Etre chasseur bombardier aujourd’hui (1983). Partie 2/2 : la mission

ETRE CHASSEUR-BOMBARDIER AUJOURD’HUI.

Par le CNE Michel CROCI, Commandant d’escadrille à l’EC 4/11, mort aux commandes de son appareil lors de l’opération MANTA , à TORODUM (TCHAD). Article publié dans Airfan n° 56 de juin 1983

Partie n°2 : la mission d’attaque au sol

BD depart en mission

Après avoir vu très rapidement comment Jean est devenu un pilote de chasseur-bombardier, nous allons le suivre pendant un vol d’entraînement. Il occupe la position de numéro 3 au sein d’une patrouille de quatre avions.  Le commandant d’escadrille prépare les heures de vol ; quatre pilotes sont désignés pour effectuer la mission. Le profil en est le suivant : décollage, trajet TBA, attaque d’une usine, montée HA suivie d’un ravitaillement, descente en TBA, un point de ” reco ” suivi d’un tir au canon, retour TBA vers le terrain et atterrissage.

Préparation : l’officier de renseignement sort les cartes à grande échelle et ” plotte ” les objectifs.

Premier point : attaque d’une usine. En fonction de la photo de l’objectif, du relief, de l’orientation et du type de construction, le leader décide d’attaquer à la roquette. Tracé de l’axe d’attaque, de l’approche jusqu’au point cabré et du trajet du point de départ vers le point d’acquisition ; le N° 2 calcule les éléments de tir ; Jean calcule le temps et le pétrole restant après l’attaque ; le N° 4 se charge des plaquettes pour le calculateur de navigation.

Tous ces éléments sont rassemblés et le leader prévoit sa montée en altitude pour rejoindre le C- 135F qui sera sur son axe, puis la descente pour son objectif de reconnaissance.

Deuxième point : reco tactique, c’est une gare. L’axe d’approche est décidé en fonction de la forme de l’objectif, du soleil et de l’axe de prise de vue de la caméra. Tracé de l’arrivée sur le point d’acquisition et vers le champ de tir ainsi que du champ de tir vers la base. Calcul du temps, du pétrole consommé, du pétrole minimum pour faire la mission, choix des déroutements éventuels. Les quatre pilotes reportent tous ces renseignements sur leur carte.

Briefing : effectué par le leader. Rappel de la configuration des avions, de l’armement emporté, de la météo sur le trajet. Enoncé du déroulement de la mission : décollage, rassemblement, type de formation, passage des lignes (position, heure).

Attaque du premier objectif. Méthode, éléments de tir, ordre d’attaque. Rassemblement de la patrouille. Ensuite la montée sous contrôle radar, la jonction avec le ravitailleur (point, heure). Rappel des consignes de RVT, du pétrole à prendre, du dégagement, la descente à vue ou sous contrôle radar, la navigation très basse altitude, le point de reco, formation, position des équipiers, renseignements à rechercher. Navigation vers le champ de tir : éléments de tir, désignation de la cible, consignes de tir. Retour au terrain, formation, break, atterrissage Les points particuliers : activité de la chasse ” ennemie ” dans les lignes (une autre patrouille de l’escadron) et conduite à tenir en cas d’interception

– les fréquences radio.

– les pannes (conduite à tenir)

– la sécurité : météo, pétrole, déroutement, etc…

” Le décollage aura lieu à 14 H 31, contact radio avant la mise en route à 14 H 15, il est maintenant 13 heures 55 minutes 4O secondes, avez-vous des questions ? … ” Pas de questions

Chacun sait ce qu’il a à faire. Il reste une dizaine de minutes pour se préparer. Pour ce vol nous monterons dans l’avion du n° 3. Après avoir revêtu le pantalon anti-g. ramassé la “doc”, signé les ordres de vol et mis le ” chapeau électrique ” sous le bras : nous voilà en piste. Prise en compte de l’avion, signature de la forme…, direction le parking. Le tour de l’avion est effectué avec le mécanicien vérification et état des roues, freins, différentes sondes, entrées d’air, volets, tuyères des moteurs et différents manomètres… tout est OK. Six échelons à monter et nous voilà dans la cabine, rangement des cartes, un coup d’œil rapide : tout est en place. Frein de parking mis, brêlage du pilote avec l’aide du mécano. Sécurités siège et cabine enlevées, le mécanicien redescend l’échelle après avoir fermé la verrière. Batterie branchée, vérification de toutes les lampes et instruments divers, ” ça baigne “. Contact radio avec le leader. C’est bon pour la mise en route. Un signe au mécano et lancement du micro turbo. Mise en route du moteur droit puis du gauche, manœuvre des volets et aérofreins (AF) ; vérification de tous les instruments. Le leader demande le roulage et les quatre avions avancent en file indienne sur le taxiway  jusqu’à l’entrée de piste.

Nous sommes ” clairs ” pour le décollage. Les avions avancent sur la piste et s’arrêtent côte à côte. Plein gaz sur signe du leader. Après quelques secondes pour vérifier les instruments moteurs, le n°1 allume les PC et lâche les freins, imité dix secondes après par le N° 2 et à son tour Jean, les deux manettes en avant, allume les PC – compte tours et températures tuyères OK – lâche les freins vingt secondes derrière le N° 1. L’avion s’élance sur la piste, contrôle de l’axe à la direction, coup d’œil au badin – 100 kt – les moteurs O.K. L’attention est partagée entre ce qui se passe dehors, le chrono et le badin pour contrôler l’accélération – 18 secondes le badin à 140 kt, c’est bon – 165 kt il tire sur le manche pour prendre 20° d’assiette, l’avion quitte le sol, train et volets rentrés, il garde la pente de montée pour ne pas gêner le n°4 par le souffle des moteurs.

La mission 1

A 1000 pieds en vol horizontal, les PC coupées à 300 kt. Le leader entame son virage; Jean coupe à l’intérieur pour venir rapidement en place… voilà. Ça y est. De front avec le n°1 a environ 1500 m ;  les n°2 et n°4 à 200 m des n°1 et n°3 et en retrait. Prise de cap de navigation en descendant vers 500 pieds et accélération à 420 kt. Le temps est correct, bonne visi et plafond vers 2000 pieds par 5/8 de cumulus avec des grains épars. Coup d’œil au chrono, à la carte, dehors… nous sommes sur le trait avec 10 secondes d’avance sur le timing. Les quatre avions sont en place et la campagne défile à environ 200 m/s. Pour l’instant, c’est calme et tout le monde regarde dehors, derrière, sur le côté, devant, c’est là que se trouve le vrai danger : un avion vu trop tardivement, un évitement impossible et cela peut être la catastrophe. L’horizon s’assombrit devant, un grain nous barre la route. Petite hésitation du leader, on distingue la ligne d’horizon derrière le rideau de pluie… ça passe. Les quatre avions s’engouffrent sous cette douche aussi sévère que rapide. Les gouttes d’eau font un bruit de tambour el puis soudain c’est fini, le ciel est dégagé devant… enfin, pour quelques minutes. En effet, là-bas c’est noir, vraiment noir, et là il n’est plus question de passer au travers, la visibilité sera pratiquement nulle. Ordre bref du leader : il décide de contourner l’obstacle par la gauche; formation en colonne pour les deux patrouilles légères, les n°2 et n°4 se sont rapprochés sensiblement simultanément accélération à 450 kt. Car ce détour va nous faire prendre du retard. Sur la droite défile un mur de pluie surmonté d’un splendide  ” cunimb ” boursouflé à souhait et bien qu’assez loin nous en ressentons les turbulences, ça ” tabasse ” pas mal. Après ce crochet sur la gauche, nous voilà revenus sur la route. Une vallée se profile à l’horizon, elle marque la frontière fictive entre forces amies et ennemies : ” les lignes “. Nous y passerons au point prévu avec 30 secondes de retard.

Simultanément dans les quatre cabines, quatre mains sélectionnent les ” bîtards ” de l’armement (fictif) et affichent les éléments de tir. Maintenant il faut en plus se garder de la chasse ennemie ; elle peut surgir à tout moment (sous la forme d’une deuxième patrouille de l’escadron décollée un peu plus tôt). Les têtes des n°2 et n°4 sont montées sur roulement à billes. Le leader fait sa navigation et regarde dans le secteur avant. Jean surveille la Nav (au cas où) et regarde devant et sur les côtés. “

Chasseurs à 10 heures menaçants à trois nautiques”. La réponse du n°1 est instantanée : “plein gaz ». Contre à gauche ! “. Les manettes en avant, pied et gauchissement à gauche, nous voilà vers 80° d’inclinaison et action sur le manche, les quatre avions virent ensemble alors que les épaules se tassent, que les mains sont lourdes sous l’accélération de 5 g qui nous plaque au siège. La patrouille effectue environ 90° de virage et nous croisons les deux ” fighters ” à 180°. Aussitôt nous repartons en virage à droite, même ordre, même motif. Nous déroulons au cap de navigation chacun reprend sa place, l’interception est finie. Les chasseurs se sont présentés un peu avant et ont été mis dans le “vent “.

En temps de paix on s’arrête là. En temps de guerre, ce serait une autre histoire…

EV 130
Enregistrement d’un tir par la caméra EV 130 de bord

Ah ! Nous ne sommes plus sur le trait. Le leader a décidé de couper un peu sur le trajet prévu pour rattraper le retard occasionné par les différentes manœuvres. Coup d’œil au pétrole restant, aux instruments moteurs : tout va bien. Le calculateur indique une distance restante de 7 nautiques sur le point initial. Encore une minute. Nous sommes revenus sur le trait. L’initial (un confluent de rivières) est là. Changement de carte, le choix des repères également. Il faut ” pinailler ” pour arriver au bon endroit pour l’attaque; plus que 30 secondes le point de cabré ( un coin de forêt ) arrive très vite. A l’imitation, les quatre avions montent; déjà le n°1 renverse à droite sur le cap d’attaque suivi des autres avions. L’objectif est là : une usine blottie entre une petite rivière et une colline. Jean amène le repère du viseur sur la grande bâtisse. Une pression du doigt, la télémétrie s’inscrit dans le viseur ; 3000 m… 2500 m… 2300 m… 2200 m… 2100 m… 2000 m… pression sur le bouton du manche qui libérerait les roquettes si… ressource (pardon pour les g), dégagement (coup d’œil au chrono, l’attaque s’est faite à l’heure prévue) et Jean coupe à l’intérieur du virage pour rassembler. ” Check pétrole “, c’est bon pour tout le monde. Maintenant nous volons vers le point de montée prévu dans le plan de vol (déjà 45 minutes de passées). Changement de fréquence radio et contact avec le radar. La couche nuageuse est maintenant uniforme, les numéros 2 et 4 sont déjà en patrouille serrée sur le 1 et 3 qui s’est mis en formation ” snake ” (30 secondes de retrait sur la patrouille guide) et la montée commence. Sans transition, nous voilà dans la purée; Jean se concentre donc sur les instruments en pilotant ” souple ” pour que le n°4 en patrouille serrée ne soit pas trop gêné. Les nuages sont si denses que l’équipier est pratiquement invisible par moment – il ” s’accroche bien “. Les nuages, toujours aussi épais, deviennent plus lumineux et en passant vers 15.000 pieds nous nous retrouvons en ciel clair. Le soleil fait mal aux yeux. Le temps d’accommoder et le ” visuel ” est pris sur le 1 et 2 qui sont 6 km devant. Nous poursuivons la montée vers 25.000 pieds et la patrouille se rassemble à l’occasion d’un virage. Manipulations du calculateur pour avoir la position du point de rendez-vous. Nous sommes sur la bonne route. Cette petite navigation en altitude permet de relaxer un peu et de faire un tour complet de toute la cabine, ranger les cartes et se préparer pour le ravitaillement. Changement de fréquence et contact avec le C-135 F qui annonce quelques cirrus sur les axes. Le point de rendez-vous approche et c’est le N° 2 qui a le visuel le premier à 15 nautiques. Nous sommes en face à face et, profitant du virage de la ” citerne”, la patrouille vient se mettre en place à droite du C – 135 F. Une fois stable au cap, le ” boomer “descend le ” panier ” alors que le n° 1 sort sa perche. Commence alors le petit ballet. Les n° 1 et 2 font le plein de carburant. Cela va être à nous – dernières vérifications – oxygène sur 100 %, visière baissée, une action sur un bouton et la perche apparaît sur l’avant-droit. Pendant ce temps, Jean doit trimer l’avion alors qu’un léger sifflement se fait entendre dû à la perche… voilà, elle est verrouillée. Le n°2 a terminé et commence à reculer, dernière touche au compensateur (« trim »), l’avion doit voler seul sans bouger. C’est à nous : translation à gauche pour se mettre dans l’axe du Boeing et légèrement dessous, l’avion stabilisé, un peu de gaz pour remonter à la hauteur du panier et commencer à avancer. Il faut aller doucement en gardant les poings de repères alignés : plus que 3 m… 2 m… 1 m…. la perche arrive au milieu du panier; il ne faut pas s’arrêter mais poursuivre au contact. Voilà : on y est; un peu plus de gaz pour bien prendre sa place, maintenant c’est du classique. Il suffit de rester en place comme en patrouille serrée. Pendant ce temps un rapide coup d’œil aux jaugeurs pour voir si le transfert de pétrole est correct et aussi un autre sur les instruments moteurs (un par un) tout en restant en bonne position par rapport au C-135 F pendant le transfert du carburant.

Le ” disconnect ” effectué, glissade sur la gauche, en rentrant la perche, puis retour en position d’attente. C’est maintenant le n°4 qui prend son pétrole. Pendant ce temps, le leader négocie avec le radar une descente directe ” à vue “, la météo étant maintenant excellente le contrôle militaire dans le secteur. Transfert terminé. Le n°4 reprend sa place dans l’échelon et toute la patrouille se laisse reculer. Puis sur l’ordre du leader, c’est la descente vers le sol en reprenant la formation de navigation. Nous revoilà en très basse altitude avalant collines et vallées. Contrôle de la navigation, surveillance du ciel, vérification de la consommation du carburant et du bon fonctionnement des instruments sont les occupations permanentes de chaque pilote – deux points noirs devant… et une fraction de seconde plus tard ils sont derrière; il y a des oiseaux dans le secteur. Heureusement qu’ils arrivent à nous éviter (pas toujours malheureusement) en repliant les ailes et en se laissant tomber vers un ” niveau de vol inférieur “. Plus que quelques minutes avant d’entrer sur la carte du point reco; mémorisation rapide de l’approche, des renseignements à rechercher; etc… Nous repassons les lignes par une autre ” porte” (définie au briefing). Tout le monde vérifie la caméra branchée et effectue un dernier essai. ” Deux chasseurs à 06 h sur la patrouille de gauche, un nautique “; aussitôt la patrouille de gauche (nous) est partie en break à gauche, PC allumées, 6 g à ” la pendule ” alors que la patrouille de droite (1+2) essaye de ” contrer ” l’assaillant. Trop tard : à priori le n°4 a été ” shooté ” par les chasseurs qui dégagent maintenant par la droite. Reprise de la formation initiale (en attendant la confirmation du tir du n°4 au débriefing ) et le leader ” pédale ” très vite pour rejoindre le point d’acquisition reco qui est tout près maintenant… le voilà : le carrefour des voies ferrées. Les quatre avions évoluent rapidement pour prendre la place qui permettra de voir et filmer.

La mission 2

Verticale – Top chrono. Les secondes s’égrènent rapidement : 20 secondes… 30 secondes… vu la gare. Une pression du doigt et la caméra ronronne et enregistre cliché sur cliché. Un bâtiment en dur (la gare), deux quais dont un couvert, un train de marchandise à l’arrêt (environ dix wagons de matériel agricole) sur la voie nord. Un locotracteur diesel roule sur l’autre voie… plus rien, c’est passé. Un retour en arrière de quelques secondes pour sonder la mémoire et refaire un inventaire ; quelques notes gribouillées à la hâte et l’on reprend la Nav vers le champ de tir. Contact radio avec l’officier de tir. Nous pouvons nous reporter au point d’entrée et Jean prend un léger retrait par rapport à la première patrouille. Point d’entrée, accélération à 500 kt et réglage de l’avion, bille au milieu, le champ de tir est en vue ; sélection des canons, dernière vérification de la hausse affichée. Le 1 et le 2 cabrent; deux secondes derrière c’est à nous, 20° de cabré, 1500 pieds sol, passage trois-quarts dos pour redescendre le nez rapidement sur la cible, branchement de la sécurité de tir en annonçant le ” in “, les ailes horizontales, le repère au pied de la cible, télémétrie laser, la distance restante défile dans le viseur. Un coup d’œil au badin; 480 kt en accélération, la bille – 1500 m – le réticule est sur la cible, 10° de piqué, 1200 m, 500 kt… 1000 m. L’index écrase la détente. Roulement de tambour assourdi des canons avec de légères vibrations alors que surgit devant l’avion une grappe d’obus matérialisés par quelques traçants qui fondent sur la cible; une demie seconde de feu et l’index relâche la détente, simultanément c’est la ressource en affichant plein gaz. Le nez passe au-dessus de l’horizon et Jean maintient la cadence (5g) en virant à gauche alors qu’à droite fuse un obus traçant qui vient de ricocher. N°3, ” out ” ! Après 90° de virage, nous voilà les ailes horizontales avec le n°1 et le n°2 devant alors que le n°4 annonce son ” out ” et le visuel sur l’ensemble de la patrouille. Le leader entame une baïonnette pour faciliter le rassemblement alors que l’officier de tir annonce les résultats (nous venons de tirer sur une cible acoustique à restitution instantanée). Les résultats sont très satisfaisants ; chaque pilote ayant tiré environ une vingtaine d’obus. Patrouille rassemblée, dernier check pétrole effectué, nous mettons le cap sur le terrain. Avec l’autorisation de la tour de contrôle, nous pénétrons dans le circuit pour nous présenter au break en échelon refusé à droite à 1500 pieds 350 kt. A l’entrée de la bande, le leader part en virage à gauche suivi de 5 en 5 secondes par les autres avions. Sortie des A.F, au départ  du break pour réduire la vitesse et les quatre avions se retrouvent alignés en vent arrière à 200 kt, 20° de volets sortis. Manœuvre du train, vérification du verrouillage – trois verts – 40° de volets et Jean part en dernier virage derrière le n°2. Virage en descente à une incidence de 10°. L’incidence mètre, placé sur le montant du pare-brise est dans le champ visuel en regardant normalement devant soi.

Aligné avec la piste, il déroule le virage en visant l’entrée de piste – 300 pieds à la radiosonde – un peu de gaz pour se rallonger un peu. Nous voilà sur la POR, incidence à 12° jusqu’au toucher des roues. Les manettes dans la poche et nez haut pour freiner aérodynamiquement.  A 100 kt il accompagne la roulette de nez au sol, dirigibilité enclenchée. Pression sur le frein, virage à gauche. La piste est claire : nous venons de faire 2h 30 de vol. Retour au parking aux ordres du mécanicien. Aérofreins sortis, Jean coupe les moteurs après avoir tout débranché dans la cabine. Jean ouvre la verrière pour retrouver un petit vent frais du nord-ouest alors que le mécanicien monte à l’échelle. Celui-ci tend la sécurité siège et s’inquiète aussitôt de son avion :

” Est-ce qu’il est bon ? “

– Affirmatif ! Merci.

Quelques mots, un regard suffit pour parler le même langage et partager la même foi.

Alors que les photographes sont déjà au travail afin d’extraire les films des magasins, toutes les sécurités en place, nous pouvons déboucler les harnais et sortir de l’avion. Contact avec le sol et retour à la mécanique pour remplir la forme : RAS. Nous voilà revenus à l’escadron. Juste le temps de poser les équipements de vol et nous retrouvons nos quatre pilotes réunis pour débriefer la mission. La parole est au leader : il reprend tout depuis le début. Ce qui est bon est vite écluse pour s’appesantir sur les points faibles de la mission et en effectuer la critique constructive. Les films sont maintenant développés : le 1 et le 2 commencent par le film OMERA 40 de la gare; quant à nous, nous allons avec le quatrième visionner la cinémitrailleuse. Le premier objectif apparaît sur le film rayé par l’épée du viseur alors que la distance est marquée en bas de l’image. Les visées sont bonnes mais le n°4, un peu près du n°3, et gêné par le souffle pour stabiliser la visée. Pour le tir, les visées sont bonnes et les résultats sont là pour le prouver. Nous passons ensuite à l’OM 40. L’officier de renseignement a déjà chargé les films sur la visionneuse : déroulement des deux films en simultané; apparaissent les premières vues d’essai, puis des champs, un bout de voie ferrée… voilà, la gare est là ! Encore deux vues et tout l’objectif apparaît sur les clichés. Trois paires d’yeux scrutent les films : un, deux… dix, onze wagons. C’est bien des tracteurs et moissonneuses. Le diesel sur l’autre voie. Tiens, trois bonhommes qui travaillent sur les rails et là, sur le quai, le chef de gare la tête en l’air (qui sait ce qu’il pensait à ce moment !)… et aussi un petit bout de voie de garage avec deux wagons citernes à moitié dissimulés par les arbres. Il reste au leader à faire le débriefing sur le cahier d’ordres et aux pilotes à contresigner, à remplir les fiches de restitution du tir et des caméras… et aussi à débriefer les deux interceptions avec les ” chasseurs ” (qui est ” tiré ” qui a tiré). Cette discussion fortement gestuelle étant difficilement traduisible, nous laisserons là nos protagonistes après avoir passé quelque quatre heures en leur compagnie (briefing, vol, débriefing). C’était une mission comme une autre dans la vie d’un pilote de chasseur-bombardier.

Être chasseur bombardier aujourd’hui (1983). Partie 1/2 : le pilote

Être chasseur bombardier aujourd’hui (1983) : Partie 1/2 : le pilote

Cet article que je vous propose en deux parties a été écrit par le Capitaine Michel CROCI dont nous avons récemment commémoré l’anniversaire de sa mort, survenue aux commandes de son JAGUAR lors d’une mission dans la région de Torodum au Tchad. Ce même article a été publié dans le numéro 56 d’AIRFAN en Juin 1983 et repris dans la plaquette éditée pour célébrer les 20 ans du JAGUAR. J’en profite pour remercier Patrick MORVAN qui a eu la gentillesse de scanner la plaquette et de me la faire parvenir.

Michel CROCI évoque la vie d’un pilote de chasse “bombe” (comme disent nos amis Belges) ; il faut prendre en compte que ça a été écrit il y a maintenant 30 ans, que les choses ont changé, mais que pour moi les fondamentaux sont toujours les mêmes. Pour les anciens, l’article vous rappellera bien des choses et pour les plus jeunes vous pourrez comparez avec ce qui se fait aujourd’hui. Bonne lecture.

JAG vue cockpit
Pilote de chasse sur JAGUAR

Le paysage défile très vite à 25O m/seconde et à environ 200 pieds d’altitude. Les détails s’estompent : une route, une rivière, un coin de forêt … à peine entrevu le repère est déjà dépassé. Il faut regarder partout : devant, derrière, sur les côtés, en bas, en haut car la chasse ennemie est active dans le secteur sans compter tous les missiles sol/air et la DCA légère équipant les troupes au sol.

Le chronomètre défile : 3O secondes… 2O secondes… voilà le point de repère choisi lors de la préparation de la mission. Top verticale. Maintenant il faut tenir le cap. Encore une colline à passer et apparaît, là-bas au fond de la vallée, une usine. L’objectif qu’il faut détruire. Encore quelques secondes pendant lesquelles les pilotes stabilisent l’épée  (repère du viseur) sur l’objectif. Dès le tir effectué, libérés de leur charge, les post combustion allumées, les avions basculent et rejoignent très vite la proximité du sol alors que se déchaîne toute l’artillerie sol/air des environs. Tout est réflexe, instinctif, chaque fraction de seconde compte. Il n’est plus question de regarder dans la cabine pour voir si ” la bille est au milieu “. Tout ce qui a été acquis à l’entraînement, parfois pendant des heures, va décider ici, en un instant de la réussite ou de l’échec de la mission. Utopie !  Non, simplement une possibilité mais peut-être que dans la réalité cela ne sera pas aussi facile et tous les pilotes de chasseur-bombardier en sont parfaitement conscients. Aussi l’entraînement n’est-il pas un vain mot, tous s’y adonnent avec ferveur et n’espèrent qu’une seule chose: être à la hauteur mais ne pas avoir à le démontrer. Au fait, quel est le travail d’un pilote de chasseur bombardier ? Que fait-il donc cet inconnu pendant toute sa carrière, comment est-il fait et où peut-on le trouver ? Vous en avez sûrement croisé dans la rue, mais vous ne l’avez pas reconnu parce que finalement c’est un homme comme tout le monde qui aime son métier, y sacrifie beaucoup de choses et de temps mais ne voudrait pour rien au monde en changer. Prenons un jeune pilote sortant d’école et arrivant dans un escadron de chasse pour la première fois. Appelons-le : Jean. Il vient de passer un bon nombre de mois pour emmagasiner le contenu de nombreux bouquins et effectuer environ 3OO heures de vol. Il a appris à piloter un avion sans avoir ” le nez dans la cabine “, faire un peu de voltige, poser un avion de nuit, voler aux instruments dans les nuages (VSV), tenir sa place en patrouille serrée, naviguer en haute altitude (HA) et en très basse altitude (TBA). Il a également touché du doigt la formation de combat et fait ” parler la poudre ” en Air/Air et Air/Sol. Maintenant notre ami Jean connaît aussi son avion d’armes (tout au moins en théorie) puisque la transformation initiale se fait dans un escadron spécialisé.

Un beau matin, l’allure fière et avantageuse, coupe de cheveux réglementaire et en grand uniforme, notre jeune premier débarque dans SON ESCADRON. Au secrétariat, il dépose ses pièces matricules et demande à être reçu par le commandant, un peu surpris malgré tout par les bribes de conversation qu’il peut entendre çà et là et qui tendraient à prouver que le chef serait plutôt “vache “, son second ” pas terrible “, la mécanique “peu sûre ” et que l’escadron tiendrait ses traditions d’un établissement réputé de Cayenne et non des Glorieux Anciens qui firent la Grande Guerre. Jean commence à se poser des questions : tout ce qu’il peut entendre ” par hasard ” le laisse très perplexe. Le chef étant très occupé, il a le temps de méditer. Enfin, il est introduit dans le sanctuaire: présentation réglementaire, un mot de bienvenue du patron qui lui pose une ou deux questions anodines :

– Faites -vous de la planche à voile ?

– Oui, mon Commandant.

– C’est pour cela que vous avez demandé à être muté dans MON ESCADRON ?

AIREX 1984
Accueil qui pouvait être réservé aux jeunes pilotes arrivant en escadron. On est en plein exercice à Toul au début du printemps.

– Euh … ben, non… mon Commandant.

Et la machine est lancée. Notre homme si fier tout à l’heure courbe l’échiné sous la vindicte supérieurement hiérarchique et se voit accablé de tous les maux de la terre et du ciel.

Il se retrouve dans le couloir ne sachant plus que penser. Joie ! Voilà un pilote sympa, vieux militaire qui se propose de lui faire l’honneur de cette p…. de boîte où l’on ne sait pas rire (ça, il s’en est aperçu !) et où l’on est plus souvent en déplacement ou de service qu’à la maison (grimace de la fiancée). Jean croise des gens ” très occupés “au regard condescendant, soupçonneux, voire un peu louche. Voilà même un soldat du contingent, râleur à souhait et un vieil adjudant-chef mécano qui refuse de dépanner un avion parce que les pilotes ne veulent pas l’aider à ” tomber ” un réacteur. Où va-t-on ? Là, le doute s’insinue dans l’esprit de notre jeune chevalier du ciel. Et si tout était faux. Oui bien sûr… Tout ou seulement un peu… Cruel dilemme qui restera ancré dans sa tête toute la journée. Ce lieutenant affable est-il ainsi d’ordinaire ? Ce commandant d’escadrille que tout le monde a l’air de détester, est-ce la vérité ? La visite faite dans les différents services de la mécanique n’apaisera pas ses tourments, au contraire. En prime, il se retrouve avec une chaussure peinte en rouge. Mais où est-ce arrivé ? Et cette poudre dans la casquette qui le blanchit généreusement lorsqu’il la met sur sa tête pour aller au bureau du colonel à qui il doit être présenté ? Même, et surtout, autour du pot de bienvenue traditionnel qui lui est offert après la fin du travail, Jean ne sait plus du tout s’il a envie d’être là,  d’être pilote ou garde barrière… qu’a-t-il fait pour mériter cela ?

cropped-Jaguar-neige-.jpg
Photo d’époque. Le A82 a moins de 50 heures de vol !

Après une nuit plus ou moins agitée, la deuxième journée commence plutôt mal. En effet, le soldat d’hier est maintenant lieutenant, le commandant est adjudant-chef mécano, le ” vieux mécano ” est commandant… Mais non, il ne rêve pas, tout le monde a le sourire et même le fou-rire avec la tête qu’il doit faire en ce moment. C’est mieux ainsi, tout est à sa place maintenant, le vrai travail peut commencer. Jean entre aussitôt en phase d’instruction (encore) et il va entamer sa progression de pilote de combat. Le pilotage pur, le vol sans visibilité, le vol de nuit sont maintenant des choses acquises qui se développeront et s’entretiendront au cours de tous ses vols à venir. L’aboutissement, le but de tout cet entraînement sera d’aller délivrer un armement donné sur un objectif donné avec le maximum de réussite et dans les meilleures conditions possibles. C’est là la finalité de toutes les missions d’assaut. Après un ou deux vols pour se familiariser avec son terrain et ceux des environs où il peut être dérouté en cas d’aggravation de la météo, il se retrouve très vite dans le vif du sujet. Il faut maintenant naviguer en très basse altitude ou en profil ” haut-bas-haut ” (HBH), à une altitude de 500 pieds (150 m) et une vitesse d’environ 400 kt (720 km/h ou 200 m/s) avec des repères de plus en plus petits. Il doit rester au plus près du trajet tracé sur la carte et respecter son ” timing ” à plus ou moins 10 secondes (minutage de la navigation). Les agglomérations, aéro-clubs, zones d’aérodromes, élevages divers, zones réglementées, interdites, dangereuses… sont autant de pièges qu’il faut éviter.

DIA-28-04-68-05
Le ravitaillement en vol : un exercice toujours délicat et jamais gagné d’avance.

La sécurité doit être en permanence un de ses soucis majeurs. C’est regarder continuellement dehors pour éviter une collision possible avec un autre aéronef; savoir faire demi-tour à temps quand la météo se dégrade; savoir résorber une panne mécanique en vol ou tout au moins adopter les bonnes mesures pour se poser en toute sécurité. Pour cela, il ne volera jamais seul pendant cette période. Il aura toujours ” sur le dos ” un leader qui contrôlera son travail en vol, lui annoncera des pannes fictives pour lui apprendre à bien réagir, le déroutera volontairement de son trajet pour lui  apprendre à naviguer en impromptu, sans préparation. Toujours accompagné, il va commencer l’apprentissage de l’attaque au sol. Cela commence par le tableau noir, puis sur une carte par le choix du meilleur axe d’attaque en fonction de l’objectif (pont, tunnel, gare, usine, écluse, aérodrome, etc…), du relief, du soleil, des points caractéristiques au sol et évidemment en fonction de l’armement (canon, roquette, bombe lisse ou freinée). Il faut aussi calculer les éléments de tir : vitesse, angle de piqué, distance de tir, hausse, éléments pour le calculateur de tir. En un mot : il apprend la mise en œuvre du système d’armes de son avion au sol et en vol. Toutes ses attaques seront enregistrées par la caméra de restitution qui filme au travers du viseur; le film sera visionné et ” débriefé ” avec le leader au retour de chaque mission. Notre jeune pilote apprend donc à se servir de son avion comme il doit être utilisé : UN VECTEUR POUR DÉLIVRER UN ARMEMENT SUR UN OBJECTIF. Il doit pouvoir analyser correctement les pannes mécaniques en vol, adopter les mesures prévues et au retour du vol, restituer ses ennuis à ” la Mécanique ” qui se chargera du dépannage. Parallèlement à toutes ces missions, il effectue des vols en équipier où on lui demandera seulement de tenir sa place, de ” mordre le coussin ” que ce soit en manœuvre basse altitude, en poursuite ou en mission de combat en moyenne altitude. Il va apprendre (encore et toujours) à connaître les marges de manœuvre de son avion et les limites à ne pas dépasser, soit en monoplace, soit en biplace, avec un ancien en place arrière. En solo, il effectuera seulement deux types de mission : la voltige et des vols d’entraînement au VSV (Vol Sans Visibilité). Il faut ajouter à tout- cela, le tir Air/Sol au canon, à la bombe et à la roquette. Les premières missions seront du tir fictif et après restitution des films pour contrôler la présentation sur les cibles, Jean va commencer le tir de munitions d’exercices (inertes) sur l’un des champs de tir réservés à cet effet. Chaque pilote fera régulièrement des tirs pendant toute sa carrière. Périodiquement, il fera une campagne de tir Air/Air. A cette occasion, tout l’escadron se déplace vers Cazaux ; la mission unique pendant cette période sera le tir. Notre pilote va donc se retrouver sur cette base qu’il connaît déjà pour y avoir séjourné au cours de sa progression. Il va effectuer du tir Air/Air sur panneau en ligne droite (la restitution se faisant au sol en comptant les trous faits par les obus colorés armant les avions) et sur cible acoustique (restitution instantanée) en virage d’abord et, plus tard, évolutive. A la fin de cette phase d’instruction, Jean va se voir décerner la licence de Pilote de combat opérationnel (PCO) après plusieurs tests en vol et au sol. Il est maintenant apte à effectuer, seul, la mission de son escadron : l’assaut conventionnel. Il va pouvoir faire des vols en solo : c’est un moment qui compte, surtout le premier vol où l’on part pour une ” Nav TBA “, un tir au sol ou même un ravitaillement en vol sans avoir un ancien derrière pour ” chouffer “. Oui, le ravitaillement en vol ; c’est en effet à ce moment-là que s’effectue la transformation à cette nouvelle technique. C’est là une discipline inconnue de Jean, sauf par ouï-dire auprès des anciens. Il va s’apercevoir que si la technique vient très vite et si le ravitaillement en vol est relativement aisé par beau temps, ce n’est jamais gagné d’avance. Il faut à chaque fois en être conscient, sous peine de faire une ” fausse-queue ” – et ce n’est là qu’un moindre mal -… mais qui n’en a pas fait ?!

Il faut vaincre l’appréhension du contact en vol de deux avions par le panier et la perche interposés. C’est le premier contact qui  au départ, rend nerveux et fait crisper la main sur le manche, ce qui entraîne automatiquement des corrections aux commandes trop fortes alors qu’il faut agir en permanence avec souplesse pour pouvoir contrôler la trajectoire de son avion… au centimètre près. Pas d’innovation ; il n’y a qu’une méthode (elle marche bien) et il faut savoir y revenir si l’on s’en écarte; en un mot: Jean doit, ici comme en toutes circonstances, agir avec rigueur et se ” botter les fesses ” pour ” enquiller ” dans de bonnes conditions. A sa première mission, en vingt minutes derrière le C-135 F, il a fait de nombreux contacts (et de bons) et revient tout guilleret à l’escadron, conscient de son exploit (il n’a pas vu le petit sourire amusé du moniteur). Aussi à sa deuxième mission il part tout confiant. En 20 minutes cette fois, il a réussi à faire péniblement un contact et un certain nombre de ” fausse-queues “. Le retour est moins triomphant, pourtant il s’est donné du mal; il suffit de voir les traces de sueur qui maculent encore son visage et ses traits tirés par la tension nerveuse pour le comprendre. Heureusement, son moniteur (le brave) va lui expliquer tout cela au débriefing, ce sera très court : c’est normal, tout le monde y est passé et pour tous il y a une mission où ” ça ne marche pas ” (généralement après une bonne). En effet, méthodique et rigoureux notre ami termine sa transformation sans problème. Tantôt en équipier tantôt en solo ou en numéro 1 d’une patrouille de deux avions, il va mûrir et participer à toutes les missions de l’escadron et acquérir une expérience indispensable pour la suite de sa progression. Après cette période de “vieillissement “, il va se retrouver une fois de plus sur le ” banc de l’école “. Maintenant il lui faut apprendre à s’occuper d’un équipier, à conduire une patrouille de deux avions en assaut alors que la difficulté de ses objectifs à traiter augmente. En même temps, il va découvrir d’autres disciplines qu’il n’avait fait qu’effleurer en tant qu’équipier. Jean va toucher un peu à tout : interception en très basse altitude d’un raid, à l’aide du calculateur ou sur une simple information de cap à un point de passage  (figurant un guet à vue) et aussi un peu avec ” son nez “, interception avec combat en moyenne altitude où il va pouvoir ” remuer ” son avion. Ce sera également l’appui-feu en coopération avec l’armée de terre, c’est-à-dire l’attaque d’objectifs au sol (véhicules, troupes, matériel militaire…) aux ordres d’un spécialiste, lui-même sur le terrain, qui va lui désigner le but à traiter. Là encore, deux méthodes : soit classique, c’est l’officier de guidage terre l’OGT qui construit l’attaque; Jean ” plotte ” l’objectif sur sa carte à grande échelle (et découvre comment on pilote en tenant le manche entre ses genoux) et suit les indications données pour se présenter au point de cabré. Soit à l’aide du calculateur de navigation pour arriver au même point, mais cette fois-ci en se débrouillant seul pour arriver au bon endroit.

A54 à Toul
JAGUAR au décollage en configuration 6J (2 bidons) avec mission de tir air / sol.

Dans les deux cas, il est ” pris à vue ” par l’OGT pour l’ultime guidage en finale pour ” détruire ” le camion au coin du bois. Facile ! Un rapide calcul permet de lever le doute. Prenons par exemple une passe canon où la distance de tir est la plus courte (1000 mètres) : au point haut de son cabré Jean dispose – à une vitesse moyenne de 200 m/s – d’une douzaine de secondes pour découvrir l’objectif, l’identifier, stabiliser sa visée et tirer, douze petites secondes, c’est tout. De plus, essayez de vous représenter la taille d’un camion vu à 3000 mètres… C’est déjà beaucoup moins évident. Nouvelle discipline également : la reconnaissance tactique. Jean participe à une recherche plus concrète du renseignement à l’aide de la caméra panoramique de bord (OMERA 40) et aussi ” à la vue “, les deux méthodes étant intimement liées. Le renseignement est primordial et fait partie intégrante de toutes les missions. Il apprend où et quoi regarder, à se servir de sa caméra et surtout à restituer au retour de mission tout ce qu’il a vu avant d’exploiter son film avec le concours de l’officier de renseignement (OR). On lui demande donc d’être un spécialiste en attaque au sol mais aussi de savoir-faire du combat (pour éventuellement se défendre), de rechercher le renseignement en ayant avec lui un équipier. Il devient responsable de la patrouille, c’est à lui qu’incombent toutes les décisions en particulier sur le déroutement du vol en fonction des ordres de départ, de la météo rencontrée en vol, des pannes éventuelles pouvant affecter l’un des avions et des règlements du temps de paix qui lui imposent un cadre qu’il ne peut pas franchir. Il doit en permanence concilier sécurité et efficacité… et le choix n’est pas toujours simple. Tout ceci sera sanctionné par la licence de sous-chef de patrouille.

La suite est simple : c’est l’entraînement et le perfectionnement dans toutes les disciplines à son profit et une chose nouvelle, l’instruction des jeunes pilotes. Il va devoir restituer de son mieux au jeune PIM qui est avec lui (et qu’il a été, s’en souvient-il ! ! ) tout ce qu’il a appris, toute son expérience et son savoir. En plus, durant toute sa carrière, son menu quotidien est fait d’instruction au sol : briefing sur une partie de l’avion, sur la sécurité des vols, la “récognition ” (avions et matériels au sol), la réglementation aérienne, la circulation aérienne, etc…, l’activité aérienne (avec préparation, briefing, vol, débriefing) et aussi de travail plus terre-à-terre. Chaque pilote a une tâche annexe comme officier de tir, mise à jour de la documentation opérationnelle, des cartes de navigation, etc… Le sport aussi fait partie de la vie d’un pilote et il le pratiquera pour son hygiène personnelle mais aussi pour conserver la forme. Ce n’est pas une vue de l’esprit mais bien une nécessité. La fatigue due aux vols est de deux sortes :

– physique bien sûr, car les ” g ” sont vite pris et s’ils sont encaissés sans broncher il y a fatigue musculaire ;

Décollage pour une mission de tir réel
Décollage pour une mission de tir réel

– nerveuse et c’est certainement la plus insidieuse ; pour une mission ” pointue “, la tension nerveuse est présente durant tout le vol et si un pilote se relaxe un peu après un vol, vous pouvez être certain que ce n’est pas par fainéantise. Certaines missions sont plus fatigantes aussi du fait de l’équipement particulier ; comme ces combinaisons étanches pour le survol maritime qui sont des petits saunas individuels et portatifs. Bien sûr, Jean a aussi des examens au sol à préparer qui portent sur la météo, la circulation aérienne, la guerre électronique, le NBC, l’appui-feu et aussi la connaissance de la langue anglaise. Notre pilote a donc de quoi s’occuper, sans oublier les vols de nuit (très tardifs à la belle saison), les manœuvres nationales qui demandent une très grande disponibilité, les manœuvres et exercices particuliers en coopération avec l’Armée de Terre ou la Marine et même avec les armées de l’air étrangères, la pratique régulière du simulateur de vols et les exigences du métier de militaire (tours de service, permanence…) : voilà de quoi varier le menu et agrémenter quelques soirées et week-end. Après avoir bien ” vieilli “, il se retrouve une fois de plus sur le ” banc de l’école ” pour la qualification supérieure. Pour cela il aura la responsabilité d’une patrouille de quatre avions et son entraînement portera sur toutes les disciplines déjà citées ; le cadre des missions sera beaucoup plus complexe. Il devra faire la preuve de sa compétence et de son efficacité, de son esprit de jugement et de décision. La sanction en sera l’attribution de la licence de chef de patrouille. Pendant toute sa carrière, le pilote de chasse est un ” potache “. Il a toujours quelque chose à apprendre et chaque mission est une remise en cause de son savoir, de son expérience. Aucun pilote n’est à l’abri de se ” bâcher ” au cours d’un vol. Maintenant Jean est un ” vieux briscard ” et son expérience sera précieuse au sein de l’escadron. Ce petit tour d’horizon sans prétention serait totalement incomplet si nous ne parlions pas d’une race obscure, travaillant sans compter les heures pour ” sortir ” les avions nécessaires à l’accomplissement des vols, je veux parler de ” la Mécanique ” avec un grand ” M “. Sous le terme de ” la Mécanique ” sont regroupés tous les spécialistes indispensables pour la mise en œuvre, le dépannage et l’entretien des avions. La complexité des avions modernes a nécessité ce cloisonnage en spécialités. En effet cette machine que l’on peut voir sur le parking où en vol renferme dans ses flancs le dernier cri de la technologie que ce soit en électronique, en motorisation (le réacteur est très simple de par son principe mais très élaboré dans sa conception mécanique), en mécanique (commande de vol, train, volets), en équipements de survie (siège éjectable, parachute). C’est pourquoi, sous les ordres d’un officier et de son adjoint, la mécanique se compose d’un certain nombre de ” services ” : piste (mise en œuvre des avions), système de navigation armement SNA (électronique), électricité, sécurité sauvetage, armement, etc… Chacun dans sa spécialité reçoit une formation très poussée et continue. Le travail peut se résumer en trois expressions : mise en œuvre des avions, dépannage et entretien. La mise en œuvre consiste en la vérification du bon fonctionnement des différents systèmes de l’avion, le remplissage des différents réservoirs (kérosène, huile moteur, hydraulique) et le chargement des avions (montage et démontage des pylônes, bidons supplémentaires, lances roquettes, armement des canons, etc…). Dès le retour au parking, ces mêmes spécialistes vérifieront l’avion même si le pilote n’a signalé aucune panne, avant de le passer ” dispo ” pour le vol suivant. Si une panne est signalée au retour de mission, le dépannage est aussitôt entrepris. Cela commence par une discussion avec le pilote pour essayer de cerner au plus près l’organe défectueux (symptôme, action du pilote et résultats) ; la pièce ou l’appareil incriminé est démonté et changé puis son fonctionnement vérifié selon des procédures bien établies. Rien n’est laissé au hasard. Un écrou mal serré, une vis oubliée dans l’avion peuvent être à l’origine d’une catastrophe.

C’est un travail qui demande compétence, rigueur et méthode. Un dépannage peut durer de quelques minutes à plusieurs jours. Si l’avion fait défaut, le travail sera poursuivi quel que soit l’heure de la journée et parfois de la nuit. De même la mise en œuvre des avions sera faite quel que soit le temps : froid, pluie, glace, soleil n’arrêtent pas pour autant le travail. L’entretien des avions comporte la révision systématique des différents organes.

Les heures de vol de chaque avion sont comptées et périodiquement toutes les 25 heures, 50 heures… de vol des vérifications sont faites suivant un programme bien défini. Certaines pièces sont changées à priori en fonction de leur vieillissement. Plus les avions accumulent les heures de vol et plus les visites seront approfondies, d’où la nécessité d’établir un calendrier pour échelonner et le travail des mécaniciens et la ” dispo max ” de la flotte aérienne. Bien évidemment, le mécanicien n’échappe pas aux impératifs militaires : lui aussi prendra les mêmes tours de service que le fourrier ou le secrétaire. Comme l’a dit un officier mécanicien pour un reportage effectué par FR3 : ” chacun dans sa spécialité est fier d’effectuer le travail qui lui incombe “. J’ajouterai que lorsque le pilote part en vol, il ne se pose pas de question sur la qualité du travail effectué par sa Mécanique : il lui fait totalement confiance.

Fin de la première partie

Mort du capitaine CROCI ; 30 ans déjà

 

Cne Croci (EC4.11)
Capitaine Michel CROCI

Il y a 30 ans le Tchad vivait une époque agitée qui avait amené le déclenchement de l’opération MANTA à l’été 1983. Dans le cadre de sa mission, la 11 ème escadre de Chasse avait assuré les détachements de 4 Jaguar à N’Djamena ; le 4/11 qui était parti sur alerte au mois d’Aout, le 3/11 avec le CDT Durand puis moi avec le 2/11. La relève avec le Detam de CROCI s’était effectuée entre Noël et nouvel an. La situation sur le terrain était tendue, mais mis à part les inévitables montées en puissance avec montage d’armement qui ne s’étaient pas concrétisées, le détachement avait été pénible à cause notamment des conditions d’hébergement et de vie, mais relativement calme sur le plan des opérations. Par contre, il s’était passé beaucoup de choses sur la base aérienne et je serai peut être amené à vous en reparler.
Je connaissais assez peu Michel Croci, mais lors des quelques jours que nous avions passés ensemble, j’avais été frappé par la tranquillité qu’il dégageait et l’adhésion qu’il avait de ses troupes ; signes d’une grande expérience professionnelle et de grandes qualités humaines. Le capitaine Michel Croci était unanimement apprécié et reconnu pour ses qualités de pilote et de chef. C’est donc l’esprit tranquille que je lui laissais les commandes du détachement le 30 Décembre.

Je vous propose ci-après le témoignage du Cne Kerfrieden qui aurait du effectuer la mission au cours de laquelle Michel Croci a trouvé la mort.

OPERATION MANTA

Par le CDT Kerfriden, à l’époque pilote de l’EC 4/11 “JURA”, par la suite commandant d’escadrille de l’EC 2/11 “VOSGES.

25 janvier 1984 en fin d’après-midi. Les personnels des escadrons en détachement à N’DJAMENA attendent sur le parking le retour des avions partis une heure plus tôt avec le fameux” BINGO VERT “, version française du ” Licence to kill “.

Cela fait bientôt un mois que les escadrons 2/12 et 4/11 vivent ensemble et des liens d’amitié se sont tissés fondés sur 1′ estime mutuelle et la reconnaissance des compétences de chacun. Aux chasseurs purs la maîtrise du ciel, la gloire et les longues attentes avant un décollage sur alerte. Aux pilotes des JAGUAR le sentiment d’être déjà de vieux africains rompus aux techniques de la navigation en très basse altitude !

Le JAGUAR est un véritable mythe et son évocation vous ouvre bien des portes en Afrique. A chacun son métier cependant et il faut reconnaitre qu’au-delà des quolibets traditionnels, 1′ ambiance est excellente.

Pourtant, en cette fin d’après-midi voilé déjà par le vent de sable qui s’est levé, une angoisse sourde rampe sur les parkings et étreint les cœurs car on sait déjà qu’un pilote ne reviendra pas. Chacun y va de son hypothèse. Les 2 MIRAGE FI se présentent en longue finale. L’un est touché et a perdu son carburant. Un JAGUAR se présente seul au break…

L’instant est lourd d’émotion.

Pour la première fois peut-être, j’ai peur de faire ce métier que j’ai choisi. Avec mon équipier, le Lieutenant Michel PRUNA, nous avions préparé notre mission quelques heures plus tôt. L’objectif : un commando du GUNT dans la région de TORODOUM.

Nous connaissons la région, plate, blanche, ourlée de dunes au nord que 1’on aperçoit toujours trop tard en basse altitude et ponctuée çà et là par de maigres îlots de verdure. C’est là qu’il faudra tirer nos OPIT (obus perforants, incendiaires et traçants). Mais qu’il y a loin de 1′ entraînement à CAPTIEUX à cette mission dans une région hostile. Le briefing s’est résumé à sa plus simple expression : la sécurité et le pétrole, car nous nous connaissons parfaitement et nous avons volé maintes fois dans la même patrouille. La confiance est totale et je suis très fier d’avoir Michel PRUNA comme équipier. Nous avons le même âge mais il fait déjà preuve d’une belle maturité et d’une motivation sans faille pour le vol. Il est promis à un bel avenir. Malheureusement, le destin en décidera autrement quand plus tard, son JAGUAR percutera un F16 dans les environs de Florennes.

Aujourd’hui il est très excité et tendu. Il réajuste en permanence son pantalon anti-G, compte les cartouches de son PA MAC 50, tourne autour de la table. L’angoisse est palpable. N’ a-t’ on pas aperçu du SA 7, du ZSU 23/4 peut-être…

1 Dans quelques instants, nos JAGUAR donneront la mort. Nous nous y sommes préparés de longue date. Pourtant la peur atroce nous colle à la peau.

” Tu feras la prochaine, il y a du SA 7 !… “.

Le Capitaine CROCI est entré dans la salle d’opération avec les dernières consignes du COMELEF. Je suis soulagé et déçu, mais notre commandant d’escadrille est un pilote chevronné et la peur n’a pas de prise sur lui.

Il ne reviendra pas. Son JAGUAR a explosé en percutant le sol.

Une cérémonie à sa mémoire est organisée le 29 Janvier sur la base aérienne de Bordeaux.

Tiré du livre référence d’Alain Vezin “JAGUAR”, ( http://aerostories.org/~aerobiblio/article1993.html)  je vous propose un extrait retraçant sa carrière.

Michel CROCI est né le 26 Juillet 1944 à Montmartin sur mer, dans la Manche. Le 4 Novembre 1963, titulaire du baccalauréat, il entre dans l’armée de l’air pour devenir pilote. Après la base école de Nîmes, le 3 Novembre 1965, il rejoint la base aérienne de Cognac pour suivre la phase de pilotage de base. Six mois plus tard, sélectionné pour la spécialisation chasse, il est affecté à l’école de chasse stationnée sur la base aérienne de TOURS où il poursuit sa formation sur T33 puis sur Mystère IV. Le 31 Janvier 1968, le sergent CROCI reçoit le macaron de pilote de chasse (brevet n° 40525). Le jeune breveté effectue son stage de transformation au sein de l’escadron 1/8 Saintonge à Cazaux, avant de choisir sa première affectation : la 11 ème Escadre de chasse à Toul Rosières.

Affecté à la première escadrille de l’escadron 3/11 « Corse », il est lâché sur F100, le 1er Juillet. Un an plus tard il obtient sa qualification de pilote opérationnel (PO), puis le 17 Aout 1970, son brevet de sous-chef de patrouille en poche, il est muté au groupement Ecole 315 sur la base de Cognac. A la fin de l’hiver 1970-1971, l’adjudant CROCI, suit le stage des officiers de réserve à Evreux. En Janvier 1973, il retrouve l’escadron 3/11 à Toul Rosières et obtient son brevet de chef de patrouille. En Septembre 1974, il se trouve à la tête de l’escadrille d’entrainement au vol sans visibilité  de la 11 ème Escadre. Le 25 Mai 1976, le lieutenant CROCI rejoint l’escadron de chasse 4/11 à Djibouti, pour occuper le poste d’adjoint au commandant d’escadrille. Le 9 Décembre 1978, il effectue son dernier vol sur F100, avion sur lequel il totalise 1 4245H45 de vol.

Toujours au 4/11, mais stationné sur la base de Bordeaux-Mérignac, le capitaine CROCI assure les fonctions de commandant de l’escadrille SPA 158, puis chef des opérations à partir du mois de Septembre 1982. Lors d’un détachement en Afrique, le 25 Janvier 1984, dans le cadre de l’opération MANTA, le capitaine CROCI trouve la mort en service aérien commandé. Le vendredi 3 Février, ses obsèques sont célébrées sur la base aérienne 106 de Bordeaux. La mention « Mort pour la France » est attribuée au capitaine CROCI par décision du ministre de la défense.

Ce même jour, il est cité à titre posthume, à l’ordre de l’armée aérienne.

« Officier aux qualités professionnelles, humaines et militaires exceptionnelles, pilote de chasse de très grande valeur, chef de patrouille particulièrement expérimenté totalisant 3860 heures de vol dont 1100 heures sur Jaguar. Sa personnalité, sa foi très profonde en la mission, son rayonnement et son dynamisme lui avaient permis de s’imposer très rapidement comme chef des opérations de l’escadron. Chef de détachement dans le cadre de l’opération Manta, il a fait le sacrifice suprême dans l’accomplissement de son devoir au cours d’une mission opérationnelle de reconnaissance au-dessus d’éléments hostiles le 25 Janvier 1984 à Torodum (République du Tchad).

 

Cérémonie à la mémoire du capitaine CROCI

Cérémonie à la mémoire du capitaine CROCI

Je reviendrai plus longuement sur Michel CROCI et sur la mission du 25 Janvier 1984, mais je voulais vous avertir qu’une cérémonie est organisée à sa mémoire, le 29 Janvier 2014 sur la base aérienne 106 de Bordeaux.Cne Croci (EC4.11)

Le capitaine CROCI, commandant d’escadrille au 4/11 a trouvé la mort lors d’une mission de reconnaissance à Torodoum (Tchad) au cours de l’opération MANTA.