L’éjection du Barbu (2) : vue des OPS de N’Djamena

L’éjection du Barbu (2) : vue des OPS de N’Djamena

La semaine dernière, j’avais fait paraitre un article sur l’éjection du Barbu ; cette semaine, je vous propose d’en reparler mais cette fois de la manière dont elle a été vécue  du coté des OPS à N’Djamena. J’ai trouvé cet article sur le site http://aviateurs.e-monsite.com/  que je vous invite à visiter et qui nous raconte plein d’histoires d’aviateurs.

En 1978 à  N’Djamena.

Sables encore, sables du Tchad, éternels. Si les grains se déplacent, les grandes dunes ne changent pas de position. Ainsi en va-t-il de cette histoire de rébellion Nord-Sud qui n’en finit pas.

Certes Fort-Lamy est devenue N’Djamena, certes le Toubou du Nord, Hissen Habré, va-t-il devenir Premier ministre puis chef d’État, on le saura plus tard, mais toujours et encore les combats Nord-Sud imprègnent les terres desséchées d’un sang souvent fraternel. Cette fois-ci, le N’Djamena du général Malloum est menacée par les libyo-goukounistes.

La France vient de dépêcher des troupes, quelques Jaguar et deux Breguet Atlantic : l’opération “Tacaud” n’a que deux mois lorsque je quitte le commandement de la flottille 33F. Paris m’envoie alors en tant qu’ “Adjoint Mer” auprès du général qui commande les éléments français au Tchad. Oui, un ” Adjoint Mer” en pleine Afrique car sur place se trouvent deux commandos Marine et deux avions de patrouille maritime.

ATL2 NDJ
ATL2 NDJ

Le jour de mon arrivée est marqué par la perte d’un Jaguar et c’est avec tristesse que je verrai dans la soirée un hélicoptère Puma se poser sur la base et déposer sur le tarmac (NDLR : « Tarmac » : abréviation de tarmacadam, revêtement du sol à base de goudron et de pierres concassées) surchauffé le sac réglementaire contenant les restes du malheureux pilote. (1)

Cet incident me concerne déjà puisque les Breguet Atlantic sont ici pour observer le désert, écouter l’espace, guider les Jaguar et éventuellement sauver leurs équipages : ils sont les yeux et les oreilles du chef des opérations, ils sont les Saint-Bernard de tous ceux qui volent au-dessus de ces terres immenses. Ils font ici, au-dessus des océans de sable ou de savane, ce qu’ils ont toujours fait au-dessus des masses grises et mouvantes de l’Atlantique ou de la Méditerranée : chercher l’adversaire, retrouver l’ami.

La perte de ce Jaguar a mis en évidence quelques défauts dans l’organisation de la coopération entre les troupes au sol et les moyens aériens. Ainsi en est-il souvent au début d’une opération, lorsque tous les éléments se mettent en place dans un contexte nouveau où l’urgence prédomine.

Mais en quelques semaines les choses se mettent en ordre peu à peu et bientôt, la situation tactique étant relativement calme, nous décidons, à l’État-major, de tester le dispositif de recherche et de sauvetage dans des conditions aussi proches que possible de la réalité.

– « Mon général, commence le colonel adjoint-Air, nous déclencherons demain un exercice de détresse en zone saharienne. Pour l’instant, et afin de préserver l’effet de surprise, seuls l’adjoint-Mer, l’adjoint-Terre et moi-même sommes dans le coup. »

Le général est grand, carré, l’air décidé. Il ne quitte jamais une bouffarde malodorante culottée au tabac des armées. C’est un homme bourru et parfois coléreux. Mais on l’aime pourtant car c’est un opérationnel, un homme pragmatique et de bon sens, et sa rugosité cache mal une grande générosité, la simplicité des hommes sincères, une bienveillance bougonne.

– « Bien ! Et qu’il en reste ainsi, je veux absolument pouvoir juger des réactions en grandeur nature : les équipages, les transmetteurs, la salle des opérations, bref les hommes devant l’imprévu. Cela servira en plus à votre remplaçant qui arrivera par l’avion de six heures. Il sera mis dans l’ambiance. Qu’avez-vous prévu ? »

– «  Le thème est un crash d’hélicoptère dans le nord de Moussoro pour environ trente kilomètres. Vers dix heures, une Alouette se posera à l’endroit prescrit et déposera une balise de détresse qu’il déclenchera. Il n’y aura plus qu’à voir ce qui se passe. »
– « Quels sont les vols programmés pour demain ? »
– « Une surveillance-reconnaissance par un Atlantic de 8 h à 12 h 50, dans le nord, une patrouille de deux Jaguar avec ravitaillement en vol par un C-135F du côté d’Ati, dans l’est. Je garde les Puma ici, et, comme toujours, le deuxième Atlantic reste prêt à remplacer celui qui vole.
– « Une journée comme les autres quoi ! Bon, on marche comme ça. Rendez-vous demain matin dix heures en salle Ops, et bien sûr, pas un mot. »

La soirée se déroule comme toutes les soirées militaires et tropicales : moiteur de la nuit, acharnement des moustiques, vacarme des crapauds-buffles, long drinks au bar de la Tchadienne, souvenirs de campagnes… On refait l’armée, on discute politique, “Café du Commerce” au pied des baobabs. Les étoiles inondent le ciel d’une pâleur lactée. De la mosquée, la modulation presque irréelle du muezzin appelle à la prière. La ville est calme et seules quelques patrouilles armées rappellent que l’avenir est incertain.

Le matin est plus frais. Serait-ce l’arrivée de la saison des pluies ? La mise en train de la base interarmées se fait comme à l’accoutumée. Du côté de la piste, les vols décollent les uns après les autres. Les avions restent à très basse altitude et, dès le bout de piste prennent un cap de sortie qui varie chaque fois afin de déjouer une embuscade éventuelle au SAM-7.

Turbopropulseurs des Transall et de l’Atlantic, grondement furieux du C-135F, sifflement des turbines d’Alouette ou de Puma, déchaînement rageur des Jaguar… Symphonie pour oreilles aéronautiques : la feuille des vols se déroule devant la membrane de nos tympans !

À 9 h 30, nous sommes tous là, entrés à quelques minutes d’intervalle dans la salle des opérations. Le général et ses adjoints regardent les cartes. L’adjoint-Air présente à son remplaçant, les divers moyens de transmission et de liaison à sa disposition, l’organigramme des éléments aériens… L’heure fatidique approche. Dans un quart d’heure, il va se passer quelque chose !

– « Charlie Oscar, ici Delta Bravo ? »

C’est l’Atlantic qui appelle notre poste de commandement sur HF.

– « Delta Bravo cinq cinq, parlez ! »
– « De Delta Bravo, je viens de recevoir une émission de détresse aéronautique, je vous rappelle. »

Nous nous consultons des yeux. Certes il y a un tout petit peu d’avance dans le programme, mais ç’a l’air de très bien marcher !

– « Delta Bravo de Charlie Oscar, bien vu pour la détection détresse. Il s’agit en fait d’un exercice. Continuez la localisation de la détresse et rappelez-nous »

Nous approchons de la carte, un doigt est posé sur la position où l’Alouette a dû déclencher sa balise. L’Atlantic n’est pas très loin, il ne va pas tarder à la localiser… Pourquoi cependant l’Alat n’a-t-elle pas respecté l’horaire ? Et l’exactitude militaire alors ?

L’attente n’est pas très longue en effet :

– « Ici Delta Bravo, l’émission de détresse est faible mais nous la relevons dans l’Est. Elle doit être loin, à plus de 100 nautiques ! »
– « Ici Charlie Oscar. Vérifiez bien, vous n’êtes pas très loin de la balise. »
– « Ici Delta Bravo, je confirme. L’émission est faible, dans l’est. Je compte entreprendre un circuit de recherche en remontant l’azimut. De plus mon radariste croit avoir vu un IFF Emergency furtif. Je vous demande confirmation de l’exercice. »

Quelque chose cloche visiblement. Le front des adjoints-Air prenant et quittant se plisse. Un doute soudain dissout le haie des visages.

L’adjoint-Air prenant, arrivé le matin même me demande, un peu brusque :

– « Vous êtes sûr de votre équipage, ils ne verraient pas des rats bleus par hasard ? »

Le colonel est un pilote de chasse. Alors les “lourds” ne peuvent être que des incompétents. Pour peu qu’ils soient marins, plus rien n’est sûr. Mais je mets son agressivité sur le compte d’une angoisse soudaine. Il a compris plus vite que les autres.

– « Mon colonel, je ne suis pas un spécialiste de la patrouille maritime mais j’ai suffisamment d’heures de vol pour juger les hommes assez rapidement. J’ai volé avec cet équipage, il y a deux jours. Le Lv Guillard qui le commande est un bon. C’est de plus un flegmatique à l’anglaise… et je m’y connais. Il a un équipage soudé, homogène. Vraiment j’ai eu l’impression d’avoir affaire à une équipe de “pros » entraînés.
– « OK compris. Qu’est ce qu’on a en l’air ? »
– « Deux Jaguar et un ravitailleur. »
– « Où? »
– « Dans l’est, du côté d’Ati ou d’Abéché. »
– « Alors c’est qu’on a un vrai pépin ! 

Au même moment la radio crache à nouveau :

– » Ici Delta Bravo, je reçois maintenant une balise de détresse dans l’ouest. »

Il est 10 h pile. Tous les visages s’assombrissent en un instant. Il est clair maintenant que l’on a, quelque part dans l’est, une détresse réelle.

– « Delta Bravo. Laissez tomber la balise qui vient de se déclencher, c’est celle de l’exercice. Entreprenez immédiatement une recherche vers l’est. On a dû avoir un crash. »

Tout s’accélère maintenant. Le deuxième Atlantic est mis en alerte. Une information nous parvient enfin du C-135F. Il a observé la collision de deux Jaguar à l’issue du ravitaillement en vol. L’un a disparu, l’autre est en l’air, endommagé sur l’avant, mais essaie probablement de rentrer.

– « Il n’a plus d’émission, dit le colonel, sinon il aurait appelé. Son IFF ne marche plus non plus sinon nos radars auraient son signal “Emergency”. Vous (il me désigne), allez à la piste voir ce qui se passe dans la roulotte radar. Qu’on prépare la récupération de cet avion. Alertez dès maintenant la sécurité de piste !

Très clairement, le colonel a pris les choses en main. Il décoince bien, cet arrivé du petit matin ! Me voici donc parti en direction du terrain après quelques coups de téléphone, et approche de la roulotte radar… juste pour voir sur la bretelle de dégagement un Jaguar sans nez rouler vers le parking sous les yeux éberlués des « rampants ».

Le pilote est aussitôt conduit aux Ops. Il est traumatisé, pâle, défait. Il explique :

– « On s’est empétardé à l’issue du ravitaillement. J’ai vu Le Barbu partir en vrille… L’ai pas vu s’éjecter. »

De belle taille, roux, c’est une “grande gueule”, sympathique pourtant, que ce Cne de l’Armée de l’air. Mais aujourd’hui, c’est un héros déchu. Le théâtre est fini. Il n’est plus devant nous qu’un homme à nu qui sanglote :

– « J’ai perdu mon copain ! j’ai perdu mon copain ! » (2)

On l’emmène à l’infirmerie afin de le calmer. Ses camarades l’entourent, compréhensifs. Il a dû avoir une sacrée peur au moment de la collision. Quant à son retour, il tient de l’exploit. Son Jaguar est tronqué, le nez a disparu, l’entrée d’air du réacteur droit est déformée. Il a dû le ramener en aveugle, sans radio, sans radar, sans moyen de navigation avec un de ses réacteurs hors service. Il a mis le cap vers l’est, en gros, pensant bien rencontrer le Chari, ce large ruban d’eau limoneuse qui s’insinue dans la savane, entre le Cameroun et le Tchad et qui accroche les feux du soleil. Un serpent d’argent qui parcourt la brousse et se voit de loin.

Quand on trouve le Chari, on trouve la base, elle est riveraine. Encore a-t-il fallu présenter l’appareil à l’atterrissage, tester son comportement à faible vitesse et sur un seul réacteur, apprécier les vibrations dues aux déchirures de la cellule, traquer, sur les instruments, la moindre anomalie dans le réseau électrique ou le réseau hydraulique pouvant compromettre l’atterrissage. Sortir le train, enfin, parier sur la tenue de son verrouillage, en particulier celui de la roulette de nez.

Et seul, toujours seul devant l’ultime décision : s’éjecter ou risquer le tout pour le tout, ramener la machine à la maison ? Quelle tension nerveuse ! Et ce doute lancinant qui brouille la réflexion : Le Barbu a-t-il pu sauter ?

Dans la salle des opérations, l’émotion est fugitive. Il reste à agir. Il faut retrouver Le Barbu. Il faut le récupérer à tout prix. S’il a sauté, il risque d’être fait prisonnier… ou d’être achevé.

La zone n’est pas sûre. Mais où chercher ? La collision s’est produite à 25.000 pieds avec des avions qui foncent à plus de 700 km/h. La position de ravitaillement fournie par le C-135F n’est pas bien précise, pas assez en tout cas pour obtenir un point d’impact. Et d’ailleurs l’avion s’est-il écrasé immédiatement ? Personne n’a vu le crash. Le pilote n’a-t-il pas essayé de le récupérer et de le ramener avant de s’éjecter ?

L’Atlantic a commencé ses recherches selon la méthode prescrite : remonter l’axe sur lequel on relève la balise, en effectuant de larges branches transversales, long et fastidieux feston aérien.

Radariste ATL2
Radariste ATL2

Dans l’avion les yeux scrutent le sol, le navigateur refait sans cesse ses calculs, le goniomètre est fébrile, prêt à relever toute émission… La méthode est lente mais elle est le fruit d’une longue expérience.

Ici, aux opérations, on calcule qu’il lui faudra deux heures pour arriver dans la zone où a eu lieu le ravitaillement en vol. Pourquoi n’irait-il pas directement là-bas ?

– « Delta Bravo, la position la plus probable du crash est dans le nord d’Ati pour 50 nautiques, ne pouvez-vous pas y aller directement ? »
– « Ah, ici Delta Bravo pas question ! »

La voix de Guillard est légèrement nasillarde, un peu traînante, empreinte de son flegmatisme. Le ton contraste avec la brièveté de la réponse. Il complète bientôt :

« Je ne peux pas faire d’impasse et céder à des pulsions. Faute de point de crash observé et d’autres signaux de détresse, la méthode la plus sûre est de remonter l’azimut de la dernière détection en ratissant. Y a pas à sortir de là. »

Un ATL2 en Afrique au cours d'une recherche SATER
Un ATL2 en Afrique au cours d’une recherche SATER

Le colonel hésite très peu, il se tourne vers moi :

– « Il a probablement raison, mais il faut gagner du temps et l’on peut très bien prendre le problème par les deux bouts. Sautez dans le deuxième Atlantic et décollez. Vous ferez entamer un autre type de recherche à partir du point de ravitaillement. Vous coordonnerez l’action des deux Atlantic de là-haut. »

La Jeep me dépose rapidement au pied du fuselage blanc et gris. L’équipage est déjà dans l’appareil. Le commandant de bord est un enseigne de vaisseau arrivé depuis peu au Tchad. Tous ruissellent de sueur, il fait plus de 50° dans la carlingue, au grand détriment de l’électronique d’ailleurs. Voler fera du bien ! La liste de mise en route s’égrène sur le téléphone de bord.

Chaque mot déclenche un geste bref, une réponse qui claque.

L’avion prend vie, vibre, hurle, les cadrans s’allument, le tableau de bord est un visage qui s’éveille et s’anime. Ça y est, on va rouler.

– « Merde ! »

Le mot ne fait pas partie de la procédure, mais il parle, comme on dit. La tête de l’enseigne aussi, d’ailleurs, qui contemple dans ses doigts un morceau de manette cassé. Usure du matériel ? Fébrilité dans la mise en route ? Impossible en tout cas de continuer, il n’y a pas de rechanges et de toute façon la réparation prendrait trop de temps. Le jour est décidément à la malchance.

Le regard que me lance le colonel à mon retour aux Ops ne reflète pas la plus grande sympathie. Comme tous les hommes d’action, il n’aime ni les contretemps, ni la maladresse, ni la malchance.

Et la poisse de notre enseigne de vaisseau remet en question sa confiance dans la Marine que je représente. Je ne peux lui en vouloir et, à vrai dire, il me plaît cet aviateur qui, arrivé depuis si peu de temps, a pris en main, d’autorité, la coordination des recherches, attrapant pour ainsi dire au vol les responsabilités de ses nouvelles fonctions.

Mais il ne reste maintenant qu’à attendre. Le silence est pesant, gênant et encombrant comme un linceul. Plus d’une heure s’est écoulée depuis le début de l’alerte. Nous sommes impuissants. Chacun imagine le lent travail de l’Atlantic, quelque part là-bas, laboureur besogneux d’un champ infini, dont les sillons abstraits sont le fruit de calculs mathématiques. Le C-135F participe aussi aux recherches mais il ne possède aucun moyen sérieux d’investigation.

Sur le “tarmac”, deux Puma sont prêts à décoller. Le soleil est haut maintenant, surchauffant le métal, faisant vibrer l’air, déformant les silhouettes.

Quelques contacts radio, à intervalles réguliers, raniment chaque fois l’espoir d’une bonne nouvelle. Mais ce n’est que procédure de contrôle, ce ne sont que quelques mots brefs, codifiés, laconiques, froids comme un ordinateur.

Un brasseur d’air tourne lentement. Rescapé des abandons successifs de cette base aux Africains, on a pu le remettre en marche, tant bien que mal, et l’on doit supporter un couinement agaçant, régulier, qui ponctue le temps qui passe. Plus d’une heure.

– « Ici Delta Bravo, nous avons visuel sur le pilote, il est vivant ! » 

Tout le monde s’est levé, un cri de joie explose, on se presse devant le récepteur.

– « Ici Delta Bravo, le pilote a l’air blessé mais il est bien vivant, je vous donne sa position, et pars localiser l’épave du Jaguar. Je guiderai le Puma.

Dans la salle Ops on devient bruyant :

– « Chapeau, la Marine ! »
– « De vrais Saint-Bernard ! »
– « Champagne ! »

Des rires, des accolades, c’est le moment de gloire de la Patrouille maritime. Seuls le LV Guillar et son équipage, qui par leur persévérance et leur professionnalisme ont permis de retrouver le rescapé ne pourront en profiter : ils atterriront quelque temps plus tard dans l’indifférence totale, la vedette étant revenue à l’heureux aviateur, ramené avec une jambe cassée, une bonne histoire à raconter, et l’aura de ceux qu’on a cru morts. On ne change pas les hommes…

Soulagé enfin, l’État-major se réunit à la table du mess, car l’appétit est revenu et l’après-midi bien entamé. La discussion va bon train, le rosé bien frais a une saveur qu’on ne lui connaissait pas. Heureux moment de détente.

Soudain le téléphone sonne. Étant le plus jeune, il me revient de répondre.

– « Commandant ? Ici le standard, je vous passe le groupement de Moussoro. »
– « Moussoro ? Oui, ici l’État-major. »
– «  Ici le Cne Rigel. Je vous téléphone au sujet de l’Alouette. »
– « Quelle Alouette ? »
– « Ben, l’Alouette qu’on a envoyée ce matin avec une balise. Elle vient de redécoller pour nous contacter. Elle demande ce qu’elle doit faire parce que depuis le début de l’exercice SAR, elle n’a rien vu venir.

Le capitaine baisse un peu la voix :

– « Le pilote n’a pas l’air content, il dit qu’avec une organisation de recherche et de sauvetage comme celle-là on peut tous crever dans le désert ! »

J’éclate de rire. Le serveur entre, son plateau est garni de coupes pétillantes…

Michel HEGER

> Extrait de “Une ancre et des ailes” (Ed : Editions du Pen-Duick et Ouest-France – 1989)

(1) Il s’agit du Lt Robert Jacquel du 3/11 qui, sur le 3Jaguar” A-109, heurte le sol au cours d’une attaque à basse altitude.