissure au droit des joints de la chaussée en béton, si bien qu’en 1963-1964, les Américains exécutent une nouvelle couche de roulement en enrobé de 4 à 5 cm d’épaisseur.

  

              2400m

  

POR

275m

240m

1920m

240m

POR

275m

L’Armée de l’Air française, en janvier 1967, envisage d’occuper la base aérienne de TOULROSIERES à compter du 1 er avril et de donner une activité opérationnelle à ce terrain à partir du 8 mai 1967. Les avions destinés à cette base seront des Mirage III E et des F 100. Ce sont donc les Français qui entreprennent de nouveaux travaux : colmatage des fissures… puis, en 1973, à titre expérimental, un projet de réchauffage du filet de la barrière d’arrêt est proposé par la Direction de l’Equipement. Une fois réalisé, les résultats escomptés n’étant pas probants, le système proposé est abandonné. En 1978 a lieu la remise en état des extrémités et des POR, puis la réfection de la partie centrale en enrobés par le 15 RGA (Régiment du Génie de l’Air).

Le 3 octobre 1965, les premiers « Phantom » arrivent (RF4 C). Nouvel honneur pour la Base de TOUL, le 1 er mai 1966, l’unité est déclarée opérationnelle, devenant ainsi le premier « squadronops » de toute l’USAFE avec la double mission de reconnaissance et d’appui feu. Les premiers « Phantom » qui se posent à TOUL sont impressionnants par leur taille et par l’énorme traînée de fumée noire qu’ils laissent derrière eux. Avec une vitesse de pointe approchant Mach 2,5, ces avions sont en mesure d’effectuer des reconnaissances, de jour et de nuit, et même par mauvais temps grâce à un système infra-rouge. Malheureusement, l’époque lorraine du Phantom est éphémère. Dès avril 1966, le Gouvernement français, après sa décision de se retirer du commandement intégré de l’OTAN, annonce que toutes les unités américaines en France vont être, soit soumises au contrôle français, soit obligées de quitter notre sol. On connaît le choix des Américains.

Ainsi, l’une des plus grandes bases opérationnelles de l’USAF en France commence à vivre ses derniers jours et les Phantom sont les premiers à quitter la Lorraine pour la Grande-Bretagne et la RFA. A noter que beaucoup de pilotes de l’Escadron partiront servir au Vietnam. Tout le personnel administratif et d’encadrement est muté en RFA. Les couleurs sont descendues pour la dernière fois le 21 mars 1967 et toutes les opérations étant terminées, le 21 mars 1967, la base de TOUL-ROSIERES est déclarée fermée. Le personnel de la base se replie sur la base de ZWEIBRUCKEN en Allemagne Fédérale.

Après le 1 er avril 1967, un groupe significatif de MP (Military Police) sera désigné comme gardien de la base, et un contingent de mécaniciens civils, dirigé par un chef d’équipe américain, sera conservé pour la sécurité et le maintien jusqu’à ce que les négociations avec le Gouvernement français soient terminées.

Ainsi prenait fin une période originale et glorieuse de la base aérienne de TOUL-ROSIÈRES « TRAB

Votre Padre, G.DERULE

La Sentinelle du matin

La sentinelle du matin

          La sentinelle du matin est un reportage de Pierre SCHOENDORFFER qui décrit la vie dans les escadrons de chasse 1/4 Dauphiné et 2/4 La Fayette. J’en avais entendu parlé mais je n’avais jamais eu l’occasion de le voir dans sa totalité 

        Ce n’est pas la 11EC, mais j’ai pris tellement de plaisir à le visionner que je me suis dit qu’il en serait certainement de même pour beaucoup d’entre vous. 

        Pierre SCHOENDORFFER a eu une carrière très riche (wikipédia) et faisait partie de ces grands reporters qu’on ne voit pas lors de ses réalisations préférant se concentrer sur le sujet. Il consacre bien évidemment une bonne part du reportage aux pilotes mais les mécanos ne sont pas oubliés (loin de là) tout comme les autres services support opérationnels. J’ai particulièrement aimé la séquence finale au cours de laquelle les pilotes parlent avec l’aide des mains ; un grand classique qui doit bien encore exister malgré des systèmes d’information dédiés tel que SERPAM. 

Le tournage a eu lieu en mars 1976 et les gens de cette génération retrouveront des têtes connues comme Gillet (ancien du 2/11), Gallais, Leleu de la Simone, Ponchau (promo précédente que j’ai connu en prépa à Aix) et plus furtivement Niclot qui venait de se manger la rampe d’approche et REY l’instructeur qui fera plus tard un passage à la 11EC. A titre personnel, revoir Vegas, “l’AS” VEGAS, pilote que j’ai rencontré lorsqu’il était au 2/2 et qui trainait la réputation de ne s’être jamais fait tiré en combat (justifié à ce qu’on m’a dit), m’a rappelé une campagne DACT justement contre le 2/2 au cours de laquelle on s’était ramassé une tôle mémorable contre ces gros bras qui avaient en général plus de 2000 heures de Mirage ; lors de ma première mission en 1 contre 1, je me suis retrouvé engagé en barrique, au départ à égalité avec un certain Mercier (pas certain du nom) et je me suis dit que son compte était bon car vers 20 000ft le Jaguar n’avait rien à envier au M IIIE. L’affaire n’a même pas duré un tour c’est lui qui s’est retrouvé (trop) facilement dans mes 6 heures. Cela prouve bien évidemment que l’avion ne fait pas tout mais en terme de ce qui pourrait servir de circonstances atténuantes, il faut dire que ces instruits de la FATAC n’avaient rien trouvé mieux que cette campagne DACT pour nous remettre en jambe juste après un détachement en Afrique de plus de 2 mois au cours duquel les seuls “g” endurés étaient ceux qu’on avait pris au break….

Les plus jeunes découvriront et compareront forcément ; j’espère qu’ils prendront autant de  plaisir que j’ai pu en prendre. 

Pilotes de chasse, je vous salue !

Pilotes de chasse, on vous salue

En fouillant dans mes archives, j’ai retrouvé cette photo sur laquelle on peut voir écrit  : “Pilotes de Chasse, je vous salue”. Photo prise par une caméra OM 40 sur Jaguar, et vieux souvenir du temps où j’étais en escadron, mais il m’était impossible de localiser précisément la ferme. 

J’ai donc lancé un “appel au peuple” sur FB car cette ferme et son inscription étaient très connues, notamment dans la FATAC, et la magie a opéré ; je vous mets ci-dessous les informations que j’ai pu récupérer à partir d’un post sur FB publié il y a quelques années  sur la page / groupe  FB de Joe Pelissier consacrée au Mirage III   et que je vous invite à visiter.  

Textes repris de la page FB de Joe 

Bon, à la question posée par PatMob Lbbn en début du post “Ou ça se trouve ?”, la réponse est “Route de Ceaucé à Ambrières Les Vallées (53). A sa seconde question “et est-ce que ça existe encore ?”. La réponse est oui… mais l’occupant de l’époque, qui est à l’origine de cette fresque, a laissé cette ferme à sa nièce, seule héritière de la famille.

Et vous savez pas ?

Ben, je viens de discuter 30 minutes par téléphone avec ce bonhomme que j’ai retrouvé.

On en parle ?

Je veux oui…

Je garderais pour moi l’identité complète de Jean Claude et sa nouvelle adresse, pas très loin de là où il coule, avec ses 77 ans, une retraite bien méritée de…céréalier.

Sa passion pour les avions et les pilotes, il pense la tenir de la rencontre entre la Normandie d’où il est originaire et la seconde guerre mondiale durant laquelle il a assisté à bien des combats aériens et où les moteurs d’avions et sirènes d’alertes ordonnaient ses journées.

Lorsque, une fois adulte et installé dans la région de Mayenne, il construit son premier hangar, dans les années 75/80, tout de suite, il décide, seul, de peindre sur ses tuiles un grand bonjour destiné à ceux qui le fascinent encore. Les pilotes de chasse !

Un incendie malheureux en 88 ruine son œuvre. Qu’importe, il reconstruit un autre bâtiment et réécrit un autre message “en le changeant légèrement” dit-il. L’ancien ressemblait à “Pilotes de chasse, vous êtes tous sympas”.

Et depuis, il est survolé par des tas d’avions (de moins en moins déplore t’il) mais l’école de Tours, presque voisine lui a assuré un quota minimum de passage, à son grand plaisir. Une fois, un jeune homme en civil est venu le voir. C’était un élève pilote qui, lors d’un passage sur ses tuiles, avait été ému par cette passion si…démonstrative. Ils avaient discuté d’avions, d’avions et… d’avions. Puis, avant de le quitter, ce jeune garçon lui avait offert une entrée “VIP” aux portes ouvertes de la BA de Tours. Il y est allé, craignant d’avoir été oublié par le jeune militaire mais il était au rendez-vous, lui et ses amis. Ils ont pris en charge notre Jean Claude et lui ont fait passer “la plus belle journée de sa vie” dit-il !

Que devient ‘il ?

Malgré sa vue affaiblie, il monte toujours des maquettes et se félicite de quelques belles pièces au 32 et même des chasseurs au 1/24ème qu’il chouchoute et qu’il protège entre des centaines de revues diverses.

Quand je lui demande s’il possède quelques photos de sa maison-message… il avoue que non, une ou deux peut être mais pas plus et semble presque surpris que son œuvre puisse avoir tant de succès…

Modeste notre Jean Claude. Modeste et super sympa.

Mais je puis vous assurer d’une chose : si au gré de vos balades le “hasard” vous approche de Mayenne, passez le voir. Du temps, il en a à revendre… parler, il adore ça.

Une seule condition : parlez avions !

a Ambrières les vallées dans la Mayenne 48°25’54.09N 0°37’58.62O ! 

C'est ici !
C’est ici !

Cliquez sur ce lien et vous aurez la localisation précise 

 

Visite de TRAB

Visite TRAB

TRAB (Toul Rosières Air Base), après vous avoir raconté l’histoire de la construction de la piste par les Américains que vous pouvez retrouver en suivant le lien Toul Rosières, je vous propose une visite de la base telle qu’elle était avant que la France en reprenne le contrôle. 

Pour nos amis d’outre-Atlantique qui ont été affectés pendant la période TRAB cela rappellera beaucoup de choses ; ça sera aussi le cas pour ceux qui ont pratiqué la BA 136. 

La majorité des bâtiments ont gardé leur fonction d’origine, mais certains ont disparu (bowling, mess de l’EC 1/11,…)  et d’autres ont été utilisés  de matière complètement différente : l’école qui est devenue l’ETIS, la prison, le BX, la clinique dentaire… qui furent transformés,…. Et que dire du tribunal et de la prison ! Lors du “Memory Day”, un MP, ancien de TRAB m’avait parlé longuement de cette prison qui a vu défiler pas mal de monde et qui finit (si ma mémoire ne me fait par défaut) en centrale électrique. 

Je vous souhaite une bonne visite. 

Il m’a semblé préférable de présenter cette visite sous PDF car je ne possède pas les documents originaux et après plusieurs essais non concluants  (Word, JPEG,…), j’ai constaté que c’est cette forme qui offre la meilleure qualité. Il est possible de télécharger le fichier PDF.  

Download (PDF, 3.73Mo)

Je voudrais rappeler encore une fois que ces documents sont l’œuvre de Gérard BIZE  qui nous a quitté au début de l’année 2017