Miracle au Zaïre

Zone du crash

Le 1er août 1994, au cours d’une mission réalisée dans le cadre de l’opération «Turquoise», le Jaguar A119 percute la frondaison au sommet d’une colline. Le pilote s’éjecte au-dessus du Zaïre. Il s’en sortira miraculeusement indemne. Récit d’une aventure pas comme les autres.

Le choc est d’une violence inouïe ; d’autant plus violent qu’il est inattendu. Les deux glaces latérales explosent, suivies par la glace frontale. Le bruit est assourdissant. J’ai l’impression d’avoir fait un trou dans le sol avec la sensation que tout s’arrête net. Je réalise que je vais mourir ; un leitmotiv me harcèle : trop ton, t’es mort !

Le choc a eu lieu alors que l’avion était lancé à 410 nœuds, soit plus de 700 km/h. Ce vacarme ! C’est trop violent. Deux flashs se succèdent alors : l’arceau de la verrière se déforme sous l’impact d’une branche et reprend ensuite sa forme initiale ; et tous ces bâtons noirs qui défilent à grande vitesse sous mes yeux. Une chose est sûre dans cet enfer de bruit : c’est le crash complet, et tout va s’arrêter… Si ça n’est déjà fait.

Sortir de cet enfer !

Tout va s’arrêter d’un dixième de seconde à l’autre ? Ça fait trop de bruit ! Mais je veux sortir de cet enfer. SORTIR ! Dans un temps qui me parait très long, je guide ma main le plus bas possible, doigts tendus, je ne veux pas rater la poignée basse (NdA : qui déclenche le siège éjectable). Ne pas la rater. Je comprends bien le paradoxe de la situation. Il faut que j’aille le plus vite possible : chaque dixième de seconde est déterminant. Mais si je loupe cette poignée dont ma vie dépend, je n’aurai probablement pas le temps de faire un deuxième essai. Tout  va s’arrêter ! Ne pas manquer la poignée !

Je remonte doucement ma main. Au contact de la poignée, mes doigts se crispent dessus. Je la serre de toutes mes forces  et tire d’un coup très sec. Rien n’est gagné : il faut 3/10° de seconde pour que le siège se déclenche. C’est un laps de temps infiniment court… mais ça parait interminable. SORTIR de cet enfer, c’est ma seule préoccupation. Sortir avant que tout n’éclate. Et soudain, je sens cette ascension salvatrice, cette poussée qui me délivre du choc du vacarme indescriptible. Quel contraste. J’ai l’impression de monter en douceur. Mes yeux sont fermés, sûrement par réflexe. Je ressens la montée, puis un pivotement à l’horizontale, suivi dans la foulée d’une très nette décélération due probablement à l’ouverture du parachute. Quelques secondes plus tard, je parviens à ouvrir les yeux. Rien que des arbres. Dans trois ou quatre secondes, je serai dedans. Et le plus gros, c’est pour ma pomme ! Je me protège le visage avec les bras au moment où j’entre en contact avec la cime. Je m’enfonce dedans, quelques mètres avant de me retrouver pendu par le parachute coincé en haut de l’arbre, tout en me retrouvant assis sur une branche. Au même moment, une explosion vient fendre le silence relatif: ça ne peut être que mon avion qui explose. J’entends également que l’avion de mon équipier s’éloigne pleine postcombustion. Je ressens alors un énorme soulagement. S’il s’éloigne, c’est qu’il est vivant. Ce sentiment est aussitôt suivi d’une angoisse, car s’il s’éloigne, c’est qu’il me croit mort. J’essaie de tirer le paquetage de survie dans lequel se trouve la balise indispensable pour prévenir que je suis vivant, mais je n’en ai pas la force. Il s’en va : il me croit mort»

Les restes de l'avion
Les restes de l’avion

J’essaie de tirer le paquetage de survie dans lequel se trouve la balise indispensable pour prévenir que je suis vivant, mais je n’en n’ai pas la force. Il s’en va ; il me croit mort.

C’est effectivement la certitude de l’équipier.

” Les deux Jaguar Cobra Juliet avaient décollé à 6 h 37 (TU) de Bangui, comme prévu, pour une mission s’intégrant dans l’opération « Turquoise ». Deux autres Jaguar faisaient partie de la mission. Les quatre appareils furent divisés en deux patrouilles de deux avions pour éviter de perdre trop de temps pen­dant le ravitaillement en vol. Après le premier ravi­taillement réalisé sans encombre, la patrouille descend au cap est, altitude 6 000 pieds QNH soit 3 000 pieds sol. L’altitude du point le plus élevé de la zone est de 5 200 pieds. Les conditions météo sont suffisantes pour rester eu VMC (vol à vue) en toute sécurité. La visibilité horizontale est d’environ cinq kilomètres et la vue du sol est parfaite, 3 000 pieds plus bas. Le leader de la patrouille rappelle néanmoins à son équipier la procédure d’urgence, avec utilisation de la postcombustion, en cas de dégradation météo (traversée de nuages). Le niveau refuge niveau de vol 115 est fixé arbitrairement. Celui-ci est simple à se rappeler, car connu, en France et supérieur à l’altitude du point le plus élevé du secteur. Les deux pilotes commencent une montée lente vers ce niveau rejuge, par précaution. Mais les conditions se dégradent brusquement. Les pilotes subissent une perte de visuel. L’équipier comprend qu’il vient de passer en conditions IMC (conditions de vol aux instruments). Il ne voit même plus l’avion du leader ! A peine une seconde plus tard, c’est la vision d’horreur, l’avion de son leader réapparaît avec la dérive et une aile arrachées, ainsi qu’une boule de feu au niveau du cockpit. Pour lui, le leader n’a pas eu le temps de s’éjecter : c’est clair ! Il ne comprend pas ce qui a pu se passer, alors qu’ils se trouvaient à 1 000 mètres au-dessus du sol. Il applique alors à la lettre les consignes de remontée d’urgence pour retrouver un plafond de sécurité, et a le réflexe d’enregistrer la position du crash sur son GPS. Il appelle alors la deuxième patrouille et leur apprend la terrible réalité : « Michel s’est planté ».

Après avoir donné l’alerte, les trois Jaguar se retrouvent et rejoignent le C-1351FR (ravitailleur) au-dessus de Kisangani. Ils ravitaillent pour retourner à Bangui. La décision est sans appel. Il n’y a pas d’espoir ! Il faut rentrer. L’équipier pense que le Jaguar du leader a été percuté par un autre avion. A l’approche de la base de Bangui, la tour de contrôle entre en contact avec la patrouille : « Où est le quatrième avion ? » Après un temps de silence pesant, la phrase que personne ne veut entendre tombe comme une terrible sentence : « Il ne rentrera pas. » La réalité est plus terrible encore. Le Jaguar a percuté un relief, non mentionné à cette altitude, à plus de 410 nœuds soit plus de 700 km/h ! Comble de malchance. Choc insoutenable !

Pendant ce temps, la survie s’organise pour le pilote, perché sur son arbre :

« Toujours assis sur ma branche, je vis une situation qui semble irréelle, à la limite indescriptible du rêve et de la réalité. J’attends que ma femme me réveille et efface ce cauchemar en me disant que je suis en retard. Mais je revois cette chute dans l’arbre. Qu’est-ce que je fais dans cet arbre à 25 mètres de haut, et surtout à 6 000 kilomètres de chez moi. J’ai du mal à me convaincre que je viens de vivre tout ça. Il s’agit pourtant de la dure réalité, qui est accentuée par la perception des bruits de la jungle. Une chose est sure : je ne dois pas être indemne. Je commence alors à réaliser un « check ». J’ai mes deux bras et mes deux jambes, mais ma combinaison est pleine de sang. Je monte lentement mes mains vers la tête pour consta­ter l’étendue des dégâts. Apparemment, je suis entier mais j’ai du mal à m’en convaincre. Le sang provient d’une éraflure à la joue droite probablement due à l’arrachement du casque lors de l’éjection. Ça saigne pas mal ; il fait chaud ; il y a plein de mouches. Je me rappelle les briefings concernant les chances de survie qui sont très faibles dans de telles conditions (durée de survie estimée à trois heures). Une blessure, même superficielle, peut devenir dramatique, notamment en cas de perte de connaissance. Il faut donc arrêter l’hémorragie. Je sors la trousse de secours de mon pantalon anti-G, et me colle un pansement. Les bruits de la jungle sont angoissants et me laissent seul face à moi-même dans cet arbre. Reprenant peu à peu mes esprits, je commence à faire un tour d’horizon pour tenter d’analyser la situation. A ma grande stupéfaction, j’aperçois à environ 500 mètres un village de cases africaines dont les habitants sont rassemblés, figés. Ils me regardent, éberlués par cet oiseau de feu tombé du ciel. J’appelle au secours à plusieurs reprises, mais personne ne bouge. Je tire alors une fusée de détresse. Je suis loin d’être sauvé. La moindre erreur peut être fatale dans ce milieu hostile : une chute de l’arbre serait dramatique. Je pense à Nicole, ma femme, et à mes deux gamins et une envie folle de les revoir s’empare de moi ! Le problème est qu’on me croit mort. Je ramène à moi le paquetage de survie. Je me rends compte que la balise n’est pas attachée comme elle aurait dû l’être, et j’ai peur qu’elle ne tombe 25 mètres plus bas. Je m’en empare délicatement et lance le premier appel en morse, puis en pho­nique : May-day, May-day, May-day. D’après moi, une vingtaine de minutes se sont écoulées depuis l’éjection. Plutôt que d’entamer une descente périlleuse, je décide de rester sur l’arbre, car j’estime que mon espérance de vie est supérieure (au moins, dans l’arbre, il n’y a pas de serpent !). Je m’assure à l’aide du descendeur et fais l’inventaire du paco, par des gestes lents et méthodiques pour ne rien laisser tomber. Je me munis notamment du « canon à buffle » et de fusées de détresse. J’ai soif ! Je prends un sachet d’eau et le porte à mes lèvres. Je ne veux pas en perdre une goutte.

Après une heure trente d’attente, mon attention est attirée par la progression d’hommes, qui se rapprochent au bruit des machettes ouvrant un passage dans la jungle. J’aperçois une dizaine de villageois, vêtus à l’européenne, ce qui me rassure un peu. Je ne peux m’empêcher de penser à Philippe de Dieuleveult disparu non loin de là. Quelques-uns comprennent le français ! Je leur explique que je suis un ami. Je leur demande si mon avion a fait des victimes. Heureusement non. Je suis soulagé. Je discute avec eux, du haut de mon arbre. Je suis très méfiant et surtout pas pressé de mettre mon destin entre leurs mains, ne sachant pas à qui j’ai à faire. Pendant ce temps, ils confectionnent une échelle de lianes et de branches avec une précision et une vitesse impressionnantes. En trois quarts d’heure, l’échelle est posée. Je simule une conversation avec l’hélicoptère et leur dis que mes amis seront là d’un instant à l’autre. Je ne peux pas refuser l’aide qui m’est offerte et commence donc à descendre de mon refuge à l’aide de l’échelle de liane et de mon descendeur. Je ressens une grande appréhension avant d’arriver en bas.

Au premier contact avec le sol, je m’écroule : ma jambe passe à travers un amoncellement de branches mortes. Certains villageois montent dans l’arbre pour récupérer mes affaires. Je leur demande de laisser le parachute qui sert de point de repère, ils acceptent et c’est pour moi la délivrance. Je comprends à cet instant par ce geste qu’ils n’ont pas l’intention de faire disparaître les traces de mon passage, et donc qu’ils ne me veulent pas de mal. Je commence à penser que je vais survivre ! Je m’assieds sur un tronc d’arbre et commence à décompresser. Une grande fatigue me gagne, mais je pense que le plus dur est fait. Pour gagner le village, il nous faut plus de trois quarts d’heure de marche sur un chemin semé d’embûches. C’est tout à fait conforme à l’idée que l’on se fait de la jungle.

À la sortie de la forêt, un gros contraste apparaît : on est au milieu de plantations de manioc, de maïs, de bananes. L’entrée dans le village restera gravée à jamais dans ma mémoire. J’ai l’impression d’être au milieu du film Christophe Colomb. Les villageois m’ont fait une haie d’honneur et m’applaudissent, contents que je sois vivant. Sur la place du village, un fauteuil bas m’attend ; je m’y assieds, tous m’entourent en me souriant. Les enfants se cachent derrière leurs parents. Les plus téméraires approchent doucement, ils regardent cet homme blanc comme d’autres enfants ont regardé E.T. Après avoir demandé s’il y avait un médecin, l’infirmier du village se présente et me refait mon pansement, J’ouvre un autre sachet d’eau. Je sors mon appareil photo (mon appareil se trouvait dam ma combinaison, car pendant la mission nous devions passer l’équateur et je voulais, à titre de souvenir, prendre mon GPS n’affichant que des zéros). Les photos de famille commencent…

Photo de famille
Photo de famille

À l’issue de la séance photo, je demande à être conduit à l’épave. Je la trouve avec eux. Je ne reconnais rien. C’est terrifiant. Je commence à réaliser la chance que j’ai eue de pouvoir m’en sortir. Je suis traversé par un frisson persistant. Compte tenu du danger, je définis un périmètre de sécurité, et fais reculer les villageois.

Je renouvelle alors l’appel « May-day ». Je n’en crois pas mes oreilles. Mon message a été intercepté par un Atlantic de la marine. Je parviens à lui indiquer ma position et finis le guidage à vue, après avoir tiré une fusée de détresse. On me pose la question : comment va le pilote ? Je me suis mis à hurler : ” Mais c’est moi le pilote ! “.

L’Atlantic guide le Puma SAR (search and rescue) jusqu’à ma position. Je voulais que le Puma se pose loin de l’épave, à cause des risques d’explosion. L’hélico dépose un fusilier-commando près de l’épave et celui-ci accourt au village, où je suis retourné. Je suis dans un état de bonheur indescriptible. Cet homme arrivant eu courant me donne l’impression de m’apporter un deuxième passeport pour la vie.

Au décollage, le pilote rescapé découvre ce village sous un autre angle. Que doit-il à ces villageois? Ces moments-là n’ont pas de prix. Il regarde la vallée, avec une sensation de flash-back lui remplissant les yeux, comme un acteur retournant sur les lieux d’un tournage. Pourtant, cette histoire est l’immense envie de vivre, de retrouver Nicole, sa femme et ses deux enfants. Ou simplement d’apprécier la vie comme seuls qui sont passés près de l’au-delà peuvent le faire. Après un bref retour en France, il a repris les commandes d’un Jaguar et continue chaque jour les missions, avec la même volonté de les réussir. Il sait mieux que quiconque que « le bonheur est souvent constitué de malheurs qui ne sont pas arrivés ».

Article extrait d’un numéro d'”Air Actualités”

La fin du cauchemar
La fin du cauchemar
Point d'impact du Jaguar
Point d’impact du Jaguar

Photo qui m’a été envoyée par son fils Emmanuel (voir commentaire) 

 

LE BARBU S’ÉJECTE AU TCHAD

Plus de badin, un seul moteur, plus de radio,... et pourtant il a réussi à se poser !

LE BARBU S’ÉJECTE AU TCHAD

L’histoire est connue par nombre d’entre vous ; elle a fait l’objet de quelques publications et elle a même été publiée en son temps dans le très officiel BSV (bulletin de sécurité des vols) de la FATAC. Je ne pouvais pas ne pas la mettre en ligne sur le site.

N’Djamena, 23 août 1978, 5 h 30.

Du lit de camp, direct au PC “Tacaud”. L’Air task attend.

Direction la salle d’opérations pour préparer les œufs jambon, aussi la mission, même si elle n’a rien d’extraordinaire, la situation étant calme ou sol depuis 10 jours, pour cause d’oueds qui débordent et donc de partisans rebelles, coalisés et factions de tout poil immobilisés.

Jean FRANCOIS dit
Jean FRANCOIS dit “Le Barbu”

J’en profite pour faire de l’instruction au profit d’un jeune sous-chef de patrouille qui n’a fait qu’un ou deux ravitaillements en vol en monoplace depuis sa fraîche transformation à cet exercice, qui est toujours passionnant si on désire le faire vite et bien, c’est-à-dire être opérationnel. Je connais bien : il sait “mordre le coussin”. Il me connaît bien : j’aime les choses carrées et n’ai pas l’habitude de “transporter” du pétrole, mais de m’en servir. Cela a de l’importance dans ce qui va nous arriver.

Briefing avec l’équipage du ravitailleur. Le rendez-vous est pris à 100 nautiques avant mon point de descente sur la zone de RAV, soit 12 min d’axe au niveau 240. Je me fais fort de prendre les 2 tonnes dont j’ai besoin en à peine 3 à 4 min, ce qui laissera à l’équipier le de faire quelques contacts à sec avant de faire lui aussi le plein. Quelques rappels sur les particularités du ravitaillement en monoplace, et en particulier sur la conduite moteur qui est plutôt pointue sur Jaguar, surtout si l’on ne veut pas utiliser la PC, ce qui me semble être le meilleur exercice pour acquérir la maîtrise du ravitaillement.

Nous sommes prêts. Le C-135F est airborne depuis un quart d’heure. Nous l’accrochons au Tacan après 10 min de vol. La vitesse de rapprochement en face à face est de 16 nautiques/min (30 km/min). À 21 nautiques, nous lui ordonnons de faire demi-tour. Douze nautiques : contact facile, il fait beau et les J-57 fument normalement. Il sort sa perche dans les 30 derniers degrés du virage. Les pelles de la bête sont à plat, ma perche est sortie et je suis à 5 m derrière l’entonnoir. Avec la bénédiction du commandant de bord et de l’officier de ravitaillement en vol, j’entame mon plein. Cela se termine par quelques litres pour nettoyer le pare-brise.

Ravitaillement au dessus du Tchad
Ravitaillement au dessus du Tchad

La perche rentre, je croise sous l’équipier qui est en perche et me mets en patrouille serrée à sa droite pendant son ravitaillement, posi­tion classique pour les accompagnements des “lâchers ravito”. Cela se passe plutôt bien. Contact humide pour faire le plein qui se termine tracté par le panier en ne touchant plus aux moteurs qui sont plein pot, mais en n’utilisant que la direction pour maîtriser l’avance ou le recul : c’est un bon petit (c’est d’ailleurs toujours un bon petit, toujours en activité qui fait une bonne carrière d’ORSA, chef de patrouille précieux pour ses supé­rieurs dans les coups délicats (Liban, Tchad, etc.)).

Sa perche rentre et le capot se referme. C’est terminé. Je suis si exactement au point de descente que j’amorce paisiblement un virage à gauche en passant sous lui dans un quasi-VSV : 45° d’inclinaison, Mach 0,8 et 84 % de puissance. Pendant le croisement, l’équipier me perd de vue quelques instants, ce qui est normal ; mais cela se gâte, car, n’imaginant pas le Barbu faisant du VSV au Tchad, il me cherche bien à sa gauche, bien plus bas et tire comme une vache avec les manettes en butée. Ne me trouvant toujours pas, il dégauchit et stabi­lise l’altitude, mais le badin est sérieusement joufflu et, quand il me voit, je suis dans sa glace frontale.

Il pousse sur le manche (réflexe miracle qui me sauve la vie) et traverse à 50 nœuds de rapprochement la base de la dérive, le seul point de l’avion où les circuits hydrauliques des servocom­mandes (I, 2 et secours) se trouvent. Il lui manque 1,30 m de pointe avant, c’est-à-dire qu’il ne lui reste que les yeux pour pleurer : plus de radio, ni d’instruments de navigation, ni d’altitude, ni de badin. Le tableau de bord est muet.

Dans les minutes qui vont suivre, il va perdre un moteur. 45 min plus tard, il aura retrouvé N’Djamena par miracle et se posera aux fesses avec le train d’atterrissage, qu’il espérait sorti, tordu.

Plus de badin, un seul moteur, plus de radio,... et pourtant il a réussi à se poser !
Plus de badin, un seul moteur, plus de radio,… et pourtant il a réussi à se poser !

Vu de mon côté, la situation est tout autre : une détonation à vous dégoû­ter à tout jamais du VSV et les commandes dans le béton, avec le klaxon qui hurle et le sapin de Noël qui clignote rouge. Le sol est dans le viseur et ça tourne vite. Rideau, on sauve les meubles ; merci Sir Martin. Entre l’explosion et l’éjection : pas plus de 3 sec, et là, si vous savez ce qu’est le chaud, le rugueux et le mou, c’est parce que c’est palpable ; mais avec l’accélération, il faut s’être éjecté pour avoir ressenti avec la partie la plus charnue de son individu ce qu’est un 100 m départ arrêté en 0,9 sec. On a l’impression que cela dure une éternité et que plus il y a de charbon, plus on en remet.

Et puis grand calme ou presque, car il est prévu que le parachute s’ouvre à 10.000 pieds. En partant de 23.000, cela fait une minute de chute libre et l’on trouve le temps long, surtout quand on écarte le rideau de cuir qui protège le visage et que l’on voit du sang qui vous coule sur les yeux (des égratignures en fait).

Et puis ça tourne de 360° par seconde (cas d’espèce, une suspente du petit parachute de stabilisation était coincée, ce qui avait pour effet de me déstabiliser un maximum), alors, à l’ouverture, aussi brutale qu’espérée (surtout que je n’avais jamais sauté en parachute de ma vie !) le genou droit est parti à 90° de son sens de déplacement normal et la clavicule est allée flirter avec l’omoplate. Bilan : trois mois sur le dos, et 400 cents heures de rééducation.

Ce qu'il reste du A 111
Ce qu’il reste du A 111

Arrivé au sol, on est vraiment heureux et le canot de sauvetage sagement gonflé au bout de son filin plein désert, peut prêter à sourire, mais cela fait du bien. Vite fait, je déstocke le pétard (PA MAC 50) du paquetage, 357 Magnum du holster : la zone n’est pas très sûre. Et quand un cavalier approche, le double comité d’accueil facilite la conversation qui est très vite condescendante de la part de l’intéressé. Il part chercher des secours mais personne ne le reverra jamais à Ati, car l’oued nous sépare. J’espère que la balise de détresse que j’ai déployée fonctionne car, en phonie, aucun contact avec le ravitailleur ni avec le Breguet Atlantic. Il pourrait écouter “guard”, cela se fait, mais ne semble pas être le cas. Je ne sais ni n’imagine un seul instant avoir été victime d’une collision.

C’est l’atterrissage du collègue, au moment où il passe devant la tour de contrôle avec le parachute sorti et une pointe avant du style Mig-21, qui va permettre de réaliser qu’il se passe quelque chose, mais ce délai ne fait qu’augmenter le cercle des recherches.

Trois heures, il aura fallu trois heures pour me repérer grâce à la balise. Je peux vous assurer que j’ai eu beaucoup de mal à me servir du miroir de détresse, car le mode d’emploi ne précise pas qu’il faut enlever la casquette. Mais j’ai eu trois heures pour m’entraîner et, quand j’ai entendu le ronronnement des matelots du Breguet, je leur ai fait un guidage de 10.000 pieds jusqu’au passage au ras des marguerites, pardon du mil.

Ça y est, on est sauvé. Et puis non, tout est perdu : au même moment les rebelles attaquent à l’arme lourde ! Non, vu la couleur rouge du panache de fumée, j’en déduis que c’est une rétrofusée tirée par le Breguet. Trente minutes après, deux Puma arrivent d’Ati. Le premier, en version “Pirate” avec un canon de 20 mm en sabord, se met à faire des cercles, l’autre se pose près de moi et que ça gerbe tout azimut. J’ai beaucoup de mal à convaincre le jeune lieutenant que j’ai pacifié la zone, et qu’il peut remballer ses vaillants guerriers armés jusqu’aux dents.

Depuis que le Breguet est arrivé, je sais ce qu’il s’est passé et que mon équipier est prévenu qu’il ne m’a pas broyé, ce qui permet, arrivé à Ati, de boire une bonne Gala [NdA : bière traditionnelle du Tchad] bien fraiche à une santé qui nous est chère, individuelle et portative : la nôtre.

Ironie de l’histoire : mon patron d’escadron m’avait demandé Iors de ce vol de tout vérifier sur cet avion, qui était arrivé en convoyage la veille de France, directement sorti des usines. Je peux assurer que ses moyens de navigation étaient parfaits, ainsi que son siège. Mais du A-111, qui était tout désigné pour être affecté au grand I1/11 “Roussillon”, je n’ai même pas pu rapporter au chef les clefs de contact. Chef, on a glissé…

Un marin, qui, dans un livre intitulé “Une ancre et des ailes”, relate cette histoire, m’a permis de me remémorer le gag des gags : à l’heure de mon éjection, un hélico de l’Alat a déclenché une balise pour simuler pour exercice. Évidemment, personne n’a cru à un problème réel, ce qui n’a pas simplifié les choses. (1)

Jean FRANÇOIS

> Extrait de “Jaguar, le félin en action” de Alain Vézin (Ed : ETAI – 2008)

(1) Récit à lire dans un prochain article.