Comparaison entre Mirage III et F 100

La différence entre les enfants et les adultes, c’est le prix de leurs jouets !

En février 1968, après avoir volé plus de 300 heures sur F-100, il est temps pour moi d’aller tâter du mythique MIRAGE III. Dans l’Armée de l’Air française de ces temps anciens, un pilote de chasse ne peut être qu’un pilote de Défense Aérienne (D.A.)- Quelques humains peuvent, bien sûr, piloter des avions d’armes, mêmes supersoniques. S’ils ne les pilotent pas au sein une escadre de Défense Aérienne, ils ne sont pas vraiment considérés comme des pilotes de chasse. Les « mud movers » ne sont pas encore nés et les malheureux, qui prennent quand même l’alerte de D.A. mais volent sur des avions, qui plus est américains, et dont la mission principale est la destruction de cibles au sol, sont considérés au mieux comme des laboureurs. Dans le monde des pilotes de chasse, les vrais, ils n’existent pas. Depuis que Georges GYNEMER, héros légendaire, est tombé en plein ciel de gloire le 11 septembre 1917, c’est comme ça!

Nous sommes très au fait de cette situation quand, par faveur spéciale, nous sommes admis dans le sanctuaire des pilotes de chasse : la 2ème escadre DE CHASSE, à DUON, pour y apprendre à domestiquer le MIRAGE III. C’était juste avant mai 1968.

Aujourd’hui, en 2007, après les exploits des pilotes de JAGUAR et autres MIRAGE 2000 D ou N qui ont « délivré » des tonnes de munitions dans des conditions souvent dramatiques, je suppose que les choses ont bien changé… Ceci étant dit, mon séjour à l’escadron de chasse 2/2 « Côte d’or » ne m’a laissé que de bons souvenirs. Les instructeurs étaient dans les mêmes tranches d’âge et de grade que les stagiaires. On y travaillait très sérieusement, dans une ambiance de bonne camaraderie.

Trente ans plus tard j’ai retrouvé Vincent, l’instructeur qui m’a lâché sur Mirage. Il était chef pilote à l’aéro-dub alpin, à Tallard, et il m’a lâché comme pilote remorqueur de planeurs.

Comparé au F-100, le MIRAGE III est petit, mais c’est un avion qui peut voler à Mach 2, deux fois la vitesse du son.

Le F-100 est imposant, robuste, rustique, lourd. Il pèse quinze tonnes, sans charges extérieures, vingt tonnes, à la masse maximum. C’est un chasseur-bombardier qui a pu être comparé à un char, un gros camion, ou une locomotive à vapeur. Il a été conçu pour transporter et tirer principalement des munitions air-sol, lourdes et nombreuses.

Il   prend   aussi,   l’alerte de défense Aérienne, avec quatre canons et deux « Sidewinders ».

L’avion est rustique. Par exemple, il ne possède pas d’indication précise du fonctionnement de la post-combustion (P.C.) : « Ne vous inquiétez pas. Quand elle fonctionne, vous le savez ». Il faut dire que la P.C. est à peine régulée et que, à la différence de la plupart de celles que nous connaissons aujourd’hui, elle s’enclenche à la puissance maximum. La poussée du moteur passe brutalement de 10.200 livres à 16.000 livres. Le coup de pied au c… est net, le débitmètre s’en donne à cœur joie, « ça décoiffe, ça …déchire ».

Pas d’indicateur non plus pour donner la position des volets de courbure « Vérifiez bien en regardant dans le rétroviseur ».
En 1966, la manette de commande des volets n’a que deux positions ; rentrés pour le décollage et le vol, ou sortis pour l’atterrissage.

Quand nous décollons avec quatre réservoirs supplémentaires, l’avion est très lourd et il nous faut mettre les volets sur une position « décollage », repérée par un trait de peinture sur le fuselage. Pour y arriver, le mécano de piste nous fait signe de sortir les volets en position « atterrissage » (pleins volets) puis de les rentrer. Pendant le mouvement de rentrée, sur un panneau à gauche dans la cabine, le pilote saisit le « breaker flaps » entre ses doigts. Quand les volets arrivent au niveau du repère peint sur le fuselage, le mécano lève la main. Le pilote tire le breaker vers le haut, coupant ainsi le circuit de commande. Les volets restent bloqués dans la bonne position. Après le décollage, il suffit au pilote d’enfoncer, sans pouvoir le regarder, le breaker qu’il sent dépasser au milieu des autres. Les volets rentrent alors complètement et le vol peut se poursuivre normalement.

Quelques années plus tard, les P.C. seront mieux régulées et une position « décollage » sera installée sur le circuit de commande des volets. Tous les décollages se feront avec « un cran ». Le F-100 est un avion de guerre, parfaitement adapté à sa mission.

Le Mirage IIIE est, lui aussi, un avion « multi rôles » porté par une aile triangulaire, une aile delta qui lui permet d’assurer toutes ses missions. Missions d’attaque air-air, contre d’autres avions, à très haute altitude (plus de 15.000 mètres) et à très grande vitesse (Mach 2), ou missions d’attaque air-sol, avec de l’armement classique ou nucléaire.

Ces missions air/sol comportent des branches de navigation à haute et à basse altitude, qu’il peut effectuer, de jour comme de nuit et par tous les temps, grâce à son radar de bord. Pour un pilote de chasse, le MIRAGE III E est très attractif.

Ainsi préparés, après une semaine de cours au sol et quelques séances de simulateur de vol, nous sommes prêts pour effectuer notre premier vol sur la version biplace, le MIRAGE III-B.

Au briefing, l’instructeur nous a répété :

  • Après avoir lâché les freins, enclenchez la post-combustion (P.C.). Vérifiez l’allumage de la lampe rouge, « injection », puis le « pendulage » du tachymètre, puis l’allumage de la lampe jaune, « fonctionnement », et l’extinction de la lampe rouge. Mettez alors « C. maxinnum », en surveillant bien la température des gaz en sortie de tuyère, laT4.
  • Quand la vitesse atteint 100 kt (nœuds), tirez sur le manche pour « monter le nez » de l’avion et afficher 10 degrés d’assiette à la « boule ».
  • Quand la vitesse atteint 160 kt décollez l’avion, stabilisez l’assiette et rentrez le train. C’est tout.

Dans la réalité, au premier décollage, juste après le lâché des freins et pendant que nous maintenons, au pied, l’avion sur l’axe de la piste tout en surveillant l’allumage des lampes de la P.C., une voix forte en provenance du siège arrière se fait entendre. Le manche se déplace fermement et rapidement vers l’arrière.

L’avion quitte le sol et prend une assiette de près de 20°. Parmi toutes les sensations,   les   perturbations   et les émotions venant d’un peu partout que ressent le pilote, la voix de l’instructeur à la fois ferme et ironique se fait entendre : «  Ce n’est pas l’heure de dormir jeune homme, regardez la vitesse. Nous allons dépasser la vitesse limite de manœuvre du train d’atterrissage ».

L’accélération au décollage est phénoménale et c’est pourquoi, dans l’escadron de formation au pilotage du Mirage, tous les avions sont équipés de réservoirs pendulaires pour augmenter la traînée et, ainsi, la durée du décollage, autant que l’autonomie. Quelques dizaines d’heures de vol plus tard, le même pilote, décollant pour une mission d’entraînement avec un avion lisse (sans charge extérieure) et poussant fermement en avant la manette des gaz, à la main, se désole de ne pas pouvoir la pousser avec le pied pour augmenter la puissance. Il peste contre cette fichue charrue, lente et sous motorisée qu’il doit utiliser pour intercepter, à haute altitude, l’objet volant qui lui a été désigné comme cible.

L’aile delta est quand même un peu spéciale.

A basse vitesse c’est, en elle-même, un aérofrein. A grande vitesse, sa traînée est faible. Dans la cabine, comme dans celle du F-100, il n’y a pas d’indicateur de position des volets, parce que, sur Mirage, il n’y a pas de volets. La même aile, sans aucun dispositif aérodynamique tel que volets hypersustentateurs ou becs de bord d’attaque, permet de faire évoluer l’avion de la vitesse zéro, à Mach 2. Sur Mirage III, il existe une vitesse magique. C’est 200 kt (370 km/h). A moins de 200 kt l’avion, le nez haut, ressemble à une pierre qui tombe sur une trajectoire à peine contrôlable. Si le réacteur n’est pas à pleine puissance, le taux de descente est très fort. Si le réacteur est à pleine puissance, le taux de descente reste fort, mais acceptable.

Pour arrêter la descente, il faut mettre la P.C. ou augmenter d’abord la vitesse.

A 200kt la vitesse du Mirage III est aussi facile à contrôler que la  trajectoire d’une savonnette mouillée sur une toile cirée augmentant la puissance, l’incidence diminue et il est facile de gagner 20 à 30 kt. En diminuant la puissance, l’avion s’enfonce avec un taux de chute impressionnant.

Bien évidemment, la vitesse d’atterrissage est juste en dessous de 200 kt. Sur un avion lisse, sans charge extérieure, la préoccupation du pilote au décollage, est de rentrer te train d’atterrissage avant que la vitesse limite autorisée pour la manœuvre soit atteinte. La vitesse de décollage est de 160 kt, la vitesse limite de manœuvre est de 240 kt, la rentrée du train demande 7 secondes. Il n’y a pas de temps à perdre. Par exemple, sur une piste standard, longue de 2.400 mètres, la vitesse de l’avion atteint déjà 300 kt (575 km/h), quand il survole la fin de la piste. A l’atterrissage, la préoccupation du pilote est le contrôle de la vitesse, du taux de descente et de la puissance du moteur, qui sont très sensibles et très liés dans ce cas de vol.

Sur un avion lourd, avec plusieurs charges extérieures, la préoccupation du pilote au décollage, est l’accélération au sol. Sa main gauche, qui bloque la manette des gaz à fond en avant, a trois doigts tendus face« aux poussoirs de « largage    détresse »    des charges extérieures, au cas où. Sa main droite se fait très sensible pour positionner le manche en souplesse et avec précision.

La vitesse de décollage est supérieure à 200kt (370 km/h), car il n’y a pas de dispositif qui permet d’augmenter la portance de l’aile. L’accélération est juste suffisante. L’été, sur une piste standard, cette vitesse est atteinte à 200 mètres seulement de l’extrémité du béton. La « marge d’erreur » pour la manœuvre est réduite à 2 secondes. Tout doit donc bien fonctionner sur ce mono réacteur et la rentrée du train doit se faire en souplesse car l’avion vole, mais « tout juste». Comme le disait un de mes bons camarades :

  • Tu pousses sur le manche, tu descends, tu tires sur le manche, tu descends.

A l’atterrissage, c’est aussi délicat car l’avion est toujours lourd, surtout s’il porte un gros missile ou des bombes d’entraînement qui augmentent sa masse et sa traînée.

Je me souviens du seul vrai conseil que nous donnions aux pilotes expérimentés qui volaient pour la première fois en emportant le « nouveau » missile anti­radar que nous venions de recevoir :

A l’atterrissage, ne te pose pas de question.   Quand   tu   arrives   « vent arrière », tu rentres les aérofreins, tu mets plein gaz, tu sors le train et tu gardes plein gaz jusqu’à ce que, dans ton dernier virage, tu sois à 90° de la piste. C’est seulement à ce moment-là que, si tu te sens vraiment haut, tu peux réduire un peu. Si tu sens que tu passes un peu bas, remet les ailes horizontales, enclenche la P.C., rentre le train et représente toi pour un nouvel atterrissage.

En approche finale, l’aile delta est un vrai aérofrein et l’assiette est très forte. L’avion est « assis» sur la poussée de son réacteur et la piste est masquée par la pointe avant du fuselage, qui pointe vers le ciel. Au toucher des roues, l’arrière du fuselage est seulement à une quinzaine de centimètres au-dessus du béton.

Pour vérifier la qualité des atterrissages et la « fatigue » des jambes de train, celles-ci supportent, sur leur partie arrière, de petites cales en plomb qui, quand l’atterrissage est trop rapide ou trop brutal, sont marquées ou écrasées par la structure de l’aile, car le train a reculé avant de reprendre sa place. De nuit, par vent de travers et sous la pluie, il arrive que poser un Mirage soit quelquefois « sportif » et excitant.

Comparer, en soi, le Mirage III et le F-100 n’est pas facile et ne veut peut-être pas dire grand-chose. Ces deux avions ont été conçus par des organismes différents, à des périodes différentes et pour des besoins différents.

Pour le pilote, ils sont aussi bien différents. Nous avions coutume de dire : – On s’installe dans un F-100 et on enfile un Mirage, comme une veste bien ajustée. Le Mirage est confortable, sa cabine est propre et bien finie. Rien ne dépasse. La cabine du F-100 manque de finition. Les combinaisons et les blousons de vol sont souvent déchirés par les extrémités des écrous et par les boulons qui dépassent de la structure. On voit des câblages et des fils électriques qui courent dans les « tripes » de la cabine. Pour mettre en route le réacteur du F-100 on utilise un petit camion, le MA 2, sur lequel est installé un petit réacteur qui fournit l’air comprimé nécessaire au démarrage du réacteur de l’avion. Le Mirage III E peut démarrer à l’aide de sa seule batterie.

Le Mirage est plus agréable à piloter que le F-100, mais il dispose de beaucoup moins de carburant. Il possède un radar de bord, mais le F-100 est ravitaillable en vol. Les circuits et les méthodes d’atterrissage sont différents eux aussi. Poser un Mirage est plus « artistique » que poser un F-100.

Le pilote de Mirage doit se battre en permanence avec l’angle d’incidence de l’avion et l’inertie du réacteur de son « aérofrein volant ». L’inertie de l’avion et l’inertie du moteur, ne sont pas faciles à combiner. Le contact avec le soi doit se faire en douceur pour ne pas endommager l’arrière du fuselage.

Tous les fuselages de Mirage montent des traces de frottement sur a piste. Après le toucher des roues sur Mirage, tout va bien. Le parachute de freinage, le freinage aérodynamique et les freins des roues sont fiables et efficaces.  Arrêter l’avion ne présente pas de difficulté.

Le F-100 est une locomotive. Si le pilote respecte le circuit d’atterrissage standard, tel qu’il a été prévu par les « cow boys », c’est-à-dire sans toucher à la manette des gaz entre l’arrivée au-dessus de l’entrée de la piste pour le « break », stable à 1500 pieds, 300 kt, et le toucher des roues, l’avion ne cherchera pas (trop) à en sortir. Comme toutes les locomotives, le F-100 n’est pas facile à arrêter. Le parachute de freinage n’est pas toujours très fiable, les freins ne sont guère efficaces et la poussée résiduelle du réacteur, au ralenti, est importante. Les choses sérieuses commencent quand les roues de l’avion touchent la piste. D’abord, le pilote réduit à fond le moteur et sort les aérofreins. Puis il laisse la roue avant prendre contact avec la piste. De cette manière, il peut enclencher le «nosewheel», système très pratique qui permet d’orienter la roue avant à l’aide du palonnier.

Quand le « nosewheel »  est enclenché, le pilote déclenche l’ouverture du parachute frein et rentre les volets d’atterrissage pour diminuer la portance ce qui charge les roues principales et augmente l’efficacité des freins. Ensuite il commence à freiner après avoir attendu que l’avion ait ralenti à la vitesse maximum autorisée pour le faire. Cette vitesse varie avec la masse de l’avion et doit être calculée pour chaque atterrissage.

Quand tout se passe bien, l’avion s’arrête sans problème et le pilote peut se détendre. Il arrive que le parachute ne s’ouvre pas, qu’il se déchire ou qu’il éclate à l’ouverture. Comme l’avion a les trois roues sur la piste, il n’y a plus de freinage aérodynamique et comme les volets sont rentrés, il n’est pratiquement plus possible de redécoller et de faire une nouvelle présentation. Immédiatement, le pilote doit couper le moteur pour éliminer la poussée résiduelle et attendre que la vitesse maximum de freinage, qu’il a calculée, soit atteinte. Comme le moteur est coupé, il n’y a plus de pression hydraulique et le « nosewheel » ne fonctionne plus.

Les freins sont alimentés par leur pompe de secours, qui fonctionne uniquement à l’aide de la batterie. Ils sont nettement moins  efficaces  qu’en fonctionnement normal.

De nuit, par vent de travers et sous la pluie, l’exercice « vaut le détour ». D’autres particularités? Sur F-100, à basse vitesse, Il peut être dangereux d’utiliser le gauchissement. L’inclinaison s’obtient à l’aide du palonnier, par roulis induit. De cette façon, on peut tourner un tonneau « aux grands angles ». La sortie de vrille se fait « manche au ventre » pour alimenter en air la dérive, jusqu’à l’arrêt de la rotation. Sur Mirage, la sortie de vrille se fait, en plaçant le manche sur un repère peint à l’intérieur, de chaque côté de la cabine. La vrille se transforme en « auto tonneaux », qu’il suffit d’arrêter.

Pour terminer, les anciens pilotes de F-100 ont coutume de dire : il y a deux sortes de pilotes de chasse.

Ceux qui ont fait du F 100 et ceux qui regrettent de ne pas avoir pu en faire..

4 réponses sur “Comparaison entre Mirage III et F 100”

  1. mon meilleur souvenir sur F 100 est d’avoir pris l’alerte atomique avec la bombe américaine en 1967 à Bremgarten. C’était vraiment un avion d’homme , j’avais 24 ans .
    Quant au mirage c’était l’avion de pointe sur lequel j’ai fait plusieurs vols avec la fusée pour atteindre ou mac 2,2 ou 75 000 pieds avec l’habit haute altitude.
    Il n’y a pas de comparaison possible entre un bombardier et un avion super performant comme le mirage. Les deux valent vraiment la peine d’être pilotés.

  2. Je suis particulièrement heureux d’avoir pu partager cet article avec mon ami Jean Louis Guilloret qui a donc publié ci-dessus une partie de ses souvenirs concernant le F100 et le Mirage III avant d’aller à la PAF…
    adrK

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