Le JAGUAR : l’avion par lequel on fait la guerre (Général Michel FORGET)

Le Général Michel FORGET, Commandant en second puis Commandant de la FATAC-1ère RA (1976-1983), aussi appelé “Le grand YAKA”, unanimement respecté, a pris une part prépondérante dans l’histoire du JAGUAR et de la 11EC ; pour preuve l’article que je vous propose ci-après.

Le JAGUAR pour moi, c’est l’avion avec lequel on fait la guerre.

JAGUAR à N'Djamena
JAGUAR à N’Djamena

Ce fut aussi, à l’époque où je l’ai connu, de 1976 à 1983, l’avion des grandes premières qui ont marqué toute l’aviation de combat. C’est d’ abord avec des JAGUAR que, pour la première fois depuis la fin de la Guerre d’ Algérie, notre aviation de combat était amenée de nouveau à frapper et à frapper, en cette fin de l’année 1977, dans des conditions originales et nouvelles : un déploiement à 5.000 kilomètres de la base normale de stationnement ; des objectifs au sol à près de 1500 kilomètres du terrain de départ, avec retour sans escale et trois ravitaillements en vol à la clé. Là était la nouveauté. Au moment en effet où l’opération se montait, il n’était pas évident du tout que l’on puisse couramment effectuer des missions de guerre comportant trois ravitaillements en vol avec, au milieu, une action feu. Il fallait en tout cas le prouver. La démonstration fut rapide et éclatante. Les jeunes souriront peut-être en lisant cela. Telle était pourtant l’ambiance du moment. Le JAGUAR, par son aptitude au ravitaillement en vol, sa robustesse et son efficacité ainsi démontrées, devenait le fer de lance des ” actions extérieures “. L’intervention de nos forces aériennes prenait une toute autre dimension et un tout autre style qui font aujourd’hui encore l’actualité. Au lendemain d’ailleurs de ces événements, le 27 avril 1978, devant l’aggravation de la situation au TCHAD, dix JAGUAR décollaient de DAKAR pour rallier d’une traite N’DJAMENA où ils ouvraient la première page d’une histoire qui sera fort longue. Mais avant de se poser, quatre d’ entre eux se payaient le luxe d’une reconnaissance à vue à basse altitude à cent kilomètres au nord de N’DJAMENA, là où, dans la panique du moment, une colonne adverse était censée débouler sur la capitale tchadienne. En fait de colonnes de guerriers, les JAGUAR identifièrent de paisibles caravanes qui faisaient route au sud. N’DJAMENA respirait. Les JAGUAR étaient les sauveurs. Du coup, ils seront demandés un peu partout en Afrique, DAKAR, TCHAD, RCA, GABON et même un moment le TOGO, déploiements souvent sans préavis, voire totalement inattendus. Un ancien Commandant de la Base de SAINT DIZIER, alors commandant d’escadron à BORDEAUX, se souviendra longtemps de ce coup de téléphone de son chef à METZ, un vendredi soir, vers 18 heures, au moment où ” les cars ” avaient quitté bien sûr la Base : ” – Avant dimanche midi, quatre JAGUAR à LIBREVILLE. “. Ce qui fut fait…

Autre conséquence : alors qu’en 1977, un seul escadron de JAGUAR – le 3/11 – était spécialisé dans l’intervention Outre-Mer – donc apte au ravitaillement en vol – la quasi-totalité des unités de JAGUAR était peu à peu amenées à participer aux détachements en Afrique. L’aptitude au ravitaillement des pilotes – et des appareils eux-mêmes dont une bonne partie dut être modifiée en conséquence – se généralisait. La FATAC formait sa “coloniale”. Toute l’aviation de combat allait bientôt suivre le mouvement. C’est aussi avec les JAGUAR que furent montés les premiers exercices RED FLAG, dans le désert du NEVADA, en 1981 et 1982. L’avion le permettait du fait non seulement de son allonge, mais aussi de ses capacités d’emport – armement et surtout équipements de Guerre Électronique  et de ses performances à l’époque encore très satisfaisantes.

L’exercice, baptisé alors GREEN FLAG, du printemps 1981 et celui de 82 furent l’occasion de grandes premières, tant dans la méthode de préparation et de sélection des participants que dans la façon dont ceux-ci réussirent d’emblée à s’adapter aux tactiques et techniques de combat et de pénétration en vigueur alors dans l’USAF. L’enjeu était de taille. Des résultats obtenus dépendait la poursuite même de tels exercices, au profit d’autres unités et d’autres types d’appareils. De ces premiers exercices dépendait aussi, pour une large part, le développement de nos équipements de Guerre Électronique et de leur doctrine d’emploi. Et ce fut un succès, en même temps que l’occasion d’autres grandes premières. Pour la première fois en effet, des avions de chasse français à réaction traversaient l’Atlantique et le territoire des États-Unis, aussi large que l’Atlantique lui-même. Pour la première fois, de tels appareils se posaient, au passage, à POINTE A PITRE, d’où étaient organisés des exercices d’appui aérien au profit des Troupes de Marine de GUADELOUPE ; pour la première fois, une patrouille se posait à FORT DE FRANCE (avril1981).

C’est le JAGUAR enfin qui nous a permis, à l’époque, de définir des déploiements beaucoup plus larges pour nos unités de combat, en cas de crise en Europe, déploiements dont dépendait la sûreté même du dispositif de la FATAC. Nous vivions en effet une période où la Guerre froide avait tendance à devenir chaude. Camouflage, défense antiaérienne, durcissements des installations, déploiements et redéploiements des unités aériennes étaient à l’ordre du jour. L’Armée de l’Air poursuivait son effort – un effort considérable -en vue d’améliorer la posture opérationnelle de ses Bases. Ce fut la grande vogue du ” vert FATAC “avant que celui-ci ne soit détrôné par le ” jaune sable “. Ce fut la période des grands exercices de déploiement, facilités par le fait que le commandant de la FATAC avait alors autorité à la fois sur ses unités aériennes et sur ses bases. Le JAGUAR nous ouvrait, dans un tel contexte, de nouveaux horizons. Il était en effet, à l’époque, le seul type d’ appareil au sein de la FATAC capable d’ être déployé sur des terrains non munis de barrière d’arrêt, et ce dans des conditions de sécurité acceptable. D’où l’idée de réutiliser ces terrains OTAN évacués depuis longtemps par les Alliés et considérés le plus souvent par les spécialistes infra comme inutilisables à priori, car fragilisés ou hors d’usage ou encore inondés ou inondables et j’en passe… Une seule méthode : faire poser un JAGUAR, avec les précautions d’usage. C’est ainsi que ces terrains se sont révélés presque tous parfaitement aptes au service. De nouveaux plans de déploiement furent alors définis et testés. Beaucoup se souviennent de ce grandiose exercice ” NOVEMBRE VERT ” de… novembre 1982, où 20 escadrons de la FATAC furent déployés sur 20 terrains différents. Aux bases de déploiement et de stationnement traditionnelles, avaient été ajoutés, grâce au JAGUAR, les terrains de GROSTENQUIN, ETAIN, BELFORT,FONTAINE et même LUNEVILLE, terrain occupé par un régiment de Chars dont le Colonel eut la grande surprise de voir débarquer, un beau matin, un train opérationnel et technique de la FATAC avant l’atterrissage des premiers JAGUAR. Le Colonel était d’ autant plus surpris qu’aucun message ne l’avait prévenu : erreur des transmissions ou oubli d’un rédacteur… Aucune importance ; de toute façon, il y a prescription ! Les cavaliers sont heureusement des gens courtois. Ils me reçurent fort convenablement lors de la visite que je me devais de leur faire… Certes, depuis cette époque déjà lointaine, les JAGUAR ont fait mieux. Ils sont intervenus encore plus loin et plus fort – OUADIDOUM une fois, OUADIDOUM une deuxième fois, la Guerre du Golfe et j’en passe. Certes, ils ne sont plus les seuls, heureusement d’ ailleurs, à pouvoir opérer ainsi. D’autres avions de combat les ont rejoints et même dépassés dans leurs performances. Mais il revient au JAGUAR, de par la dimension, alors nouvelle, de ses interventions et de par la puissance et l’efficacité de ses raids, d’avoir affirmé la place et le rôle déterminants de l’aviation de combat OFFENSIVE dans les stratégies d’aujourd’hui.

ATL et 2 JAG
2 JAGUAR et un ATL2

Le JAGUAR fête aujourd’hui ses vingt ans. J’avais eu l’honneur de présider sur la Base de SAINTDIZIER, le 22 avril 1983, les cérémonies marquant les 100.000 heures de vol sur JAGUAR de la 7ème Escadre (et du coup les 10 ans du JAGUAR). Le temps passe. Le JAGUAR vieillit lui aussi. Il lui faudra sans doute atteindre l’an 2000. Son armement offensif a été magnifiquement perfectionné (AS30 Laser notamment) et diversifié d’heureuse façon. Mais ses performances en vitesse et ses équipements – GE et GPS mis à part – sont restés pratiquement inchangés. C’est peut-être là la rançon de ses succès initiaux et des grandes premières qu’il nous a offertes. On ne s’est pas suffisamment rendu compte qu’il vieillissait… L’essentiel est que la leçon soit retenue pour ses successeurs. Cet hommage au JAGUAR, à partir de souvenirs vécus, est aussi, bien sûr, un hommage aux équipages, aux mécaniciens, à tous ceux qui ont pensé, conçu, développé, expérimenté et mis en œuvre cet appareil qui fera date dans l’histoire de l’aviation de combat. C’est aussi un hommage aux équipages des avions ravitailleurs et du Transport, toujours associés aux missions lointaines du JAGUAR, hommage aussi à ceux du BREGUET ATLANTIC (un nom de même famille !), dont  j’ai pu apprécier la qualité d’une aide, à l’époque, souvent indispensable. Et puis… merci au JAGUAR pour les grands moments qu’il m’ a permis de vivre.

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