Pierre LE GLOAN as des as sur Dewoitine 520 (3/3)

       

       

        3ème et dernière partie de l’article consacré à Pierre Le Gloan 

       Je rappelle que cet article est publié avec l’aimable autorisation de David MECHIN son auteur et journaliste au “Fana de l’Aviation”. Vous pouvez également visionner sur le même sujet la vidéo https://youtu.be/QLlkOBY_RCg?si=JjqKu7Xp5HYzQCEJ

Retour en Afrique du Nord

       Suite à la campagne de Syrie, le GC III/6 reprend sa place sur le terrain d’Alger-Maison Blanche le 16 juillet 1941. L’activité aérienne va retomber à un niveau très bas imposé par la commission d’armistice, ponctuée par de rares alertes contre des appareils britanniques s’aventurant un peu trop près des côtes. Les Dewoitine du groupe reçoivent alors les nouveaux marquages imposés par la commission d’armistice, des bandes rouges et jaunes sur les capots-moteur et partie arrière du fuselage, que nombre de pilotes surnomment « livrée d’esclave ».

       Tous les pilotes vétérans de la campagne de Syrie vont recevoir les honneurs de la part du gouvernement de Vichy qui distribue de nouvelles citations. Le Gloan reçoit l’homologation de ses sept victoires aériennes qui lui valent quatre palmes et une étoile de vermeil supplémentaires sur sa croix de guerre, ainsi qu’une promotion à titre exceptionnel au grade de lieutenant (effective le 9 septembre 1941).

       Ces décorations lui seront remises lors d’une cérémonie présidée par le général Weygand (délégué général du gouvernement en Afrique du Nord) sur le terrain d’Alger-Maison blanche le 27 juillet 1941, et dans laquelle l’ensemble du groupe est décoré. Cependant, en tant qu’as de l’unité, les photographes du Service de Presse des armées s’attardent sur lui et la presse vichyste va le signaler en tant que nouvel « as des as » de l’aviation française, ayant, avec 18 victoires homologuées (ou 21 si l’on y ajoute les succès non-homologués), dépassé le score du capitaine Edmond Marin la Meslée.

       Cette information aura cependant une diffusion assez limitée du fait de l’occupation de la France. Pas un mot dans les journaux paraissant en zone nord sous le contrôle de l’occupant tels que « L’œuvre » ou « Le Matin ». Certains titres de la zone sud, tels que « Le journal » (replié à Lyon) ou « Le journal des débats » mentionnent de leur côté la cérémonie avec le nom de Pierre Le Gloan dans de discrets articles en pages intérieures. C’est cependant la presse d’Afrique du Nord, et tout particulièrement le quotidien « L’écho d’Alger », qui va se montrer le plus prolixe avec un article détaillé de la cérémonie et avec une photo de l’as recevant sa décoration figurant en une du journal.

       Il sera d’ailleurs mentionné dans plusieurs autres articles du même quotidien. Devenu le porte-drapeau de l’aviation française, le lieutenant Pierre Le Gloan va être de toutes les cérémonies militaires organisées à Alger en l’honneur de l’arrivée en Afrique du Nord de tel ou tel notable vichyste – c’est notamment le cas le 9 novembre 1941 pour le défilé organisé pour le centenaire des Tirailleurs et Spahis Algériens, la venue du ministre de l’Intérieur Pierre Pucheu le 1er mars 1942, ainsi que l’arrivée à Alger de l’amiral Darlan le 29 octobre 1942.

       Le régime de Vichy vit à ce moment ses derniers jours en Afrique du Nord : durant la nuit du 7 au 8 novembre 1942, débarquent les troupes américaines lors de l’opération Torch. Si celles-ci se heurtent à une vive résistance à Casablanca ainsi qu’à Oran, la situation est différente à Alger où s’est organisé un groupe de résistants menés par le jeune José Aboulker (étudiant en médecine), l’industriel Roger Caracassonne ainsi que les officiers du 2e bureau de l’armée d’armistice, le colonel Germain Jousse et le lieutenant Henri d’Astier de la Vigerie. Ils ont pu négocier clandestinement avec les autorités américaines au mois d’octobre précédent dans une villa de Cherchell et vont ainsi préparer une prise de contrôle d’Alger. Rassemblant un groupe de 400 résistants, ils réussissent à prendre possession de tous les lieux stratégiques de la ville durant la nuit (dont le central téléphonique) et d’assigner à résidence le général Juin et l’Amiral Darlan, prisonniers de leurs villas. Quand les autorités militaires de Vichy parviennent à reprendre le contrôle de la ville, il est déjà trop tard car les troupes américaines ont pu solidement prendre position tout autour d’Alger, et ce sans combats d’importance. Sur l’aérodrome d’Alger – Maison blanche, le GC III/6 a été placé en « super alerte » dès le début du mois de novembre, prêt à faire décoller 9 avions, car a été signalé un très gros convoi naval anglais en Méditerranée. Durant la nuit du 7 au 8, seule la 6e escadrille est d’alerte et le lieutenant Le Gloan, appartenant à la 5e, est par conséquent probablement en ville avec sa fiancée… Des coups de canons sont entendus durant la nuit sans que personne ne puisse s’informer car le téléphone est coupé. Ce n’est que vers quatre heures du matin que le capitaine Léon Richard, le chef de la 6e escadrille, réunit ses pilotes pour les informer que les anglo-américains débarquent en Afrique du Nord. Les pilotes s’apprêtent à décoller mais une brume à couper au couteau tombe sur l’aérodrome au lever du jour. Ceux qui n’étaient pas d’alerte arrivent d’Alger à pied, en vélo ou même en voiture et apprennent à leurs camarades que des soldats américains sont tout autour du terrain et sont plutôt amicaux car ils les ont laissé passer ! Ces derniers prendront possession de la base sans tirer un coup de feu et nombre d’avions américains et britanniques vont s’y poser dans la journée. Le 12 novembre 1942, l’amiral François Darlan, qui a pris le commandement de l’ensemble des forces françaises d’Afrique du Nord, ordonne un cessez-le-feu général.

Le réarmement

       Darlan engage l’armée d’Afrique aux côtés des alliés et prétend gouverner « au nom du Maréchal » qu’il considère prisonnier des Allemands. Il maintient toutes les lois de Vichy en Afrique du Nord… Mais les résistants locaux n’entendent pas de cette oreille laisser la France devenir une sorte de dictature franquiste : Darlan est assassiné le 24 décembre 1942 et lui succède le général Giraud. Dès le mois de janvier 1943 il rencontre le général De Gaulle à l’instigation des Américains et britanniques pour tenter de fusionner les deux gouvernements français en lutte contre l’Allemagne. Ce sera effectif le 3 juin 1943 par la création du Comité Français de Libération Nationale coprésidé par Giraud et De Gaulle. Mais Giraud, apparaissant trop lié à Vichy aux yeux de nombre de résistants, en sera progressivement évincé par De Gaulle qui se montre nettement plus fin politique que ce dernier.

       Nombre de combattants de l’armée d’Afrique, qui ont le 8 novembre 1942 reçu l’ordre de tirer contre les Américains, puis quatre jours plus tard de se rallier à eux, sont pour le moins déboussolés par ces changements d’alliance et de régime. Le GC III/6 l’est également : il est prié dès le 11 novembre 1942 de quitter Alger-Maison blanche pour laisser la place aux appareils alliés. Le journal de marche de sa 6e escadrille indique alors : « Nous déménageons à Oued-Semar [à 2 km du terrain d’Alger, NdA], dans les baraques de parachutistes. Et là, à moitié planqués, nous nous demandons ce que l’on va faire de nous. Le Général Giraud prend le commandement de l’armée d’Afrique. Après nous avoir laissé entendre qu’il ne faut pas être avec lui, on nous apprend qu’il devient notre chef. On ne sait plus que penser. Nous retournons notre veste une fois de plus. Evidemment les évènements nous y forcent. Mais notre désarroi est bien grand. » Après quelques mois de contacts avec les Anglais et Américains, le même rédacteur indique quelques lignes plus loin que « On a vite oublié le 8 novembre. Il est vrai que maintenant l’avenir est sous un jour nouveau. La vieille haine anti germanique commence à souder, et reprend le dessus. Il s’agit de faire partir de France ceux qui s’y trouvent actuellement et qui font souffrir quarante millions de français. Une politique positiviste, arriviste en somme, remplace la politique attentiste. Nous verrons bien. » L’espoir du groupe est de reprendre la lutte contre l’Allemagne, mais les vieux Dewoitine 520 sont maintenant à bout de souffle et soutiennent difficilement la comparaison avec les appareils ennemis, même s’ils peuvent encore servir à l’entraînement qui reprend d’ailleurs immédiatement sans limitation des vols.

       Le rééquipement sur du matériel moderne va venir des alliés américains et britanniques, les bases en sont d’ailleurs posées lors de la conférence d’Anfa du mois de janvier 1943. Mais avant même que ne se tiennent les pourparlers, les Américains rééquipent immédiatement, à titre symbolique, un premier groupe de chasse sur Curtiss P-40. Il s’agit du GC II/5 dont l’insigne d’une des escadrilles n’est autre que la tête d’indien Séminole, qui en 1917 était celle de l’escadrille Lafayette qu’avait à l’époque dessinée le sergent Harold Willis. En novembre 1942 il est colonel à l’état-major du général Eisenhower et retrouve avec surprise sa création d’il y a vingt-cinq ans sur les P-36 survivants du GC III/5 : il fait alors en sorte que « son » escadrille soit réarmée dans les plus brefs délais. Les choses ne traînent pas et le 9 janvier 1943 une cérémonie, dûment filmée et photographiée par les services de presse alliés, a lieu sur le terrain d’Alger-Maison blanche où les Curtiss P-40 repeints avec des cocardes françaises sont donnés aux pilotes du GC II/5 que dirige le commandant Constantin Rozanoff. Assiste à la cérémonie le lieutenant Pierre Le Gloan, en tant que porte-drapeau de l’aviation française, mais qui à titre privé est probablement très intéressé car, quelques semaines plus tôt, il a été le premier pilote de son groupe à tester un appareil américain, un chasseur P-38, sur le terrain de Nouvion (actuellement El Ghomri, près d’Oran) même si le stage a été écourté en raison des intempéries. Il repartira d’ailleurs à Biskra le 16 janvier 1943 pour un second stage.

       C’est durant le premier semestre de l’année 1943 que va s’opérer le réentrainement et la transformation sur matériel moderne du GC III/6 qui s’installe le 10 janvier sur le terrain d’Ain Sefra, aux confins du Sahara près de la frontière marocaine. C’est là qu’il participe sur ses Dewoitine à des exercices avec deux groupes de bombardement qui ont lieu dans le désert, à Colomb Béchar, au mois de mars. Le 20 avril, les pilotes partent par roulement sur le terrain de Berrchid, au Maroc (près de Casablanca), pour se familiariser au pilotage de leur nouvel avion d’armes, le Bell P-39 N « Airacobra ». Les avis des pilotes sont manifestement partagés (Voir Fana n°552 à 554) mais, selon le journal de marche de la 6e escadrille qui est assez détaillé, le lieutenant Pierre Le Gloan en revient « très content » et plutôt satisfait de sa nouvelle monture.

       Les P-39 destinés au groupe sont livrés en caisse à Alger le 30 avril 1943. Promptement remontés par les mécaniciens, ils sont convoyés par les pilotes à partir du 1er mai vers le terrain d’Ain Sefra. 26 Airacobra sont ainsi alignés par le GC III/6 le 18 mai 1943 et l’entrainement sur le nouvel appareil commence, pour vite débuter par des deuils. Le 26 mai 1943, Le Gloan réalise un exercice de combat simulé avec le capitaine Léon Richard, le chef de la 6e escadrille et autre « as » de la campagne de Syrie où il a ramené 6 victoires aériennes, plus une autre obtenue contre un avion britannique au large des côtes d’Afrique du nord. L’exercice débute à l’aube, avec Le Gloan sur Dewoitine, et Richard sur P-39. Les deux pilotes repartent à 10 heures pour un second vol en ayant changé d’appareil. Le Gloan, notant qu’il n’a plus que 5 gallons d’essence, rentre se poser à 11 heures. Le Dewoitine de Richard ne rentrera pas et sera retrouvé écrasé au sud du terrain dans l’après-midi : l’enquête conclura à une panne d’essence.

       Décrit comme bouleversé par ce drame, Pierre Le Gloan suit ensuite son groupe qui s’installe le 18 juin à Berkane sur la côte méditerranéenne du Maroc, près de la frontière avec l’Algérie, pour y poursuivre son entraînement. Il y bénéficie d’une permission pour aller se marier le 2 juillet 1943 à Alger avec sa fiancée Mirelle Fischer. L’as des as de l’aviation française d’Afrique du Nord est une personnalité suffisamment médiatique pour que l’écho d’Alger signale le mariage sur sa première page et félicite les deux époux… Au GC III/6, un nouveau drame survient le 17 juillet quand l’adjudant Loï se tue en sautant de son Airacobra parti en ville et dont l’empennage accroche le parachute du pilote.

       Le 4 août 1943, le GC III/6 s’installe sur le terrain de Lapasset en Algérie, à 60 km à l’est d’Oran, pour y débuter sa nouvelle vie opérationnelle dans le Coastal Command de l’aviation alliée consistant à effectuer des patrouilles côtières pour y protéger les convois de ravitaillement. Le groupe est réorganisé à l’américaine, avec l’ajout d’une 3e escadrille qui, à la demande du général Gama, inspecteur de la chasse, reprend les traditions de la SPA 84 dont l’insigne est une tête de renard portant un monocle. Le commandement de cette escadrille est confié le 11 août au lieutenant Pierre Le Gloan mais aucune photo connue ne permet d’affirmer si son appareil sera décoré du nouvel insigne. Il réalise néanmoins un vol notable le 14 août en participant à l’escorte d’un convoi entre Tenès et Le Chelif dont il revient se poser de de nuit à sa base.

       Les missions d’escorte de convois se poursuivent et Lapasset, qui a déjà reçu la visite du général Giraud le 13 août, va recevoir celle du général De Gaulle le 22 du mois, qui demande à ce que lui soient présentés tous les pilotes, « ce qui est fait » note le journal de marche de la 5e escadrille. Pierre Le Gloan serre alors la main ce celui qui à cette époque a de fait pris la direction du CFLN. Le 5 septembre 1943, la Luftwaffe montre timidement le bout de son nez car des P-39 décollent sur alerte à la poursuite d’un bombardier allemand signalé mais qui ne peut être retrouvé. La reprise des combats s’annonce, d’autant plus que deux jours plus tôt est parvenue la nouvelle du débarquement des Alliés en Italie du sud ce qui enthousiasme le rédacteur du journal de la 6e escadrille, qui rappelle les exploits du Groupe contre les Italiens en 1940 et écrit : « vivement qu’on appelle le 3/6 en renfort car c’est un spécialiste de la question. »

Accident mortel sur P-39.

       Malheureusement le destin en décidera autrement pour Pierre Le Gloan. Les moteurs Allison des P-39, que les pilotes ont refusé de faire équiper de filtres à sable pour préserver leur vitesse, connaissent de nombreuses pannes dont l’une va causer la perte de l’as de l’aviation d’Afrique. Le 11 septembre 1943 Pierre Le Gloan décolle à 7h45 à bord du P.39 N n°429.421 pour relever une patrouille envoyée en mission de protection de convoi. Le plafond nuageux est bas et la mer bouchée par la brume. Il vole à 600 m d’altitude et se trouve à 3 km à l’ONO de Ouillis (NE de Mostaganem) quand survient une panne à 7h53, ainsi relatée par son équipier le sergent Colcomb : « A 7h55, le sergent Colcomb voit des trainées de liquide noir s’échapper sur le côté du moteur du lieutenant Le Gloan. Il prévient celui-ci par radio à deux reprises. Réponse : « Bien compris ». Aussitôt après le lieutenant Le Gloan effectue un virage de 180° à gauche, pour revenir au terrain de Lapasset, en perdant un peu d’altitude. Sitôt le virage terminé, il largue sa porte de cabine et incline son avion à droite, comme pour se jeter en parachute. Puis en perdant beaucoup d’altitude, pour se poser train rentré dans un champ planté de vignes. Il ne largue pas son réservoir supplémentaire. Il touche le sol ayant presque fini de redresser son virage, d’abord légèrement du plan gauche, puis du réservoir supplémentaire, qui est rapidement arraché et fait explosion. L’avion rebondit et va s’écraser dans un treillis constitué par de petits arbres de 3 à 4 cm de diamètre, où il fait une trouée de 100 mètres environ. Une deuxième explosion se produit, suivie de l’incendie de l’avion et des arbres environnants. L’accident s’est produit dix minutes après le décollage. »

Postérité et controverse post-mortem

       La nouvelle de sa disparition en service commandé fait l’objet d’un article en première page de l’Echo d’Alger le 15 septembre 1943. Il reçoit une ultime citation à l’ordre de l’aviation française qui indique « Officier alliant les plus belles vertus militaires aux dons les plus exceptionnels de chasseur. Aussi heureux dans le combat que modeste après la victoire, s’est couvert de gloire, dès le début de la guerre, en abattant, seul, cinq avions ennemis au cours du même vol. A remporté au total 21 victoires dont 18 homologuées et 16 en combat singulier. 11 citations dont 10 à l’ordre de l’armée. Est tombé à son poste le 11 septembre 1943, à la date et à l’heure anniversaire de la mort de Guynemer. Leur souvenir restera indissolublement lié dans la légende des ailes françaises. » Plusieurs personnalités civiles et militaires, françaises comme alliées, assistent à la messe donnée en sa mémoire à la cathédrale d’Alger le 25 octobre 1943, dont le général Chambe, chef du cabinet militaire du général Giraud. Ses restes seront inhumés après la guerre le 7 octobre 1950 à Plouguernével, tout près de sa commune natale de Kergrist-Moëlou qui baptisera une de ses rues de son nom au mois d’août 2003, soit soixante ans après sa mort.

       Car l’oubli a bien vite recouvert sa tombe immédiatement après sa disparition, un oubli favorisé par l’ombre infamante du régime de Vichy qui a engagé des soldats français dans une quasi-cobelligérance aux côtés des forces de l’axe lors des évènements du Levant en 1941. Un voile pudique a recouvert ces évènements à tel point que l’historique du GC III/6 rédigé sur la campagne de Syrie porte la sévère mise en garde que ce document « est à conserver jusqu’à nouvel ordre comme un document confidentiel qui ne sera pas diffusé et ne devra sous aucun prétexte sortir des archives. Tout manquement à cette prescription sera sanctionné sévèrement. » Seul l’as de 14-18 Marcel Coadou, solidarité bretonne oblige, signe en 1948 sous son surnom de guerre de Judex dans le journal local « la Gazette de Provence » un court article relatant les exploits de Pierre Le Gloan sans mentionner l’épisode de la Syrie. Ce n’est qu’en 1987 que l’ouvrage des historiens Christian-Jacques Ehrengardt et Christopher Shores, « L’aviation de Vichy au combat » (Ed. Lavauzelle) décrit en détail du point de vue purement factuel cet épisode tragique de la guerre. L’historien Patrick Facon écrira dans plusieurs publications parues durant les années 1980, et notamment la revue « Airfan » de mars 1984, que « La propagande faite par la presse française – dont des journaux extrémistes comme Gringoire -, de même que son refus de rallier la France Libre après la fin de la Campagne du Levant valurent à I’as de 1940 de très nombreuses inimitiés au sein des milieux proches du général de Gaulle. »

       Cette inimitié est bien réelle : Une publication de la France Libre en Amérique du Sud, « La France Nouvelle » éditée à Buenos Aires, publie le 8 août 1943 un article d’un sympathisant gaulliste qui décrit le réarmement de l’ancienne armée de l’air d’armistice en ces termes : « Le capitaine d’Artois me parle d’un projet spectaculaire que les Américains étudient : la constitution d’une escadrille Lafayette qui ira se battre immédiatement en Tunisie aux côtés des alliés. Le côté comique de l’histoire, me dit-il, c’est que pour faire partie de cette formation nous allons devoir, au commandement supérieur de l’air, désigner nos meilleurs pilotes et que nos meilleurs pilotes – les Le Gloan, les Marin la Meslée – sont tout justement les vétérans de la campagne de Syrie et les plus férocement anti-alliés. Ça promet. Ça a tenu. »

       On ne peut faire le procès à Pierre Le Gloan de ne pas avoir rallié la France Libre après la campagne de Syrie dans la mesure où absolument aucun pilote de l’aviation d’armistice ayant participé aux combats ne l’a fait : Mers El Kébir et cinq semaines de durs combats ont assurément causé un fossé durable contre les alliés britanniques d’hier, et les Français libre perçus comme leurs affiliés. Mais il faut également noter qu’il n’y a eu que très peu de publicité sur les exploits de l’as de l’aviation d’armistice pour en faire une sorte de porte-drapeau – et tout particulièrement aucune mention de son nom dans les colonnes de la presse collaborationniste la plus extrémiste, y compris le journal Gringoire que l’on peut lire sur le site Gallica.

       Il faut cependant reconnaître que Pierre Le Gloan reste un mystère dans la mesure où aucun document écrit de sa main ne semble exister, ni de témoignage détaillé issu d’un de ses proches, et qui permette de comprendre clairement son état d’esprit. Cependant, les quelques témoignages d’acteurs qui l’ont brièvement côtoyé et qui ont été cités dans cet article semblent montrer qu’il s’est au moins posé des questions sur le départ en dissidence. Sa renommée, assez limitée, semble avoir été plus subie que voulue car il n’a fait aucune déclaration connue sur ses combats. Il n’y a de plus aucune preuve montant de sa part une approbation au régime de Vichy, alors que plusieurs signaux montrent sa motivation à reprendre la lutte après le débarquement des Américains en Algérie. De ce fait, les quelques lignes écrites par le lieutenant Nicolas, officier mécanicien du GC III/6 de 1940 à 1943, semblent en dresser le portrait le plus juste en signalant qu’il « a laissé le souvenir d’un grand gaillard, ouvert, simple, conscient de sa valeur et sachant l’affirmer, sans pour autant devenir prétentieux. Il aimait le travail sérieux, bien fait. » De ce qui précède, et sous réserve de tout document prouvant le contraire, il apparaît que Pierre Le Gloan, de facto présenté comme « l’as de Vichy », n’ait été qu’un « as sous Vichy », un simple technicien particulièrement doué, qui comme nombre de pilotes de l’armée de l’air d’armistice a obéi à des ordres sur lesquels il n’avait que peu de prise. Comme l’ont été plusieurs de ses camarades qui ont combattu durant campagne de Syrie mais avec des résultats plus modestes, tels que Jacques André, Léon Cuffaut ou Gabriel Mertzisen, et qui n’ont pas hésité plus tard à se porter volontaires pour combattre et se distinguer en Russie dans le régiment de chasse Normandie-Niemen.

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