Une idée lumineuse !
En 1978, les avions d’arme de l’Armée de l’Air commencent à être équipés de Contre-mesure d’autoprotection électromagnétiques (Phimat, Barracuda), mais la menace à laquelle est confronté le JAGUAR en Afrique, hormis le petit calibre ou le AAA, reste le missile à guidage Infra-rouge type SA7. Et là, rien n’est prévu…
Je laisse la parole à P.ARANEGA, “calculo bord” à l’Escadron 2/11 qui à partir d’une idée simple a réussi à palier une insuffisance capacitaire.
Je m’appelle Patrick ARANEGA, Alias « Brigand », arrivé à Toul en novembre 1976, je suis affecté à l’Escadron de Chasse 2/11 Vosges.
C’est là que débute la Grande Aventure ou comment avoir une idée lumineuse.
Les Jaguars du 2/11 Vosges, comme ceux des autres escadrons, participent à l’appui feu des forces terrestres avec des armements conventionnels. Pour les préparer à cette mission nous effectuons régulièrement des campagnes de tir sur la base aérienne de Cazaux.
C’est au cours d’une de ces campagnes, au printemps 1978, que nous avons l’occasion de visionner un film sur la guerre des six jours. Nous pouvons y voir des survols d’objectifs ainsi que des boules de feu sortant des aéronefs. Je pose la question à Jean Claude AZAM, pilote de Jaguar, qu’est que c’est ? Il me répond : ceux sont des leurres qui protègent l’avion ! Immédiatement ma seconde question : on n’a pas ça, nous ? Réponse : non ! Et là, c’est parti dans ma tête : on va monter un lance leurres sur les Jaguar.
En fait il s’agit de pouvoir larguer des cartouches à un moment précis : donc, une boite de commande, un poussoir de tir, un magasin muni de cartouches, et un séquenceur permettant de larguer un certain nombre de cartouches.
J’expose tout cela à mon Commandant d’Escadron : le CDT CARRASCO qui me demande : tu es sérieux ? Je lui réponds : oui !
Et c’est parti : on le met où ?
Quand on fait le tour de l’avion, il n’y a pas beaucoup de place disponible, et il faut pouvoir disposer d’un nombre conséquent de cartouches pour être efficace :
- Sur un des cinq points d’emport : non !
- Le parachute ? oui mais on a plus de parachute ! c’est un choix : les leurres ou le parachute !
Le choix est fait : les leurres !!!
Nous nous renseignons chez Lacroix, fabricant de cartouches, afin d’avoir les caractéristiques des cartouches.
Je sors du magasin de ravitaillement un conteneur parachute, prends les côtes et dessine un plan : on peut mettre 18 cartouches : c’est Ok.
Electro-magnétiques ou infra rouges ? Le choix se porte sur de l’infra rouge.
Il faut des picots pour la mise à feu, deux par cartouche, un pour la masse et l’autre pour l’amorce.
Au niveau du séquenceur, le choix se porte sur un séquenceur de lance-roquettes 19LR1, je crois. Mais il est prévu pour 9 coups : il en faut donc deux car j’ai 18 cartouches. Je câble tout cela, et me voilà avec une dispo de séquences : 3, 6, 9, 12, 15 ou la totale 18 cartouches.
Il faut maintenant alimenter les séquenceurs électriquement : un circuit imprimé avec 4 relais Deutch, réversibles, montés sur supports, en cas de panne. Pour la boite de commande, il y a de la place sur la banquette droite : largeur 2 Dzeus : bon ! Un inter ON / OFF, avec sécurité : il faut le soulever pour le mettre sur ON, un voyant vert (système sous tension) un voyant ambre (conteneur vide), avec alimentation 28VDC par relais. Un poussoir de tir, on le mettra sur la planche de bord sur la gauche dans la lignée des manettes de gaz. Alimentation 28v générale du système sur le boîtier fusible banquette droite (32 alpha si je me rappelle bien). Détermination du câblage nécessaire et de son cheminement pour aller de la cabine jusqu’à l’arrière du Jaguar. Je vais voir le CDT CARRASCO et montre tout cela sur papier et lui dit : «chef j’ai besoin de modifier le conteneur, mais après la modification, c’est irréversible». Vas-y me répond-il.
OK, direction les Choumac (chaudronniers) au Germas et traite avec l’adjudant Alain STEPHANINNI.
On perce la première flasque, la plaque support avec les picots, la plaque de maintien des cartouches, les entretoises et on monte le système dans le conteneur. Nous positionnons le boîtier relais et les séquenceurs. Je m’occupe de la boite de commande et des câblages pour réaliser une démonstration.
Voici la première flasque finalisée.
Au cours de l’été 1979, fixation du conteneur sur un tracteur de piste ‘’Tracma’’ à l’aide de sangles, positionnement du Tracma devant le hangar du 2/11, avec une alimentation 28V.
«Je suis prêt chef »!
Le chef convoque l’ensemble de l’escadron en début d’après-midi dans le hangar pour une démonstration. C’est avec FON FON, le chef de piste et Jacky MARIE, que nous réglons les séquenceurs sur la totale, les 18, boite de commande sur ON, le chef appui sur le poussoir de tir.
Les cartouches partent, une toute les 0.33 secondes.
C’est un succès !
Mais il y a un Pb, les cartouches tombent dans l’herbe longeant le taxiway à la sortie de l’escadron. J’ai oublié de prévenir les pompiers, chef !
La journée se termine au bar de l’escadron, pour fêter ce succès.
Il y aura d’autres essais pour affiner le système, mais sans oublier les pompiers.
Puis ce dossier sera confié à l’Officier technicien du Germas, le Capitaine PUCELLE. Assisté du Sergent CHAZEAU, à eux deux, ils vont améliorer le système et monter un séquenceur électronique. La boite de commande reste identique. Ensuite, le système sera industrialisé.
Cette aventure formidable restera pour moi inoubliable.
NB : ces lance-leurres équipèrent le JAGUAR pendant presque une dizaine d’années. L’État-major de l’Armée de l’Air conscient des limites de l’équipement commanda des lance-leurres plaqués (EM + IR) qui malgré l’appui direct du GMG (n°2 de l’Armée de l’Air) de l’époque, mirent plusieurs années à être réalisés ; un vrai désastre que je préfère ne pas raconter.