FAC : Une tranche de vie

Une histoire qui n’a pas de rapport direct avec la 11EC mais pour laquelle on ne peut pas rester indifférent quand on se rappelle que l’appui feu était une des missions principale de l’escadre et surtout qu’en 1978 à ATI au Tchad, les JAGUAR ont sorti les légionnaires du 2° REP d’une situation très mal engagée pour eux. Les temps ont changé, même si le fait d’utiliser des pilotes comme FAC n’est pas nouveau.

Tiré de “Carnet de vol 2013” des associations AEA et AEMA.

Une tranche de vie

Salon de Provence 2004, centre d’instruction sol du personnel navigant.

Je regarde mon instructeur ; il parait qu’il était en Bosnie en tant que FAC (contrôleur aérien avancé) avec les Forces Spéciales. Son histoire est impressionnant. Lui comme moi, ne sommes pas entrés dans l’Armée de l’Air pour faire cette spécialité. Nous avions choisi lers ailes de la chasse et tous deux volons sur chasseur… pourtant.

Mali, février 2013 : Adrar des Ifhogas.

Désormais je suis pilote de chasse et FAC. Les GAD (groupes armés Djihadistes) sont dans l’Ametetai ; ils ont pris à partie le 2° Régiment Étranger Parachutiste à l’entrée Est de cette vallée encaissée orientée Est-Ouest. Nous montons donc une opération en infiltration pédestre, que je n’accompagnerai pas car je ne suis pas assez aguerri : marcher n’est pas mon métier. Les commandos se préparent donc à partir cette nuit et je resterai sur la base pour assurer le travail de coordination car ce n’est pas simple d’intégrer des avions à une telle manœuvre. À 20 heures, l’ordre tombe. « Spin, tu pars rejoindre nos forces qui accompagnent les forces locales. Le Puma décolle dans 2 heures alors prépare tes affaires et ton matériel ». Je partirai donc seul, sans équipe. Je n’ai pas vraiment le temps de réfléchir, tout juste d’imprimer quelques cartes, préparer mon ordinateur avec des photos satellites. Deux heures plus tard je salue mes camarades, pars à l’hélico et repense à mon instructeur, 9 ans auparavant… C’est mon tour désormais. Je ne sais pas si je suis vraiment prêt, mais de toute façon ce n’est plus le moment d’y penser, il faut y aller. Il est 23 heures : l’hélico décolle, je suis le seul passager. La nuit est claire, je vais pouvoir observer le terrain d’en haut. Je scrute tout ce qui passe dans mon champ de vision : des oueds et de la roche à perte de vue. Pas une seule lumière sur tout l‘horizon depuis que nous avons passé les murs du camp. Quarante minutes plus tard l’hélico se pose. Le tireur me donne une direction à suivre en sortant, puis l’hélico redécolle. La poussière se soulève ; je n’y vois plus rien, personne en vue. Pendant quelques secondes je suis seul au milieu de ce désert, plutôt désorienté. Puis dans la pénombre une silhouette s’approche. « Salut ! Moi c’est Dimitri, pose tes affaires là, prends un lit et dors. Le reste du groupe dort déjà. Demain réveil 5 heures ! ». A l’heure dite je me réveille, ou plutôt je sors de mon duvet, car franchement je n’ai pas dû dormir plus de trois heures. Le stress et le froid m’ont réveillé depuis bien longtemps. Dimitri me présente le reste de l’équipe et le véhicule. Voici « Buc » notre chauffeur et tireur de précision et notre P4, avec sa 12,7. Tu mettras bien ta ceinture ! « Je ris jaune. Je rencontre ensuite « Jarod », leur chef qui m’explique la situation et la mission : appuyer au mieux les forces locales amies. Il me donne mes consignes et me prévient que la coordination sera difficile. Lui restera avec les officiers locaux et « Nico », le chef du groupe, me relaiera les informations dont j’ai besoin. La mission est limpide : nous allons prendre l’Ametetai par l’est, une partie du dispositif français bloque l’ouest.

6 h 30 le groupe se sépare : serrements de mains vigoureux. « On se revoit de l’autre côté de la vallée “. Jarod encourage une dernière fois son groupe : « les gars, on est 19 à l’entrée de cette vallée, j’en veux 19 de l’autre côté ! ». Dans ma tête la panique s’installe ; je ne connais pas cette meute aguerrie et nous allons pénétrer cette vallée déjà mortelle et je cache mon stress : après tout, les situations stressantes je connais ; pour cela les pilotes de chasse sont bien formés. Le convoi démarre, j’ai juste eu le temps d’installer mon ROVER et ma radio. J’entends le mouvement de charge de l’impressionnante 12,7 au-dessus de ma tête. Pour la première fois de ma vie, je ressens l’utilité de chambrer une cartouche dans mon Famas et mon pistolet. Je ne compte pas perdre une seconde si des GAD sortent devant moi. Les locaux roulent à tombeau ouvert et nous doublent vivement, ce qui n’étonne plus les gars du groupe : ils veulent en découdre. Vraiment. J’entends le drone Harfang et I’Atlantic 2 sur la radio, qui voit bien mon convoi mais ma radio fonctionne mal et ils ne m’entendent pas. Un FAC de la marine se trouve à bord et je sais qu’il m’aidera. La communauté FAC est petite et soudée quelle que soit l’armée d’appartenance. Vers 10 h nous approchons enfin de la vallée. L’entrée est très large, environ 2 km, surplombée par une petite colline rocailleuse au nord, haute d’environ 100 m.

10 h 30 une explosion en l’air 500 m devant nous, je ne comprends pas ce que c’est. Puis 200 m devant, ça commence à tirer à l’arme lourde. Une colonne de fumée noire s’échappe d’un épineux sur une colline ; je distingue un pickup adverse en feu. Les locaux à bord de leurs véhicules blindés foncent en criant des « youyous ». Je commence à réaliser ce qui se passe : les GAD ont tiré une RPG (grenade propulsée) qui a explosé en l’air car nous étions trop loin. Le groupe s’arrête, nous laissons les forces amies mener le combat comme convenu. De toute façon les éléments de tête ont coupé leurs radios et aucune coordination ne sera possible. Les RPG volent et explosent par dizaines. Dans la confusion, je ne distingue plus qui tire sur qui. J’ai la tête dans ma jumelle télémètre pour extraire les coordonnées, je donne la distance quand soudain une déflagration me secoue. Je pense d’abord qu’un obus de mortier ou une RPG a atteint le véhicule à notre gauche, mais je vois « Buc » avec son fusil de précision qui fume encore. Il m’a collé une sacrée frousse I Ça l’a bien fait rire d’ailleurs, lui qui est habitué I J’annonce le TIC (, troop in contact, mot magique qui alerte la chaine de commandement) à l’Atlantique 2. Resté à proximité, il a entre-temps été taské avec une patrouille de Rafale pour traiter un objectif dans le fond de vallée. Cette satanée radio a encore décidé de faire des siennes et il ne me reçoit pas. Au sol les combats sont acharnés : les forces locales se sont installées à 100 m au pied de la colline et ripostent à l’arme lourde et à la roquette aux tirs de RPG qui fusent de toutes parts. Pourtant, malgré l’impressionnante quantité de munitions tirées, les GAD ne plient pas. Cette petite colline est composée d’une accrétion de rochers qui forment des cavités suffisamment grandes pour constituer des postes de combat très protégés, avec des meurtrières naturelles sous tous les angles. J’ai enfin l’Atlantic en fréquence. Je lui explique la situation et demande au Rafale de faire un show of force. De toute façon je ne peux rien lui demander d’autre car les troupes sont trop proches de l’objectif et la moindre bombe tirée ferait des dégâts sur les amis. Le Rafale passe bas, le bruit de ses réacteurs résonne dans la vallée. Dieu que j’aime ce bruit! Un sentiment de sécurité m’envahit, m’aide à reprendre mes marques. Au passage les tirs redoublent, ils ont même tiré une RPG vers le Rafale lors de son survol, le projectile explosant loin derrière, heureusement.

Au bout de 2 heures, les combats se calment et « Jarod » veut poursuivre dans la vallée, comme prévu. Mais nos amis veulent s’emparer de cette colline. Ils ne veulent pas laisser de GAD derrière nous. Les combats reprennent vers 14 h, et les premiers blessés arrivent, que nous aiderons de notre mieux. Puis une patrouille de Mirage 2000D me contacte. Équipés comme moi du ROVER, je vais pouvoir enfin faire mon travail en toute efficacité. Nico me demande de détruire les postes de combat. Je n’attends que cela depuis ce matin, mais il faut que nos troupes reculent de la cible pour permettre le tir, ce qui se produit enfin après de longs instants. J’envoie les coordonnées de l’objectif aux équipages, qui orientent ainsi leurs détecteurs vers la cible, puis vers les objectifs précis après une description visuelle. L’image transmise par le navigateur du Mirage est confirmée par Nico ; elle est bien calée sur l’objectif mais il faut faire vite car il ne reste qu’une quinzaine de minutes d’autonomie à la patrouille. Ça va être serré. J’envoie toutes les informations aux avions un peu stressé. Le navigateur ma reconnu, ce sont mes collègues de Nancy auprès de qui j’ai passé trois ans : « OK calme toi, prends ton temps pour l’instant » me dit le navigateur. Il a raison, ces paroles m’apaisent et mes automatismes reviennent, comme à l’entraînement. J’ai enfin une image nette, avec la position des amis. Je suis sûr de ce que je vais faire attaquer. L’avion s’annonce « in hot » et me donne son cap. Il n’est pas conflictuel avec nos forces. Je lui réponds « cleared hot. cleared hot! » Puis sur le ROVER, je vois la symbologie que je connais bien : Tir puis Tir encadré. L’illumination laser qui débute… Impact, la vidéo qui sature. Je lève la tête : le panache de fumée noire s’élève, la détonation me parvient, c’est impressionnant. Je suis pendu aux lèvres des avant-postes pour savoir, car ils sont plus près que moi. Ils m’informent que la bombe a touché la paroi puis explosé dans un poste de combat qui était en contrebas. J’informe l’équipage et demande une nouvelle attaque. Le deuxième Mirage s’en chargera. Je lui précise « 50 mètres à l’ouest du précédent impact ». ll voit la cible, s’annonce « in hot ». Je le vois, il tombe sur sa proie tel un aigle, «  cleared hot ! ». L’avion redresse, lâche une séquence de contre-mesures infrarouges qui brillent dans le ciel, je vois la bombe se détacher et piquer. Une deuxième explosion ébranle la vallée dans un fracas de tonnerre… La puissance aérienne a parlé, les tirs GAD ont enfin cessé. Les forces locales veulent prendre la colline ce soir avant la nuit. Ils relancent un assaut. Cette fois, la progression est plus facile mais malgré la victoire, le bilan est lourd des deux côtés. Il n’y aura pas de youyous, après cet épisode-là. Les trois jours qui suivront seront plus calmes, puis je quitterai ce groupe de commandos sur une parole de  Jarod : « tu auras vécu une sacrée tranche de vie ». Pour Jarod, Nico, Dimitri et Buc mes compagnons de voyage, Sergio, Hely, Sergei, Axel, Gordon, Sam, Pol, Tintin, Doug, et tous les autres du groupe, ces moments-là seront gardés à jamais dans ma mémoire.

Capitaine C.”Spin”