Rafale au dessus du Mali

rafale

Aujourd’hui, je vous propose un récit qui n’a pas un rapport direct avec la 11EC mais qui rappellera bien des choses à beaucoup d’entre vous.

La mission conduite à partir de Saint Dizier entrera dans l’histoire de l’Armée de l’Air et mériterait à mon sens, une diffusion beaucoup plus importante que celle dont elle a fait l’objet. Je remercie l’AEA qui m’a accordé l’autorisation de publier cet article parut dans le “Piège”, le bulletin des anciens élèves de l’Ecole de l’Air.

9h41…la durée du vol s’affiche sur l’un des écrans latéraux du Rafale, quelques instants après l’atterrissage sur la piste de N’Djamena. Ce vol m’a pourtant paru presque bref tant il a été intense. Quelques minutes plus tard, mes trois équipiers sont posés. Nous remontons désormais la piste à contre-QFU en direction du parking militaire. Nous sommes le dimanche 13 janvier, il est un peu plus de 17h00, notre première mission au Mali arrive à son terme. Le Task est rempli, plus d’une vingtaine d’objectifs ont été détruits ou gravement endommagés. Je repense aux événements qui se sont enchaînés depuis 48 heures.

Vendredi 11 janvier, 16h30 : fin de l’activité aérienne, je consulte les mails accumulés sur ma messagerie au cours de la semaine … coup de fil d’un capitaine du centre national des opérations aériennes à Lyon : « Il faudrait nous donner une estimation du pétrole nécessaire à une mission de quatre Rafale, au décollage de Saint-Dizier et à destination de N’Djamena, via le Mali… réponse pour hier ». Je ne suis pas surpris. Ce genre de question ne peut arriver qu’un vendredi après-midi à 17h00… 18h30 : tout s’accélère. Un décollage de quatre Rafale est prévu dans la nuit de samedi à dimanche. En parallèle, une équipe restreinte de pilotes, officiers renseignement et mécaniciens, doit embarquer à bord de l’un des avionsravitailleursC135qui accompagneront le dispositif à partir d’Istres. Départ prévu du bus à 3h00 du matin… juste le temps de faire un sac. La mission telle qu’elle m’est alors présentée par le conseiller militaire du commandant de la défense aérienne et des opérations aériennes (COMDAOA) consiste en un raid sur des objectifs tenus par les terroristes au Mali. Décollage prévu de Saint-Dizier, destination : N’Djamena au Tchad. Les pilotes embarqués dans le C135 doivent quant à eux assurer la même mission, en sens inverse, le lendemain de notre arrivée. Les patrouilles pour les deux missions sont constituées.

Le choix des pilotes n’est pas simple : tous sont prêts et volontaires. Tandis que les pilotes désignés se rendent au service médical pour les derniers vaccins, les préparatifs de la mission commencent. Chaque cellule de l’escadron est mise à contribution : “préparation mission”, “renseignement”, “tir”, “opérations”… 23h00 : retour à la maison pour le personnel indispensable à la préparation de mission du lendemain, afin de prendre un minimum de repos et préparer l’indispensable BV. Pour ma part, je garnis mon sac du strict minimum – une combinaison “sable” et une trousse de toilette – afin d’assurer la mission dont je pense alors qu’elle ne durera que quelques jours.

Samedi 12, 14 h 30 : après une matinée de repos pour les membres de la patrouille, nous nous retrouvons tous en “salle de guerre” de l’escadron. Les dossiers d’objectifs nous sont parvenus : des installations, camps d’entraînement, centres de commandement utilisés par les groupes terroristes à proximité de Gao, ville qui m’est alors parfaitement inconnue mais qui deviendra familière au cours des semaines à venir. Nos configurations se précisent : deux des quatre Rafale seront équipés de munitions guidées GPS “AASM”, les deux autres de bombes guidées laser “GBU12”.

18h00: briefing téléphonique avec le conseiller juridique du COMDAOA. Les règles d’engagement me sont présentées. L’escadron tout entier participe à la préparation de mission. La cellule “renseignement” est présente au grand complet. Je constate avec satisfaction la sérénité avec laquelle chacun travaille. Un véritable esprit de corps anime notre équipe, qui dépasse d’ailleurs les frontières de l’escadron. Deux pilotes du2/30 nous ont en effet rejoints au cours de la matinée, tandis que le 1/91 a mis à notre disposition quelques-uns de ses équipages, en prévision d’un raid ultérieur. Tous œuvrent comme un seul homme à la préparation alors que la nuit commence à tomber. La base aérienne tout entière s’active à la préparation des avions. Les containers munitions encombrent les abords du parking témoignant de la nature de la mission qui se prépare.

20 h 00 : briefing avec le “Bretagne” et le commandant de bord du premier C135 ravitailleur. Les points de séparation et de rejointe au moment de l’attaque sont fixés. La question du carburant disponible demeure, elle, largement en suspens. Nous ne savons toujours pas quel trajet nous emprunterons : Maroc ?  Algérie ? Lybie ? Les autorisations tardent à venir.

22h30 : nous laissons à l’équipe de nuit le soin de finaliser la préparation. Ni l’ordre particulier d’opération, ni le plan de communication ne nous sont encore parvenus. Nous verrons tout à l’heure, après quelques heures de sommeil. Je quitte les locaux et rejoins l’hôtellerie en zone “vie”. Avec cette montée en puissance subite, la base aérienne est animée comme en plein jour. Je croise les poids lourds qui ont transporté les munitions depuis les dépôts. À cet instant, la base aérienne “outil de combat” prend tout son sens.

03h00 : après une courte nuit, je regagne l’escadron. On m’annonce que l’ordre d’opération est arrivé et… que les objectifs ont changé. Le plan d’attaque a été revu de fond en comble par l’un des commandants d’escadrille. Il m’en expose les grandes lignes et me transmet les documents de mission. Ils se révéleront d’une aide indispensable en cours de vol, pour faire face aux aléas inévitables de la “conduite” : changement de mission en vol reçu du CPCO, absence du pod de désignation laser sur l’un des avions spare, pourtant chargé de GBU12… La lecture de l’ordre d’opération rédigé par le CDAOA répond aux ultimes questions. Je récupère les fréquences radio indispensables sur le plan de communication tout juste arrivé. Le travail accompli en quelques heures par l’escadron est remarquable. Tout est prêt : fiches de percées, terrains de déroutement, datacards (1) , plan d’attaque, dossiers d’objectifs,…

04h20 : briefing dans dix minutes. Les douze dernières heures m’ont prouvé, s’il le fallait, la pertinence de notre entraînement quotidien : les Revue des anciens élèves de l’École de l’air Le piège n° 212 – mars 2013 25 t préparations de missions en temps toujours trop contraint, les modifications de dernière minute imposées par le commandant d’escadrille, jusqu’aux séances d’instruction, parfois rébarbatives, à l’utilisation des moyens de survie, rien n’est superflu.

04h30 : début du briefing. La réflexion tactique, les choix, la préparation sont derrière nous. Je sens ma patrouille sereine lorsque nous passons en revue, les uns après les autres, chacun des points de nos briefings mission réalisés à l’entraînement. Nous sommes désormais en terrain connu. Seule différence notable : l’attention particulière accordée à la CSAR2 …

05h30 : Départ aux avions après avoir signé notre ordre de vol et enfilé nos combinaisons étanches. Les gilets de combat sont plus lourds ce matin, les pistolets qui les garnissent y sont probablement pour quelque chose. Un dernier mot d’encouragement du commandant de base et l’escadron rassemblé nous accompagne vers la ligne de Rafale disposés devant l’unité. Le tour avion est plus long qu’à l’accoutumée. La vérification de nos 24 bombes prend en effet un certain temps. Les actions vitales, cette musique apprise par cœur et maintes fois répétée au cours de l’installation cabine a quelque chose de rassurant. Seule entorse à cette “partition” : je ressens le besoin de serrer la main de mon pistard avant de refermer la verrière et me retrouver isolé du monde extérieur. Mise en route et tests au sol effectués, je demande le roulage. Un dernier salut à nos mécaniciens. Nous quittons l’îlot de lumière de la ligne Rafale et son activité, pour nous enfoncer dans la nuit, vers le seuil de piste. Dernières vérifications, nous nous élançons l’un après l’autre sur la piste. « Rasoir Alpha 4, airborne ».

Il est 7h17. À peine plus de 36 heures après le premier coup de fil du CNOA, nous sommes en route vers le Mali. Belle démonstration de réactivité. Nous montons en “trail 2 ” vers notre altitude de transit. Il fait encore nuit noire. À peine la couche de nuage traversée, nous apercevons les premières lueurs de l’aube. L’interception de notre premier ravitailleur est réalisée sans encombre au large d’Istres. Nous nous positionnons de part et d’autre et entamons notre périple vers le Sud. Les côtes espagnoles défilent à l’Ouest, puis le Maroc et la Mauritanie. Nous obliquons vers l’Est. Les ravitaillements tous effectués en point central s’enchaînent. L’indisponibilité temporaire du lance-bombes de l’un de mes équipiers, la modification du plan d’attaque, consécutive à l’absence de pod de désignation laser de mon numéro 3, ainsi que quelques problèmes mineurs se chargent de nous occuper l’esprit jusqu’à notre troisième ravitaillement en vol

Alors que notre trajectoire s’infléchit vers l’Est, à quelques centaines de nautiques des premiers objectifs, le CPCO nous gratifie d’une dernière adaptation du plan d’attaque, suite à la modification des priorités d’engagement des cibles assignées. « Rasoir Alpha 4, 5 tons, full, clear disconnect»…L’annonce ponctue la fin du troisième ravitaillement de mon numéro 4 au-dessus du Mali et signifie que le dernier “obstacle” à la réalisation de l’attaque est levé: nous disposons désormais du carburant nécessaire à la réalisation de la frappe. Nous laissons le C135 sur notre gauche et descendons, en accélérant, vers l’altitude prévue de l’attaque. Fence in (3) …ultime vérification du bon fonctionnement de mon système d’autoprotection. Nous allons évoluer dans le domaine d’engagement des missiles sol-air courte portée qui, selon nos officiers “renseignement”, sont présents dans les rangs des groupes terroristes. Notre vitesse, 440 nœuds, diminuera notre vulnérabilité. Mon équipier en charge de l’annonce éventuelle des départs missiles sera le dernier rempart, lorsque j’aurai le regard rivé sur la cible. Plus que 50 nautiques. Pour le moment, mon pod de désignation laser, pointé dans la direction de l’objectif, me permet seulement de distinguer le fleuve Niger. Bientôt apparaissent les formes caractéristiques d’une ville : Gao. Mes numéros 3 et 4 se séparent afin de se présenter sur l’objectif au cap prévu. In Hot (4), plus que 15Nm, moins de deux minutes de vol, je lève les dernières sécurités armement. À 30 secondes du point de tir, l’image du pod me permet de reconnaître mon premier objectif. Pas de méprise possible. Je presse la détente. Quelques longues secondes plus tard, une légère secousse, la conduite de tir du Rafale vient d’autoriser l’éjection de la première GBU12. Je lance l’illumination laser qui doit guider la munition vers l’objectif, reproduisant à l’identique la passe de tir répétée des dizaines de fois à l’entraînement. Tout en me concentrant sur la visée, je suis la décrémentation automatique du temps de vol jusqu’à l’impact. Plus que 10 secondes. Je suis désormais à la verticale de la cible. 5…4…3…2…le bâtiment visé disparaît subitement. Un flash blanc envahit l’écran. La munition a fait but. À mesure que je m’éloigne de l’objectif, l’image de mon pod me permet de distinguer le panache de fumée, à l’emplacement où s’élevait l’un des bâtiments principaux du camp d’entraînement terroriste, quelques secondes auparavant. Les premiers comptes-rendus radio de mes équipiers me parviennent : l’attaque se déroule conformément au plan prévu. Mais bientôt, l’inévitable “grain de sable” vient s’inviter dans la mécanique bien huilée du plan de frappe. Mon équipier, encore chargé de toutes ses bombes, consomme plus de carburant que je ne l’avais prévu. Sans un ravitaillement préalable, impossible pour lui de réaliser ses frappes. Même problème pour mon numéro 4. Nous interrompons donc prématurément l’attaque pour converger vers le ravitailleur à quelques dizaines de nautiques à l’Est de notre position. Au moment où nous le rejoignons, j’apprends que ce dernier peut nous offrir 24 tonnes de carburant. Je sais par ailleurs, après un rapide Fuel check, que 17 tonnes sont nécessaires à ma patrouille pour rejoindre N’Djamena. Le problème qui se pose alors à moi peut être résumé comme suit: «Sachant que le C135 consomme 4 tonnes de carburant à l’heure, que chacun de mes équipiers consomme environ 100kg de carburant à la minute en phase d’attaque, et que nos derniers objectifs sont situés à 50 nautiques à l’Ouest de notre position, puis-je réaliser les dernières frappes et disposer du carburant nécessaire à la poursuite de la mission vers N’Djamena? » Le Rafale, aussi perfectionné soit-il, n’apporte pas encore les réponses à ce genre de question et je remercie intérieurement mes instructeurs qui, il y a quelques années, se montraient inflexibles avec moi en matière de calculs pétrole. Moyennant un petit coup de pouce de notre C135 qui nous rapproche de notre objectif au cours du ravitaillement et nous autorise à lui prélever une quantité de carburant un peu plus importante que prévue, nous parvenons finalement à tirer nos dernières munitions sur les cibles assignées. Sécurités armements à peine abaissées, cap à l’Est en direction du Tchad. Un cinquième ravitaillement et deux heures plus tard, nous parvenons à destination. À peine posé, le colonel commandant la base de N’Djamena m’apprend que notre séjour s’annonce plus long que prévu. Nous renforçons dès à présent le dispositif aérien de l’opération “Serval”. Il n’est plus question désormais de retour le lendemain, mais d’un détachement de quatre à cinq semaines. Je repense un instant au contenu de mon sac… la mission risque en effet d’être long.

1- N.D.L.R.: Feuille au format A5 recueillant les données spécifiques à la mission.

2- Combat Search and Rescue

3- N.D.L.R.: À environ 2 à 3 nm l’un derrière l’autre, en accrochage radar.

3- N.D.L.R.: Dernières actions à effectuer avant l’entrée en territoire hostile.

4- N.D.L.R.: Annonce correspondant à l’arrivée sur l’axe de tir Bingo! A

Départ mission MaliRVT Mali

Atterrissage sur le bidon à DAKAR

Jaguar A 157 atr sur bidon Dakar 02.

Dans la vie, il y a deux sortes de pilotes : ceux qui un jour se sont posés en oubliant de sortir le train, et ceux qui sont susceptibles de le faire.

Ce devait être un convoyage simple, standard, normal. (1)

La mise en place des trois avions (spare compris) eut lieu le jeudi 4 mars 1982, sur la Base Aérienne d’Istres.

Après le briefing de convoyage, avec l’équipage du ravitailleur, on se retrouvait tous logés à l’hôtel à Istres. (2)

Le lendemain, le vendredi 5 mars, à part un lever encore plus matinal lié à cet hébergement en ville, tout se déroulait normalement jusqu’à la première panne du KC 135 qui nous obligeait à annuler temporairement la mission. (3)

Je ne saurais dire, aujourd’hui, combien de pannes il a eu ou si, tout simplement, cette panne a duré toute la journée ; je sais que nous avons effectué plusieurs briefings, donc plusieurs tentatives de décollage, mais le dernier avait porté plus spécialement sur la détermination de l’heure limite d’envol pour tenir compte de l’heure de la nuit, au niveau de vol, au large des canaries, pour le dernier ravitaillement en vol. Nous n’avons pas eu à affronter ces conditions extrêmes. La mission a été reportée au lendemain.

Nous avons rejoint nos chambres mais cette fois sur la Base : le personnel féminin de la RAM (région aérienne méditerranée) avait terminé son rassemblement et donc vidé les lieux.

Le second jour, le samedi 6 mars, tout se passa bien et nous prîmes notre envol, normalement ; je n’ai pas souvenir d’un quelconque problème en vol, lors de ce convoyage mis à part l’atterrissage.

Nous venions de terminer notre dernier ravitaillement, le petit complément de sécurité et nous entamâmes notre descente vers l’aéroport international de Dakar, pour laisser la place, auprès du Boeing, aux quatre avions du détachement ; ils profitaient de ces convoyages pour faire des entrainements Ravito.

Malgré les conditions VMC, le VOR fut indispensable pour rejoindre la verticale piste de cet aéroport noyé dans la “Brumasse” ; nous sommes partis au break et je me souviens d’avoir essayé de ne pas perdre de vue, ni mon équipier, ni la piste.

Au moment de toucher des roues, il me reste encore cette sensation d’enfoncement (parce que trop haut) et, très rapidement, une curieuse analyse du bruit entendu me fait annoncer : ” j’ai éclaté les pneus” puis ” Je roule sur les jantes”…

Ensuite tout se passe rapidement, je contrôle cet avion, au pied jusqu’au bout, et je le vois s’immobiliser en même temps que l’aile droite bascule au sol, comme un planeur ; je n’ai toujours pas réalisé. Je coupe les réacteurs, ouvre la verrière et, voyant quelques flammèches au niveau du bidon, me débrêle, saute au sol et courre vers le bord de piste pour m’éloigner de cet avion que j’imaginais prendre feu. Après quelques dizaines de mètres, je découvrais un spectacle ahurissant : un avion, train rentré, calme et serein, posé sur son bidon ventral et son saumon d’aile droite.

Je m’attendais à toute autre chose et je commence à comprendre ce qui s’est passé : la piste, l’équipier, la piste, l’équipier…mais au fait où est-il mon équipier ? On me rassure rapidement en m’annonçant qu’il s’est dérouté à Thiès (4) ; enfin une chose positive : ce déroutement avait été briefé à chaque fois que nous avions fait une tentative de départ d’Istres !!!!!!!!

Tout aussitôt, et là rien ne vous étonnera de la part de nos mécanos, arrive un tracma avec sa remorque de roues, puis une grue. Le commandant en second de la Base de Ouakam (5) est rapidement là également et me réconforte très chaleureusement quand monte en moi, à postériori, toute l’émotion liée à l’analyse de la situation et aux conséquences d’un atterrissage où j’aurais été subitement conscient de “ma non sortie de train” : remise de gaz, décalage de l’allumage des PC, couple et probablement une catastrophe qui n’aurait rien eu en commun avec cet atterrissage de vélivole.

Je suis revenu vers cet avion pour finir le travail (coupure des instruments et de tout contact électrique……) et constate que je suis sorti à gauche, par habitude ou réflexe, et que j’ai sauté à terre d’une hauteur bien plus importante que si j’avais accompli la même action du côté droit (l’avion s’était affaissé sur son aile droite !!!) ; très rapidement les mécanos sont montés sur les ailes, ont ouvert les trappes adéquates et accroché l’avion aux élingues de la grue. Ce jaguar s’est retrouvé suspendu à la grue mais le déplacement de l’ensemble a commencé à donner à l’avion un mouvement de pendule. “Arrêtez tout : cet avion n’a rien et nous risquons d’avoir de plus gros dégâts en le faisant tomber au sol” s’est écrié le commandant en second de la base ; l’avion est resté suspendu à la grue un certain temps qui n’a pas permis de trouver rapidement un chauffeur de semi-remorque (la base était fermée ; voir renvoi 5). Je ne sais dire qui a eu cette idée géniale : ” Si on mettait un groupe et qu’on actionne la manette de train, on pourrait sortir le train au complet, reposer l’avion au sol et le tracter ” ! Pourquoi n’y avions-nous pas pensé plus tôt ? En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, ce fût fait et l’avion se retrouva sur le parking du détachement jaguar avec un bidon ventral diminué de moitié, un saumon d’aile râpé (le droit) ainsi qu’une quille arriérée.

Si mon équipier s’était posé à Thiès, les quatre jaguar du détachement décidaient de se poser sur la piste transversale et secondaire (rarement utilisée) et je pus assister au dégonflage des seize pneus qui avaient souffert d’un freinage d’urgence ; j’avais peut-être réussi le plus bel atterrissage de ma vie mais j’avais aussi foutu un sacré bordel ; heureusement, le trafic de l’aéroport international de Dakar-Yoff, à cette époque de l’année et à cette heure-là n’était pas très important: il n’y eu que trois avions déroutés au Cap-Vert dont le Boeing ravitailleur (6).

Après ne mon passage à l’infirmerie et les examens effectués n’ayant montré aucune anorexie où toute autre anomalie qui aurait pu justifier cet “accident”, je me retrouvais à table avec tout le personnel de ce détachement dont un de mes camarades de promotion était le chef. J’ai eu tout le loisir d’entendre les louanges des pétafs (armuriers) qui n’en revenaient pas de voir qu’après démontage et essais, rien n’avait souffert au niveau du ventral hors le bidon qui découpé comme il l’était ressemblait à ce genre de matériel que l’on voyait dans les ETIS pour la formation du personnel.

Ce n’était pas fini, il fallait rendre compte, rédiger les messages et les comptes-rendus S.V (sécurité des vols). Les Moyens Opérationnels de la Base (des transporteurs) comptaient sur l’expertise du détachement et attendait le retour du Boeing, avec notre commandant en second d’Escadre à bord.

La bible, en matière de Sécurité des Vols, nous imposait la rédaction d’un compte rendu d’incident léger ; on avait beau la retourner dans tous les sens, la bible était la bible et je m’en trouvais fort aise. “Ça ne va pas ! Vous me voyez téléphoner au GRAND YAKA (7) et lui dire qu’un jaguar a eu un incident léger, en lui détaillant ce qui s’est passé” s’exclama notre futur commandant d’Escadre. Je crois qu’il mit longtemps à se décider mais après avoir repris la bible dans tous ces chapitres et renvois ou annexes qui la rendaient barbare, il fallut bien se rendre à l’évidence : je venais de commettre un incident léger !!!!!!!!! (8)

Je passe rapidement sur le coût de la soirée que j’ai offerte au restaurant des Almadilles pour fêter cette “résurrection” pour m’attarder sur la remise en condition du Jaguar “incidenté” ; le matériel reçu et remonté en lieu et place de celui qui avait été endommagé, l’avion faisait un vol de contrôle et était déclaré bon par le chef de détachement en place. Que nenni, c’était sans compter sur le jugement dubitatif de nos officiers mécaniciens d’état-major ! Force Schumac (chaudronnier) fut envoyée avec lunettes et tout le nécessaire à mesurer l’avion et ses distorsions éventuelles subies lors de cet atterrissage sur le bidon ventral. Et bien non ! Cet avion remesuré était moins tordu qu’à sa sortie d’usine (9).

J’ajouterais que c’était mon premier convoyage en tant que leader, que mon numéro 2 (on le surnommait Fifi) effectuait son premier convoyage après transfo-ravito et qu’une grue Pinguély (capable de transporter un jaguar sans risque de renversement) attendait tranquillement dans le port de Dakar que les formalités de dédouanement fussent accomplies.

Voilà tout est dit sur ce convoyage normal qui s’est déroulait de façon anormale mais dont je garderais toujours le souvenir du “plus bel attero de ma vie”.

(1) Deux avions pour une relève de potentiel avion au sein du détachement en place à Dakar.

(2) La Région Aérienne Méditerranée (RAM: peut-être qu’à l’époque elle portait encore le numéro 4) accueillait tout son personnel féminin sur la Base pour un congrès/séminaire ou quelque chose d’équivalent; toutes les chambres de l’hébergement étaient occupées.

(3) L’immatriculation du Boeing était CC : Charlie deux fois ; on le surnommait surtout “Casse-Couille”. Je ne sais pas si cela est arrivé à tout le monde, mais quand j’étais en présence de cet avion et d’un certain “Boomer», dont j’ai maintenant oublié le nom, tous les ingrédients étaient réunis pour se confronter à quelques problèmes.

(4) Il est peut-être le seul à s’être posé sur ce terrain de déroutement.

(5) Normalement les bases outre-mer fonctionnaient sur un rythme de six matinées travaillées et du dimanche chômé, avec un total d’heures de fonctionnement équivalent à celui effectué en métropole. Ce samedi 6 Mars était le premier samedi de l’application d’un régime différent : cinq matinées travaillées et le week-end chômé.

(6) Le Directeur des vols de ce convoyage était notre commandant en second d’escadre qui profitait de ce convoyage pour mettre les pieds pour la première fois en Afrique en prévision d’une éventuelle reprise des opérations africaines sous son futur commandement.

(7) On le surnommait le GRAND YAKA parce que c’était un grand chef !

(8) Il y a accident quand il y a mort d’un membre de l’équipage ou d’une personne tierce extérieure : ce n’était pas le cas ! Grave ou léger, seul le montant des dégâts causés ou subis fixe la limite entre les deux statuts : malgré le coût des équipements à renouveler (bidon, saumon et quille), le montant du préjudice fut bien inférieur à cette limite.

(9) Le jaguar avait une structure travaillante en nid d’abeille et la cellule avait une norme dans une fourchette autour du zéro.

 

NDLR ; Fifi ne s’est pas posé à THIES. Il nous raconte sa vision des choses juste après.

QUI, quand, où ?

Cette fois ça se passe au début des Jaguars et que c’est la première mission CAFI. Je ne sais plus ce que veut dire exactement CAFI, mais ça signifiait que ça se passait en Afrique et que c’était une affaire 3/11.

Il y a des têtes plus connues que d’autres.
A vous maintenant

afrique pilote de la premiere mission cafi avec le jaguar (c