Ejection. Deuxième

F100 du 1/11

TURINA fait partie de ce club très fermé de pilotes qui se sont éjectés 3 fois au cours de leur carrière. La première éjection , c’était lors de l’épopée des 6 Mystère IV de Séville que je pense publier un de ces jours et la deuxième est racontée ci-dessous. Rendez vous pour le récit de la troisième.

Éjection. Deuxième

Septembre 1967, depuis presque un an déjà, je vole sur F-100 à l’escadron de chasse 1/11 « ROUSSILLON », basé à Bremgarten, face à Colmar, de l’autre coté du Rhin. Le rideau de fer se porte bien et nous le côtoyons de temps en temps.

Coucher de soleil
Coucher de soleil

Ce jour là, nous décollons de Cazaux où nous assurons le remorquage des cibles air/air au profit d’un escadron de Mirage de la 13 ième escadre de chasse basée à Colmar. Je suis pilote opérationnel en début d’entraînement pour obtenir la qualification de sous-chef de patrouille et nous effectuons à deux avions un « assaut » à très basse altitude. Un des points qui nous a été donné à « attaquer », est l’entrée d’un tunnel situé dans le Sud-Ouest de la France. La météo est bonne. Le leader, le sergent-chef J., sous chef de patrouille, est un bon camarade expérimenté et assez exigeant. C’est lui qui, pour l’instant, est en tête. Je suis donc son équipier et, sur la prochaine branche de navigation, nous échangerons nos rôles. Je prendrai sa place, il deviendra mon équipier.

F 100 PC allumée
F 100 PC allumée

Nous sommes à moins de deux minutes du tunnel et nous volons en formation d’attaque à 450 Kt (840 Km/h) et 600 pieds/sol (180 mètre de hauteur). Tout va bien, j’essaie de suivre la navigation tout en gardant ma place et en surveillant le ciel. A ces vitesses là, un avion extérieur à la patrouille peut se rapprocher très vite et le risque de collision est bien réel.

Soudain, un grand bruit qui ressemble à une explosion un peu étouffée retentit à l’arrière. Le moteur perd un peu de poussée, une discrète odeur de fumée arrive dans la cabine et de légères vibrations « titillent » mon épiderme. J’ai un coup au cœur. Instantanément, je réduis un peu les gaz et monte sous la couche vers 4.000 pieds (1.200mètres). Je préviens mon leader :

– Leader, je viens de ressentir « comme un choc » et d’entendre une explosion. Regarde dans quel état est mon avion.

– O.K. J’arrive.

Je pense être entré en collision avec « quelque chose » ou avoir perdu une des charges accrochées sous les ailes. L’inspection du leader, qui examine de près mon avion, ne donne rien. Il trouve cependant que mon réacteur fume beaucoup, même pour un J-57…

Par précaution, nous décidons de renter à Cazaux qui se trouve à une vingtaine de minutes de vol. Tout parait normal dans la cabine, mais je ressens toujours des vibrations inquiétantes et je dois remettre un peu de gaz pour tenir la vitesse de 400 Kt (740 Km/h), vitesse normale de navigation. Le leader surveille mon avion.

Boum. Une deuxième explosion, comme un coup de canon, se fait entendre et mes pieds sautent du palonnier. C’est un « beau » décrochage compresseur et, comme sur F-100 nous sommes assis sur la veine d’air qui alimente le moteur, c’est très impressionnant pour le pilote. Le leader voit une flamme de plusieurs mètres sortir de ma tuyère et croit que j’enclenche la post combustion, alors que je n’ai pas touché à la manette des gaz.

Nous décidons de rejoindre Toulouse, à un peu plus de 10 minutes de vol, pour faire un atterrissage d’urgence pendant qu’il en est encore temps.

Deux minutes plus tard, les décrochages du compresseur se font moins violents mais plus fréquents, la poussée et la vitesse diminuent doucement. Le leader m’informe que la fumée qui me suit devient de plus en plus dense et que des flammes apparaissent par instant à la sortie de la tuyère. Tout sauf une situation d’avenir !

La manette des gaz est à fond en avant, mais la vitesse diminue toujours. Je comprends que je ne pourrai probablement rejoindre aucune piste et que je dois préparer mon éjection, au cas où, en espérant que l’avion n’explose pas avant que j’aie trouvé une zone dégagée de toute habitation.

Maintenant, les décrochages du compresseur sont permanents. Ils font un bruit et des vibrations de marteau-piqueur assez impressionnants. Je dois descendre pour maintenir une vitesse qui me permet de contrôler l’avion. C’est la fin. Heureusement, sur la caméra du viseur, devant mes yeux, une bande « dymo » de couleur verte indique : « siège fusée ». Tous les avions n’étaient pas encore équipés de ce type de siège éjectable et, dans ma tête, je pars du principe que tant que l’avion est en l’air, le siège me sortira de là.

Je vérifie la bonne position du « Zéro seconde » sur la poignée du parachute et je cherche, pas trop loin, un endroit où « planter » l’avion sans qu’il fasse trop de dégâts au sol.

Côté parachutisme, je me sens prêt.

A Nancy, l’année précédente, nous avions comme instructeur sur Mystère IV, un pilote membre de l’équipe de France de parachutisme et chef de la section sportive de parachutisme de la base d’Ochey. J’avais donc repris les sauts, fait pas mal de chute libre à Azelot et à Lunéville et continué à sauter quand j’avais été affecté sur F-100.

Je sautais régulièrement à Colmar et à Bremgarten avec les commandos parachutistes de la base. J’avais à peu près 250 sauts et je devais profiter de mon séjour à Cazaux comme remorqueur de cibles, pour passer le test vrille (en chute libre) à Biscarosse où se trouvait le Centre National de Parachutisme. C’était le seul organisme habilité à délivrer aux militaires ce test qui leur permettait, dans le cadre des sections sportives militaires, de sauter à plus de 2000 ou 2500 mètres.

Devant moi se trouvent un village et quelques fermes isolées. A ma droite le Lot, qui longe une pente assez escarpée, haute d’une centaine de mètres. Au-delà, un plateau qui semble désert. C’est là que je vais essayer de « planter » l’avion. Ma vitesse est faible, de l’ordre de 220 Kt (400 Km/h) et je vois des cultivateurs qui travaillent dans les champs. Je me dois de rester les ailes horizontales, pour ne pas descendre et pouvoir m’éloigner d’une ferme, avant de virer vers la pente et de sauter.

Je suis bas, peut-être à moins de 200 mètres du sol, quand la ferme glisse sous mes ailes.

Je vire à droite en direction du plateau et, avant d’avoir fini mon virage et remis les ailes horizontales, je comprends. Le plateau sur lequel j’avais prévu d’écraser l’avion monte dans mon viseur. Je suis trop bas. Un instant de panique me noue les tripes. C’est pourtant le moment de penser vite et bien. En réalité, il n’y a plus rien à faire. La seule issue c’est de sauter, et vite.

L’avion est face à la pente, ailes horizontales. Je tire sur le manche pour annuler, autant que possible, la vitesse verticale de descente, place mes pieds dans les cale-pieds du siège et remonte les accoudoirs pour éjecter la verrière et dégager les détentes qui commandent l’éjection.

Accoudoirs relevés, sans verrière et sans rideau devant les yeux, la vue sur le paysage est imprenable. La pente escarpée fait face à l’avion, l’eau du Lot arrive sous mes pieds. Je suis fasciné et tétanisé par le spectacle. Je regarde, plus haut que moi, les arbres sur lesquels je vais m’écraser.

Du fond de moi, une petite voix s’élève et semble dire :

– Qu’est ce que tu attends ? La partie n’est pas finie, il te reste encore quelque chose à faire.

– Ha, oui, les détentes.

Avec un réel effort de volonté, je me force à ouvrir mes mains, crispées sur les accoudoirs, et j’actionne les détentes. La sortie de l’avion se fait « en catastrophe », très bas.

L’avion disparaît sous le siège en rétrécissant, un peu comme dans un dessin animé. Je le vois qui percute la pente à une bonne centaine de mètres devant moi. Une boule de flammes et de fumée grossit rapidement, car il reste 4 à 5 000 litres de carburant et quelques centaines d’obus à bord. C’est un spectacle grandiose auquel les lois de la gravitation et de l’aérodynamique me poussent à participer, d’autant plus que je le parachute me parait bien lent à s’ouvrir. Qui va gagner ?

Dès que je peux (coup d’œil en haut, le parachute finit à peine de se déployer), je tire sur les suspentes pour m’éloigner de l’incendie. Le vent est avec moi. Je m’estime à 50 mètres du sol.

Coup d’œil en bas, le Lot. Pas d’accord pour me mouiller les fesses. Je tire plus fort sur les suspentes et saute une haie d’arbres sur la rive. Derrière, des vignes. Pas d’accord pour être transformé en « sucette ». Quelques tractions, un lancé de jambes, je me pose debout entre deux rangées de piquets.

Je suis en bon état, content. J’ai évité l’incendie, la rivière, les piquets et les tendeurs des vignes.

Je souffle un grand coup.

Mon leader tourne au dessus. J’enlève mon parachute, dégrafe ma mae-west pour lui faire des grands signes et gesticule en courant, pour lui monter que tout va bien. A lui de faire passer l’info.

Des cultivateurs me rejoignent :

– Qu’est ce qu’on a eu peur. On pensait qu’il n’y avait plus personne dans l’avion. On a d’abord cru qu’il allait nous tomber dessus dans les champs, ensuite qu’il allait tomber sur la ferme et puis on a vu le parachute, alors on arrive. Tiens, bois un coup avec nous. Des émotions comme ça on sait ce que c’est, ça creuse.

Ils m’offrent à boire un breuvage de leur cru qui sent très bon mais que je refuse poliment, prétextant un contrôle d’alcoolémie par les gendarmes, comme après chaque accident. Ils compatissent et proposent de m’entraîner chez eux pour boire un sirop.

A ce moment la sirène des pompiers se fait entendre. Leur camion apparaît et s’arrête à quelques centaines de mètres. Nous les voyons descendre une barque de leur camion, alors que, de l’autre coté de la rivière, les obus commencent à exploser dans l’épave qui brûle.

Je demande à un jeune garçon, à bicyclette, de les prévenir que je suis sain et sauf, qu’il n’y a plus personne dans l’avion et qu’il ne faut pas s’approcher de l’épave à cause du risque d’explosion. Nous les rejoignons au moment où ils allaient mettre une barque à l’eau. Ils veulent être certains qu’il n’y a pas de blessé, promeneur ou chercheur de champignons, autour de l’avion. Je les dissuade se s’approcher car les obus continuent d’exploser.

Avec les cultivateurs, nous retournons à la ferme pour nous désaltérer. Ils m’apprennent que nous sommes sur la commune de Parnac.

Un Commandant de gendarmerie se présente alors, avec son chauffeur et une escorte. Il me prend à part et, avec un air de conspirateur, me demande ce que je transportais. Je suis étonné qu’un aussi haut gradé soit déjà là et je ne comprends pas bien sa question. Me prend-t il pour un receleur ou pour un contrebandier ?

Après quelques échanges verbaux, il m’explique qu’il a été prévenu qu’un avion « porteur de la bombe atomique » s’était écrasé sur ses terres. Il y a un an seulement que les F-100, ne sont plus « nucléaires ». Rassuré, l’officier repart, laissant à ses troupes locales le soin de poursuivre le travail.

Transport à la gendarmerie, interrogatoire sérieux et amical par le chef de la brigade de Luzech.

Nous sommes un peu perturbés par l’animation et le bruit qui règnent sous les fenêtres qui donnent sur la rue. Les habitants du lieu sont rassemblés et tenus informés par un des témoins de la ferme qui raconte l’histoire avec force détails. Beaucoup veulent « voir le pilote », certains se font la courte échelle, d’autres sautent derrière les vitres. Je n’ai malheureusement pas grand-chose à dire car je ne connais pas la cause de la défaillance de mon moteur.

Le gendarme insiste gentiment pour avoir des détails. Il est un peu triste et semble très malheureux.

Puis il me dit :

– S’il vous plait mon lieutenant, donnez moi des détails. Vous comprenez, ici une histoire pareille ça n’arrive pas tous les jours. Alors, si je n’en ai qu’une page sur mon carnet, les gendarmes des autres brigades vont se moquer de moi.

Je commence donc à lui raconter ma journée et le début du vol. Il me remercie du fond du cœur, commence à écrire et envoie un de ses hommes calmer mes « supporters ».

J’ai une copie du rapport d’enquête, avec les dessins de l’épave faits par la gendarmerie du lieu. Je trouve que le travail est remarquable.

Arrivée de l’hélicoptère H 34 de Cazaux, passage un peu ému au dessus de ce qui reste de mon bel avion qui continue de brûler doucement, sous le contrôle des pompiers.

Retour à la base, passage par l’infirmerie où je négocie une soirée au mess (plutôt qu’une nuit en observation) pour mener une vie normale au milieu de mes camarades. Le lendemain, radio de la colonne vertébrale à Bordeaux et, le surlendemain, reprise des vols sans état d’âme.

J’ai été très sensible au fait que ce soit l’adjudant « W », le chef de piste, qui me brêle pour ce premier vol. Depuis bien longtemps, il laissait ce soin aux jeunes « pistards », à l’exception peut-être du commandant d’escadron, pour le défilé du 14 juillet, au décollage vers Paris à la tête de ses troupes.

Pour moi, jeune lieutenant, c’est une vraie reconnaissance des mécanos, un peu comme une décoration. Nous nous sommes regardés, nous nous sommes souris et, je crois, nous nous sommes compris.

Entre temps j’avais récupéré et « planqué » la poignée du parachute.

Cet accident a été le premier d’une série d’événements qui, en quelques jours, ont perturbé un peu mon existence de jeune pilote.

F-100, JE T’AIME, MOI NON PLUS

F-100D 11-EC

F-100, JE T’AIME, MOI NON PLUS

Premiers contacts

À 17 ans et depuis quelques années déjà, dès qu’un moteur se fait entendre au-dessus de la Bourgogne, je garde le nez en l’air jusqu’à pouvoir identifier l’objet volant. Je reconnais parfaitement le P-47, le Vampire, tous deux basés à Dijon, suivis bientôt par l’Ouragan et le Mystère IV. Je sais aussi identifier le F-84E ou G, le F-84F et le RF-84F, qui n’effraient plus que rarement les chevaux quand nous récoltons les foins et les moissons de la ferme de mon oncle.

Cette année-là, en 1957, en vacance chez des amis à Verdun, nous sommes passés en voiture sur la route qui borde la base d’Etain et j’ai entendu… un coup de canon, puis vu un monstre qui crachait le feu en prenant son élan dans un bruit d’enfer. La “bête” a décollé, a viré et, pour la première fois, j’ai vu “LE F-100 Super Sabre, en chair et en os”. Je le connaissais déjà à travers quelques photos de lui parues dans “Aviation magazine”, mais cette première rencontre m’a réellement impressionné.

Peu de temps après, ma mère m’a offert la maquette de cette merveille, une des premières maquettes en plastique disponibles après le B-17 et fabriquée par “Lindberg”. J’ai donc construit mon premier F-100 et j’ai continué à rêver d’avions dans ma pension, l’École des Pupilles de l’Air, à Grenoble.

Mai 1966.

Dix ans ont passé.

Après quelques heures de vol, dont un tour de France aérien et quelques sauts en parachute, j’ai quitté Grenoble, puis Salon, puis Tours. En compagnie de quelques petits camarades pilotes de chasse, nous pilotons des Mystère IVA, en école de tir au 2/8 ” Nice”, à Cazaux.

Un jour, sur le parking des escadrons en campagne de tir nous voyons arriver … des F-100.

F100 super sabre
F100 super sabre

 

Avec quelques rares camarades, intéressés comme moi par la belle mécanique et les avions de pointe, et malgré les mises en garde de notre encadrement sur le comportement des pilotes des escadres nucléaires, nous sommes allés, presque en rampant, présenter nos respects aux demi-dieux capables de maîtriser une bête aussi puissante et aussi dangereuse.

L’accueil du chef, le Cdt Pierre G. que nous avions croisé à Salon et qui est devenu mon ami “Pierre” a été très sympathique, chaleureux. Nous avons pu examiner les bêtes en long, en large et en travers, et même nous installer dans la cabine. Nous en avons aussi profité pour tâter le terrain, car trois mois plus tard, à la sortie du dernier stage en école, à Nancy-Ochey, nous aurons à choisir notre première affectation opérationnelle. Mais à la question :

– « Comment fait-on pour aller chez vous ? »

La réponse a été :

– « Je peux difficilement vous renseigner. On vient de nous retirer la mission nucléaire. On parle de nous donner une autre mission, de nous déménager et même de nous faire assurer le vieillissement des futurs pilotes de Mirage.
     Mais ça, je n’y crois guère. De toute façon, rien n’est décidé. Tenez-vous au courant, vous pouvez m’appeler quand vous voulez. »

Chaleureux mais, au final, pas très encourageant. Cela nous a cependant suffit pour nous voir aux commandes d’un F-100 avant la fin de l’année.

Trois mois plus tard, à Nancy-Ochey, se tient l’amphi garnison. La liste des escadres qui vont nous accueillir et le nombre de places proposées, est affichée. Dans l’ordre du classement de fin de stage, chacun de nous est appelé pour choisir, en fonction des places restées disponibles, son affectation en unité opérationnelle.

Une place sur Mirage IIIC à la 5, à Orange. On nous fait comprendre que c’est un cadeau de roi, obtenu de haute lutte par le Commandement des écoles et réservé, de préférence, au major de promotion.

Quatre places sur SM-B2. Deux à la 12, à Cambrai, deux à la 10, à Creil.

Neuf places sur F-100 à la 11, à Bremgarten, dont six en vieillissement avant d’aller sur Mirage IIIE ou sur Mirage IIIR. Une première, Youpi !!!

J’ai pu choisir le Mirage IIIE et j’ai eu le vieillissement sur F-100. Le rêve !!!

À l’époque, la 11, après la dissolution de la 1 et de la 9, vient de s’agrandir à trois escadrons. Le 1/11, le 2/11 et le commandement de l’escadre sont basés à Bremgarten. Le 3/11 est à Colmar, de l’autre côté du Rhin.

Le jour dit, après un rassemblement savamment organisé pendant nos permissions, nous nous retrouvons, neuf lieutenants “élus” briqués comme des sous neufs, pour passer la frontière et nous présenter à nos chefs.

Accueillis par le Cdt en second de l’escadre, nous sommes ressortis de son bureau assez “sonnés” :

– « La 11 n’a jamais été une nurserie et ne le sera pas. Chaque escadron ne peut former qu’un ancien élève de l’École de l’air par an. L’escadre est formée de trois escadrons. Vous êtes neuf et je suppose que vous savez compter. En sortant de ce bureau vous vous présenterez à votre commandant d’escadron qui décidera de ce qu’il fera de vous. Je recevrai en temps utile les trois d’entre vous qui resteront à l’escadre. Merci messieurs. »

La douche… froide, glacée.

Heureusement, l’accueil dans les escadrons est plus chaleureux. Nous sentons bien que notre arrivée est une petite révolution, qu’il nous faudra faire nos preuves et, aussi, que nous ne sommes pas condamnés. Nous sommes considérés comme des pilotes à part entière. Plus jamais je n’entendrai la répartie célèbre qui, dans les écoles de pilotage, mettait fin à toute contestation justifiée ou non, quand les plus jeunes osaient parfois exprimer leur point de vue au cours d’un débriefing :

– « N’essaie pas de me vendre des salades. Je portais déjà les marques du masque à oxygène sur le visage quand toi, tu portais encore les marques du pot sur les fesses. »

Par chance, ou plutôt par “affinité” je crois, je suis affecté au 1/11 “Roussillon” où mon ami Michel est Cdt d’escadrille. Nous étions ensemble à Grenoble et nous avions fait plusieurs camps scouts où il était, déjà, chef de patrouille. Pour moi, il est un peu comme un grand frère.

La cabine du F100
La cabine du F100

Encadrés, briefés par les anciens dans une cellule d’instruction au sol créée pour la circonstance, notre petite troupe découvre la documentation américaine et suit les cours qui doivent lui permettre de maîtriser la bête.

L’ambiance est excellente, nous sommes tous motivés et impatients de faire les premiers vols. J’apprends tout sur l’avion et sur les procédures. Quelques jours plus tard je fais mon premier vol, en place arrière d’un avion leader de patrouille. Après avoir découvert l’allumage de la postcombustion qui, sur F-100, se fait à pleine charge, je peux tâter les commandes, écouter vivre l’avion, admirer l’équipier et respirer un grand coup car, bientôt, il faudra assurer.

Pour le premier vol en place avant, l’instructeur n’est pas commode. C’est un ancien moniteur de Marrakech et ancien des Skyraider. Il ne s’en laisse pas compter. Au retour, je suis plutôt content de moi et surtout très fier d’avoir piloté la bête.

Le débriefing est dur et se termine par :

– « De toutes façons, il faut que je parle au commandant d’escadrille. »

Cloué au mur, car rien n’a échappé à la rigueur et au professionnalisme d’”Hector”, je comprends que la partie n’est pas gagnée. Le moral en prend un gros coup et je crains l’élimination.

Michel, le Cdt d’escadrille, m’appelle et me reçoit avec sa tête des mauvais jours. Je pense que mon sort est réglé. Il me demande simplement comment s’est passé le vol et, pour me défendre, je lui dis que je ne comprends pas ce qui m’est reproché à ce stade de la progression. Il me regarde, étonné, et m’interroge un peu plus en détail. Je le vois se détendre puis sourire. Au bout d’un moment il me dit :

– « Il faudra que tu t’y fasses, mais il n’y a rien de grave pour toi. Ton instructeur pense même que tu pourrais partir en monoplace après un deuxième vol en biplace. Est-ce que tu te sentirais prêt ? Le seul vrai problème c’est que l’avion que vous venez d’utiliser est en panne, a priori pour plusieurs jours et que vous êtes nombreux à devoir être lâchés. »

Je tombe des nues. Devant mes hésitations, Michel me propose de faire ce deuxième vol avec un autre instructeur, tout aussi exigeant mais un peu moins “carré” qu’Hector.

Deux jours plus tard, je pars en double avec un “très vieil” Adc, qui devait approcher la quarantaine et dont le surnom, inspiré par des petites moustaches et un regard malicieux, rappelle un petit animal, genre furet.

Deuxième vol sans histoire et, dans la foulée, très fier, je pars en monoplace, escorté par l’instructeur qui vient de me lâcher. Salut à toi “La fouine”, merci l’Ancien.

Ce premier séjour sur F-100 est pour moi un souvenir merveilleux.

L’escadron est une unité soudée dont nous sommes membres à part entière. Les traditions et la personnalité de certains pilotes sont fortes…très fortes. Un groupe de cinq lieutenants anciens, tous chefs de patrouille, se charge, avec d’autres, de notre formation en vol, de l’ambiance et de notre “éducation” au sol. J’apprends beaucoup.

Célibataire logeant sur la base, j’ai la chance de participer, souvent, à des missions qui décollent le matin de bonne heure. Il fait généralement encore nuit quand Manif, Cdt d’escadrille célibataire logeant sur la base lui aussi, donne un coup de pied dans la porte de ma chambre. J’ai vingt minutes pour le rejoindre à l’escadron ou au mess. Petit déjeuner, briefing, salut aux mécanos et décollage “à la fraîche” pour des missions, souvent au profit de l’Armée de terre, dans le Jura, le Massif Central, le Sud-ouest, ou les terrains de manœuvre en Allemagne.

Un an plus tard, c’est le déménagement vers la France des escadres basées en Allemagne. Comme la “3”, escadre sœur de la “11” et mon escadre d’affection définitive, vient de quitter Lahr et s’installe avec difficultés à Nancy-Ochey, le Cdt d’escadron me propose de rester un peu plus longtemps sur F-100 et de continuer mon entraînement. Banco !

Nous arrivons à Toul en septembre 1967 dans des installations assez sommaires. Quelques semaines et une éjection plus tard, avec l’équipe de mécanos célibataires “qui va bien”, nous prenons une semaine complète d’alerte pour la période de Noël. Nous passons la journée en bout de piste, dans une remorque Déplirex sans eau et dont les radiateurs électriques sont alimentés par un groupe électrogène “un peu” sous dimensionné. Emmitouflés dans des couvertures, nous jouons aux cartes et nous lisons, en attendant le ou les vols d’alerte. Le mess nous ravitaille en thé et en casse croûtes. L’ambiance est au beau fixe, nous nous la “jouons, un peu la Bataille d’Angleterre” et, le soir, nous faisons un bon repas au mess.

F-100D en patrouille
F-100D en patrouille

En février 1968, sous-chef de patrouille, je pars pour Dijon découvrir le Mirage III.

En 18 mois, je viens d’effectuer 350 h de vol sur F-100, de vivre deux campagnes de tir, un échange escadron de trois semaines sur les plateaux d’Anatolie et un déménagement de base. J’ai, aussi, cassé le 11-EG n°42150 en m’éjectant pour la deuxième fois et, malheureusement, douloureusement, vu partir quelques amis.

– « Engagez-vous, rengagez-vous. Vous vivrez des aventures et vous verrez du pays », disaient les affiches en couleur.

Au-delà de tous mes rêves, pour moi, à l’âge de vingt-sept ans, cela était bien vrai.

Denis TURINA

Quelques “brèves”

Une petite surprise que nous avions faite à un de nos anciens en entraînement au BCP à Bremgarten. Il avait parfois tendance à nous bahuter, nous les jeunes lieutenants, et ce jour-là, après avoir fait le briefing de sa prochaine mission, toute la patrouille était partie au mess en laissant les cartes sur la table de la salle d’OPS. L’occasion était trop belle. Nous avons simplement déplacé d’une dizaine de kilomètres, en respectant le cap et le minutage, le trait d’entrée sur sa carte du sud, celle qu’il devait utiliser après une vingtaine de minutes de vol. Et nous avons attendu. L’entrée dans la salle d’OPS du leader en entraînement et le débriefing au retour ont mérité le détour. Prudents, nous n’avons rien dit sur le moment.C’était l’époque où les lieutenants CP, ORSA, et EMA étaient rois. Un jour, l’un d’eux a largué les sous-vêtements PN d’un de ses petits camarades sur la ville du Puy en Velay, pour qu’ils en fassent de la dentelle. Les sous-vêtements, propres, avaient été soigneusement pliés avant le vol, dans l’aérofrein du F-100.Il faut dire que, quelques jours plus tôt et selon la tradition, ce petit camarade avait réussi à faire brûler le calot de l’ancien dans la salle d’OPS.

Dans la salle d’OPS du 1/11 “ROUSSILLON” : c’est un retour de vol de nuit.
La Fouine, l’Ancien, chef pilote de l’escadron aimé et respecté, est en train de débriefer son équipier.
Jean-Louis, CP et jeune capitaine entre dans la salle d’OPS de l’escadron. Il vient d’effectuer son premier vol d’entraînement de nuit, en place arrière, pour devenir instructeur.

– « La Fouine t’es un salaud ! »
– « Moi ? qu’est-ce que je t’ai fait ? »
– « Ce soir : Rien !  Jusqu’à présent je te prenais pour un type bien, expérimenté, compétent et consciencieux.
     Maintenant je sais que tu es un salaud. »
– « Pourquoi ? »
– « Il y a trois ans, quand tu m’as lâché de nuit après seulement une heure de nav à basse altitude et trois atterrissages, j’ai pensé que tu avais vu à qui tu avais affaire et reconnu mes mérites. Maintenant je sais que c’est parce que tu avais la trouille, et que tu ne voulais pas risquer un autre vol de nuit en place arrière dans ce bocal où l’on ne voit rien de ce qui se passe dehors. Laisser partir un jeune après seulement un vol de nuit en place avant sur F-100, c’est de la « non-assistance à personne en danger » et tu le savais. Voilà pourquoi tu es un salaud ! »

Rires dans la salle d’OPS et passage en salle de repos pour continuer le débriefing.

Denis TURINA