La 11 ème Brigade de Chasse

 

Evoquer la vie de la 11e Brigade de Chasse : vaste sujet, lourde responsabilité et, selon une expression récemment à la mode : «devoir de mémoire » !

Devoir difficile pour le doyen que je suis.

Aussi, bornerai-je à évoquer le souvenir de ce qu’on appelait de mon temps : « La 11e brigade aérienne et la base aérienne 116 Saint-Sauveur».

Brillante unité que j’ai eu l’honneur de commander de fin mars 1957 à fin novembre 1958. Succédant à deux aviateurs de l’ancienne école : le colonel Martre qui avait essuyé les plâtres, puis le colonel Guizard qui les avait repeints.

Tout baignait dans l’huile à mon arrivée. Avec l’aide d’une pléiade d’officiers parfaitement qualifiés, un commandement de brigade aérienne est sans doute plus aisé que celui d’une escadrille isolée en campagne. Je pense en particulier aux escadrilles de T6 en Algérie… mon prédécesseur me met donc au courant du fonctionnement d’une organisation bien au point : trois escadrons de 25 F84 F chacun, des services techniques services généraux bien rodés, plus de 2000 personnes à gérer, un encadrement solide. Après les présentations aux commandants d’unités et aux chefs de service, ainsi qu’aux autorités régionales et locales, civiles et militaires, le colonel Guizard me transmet ses consignes, ses recommandations et… un paquet de billets de tombola à vendre dans les six mois, destiné au financement de la toute nouvelle chapelle « Notre-Dame des ailes ». Il y en avait pour 8 millions (anciens), je crois. Cette opération à elle seule pourrait faire l’objet d’un roman… je n’en parlerai donc plus. Parmi ces recommandations, la plus importante concerne la conduite à tenir vis-à-vis de Monsieur le « député–maire–ministre de l’air ». Recommandations que je me forcerai de respecter, « Within limits », comme disent les Anglais.

Monsieur Maroselli « marro » pour les Luxoviens, membre important du parti radical socialiste, avait une réputation bien établie, grâce au chansonnier Jean Rigaux. Le recevant sur la base à son arrivée de Paris presque chaque samedi après-midi, en même temps qu’une section en armes lui rendait les honneurs, les relations devinrent cordiales. Dès que la « maison du colonel » dont il avait choisi l’emplacement près de l’établissement thermal fut prête, il venait volontiers en fin d’après-midi commenter les événements politiques, en toute simplicité, un verre de whisky à la main. Il se faisait aussi un devoir d’assister à toutes les prises d’armes et aux diverses réceptions organisées au mess des officiers et des sous-officiers. Il présida même avec Madame Maroselli le bal public organisé par le foyer du soldat dans la grande salle du nouveau casino.

Le colonel Guizard parti, après une prise d’armes d’adieu, mon premier souci fut de me faire briefer par le commandant d’escadre sur les problèmes opérationnels et sur le F84 F sur lequel je n’avais jamais volé. Le commandant BIHET dont j’avais fait connaissance quelques années plus tôt dans la chaude ambiance d’un stage de ski à Saint Anton, m’invita à dîner en famille. Dîner très gai où nous évoquâmes les bons souvenirs du passé, remettant à plus tard les problèmes opérationnels de l’heure. Le lendemain de ce dîner, plus exactement le 5 avril 1957, BIHET se tua au cours d’un exercice de passage à Mach 1. Me rendant aussitôt sur les lieux de l’accident, je constatais que le pilote n’avait pu redresser, l’appareil étant rentré dans le sol à la verticale. Puis, je dus faire part de cette nouvelle à Madame BIHET, démarche on ne peut plus pénible surtout après le sympathique dîner de la veille. Et puis il fallut réagir : LABOUCHE fut nommée commandant d’escadre et la vie continua. Lâché un mois plus tard sur F 84 F, sous le contrôle du major Turner, conseiller technique et pilotes exceptionnel détaché du MAAG (Military Assistance Advisory Group), je poursuivis mon entraînement à raison de quatre à cinq heures par mois. C’était peu, mais cela permettait de maintenir le contact avec les escadrons.

Là 11e escadre devait avoir le vent en poupe, car elle fut choisie la première pour recevoir les tous nouveaux avions supersonique à postcombustion : North American F 100. Opération franco-américaine remarquablement organisée par le haut commandement français et l’U.S. Air Force et cela dans la plus grande discrétion. Dès octobre 1957, nous voyons partir notre conseiller américain le major Turner muté au MAAG à Paris. Nous ne savons pas pourquoi et nous le regrettons amèrement. Cet officier était en effet unanimement apprécié et estimé pour ses qualités techniques et humaines. Un peu plus tard est annoncé une visite de la base par le directeur du MAAG, le général Babcock et quelques-uns de ses adjoints, accompagné du général VENOT, major général de l’armée de l’air. Amphi de présentation de la brigade en anglais et en français.

En mars 1958 un certain nombre de pilotes nommément désignés par Paris, vraisemblablement sur les conseils du major Turner, partent pour la base de Nellis USA où ils seront transformés sur F 100. En mars 1958, arrive à Luxeuil tout un matériel d’instruction (maquette, circuit etc.…) suivi par une équipe d’instructeurs américains sous les ordres du major MANNI. Pilotes et mécaniciens, y compris le commandant de brigade suivent l’intégralité de l’instruction au sol sur F100 entre avril et mai. Le 19 mai 1958 a lieu le premier vol sur F 100 biplace aux couleurs américaines pilotées par Monsieur Debolt, vice-président de la société North American avec en place arrière votre serviteur. (Avion numéro 3940). La mission : démonstration de montée au plafond de l’appareil. À 17 000 pieds, vol interrompu à ma demande à la suite d’un soudain pneumothorax spontané. Transporté à l’hôpital de Dijon, puis celui de Clamart (hôpital Percy) où je restais jusque vers le 20 juillet, je ne rejoindrai mon poste que vers le 10 septembre 1958. Interdit de vol sur avions à réaction pour un an, je volerai de temps à autre sur NC 701 Siebel bimoteur à une altitude inférieure à 2000 mètres.

Pendant mon absence, la 11e brigade fonctionnera, semble-t-il parfaitement bien sous les ordres du lieutenant-colonel CAVAROZ, du moins c’est ce que je suppose. Comme quoi le chef n’est pas indispensable ! Seuls les exécutants le sont réellement ils en firent la démonstration ! Je citerai cependant de cérémonies importantes qui ont dû laisser quelques traces chez quelques-uns de notre amicale.

La première, à laquelle je participais, fut la bénédiction de la chapelle Notre-Dame des ailes, par le cardinal Feltin, archevêque de Paris, aumônier général des armées, et… qui plus est, natif du département de Haute Saône : la plus haute autorité ecclésiastique française du moment. Organisée par notre sympathique aumônier Monsieur l’abbé Millesse, ce fut une réussite parfaite, mais le déjeuner fut un véritable casse-tête chinois, (au point de vu protocole), pour votre serviteur. Entre un ministre, député, maire : Monsieur Maroselli, un archevêque, les plus hauts dignitaires de l’église, le préfet de Haute Saône représentant de l’État dans son département, Monsieur BONIS CHARAUCLE, le général commandant le premier CATAC, le générale STEHLIN, le général commandant la région aérienne, le commandant de la subdivision militaire….

Ce fut le problème de ma vie…

La seconde, à laquelle je n’assistais pas, fut l’inauguration de la base aérienne « Colonel Papin » sous la présidence du chef d’état-major général de l’armée de l’air, le général Gelée, organisé par mon camarade le lieutenant-colonel CAVAROZ ; y participaient beaucoup de généraux de l’armée de l’air en activité et quelques-uns des anciens du groupe de chasses 2/7 dont le colonel Durieux, commandant du groupe pendant la campagne 39/40, le colonel Hugo, le général Gauthier, bien connu sous le nom de GG et… Monsieur Moulymar premier adjoint au maire et bien d’autres dont j’ai oublié le nom.

Toutes ces cérémonies et gueuletons ne doivent pas faire oublier que la guerre d’Algérie battait son plein et que discrètement, la 11e escadre y participait, mine de rien, comme d’ailleurs l’ensemble des escadres de chasse. À tour de rôle nos pilotes de Jet partaient relever leurs collègues volants sur avions T6, un monomoteur d’entraînement converti en bombardier. Surchargé, sous motorisé, opérant le plus souvent en zone montagneuse et en atmosphère surchauffée, volant à quelque 140 kts, cet appareil était plus difficile à piloter qu’un Jet volant à près de 1000 km/h. Quant aux conditions de vie, je pense qu’elles n’étaient guère enviables. Il fallut aussi envoyer des appelés en renfort : une quinzaine de soldats je crois furent désignés sur la base, dont un première classe aide armurier qui refusa tout net de participer à cette opération. « L’Algérie c’est pas mon pays, je n’ai rien y faire » ; un gaulliste sans le savoir et un précurseur ! Il passa trois mois au secret dans les locaux disciplinaires de la base aérienne 116, sur ordre supérieur, en attendant son jugement au tribunal militaire : chapeau ! Condamné à trois mois de prison, il fut immédiatement libéré et affecté à une autre base. J’aimerais bien le revoir pour continuer nos entretiens de l’époque, s’il s’en souvient.

Pendant que la 11e brigade vit sereinement à Luxeuil, la guerre s’enlise en Algérie et les conditions politiques se détériorent :

  • 13 mai 1958 : putsch Alger (tentative), le ministre Félix Gaillard démissionne.
  • 28 mai : démission de Monsieur Pfimlin qui a remplacé Monsieur Gaillard.
  • Monsieur Coty, président de la république fait appel au général De Gaulle. Dans la tourmente Monsieur Maroselli perd son job de ministre et un peu plus tard celui de député.

Les événements s’accélèrent :

  • 28 septembre : référendum
  • 5 octobre : nouvelle constitution
  • 23 novembre : élection Assemblée nationale

Monsieur Maroselli offre aux officiers de la 11e brigade invités par carton personnel, un très brillant cocktail apprécié de tous pour la qualité du champagne et des amuse-gueules. Il tient aussi au grand casino une réunion électorale avec débat contradictoire prévu, à laquelle assistera l’ensemble des sous-officiers dînant au mess ce soir-là. Arrivant tous ensemble, bien avant le début du débat et prenant d’assaut la totalité des sièges du balcon, ils feront craindre le pire aux services d’ordre du candidat. Ce fut, je pense, une bonne partie de rigolade. Il n’y eut pas de bagarre. L’élection eut lieu, le parti radical balayé par la lame de fond UNR (gaulliste) et Monsieur Maroselli avec lui. Un certain Monsieur Clerget fut élu, totalement inconnu des aviateurs. Quelques jours plus tard le remplacement du colonel Lansoy par le colonel Le Groignec à la tête de la brigade se fait au cours d’une cérémonie où comme d’habitude les autorités civiles et militaires locales sont invitées. Le nouveau député, Monsieur Clerget, est présent et semble heureux d’être là. Par contre Monsieur le maire brille par son absence. Il ne s’est pas fait représenter non plus. Ce même jour dans l’après-midi je lui rends visite en poignard et gants blancs et lui exprime mes regrets pour son absence du matin. « Que voulez-vous, les aviateurs ont voté contre moi ». C’est bien regrettable si cela est vrai, mais je n’y suis pour rien, d’autant plus que je me demande sur quelle base on peut proférer une telle affirmation. Je n’ai pas revu Monsieur Maroselli depuis cette visite, je crois que le colonel Le Groignec a entretenu avec Monsieur le maire des relations correctes.

N’ayant pas pu exercer mon métier de chasseur pendant mon temps de commandement, je retournais à Luxeuil en avril 1959 pour faire un stage comme « caporal pilote » au groupe 2/11 Vosges où l’adjudant-chef Torrès après deux séances en double commande sur F 100 biplace me déclara « apte solo ». Merci à l’escadron 2/11 Vosges, et à ses commandants successifs le capitaine Marchand le capitaine Huguet qui m’ont permis d’effectuer une quarantaine d’heures sur ce merveilleux appareil, merci à l’adjudant-chef Torres qui m’a remis le pied à l’étrier.

Et vive la 11e Escadre de chasse qui m’a si bien traité.

LTT Lansoy (à l'époque)
LTT Lansoy (à l’époque)

Général LANSOY

Une réponse sur “La 11 ème Brigade de Chasse”

  1. Bonsoir,

    merci, grâce à ce récit, j’ai les circonstances du décès du Cdt BIHET.

    Je me suis toujours demandé pourquoi, il reposait dans le petit cimetière du village des mes aïeux maternels, non loin d’eux, à Taintrux (Vosges),où une plaque rappelle qu’il commandait la 11, et était Enfant de Troupes; alors que, natif de Lunéville (54), il avait épousé Béatrice del Marmol, fille du Baron Belge del Marmol de la province du Brabant.
    Le 30 novembre 1940, il est admis à passer les épreuves orales du concours d’entrée à l’Ecole de l’Air.
    Marc BIHET, de 1952 à 1953 fut le premier commandant de l’EC 1/12 Cambrésis , à l’époque à Mont-de-Marsan sur MD 450 Ourangan, puis transféré à Cambrai-Epinoy le 1 juillet 1953.
    Il est titulaire de la Médaille des Evadés (1946), Chevalier de la Légion d’honneur à 26 ans (1947), Officier de la Légion d’honneur en 1956 à 35 ans.

    Je suis preneur de tout renseignement le concernant, et je peux vous envoyer des photos de sa sépulture si vous le désirez.

    Salutations Aéronautiques et Vosgiennes.
    Jean-Loup FROMMER

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