Conte de Noël

Conte de Noël

Pour finir l’année, je vous propose un conte qui m’a été envoyé par un des membres. Toute ressemblance avec des faits réels ou ayant existé est tout sauf coïncidence. Seuls les noms ont été changés et même les sens des pistes dont il est fait mention sont bons. Compte tenu du fait que cette histoire a été écrite il y a 2 ans maintenant, la première partie se déroule en 1976. Contrairement au récit du début, la fin est une “happy end story ” ; lisez la jusqu’au bout.

Bonne lecture

Conte de Noël 201179f3e7bea4_1103115773nouvelle_2005

Deux jours déjà ! Ça fait deux jours que Luc tente d’imaginer la scène.

De nuit à 450 nœuds, deux Mirage évoluent au dessus des Vosges en formation serrée. Une nuit étoilée, glaciale…

En dessous, tout le monde s’affaire à l’approche de Noël. Les petits s’agitent tout excités à l’idée des paquets qu’ils découvriront sous le sapin. Les grands songent à cette nuit de paix où la famille rassemblée oubliera pour quelques heures, travail, soucis, amertume, rancœurs pour fêter cet avènement, ce commencement où tous les hommes de bonne volonté …

Maintenir ses repères sur l’avion du leader, garder l’étagement légèrement négatif, conserver juste le retrait nécessaire, pas de coup de manche, quelques dizaines de tours en plus dans les virages à l’extérieur, Jean s’efforce avec son jet de faire corps avec l’autre avion.

Dans quelques jours, quelques nuits, il sera capable, seul, d’aller chercher de nuit à 30000 pieds un avion perdu sans radio, guidé initialement par un contrôleur qui mettra toute son expertise à faire se confondre les deux plots sur son écran radar. Ensuite tout reposera sur lui Jean et lui seul. Il devra s’approcher à quelques mètres de cette silhouette sombre appliquer les mesures de sureté, le ramener à bon port ou…le contraindre par la force, afin que les hommes de bonne volonté…

Pour l’instant, il s’accroche. Les gouttes de sueur envahissent son masque et le blinker sur l’indicateur d’oxygène bat la chamade. La voix sèche du leader claque dans ses écouteurs : «  Deux, changement d’aile !… ». Passer en étagement franchement négatif, prendre du retrait en diminuant les gaz, raccrochez les gaz, faire défiler le leader au dessus de l’horizon de gauche à droite…c’est quoi ce voyant qui vient de flasher sur le tableau de panne ?!!

…M… ! Où est le leader ?! Là à midi, à 20 mètres au dessus ! Des gaz, bon sang! La tuyère rougeoyante se rapproche…, trop vite ! Réduis ! Le fuselage sombre envahit brusquement toute la verrière… Le ciel s’éclaire d’une boule de feu, des débris fusent vers le sol, un parachute, un seul.

Luc et Matthieu, engoncés dans leur uniforme sous leur combinaison de vol, filent dans leur avion d’entrainement vers les Vosges. La cérémonie a lieu à 15h, en cette veille de Noël. La météo n’est guère favorable à leur arrivée. Mais Jean, c’était un ami, le premier de la promo qui disparait en « service aérien commandé ». Ils se doivent d’être là.

Luc va faire l’approche finale en piste 12 de la place arrière, en suivant précisément les ordres du contrôleur GCA, ainsi Matthieu pourra surveiller et voir la piste  afin d’assurer l’atterrissage. D’après la météo le plafond des nuages correspond juste aux minima sur ce type d’avion.

« 2° gauche, cap 118,…bien sur le plan de descente, maintenez le taux,…2° gauche, cap 116 qui vous ramène sur l’axe,… bien sur le plan, bien sur l’axe, 116 votre cap… » Luc s’accroche à la maquette, le conservateur de cap, le badin, l’altimètre, le vario … horizon, vitesse, horizon, cap, horizon, altimètre, horizon, vario, horizon, vitesse…Luc balaie de son circuit visuel ses paramètres de vol rapidement, corrige, maintient…la hauteur de décision approche… « Matthieu, tu vois quelque chose ?.. » « Rien, si ce n’est le pare-brise qui commence à givrer ». La voix du contrôleur de finale se fait entendre : « vous arrivez à vos minima, piste en vue ? »… « Euh, non ! On remet les gaz ! » Pleins gaz, 22600t/mn, maquette à cabrer, vario positif, train sur rentré, badin…… L’équipage fonctionne parfaitement. On tente une nouvelle approche. Le contrôleur sait pourquoi. Matthieu a pris les commandes car c’est le plus expérimenté. Il s’efforce à son tour de rester parfaitement sur la trajectoire de descente. Les caps et le plan sont parfaitement tenus. Luc jette de temps en temps un coup d’œil sur les entrées d’air qui commencent à se couvrir de givre…décidemment, c’est vraiment un avion d’entrainement de beau temps. Sur les avions de combat, le givrage est rarement un problème. Luc surveille l’altimètre qui déroule. Dans une minute, on devrait voir la piste, il faudra voir la piste !

« Vous arrivez à vos minima ! …»

La voix du contrôleur vient d’annoncer le verdict. « Mais comment ?… On a 700 pieds indiqués, pour 200 pieds de minima !! »… « Vous êtes à vos minima ! Remettez les gaz ! » Mais qu’est ce que c’est cette histoire ? Matthieu a avancé les manettes en butée…19800T/mn, le badin n’augmente pas, stable à 125 nœuds, le vario positif est de l’ordre de 100 pieds par minute. N’oublions pas de rentrer le train. Le vario se hisse à 300 pieds par minute. Le badin n’augmente toujours pas. Luc se penche, l’entrée d’air du moteur droit est à moitié obturée par de la glace ! Idem à gauche ! « Bon sang, Matthieu, on givre comme des vaches ! ». En 12, il y a du relief en face, il faut virer vers le nord. Inclinaison à gauche de 10°. La vitesse chute à 120. « On est bons cette fois-ci, la cérémonie aura lieu dans trois jours sur notre base, pour nous ! » On va impacter…

En dessous, les personnels de la base marchent en prenant garde de ne pas glisser sur le verglas vers le hangar où deux Mirage encadrent Jean faisant face à sa famille et ses amis. Les autorités arrivent en voiture. Ils entendent très bas au dessus d’eux le sifflement caractéristique d’un avion qui demeure invisible…et qui part vers l’est.

20 mn plus tard, à l’arrondi sur la piste 22, deux énormes plaques de glace se détachent des ailes…

18h .Martine arrive à la maison avec Fabien dans les bras, tout emmitouflé.  Luc est dans le fauteuil, pensif. « Alors, comment était la cérémonie ? » « On n’a pas pu se poser… »  Martine comprend en observant la pâleur de son visage que son mari a vécu des instants difficiles dont il ne parlera pas. Elle n’insiste pas. Il aime son métier. Elle a accepté au départ d’avoir peur sans lui et pour lui…

L’anticyclone est bien établi depuis quelques jours sur l’Europe de l’ouest. L’air est vif et la couche de neige tombée il y a une semaine sur le Luchonnais s’est bien stabilisée sur les pentes au dessus de la station de ski. Les équipes d’entretien ont fait un remarquable travail de préparation des pistes qui, dans deux jours, au lendemain de Noël accueilleront des milliers de vacanciers en mal de glisse, de soleil et de sensations.

Luc apprécie toujours ces vols en montagne les veilles de fêtes, comme s’il s’agissait d’un cadeau que l’on peut ouvrir par anticipation, avant les autres…comme pour préparer un avènement dans le calme et la solitude quelques heures avant la frénésie de la fête. Déjà, les doubles traces de ses skis s’étaient imprimées sur la neige, la glisse était bonne et les 90 cv du moteur suffisaient largement pour assurer un décollage en toute sécurité avant les rochers situés en contrebas de l’altisurface. Encore une approche puis il s’arrêterait pendant quelques minutes pour admirer  ce paysage magnifique et prendre une ou deux photos avant de redescendre vers la vallée pour mettre la main avec ses amis aux derniers préparatifs du réveillon.

Le capot calé sur la tâche brune marquant le point d’aboutissement, la vitesse bien stabilisée à 100km/h, on remonte le nez de l’avion souplement, ça touche, un poil de gaz pour assurer la glisse,  pied à fond à gauche, manche à droite et vers l’avant, le nez bascule doucement vers l’aval, pied vers le haut, manche à gauche et au ventre, l’avion se cale dans ses traces gentiment…gaz réduits. Luc arrête le moteur et pendant quelques instants ferme les yeux. Quel silence !

Seul à 2000m au milieu de nulle part à savourer ces instants magiques mais néanmoins à quelques minutes de vol de …la civilisation !

Contact batterie, essence ouverte, mélange enrichi, un peu de gaz, magnétos, démarreur…l’hélice brasse l’air sur quelques tours, pas d’allumage ! Luc recommence la procédure calmement. Dans ces cas là, il faut rester calme, s’accrocher aux items de la procédure de démarrage et normalement ça doit démarrer. Sauf que là, l’hélice brasse l’air sans succès, le moteur lui est aux abonnés absents….

Luc attend une dizaine de minutes. Il frissonne légèrement. Malgré son anorak,  le froid commence à se faire sentir à cette altitude en fin d’après midi…Il ne va pas tout de même passer le réveillon par     – 20°C dans son avion. Nouvelle tentative qui achève la batterie…Et bien c’est gagné ! Sortir les raquettes et descendre dans la vallée après avoir prévenu au portable l’aéroclub qu’il est toujours vivant, que l’avion est en panne, qu’il redescend à pied vers le prochain village et averti les amis qu’il risque d’arriver un peu tard !…

Luc est en train de rassembler ses idées lorsqu’un bruit de raquettes se rapproche de l’avion. Coiffé d’un béret et drapé dans une immense pèlerine brune, un homme d’une bonne soixantaine d’années, marche vers l’avion d’un pas empressé. Eh bien au moins, je ne serai pas seul pour faire de la raquette, pense Luc.

L’homme lui adresse un geste et demande : «  des problèmes ? » «  Oui, je suis en panne ; impossible de démarrer le moteur et en insistant, j’ai vidé ma batterie » L’homme s’approche du capot l’air intéressé. «  Vous avez un peu d’outillage ? ». Luc le regarde d’un air surpris. « Presque rien, mais pourquoi ? » L’autre lève les yeux vers lui et presqu’en s’excusant « oh, je suis, enfin j’étais de la partie, je peux essayer de regarder ». «  Vous croyez ? Il est tard, il faut descendre sinon on va se retrouver de nuit en pleine montagne » «  On peut toujours essayer, si ça ne marche pas, je vous redescendrai, je connais bien le terrain même de nuit ! »

Il reste encore une bonne heure avant le coucher du soleil. Luc regarde l’homme qui, un peu hésitant au début, s’affaire maintenant dans le moteur. Les minutes passent, le soleil décline vers les crêtes. Au bout d’un moment, l’homme relève son visage, et pour la première fois, il sourit. « Je crois que j’ai trouvé. Dans cinq minutes, on met en route, on fait le point fixe. Je vous lancerai à la main ! Ensuite, on recapotera, et vous pourrez partir !  »    Luc le regarde d’un air incrédule. «  Vous croyez ? »

Cinq minutes après :…contact, magnétos ? L’homme cale bien ses pieds dans la neige et des deux mains   lance vigoureusement la pale d’hélice…le moteur cafouille une fois. A la deuxième tentative, le moteur démarre et s’installe dans un doux ronflement qui pour Luc ressemble à un chant de Noël.

Luc le laisse tourner quelques minutes avant de le couper pour remettre les capots. Il descend de l’avion et vient presque sauter au cou de son Messie. L’homme lui donne une tape amicale sur l’épaule. Son visage est lumineux.

« Vous savez Monsieur, il y a exactement trente six ans, jour pour jour, j’étais mécanicien sur une base de l’Armée de l’Air et nous assistions aux obsèques d’un de nos pilotes victime d’une collision en vol de nuit deux jours avant. Il y avait beaucoup de monde. Tous ses copains pilotes n’avaient pas pu venir, il faisait très mauvais. Les avions remettaient les gaz sans pouvoir se poser. On ne pouvait rien faire, on se sentait impuissants. Depuis, le 24 décembre est toujours pour moi un triste anniversaire. Aujourd’hui, j’ai pu rendre service et  ce ne sera plus pareil… »

Luc n’en croyait pas ses oreilles. Il prit l’homme dans ses bras, le serrant contre lui : « Merci ! Pour moi aussi, ce ne sera plus la même chose. Je vous souhaite un très joyeux Noël ! »

Puis il redémarra le moteur. Les étoiles commencaient à scintiller dans le ciel. Au décollage, à travers les larmes dans ses yeux, il lui sembla voir les visages de Jean et de Matthieu qui souriaient.

Une réponse sur “Conte de Noël”

  1. Cette conte de Noël est racontée par le pilote place arrière du Fouga. Je confirme qu’il faisait très froid, puisque même notre R4L a givré à 10 km de Luxeuil. Nous avons terminé en stop avec Michel M. et sommes arrivés juste à temps pour la cérémonie d’adieu de Jean-Jacques. Notre première grande douleur. Schoenderfer a su montrer dans son film sur la 4°EC la désespérance qui vous saisit quand un cercueil s’enfonce puis disparaît dans le brouillard givrant.
    Le pilote du Fouga rejoindra Jean-Jacques peu de temps après. Merci à l’auteur de ce conte de n’avoir rien oublié.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *