La vrille sur JAGUAR

La vrille sur JAGUAR ? Un exercice de style qu’il valait mieux éviter ; après lecture de l’article et visionnage de la vidéo, vous comprendrez pourquoi.

ESSAIS  DE VRILLES SUR JAGUAR

Après 7 années passées au ROUSSILLON dont 3 comme commandant d’escadrille je rejoignais l’EPNER  à l’automne1971 fort de mes 1400h de vol sur F100.

L’année suivante, breveté pilote d’essais je fus affecté à l’annexe d’ISTRES du CEV où s’effectuaient les essais de prototypes. A cette époque, les avions en essais s’appelaient Airbus A300, Mercure ; Corvette, Falcon 10, Mirage F1, Jaguar, Alpha Jet…..pour un jeune pilote d’essais : l’assurance de ne pas chômer.

En ce qui concerne le Jaguar, le pilote de l’équipe de marque CEV,  le Commandant D’OUINCE qui avait conduit les essais officiels depuis les tout premiers vols fut appelé a l’été 1973 sous d’autres cieux en l’occurrence ceux de la FATAC. J’eus la chance d’être appelé à lui succéder.

Sur Jaguar la mise au point des commandes de vol s’avérait laborieuse  L’avion construit « souple » se déformait sous les effets conjugués de la vitesse, de la température, donc de l’altitude, du facteur de charge, et comme la commande de direction qui passait dans la crête de fuselage refusait de de se déformer au même rythme, la bille n’arrêtait pas de se promener. Gênant pour un avion de chasse !

Dans le même temps    la conduite des  moteurs  s’avérait délicate : ceux-ci demandaient des doigts de sage-femme pour passer du ralenti sol, au ralenti vol, puis jusqu’au plein gaz  avec ou sans PC.

N’étaient pas ouverts non plus le domaine des hautes incidences  ni celui du vol avec charges sous voilure.

Bref du travail pour deux ou trois ans, ce qui me convenait tout à fait !

Petit à petit les problèmes rencontrés trouvèrent des solutions. Une compensation dite de « crête- fuselage » après quelques tâtonnements qui durèrent bien 6 mois, finit par résoudre le problème du dérapage.

Nos motoristes travaillant d’arrache pied sur la régulation des moteurs obtinrent de bons résultats (le ralenti sol fut supprimé).

En janvier 1974 on  pouvait alors ouvrir le domaine de vol et s’attaquer aux  hautes incidences. Le but du jeu étant  de trouver l’incidence maximale au-delà de laquelle le pilote ne soit pas tenté d’aller se placer sous peine de perdre le contrôle de l’avion (Il faut rappeler que nombre de pilotes de Mirage 3 pilotaient  alors, en combat tournoyant, incidence dans le rouge). Il fallait donc aller voir ce qui se passerait si par maladresse ou excès de zèle un pilote de combat se mettait dans cette triste situation qu’est la  perte de contrôle. Cette campagne d’essais débuta donc  tout naturellement par l’étude du comportement du jaguar en vrille.

En ce qui me concerne j’avais bien quelques vrilles à mon actif mais essentiellement sur Fouga Magister et  avions légers, sur lesquels les « couplages par inertie, rencontrés sur avions d’armes ne sont pas ou peu perceptibles. Pour avoir visionné des essais de vrilles de JM SAGET, pilote  maison sur ETENDARD, et l’avoir vu littéralement ficelé casque compris dans son cockpit je n’étais pas très rassuré.  Je fus donc rapidement envoyé en Grande Bretagne pour me « dérouiller » sur avion d’armes. J’effectuais une quinzaine de vrilles sur Hunter et regagnais Istres fort de ma science toute neuve.

L’équipe technique Dassault nous avait préparé la « bête ». N’étant  pas très sûr du résultat quant à la récupération de l’avion après vrille, le choix s’était porté sur le Jaguar M05 dont la Marine ne voulait plus et qui ne se distinguait des nôtres que part son train d’atterrissage. L’avion fut peint de différentes couleurs, intrados, extrados, dérive, gauche droite, de façon à identifier plus facilement l’attitude de l’avion sur les films que la «  caméra canon » de très grande focale montée sur affût de DCA prendrait dès 40000 pieds.

Un équipement spécifique complétait l’installation d’essai habituelle, de façon à permettre à l’équipe d’ingénieurs d’essais de suivre le vol en temps réel. Tous les paramètres du vol étaient retransmis et enregistrés  en « salle d’écoute » : altitude, vitesse, incidence, taux de roulis, tangage, lacet, accélérations etc.., et bien évidemment ceux des  moteurs, tout cela en dialogue  permanent avec le pilote sur une fréquence dédiée. Diverses modifications avaient  en outre été apportées  dans un souci de sécurité dont la plus importante était  la présence dans la queue de l’avion d’un « parachute canon » permettant de projeter  un parachute spécifique hors du champ aérodynamique de l’avion. Le dernier recours !

Jean-Marie SAGET  à qui on avait confié par le passé, les essais de vrilles de l’Etendard, du Mirage F1 etc… ouvrait la campagne en janvier 1974. Le 25 Février j’étais invité à « donner mon avis » ; ce jour-là j’effectuais deux vrilles et un déclenché. J’effectuerai par la suite cinq vols de vrilles complémentaires.

Il faut maintenant essayer de décrire le déroulement d’un essai type. Décollage, montée au plafond opérationnel vers 40000 pieds sous contrôle radar en CER (Circulation  aérienne Essais Réception), éloignement puis retour vers la verticale terrain et la zone 108A. Dans cette phase de retour le pilote déroule la check-list propre à l’essai au cours de la quelle il coupera un des moteurs. C’est ce moteur qu’il conviendra de rallumer en premier dès la sortie de vrille (l’autre, allergique aux forts dérapages rencontrés,  s’éteignant  dès le début de l’auto-rotation, pouvant être endommagé.)

A l’annonce du Contrôle « bon pour la vrille » le pilote réduit le moteur restant, monte en incidence et quand la vitesse le permet « botte » à droite ou à gauche ; l’avion s’engage immédiatement. Décrire la suite n’est pas très facile car les mouvements, très brutaux, de tangage, roulis, lacet se conjuguent pour désorienter le pilote. Le moteur en fonctionnement s’éteint ; c’est le grand silence dans la cabine, les images de la « camera canon » montrent les fumées blanches sortant par les entrées d’air. Le tangage est tel que le nez de l’avion passe du piqué au plein cabré en quelques secondes : la terre, le ciel, la terre, le ciel, la terre, le ciel…..il y a bien un mouvement général du lacet, à gauche ou à droite mais à celui-ci, se superposent des oscillations qui peuvent faire croire à l’arrêt du lacet voire à  son inversion. Le roulis très agité en profite pour soumettre la tête du pilote à des accélérations latérales brutales. La lecture du tableau de bord n’est plus possible, l’incidence-mètre n’est d’aucune utilité ses écarts dépassent les 60 degrés. Les commandes de vol sont libres comme le prévoient les consignes de sortie « manche libre ».

Et ça dure !!!! (La perception du temps dans ces moments est quelque peu modifiée !). La salle d’écoute égrène les milliers de pieds restants. Au bout d’un moment l’ingénieur responsable de l’essai annonce « ça devient bon » en clair cela signifie que les incidences extrêmes convergent vers une moyenne compatible avec celle du vol. Tout d’un coup le nez passe sous l’horizon et y reste ; l’avion a perdu une vingtaine de milliers de pieds, le pilote reprend les commandes qu’il avait abandonnées, et prend  la vitesse convenable pour rallumer le moteur éteint avant le lancement.  La pressurisation revient, le bruit de fonds aussi. Tout en se présentant pour un atterrissage monomoteur, essai de rallumage du deuxième moteur ; s’il repart normalement on pose le Jaguar ou on repart pour un nouvel essai avec l’autorisation de la salle d’écoute et on recommence.

 LA VRILLE SUR JAGUAR (la vidéo directe sur Youtube)

L’essai terminé, après atterrissage, il est recommandé de dégrafer son masque pour en évacuer la sueur si l’on ne veut pas la boire.

A l’issue de la campagne on avait démontré que le jaguar monoplace sortait de vrille pour peu qu’on lui laissât assez de tirant d’air. L’étude des hautes incidences pouvait donc se dérouler sans trop d’appréhension.

Quant au Jaguar biplace dont les essais de  vrilles avaient été confiées aux Britanniques (je rappelle qu’il s’agissait d’un programme en coopération) leurs trois ou quatre essais se terminèrent  « heureusement » grâce a la sortie du parachute anti -vrille. On ne jugea pas nécessaire de persévérer.

JL REIX