Décollage lourd

Le Jaguar en 6K , 3 bidons

 

C’était bien connu et reconnu : le JAGUAR ne brillait pas par la poussée de ses 2 moteurs Adour, et certains disaient même qu’il arrivait à décoller parce que la terre était ronde. En configuration lourde qui grosso modo commençait à partir de 2 bidons, le décollage était parfois un peu sportif.

Le Jaguar en 6K Photo Dufourmatelle
Le Jaguar en 6K Photo Dufourmatelle

Il y avait bien l’UCB (acronyme dont je n’arrive pas à me rappeler la signification), document qui était censé donner les performances et notamment la distance de roulage au décollage, mais ce document était tellement optimiste que personne (ou presque) s’en servait : Amarger l’avait surnommé le “SPIROU”, comparaison avec une bande dessinée célèbre de l’époque qui en dit long sur le niveau de crédibilité accordé au document.
A titre personnel, 2 décollages lourds m’ont frappé.

– Le premier a été effectué par le colonel Boichot commandant de la base de Toul, vieux chibanne qui totalisait plus de 5000 heures de vol. Le JAGUAR venait d’arriver à Toul (moi aussi) et il fallait bien tester tout ce que cet avion pouvait faire et notamment le faire décoller avec 3 bidons, configuration qui n’avait que peu d’intérêt opérationnel car on ne pouvait plus mettre d’armement, (ce qui est quand même la finalité d’un avion d’arme), mais qui amenait l’avion proche de sa masse maximum. Je ne sais pas comment ce fut Boichot qui s’y colla, mais il y avait du monde pour regarder : c’était en piste 22 et vu du 2/11, on s’est bien rendu compte que ça prenait du temps et qu’à un moment on a vu l’avion disparaitre dans le creux de l’entrée de piste 04. Pour le (très) jeune pilote que j’étais, je ne trouvais rien d’anormal mais quand je vis la tête émue de Boichot au retour, j’ai réalisé qu’il ne rentrait pas d’un vol de “routine”. Je me souviens aussi de son commentaire “il faudra éviter de mettre des jeunes là dessus”.

– Le deuxième se passa à Bangui ; fin de matinée, début d’après midi, l’ordre tombe “Tous les avions à N’Djamena”. Ce n’était pas la première fois, mais ce coup ci, ça nous obligeait à décoller au moment le plus chaud de la journée (donc quand ça pousse le moins) et en piste nord, en légère montée. On était en 6J (configuration 2 bidons + CME), mais rien d’extraordinaire car c’était devenu courant. Lâcher des freins, contrôle accélération à 140 kts (pas terrible), le bout de piste commence à se rapprocher, 150 kts (je trouve qu’il a mis bien longtemps à prendre 10 kts), je commence à bien voir l’extrémité de la piste… et toujours 150 kts avec pourtant l’impression que ça pousse comme d’habitude. A ce moment il n’était plus question d’interrompre car il n’y avait ni barrière ni brin d’arrêt et le raisonnement était simple : j’attends de ne plus voir la piste sous moi, je mets l’avion en l’air, si ça ne le fait pas j’actionne le “panic button” (celui qui sert à tout larguer d’un coup),150 kts en lisse normalement l’avion vole et si j’ai la sensation de m’enfoncer “éjection”, avec le sentiment que ce sera probablement trop tard. Je ne sais pas à quelle vitesse j’ai décollé, mais le miracle s’accomplit une fois de plus ; je pense qu’il n’y avait rien de trop, mais encore une fois le JAGUAR ne m’avait pas trahi.

Je ne connais que deux JAGUAR qui se soient plantés au décollage (à confirmer),  celui de Bordeaux qui a fini en vrac de l’autre coté de la clôture de la base, mais dont la cause fut un “psycotage” complet du pilote qui s’en sorti malgré tout avec les félicitations du jury, et celui “d’Etche” à Bangui à cause d’un colmatage des filtres en amont des pompes HP !

Tous les pilotes qui ont volé sur JAGUAR ont certainement vécu un décollage de ce type, mais cette phase de vol a en partie, contribué à en faire un avion mythique : il en a fait des choses cet avion, et parfois on se demandait comment c’était possible.

Décollage de Banguy. Photo Eric Paletou
DL Banguy. Photo Eric Paletou