Mort du capitaine CROCI ; 30 ans déjà

 

Cne Croci (EC4.11)
Capitaine Michel CROCI

Il y a 30 ans le Tchad vivait une époque agitée qui avait amené le déclenchement de l’opération MANTA à l’été 1983. Dans le cadre de sa mission, la 11 ème escadre de Chasse avait assuré les détachements de 4 Jaguar à N’Djamena ; le 4/11 qui était parti sur alerte au mois d’Aout, le 3/11 avec le CDT Durand puis moi avec le 2/11. La relève avec le Detam de CROCI s’était effectuée entre Noël et nouvel an. La situation sur le terrain était tendue, mais mis à part les inévitables montées en puissance avec montage d’armement qui ne s’étaient pas concrétisées, le détachement avait été pénible à cause notamment des conditions d’hébergement et de vie, mais relativement calme sur le plan des opérations. Par contre, il s’était passé beaucoup de choses sur la base aérienne et je serai peut être amené à vous en reparler.
Je connaissais assez peu Michel Croci, mais lors des quelques jours que nous avions passés ensemble, j’avais été frappé par la tranquillité qu’il dégageait et l’adhésion qu’il avait de ses troupes ; signes d’une grande expérience professionnelle et de grandes qualités humaines. Le capitaine Michel Croci était unanimement apprécié et reconnu pour ses qualités de pilote et de chef. C’est donc l’esprit tranquille que je lui laissais les commandes du détachement le 30 Décembre.

Je vous propose ci-après le témoignage du Cne Kerfrieden qui aurait du effectuer la mission au cours de laquelle Michel Croci a trouvé la mort.

OPERATION MANTA

Par le CDT Kerfriden, à l’époque pilote de l’EC 4/11 “JURA”, par la suite commandant d’escadrille de l’EC 2/11 “VOSGES.

25 janvier 1984 en fin d’après-midi. Les personnels des escadrons en détachement à N’DJAMENA attendent sur le parking le retour des avions partis une heure plus tôt avec le fameux” BINGO VERT “, version française du ” Licence to kill “.

Cela fait bientôt un mois que les escadrons 2/12 et 4/11 vivent ensemble et des liens d’amitié se sont tissés fondés sur 1′ estime mutuelle et la reconnaissance des compétences de chacun. Aux chasseurs purs la maîtrise du ciel, la gloire et les longues attentes avant un décollage sur alerte. Aux pilotes des JAGUAR le sentiment d’être déjà de vieux africains rompus aux techniques de la navigation en très basse altitude !

Le JAGUAR est un véritable mythe et son évocation vous ouvre bien des portes en Afrique. A chacun son métier cependant et il faut reconnaitre qu’au-delà des quolibets traditionnels, 1′ ambiance est excellente.

Pourtant, en cette fin d’après-midi voilé déjà par le vent de sable qui s’est levé, une angoisse sourde rampe sur les parkings et étreint les cœurs car on sait déjà qu’un pilote ne reviendra pas. Chacun y va de son hypothèse. Les 2 MIRAGE FI se présentent en longue finale. L’un est touché et a perdu son carburant. Un JAGUAR se présente seul au break…

L’instant est lourd d’émotion.

Pour la première fois peut-être, j’ai peur de faire ce métier que j’ai choisi. Avec mon équipier, le Lieutenant Michel PRUNA, nous avions préparé notre mission quelques heures plus tôt. L’objectif : un commando du GUNT dans la région de TORODOUM.

Nous connaissons la région, plate, blanche, ourlée de dunes au nord que 1’on aperçoit toujours trop tard en basse altitude et ponctuée çà et là par de maigres îlots de verdure. C’est là qu’il faudra tirer nos OPIT (obus perforants, incendiaires et traçants). Mais qu’il y a loin de 1′ entraînement à CAPTIEUX à cette mission dans une région hostile. Le briefing s’est résumé à sa plus simple expression : la sécurité et le pétrole, car nous nous connaissons parfaitement et nous avons volé maintes fois dans la même patrouille. La confiance est totale et je suis très fier d’avoir Michel PRUNA comme équipier. Nous avons le même âge mais il fait déjà preuve d’une belle maturité et d’une motivation sans faille pour le vol. Il est promis à un bel avenir. Malheureusement, le destin en décidera autrement quand plus tard, son JAGUAR percutera un F16 dans les environs de Florennes.

Aujourd’hui il est très excité et tendu. Il réajuste en permanence son pantalon anti-G, compte les cartouches de son PA MAC 50, tourne autour de la table. L’angoisse est palpable. N’ a-t’ on pas aperçu du SA 7, du ZSU 23/4 peut-être…

1 Dans quelques instants, nos JAGUAR donneront la mort. Nous nous y sommes préparés de longue date. Pourtant la peur atroce nous colle à la peau.

” Tu feras la prochaine, il y a du SA 7 !… “.

Le Capitaine CROCI est entré dans la salle d’opération avec les dernières consignes du COMELEF. Je suis soulagé et déçu, mais notre commandant d’escadrille est un pilote chevronné et la peur n’a pas de prise sur lui.

Il ne reviendra pas. Son JAGUAR a explosé en percutant le sol.

Une cérémonie à sa mémoire est organisée le 29 Janvier sur la base aérienne de Bordeaux.

Tiré du livre référence d’Alain Vezin “JAGUAR”, ( http://aerostories.org/~aerobiblio/article1993.html)  je vous propose un extrait retraçant sa carrière.

Michel CROCI est né le 26 Juillet 1944 à Montmartin sur mer, dans la Manche. Le 4 Novembre 1963, titulaire du baccalauréat, il entre dans l’armée de l’air pour devenir pilote. Après la base école de Nîmes, le 3 Novembre 1965, il rejoint la base aérienne de Cognac pour suivre la phase de pilotage de base. Six mois plus tard, sélectionné pour la spécialisation chasse, il est affecté à l’école de chasse stationnée sur la base aérienne de TOURS où il poursuit sa formation sur T33 puis sur Mystère IV. Le 31 Janvier 1968, le sergent CROCI reçoit le macaron de pilote de chasse (brevet n° 40525). Le jeune breveté effectue son stage de transformation au sein de l’escadron 1/8 Saintonge à Cazaux, avant de choisir sa première affectation : la 11 ème Escadre de chasse à Toul Rosières.

Affecté à la première escadrille de l’escadron 3/11 « Corse », il est lâché sur F100, le 1er Juillet. Un an plus tard il obtient sa qualification de pilote opérationnel (PO), puis le 17 Aout 1970, son brevet de sous-chef de patrouille en poche, il est muté au groupement Ecole 315 sur la base de Cognac. A la fin de l’hiver 1970-1971, l’adjudant CROCI, suit le stage des officiers de réserve à Evreux. En Janvier 1973, il retrouve l’escadron 3/11 à Toul Rosières et obtient son brevet de chef de patrouille. En Septembre 1974, il se trouve à la tête de l’escadrille d’entrainement au vol sans visibilité  de la 11 ème Escadre. Le 25 Mai 1976, le lieutenant CROCI rejoint l’escadron de chasse 4/11 à Djibouti, pour occuper le poste d’adjoint au commandant d’escadrille. Le 9 Décembre 1978, il effectue son dernier vol sur F100, avion sur lequel il totalise 1 4245H45 de vol.

Toujours au 4/11, mais stationné sur la base de Bordeaux-Mérignac, le capitaine CROCI assure les fonctions de commandant de l’escadrille SPA 158, puis chef des opérations à partir du mois de Septembre 1982. Lors d’un détachement en Afrique, le 25 Janvier 1984, dans le cadre de l’opération MANTA, le capitaine CROCI trouve la mort en service aérien commandé. Le vendredi 3 Février, ses obsèques sont célébrées sur la base aérienne 106 de Bordeaux. La mention « Mort pour la France » est attribuée au capitaine CROCI par décision du ministre de la défense.

Ce même jour, il est cité à titre posthume, à l’ordre de l’armée aérienne.

« Officier aux qualités professionnelles, humaines et militaires exceptionnelles, pilote de chasse de très grande valeur, chef de patrouille particulièrement expérimenté totalisant 3860 heures de vol dont 1100 heures sur Jaguar. Sa personnalité, sa foi très profonde en la mission, son rayonnement et son dynamisme lui avaient permis de s’imposer très rapidement comme chef des opérations de l’escadron. Chef de détachement dans le cadre de l’opération Manta, il a fait le sacrifice suprême dans l’accomplissement de son devoir au cours d’une mission opérationnelle de reconnaissance au-dessus d’éléments hostiles le 25 Janvier 1984 à Torodum (République du Tchad).

 

8 réponses sur “Mort du capitaine CROCI ; 30 ans déjà”

  1. Bonjour,
    Merci pour cet article. Enfant et adolescent je lisais les exploits de nos aviateurs sur Ouadi-Doum et sur Torodum. Jeune adulte, j’ai fait mon SN à la BA-106 avant que le président Chirac décide que cette époque était révolue.
    Nous avons rendu hommage au CNE Crocci, comme beaucoup d’autres appelés l’avaient fait avant nous. Je sais que parmi tous ceux qui se tenaient droits et silencieux sur la place d’armes ce matin là, il y en avait au moins un qui ne prennait pas le moment comme une corvée.
    In excelsis.

  2. J’étais au Tchad lors de l’opération MANTA et j’ai fait partis de la colonne qui est intervenu pour récupérer le corp du Capitaine Croci à Ouadi Doum . Dur moment , j’y repense souvent .

  3. A l’époque, j’étais commandant d’escadrille à l’escadron de chasse 2/11 “Vosges”. Comme il est mentionné dans le sujet, entre Noël et le premier de l’an, nous avons été relevés par les gars du 4/11 que nous connaissions tous très bien, appartenant à la même escadre. Le capitaine Crocci faisait partie des références: par son expérience, son professionnalisme et sa gentillesse.
    J’ai été celui qui les a accueillis à leur descente de l’avion afin de les amener dans la salle d’opérations qui sera leur lieu de travail pendant les deux mois à venir. A ce moment j’étais loin de m’imaginer ce qui allait se produire. J’en parlais récemment avec gégé.
    Sans rentrer dans les détails, je voudrais dire que cette mission, nous l’avions effectuée quelques jours avant, avec deux Mirages F1C dont le leader était le capitaine Planeille. Toutefois, la zone de recherche imposée nous avais paru bien trop Sud ne nous permettant pas de ramener quelque chose. Je n’en dirai pas plus.

    En marge de ce malheureux évènement, je remercie le Cne Le balle “le balai” pour sa cassette vidéo.

  4. Membre d’équipage du C160 NG Ravitailleur accompagnant cette mission, notamment les deux jaguars et les deux F1, je peux peut-être vous apporter quelques précisions. Il me semble même avoir une photo prise en ravitaillement avant la passe sur la colonne de véhicule, et bien sûr témoin des échanges radios que nous avons relayés.
    Le F1 touché par un obus du ZSU 23/4 installé sur un véhicule, dans une des deux nourrices carburant, doit son salut à nôtre avion qui l’a ravitaillé en continu jusqu’au terrain de N’DJAMENA.
    Ce jour là, nous nous sommes posés avec les six lampes rouges bas niveau réservoirs carburants allumés…. la chance a été avec nous et le pilote du F1 ! Cela aurait pu très mal finir !

  5. Je pense que vous l’avez lu ?!, A mon sens, ce livre du Colonel Spartacus, ( un pseudo maintenant décodé !) plus précisément dans les pages 125 à 140, décrit de façon cohérente ce qui s’est passé et surtout le contexte de cette opération. Je n’étais plus militaire à cette époque… donc je reste prudent sur les dires d’une seule personne… qui se montre sévère.
    En bonus ( début de page 41 ) une remarque emprutée à H de Balzac qui “habille” le général Lacaze, à chacun de savoir si le costar est seyant !
    Je suis un ancien (1970/71) du 3/11 . M Croci est un ancien collègue (65/68 ) Nimes, Cognac, Tours puis Toul avant de passer à la 3ème EC en 1971.

  6. Pourquoi, le capitaine Croci n’a t’il pas été fait chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume?
    Merci pour une réponse.

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