L’attaque de Ouadi Doum ( 1 ère partie)

L’attaque de Ouadi Doum

En 1985 le Tchad, dirigé par Hissen Habré, était partagé en deux. Le 16e parallèle faisait office de frontière avec la Libye. KoroToro à l’ouest et Oum Chalouba à l’est, étaient les points habités les plus avancés du Tchad. De part et d’autre de cette ligne désertique que traversaient quelques pistes, des groupes armés s’observaient et se battaient régulièrement pour la conquête d’un morceau de sable ou pour le plaisir. Khadafi tendait à vouloir s’approprier de grands morceaux de ce désert. Son avance sera stoppée par une opération aérienne française d’envergure (après plusieurs annulations). En effet, il y a 30 ans, le 16 Février 1986, 11 Jaguar de l’escadron 1/11 Roussillon, attaquaient la piste de Ouadi Doum située au Tchad. Je vous propose dans cet article, tiré de la revue des anciens de l’École de l’Air, de voir et de comprendre ce qui s’est passé avant la date du raid

Le commandant de l’opération, le général BRUN, raconte.

Les débuts

Au cours de l’année 1984, il apparut clairement que la Libye avait débuté la construction d’une base et d’une piste d’atterrissage qui, lorsqu’elle serait achevée, modifierait considérablement l’équilibre stratégique local en plaçant N’Djamena à portée d’avions de combat, ce qui n’était pas le cas auparavant, les plus proches terrains libyens se situant à plus de 1200 km de la capitale. À partir de ce moment, la progression des travaux de la piste fut suivie avec une très grande attention par les autorités françaises. Tout portait à croire qu’une fois la piste achevée, les Libyens et leurs alliés stationnés à Faya et à Fada pourraient envahir le Tchad en bénéficiant d’un appui aérien, face à des Tchadiens qui en étaient démunis. Après l’opération Manta en 1983, la France avait quitté le Tchad ; ne demeuraient sur place que quelques coopérants.

En février 1985, il fut demandé à la Force aérienne tactique de proposer une solution opérationnelle qui permettrait de neutraliser la piste en construction. L’étude me fut confiée et, avec l’un de mes adjoints, le commandant René Giraud (64 – Carpentier), nous rédigeâmes à la main, dans le plus grand secret, l’étude demandée. Il était évident que de nombreuses difficultés devaient être surmontées: distances, munitions appropriées, sécurité, recalage de la navigation et nature du revêtement de la piste qui était constitué de plaques métalliques en double épaisseur, encliquetées entre elles et posées sur un sol dur. Elles n’avaient qu’un lointain rapport avec les plaques PSP. Le premier choix fut de déterminer le type de munitions qui permettrait de neutraliser la piste. Plusieurs solutions s’offraient à nous, parmi lesquelles les bombes classiques et les deux types de munitions anti piste dont disposait à l’époque la FATac : les Durandal et les BAP 100 .

Une analyse approfondie nous permit d’établir que la meilleure solution serait d’équiper les avions de BAP 100, munitions plus légères que les Durandal, qui pouvaient être emportées en plus grand nombre (jusqu’à18) avec un adaptateur situé sous le ventre de chaque appareil. L’objectif était de réaliser des coupures, en attaquant la piste avec 10 à 15 degrés de convergence, les appareils étant placés dans une formation suffisamment écartée pour que toute la longueur utile de la bande de décollage soit découpée en tronçons inexploitables. Le C.FATac approuva notre étude, la proposition d’ordre d’opération fut transmise aux états-majors de l’Armée de l’air et des Armées deux jours après la réception de la demande.

 

Bombes DURANDAL
Bombes DURANDAL
BAP 100
BAP 100

 

Convaincre certains ne fut pas très aisé mais je parvins à démontrer que le projet était cohérent et qu’il présentait, compte tenu des difficultés à résoudre, le meilleur compromis possible. En particulier, je démontrai que non seulement les BAP 100 feraient des trous dans la piste en explosant sous le revêtement comme elles l’auraient fait sous une bande bétonnée, mais que de surcroît elles gondoleraient le mécano métallique de la surface rendant, du fait des déformations subies par les plaques, très difficile sinon impossible toute réparation rapide.

La résolution des difficultés particulières

D’autres difficultés immédiatement identifiées résidaient dans :

  • le faible nombre de terrains de stationnement et de départ utilisables ;
  • les distances à parcourir ;
  • la capacité limitée du système de navigation des Jaguar.

Tous les terrains existants en Afrique centrale furent étudiés mais il fallut bien admettre que seuls Libreville et Bangui possédaient la capacité d’accueillir aussi bien les avions de combat que les ravitailleurs. En effet, en 1985, les C135F des FAS n’avaient pas encore été remotorisés avec des CFM 56. Les capacités de leurs propulseurs à ces latitudes limitaient leurs performances au décollage, allongeant leur course, limitant leur poids maximal et en conséquence, réduisant d’autant le carburant pouvant être délivré en vol aux avions de combat. En outre, les conditions de stationnement des avions étaient difficiles à maîtriser sur des terrains civils comme Libreville et Bangui dont les parkings étaient exigus et les conditions de roulage aléatoires. Enfin il fallait pouvoir relier les différents chefs de détachement par des liaisons protégées et fiables au sol comme en vol, et ce n’était pas une mince affaire, ce domaine n’ayant pas beaucoup évolué depuis l’opération Manta!

 

Carte d'Afrique
Carte d’Afrique

 

Un atout cependant était représenté par le Breguet Atlantic de l’Aéronautique navale. Poste de commandement en vol déjà utilisé à maintes reprises dans les opérations passées, cet appareil disposait d’une capacité remarquable de transmissions, de recueil du renseignement et de guerre électronique ; et les équipages qui se relayaient à Dakar et Bangui possédaient un niveau opérationnel remarquable. L’étude achevée proposait un dispositif de 8 Jaguar armés de BAP 100 et chargés d’équipements de guerre électronique d’autoprotection, des C135F en nombre suffisant et un Atlantic. Seuls les terrains de Bangui et de Libreville seraient utilisés, à l’aller comme au retour; N’Djamena était interdit sauf en secours. De plus, il n’était pas envisagé de réaliser de ravitaillement en vol au nord du 16e parallèle, ce qui se serait justifié parfaitement, mais aurait compliqué un peu plus le déroulement de la mission.

L’officialisation de la mission

Le projet fut finalement adopté au début du mois d’avril 1985; il fut baptisé du nom de code «Pivert». L’ordre d’opération fut diffusé en quelques exemplaires réservés et sévèrement classifiés. Le CEMA suivait personnellement l’affaire. Le commandement tactique me fut confié par le CEMAA et le C.FATac. À ce moment-là, la piste de Ouadi-Doum était recouverte de plaques métalliques sur environ 1600 m, les menaces sol-air identifiées se limitaient à des SA7 et des mitrailleuses.

Nous n’entendions plus parler de l’affaire, mais en réalité la situation était suivie au plus haut niveau. L’idée d’une frappe progressait tandis qu’au nord du 16e parallèle la piste de Ouadi-Doum s’allongeait. Le fabricant des fameuses plaques fut identifié. Cela permit d’en acheter une petite quantité et, une fois assemblées, de faire une expérimentation de l’efficacité des munitions prévues en grandeur nature. L’essai confirma nos suppositions.

Puis l’attente se poursuivit, ponctuée de temps en temps par des missions de reconnaissance destinées à surveiller l’évolution du dispositif libyen et à identifier les éventuelles émissions électromagnétiques des radars de veille ou des systèmes sol-air. Je restais en métropole comme les moyens destinés à l’opération.

Les premiers préparatifs sérieux

C’est après l’été 1985 que l’on reparla de cette mission. Malgré les conditions de chaleur régnant le jour au niveau du 18e parallèle, la piste s’était considérablement allongée et de petits avions d’entraînement pouvaient déjà l’utiliser. La défense sol-air avait été renforcée et les troupes au sol bivouaquaient encore au nord du 16e parallèle sur les principales pistes. À plusieurs reprises, des missions de reconnaissance, baptisées « Musaraigne », furent réalisées depuis Bangui par une patrouille légère de deux Jaguar équipés de bidons photo spéciaux. Ces avions allaient survoler le nord du 16e parallèle vers 15000 pieds pour y prendre des photos et observer ainsi la position et le volume des forces terrestres qui, l’arme au pied, tenaient les axes de communication face aux éléments tchadiens.

Le 28 octobre, je rejoignis Bangui par voie civile car, sous couvert d’un exercice banal planifié, une mise en place de la totalité du dispositif avait été décidée par le CEMA. En 48 heures l’ensemble du dispositif dont une partie venait de France fut prêt à intervenir. Le 1er novembre, tout fut démonté et le retour des appareils en surnombre, vers Dakar ou la métropole, fut réalisé tout aussi rapidement. Arrivé en France, je rendis compte de la réalisation de cette mise en place d’éléments dispersés qui aurait permis de frapper rapidement en bénéficiant de l’effet de surprise. À la lumière de l’expérience, des ajustements furent décidés.

Quelques jours après, dans la nuit du 9 au 10 novembre, je fus réveillé vers 1h du matin. Je sautai dans un N262 qui me conduisit en pleine nuit de Metz à Istres où m’attendait l’un des C 135F du dispositif. Nous rejoignîmes immédiatement Bangui. De toutes les bases concernées convergeaient simultanément les avions et les échelons techniques. La montée en puissance fut aussi réussie que la fois précédente alors que son déclenchement s’était produit sans aucune alerte préalable. L’annulation de la mission, qui était totalement prête, intervint dans le courant de l’après-midi du troisième jour. Je rentrai aussitôt dans l’un des C135 qui se posa à Roissy pour l’occasion, et je rendis compte immédiatement directement au CEMA en présence du CEMAA. Ils prirent la décision d’augmenter le dispositif et me demandèrent 12 Jaguar, 2 Atlantic, 4 Mirage F1 au parking à Bangui. d’ajuster en conséquence l’ordre d’opération. Le nombre de Jaguar fut porté à 12 appareils, auxquels s’ajoutèrent 4 Mirage F 1 de défense aérienne ainsi que 2 Transall ravitailleurs et, bien évidemment, le nombre de C135 F fut porté à 5 appareils.

L’ultime répétition

Le 4 décembre, le déclenchement impromptu de l’alerte vit l’ensemble des moyens se mettre en mouvement dans les plus brefs délais vers Bangui et Libreville. Le 5 décembre au soir, la totalité des avions et des personnels étaient en place. Le lendemain matin les derniers briefings se déroulèrent en présence de tous les chefs de dispositifs, y compris celui des C135F stationnés à Libreville. La situation tactique avait changé. Les moyens de défense sol-air s’étaient accrus. Les missions «Musaraigne» avaient permis d’établir une situation précise des radars de veille installés au Nord, à Faya et Fada en particulier, où se trouvait à présent un Flatface et à Ouadi-Doum où l’on avait identifié un Spoon-Rest, un Land-Roll et les systèmes sol-air SA 6, SA 7, SA 8 et SA 9, renforcés par la présence de canons de 14,5mm et de quadri-tubes de 23 mm, les ZSU 23/4. Les radars de veille accroissaient les risques, dans la mesure où, détectant un éventuel raid de beaucoup plus loin, ils pouvaient attirer très rapidement l’attention de la défense aérienne et de la chasse libyenne.

Le 5 décembre au soir j’attendis, à partir de 19h00 dans la cabine de la station Syracuse, la confirmation ou l’annulation de la mission. En cas de confirmation, je devais immédiatement transmettre l’heure H à tous les éléments du raid puis décoller le premier dans l’Atlantic PC-volant à bord duquel je commandais l’opération. Vers 20h00 un message arriva, annulant l’opération «Pivert». Je restai à Bangui avec la plus grande partie du dispositif en attente d’une visite du CEMAA.

Encore l’attente

Si en novembre les exécutants avaient un peu douté que la mission fût déclenchée, le 5 décembre chacun y avait cru jusqu’au dernier moment. La tension avait été perceptible pendant les briefings et tous avaient été déçus de son annulation. Afin de tester le dispositif ennemi au sol une mission «Musaraigne» de deux Jaguar fut déclenchée le 7 décembre, suivie quelques jours plus tard par une autre que je réalisai avec un vieux pilote du 4/11, habitué du Tchad. Ces missions confirmèrent la présence de troupes et de véhicules au nord du 16e parallèle. Dans le courant du mois, nous apprîmes qu’un ou deux appareils d’entraînement s’étaient posés à Ouadi-Doum. Le 18 décembre, le chef d’état-major de l’Armée de l’air, le général Capillon (50-Schloesing), vint inspecter l’ensemble du dispositif aérien. Il put observer la grande concentration des appareils sur la base aérienne de M’Poko. Puis avec la fin de l’année, on revint au dispositif normal.

La mission se précise

Au mois de janvier 1986, trois détachements de 4 Jaguar (cellule rapace) stationnaient sur les sites de Bangui, Libreville et Dakar, sur chaque terrain se trouvait également un C135F. Le 14 février, la mise en place fut déclenchée. Les Jaguar, les C135 et tous les éléments du dispositif convergèrent sur leurs terrains de décollage respectifs; je rejoignis Bangui avec les C135F supplémentaires alors que, dans le même temps, un message d’Armées-Paris avait été envoyé aux trois centres d’opérations (Air, FAS, FATAC) et au Comelef de Bangui: « Prenez disposition pour pouvoir exécuter mission Trionyx à partir de Bangui dimanche 16 février matin… Mission Trionyx sera confirmée par EMA le 15 février avant 17h00 Z. »

Le nom de l’opération avait changé, « Pivert » sans doute trop utilisé depuis presque une année était remplacé par « Trionyx ». Tous les participants présents sentaient que cette fois-ci ce serait la bonne, d’autant que simultanément se préparait la mise en place à N’Djamena des premiers éléments qui allaient, après l’attaque de Ouadi-Doum, composer l’opération «Épervier».

Le dispositif définitif

Les moyens mis en œuvre pour l’attaque furent les suivants:

– 12 Jaguar équipés de moyens de guerre électronique d’autoprotection dont 8 armés de 12 bombes anti piste de 100 mm (BAP 100) et de deux réservoirs largables de 1200 litres, et 4 de 2 bombes de 250 kg freinées et d’un réservoir largable ventral de 1200 litres. Ces appareils étaient destinés à l’attaque du terrain. Ils possédaient chacun en interne une caméra Omera 40 à balayage sur 180° qui permettait de filmer pendant les passes de tir;

– 4 Mirage F1 C de défense aérienne, équipés de missiles et de canons. Ils étaient surtout prévus pour escorter les C135F et ne devaient pas s’en séparer, restant de ce fait au sud du 16e parallèle;

– 6 C135F ravitailleurs en vol décollant de Libreville et de Bangui;

– 1 Atlantic PC-volant (doublé d’un spare) où se trouverait le chef de mission. Destiné à la veille électronique et au renseignement, il permettrait le commandement en vol des composants du raid, les transmissions avec les appareils et les centres d’opérations concernés, le compte rendu en vol et toutes les décisions devant être prises à chaud en fonction des circonstances, qu’il s’agisse de la conduite de la mission ou de la sécurité.

– 1 Puma prévu pour la SAR (Search and rescue).

– 2 Transall ravitailleurs stationnés à N’Djamena et à Bangui: capables de décoller sur alerte pour ravitailler en secours des avions de combat déroutés, ayant subi des avaries ou incapables de se poser du fait du mauvais temps.

 

Parking Bangui 12 Jag, 4 F1C, 2ATL 2
Parking Bangui 12 Jag, 4 F1C, 2ATL 

 

Les ultimes préparations

Le leader du dispositif des Jaguar était le commandant de l’Escadron de chasse 1/11, le commandant de Tellier (71-Blanckaert), son député leader était son second, le commandant Carbon (72-Madon), deux pilotes d’une grande expérience et deux chefs incontestés.

Les pilotes de l’escadron logeaient dans une villa proche du camp des 200 villas. C’est là, dans la salle à manger de la villa, dans des conditions relativement rustiques, quelquefois sur le sol, qu’ils tracèrent leurs cartes et traitèrent toutes les données nécessairement adaptées juste avant la mission : consommations, éléments de décollage, paramètres de tir et synthèses des renseignements. Les quinze pilotes qui composaient l’ensemble du détachement Jaguar accomplirent cette ultime tâche avec bonne humeur et efficacité. Dans le même temps, le leader des C135F et ses équipages effectuaient le même travail sur leurs bases respectives. Tous les leaders se retrouvèrent le 15 février en début d’après-midi dans la salle de briefing des Éléments Français en Afrique Occidentale (EFAO). À 17h30, chacun regagna son poste d’alerte pour attendre l’arrivée du message de confirmation ou d’annulation.

Le message fut envoyé par Armées-Paris le 15 février à 16h45 Z soit 17h45, heure de Paris. Il fut aussitôt répercuté sur les chefs de détachement. L’heure H, qui correspondait à l’heure de décollage des Jaguar, fut fixée à 04h30 Z soit 05h30 locale le lendemain matin, le dimanche 16 février 1986.

L’heure de décollage conditionnait toute la chronologie de la mission, y compris le décollage de l’Atlantic qui intervenait le premier, 3 heures avant l’heure H, ainsi que la mise en alerte et le décollage des trois C 135F de Libreville qui, pour être au rendez-vous des ravitaillements en vol, devaient décoller 1 heure 25 minutes avant les Jaguar.

Chronologie de la mission

La carte jointe montre le parcours prévu pour les Jaguar ainsi que les axes de ravitaillement. Pour permettre d’apprécier les distances, on peut dire que Libreville correspondait à Gibraltar, Bangui à Orange, Ouadi-Doum se situant approximativement au nord de l’Écosse. L’espace situé au nord de Bangui n’offrait aucun équipement de navigation et un seul terrain de secours, N’Djamena. Quant à la récupération d’un pilote éjecté au nord du 16e parallèle, elle reposait sur un dispositif très aléatoire!

La chronologie était la suivante :

H-3h Transmission de la météo pour la totalité du dispositif;

H-2h30 Décollage de l’Atlantic PC-volant;

H-1h25 Décollage des 3 C135F de Libreville;

H-1h00 Transmission de la météo pour les Jaguar;

H-0h30 Mise en alerte de la SAR;

H Décollage des Jaguar;

H Décollage du 4e C135F de Libreville;

H +0h37 Rassemblement des trois C135F de Libreville et des Jaguar et début du 1er ravitaillement;

H+1h00 Décollage des 2 C135F de Bangui;

H+1h00 Décollage des 4 Mirage F1C;

H +1h12Fin du 1er ravitaillement;

H+ 1h31Début du 2e ravitaillement en vol des Jaguar;

H +1h54 Fin du 2e ravitaillement;

H+1h55 Passage des Jaguar au nord du 16e parallèle en descente à basse altitude. Dernière possibilité d’annulation de la mission

H+1h56 Début du ravitaillement en vol des Mirage F1;

H+2h10 Fin du ravitaillement en vol des Mirage F1;

H+2h14 Attaque de Ouadi-Doum par les Jaguar;

H+2h36 Passage du 16e parallèle par les Jaguar;

H+2h57 Rassemblement des Jaguar et des C135F et 3e ravitaillement en vol des Jaguar;

H+3h14 Fin du 3e ravitaillement;

H+4h20 Atterrissage de 2 C135F à Libreville;

H+4h30 Atterrissage des Jaguar à Bangui;

H+4h45 Atterrissage des 2 C135F à Bangui;

H+5h20 Atterrissage des 2 derniers C135F à Libreville;

H+6h00 Atterrissage de l’Atlantic à Bangui;

À cette chronologie s’ajoutaient bien évidemment de nombreuses dispositions particulières qui s’efforçaient de prévoir tous les aléas envisageables. La totalité des incidents possibles avait été envisagée, et il faut avouer qu’à certaines phases de la mission les risques étaient nombreux. Plusieurs contraintes s’exerçaient sans qu’il soit possible de les éviter comme, par exemple pour les C135F, leur imbrication sur le parking exigu de Libreville, la nécessité de remonter la piste pour décoller, ou les limites dues aux conditions météorologiques locales (risque d’orage inondant la bande, incident dû à un appareil civil). Les mêmes risques étaient à redouter au décollage de Bangui, un décollage avorté d’un Jaguar pouvait retarder toute la mission, entraîner une consommation excessive des ravitailleurs et perturber les rassemblements. L’heure limite de décollage des Jaguar dans la configuration lourde qui était la leur ne pouvait dépasser 10 heures du matin. En vol les risques étaient plus classiques, les ravitaillements en vol par exemple: le point unique de ravitaillement dont disposaient les C135F condamnait les Jaguar à se succéder derrière la perche, mais la configuration, l’altitude et la température obligeaient les pilotes à le faire avec la postcombustion modulée, le bénéfice des ravitaillements en vol était limité par la consommation importante des avions pendant qu’ils se déroulaient.

Il serait trop long d’énumérer toutes les difficultés auxquelles je pensais ce 15 février vers 23h00, étendu sur un lit Picot dans le PC des 200 villas à Bangui en attendant de partir vers l’Atlantic.

Déroulement du raid

L’Atlantic décolla comme prévu. Il faisait nuit sur Bangui. Les prévisions météorologiques étaient favorables. Il ne restait plus qu’à attendre les confirmations des décollages successifs puis à suivre toutes les phases du raid, les ravitaillements, l’attaque et son compte rendu en vol, qui devait être aussitôt retransmis en code à Paris, afin que soit immédiatement exploité son résultat dans le contexte très politique et très médiatique qui environnait les affaires franco-africaines et tout particulièrement le Tchad. Le compte rendu du décollage des C 135F de Libreville ne me parvint pas pour des raisons de transmission. Comme il était, de toutes les façons, prévu que seuls les problèmes remettant en cause la suite du raid seraient immédiatement transmis à l’Atlantic par tous les moyens, y compris non discrets, je ne m’inquiétai pas outre mesure.

Jean-Jacques Brun (61 – Moulin)

A suivre

7 réponses sur “L’attaque de Ouadi Doum ( 1 ère partie)”

  1. Je remercie l’auteur de ce compte rendu exhaustif permettant de compendre la complexité d’une telle mission.

    Étonnamment, si les grandes lignes sont connus depuis plusieurs années via les magazines spécialisés, ce sont les sites anglophones qui donnaient le plus de détails.

  2. Mon Général, j’étais sous vos ordres au CEAM lorsque j’ai expérimenté la BAP 100 sous Jaguar A sur un échantillon de la piste de Ouadidoum, un timbre poste de 20 * 20 m amené en grand secret sur le champ de tir de Calamar à Cazaux.
    A 60 ft 500 kt, la cible ne représentait qu’un fin trait sur sol aussi nous la matérialisâmes par 2 panneaux rouges de chaque côté en son début.

    L’EMAA m’affecte 72 munitions actives et une douzaine d’inertes.

    Sur un message émanant de vous alors que vous étiez encore à la FATAC vous demandiez avant de rejoindre le CEAM de « plancher » sur un mode de tir plus efficace que celui complètement manuel pour larguer ce genre de munitions super freinées en TBA TGV ou la moindre erreur d’altitude courait en inverse de la tangente de l’angle de tir => le besoin de 12 munitions minimum pour tenter une coupure à 15 degrés.

    J’avais trouvé la solution sans modification avion juste en jouant avec les intervallométres avion et « planche à voile ».

    Il y a prescription car j’ai fait une expérimentation sans fiche verte en soudoyant la société TBA de me passer une BAP d’exercice en échange d’une mitrailleuse 12,7 qui trainait dans un coin pour faire un tir sur Calamar, là où 2 anciens SM B2 se faisaient face.
    J’ai fait montré cette munition au poste 3 de l’adaptateur et elle arriva pile entre les 2 tubes pitot des avions.
    Il y eut un rapport écrit mais non diffusé à l’époque évidemment !

    Ainsi pour le tir d’expérience sur cette micro plaque, on me laissa faire les tirs.

    La première bombe d’exercice fit plein but en son centre, au grand étonnement du CEV.

    Ensuite nous montâmes 3 BDG, un fort vent latéral lors de ce tir bien centré rasa la cible par la gauche ; il fût refait dans la journée et fit plein but.
    Le CEV m’offrît le champagne !
    Puis nous testâmes l’effet d’un 400 kg freinée sur le reste de la piste en statique.

    Peu avant l’attaque je fus convoqué au COAIR pour apporter la check list de cette nouvelle méthode de tir ; tous les terrains en région parisienne étaient « rouge » météo et enneigés.
    Pas d’autre choix au vu de l’urgence que de le faire en Alphajet au départ de Cazaux avec ce seul terrain de déroutement.
    L’atterrissage sur la neige à Brètigny ne posa pas de problème avec du moteur et de l’incidence dans le jaune, le roulage fût plus délicat par contre pour rejoindre le parking.
    Je rejoignis le COAIR avec les documents et répartis dans la nuit pour rentrer au bercail avion complètement nettoyé et piste déneigée.

    La FATAC en resta à ses anciennes procédures pour conduire l’attaque de Ouadidoum hélas.

    Pour finir les mêmes procédures marchaient aussi très bien pour larguer les BAT 120 sous Jaguar A et en fis la démonstration lors d’un CSI à Cazaux sur un convoi de véhicules qui fut pulvérisé avec 6 munitions actives seulement.

    Paul de Foucaud.

  3. Je sais que cela s’est passé il y a plus de 35 ans, mais un passage du commentaire me laisse songeur “tirer une BAP à 60ft et 500 kts”. Dans la séquence de tir d’une BAP 100, il y a une phase pendant laquelle le parachute va se déployer, puis arrivant à un angle de 45° le booster s’allume et donne de la vitesse à la bombe qui va pénétrer la piste. Tirer à 60 ft , alors que l’altitude requise est de 250 ft, ne permet pas le déroulement de toutes les séquences. Ensuite les 500 kts ont été la cause des trajectoires aberrantes des BAP 100 tirées à Ouadi-Doum, pour la raison toute simple que la fiche d’expression de besoin stipulait que les bombes étaient tirées à une vitesse de 450 kts ; les ingénieurs ont donc conçu le parachute de la BAP 100 pour résister à une vitesse de 450 kts et pas plus !

  4. Je me suis permis d’indiqué la vitesse de 450 nœuds sur la fiche du wiki sur cette munition qui est très succincte. L’altitude de 250 pieds était une obligation pour un tir précis ?

  5. La vitesse de 450 kts était celle qui était préconisée, mais lors de l’attaque, elle était de 500 kts ce qui a provoqué le mal fonctionnement de certains parachutes dimensionnés pour 450 kts, ce qu’on ignorait. 250 ft devaient correspondre à l’altitude minimum pour que toutes les séquences (ouverture et déploiement parachute, accélération booster) puissent se dérouler dans de bonnes conditions. Quant à la précision, compte tenu du fait qu’on emportait 12 bombes et qu’entre chaque bombe il y avait une intervalométrie de 30 ms, cela donne une “couverture de 80m. Pour une piste prise sous un angle de 15°, c’est largement suffisant pour en mettre 2 ou 3 dedans.

  6. J’étais en poste comme Officer infra à Cazaux quand l’expérimentation à été faite avec à sa tête le Lcl Dan Jordan de Chassigny de l’EMAA qui a déboulé un jour sans prévenir.
    Les 400 m2 de plaques ont été mis en place par l’antenne du SSBA de Gironde dont le patron était Mr Vervandier

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