MISSION AU DESSUS DU KOSOVO

MISSION AU DESSUS DU KOSOVO

La nuit qui précède une mission réelle est faite d’un sommeil étrange qui vous laisse au réveil une impression un peu bizarre. Pour tuer le temps j’allume la télé juste pour voir les images de l’épave d’un F117 qui s’est fait descendre dans la nuit au nord de la Serbie. Je ne peux pas m’empêcher de penser que ça va être dur sur nos bons vieux Jaguar…

Le contrôle italien nous a arrangés en rien de temps une clearence IFR pour partir dans les meilleures conditions. Malgré la configuration très lourde de nos avions, le décollage s’est bien passé, un peu moins de 30 secondes pour avoir les 140 nœuds, un peu moins de 20 minutes pour atteindre le niveau 200, niveau de croisière vers les zones de ravitaillement en vol. Ce sont d’honnêtes « perfs » pour ce chasseur conçu à la fin des années 60 ! En ce tout début de compagne aérienne de l’opération « Allied Force », l’organisation de l’espace aérien ou dessus de la mer Adriatique est anarchique. Trouver le bon ravitailleur n’est pas une mince affaire. Coup de chance, aujourd’hui, notre « Texaco » est un C I 35 FR du Bretagne. A la fin du ravitaillement, l’équipage nous souhaite bonne chance en promettant de nous garder suffisamment de pétrole ou retour ou cas où on aurait un souci avec les très peu procéduriers ravitailleurs de « l’US National Guard » prévus dans I’ATO.

En mission au-dessus de la Yougo
En mission au-dessus de la Yougo
Rvt sur Tristar avant mission de tir 1000kg (Coll. Faucheux)
Ravitaillement sur Tristar

Nous allons vers les circuits d’attente au large de l’Albanie. C’est la dernière phase de vol tranquille avant le rush final, par acquis de conscience j’en profite pour vérifier une dernière fois mon système d’armes. A l’heure dite, à l’aide de nos GPS, nous intégrons le raid de bombardiers à la file indienne. A 5 miles nautiques les uns des autres, on a un peu de mal à se voir malgré une météo de « pape ».

Les six JAGUAR, répartis en trois patrouilles légères séparées par une minute de vol, volent maintenant dans le ciel de la Serbie.

Ça chauffe ! Déjà mon jeune équipier m’annonce avec un calme surprenant une explosion proche de ma position, je jette un œil juste pour apercevoir une volute de fumée sombre pas vraiment loin ; ce n’est pas encore pour maintenant, le grand saut… Je m’affaire avec le joystick afin de trouver rapidement mon objectif, une caserne des forces serbes. J’ai déjà repéré une grosse ville de laquelle sort une autoroute. Sur l’écran minuscule en N&B, je suis la ligne blanche de l’autoroute, les manettes de gaz sont sur plein gaz sec, cela limite la signature infrarouge mais ça nous fait un malheureux 320 nœuds indiqués ou niveau 200… L’autoroute commence à serpenter dans la montagne, je redescends la caméra sur le premier carrefour puis je pars à droite, je dois traverser 3 villages, au troisième, j’emmène la fenêtre de désignation ou sud et je trouve enfin la caserne. Il me reste à compter les bâtiments, le mien est le 8ème et l’aile droite est le point d’impact.

Tir et ... résultat
Tir et … résultat

Je le désigne, passe en poursuite automatique et l’annonce avec soulagement à mon fidèle équipier. Je peux alors regarder ailleurs et voir des colonnes de fumée gigantesques monter dans le ciel, car les premières bombes sont déjà tombées. Fort heureusement le vent pousse cette fumée opaque dans le bon sens et ne gêne pas la poursuite auto. Néanmoins la présence de nuages au-dessus de la région m’oblige à virer vers la gauche pour pouvoir maintenir une illumination continue du point d’impact. A la distance GPS restante mon numéro deux m’annonce qu’il vient de tirer les 500 kg de bombes guidées laser. Il y en a pour 40 secondes, je suis rivé sur l’écran pendant ce laps de temps, pendu au décompte qui apparaît sur l’écran dès l’illumination laser. Cette poignée de secondes durent une éternité. Vers 45 secondes apparaît dans l’écran une explosion monstrueuse, suivie de l’apparition immédiate d’une colonne de fumée. Le renseignement avait vu juste, cet objectif d’apparence anodine devait être en fait un dépôt de munitions. De sa voix très rauque, mon n°3 explique à son équipier que la météo gêne considérablement sa visée. Après la désignation de la cible, il annonce qu’il vire vers la droite. Hélas à sa manière d’éructer sur la fréquence, je comprends qu’il regrette déjà son choix. Le n°5 est plus optimiste même si son ailier lui signale de manière circonspecte une série d’explosions non loin de leur patrouille. Mais les choses se passent au mieux car il est presque joyeux quand il annonce « Bingo ! ».

La sortie des lignes reste problématique car nous sommes séparés. Le rassemblement est à la fois tardif et acrobatique alors que quelques panaches noirâtres apparaissent encore ici et là non loin de nos carlingues. Le vol retour vers le ravitailleur puis le terrain d’lstrana se fait le cœur nettement plus léger qu’à l’aller, allez savoir pourquoi… Le soir, ou bar de l’hôtel qui nous sert de bar de l’escadrille, c’est la relâche complète, la bière et la grappa coule sons doute un peu trop; ça commente à tout va cette journée un peu spéciale mais quel bonheur: tout le monde est rentré !

Demain, la fête sera finie et lentement la concentration reviendra, chacun, à sa manière, gérera le stress de combat. Mais avant de repartir en mission, il nous faudra passer encore une nuit un peu surnaturelle.

Denis Charlot

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