Ceux de la 11EC, ,ce sont tous ces hommes (et ces femmes, peu nombreuses, mais il y en eu quelques unes) qui ont fait l’histoire de cette escadre de chasse. Des articles leur ont bien évidemment été consacrés ; pourquoi parler de certains et pas d’autres ? C’est bien le dilemme ; le choix n’a pas été fait de manière arbitraire mais en fonction des documents et photos existantes et aussi en fonction de l’actualité.
Certaines “figures” de la 11EC sont absentes ; je le sais et je leur demande de bien vouloir m’excuser de ne pas avoir parler d’eux. Mais il faut aussi dire qu’il y en a eu beaucoup, car encore une fois cette escadre est vraiment particulière….
Les hasards de la vie m’ont fait rencontrer André BOISNAUD, un grand ancien puisque macaronné en 1951, passé par la 11EC et qui a bien voulu me laisser quelques souvenirs d’une époque lointaine et très peu abordée au sein de la 11EC, je veux parler de ce qu’on appelle “La Guerre d’Algérie”. A ma connaissance, hormis le numéro spécial de RNV (Res Non Verba) consacré à ce conflit, il n’y a que très peu d’articles, voire aucun, qui ont relaté cette partie de l’histoire.
Il est question de PGA, de Vampire, de JU 52,…., bref, c’était il y a (très) longtemps et André n’a pratiquement gardé (ou fait) de photos de cette époque.
La guerre d’Algérie a duré de la Toussaint 1954 jusqu’à l’indépendance de l’Algérie en juillet 1962. Mais le “cessez le feu” du 19 mars 1962 n’ayant pas donné lieu à la fin des combats, les morts des Forces Françaises et surtout des Harkis ont pu se compter jusqu’en 1964.
Des combats se sont également déroulés en Tunisie et au Maroc jusqu’à l’indépendance de ces deux pays, mais aussi, parfois, bien après… à l’exemple des émeutes de Meknès et de Bizerte.
Au Maroc, après une période de tension, les émeutes suivies des opérations de sécurité ont débuté le 20 août 1955. Arrivé sur la base de Meknès en novembre 1954, déjà moniteur de chasse (sous-chef de patrouille) après un court passage au 5ème escadron d’entraînement des moniteurs, j’étais affecté au 4ème escadron. Fin juillet revenu de permission en Oranie, j’étais sous les ordres du capitaine Rajau au 1er escadron, les quatre autres escadrons comme une grande partie de la Base étaient en permission.
Des heurts avaient eu lieu dans la ville de Moulay-Idriss : on sentait la pression monter. Le capitaine Rajau que j’avais connu comme commandant d’escadrille à la première escadre me fit désigner comme PGA (Poste de Guidage Avancé) auprès du Groupement d’Intervention numéro 2 (GMI 2). Je fus ainsi auprès de mes camarades de l’Armée de Terre le 19 août pour une intervention aérienne fictive sur la route de Fès. Tout se passa bien et j’étais de retour à la Base en début d’après-midi. Tard dans la soirée, il me fut ordonné de rejoindre le GMI le lendemain matin tôt à El Hajeb pour effectuer une manœuvre d’intimidation lors d’un “souk” sur la route de Khénifra. Je rejoignis donc une compagnie de la Légion avec mon chauffeur et deux radios. Nous avions aussi une Jeep radio avec remorque dotée d’un groupe électrogène. Arrivé au “souk”, déploiement de la compagnie de la Légion puis arrivée d’une patrouille de Vampires pour effectuer des passes fictives. Durant celles-ci le capitaine commandant la compagnie de la Légion m’avertit que la situation se dégradait sérieusement à Khénifra : « Continue avec les avions, nous, nous partons tout de suite » me dit-il.
Pris d’un doute après une ou deux attaques fictives, je préviens le chef de patrouille de ce qui se passe et lui demande d’aller voir. Après avoir plié bagages, nous partons sur les traces de nos camarades légionnaires et les ayant rejoints, je décide de m’intercaler au milieu de la colonne. Quelques minutes après, la patrouille de Vampire fait sur nous un passage à très basse altitude. Ayant compris qu’il y avait un message à recevoir, mes hommes et moi nous nous arrêtons pour mettre en route la radio ; puis j’arrête le dernier véhicule de légion qui avait une antenne :
« – Avez-vous la liaison avec le capitaine ?
– Oui, mon lieutenant
– Restez avec moi »…
Le chef de patrouille dès contact radio établi m’annonce :
– « Des émeutiers fortement armés sont aux portes de la ville européenne, dépêchez-vous ». Je retransmets aussitôt le message.
Peu après, aux portes de Khénifra le commandant de compagnie donne l’ordre d’engager les mitrailleuses. Nous encerclons la Médina et je place mon PGA sur une hauteur. Dans la soirée, le reste du GMI 2 nous rejoint : il y a là des éléments d’un régiment de Spahis sur auto-mitrailleuse Panhard, des Tirailleurs Marocains et un État-major aux ordres du colonel commandant le 12ème Régiment de Chasseurs d’Afrique. Nous sommes nous-mêmes encerclés par des cavaliers Zayans dont certaines tribus étaient encore insoumises en 1933. Le commandement Air au Maroc m’envoie des Vampire armés mais culasse à l’avant pour intimidation alors que je réclame une intervention armée. Le téléphone fonctionne encore. J’appelle les Ops d’Air Maroc et demande si on se moque de moi.
Le lendemain une intervention est programmée, mais l’Armée de l’Air n’a plus tiré au Maroc depuis la guerre du Rif (1925-26) et le colonel P… commandant la base de Meknès veut être là. Une patrouille de 4 Vampire armés d’obus inertes, aux mains de 4 officiers dont 2 qui ont dû être rappelés de permission, doit intervenir. Le PGA volant me contacte et j’entends ceci :
– « Où sont-ils ces fameux cavaliers ? », Je lève les yeux et voit très haut dans le ciel l’avion qui doit guider l’intervention,
« -A quelle altitude êtes-vous ?
– 3000 mètres
– Si vous descendiez vers 1000 mètres vous les verriez ! »
Les Vampires arrivent et doivent tirer au plus près mais pas sur les cavaliers Zayans. Heureusement le n° 4, un “chibani” de la guerre d’Indochine, tire vraiment plus près et les chevaux s’emballent… Il y a pas mal de victimes. Afin de renforcer notre dispositif, le grand commandement au Maroc décide de parachuter sur notre position des éléments du 6° BCP à l’aide de “JU 52” de la base 707. Cela fut exécuté tard le soir ! Nous avons pu récupérer environ 1/3 des parachutés au moment où la nuit tombait. Les autres Africains, redoutant la nuit, car encore très animistes à l’époque, se sont terrés et cachés dans des buissons jusqu’au petit matin où nous les avons retrouvés en totalité.
Un soir, je suis prévenu qu’à la nuit tombée, j’aurai à accueillir, sans contact radio, un hélicoptère Bell pour évacuation sanitaire. En guise de Drop Zone, je dispose donc 4 véhicules pour former un carré éclairé par les phares. Le pilote ne la verra pas et ira se poser à quelques centaines de mètres de là. Je l’ai rejoint et nous avons décollé pour la zone balisée : ce fut mon premier vol en hélicoptère !
Après plusieurs interventions, l’Aman (Trêve) est accordé. Normalement tout est fini, Cependant peu après j’aperçois un indigène qui en se cachant au fond d’un oued à sec se dirige vers la ville européenne. Je fais tirer sur lui non seulement un de mes radios mais aussi le chauffeur marocain qui est près du PGA avec un “poste 300” pour la liaison avec le PC. Le rebelle est entouré de plusieurs rafales mais il continue à avancer sur la route après s’être retourné. Je fais le tour de la hauteur où je suis stationné et pistolet au poing je le fais prisonnier. Des légionnaires arrivent, mais dès que l’individu les voit il refuse d’avancer… C’est là que j’ai vu le plus beau et le plus puissant “coup de pied au cul” de ma vie. L’homme était drogué au “kif” et muni d’un grand couteau à égorger les moutons, très affûté, allait en zone européenne pour assassiner quelqu’un. Ce couteau m’a été remis par le lieutenant B… commandant une des sections de la compagnie de la Légion ; lors d’un de mes nombreux déménagements j’ai perdu cette “arme”.
Peu de temps après, le lieutenant B… avec un chauffeur arrive pour me voir sur mon piton et me dit : « On va prendre un pot au quartier » et décide de passer par la médina, lui au volant, moi à droite dans la jeep et un légionnaire avec son PM (Pistolet Mitrailleur) en place arrière. Bien que l’arrêt des hostilités ait été proclamé, il y a, sur la Grand Place, de nombreux hommes en armes, nous passons à quelques mètres d’eux et l’ancien de Dîen Bîen Phu s’affole un peu et accélère très fort… Je vois arriver un virage à 90° à l’approche de l’oued… « Calme toi, on va se planter ! » Il ralentit… dans le virage, un fût de 200 litres d’huile a été répandu… Ouf on est passé ! Au même endroit la veille un jeune soldat sur l’aile d’une AML est tombé après avoir été blessé, son corps a été retrouvé calciné.
Au “foyer” le capitaine est là et me demande :
– « Que veux tu boire ?
– un Perrier !
– Alors tu crois, dit Monsieur Kronenbourg que je vais te payer de l’eau ?
– C’est moi qui vous offre un verre, dis-je
– Tu crois aussi pouvoir payer chez moi ?… ».
Monsieur Kronenbourg, c’est le capitaine S…. commandant la 1ère Compagnie Portée du 4ème Régiment Étranger d’Infanterie !
Durant les jours suivants, les opérations ont continué. J’ai eu régulièrement des avions armés qui ont fait leur travail et au bout de quelques jours j’ai été relevé par un camarade. En arrivant (par avion) sur la Base, je vais me présenter chez le colonel. Il n’est pas là. Je rentre chez moi puis je prends la décision d’aller voir le capitaine Rajau. Dès mon arrivée il me demande si j’ai vu le colonel. Ma réponse négative le rassure, puis il me demande de tout lui raconter.
Nous partons sur la Base voir le “grand chef” : je ne dois pas répondre aux questions, c’est lui qui répondra car il plane au-dessus de ma tête une demande de tribunal militaire pour insubordination. Face au colonel tout se passe comme prévu, le capitaine Rajau répondant aux questions…, on ne parla plus de tribunal militaire.
Quelques semaines plus tard, il me fut communiqué le contenu des notes qui me furent attribuées par le colonel commandant le GMI2 (la valeur militaire, déco pour remplacer la croix de guerre, ne fut créé qu’en 1956). Ces notes furent mises à la poubelle à la BA 708 de Meknès et donc non insérées aux miennes. Ce n’est que trois ans plus tard que, grâce au commandant de la 13ème escadre, elles réintégrèrent mon livret de notes.
Ce séjour aux environs de Khénifra m’a permis de découvrir la camaraderie et l’estime interarmes, mais surtout l’amitié et le respect des légionnaires, en particulier de quelqu’un qui m’a marqué jusqu’à ce jour : le lieutenant Henri Bonnet, ancien de Dîen Bîen Phu et de la Longue Marche (dans les camps de la mort du Viet Min) après trois séjours en Indochine.
Durant les opérations au Maroc je suis reparti en PGA dans les montagnes du Rif en octobre 1955… mais cela est une autre histoire…
3ème et dernière partie de l’article consacré à Pierre Le Gloan
Je rappelle que cet article est publié avec l’aimable autorisation de David MECHIN son auteur et journaliste au “Fana de l’Aviation”. Vous pouvez également visionner sur le même sujet la vidéo https://youtu.be/QLlkOBY_RCg?si=JjqKu7Xp5HYzQCEJ
Retour en Afrique du Nord
Suite à la campagne de Syrie, le GC III/6 reprend sa place sur le terrain d’Alger-Maison Blanche le 16 juillet 1941. L’activité aérienne va retomber à un niveau très bas imposé par la commission d’armistice, ponctuée par de rares alertes contre des appareils britanniques s’aventurant un peu trop près des côtes. Les Dewoitine du groupe reçoivent alors les nouveaux marquages imposés par la commission d’armistice, des bandes rouges et jaunes sur les capots-moteur et partie arrière du fuselage, que nombre de pilotes surnomment « livrée d’esclave ».
Tous les pilotes vétérans de la campagne de Syrie vont recevoir les honneurs de la part du gouvernement de Vichy qui distribue de nouvelles citations. Le Gloan reçoit l’homologation de ses sept victoires aériennes qui lui valent quatre palmes et une étoile de vermeil supplémentaires sur sa croix de guerre, ainsi qu’une promotion à titre exceptionnel au grade de lieutenant (effective le 9 septembre 1941).
Ces décorations lui seront remises lors d’une cérémonie présidée par le général Weygand (délégué général du gouvernement en Afrique du Nord) sur le terrain d’Alger-Maison blanche le 27 juillet 1941, et dans laquelle l’ensemble du groupe est décoré. Cependant, en tant qu’as de l’unité, les photographes du Service de Presse des armées s’attardent sur lui et la presse vichyste va le signaler en tant que nouvel « as des as » de l’aviation française, ayant, avec 18 victoires homologuées (ou 21 si l’on y ajoute les succès non-homologués), dépassé le score du capitaine Edmond Marin la Meslée.
Cette information aura cependant une diffusion assez limitée du fait de l’occupation de la France. Pas un mot dans les journaux paraissant en zone nord sous le contrôle de l’occupant tels que « L’œuvre » ou « Le Matin ». Certains titres de la zone sud, tels que « Le journal » (replié à Lyon) ou « Le journal desdébats » mentionnent de leur côté la cérémonie avec le nom de Pierre Le Gloan dans de discrets articles en pages intérieures. C’est cependant la presse d’Afrique du Nord, et tout particulièrement le quotidien « L’écho d’Alger », qui va se montrer le plus prolixe avec un article détaillé de la cérémonie et avec une photo de l’as recevant sa décoration figurant en une du journal.
Il sera d’ailleurs mentionné dans plusieurs autres articles du même quotidien. Devenu le porte-drapeau de l’aviation française, le lieutenant Pierre Le Gloan va être de toutes les cérémonies militaires organisées à Alger en l’honneur de l’arrivée en Afrique du Nord de tel ou tel notable vichyste – c’est notamment le cas le 9 novembre 1941 pour le défilé organisé pour le centenaire des Tirailleurs et Spahis Algériens, la venue du ministre de l’Intérieur Pierre Pucheu le 1er mars 1942, ainsi que l’arrivée à Alger de l’amiral Darlan le 29 octobre 1942.
Le régime de Vichy vit à ce moment ses derniers jours en Afrique du Nord : durant la nuit du 7 au 8 novembre 1942, débarquent les troupes américaines lors de l’opération Torch. Si celles-ci se heurtent à une vive résistance à Casablanca ainsi qu’à Oran, la situation est différente à Alger où s’est organisé un groupe de résistants menés par le jeune José Aboulker (étudiant en médecine), l’industriel Roger Caracassonne ainsi que les officiers du 2e bureau de l’armée d’armistice, le colonel Germain Jousse et le lieutenant Henri d’Astier de la Vigerie. Ils ont pu négocier clandestinement avec les autorités américaines au mois d’octobre précédent dans une villa de Cherchell et vont ainsi préparer une prise de contrôle d’Alger. Rassemblant un groupe de 400 résistants, ils réussissent à prendre possession de tous les lieux stratégiques de la ville durant la nuit (dont le central téléphonique) et d’assigner à résidence le général Juin et l’Amiral Darlan, prisonniers de leurs villas. Quand les autorités militaires de Vichy parviennent à reprendre le contrôle de la ville, il est déjà trop tard car les troupes américaines ont pu solidement prendre position tout autour d’Alger, et ce sans combats d’importance. Sur l’aérodrome d’Alger – Maison blanche, le GC III/6 a été placé en « super alerte » dès le début du mois de novembre, prêt à faire décoller 9 avions, car a été signalé un très gros convoi naval anglais en Méditerranée. Durant la nuit du 7 au 8, seule la 6e escadrille est d’alerte et le lieutenant Le Gloan, appartenant à la 5e, est par conséquent probablement en ville avec sa fiancée… Des coups de canons sont entendus durant la nuit sans que personne ne puisse s’informer car le téléphone est coupé. Ce n’est que vers quatre heures du matin que le capitaine Léon Richard, le chef de la 6e escadrille, réunit ses pilotes pour les informer que les anglo-américains débarquent en Afrique du Nord. Les pilotes s’apprêtent à décoller mais une brume à couper au couteau tombe sur l’aérodrome au lever du jour. Ceux qui n’étaient pas d’alerte arrivent d’Alger à pied, en vélo ou même en voiture et apprennent à leurs camarades que des soldats américains sont tout autour du terrain et sont plutôt amicaux car ils les ont laissé passer ! Ces derniers prendront possession de la base sans tirer un coup de feu et nombre d’avions américains et britanniques vont s’y poser dans la journée. Le 12 novembre 1942, l’amiral François Darlan, qui a pris le commandement de l’ensemble des forces françaises d’Afrique du Nord, ordonne un cessez-le-feu général.
Le réarmement
Darlan engage l’armée d’Afrique aux côtés des alliés et prétend gouverner « au nom du Maréchal » qu’il considère prisonnier des Allemands. Il maintient toutes les lois de Vichy en Afrique du Nord… Mais les résistants locaux n’entendent pas de cette oreille laisser la France devenir une sorte de dictature franquiste : Darlan est assassiné le 24 décembre 1942 et lui succède le général Giraud. Dès le mois de janvier 1943 il rencontre le général De Gaulle à l’instigation des Américains et britanniques pour tenter de fusionner les deux gouvernements français en lutte contre l’Allemagne. Ce sera effectif le 3 juin 1943 par la création du Comité Français de Libération Nationale coprésidé par Giraud et De Gaulle. Mais Giraud, apparaissant trop lié à Vichy aux yeux de nombre de résistants, en sera progressivement évincé par De Gaulle qui se montre nettement plus fin politique que ce dernier.
Nombre de combattants de l’armée d’Afrique, qui ont le 8 novembre 1942 reçu l’ordre de tirer contre les Américains, puis quatre jours plus tard de se rallier à eux, sont pour le moins déboussolés par ces changements d’alliance et de régime. Le GC III/6 l’est également : il est prié dès le 11 novembre 1942 de quitter Alger-Maison blanche pour laisser la place aux appareils alliés. Le journal de marche de sa 6e escadrille indique alors : « Nous déménageons à Oued-Semar [à 2 km du terrain d’Alger, NdA], dans les baraques de parachutistes. Et là, à moitié planqués, nous nous demandons ce que l’on va faire de nous. Le Général Giraud prend le commandement de l’armée d’Afrique. Après nous avoir laissé entendre qu’il ne faut pas être avec lui, on nous apprend qu’il devient notre chef. On ne sait plus que penser. Nous retournons notre veste une fois de plus. Evidemment les évènements nous y forcent. Mais notre désarroi est bien grand. » Après quelques mois de contacts avec les Anglais et Américains, le même rédacteur indique quelques lignes plus loin que « On a vite oublié le 8 novembre. Il est vrai que maintenant l’avenir est sous un jour nouveau. La vieille haine anti germanique commence à souder, et reprend le dessus. Il s’agit de faire partir de France ceux qui s’y trouvent actuellement et qui font souffrir quarante millions de français. Une politique positiviste, arriviste en somme, remplace la politique attentiste. Nous verrons bien. » L’espoir du groupe est de reprendre la lutte contre l’Allemagne, mais les vieux Dewoitine 520 sont maintenant à bout de souffle et soutiennent difficilement la comparaison avec les appareils ennemis, même s’ils peuvent encore servir à l’entraînement qui reprend d’ailleurs immédiatement sans limitation des vols.
Le rééquipement sur du matériel moderne va venir des alliés américains et britanniques, les bases en sont d’ailleurs posées lors de la conférence d’Anfa du mois de janvier 1943. Mais avant même que ne se tiennent les pourparlers, les Américains rééquipent immédiatement, à titre symbolique, un premier groupe de chasse sur Curtiss P-40. Il s’agit du GC II/5 dont l’insigne d’une des escadrilles n’est autre que la tête d’indien Séminole, qui en 1917 était celle de l’escadrille Lafayette qu’avait à l’époque dessinée le sergent Harold Willis. En novembre 1942 il est colonel à l’état-major du général Eisenhower et retrouve avec surprise sa création d’il y a vingt-cinq ans sur les P-36 survivants du GC III/5 : il fait alors en sorte que « son » escadrille soit réarmée dans les plus brefs délais. Les choses ne traînent pas et le 9 janvier 1943 une cérémonie, dûment filmée et photographiée par les services de presse alliés, a lieu sur le terrain d’Alger-Maison blanche où les Curtiss P-40 repeints avec des cocardes françaises sont donnés aux pilotes du GC II/5 que dirige le commandant Constantin Rozanoff. Assiste à la cérémonie le lieutenant Pierre Le Gloan, en tant que porte-drapeau de l’aviation française, mais qui à titre privé est probablement très intéressé car, quelques semaines plus tôt, il a été le premier pilote de son groupe à tester un appareil américain, un chasseur P-38, sur le terrain de Nouvion (actuellement El Ghomri, près d’Oran) même si le stage a été écourté en raison des intempéries. Il repartira d’ailleurs à Biskra le 16 janvier 1943 pour un second stage.
C’est durant le premier semestre de l’année 1943 que va s’opérer le réentrainement et la transformation sur matériel moderne du GC III/6 qui s’installe le 10 janvier sur le terrain d’Ain Sefra, aux confins du Sahara près de la frontière marocaine. C’est là qu’il participe sur ses Dewoitine à des exercices avec deux groupes de bombardement qui ont lieu dans le désert, à Colomb Béchar, au mois de mars. Le 20 avril, les pilotes partent par roulement sur le terrain de Berrchid, au Maroc (près de Casablanca), pour se familiariser au pilotage de leur nouvel avion d’armes, le Bell P-39 N « Airacobra ». Les avis des pilotes sont manifestement partagés (Voir Fana n°552 à 554) mais, selon le journal de marche de la 6e escadrille qui est assez détaillé, le lieutenant Pierre Le Gloan en revient « très content » et plutôt satisfait de sa nouvelle monture.
Les P-39 destinés au groupe sont livrés en caisse à Alger le 30 avril 1943. Promptement remontés par les mécaniciens, ils sont convoyés par les pilotes à partir du 1er mai vers le terrain d’Ain Sefra. 26 Airacobra sont ainsi alignés par le GC III/6 le 18 mai 1943 et l’entrainement sur le nouvel appareil commence, pour vite débuter par des deuils. Le 26 mai 1943, Le Gloan réalise un exercice de combat simulé avec le capitaine Léon Richard, le chef de la 6e escadrille et autre « as » de la campagne de Syrie où il a ramené 6 victoires aériennes, plus une autre obtenue contre un avion britannique au large des côtes d’Afrique du nord. L’exercice débute à l’aube, avec Le Gloan sur Dewoitine, et Richard sur P-39. Les deux pilotes repartent à 10 heures pour un second vol en ayant changé d’appareil. Le Gloan, notant qu’il n’a plus que 5 gallons d’essence, rentre se poser à 11 heures. Le Dewoitine de Richard ne rentrera pas et sera retrouvé écrasé au sud du terrain dans l’après-midi : l’enquête conclura à une panne d’essence.
Décrit comme bouleversé par ce drame, Pierre Le Gloan suit ensuite son groupe qui s’installe le 18 juin à Berkane sur la côte méditerranéenne du Maroc, près de la frontière avec l’Algérie, pour y poursuivre son entraînement. Il y bénéficie d’une permission pour aller se marier le 2 juillet 1943 à Alger avec sa fiancée Mirelle Fischer. L’as des as de l’aviation française d’Afrique du Nord est une personnalité suffisamment médiatique pour que l’écho d’Alger signale le mariage sur sa première page et félicite les deux époux… Au GC III/6, un nouveau drame survient le 17 juillet quand l’adjudant Loï se tue en sautant de son Airacobra parti en ville et dont l’empennage accroche le parachute du pilote.
Le 4 août 1943, le GC III/6 s’installe sur le terrain de Lapasset en Algérie, à 60 km à l’est d’Oran, pour y débuter sa nouvelle vie opérationnelle dans le Coastal Command de l’aviation alliée consistant à effectuer des patrouilles côtières pour y protéger les convois de ravitaillement. Le groupe est réorganisé à l’américaine, avec l’ajout d’une 3e escadrille qui, à la demande du général Gama, inspecteur de la chasse, reprend les traditions de la SPA 84 dont l’insigne est une tête de renard portant un monocle. Le commandement de cette escadrille est confié le 11 août au lieutenant Pierre Le Gloan mais aucune photo connue ne permet d’affirmer si son appareil sera décoré du nouvel insigne. Il réalise néanmoins un vol notable le 14 août en participant à l’escorte d’un convoi entre Tenès et Le Chelif dont il revient se poser de de nuit à sa base.
Les missions d’escorte de convois se poursuivent et Lapasset, qui a déjà reçu la visite du général Giraud le 13 août, va recevoir celle du général De Gaulle le 22 du mois, qui demande à ce que lui soient présentés tous les pilotes, « ce qui est fait » note le journal de marche de la 5e escadrille. Pierre Le Gloan serre alors la main ce celui qui à cette époque a de fait pris la direction du CFLN. Le 5 septembre 1943, la Luftwaffe montre timidement le bout de son nez car des P-39 décollent sur alerte à la poursuite d’un bombardier allemand signalé mais qui ne peut être retrouvé. La reprise des combats s’annonce, d’autant plus que deux jours plus tôt est parvenue la nouvelle du débarquement des Alliés en Italie du sud ce qui enthousiasme le rédacteur du journal de la 6e escadrille, qui rappelle les exploits du Groupe contre les Italiens en 1940 et écrit : « vivement qu’on appelle le 3/6 en renfort car c’est un spécialiste de la question. »
Accident mortel sur P-39.
Malheureusement le destin en décidera autrement pour Pierre Le Gloan. Les moteurs Allison des P-39, que les pilotes ont refusé de faire équiper de filtres à sable pour préserver leur vitesse, connaissent de nombreuses pannes dont l’une va causer la perte de l’as de l’aviation d’Afrique. Le 11 septembre 1943 Pierre Le Gloan décolle à 7h45 à bord du P.39 N n°429.421 pour relever une patrouille envoyée en mission de protection de convoi. Le plafond nuageux est bas et la mer bouchée par la brume. Il vole à 600 m d’altitude et se trouve à 3 km à l’ONO de Ouillis (NE de Mostaganem) quand survient une panne à 7h53, ainsi relatée par son équipier le sergent Colcomb : « A 7h55, le sergent Colcomb voit des trainées de liquide noir s’échapper sur le côté du moteur du lieutenant Le Gloan. Il prévient celui-ci par radio à deux reprises. Réponse : « Bien compris ». Aussitôt après le lieutenant Le Gloan effectue un virage de 180° à gauche, pour revenir au terrain de Lapasset, en perdant un peu d’altitude. Sitôt le virage terminé, il largue sa porte de cabine et incline son avion à droite, comme pour se jeter en parachute. Puis en perdant beaucoup d’altitude, pour se poser train rentré dans un champ planté de vignes. Il ne largue pas son réservoir supplémentaire. Il touche le sol ayant presque fini de redresser son virage, d’abord légèrement du plan gauche, puis du réservoir supplémentaire, qui est rapidement arraché et fait explosion. L’avion rebondit et va s’écraser dans un treillis constitué par de petits arbres de 3 à 4 cm de diamètre, où il fait une trouée de 100 mètres environ. Une deuxième explosion se produit, suivie de l’incendie de l’avion et des arbres environnants. L’accident s’est produit dix minutes après le décollage. »
Postérité et controverse post-mortem
La nouvelle de sa disparition en service commandé fait l’objet d’un article en première page de l’Echo d’Alger le 15 septembre 1943. Il reçoit une ultime citation à l’ordre de l’aviation française qui indique « Officier alliant les plus belles vertus militaires aux dons les plus exceptionnels de chasseur. Aussi heureux dans le combat que modeste après la victoire, s’est couvert de gloire, dès le début de la guerre, en abattant, seul, cinq avions ennemis au cours du même vol. A remporté au total 21 victoires dont 18 homologuées et 16 en combat singulier. 11 citations dont 10 à l’ordre de l’armée. Est tombé à son poste le 11 septembre 1943, à la date et à l’heure anniversaire de la mort de Guynemer. Leur souvenir restera indissolublement lié dans la légende des ailes françaises. » Plusieurs personnalités civiles et militaires, françaises comme alliées, assistent à la messe donnée en sa mémoire à la cathédrale d’Alger le 25 octobre 1943, dont le général Chambe, chef du cabinet militaire du général Giraud. Ses restes seront inhumés après la guerre le 7 octobre 1950 à Plouguernével, tout près de sa commune natale de Kergrist-Moëlou qui baptisera une de ses rues de son nom au mois d’août 2003, soit soixante ans après sa mort.
Car l’oubli a bien vite recouvert sa tombe immédiatement après sa disparition, un oubli favorisé par l’ombre infamante du régime de Vichy qui a engagé des soldats français dans une quasi-cobelligérance aux côtés des forces de l’axe lors des évènements du Levant en 1941. Un voile pudique a recouvert ces évènements à tel point que l’historique du GC III/6 rédigé sur la campagne de Syrie porte la sévère mise en garde que ce document « est à conserver jusqu’à nouvel ordre comme un document confidentiel qui ne sera pas diffusé et ne devra sous aucun prétexte sortir des archives. Tout manquement à cette prescription sera sanctionné sévèrement. » Seul l’as de 14-18 Marcel Coadou, solidarité bretonne oblige, signe en 1948 sous son surnom de guerre de Judex dans le journal local « la Gazette de Provence » un court article relatant les exploits de Pierre Le Gloan sans mentionner l’épisode de la Syrie. Ce n’est qu’en 1987 que l’ouvrage des historiens Christian-Jacques Ehrengardt et Christopher Shores, « L’aviation de Vichy au combat » (Ed. Lavauzelle) décrit en détail du point de vue purement factuel cet épisode tragique de la guerre. L’historien Patrick Facon écrira dans plusieurs publications parues durant les années 1980, et notamment la revue « Airfan » de mars 1984, que « La propagande faite par la presse française – dont des journaux extrémistes comme Gringoire -, de même que son refus de rallier la France Libre après la fin de la Campagne du Levant valurent à I’as de 1940 de très nombreuses inimitiés au sein des milieux proches du général de Gaulle. »
Cette inimitié est bien réelle : Une publication de la France Libre en Amérique du Sud, « La France Nouvelle » éditée à Buenos Aires, publie le 8 août 1943 un article d’un sympathisant gaulliste qui décrit le réarmement de l’ancienne armée de l’air d’armistice en ces termes : « Le capitaine d’Artois me parle d’un projet spectaculaire que les Américains étudient : la constitution d’une escadrille Lafayette qui ira se battre immédiatement en Tunisie aux côtés des alliés. Le côté comique de l’histoire, me dit-il, c’est que pour faire partie de cette formation nous allons devoir, au commandement supérieur de l’air, désigner nos meilleurs pilotes et que nos meilleurs pilotes – les Le Gloan, les Marin la Meslée – sont tout justement les vétérans de la campagne de Syrie et les plus férocement anti-alliés. Ça promet. Ça a tenu. »
On ne peut faire le procès à Pierre Le Gloan de ne pas avoir rallié la France Libre après la campagne de Syrie dans la mesure où absolument aucun pilote de l’aviation d’armistice ayant participé aux combats ne l’a fait : Mers El Kébir et cinq semaines de durs combats ont assurément causé un fossé durable contre les alliés britanniques d’hier, et les Français libre perçus comme leurs affiliés. Mais il faut également noter qu’il n’y a eu que très peu de publicité sur les exploits de l’as de l’aviation d’armistice pour en faire une sorte de porte-drapeau – et tout particulièrement aucune mention de son nom dans les colonnes de la presse collaborationniste la plus extrémiste, y compris le journal Gringoire que l’on peut lire sur le site Gallica.
Il faut cependant reconnaître que Pierre Le Gloan reste un mystère dans la mesure où aucun document écrit de sa main ne semble exister, ni de témoignage détaillé issu d’un de ses proches, et qui permette de comprendre clairement son état d’esprit. Cependant, les quelques témoignages d’acteurs qui l’ont brièvement côtoyé et qui ont été cités dans cet article semblent montrer qu’il s’est au moins posé des questions sur le départ en dissidence. Sa renommée, assez limitée, semble avoir été plus subie que voulue car il n’a fait aucune déclaration connue sur ses combats. Il n’y a de plus aucune preuve montant de sa part une approbation au régime de Vichy, alors que plusieurs signaux montrent sa motivation à reprendre la lutte après le débarquement des Américains en Algérie. De ce fait, les quelques lignes écrites par le lieutenant Nicolas, officier mécanicien du GC III/6 de 1940 à 1943, semblent en dresser le portrait le plus juste en signalant qu’il « a laissé le souvenir d’un grand gaillard, ouvert, simple, conscient de sa valeur et sachant l’affirmer, sans pour autant devenir prétentieux. Il aimait le travail sérieux, bien fait. » De ce qui précède, et sous réserve de tout document prouvant le contraire, il apparaît que Pierre Le Gloan, de facto présenté comme « l’as de Vichy », n’ait été qu’un « as sous Vichy », un simple technicien particulièrement doué, qui comme nombre de pilotes de l’armée de l’air d’armistice a obéi à des ordres sur lesquels il n’avait que peu de prise. Comme l’ont été plusieurs de ses camarades qui ont combattu durant campagne de Syrie mais avec des résultats plus modestes, tels que Jacques André, Léon Cuffaut ou Gabriel Mertzisen, et qui n’ont pas hésité plus tard à se porter volontaires pour combattre et se distinguer en Russie dans le régiment de chasse Normandie-Niemen.
Je rappelle que cet article est publié avec l’aimable autorisation de David MECHIN son auteur et journaliste au “Fana de l’Aviation”. Vous pouvez également visionner sur le même sujet la vidéo https://youtu.be/QLlkOBY_RCg?si=JjqKu7Xp5HYzQCEJ
Honneurs post-armistice
Le 20 juin 1940, le GC III/6 au complet décolle du terrain de Perpignan-Salanque pour traverser la Méditerranée et se poser sur le terrain d’Alger-Maison blanche, comme nombre de formations de l’Armée de l’air.
Le sergent Michał Cwynar, pilote polonais de l’unité témoigne dans ses mémoires que « Notre adjudant Le Gloan, courageux et les pieds sur terre qui avait abattu six avions italiens en compagnie d’un autre jeune officier, disait ne rien avoir à faire avec le gouvernement de Vichy. Ils refirent le plein de leur Dewoitine, préparant en apparence un vol vers Malte ! Il s’agissait d’une tromperie délibérée ! Les Français ne voulaient pas que nous, les Polonais, nous puissions connaître leurs intentions réelles… » Les Polonais quittent le groupe le 24 juin 1940, le jour où ce dernier est desserré sur Constantine et où entrent en application les clauses de l’armistice. Difficile de prendre le témoignage de Cwynar au premier degré : le gouvernement de Vichy n’existe pas encore stricto-sensu (il ne s’installera à Vichy que début juillet, le maréchal Pétain y recevant les pleins pouvoirs le 10 juillet 1940). D’autre part, plutôt que de tromperie délibérée, ce sont plutôt les clauses de l’armistice qui clouent les appareils français au sol, certains voyant leurs parties mobiles démontées sur ordre des commandants de base. Toujours est-il que cet écrit témoigne du fait que Pierre Le Gloan est toujours animé par l’esprit de se battre…
Les clauses de l’armistice ne présagent rien de bon pour l’armée de l’air promise à une rapide disparition, mais le drame de Mers-El-Kebir où la flotte britannique tire le 3 juillet 1940 sur des navires français va amener les Allemands à revoir leurs projets initiaux et finalement autoriser le maintien d’une armée de l’air d’armistice pour permettre au gouvernement de Vichy de protéger l’Afrique du Nord et ses possessions coloniales. Les réservistes sont néanmoins démobilisés et quelques formations dissoutes ; le GC III/6 est pour sa part maintenu et revient s’installer le 12 juillet 1940 à Alger-Maison blanche. Le Journal Officiel va publier durant l’automne 1940 les citations à l’ordre de l’armée correspondant aux victoires aériennes remportées durant la campagne de 1940, Pierre Le Gloan se voyant officiellement crédité de 11 victoires aériennes, promu au grade de sous-lieutenant et décoré de la croix de chevalier de la légion d’honneur. Selon le témoignage du mécanicien Joseph Bibert, les victoires et les honneurs n’ont pas rendu plus facile à vivre le pilote breton, qui, conscient de sa valeur, s’inspire de l’exemple du commandant André Chaînat en faisant décorer son Dewoitine 520 n°277 d’une bande d’as tricolore à l’arrière du fuselage. Il sera d’ailleurs le seul as de la campagne de 1940 maintenu dans l’aviation d’armistice à procéder ainsi.
Les Dewoitine s’ornent également d’une flèche tout le long du fuselage, premier marquage distinctif imposé par la commission d’armistice qui impose également un nombre d’heure strictement limité par pilote et par mois. Les jours s’égrènent donc dans une grande monotonie, à peine interrompue par le déménagement du GC III/6 à Casablanca le 28 octobre 1940 avant de revenir monter la garde à Alger-Maison blanche le 21 janvier 1941. Alors que l’inaction gagne les pilotes français d’Afrique du Nord, plusieurs d’entre eux sont alors tentés par le passage en dissidence, c’est-à-dire rallier la France Libre du général De Gaulle et préparent une évasion via Gibraltar. L’adjudant Constantin Feldzer, pilote de chasse ayant remporté une victoire aérienne sur Bloch en 1940 au GC III/10, est l’un d’eux et prépare un départ en bateau avec quelques amis. A l’automne 1940 il cherche à amener avec lui d’autres volontaires qu’il tente d’aller débaucher parmi les célébrités de l’aviation qu’il peut croiser sur la plage d’Alger ou dans les bars de la ville. Il témoignera ainsi dans le magazine « Icare » (n°65, 1973) : « Il y avait Le Gloan aux 6 (sic) victoires, qui était lui aussi avec une fille magnifique : il voulait bien partir à condition qu’on lui donne des garanties… » Il complètera son témoignage dans ses mémoires parues (« On y va ! », Ed. Axis, 1987) en précisant : « Le Gloan a dit oui mais… ; Goujon dit oui si… Guillaume est d’accord, à moins que… D’autres (…) sont méprisants ou « Maréchal nous voilà ».»
On peut donc déduire de ces témoignages que Pierre Le Gloan n’est pas particulièrement un ardent partisan du régime du Maréchal mais qu’un élément tout à fait privé le retient sans doute de partir : il entame en effet une liaison avec Mme Mireille Fischer (née Izem), une jeune femme de 28 ans ayant une petite fille d’un précédent mariage, et qu’il épousera en 1943. Le général Jean Bergeret, secrétaire d’état à l’aviation du gouvernement de Vichy, a d’ailleurs parfaitement compris que les liens familiaux limitent les velléités de passages en dissidence de ses pilotes et a autorisé les épouses restées en France à venir rejoindre leurs maris en Afrique du Nord avec leurs enfants…
Le chemin de Damas
Alors que débute l’année 1941 surviennent des évènements à l’autre bout de la Méditerranée. En Irak, un coup d’état voit l’arrivée au pouvoir le 3 avril 1941 du dirigeant nationaliste Rachi Ali Al-Gillani qui reverse le Régent pro-britannique et appelle à l’aide l’Allemagne, laquelle au mois d’avril est engagée dans l’opération « Marita » qui voit l’invasion de la Yougoslavie et de la Grèce. Les troupes britanniques présentes en Irak se retrouvent encerclées dans la garnison d’Habbaniya mais très vite une expédition militaire est montée à partir de la Palestine, la « Habforce », qui va traverser le désert pour venir à son secours et assez rapidement reprendre le contrôle militaire du pays en conjonction avec d’autres troupes de l’empire britannique débarquées à Bassorah le 18 avril.
Le gouvernement du Reich n’a guère les moyens d’apporter une aide immédiate aux insurgés irakiens. Il va demander au gouvernement de Vichy que dirige alors l’amiral Darlan d’aider les insurgés en leur cédant des armes et munitions stockées dans les états du Levant, c’est-à-dire au Syrie et au Liban qui sont deux pays administrés par la France depuis 1919. Darlan s’exécute de bonne grâce, pensant saisir une opportunité de montrer sa bonne volonté aux Allemands pour espérer renégocier les clauses de l’armistice. Il accepte également que des avions de la Luftwaffe transitent par les aérodromes de Syrie pour venir apporter un appui aérien aux insurgés irakiens.
Les premiers d’entre eux, maquillés avec des marquages irakiens, se posent le 11 mai 1941. C’est un Casus Belli pour les Britanniques dont les appareils ont tôt fait de détecter le manège : dès le 14 mai trois bombardiers Bristol Blenheim Mk IV escortés de 2 Curtiss Tomahawk (P-40) attaquent le terrain de Palmyre. La tension monte à la frontière entre les possessions britanniques et les états du Levant, et Vichy va obtenir de la commission d’armistice d’y déployer des renforts aériens pour y épauler les maigres effectifs présents sur place, composés initialement d’un groupe de chasse (GC I/7 sur Morane 406) et d’un groupe de bombardement plus d’autres unités dotées d’appareils anciens. Le sort tombe sur le GC III/6, désormais dirigé par le commandant Alain Geille, qui le 17 mai 1941 est informé qu’il est désigné pour partir pour la Syrie. Les préparatifs commencent aussitôt : récupérant quelques chasseurs sur d’autres unités pour compléter son effectif, 26 Dewoitine ainsi que quatre Potez 650 et un Farman 223 transportant les mécaniciens et de l’outillage quittent Alger-Maison blanche le 24 mai pour débuter un périple à travers la Méditerranée qui les amènera à faire escale à Tunis, puis Catane (en Sicile), Brindisi, Athènes et Rhodes. Les Dewoitine du groupe, qui ont reçu de la peinture jaune sur leurs empennages et leur casserole d’hélice, vont ainsi se poser sur des aérodromes de la Regia Aeronautica qu’ils ont combattue il y a à peine un an… A Athènes ce sont des appareils de la Luftwaffe qu’ils côtoient : le pays vient d’être envahi par l’Allemagne comme l’atteste le grand drapeau à croix gammée flottant sur le Parthénon que vont visiter les pilotes lors de leur courte escale. Pierre Le Gloan y aurait fait une curieuse rencontre : un officier allemand, pilote de bombardier, demande à le rencontrer. Ils se serrent la main devant les yeux ébahis des pilotes français : il s’agissait du pilote du Dornier 17 que Le Gloan avait descendu avec le S/Lt Robert Martin le 23 novembre 1939. Ce pilote aurait à l’époque reçu au fort de Verdun où il était emprisonné la visite de ses vainqueurs qui lui auraient apporté une bouteille de Champagne. Vainqueurs et vaincus d’hier vont fêter leurs retrouvailles le soir dans un restaurent d’Athènes… (Voir Fana n°287, article de Rémi Baudru « Quand l’Armée de l’air partit en Syrie combattre la RAF »)
Le voyage du GC III/6 se termine quand les 25 Dewoitine (l’un a brisé son train sur le terrain de Catane) du groupe se posent sur le terrain Rayak le 28 mai 1941, rejoignant leurs camarades du GC I/7 sur Morane qui dans la matinée ont abattu un Bristol Blenheim près d’Alep. La tension est à son comble avec les Britanniques : trois jours plus tôt (le 25 mai) le War Cabinet britannique a décidé l’invasion des états français du Levant pour y chasser l’administration de Vichy. Une décision que l’évolution des évènements justifie de moins en moins, car d’une part l’insurrection en Irak se termine le 31 mai avec la signature de l’armistice avec les insurgés, et d’autre part les avions de la Luftwaffe et de la Regia Aeronautica venus leur prêter main forte ont complètement plié bagage et quitté le Levant le 6 juin 1941.
Non dénuée de motifs impérialistes, l’invasion est néanmoins maintenue et débute le 8 juin 1941. Les premières troupes britanniques, auxquelles se joignent celles de la France Libre, vont franchir la frontière de Palestine selon trois axes de progression – le long de la côte du Liban vers Beyrouth, le long de la plaine de la Bekaa vers Rayak et sur le territoire Syrien de Deraa à Damas où combattront les Français Libres dans une sorte de guerre civile où des Français vont s’affronter les armes à la main. Le GC III/6, qui de Rayak a depuis le 28 mai réalisé plusieurs missions de couverture et de décollages sur alerte, va réellement affronter les appareils de la Royal Air Force.
Combats en Syrie
Dès l’aube du 8 juin 1941, le sous-lieutenant Pierre Le Gloan décolle à la tête d’un groupe de six Dewoitine pour gagner un terrain avancé près Damas d’où ils vont réaliser plusieurs sorties. A midi, l’as breton décolle avec le S/C Mertzisen pour une mission de protection d’un Potez 63.11 du GR II/39 envoyé reconnaître la région d’Izra. Ils découvrent une colonne motorisée ennemie et les deux chasseurs français la mitraillent. Tandis que son équipier est touché par la DCA légère et doit se poser sur le ventre, Le Gloan, après avoir rejoint le Potez pour continuer de l’escorter, repère un Hurricane qui effectue une mission de reconnaissance. Il se place adroitement et l’abat d’une rafale en bordure du terrain de Damas, entraînant dans la mort son pilote, le Flt Lt J.R. Aldis (Hurricane Z4364, du A flight du N°208 Squadron). Retournant à Rayak en fin d’après-midi avec seulement quatre Dewoitine car un second appareil s’est écrasé en vrille au décollage, il découvre que la base a été mitraillée par les chasseurs de la Royal Air Force dans la matinée, incendiant un Dewoitine et en endommageant cinq autres.
Le lendemain 9 juin, les combats font rage au sol où toutes les colonnes britanniques se heurtent à la résistance farouche des troupes françaises de Vichy. Le long de la côte libanaise, leur progression est appuyée par des destroyers de la Royal Navy que l’armée de l’air tente de bombarder au large du port de Saïda, en y dépêchant 6 Glenn Martin du GB I/39 auxquels se joignent 6 Bloch 200 complètement périmés, raclés dans les fonds de tiroirs des dépôts du Levant et rassemblés dans une escadrille 3/9 créée pour la circonstance. Seuls quatre des six Bloch peuvent atteindre l’objectif suite à des problèmes mécaniques et six Dewoitine du GC III/6 commandés par le sous-lieutenant Pierre Gloan décollent de Rayak à 14h28 pour les escorter, répartis en deux patrouilles dont l’une est dirigée directement par Le Gloan, l’autre par le sergent-chef Monribot. Un groupe de Hurricane protégeant les navires va voir les vieux Bloch 200 et passer à l’attaque. Le rapport d’intervention des Dewoitine, rédigé par Le Gloan et retranscrit dans l’historique du Groupe, raconte la suite des évènements : « 15h25 : le sous-lieutenant Le Gloan voit trois chasseurs Hurricane venant de l’ouest dans le soleil. La patrouille monte et se place dans le soleil. Les chasseurs ennemis foncent sur les Bloch, mais nous intervenons avant l’attaque. La patrouille Monribot reste en protection. Le sous-lieutenant Le Gloan attaque le chef de patrouille anglais et l’abat en flammes, le pilote saute en parachute au large. Le sergent Mequet attaque l’équipier droit. Le troisième anglais poursuit son attaque sur les Bloch, mais ces derniers sont dégagés par Monribot. Le Hurricane disparaît en piqué. Après avoir fait demi-tour, le sous-lieutenant Le Gloan voit un Dewoitine (sergent Mecquet) dans la queue d’un Hurricane. Mecquet dégage, armes enrayées. Le sous-lieutenant Le Gloan attaque cet anglais et l’abat en flammes. Le pilote saute en parachute au large. La patrouille double rentre au terrain au complet. » Il y a cependant un doute sur la réalité de ce rapport, car les pilotes britanniques réussissent à descendre deux Bloch (l’un se pose en mer où son équipage périt, l’autre sur la terre ferme où il survit) et affirment dans leur rapport s’être fait surprendre par les chasseurs alors qu’ils attaquaient les bombardiers. Quoi qu’il en soit, il y a bien eu deux Hurricane du N°80 Squadron de descendus avec leur pilotes tués (Pilot Officer T.P. Lynch et Crowther sur les Hurricane Z6991 et Z4178), constituant les 13e et 14e victoires de Pierre Le Gloan.
Il affronte de nouveau les Hurricane dans des circonstances analogues le 14 juin 1941, à la tête d’une patrouille double chargée d’escorter des bombardiers LeO 45 partis attaquer des navires britanniques au large de Saïda. Son rapport indique : « Les bombardiers arrivent à 18h15 sur Saïda et prennent la direction de la flotte. Les chasseurs se placent au-dessus du soleil. Avant d’atteindre l’objectif, les LeO 45 sont vivement tirés par la DCA et lâchent leurs bombes loin de l’objectif. Deux chasseurs britanniques plongent sur les LeO mais sont pris à partie par la patrouille S/Lt Le Gloan, S/C Mertzisen. Le S/Lt Brondel, touché par la DCA, va se poser à Beyrouth ; l’avion capote, pilote indemne. De 3500 mètres, en quelques secondes, nous sommes au ras des flots, les chasseurs ennemis voulant se protéger par le feu de leurs bateaux. Le S/C Mertzisen a touché un adversaire : grosse fumée noire. Le sous-lieutenant Le Gloan a sûrement touché le deuxième car ce dernier se contentait d’une stricte défense à 50 mètres au-dessus du bateau. Nous nous dégageons en rase-flots n’ayant plus d’armes. Les ennemis ne poursuivent pas, même peut-être ne sont-ils par rentrés à leur base ». Le résultat de l’affrontement des Dewoitine contre les Hurricane est cette fois-ci bien plus mitigé, puisque l’appareil de Brondel a bien été touché par le Hurricane du F.O. Dowding qui s’en verra attribuer la victoire. Le Gloan et Mertzisen, qui rentrent avec leurs appareils quelque peu troués, ne se verront pas confirmer leurs revendications, aucun chasseur britannique n’étant perdu dans l’affrontement.
Dewoitine contre Gladiator
Alors que le 15 juin 1941 un nouveau groupe de chasse arrive en renfort en Syrie (GC II/3 se pose à Alep avec 17 Dewoitine), le GC III/6 connaît un affrontement avec un nouvel adversaire que ses pilotes découvrent, le biplan Gloster Gladiator, un appareil encore moins performant que le Fiat CR 42 italien avec une vitesse de pointe d’environ 415 km/h et sur le papier complètement surclassé par le Dewoitine. Néanmoins les pilotes britanniques du « X Flight », unité de circonstance formée avec des pilotes chevronnés pour beaucoup anciens instructeurs de la base d’Habbaniya, vont réussir à tirer leur épingle du jeu.
A 8h03, une patrouille double (patrouille guide : S/Lt Le Gloan, Cne de Rivals, Sgt Mertzisen – Patrouille haute : SC Chardonnet, Sgt Mequet, S/C Elmlinger) effectue une mission de couverture sur le secteur compris entre Ezraa et Soueda, au Sud de la Syrie, où les troupes vichystes tentent une contre-attaque. Le Gloan relate la suite dans son rapport : « Arrivée sur le secteur à 8h35. Rien à signaler jusqu’à 9h45. Puis arrivent, venant du sud, trois chasseurs anglais « Gladiator » qui sont aussitôt attaqués par la patrouille guide. Chacun son adversaire. L’autre appareil reste en couverture mais à leur tour ils sont attaqués. Le S/C Elmlinger et le Sgt Mecquet abattent un adversaire qui se parachute. Au-dessous nous avons au moins six chasseurs ennemis contre nous trois. Le S/C Mertzisen, touché, se pose chez l’ennemi ; un Anglais qui le poursuivait est abattu par le Cne de Rivals et percute au sol. Le S/Lt Le Gloan tire un Anglais qui disparait, puis voyant un Dewoitine pris à partie par deux Anglais, attaque l’un d’eux et le descend ; mais se fait sérieusement toucher par un autre qui le poursuit à ce moment-là. Se trouvant sans armes, les tuyauteries étant percées, il regagne le terrain de Rayak malgré la poursuite des deux chasseurs anglais qui l’ont abandonné sur Katana et qui, le voyant en difficulté et fumant de toutes parts, ont cru à une victoire certaine. »
Le Gloan a effectivement descendu le Gladiator K7947 piloté par le Flying Officer John Norman Craigie, tué dans l’affrontement. Si trois victoires sont homologuées au GC III/6 et correspondent à 2 Gladiator détruits et un autre endommagés, deux Dewoitine ont bel et bien été descendus, le N°367 de Mertzisen qui s’écrase mais dont le pilote peut revenir dans les lignes françaises, et le n°277 de Le Gloan, qui s’écrase sur le terrain de Rayak et sera réformé. Des pertes sans nul doute causées par le fait que les pilotes français ont attaqué leurs adversaires individuellement et en combat tournoyant, un domaine où le petit biplan se montre supérieur. L’historique du GC III/6 indique : « Les avions auxquels nos chasseurs ont eu à faire sont d’un type inconnu d’eux. Les comptes rendus de combat les désignent sous le nom de « Gloster Gladiator », mais ce modèle d’avion de chasse, même amélioré, ne peut soutenir à aucun point de vue la comparaison avec le Dewoitine 520. Quoiqu’il en soit, ces appareils se sont révélés presque aussi rapides et beaucoup plus maniables que les Dewoitine 520, surtout dans le plan horizontal. »
Prise de Damas
Alors que le potentiel du GC III/6 fond à une douzaine de Dewoitine disponibles, Le Gloan est de retour au combat le 18 juin sur un nouvel appareil et dirige une patrouille de 7 appareils dont deux seront abattus lors d’un combat aérien sans qu’il ne se soit rendu compte de l’attaque. Il n’y a plus que six Dewoitine disponibles au groupe qui reçoit des renforts en pilotes comme en matériel, le potentiel remontant à 16 appareils le 21 juin. C’est aussi ce jour qu’est prise la ville de Damas par les troupes britanniques et de la France Libre. A compter de cette date, la guerre bascule dans une nouvelle phase, puisque la progression des armées alliées à travers le Liban et le sud de la Syrie marque une pause, tandis que les troupes de l’empire britannique venues d’Irak (l’ancienne « Habforce ») commencent à envahir la Syrie par l’est en traversant le désert. Vichy n’y dispose que de maigres troupes, et notamment une compagnie de légionnaires en garnison à Palmyre, le point stratégique au centre du désert, où ils opposeront une résistance acharnée.
L’aviation française, dont les terrains au Liban sont maintenant dangereusement exposés aux bombardements, reçoit l’ordre le 20 juin de se redéployer autour d’Alep d’où vont continuer les missions sur le Liban mais aussi de nouvelles, vers le désert, pour bombarder les colonnes ennemies. Les chasseurs britanniques, en désavantage numérique face aux avions français, cherchent désormais à éviter le combat aérien mais vont régulièrement effectuer des missions de mitraillage au sol contre les aérodromes français. Ceux-ci étant mal défendus par une faible DCA, ils vont remporter de nombreux succès et parvenir à reprendre l’avantage durant la campagne. Le 23 juin 1941, le GC III/6 resté à Rayak reçoit l’ordre de décoller à 14h25 pour tâcher d’intercepter des avions britanniques qui viennent de faire un « carton » sur des bombardiers français à Madjaloun, près de Baalbek. A peine ont-ils quitté le sol qu’un groupe de six Hurricane surgit en bordure de terrain et l’une d’eux effectue passe de mitraillage. Un autre groupe de huit appareils surgit du nord du terrain alors que les Dewoitine sont en l’air : un combat tournoyant s’engage et les Français prennent le dessus en en abattant deux, dont un est à mettre au crédit du sous-lieutenant Le Gloan dont l’appareil est toutefois endommagé et rentre se poser au terrain commandes de direction coupées. La journée n’est pas finie, car vers 18h30 le terrain de Rayak subit une deuxième attaque de chasseurs britanniques, cette fois des Curtiss P-40, qui surprennent les Dewoitine au décollage et endommagent celui de Le Gloan, provoquant un début d’incendie et contraignant à le faire se poser immédiatement. A la fin de la journée, le GC III/6 a revendiqué six victoires (les archives britanniques admettent la perte de 3 Hurricane, plus un autre et un P-40 très endommagés) mais perdu deux pilotes ; son potentiel est retombé à six avions disponibles. Rayak est de nouveau mitraillé le 25 juin et le repli vers le nord s’impose de toute urgence : il s’effectue le soir du 26 juin pour la base d’Alep-Nirab, bien que le terrain de Rayak soit encore utilisé comme terrain de travail avancé. La base est dans un état que les pilotes jugent déplorable, touchée par plusieurs bombardements ennemis. La quasi-totalité de la chasse française s’y concentre car on y trouve également les Dewoitine du GC II/3 et les Morane du I/7.
De son nouveau terrain le GC III/6 va débuter des missions d’escortes de bombardiers sur Palmyre ou de mitraillage de colonnes ennemies, tandis que son terrain sera attaqué à plusieurs reprises. Le potentiel du groupe fondra ainsi à seulement trois appareils au soir du 30 juin… Le 2 juillet, les patrouilles motorisées britanniques longent la rive droite de l’Euphrate et menacent la ville de Deir ez Zor, point de passage important du fleuve tenu par une faible garnison. Ce sera le lieu des derniers combats de Pierre Le Gloan : les colonnes britanniques prennent la ville le 3 juillet, le même jour où la garnison de Palmyre capitule, et plusieurs missions de mitraillage vont être demandées au GC III/6 pour tenter de retarder l’inéluctable. Le 5 juillet, Pierre Le Gloan fait partie d’une patrouille double de six appareils du GC III/6 à laquelle se joint une autre équivalente du GC II/3 pour escorter des bombardiers LeO 45 sur Deir-ez-Zor. Les chasseurs ont également pour instruction de reconnaître et éventuellement mitrailler des éléments britanniques sur la rive droite de l’Euphrate en amont de Deir-ez-Zor, près de Maskanah, sur la piste contournant par le sud la ville de Raqqa. Deux Dewoitine du III/6 font demi-tour suite à des ennuis mécaniques au début de la mission et les chasseurs français découvrent peu avant d’atteindre l’objectif « un groupe de quatre ou cinq appareils inconnus [identifiés ultérieurement comme des Gladiator] que semblent protéger trois Hurricane à 500 mètres au-dessus. » Le capitaine Léon Richard amène les quatre avions du III/6 attaquer les Hurricane : Le Gloan et son ailier Mertzisen abattent un premier Hurricane qui tombe à 15 km au nord-est de Deir-ez-Zor, puis les quatre Dewoitine s’en prennent à un second Hurricane qui, touché, se pose train rentré près du second et son pilote est vu sortir de son épave pour courir se mettre à l’abri derrière des rochers. Le troisième Hurricane a disparu, tout comme les Gladiator que ne trouve pas la patrouille du II/3. Les archives britanniques nous apprennent que seuls trois appareils du N°127 Squadron étaient en l’air : un Gladiator et deux Hurricane qui ont bien été abattus (Squadron Leader Bodman sur le V7370 et FL Cremin sur le P3731), constituant les 17e et 18 e victoires (obtenues en collaboration) de Pierre Le Gloan.
Le 6 juillet, les troupes britanniques venues d’Irak font leur jonction avec celles venues de Palestine ; sur la côte libanaise les troupes australiennes approchent dangereusement de Beyrouth. La lutte s’avérant désormais vaine, le GC III/6 reçoit l’ordre le 8 juillet 1941 de regagner d’Afrique du Nord et le lendemain 14 Dewoitine s’envolent pour Athènes via une escale à Rhodes. L’armistice avec les troupes britanniques est signé le 12 juillet et après quelques jours d’attente les pilotes s’envolent d’Athènes pour la Tunisie le 14 juillet, quelques pilotes connaissant un retard suite à des ennuis techniques. C’est le cas de Pierre Gloan qui heurte au décollage un petit monticule et met son appareil en pylône, tordant une de ses pales d’hélice. L’adjudant mécanicien Charles Iltis tente alors de la remplacer par une pale comparable qu’il cherche dans les ateliers d’Athènes, sans en trouver. Il témoigne alors « Têtu comme le breton qu’il est, Le Gloan insiste pour partir au plus vite et me supplie de trouver une astuce pour qu’il puisse décoller. » Il cisaille la partie tordue de la pale, et fait de même sur les deux autres pales de l’hélice. Après des essais au sol satisfaisants concluant à l’absence de vibrations, « Le Gloan décide de tenter le coup. Il décolle avec 36 cm d’hélice en moins, et, après un passage à basse altitude avec battements d’aile pour nous dire que tout va bien, il met le cap sur Brindisi. Il ralliera Tunis sans difficulté. »
Un billet laissé à Rayak ?
James Denis, premier as de la chasse de l’aviation de la France Libre ayant remporté 6 victoires aériennes durant la bataille de Tobrouk, arrive au Levant à la fin du mois d’août 1941 avec d’autres aviateurs de la France Libre et s’installe sur la base de Rayak où sont récupérés 2 Dewoitine 520 et 14 Morane 406 abandonnés par le GC I/7. Il témoigne au service historique de l’armée de l’air de cette période en ces termes : « Lorsque nous sommes arrivés, les pilotes [De Vichy] étaient tous partis. Il restait quelques gens du service général. Nous avons reçu un message de Le Gloan qui nous disait : j’ai à mon tableau de chasse des Allemands, des italiens, des anglais. Il me manque des Français libres ! Ce n’était pas très malin. »
Denis ne se souvient pas des modalités de transmission de ce message. S’il ne faut pas mettre en doute ce témoignage, il reste que ce mot est très probablement à mettre sur le compte de militaires fidèles à Vichy en instance de départ (les derniers partent effectivement fin août 1941), et ayant souhaité narguer les gaullistes. Pierre Le Gloan lui-même a définitivement quitté cette base deux mois plus tôt avant l’arrivée de Denis, soit le 27 juin, pour continuer le combat à Alep, et ce jusqu’au 9 juillet date à laquelle le GC III/6 entamera son repli pour l’Algérie. Il semble difficile d’imaginer qu’il ait le 27 juin anticipé une prise de possession de Rayak par des aviateurs de la France Libre, ou pu envoyer un télégramme d’Algérie… 37 563 militaires et civils français obtiendront d’être rapatriés en France après la campagne, contre 5 668 qui se rallieront à la France Libre. Parmi eux, suffisamment de mécaniciens et personnels au sol de l’armée de l’air pour permettre à l’aviation de la France Libre de créer ses deux premiers groupes autonomes, dont le groupe de chasse qui voit officiellement le jour à Rayak au mois de septembre 1941.
Pierre Le Gloan du groupe III/6 a terminé la guerre avec 18 victoires, à la 4ème place (derrière Closterman, Albert et Demozay) et l’une de ses singularités est d’avoir remporté ces victoires contre des Allemands, des Italiens et des Anglais.
Je remercie sincèrement David Méchin qui m’a autorisé à reproduire son article publié dans le “Fana de l’Aviation” et que je vous proposerai en 3 parties.
Pourquoi cet article sur Le Gloan ? Pour 2 raisons principales :
– Pierre Le Gloan a obtenu ses victoires au sein du groupe III/6 dont l’EC 1/11 a repris les traditions
– Bien que 4ème dans l’ordre du mérite pour ce qui concerne le nombre de victoires obtenues, son histoire est restée plutôt confidentielle ; l’article vous explique pourquoi.
Formation de pilote
Pierre, Marie Le Gloan voit le jour le 6 janvier 1913 à Kergrist-Moëlou, une commune des Côtes d’Armor (anciennement Côtes-du-Nord) située en plein centre géographique de la Bretagne où ses parents ont une petite exploitation agricole au lieu-dit « Moustermeur », tout comme son oncle et sa tante. Le jeune garçon grandit au village et fréquente l’école communale en compagnie de ses sept frères et sœurs ainsi que ses cousins. Etant le plus jeune de la fratrie, ses chances de reprendre un jour l’exploitation familiale sont bien compromises : un engagement dans l’armée est donc une solution pour obtenir une situation.
C’est vers cette voie qu’il décide de s’orienter, étant de plus motivé par une passion qui le prend dès l’enfance : l’aviation. Cependant, n’étant ni collégien et encore moins bachelier, les voies royales d’accès aux écoles d’officiers lui sont de facto interdites. Il entrera donc dans l’armée de l’air par la petite porte d’une école de pilotage sous contrat avec l’Etat : il décroche une bourse d’état pour financer ses cours et à peine fêtés ses 18 ans il part à l’école CFA de Nîmes où, au terme d’un stage de six mois, y obtient son brevet de pilote militaire (n°23419) le 7 août 1931. La contrepartie est qu’il doit effectuer immédiatement son service national, en devancement d’appel, et s’engage le 8 décembre 1931 à l’intendance de Nîmes au 2e groupe des ouvriers aéronautiques. Envoyé en école de perfectionnement où il se familiarise au pilotage du chasseur Nieuport 62, il est affecté le 15 mai 1932 avec le grade de caporal comme pilote à la 9e escadrille du 2e Régiment d’Aviation de Strasbourg (reprenant les traditions de l’escadrille HD 174), étant promu au grade de caporal-chef le 1er octobre suivant.
Il y termine son service national le 7 décembre 1932 et souhaite immédiatement s’engager, mais le manque de place le contraint à retourner chez ses parents où il doit patienter quelques mois pour signer le 2 mars 1933 un contrat d’engagement d’un an renouvelable. Il retrouve alors son poste dans son ancienne escadrille où il se fait remarquer par ses talents de pilote mais aussi de tireur lors de la campagne de tir de son groupe au camp d’Hyères-Paliverstre durant l’été 1933, période où il est promu au grade de sergent.
Au mois de septembre 1933 le 2e régiment de chasse de Strasbourg est dissous et Le Gloan est muté à Reims où se créée la 6e escadre de chasse forte de deux groupes, étant affecté à la 3e escadrille du GC II/6, reprenant les traditions de l’escadrille SPA 26. A la fin de l’année 1934, la 6e escadre s’installe à Chartres où le futur as gagne en expérience de vol. Ses supérieurs le notent dès le début comme un excellent pilote et un tireur d’élite. En juillet 1935, son supérieur direct, le Lt Destaillac, le qualifie comme « l’un des plus brillants pilote de l’escadrille. » Il obtient son brevet de chef de patrouille qui lui permet de diriger deux équipiers parfois plus gradés de lui. Mais le jeune pilote en réalisant des acrobaties commet une faute de pilotage le 8 octobre 1935 et s’écrase avec son Nieuport 62 à Champseru à 15 km au nord-est de sa base de Chartres. Il en sort indemne, mais la sanction tombe : retrait du brevet de chef de patrouille ! Sa valeur professionnelle le réhabilite vite aux yeux sa hiérarchie, qui note qu’il « cherche à réparer et à faire oublier par son obéissance et sa discipline de vol, la faute commise précédemment. A obtenu d’excellents résultats aux tirs de St Raphaël où il s’est classé 2e parmi les pilotes du groupe ». Son brevet de chef de patrouille lui est de nouveau accordé le 19 octobre 1936. A cette époque les quatre escadrilles de la 6e escadre de chasse se rééquipent sur le chasseur monoplan à aile de mouette Loire 46 qui restera en ligne pendant deux années. Pierre Le Gloan, toujours bien noté, se rengage à plusieurs reprises en contrats d’un an, jusqu’au 23 février 1938 où il est admis dans le corps des sous-officiers de carrière avec son grade de sergent-chef où il a été promu le 19 juin 1937.
A la toute fin de l’année 1938 les premiers Morane 406 sont reçus par la 6e escadre et notre pilote peut voler pour la première fois sur un chasseur moderne à train escamotable. Le Gloan est muté au GC I/6 le 22 février 1939 et participe à une campagne d’entraînement en Tunisie le mois suivant, puis retourne en France le 20 avril. Alors que la tension internationale se détériore et que les menaces de guerre se font plus précises, l’armée de l’air étoffe ses effectifs et la plupart des escadres de chasse se dotent d’un troisième groupe de 2 escadrilles. La 6e n’y fait pas exception et le GC III/6 voit le jour à Chartres le 1er mai 1939 sous les ordres du capitaine De Place, composé de pilotes réservistes encadré par un noyau de pilotes expérimentés.
Le sergent-chef Pierre Le Gloan y est alors affecté, une décision que l’historien Christian-Jacques Ehrengardt a interprété comme une volonté de son chef de groupe de se débarrasser d’un pilote au caractère difficile. La question mérite d’être posée : d’après quelques témoignages et notamment celui du sergent mécanicien Joseph Bibert (1), le futur as est décrit comme « un breton pas toujours commode » et dont les amis sont rares. Si l’homme apparaît toujours crispé sur les photos, il possède pourtant plusieurs amis inséparables parmi ses camarades d’escadrille, comme les sergents Charles Goujon et Pierre Lamazou. De plus, si l’adage populaire prête aux bretons le défaut d’être têtus, le sale caractère supposé du futur as n’a de toute évidence jamais déteint sur son dossier disciplinaire, qui reste assez mince et limité à un total de 5 punitions légères de 1933 à 1936, pour des broutilles de service (retard à une inspection, conduite trop rapide d’une voiture sur la base de Chartres) n’ayant donné lieu qu’à des jours d’arrêts simples. Sa hiérarchie le note avec régularité comme un « Excellent pilote et excellent tireur. Sous-officier plein d’allant, d’une tenue et d’une moralité parfaites. » Il semble en fait qu’il ait été affecté au GC III/6 dans le but de dynamiser cette nouvelle unité par la présence d’un pilote d’élite, qui commence à prendre de l’ascendant sur les autres pilotes plus jeunes, commençant par ailleurs à exercer la fonction de moniteur.
Le nouveau GC III/6 se forme donc sur la base de Chartres et dès le mois de juillet change de chef en la personne du capitaine Castanier. Le commandant adjoint est un personnage haut en couleur, le capitaine André Chaînat, ancien as de 14-18 ayant remporté 11 victoires à la mythique escadrille SPA 3, et qui a repris du service à 47 ans à bord de son Morane 406 qu’il a décoré de la Cigogne et qu’il a fait orner d’une bande d’as tricolore. Le Gloan atterrit à la 5e escadrille dirigée par le capitaine Jacobi. Tous les pilotes du nouveau groupe poursuivent leur entraînement à un rythme accéléré, jusqu’au 3 septembre 1939 où les hostilités débutent avec l’Allemagne.
Premiers succès lors de la drôle de guerre.
Le GC III/6 s’installe sur le terrain de Betz-Bouillancy (Oise), au nord-est de la capitale, d’où il doit protéger la région parisienne des incursions ennemies. Aucun appareil de la Luftwaffe ne montre le bout de son nez à la grande frustration des pilotes qui accueillent avec satisfaction l’ordre de se rendre le 15 novembre 1939 sur le terrain de Wez-Thuizy, à l’Est de Reims, où les occasions d’en découdre seront plus grandes.
Et c’est très vite ce qui va se passer. Le 23 novembre 1939, de nombreux Dornier 17 sont envoyés en missions de reconnaissance photographique à l’arrière des lignes sur le territoire français et huit d’entre eux vont être abattus par des Hurricane de la Royal Air Force ainsi que par des chasseurs de l’Armée de l’Air. Une patrouille du GC III/6 est en l’air à ce moment précis, constituée du sergent-chef Le Gloan (volant sur son Morane 406 n°597) avec pour équipier le sous-lieutenant Robert Martin. Les deux pilotes croisent la route d’un Dornier 17 P que le Gloan attaque plein avant, puis vire pour entamer une poursuite. L’avion ennemi tente de s’enfuir en piquant puis en poursuivant son chemin en rase-mottes à pleine puissance. Bien que la différence de vitesse ne soit pas énorme avec les Morane 406 un peu poussifs ceux-ci ne renoncent pas et au terme d’une poursuite qui dure plus de vingt minutes parviennent à abattre le bimoteur (appartenant à l’escadrille 5.(F)/122 ) qui se pose sur le ventre vers 14 heures à Bras-sur-Meuse, près de Verdun, où son équipage est capturé. La victoire sera homologuée aux deux pilotes (bulletin de la Zone d’Opérations Aériennes Nord n°2) qui remportent le premier succès de leur groupe, ce qui leur vaudra une citation à l’ordre de l’armée publiée au journal officiel du 12 janvier 1940 – la croix de guerre avec palme leur sera remise par le général Vuillemin en personne (chef d’état-major de l’armée de l’air) le 3 février 1940.
Ils vont récidiver leur exploit dans les mêmes conditions le 2 mars 1940, contre un Dornier 17 P de l’escadrille de reconnaissance 4.(F)/11 qu’il croisent à 7000 mètres non loin du lieu de leur première victoire, à Dun sur Meuse. Le Dornier tente également de s’enfuir en piquant puis en rase-mottes ; il est poursuivi par les deux pilotes (Le Gloan est toujours sur son Morane 406 n°597) qui l’abattent dans les lignes françaises à Alzing près de Bouzonville et à quelques kilomètres de la ligne Maginot. Posé sur le ventre, le Dornier immatriculé 6M+AM est capturé avec son équipage constitué d’un officier, d’un feldwebel (adjudant) et d’un mitrailleur qui est d’ailleurs blessé. La victoire est homologuée aux deux pilotes français par le bulletin n°6 de la ZOAN, puis par une citation à l’ordre de l’armée qui leur est décernée le 25 mars 1940, peu avant la promotion au grade d’adjudant de Pierre Le Gloan, le 1er avril 1940.
Ces deux victoires aériennes vont lui conférer une petite célébrité nationale. Petite, car elle n’a rien de commun avec celle obtenue par les as de la première guerre mondiale qui à l’époque voyaient leur photo à la une des journaux et dont des interviews étaient même publiées. Les pilotes se distinguant par des victoires durant la drôle de guerre reçoivent des citations à l’ordre de l’armée après leurs succès, qui sont publiées au Journal Officiel. Celui-ci est scruté avec attention par les rédactions parisiennes, qui ne manquent pas de saluer les aviateurs ainsi distingués dans des entrefilets assez discrets de leurs pages intérieures. Le nom de Pierre Le Gloan apparaît donc dans la plupart des titres de la presse nationale et de la presse locale, dont notamment l’Ouest-Eclair de Rennes diffusé dans sa Bretagne natale.
Il est en tout cas très fier de ses victoires et, selon le témoignage de René Colin, mécanicien au GC III/6, « A chaque retour de mission, nous avions droit à une petite séance d’acrobatie : passage en rase-mottes avec chandelle, tonneaux en montant, ce qui ne devait pas toujours plaire au capitaine Chaînat. Je le vois encore disant : M. Le Gloan, M. Goujon, au lieu de vos acrobaties, vous feriez mieux de vous entraîner au tir. Vous avez vingt obus, c’est beaucoup trop. Sur mon SPAD, j’en avais bien moins : c’était la tête du pilote que je visais. »
Au combat dans la campagne de France
L’attaque allemande du 10 mai surprend le GC III/6 alors qu’il vient depuis un peu plus d’une semaine d’emménager dans le Jura, sur le terrain de Chissey-sur-Loue, près de Dole. Tous les pilotes du groupe vont effectuer de nombreuses missions dans la journée et revendiquer deux victoires contre les bombardiers allemands. Pierre Le Gloan pour sa part manque ce rendez-vous avec la Luftwaffe en raison d’une panne du train d’atterrissage de son Morane 406 n°597. Mais une fois son appareil réparé il se rattrape le lendemain où l’activité du groupe sera tout aussi soutenue. Dès le matin vers neuf heures, il fait partie d’une patrouille de 9 appareils qui intercepte un peloton de 16 Heinkel 111 revenant d’un bombardement sur Vesoul, se joignant à une patrouille de Morane du GC II/7. Pierre Le Gloan est le premier à tirer le Heinkel situé en queue du dispositif ennemi : touché, le bombardier quitte la formation et descend en spirale pour être perdu de vue sur la forêt de Champlitte. Il ne sera compté que comme victoire probable. Les Morane prennent ensuite pour cible un autre Heinkel 111, l’ailier gauche du dispositif, qui quitte aussi la formation avec un moteur fumant et tente de regagner ses lignes en faisant demi-tour plein Est. Tous les Morane se relaient pour lui tirer dessus et font taire successivement ses deux moteurs : le Heinkel de l’escadrille 1/KG 51 immatriculé 9K+GH se pose alors sur le ventre à 9h58 à Pirey (au nord-ouest de Besançon) où ses cinq membres d’équipages sont capturés après avoir tenté sans succès de mettre le feu à leur appareil. La victoire sera homologuée par le bulletin n°16 de la Zone d’Opérations Aérienne Sud (ZOAS) à l’adjudant Le Gloan et au lieutenant Legrand, mais cinq autres pilotes du GC III/6 recevront une citation pour leur participation au combat. Le pilote breton sera décoré de la médaille militaire par le ministre de l’Air Laurent Eynac par un arrêté du 7 juin 1940, paru au journal officiel du 21 juin.
Trois jours plus tard, le 14 mai, le GC III/6 participe à une nouvel affrontement contre des bombardiers de la KG 51 partis attaquer au matin le terrain d’aviation de Dijon. Deux Ju 88 sont ainsi descendus (seul un sera homologué au groupe) vers 12h. Une autre patrouille que dirige Le Gloan est alors envoyée sur place une fois le bombardement terminé : elle interceptera à la verticale de Grey un Heinkel 111 de l’état-major de la III/KG 51 venu constater les résultats. Le pilote breton attaque le bombardier par l’arrière et en dessous, suivi par ses deux équipiers les Sgt de Gerviller et Trinel, puis du S/Lt Steunou venu en renfort et qui participe à une deuxième passe de tir effectuée par les trois pilotes. Le Heinkel immatriculé 9K+DD se pose alors sur le ventre près d’un marécage sur la commune de Fougerolles où son équipage est capturé avec un blessé et un tué à bord. La victoire sera homologuée aux quatre pilotes par le bulletin n°21 de la ZOAS – Le Gloan recevant une nouvelle citation à l’ordre de l’armée qui sera publiée au journal officiel du 19 septembre 1940.
En ce moment précis de la campagne de France, les Panzer allemands franchissent les Ardennes et filent plein ouest tandis que des combats aériens font rage sur ce secteur. Le GC III/6 de sa base du Jura est situé trop loin pour y participer et ne rencontre guère l’ennemi dans les jours qui suivent. L’état-major décide alors de l’installer sur le terrain de Coulommiers, à l’est de la région parisienne, d’où il va connaître de très violents affrontements avec la chasse ennemie lors de plusieurs missions dans le nord dans la région de Cambrai. Le 21 mai, au cours d’un combat contre des Bf 109, un pilote est tué, un autre prisonnier et un troisième est blessé ; le 24 mai le commandant Castanier est tué au combat pendant que son équipier est descendu et fait prisonnier. Devenu le plus ancien dans le grade le plus élevé, le capitaine Chaînat décide le lendemain de conduire une patrouille et revient de justesse avec son appareil criblé de plombs, tout comme celui d’un équipier… Le potentiel du GC III/6 dont le commandement revient au capitaine Paul Stehlin est déjà réduit à peu de choses par l’usure des combats. Il tombe à seulement quatre appareils en début d’après-midi du 26 mai 1940 après le bombardement effectué par une trentaine de Heinkel 111 du terrain de Coulommiers ! Récupérant des Morane 406 livrés par les dépôts pour par les autres groupes, il reçoit l’ordre le 31 mai 1940 de se diriger vers la Provence sur le terrain de Le Luc et les pilotes apprennent avec satisfaction qu’ils doivent y être transformés sur Dewoitine 520.
Le groupe s’y retrouve au complet durant l’après-midi du 1er juin 1940, désormais rattaché au Groupement de Chasse n°24 dirigé par le colonel Armand de Turenne (un as de 14-18 aux 15 victoires) chargé de la protection de la vallée du Rhône et de la région marseillaise. A peine arrivés, une patrouille de deux pilotes reçoit l’ordre de décoller pour couvrir la ville de Marseille qui vient vers 14h30 de subir de jour une attaque de la Luftwaffe (un cargo britannique est coulé). Alors que ces pilotes rentrent et que la nuit tombe, la Luftwaffe attaque de nouveau dans la nuit vers 23 heures, puis au matin du 2 juin entre 9h et 10h30 où elle incendie des réservoirs de la raffinerie de la Mède et coule un navire dans le port. Le GC III/6 reçoit l’ordre dans la journée de détacher dix pilotes sur le terrain de Valence pour assurer la couverture de la cité phocéenne : trop tard pour contrer la Lufwaffe qui a cessé ses raids. Le détachement des Morane du GC III/6 restera trois jours à Valence sans rencontrer d’ennemi, relevé le 5 juin par le GC III/1.
Pierre Le Gloan a priori n’en fait pas partie et reste au Luc, mais dès le 7 juin il va faire partie du premier détachement de pilotes devant partir pour Toulouse afin d’y percevoir des Dewoitine 520. Le capitaine Stehlin, conduisant ce premier détachement, témoigne : « Le général d’Harcourt nous envoya (Le Gloan, Goujon, quelques autres et moi-même) à Toulouse pour y chercher des Dewoitine 520, tant attendus, que le I/3 et le II/3 avaient déjà touchés avant nous. Je n’oublierai jamais, aussi longtemps que je vivrai, l’image de ces merveilleux avions alignés par centaines — je dis bien par centaines : je ne les ai pas comptés mais je suis sûr de ne pas faire erreur sur l’ordre de grandeur — armés, fin prêts devant les hangars. Et je me rappelle encore la réaction des gens de l’usine, atterrés de nous voir arriver si tard, et si peu nombreux : « Choisissez », nous dirent-ils simplement. Et chacun de nous s’assit tour à tour dans plusieurs avions et les essaya en vol, pour finir par en adopter un, d’après des critères évidemment impondérables : ils étaient tous également neufs, également parfaits… » Le Gloan, à cette époque promu au grade d’adjudant-chef, s’approprie très probablement le n°277 qui recevra le code tactique « 6 » sur le fuselage et les ailes, et rentre le 10 juin au Luc à bord du nouveau chasseur que le journal de marche du groupe qualifie de « très belle voiture dont nous tirerons le maximum il faut espérer. » Ce même jour, un évènement d’importance a lieu : l’Italie de Mussolini vient de déclarer la guerre à la France et toute la Provence se trouve sous la menace des appareils de la Régia Aéronautica.
Face aux Italiens
Sur le papier, la supériorité numérique italienne est importante. Sans même parler des unités stationnées face à la Corse ou l’Afrique du Nord, leurs seules forces aériennes stationnées au nord de l’Italie (Squadra 1) et qui sont susceptibles d’attaquer la Provence représentent quatre Gruppi de chasse (n°150, 151, 18 et 23) et sept de bombardement (n°4, 11, 25, 31, 43, 98 et 99) rassemblant un total de 81 chasseurs et 113 bombardiers. L’aviation française n’a pour s’y opposer que le GC III/6 au Luc (théoriquement, 24 appareils) et l’escadrille AC 3 de l’aéronavale à Cuers (12 appareils), soit un total de 36 chasseurs qui sont par conséquent à un contre deux.
Mais dans les faits, malgré leur supériorité numérique, les appareils italiens sont largement dépassés du point de vue des performances. Leur chasseur standard est le Fiat CR 42, un biplan à train fixe dont la vitesse de pointe avoisine les 440 km/h, nettement moins que celle des Dewoitine 520 sur lesquels se transforme le GC III/6 et qui filent à 540 km/h, et même moins que les Bloch 151 de l’aéronavale dont la vitesse de pointe approche des 480 km/h. Quant aux appareils de bombardement italiens, les bimoteurs Fiat BR 20, ils sont aussi rapides que les CR 42 et leur vitesse ne les met pas à l’abri d’une interception.
Les Français disposent enfin d’un autre avantage, assez peu connu : une couverture radar. Si l’armée de l’air de 1940 disposait de moyens de détection, les « barrages David », ceux-ci sont assez peu performants car ils ne peuvent détecter un avion que quand celui-ci passe dans le champ formé entre deux antennes, ce qui contraint à organiser un réseau en profondeur. Un tel barrage David était en place au nord de Marseille le 1er juin 1940 et n’a pu détecter que bien trop tard le passage des bombardiers allemands. La marine française, en revanche, dispose sur l’île de Port-Cros (non loin du port de Toulon) d’un puissant radar métrique à impulsion, qui permet de détecter des avions sur une distance de 130 kilomètres, c’est-à-dire un peu au-delà de la ville de Menton. Très concrètement, cette installation repére un appareil italien dès qu’il franchit la frontière, permettant de déclencher une interception à condition que les ordres de décollages soient exécutés rapidement, car en vitesse de croisière les appareils ennemis peuvent gagner le port de Toulon en une vingtaine de minutes.
C’est dans ce contexte que l’adjudant-chef Pierre Le Gloan va réaliser ses exploits en quelques jours de combat. Au GC III/6, d’autres détachements de pilotes partent pour Toulouse pour revenir avec des Dewoitine 520 flambants neufs. La transformation complète du groupe ne sera achevée que le 16 juin ; il y a donc au début des hostilités avec l’Italie toujours quelques Morane 406 en dotation. Rien ne se passe au premier jour des hostilités, le 11 juin : le temps est assez couvert et l’aviation italienne n’engage successivement que deux Fiat BR 20 faire une reconnaissance sur le port de Toulon. La Royal Air Force, qui dispose d’un Squadron de bombardement stationné à Salon de Provence, l’envoie durant la nuit du 11 au 12 effectuer une mission de bombardement sur Turin en compagnie d’autres appareils basés en Grande-Bretagne, causant quelques dégâts. L’aviation italienne réagit le lendemain 12 juin en effectuant des raids sur les côtes d’Afrique du Nord, mais toujours rien sur la Provence si ce n’est par une reconnaissance d’un Fiat BR 20 du 4e Gruppo sur Toulon. D’après les archives italiennes, ce bombardier est intercepté par la chasse française et doit se poser endommagé en catastrophe dans ses lignes ; il n’y a cependant aucun document dans les archives françaises permettant d’identifier les chasseurs qui l’auraient tiré.
Deux bombardiers descendus
Ce n’est que durant la nuit au 12 au 13 juin que l’aviation italienne, disposant des résultats de ses reconnaissances, va organiser un raid sur le port de Toulon, avec des résultats très minimes : les formations italiennes sont détectées par la station de Port-Cros avec un préavis de 120 km, et les batteries de DCA du port sont prêtes à les recevoir. D’une grande puissance de feu, elles dispersent les Fiat BR 20 qui larguent leurs bombes sans grande précision. Cependant, dans la journée du 13 juin, un nouveau raid a lieu peu avant midi, composé de formations de Fiat CR 42 et de bombardiers BR 20. Les chasseurs CR 42 semblent avoir pris les chasseurs français de vitesse et n’en rencontrent aucun quand le Gruppo 23 mitraille l’aérodrome de Fayence (par ailleurs vide de tout avion militaire) tandis que le Gruppo 151 s’en prend au terrain de Hyères, descendant au passage un Vought 156 de l’aéronavale qui rentre d’une mission d’entrainement. Ils sont repoussés par une forte DCA et sont suivis par une vague de bombardiers Fiat BR 20 des Gruppi 43 et 13, qui, égarés par le mauvais temps, arrivent plus tard et vont faire face à la chasse française. A 10h55 heures, trois D 520 du GC III/6 alertés par le centre de Toulon décollent, pilotés par l’adjudant-chef Le Gloan avec pour équipiers le lieutenant Robert Martin et l’adjudant Charles Goujon. Ils se dirigent vers le terrain d’Hyères et à 11h30 croisent la route de quatre BR 20 du Gruppo 43 qu’ils attaquent aussitôt.
Le Gloan prend pour cible l’ailier droit de la formation, sur lequel il fait feu plein arrière et par-dessous tandis que Goujon tire par-dessus. Le Fiat BR 20 immatriculé MM 21503 et portant pour code tactique « 3-7 » est abattu et s’écrase à 8 km à l’ouest de St-Raphaël. Le sort de l’équipage italien va être tout à fait dramatique : le tenente Aldo Sammartano, chef de bord, perd son sang-froid et abandonne l’équipage en sautant en parachute : il va disparaître en mer. Le copilote, le sergente maggiore Giuseppe Goracci, bien que blessé, va maintenir l’appareil en ligne de vol et faire sauter tout le reste de l’équipage en parachute. Le sergent Mario Costa et le soldat Renzo Magiarotti, déjà blessés par le tir des chasseurs, vont être tués au bout des suspentes de leur parachutes par des tirs de mitrailleuses venus du sol. Goracci est lynché par la foule quand il touchera le sol. Seul, le soldat Natale Vanuzzo, atterrit dans le jardin d’une villa où les propriétaires lui donnent les premiers soins avec humanité. La maison est cernée par une foule en furie qui insulte l’aviateur italien dans sa propre langue. Seule l’intervention des gendarmes qui doivent sortir leurs armes lui permet d’échapper au lynchage et d’être évacué dans un hôpital.
Pendant ce temps, Le Gloan et Goujon poursuivent leur attaque pendant que Martin, victime d’une panne électrique, ne peut faire fonctionner ses armes de bord et rentre à la base. Ils attaquent le Fiat BR 20 immatriculé MM 21505 et codé « 3-6 » au-dessus du cap Cammarat et l’abandonnent criblé d’impacts, un de ses moteurs détruit. Le pilote et chef de bord, le tenente Simone Catalano, grièvement blessé, va tenter de maintenir l’appareil en ligne de vol mais va expirer aux commandes. Son copilote Ottavio Aliani poursuit la route sur le seul moteur gauche qui commence à lâcher et doit se poser sur l’eau au large de San Remo. Il parviendra à quitter l’avion qui s’enfonce rapidement dans les flots en compagnie du mécanicien volant Raffaelo Ferraris, tandis que le radio télégraphiste Salvatore Gaeta et le sergent major mitrailleur Tommaso Ferrari périssent noyés dans l’appareil.
Un troisième Fiat BR 20 (MM 21504, codé « 3-2 ») a été touché par le tir des Dewoitine qui tuent son pilote, le sottotenente Mario Rondinelli. L’appareil peut être ramené à sa base par le copilote, le sergente Raffaelo Bruni, avec trois blessés à bord.
Deux victoires vont être revendiquées par les Français. Elles ne feront pas l’objet d’un bulletin d’homologation mais seront confirmées à Le Gloan par une citation à l’ordre de l’armée publiée au journal officiel du 21 septembre 1940, indiquant « A abattu dans nos lignes, avec son équipier, deux de ces avions ennemis, remportant ainsi ses cinquièmes et sixièmes victoires. »
Le colonel Armand de Turenne, chef du Groupement de Chasse n°24, va analyser ce combat dans un rapport, dans lequel il note que « Il ressort de ce premier contact que les formations italiennes sont loin d’être aussi redoutables que celles de leurs alliés [allemands], les groupes sont peu serrés et ne présentent pas de sérieux plans de feu. Nos chasseurs ont été peu tirés et aucun n’a été touché. Le groupe de 5 avions Fiat BR 20 attaqué par une patrouille simple de D.520 s’est disloquée au moment de l’attaque, les ailiers disparaissant dans les nuages, les autres piquant vers la mer. Ces bombardiers ne se sont pas montrés très ardents et courageux ; arrêtés dans leur attaque sur Toulon ils ont fait demi-tour et largué leurs bombes en mer. Si le terrain de Fayence et la ville de Cannes ont été bombardés, c’est parce que le nombre de chasseurs (le GC III/6 est en transformation) mis en couverture était trop peu nombreux pour pouvoir défendre simultanément plusieurs points de la côte (…) Les D.520 employés pour la première fois par des pilotes confirmés et titulaires de plusieurs victoires ont montré qu’ils étaient rapides, maniables, et permettaient des attaques rapides sur les appareils de bombardement italiens. »
Cinq d’un coup
Le 14 juin, la marine française envoie plusieurs navires de surface effectuer un raid contre des installations portuaires italiennes de la côte ligure à Gênes et Vado. L’opération Samoyède, à laquelle participent des avions de l’aéronavale et neuf avions du GC III/6 en couverture, est un succès et n’a rencontré aucune opposition de la Regia Aeronautica.
Sans doute par volonté de représailles face à ce cuisant échec, les Italiens lancent le lendemain 15 juin toutes leurs unités aériennes sur la Provence. Une cinquantaine de Fiat CR 42 sont lancés pour attaquer les aérodromes de Provence. Le centre de Toulon repère les assaillants et donne l’alerte à 11h40 au GC III/6 et à l’AC 3. Cette dernière unité fait d’abord décoller une patrouille de trois Bloch 151 de son terrain de Cuers qui affronteront une quinzaine de Fiat CR 42 entre le Luc et St-Raphaël. Deux autres patrouilles de 3 Bloch se font surprendre au décollage par un autre groupe de CR 42, qui descendent quatre chasseurs français (deux pilotes tués) au prix d’un des leurs.
Au GC III/6, l’alerte est également bien reçue à 11h40 et Pierre Le Gloan va décoller à la tête d’une patrouille de trois Dewoitine vers le vol qui le fera entrer dans la gloire. Le moins que l’on puisse dire de ce combat épique est que les documents le relatant sont des plus contradictoires… Aucun n’émane du principal intéressé, si ce n’est son carnet de vol qui ne porte que la mention laconique : “15 Juin 1940 – Patrouille de 11h49 à 12h35 – 46 minutes de vol – 5 avions abattus“. D’après plusieurs témoignages, il décolle si précipitamment qu’il ne peut s’équiper de son parachute. Son Dewoitine n°377 étant indisponible, il monte dans un autre appareil qui pourrait être celui de son camarade le Lt Martin, immatriculé « 2 ».
Le premier document rédigé sur le combat est le rapport d’intervention, qui est normalement écrit par le chef de patrouille peu après le combat. Conservé par le service historique de l’armée de l’air, il est daté du lendemain 16 juin et l’identité de son rédacteur n’est pas connue. Le Gloan décolle sur alerte à 11h45 du Luc avec pour équipiers le capitaine Assolant et le capitaine Jacobi, suivi à 11h49 d’une seconde patrouille envoyée en renfort et menée par le capitaine Guerrier avec pour équipiers les S/Lt Capdeviolle et l’adjudant Japiot. Tous ont pour instruction la couverture de la zone comprise entre St-Raphaël et Toulon ainsi que la protection du terrain du Luc. La patrouille Le Gloan file vers l’est sur St-Raphaël, où alors qu’il est à 4 000 mètres un ordre radio lui ordonne virer vers le sud sur St-Tropez. Le capitaine Jacobi, victime d’ennuis moteur, fait demi-tour pour rentrer au terrain. Il ne reste que Le Gloan et Assolant, qui une fois rendus sur place ne tardent pas à découvrir une formation de 12 Fiat CR 42 qui volent en direction du sud-ouest.
Les deux Dewoitine n’ont aucune difficulté à rattraper les Fiat et à les engager. Le rapport indique : « A 12 heures, l’adjudant Le Gloan et le capitaine Assolant attaquent par arrière et dans l’axe de la dernière patrouille. A la première rafale tirée par nos deux chasseurs, l’ailier gauche s’abat en flammes. Les deux autres Fiat CR-42 cherchent à dégager en virant, l’un deux est tiré par l’arrière par l’adjudant Le Gloan et le capitaine Assolant et s’abat en piqué, le pilote se jette en parachute.A ce moment, la patrouille française se trouve disloquée. L’adjudant Le Gloan vire au- dessus de Saint-Tropez, le capitaine Assolant emporté par son élan tire un troisième Fiat CR-42, mais ses armes s’arrêtant de fonctionner, il se dégage en piquant et rentre au terrain. » Les propositions d’homologations de victoires, également datées du 16 juin et signées par le capitaine Stehlin, chef du GC III/6, font état de deux CR 42 abattus à 11h55 et 11h58 par le Gloan et Assolant en collaboration, tombés respectivement à Ramatuelle et à St-Amée (dans l’anse de Pampelonne). Les témoins du combat, en plus des gendarmes de St-Tropez, sont deux habitants de cette ville : un certain M. Borderat, employé d’octroi, ainsi que M. François Honorat, habitant le 17 rue Allart.
Le Gloan, maintenant seul, poursuit son vol comme l’indique le rapport d’intervention : « L’adjudant Le Gloan n’ayant plus de contact avec l’ennemi aperçoit des éclatements de D.C.A. vers Hyères, il se porte aussitôt dans cette direction et voit une patrouille simple de Fiat CR-42 faisant route vers l’Est. Il attaque l’avion droit, qui, touché à la première rafale s’abat à l’Ouest de la baie de Saint-Tropez. Poursuivi à son tour par 8 Fiat CR-42 il se dégage en piquant. » Le document de proposition d’homologation fait état d’une victoire obtenue à 12h00 (contre 12h10 sur le rapport d’intervention) sur un CR-42 tombé à Beauvallon, à 4 km au sud de Grimaud. Les témoins du combat, outre les gendarmes de Cogolin, sont M. Reuter ainsi que le lieutenant Brun, officier de renseignement du 54e R.I.C., tous présents à Cogolin.
Le rapport d’intervention précise ensuite : « Ordre est donné par radio à tous les pilotes de revenir au terrain, ce dernier étant attaqué à la mitrailleuse par la chasse ennemie. Tous les pilotes rallient le terrain. L’adjudant Le Gloan attaque au-dessus de la piste deux Fiat CR-42 et en descend un en flammes à 1 Km du terrain. » Le document de proposition d’homologation fait état d’un appareil abattu à 12h25 à la ferme des Thermes, à 1 km du terrain du Luc. Aucun témoin n’est mentionné mais l’avion italien, tout comme les trois précédent, est mentionné « descendu en flammes et retrouvé ».
Le vol n’est pas terminé car le rapport d’intervention indique : « Après ce combat, il rencontre un Fiat BR-20 qu’il abat après cinq passes, à la ferme du Moulin-Rouge. La deuxième patrouille n’a pas été engagée étant arrivée trop tard sur les lieux du combat. » La proposition d’homologation situe cette victoire à 12h30 à la ferme du Moulin-Rouge, à 10 km au nord du terrain du Luc près de Vidauban. Aucun témoin n’est mentionné mais l’avion est « abattu en flammes et retrouvé ».
Des faits questionnés
Le journal de marche du GC III/6 tout comme ceux de ses deux escadrilles n’apportent aucun élément car ont été reconstitués plusieurs semaines après les faits. En revanche, il existe un document rédigé au jour le jour, et qui apporte des éléments contradictoires avec le compte-rendu d’intervention et les demandes d’homologations du 16 juin : le cahier d’ordres de la 6e escadrille, à laquelle appartiennent les pilotes de la seconde patrouille ayant décollé derrière celle de Le Gloan, dirigée par le capitaine Guerrier avec pour équipiers les S/Lt Capdeviolle et l’adjudant Japiot. Il y est indiqué que, vers 12h15, « le S/Lt Capdeviolle attaque et atteint le BR 20 qui est achevé par Le Gloan », alors que le rapport d’intervention précise que ces trois Dewoitine sont arrivés trop tard pour combattre au-dessus du terrain du Luc. Qui plus est, un rapport italien du 23e Stormo, venu attaquer le terrain du Luc, précise que les Fiat ont été interceptés par « quatre ou cinq Morane » qui pourraient bien correspondre aux Dewoitine de la 2e patrouille plus celui de Le Gloan appelé à la rescousse. Trois Dewoitine ont été endommagés au sol par les tirs des biplans italiens qui a duré près de 17 minutes selon les personnels administratifs du groupe.
Deux témoignages, livrés bien des années après les faits, viennent ajouter à la confusion. Le chef de groupe, Paul Stehlin, devenu général et chef d’état-major de l’armée de l’air, publie en 1964 un livre de souvenirs « Témoignages pour l’histoire » (ed. Robert Lafont) dont il reprend plus ou moins les termes en 1970 en écrivant un article dans la revue ICARE. Les deux textes présentent un point de vue très romancé des combats du 15 juin : Stehlin prétend revenir d’une mission sur Marseille et vient de se poser quand une escadrille d’Italiens attaque le terrain : il court à la voiture radio pour prévenir les pilotes qui n’ont pas atterri, dont Le Gloan, qui abat alors sous leurs yeux quatre chasseurs. Puis Stehlin dit apercevoir un Fiat BR 20 et dirige Le Gloan par radio, ce dernier abattant le bombardier. Trois aviateurs italiens survivants de l’équipage sont capturés et sont invités à déjeuner par le GC III/6 avant de partir en captivité. « Enfin… leur demanda Le Gloan, pourquoi ne vous êtes-vous pas mis en virage quand je suis arrivé ? La seule explication de leur comportement était leur manque d’expérience. Ils mangèrent de très bon appétit, avant leur départ en captivité. Telle fut la seule apparition sérieuse des Italiens devant nous. » Le récit est en complète contradiction avec les circonstances du combat décrites dans les propositions d’homologation signées de la main même de Stehlin. Ce dernier aurait-il oublié les faits quelque vingt années plus tard ou a-t-il cherché à camoufler quelque chose ? Car un fait reste assez inexpliqué : même en tenant compte du fait que 3 Dewoitine revenaient à 11h15 d’une mission de protection, pourquoi seulement 6 des 16 Dewoitine alors en dotation au groupe ont pris l’air le jour de l’attaque, sans parler du reliquat de Morane se trouvant sur le terrain ?
L’explication peut venir du témoignage du sergent Michał Cwynar, pilote polonais vétéran de la campagne de Pologne où il a remporté une victoire à bord de son PZL, et qui a été affecté à la 6e escadrille du GC III/6 le 11 juin 1940. Terminant la guerre dans la Royal Air Force sur Spitfire puis Mustang où il remportera quatre autres victoires, il a publié ses mémoires en 2004 (« Wspomnienia wojenne » – souvenirs de guerre) et y livre un témoignage pour le moins troublant sur les évènements survenus au Luc le 15 juin 1940. Il décrit le capitaine Pierre Guerrier comme « un réserviste plus intéressé par la pêche à la ligne dans la rivière voisine que par la guerre », et qui, bien qu’étant d’alerte, parvient à convaincre le capitaine Stehlin que cette organisation était inutile car une patrouille menée par un adjudant de la 5e escadrille (Le Gloan ?) y était déjà. Peu avant midi, tous les pilotes ont été emmenés par le capitaine Stehlin déjeuner dans un restaurant au village du Luc. « Le Commandant n’a pas eu le temps de porter le traditionnel toast à la “République” car nous avons entendu des bruits d’avion. En fait douze biplans CR42 viraient sur leur droite pour s’aligner sur notre terrain et le mitrailler. Nous avons couru vers le jardin et avons regardé incrédules ce qui se passait. Il n’y avait pas de poste de radio dans le camion qui nous ramenait à la base. Il était trop tard. Toutefois, l’honneur français a été, dans une certaine mesure, préservé. Au moment où les Italiens entamaient la première passe de mitraillage, Pierre le Gloan, de la 5ème, rentrait justement à la base. Il se mit en position pour attaquer le dernier biplan de la formation italienne et commença à ouvrir le feu sur lui. Arrivant très vite, il dépassa l’italien et il fit alors battre plusieurs fois violement le gouvernail du Dewoitine à droite et à gauche pour le ralentir et pouvoir ainsi se replacer à l’arrière de son adversaire. Il tira une courte rafale de canon de 20 mm sur le côté droit de la queue de l’Italien, et le petit biplan, avec sans doute une structure essentiellement faite de bois, s’abattit tandis que son pilote sautait. On apprit par la suite que cet avion était le quatrième que le Gloan avait abattu depuis le début de sa patrouille. Dans le camion qui nous ramenait du restaurant au terrain nous étions catastrophés à l’idée des horribles dégâts que les Italiens avaient dû infliger à nos tout nouveaux Dewoitine. Mais quand nous sommes arrivés à l’aérodrome nous avons été agréablement surpris. Tous les Dewoitine étaient intacts. Seuls trois Morane 406 avait été légèrement endommagés. »
Si les faits décrits par Cwynar sont exacts, cela n’aurait pas été la première fois que des pilotes français se seraient fait surprendre au restaurant durant une attaque de leur terrain – les pilotes du GC II/5 y étaient durant l’opération Tapir le 5 juin 1940, emmenés par leur commandant Marcel Hugues, lorsque les terrains de la région parisienne ont été attaqués en masse par les bombardiers de la Luftwaffe ! Ce récit reste à prendre comme un simple témoignage, sans tirer de conclusions définitives – on observe que le capitaine Guerrier est bien en l’air dans selon le cahier d’ordres de la 5e escadrille et non au restaurant comme le prétend Cwynar.
Quelles que soient les circonstances dans lesquelles les pilotes français ont combattu, les archives italiennes permettent de confirmer la réalité de l’ensemble de l’ensemble des victoires revendiquées par Le Gloan et sa patrouille. Elles indiquent qu’un Fiat BR 20 (MM 21873 de la 172e Squadriglia de reconnaissance stratégique) abattu par la chasse dans la région du Cannet-des-Maures, avec 2 pilotes et un mitrailleur capturés (Cdt Marco Salvadori, Cne Gionio Parodi, soldat Attilio Imparator) et deux mitrailleurs tués (soldats Giovanni Bonanno et Egisto Di Croce). Il s’agit sans nul doute de la 5e victoire de Le Gloan. Concernant les chasseurs, trois Fiat CR 42 sont reconnus abattus par la chasse « dans la région du Cannet-des-Maures », ainsi qu’un autre attaqué par la chasse dans le même secteur et revenu à sa base endommagé avec le pilote blessé (Adj Pasquetti, 23e Gruppo). Il s’agit probablement de la deuxième victoire de Le Gloan et Assolant que les témoins auraient cru voir tomber dans l’anse de Pampelonne car un de ses camarades du 23e Gruppo, le Cne Luigi Filippi qui est capturé, a vu son Fiat (MM 4361) tomber à Ramatuelle sur le lieu même de revendication de la 1ere victoire. Les 3e et 4e victoires de Le Gloan sont très probablement deux pilotes du 18e Gruppo, l’adjudant Francesco Colombo (tué) et le sergent Eudo Parmiggiani (capturé) sans qu’on puisse déterminer lequel est tombé à Beauvallon ou au Luc. Précisons enfin qu’un Fiat CR 42 du 150e Gruppo est abattu à Rocbaron (Cne Nino Caselli, tué), à l’ouest des combats livrés par Le Gloan, et est vraisemblablement tombé sous les balles des Bloch 151 de l’AC 3. Un autre CR 42 du 18e Gruppo (Cne Anelli), de la formation attaquée par Le Gloan et Assolant, rentre dans ses lignes si endommagé qu’il doit être condamné : il a pu être touché par le tir de ces derniers ou par un chasseur de l’AC 3.
Le seul as du communiqué.
Alors que la France s’effondre, que la capitale est aux mains des troupes allemandes et que des dizaines de milliers de français sont sur les routes de l’exode, l’exploit militaire de l’adjudant-chef Pierre Le Gloan va faire l’objet d’un traitement médiatique tout particulier. Les demandes d’homologations signées le 16 juin par le capitaine Stehlin sont transmises le 17 juin par le colonel Armand de Turenne, chef du groupement de chasse 24, au général Houdemon, qui dirige la Zone d’Opérations Aérienne des Alpes, lequel les homologue immédiatement. Ce privilège est assez unique car le processus administratif d’homologation des victoires dure habituellement entre deux et cinq semaines. Dès la fin de la journée du 17 juin, le communiqué quotidien aux armées, qui est repris par les éditions du soir de la presse française – du moins celle qui paraît encore dans la zone non occupée par les troupes allemandes, précise que « De nombreux combats aériens ont été livrés, en particulier dans la journée du 15. Le sergent-chef Le Gloan a abattu à lui seul, au cours d’une même sortie 5 avions italiens, dont 3 chasseurs et 2 bombardiers ». Ce communiqué renoue avec la tradition de la première mondiale réservant cet honneur aux as ayant obtenu cinq victoires aériennes. Avec cet exploit, Pierre Le Gloan obtient le meilleur score jamais remporté par un pilote de chasse français en un seul vol. L’as des as de 14-18 René Fonck a bien obtenu à deux reprises six victoires en une journée, mais à chaque fois au cours de deux vols différents… Le grand as de 14-18, qui en 1940 est colonel et inspecteur général de la chasse, vient personnellement au Luc pour féliciter le jeune pilote et lui annoncer sa promotion au grade de sous-lieutenant. Le Gloan sera le seul as de la campagne de 39-40 à voir son nom célébré durant celle-ci : aucun pilote français n’a obtenu 5 victoires durant la drôle de guerre. Pour les pilotes ayant atteint ce score durant la courte et violente campagne de France, les dossiers d’homologation n’auront pas eu le temps de remonter jusqu’à l’état-major et le grand public ne découvrira les noms de Marin la Meslée, Accart ou Dorance qu’après l’armistice… Le communiqué du 17 juin, déjà publié dans les journaux, va connaître une petite suite car au moins un titre de la presse régionale va tenter de broder autour de l’exploit accompli par le pilote breton : Le Petit Provençal dans son édition du 18 juin fait preuve d’une certaine imagination en décrivant des combats qui n’ont rien de commun avec la réalité, et prêtant à l’as les propos suivants tenus à son chef d’escadrille venu le féliciter : « Je vous assure mon commandant que je n’ai pas grand mérite. Vraiment je n’ai pas eu beaucoup de peine. Tenez, constatez-le vous-même : je n’ai pas utilisé toute ma bande de mitrailleuse ! »
Les évènements laissent peu de répit pour profiter de cette notoriété. Après deux jours passés sans rencontrer l’ennemi malgré quelques missions de chasse, le GC III/6, maintenant entièrement transformé sur Dewoitine 520, reçoit le 18 juin l’ordre de se replier à Perpignan qu’il atteint en fin de soirée, abandonnant au Luc deux Dewoitine endommagés dans le mitraillage du 15 juin. De cet ultime terrain en France métropolitaine tous les pilotes s’envolent pour l’Algérie le 20 juin 1940 en suivant l’appareil du capitaine Assolant qui assure la navigation et conduit les 36 pilotes sans incident sur le terrain d’Alger. L’armistice entrera en application quelques jours plus tard et un nouvel épisode de la guerre commence pour le sous-lieutenant Pierre Le Gloan.
Jeune chef de patrouille sur Jaguar, le Capitaine Jean-Marc Denuel (77) a été, de septembre 1984 à octobre 1986, le premier pilote de combat de l’Armée de l’air participant à l’échange d’officiers entre la Force aérienne tactique et l’Aviation de chasse embarquée de la Marine.
D’abord « amariné » au sein de l’escadrille 59S sur Fouga Zéphyr et sur Étendard IVM, il a ensuite rejoint la flottille 11 F sur Super-Étendard à Landivisiau.
Les deux années d’échange lui ont permis de réaliser plus de 400 heures de vol, près de 90 appontages (dont 13 de nuit) et six mois d’embarquement sur le Foch et le Clemenceau.
LE MATELOT DECROCHEUR
Ce matin-là , je n’étais pas inscrit sur la feuille des vols. Je n’étais pas non plus de permanence en salle d’alerte. Aucune raison de rester là, les vieux « chibanis (1) » de la flottille me l’ont dit : sur le porte-avions, ce n’est pas comme à terre. Ne pas tenter de tout connaître à bord trop vite, apprendre à durer… J’ai été envoyé en échange dans l’Aéronautique navale il y a déjà plus de six mois, mais je n’ai que 10 jours de mer et je ne peux pas me targuer d’être un vieil apponteur ; d’ailleurs, mes résultats récents ne me feront pas grimper sur le podium de la coupe des apponteurs « tricot bleu ». Bref, pour ma première grande sortie sur le porte-avions et au bout d’une douzaine de missions à la mer, je n’ai pas un gros moral et la perspective d’embrasser l’horizon des quatre murs de tôle de ma chambre ne me réjouit pas. Il me faut de la compagnie, ou, à défaut, de la vie et du mouvement. Je décide donc de monter à la passerelle d’admiration : vue sur le pont, grand air assuré et sûrement un peu d’animation.
Je suis verni, le ramassage de la première pontée se prépare. Les avions tournent au-dessus de nos têtes en attendant que leur soit donnée l’opportunité d’engager les brins. Il y a parmi eux des copains de galère, enseignes (2) débutants dans le métier, dont les prouesses face au miroir n’ont rien à envier aux miennes. La ronde des appontages commence. Toutes les 36 secondes environ, les Crusader, Étendard et Super Étendard se présentent. Je suis fasciné par le rythme de cette fantastique orchestration. Le passage dans le groove (3) ne dure pas plus d’une quinzaine de secondes ; très en incidence, les avions approchent au moteur, tout près du second régime : ils semblent en équilibre sur une tête d’épingle ; plus lents, ils tomberaient, plus rapides, ils pourraient casser les presses de frein… ou le brin. C’est pour cette raison, et, bien sûr, au cas où la crosse raterait ses retrouvailles avec le câble, que les pilotes affichent plein gaz dès que les roues heurtent le pont. Les Cruse, dressés sur la roulette de nez, hurlent leur puissance comme des chevaux cabrés. Un Étendard IVP se pose vite et désaxé à gauche. Sur les quelque 70 mètres de sa décélération donne l’impression de se débattre de droite et de gauche avant de s’immobiliser de travers, au bout du pont, le moteur grondant, retenu par la crosse au câble trop tendu par la puissance du réacteur. « Les Poney » (4) surgissent du boulevard et, en le repoussant par les ailes, aident l’insecte de métal bleu à se libé rer de sa toile d’araignée.
J’en ai trop vu, j’ai le moral définitivement dans le baquet. C’est trop difficile. J’étais pourtant chef de patrouille dans mon escadron, je rentrais de Red flag (5) juste après avoir participé à la mise en place de l’opération Manta au Tchad… Une petite gloire pour un pilote de Jag. Il ne me restait plus qu’à attendre, paisible, un commandement d’escadrille chez les Sphynx. Mais qu’étais-je venu faire dans ce cirque ? Hébété, je décidais de me retrancher dans ma chambre, à l’abri des regards indiscrets qui auraient pu déceler ma détresse naissante. Dans l’ascenseur minuscule qui me ramenait au pont principal, je fixais une photo du porte-avions au mouillage de nuit pour ne pas croiser le regard du « quatre galons » qui était monté avec moi. « Belle photo, pas vrai ?» Cest le chef PEH (7), genre vieux loup de mer buriné par les embruns qui vient de m’adresser la parole. Je dois grommeler une réponse en m’escrimant sur le système d’ouverture des portes de « monte-charge » d’un autre âge pour m’enfuir dans la coursive obscure.
Quelques jours ont passé. On dirait que cela commence à rentrer. J’ai assimilé mes erreurs et mes derniers appontages sont plutôt bons. Bien sûr, ça ne mérite qu’une pine à trois heures dans le carnet noir des officiers d’appontage (OA) mais, pour le moment, je m’en satisfais. J’arrive maintenant à lire la route aviation quand je rentre dans le circuit d’appontage et je ne me retrouve plus divergent en vent arrière. Je sais aussi analyser la vitesse du bateau en fonction de la taille du sillage, ce qui permet d’être renseigné sur l’importance du phénomène aérodynamique que l’on va rencontrer en entrant dans le groove. Plus le bateau va vite et plus la pompe est forte en sortie de dernier virage. Il faut alors réduire pour conserver l’assiette et la pente, à vitesse constante. Mais on n’a pas plus tôt résorbé son problème d’assiette, de pente ou de vitesse qu’il faut rajouter du moteur pour ne pas tomber dans la dégueulante en courte finale. Et puis, qui dit forte allure, dit machine en avant toute et cheminée fumante. Chaude et noirâtre, la fumée enveloppe l’avion en se combinant au phénomène de pompe, en sorte qu’il faut encore plus réduire tellement l’air est porteur avant de réagir encore plus promptement pour ne pas voir le tableau arrière de trop près. De toute façon, si vous arrivez à faire tout cela, vous sortez forcément désaligné, parce que comme le porte avions file ses vingt nœuds ou plus et que la piste est désaxée de huit degrés, à un vous êtes en face, à deux, vous êtes en vrac. « Du pied à droite » ordonne l’OA. Ben oui, mais quand on met du pied, on induit plus de traînée et moins de portance et l’avion tombe. D’ailleurs, il demande de rajouter des gaz : « Moteur ! Plein pied à droite » mais le pont se rapproche. BIP (8) ambre, c’est quelques nœuds de trop, on accélère… et on ne peut plus levez le nez, pas question d’arrondir. Le meatball (9) monte, monte dans sa cage de verre, surtout ne pas le perdre. Pousser le manche vers l’avant, Pan, brin 4, désaxé. Ça freine fort ! Plein gaz tout de suite, mais pas trop longtemps pour ne pas mettre le brin en tension et permettre le rappel de l’avion en arrière qui fera tomber le brin du sabot de crosse. Bon sang, je ne recule pas. Encore raté ! J’ai dû freiner, c’est sûr.
Les Poney autre nom des PEH, se précipitent sur mon avion le long de chaque aile pour libérer le brin. Un tonnerre se déclenche au-dessus de ma tête : c’est mon équipier qui remet les gaz, comme pour souligner ma maladresse. Le chien jaune, encore plus énervé que d’habitude, me fait des signes « appuyés » pour que je sorte de la piste oblique.
Le soir, le pacha fait savoir aux jeunes apponteurs qu’un wave-off» provoqué par l’encombrement du pont, c’est du pétrole et du temps perdu… à bon entendeur…
Le soir, au bar, les anciens y vont de leur conseil : c’est pourtant facile, « tu impactes », tu mets plein gaz, tu sautes sur le “bitard” de la crosse (à côté de la palette) pendant que ça décélère (fort !), tu te trompes pas, parce que si tu relèves la palette, le train rentre vu qu’il est allégé pendant la décélération ; là, il est temps de réduire à fond, sinon tu ne profites pas de l’élasticité des brins mais pas trop tôt, sinon l’OA te colle une pine (10) en bas… et tu en remets tout de suite une louche pour évacuer le pont. Au fait, fais gaffe, si tu n’obéis pas strictement au chien jaune, je le connais, il va te garer la roue avant au bord du pont et le cockpit au-dessus du vide : tu pourras pas descendre. »
C’est fou ce que tout ça me rassure. Une autre bière, maître d’hôtel, pour oublier ! Le chef PEH lui, me prend à part : tu sais, la photo de l’ascenseur, je peux te la procurer… si tu réussis trois sorties de brin d’affilée. Chiche ».
Deux vols sont passés, soldés par deux appos corrects et deux sorties de brin impeccables. Au matin de mon troisième vol, je vais à l’avion confiant. Le loup de mer, goguenard, vient à ma rencontre en piste : « plus qu’un… » ironise-t-il. Je lui réponds d’un sourire que j’espère décontracté et je sors sur le pont en essayant d’évacuer la pression qui m’envahit. Au moment de monter dans l’avion, un matelot s’approche :
«Capitaine » « Oui… »
« Je suis le matelot décrocheur ; je voulais vous dire, ça serait chouette que vous arriviez à vous décrocher tout seul ». Derrière lui, à distance, le chef PEH est tordu de rire sous son casque…
Cette photo, je la regarde souvent ; elle est plus que belle et je ne m’en séparerais pour rien au monde.
(1) – Chiban : maître en arabe ; par extension, pilote chevronné en jargon aéronautique,
(2) – Enseigne de vaisseau lieutenant-
(3) – Groove : phase finale du circuit d’appontage, le tuyau dans lequel on peut voir la tache lumineuse du miroir d’appontage
(4) – poney surnom des appelés qui, sous les ordres des chiens jaunes, s’occupent des mouvements sur le pont d’envol.
(5) – Red Flag : célèbre exercice tactique de grande envergure au Nevada.
(6) Sphynx : insigne de la meilleure des escadrilles de l’EC 4/11, bien sûr.
(7) – PEH : service pont d’envol hangar.
(8) – BIP : incidence mètre à trois lampes ambre, verte et rouge ; les lampes- s’allument en fonction de la vitesse de l’avion•
(9) – Meatball : tâche lumineuse du miroir d’appontage.
(10) – L’OA (officier d’appontage) note chaque appontage à l’aide d’une flèche dite “pine” orientée de midi (excellent) à 6 heures (sécurité engagée)
Quelques photos, pour certaines marquantes de son passage dans la Marine.
Patrick BAUDRY, pilote de l’Armée de l’Air garde un souvenir très fort de son séjour à la 11ème Escadre de Chasse sur F 100, basée à Toul. Il en avait fait part dans le livre “Histoires de la 11ème Escadre de Chasse” qu’il avait eu l’amabilité de préfacer.
Aujourd’hui, je vous propose un entretien paru dans “Air Actualités” en 1989, entretien qui est principalement consacré à sa carrière de cosmonaute.
Le 1 er satellite artificiel est lancé par l’URSS en 1957, 10 ans tard, vous intégrez l’Ecole de l’Air. Depuis quand aspiriez-vous à devenir pilote dans l’Armée de l’air ?
— Dès l’âge de 4 ans, j’aspirais à et à devenir un jour pilote. Je vis dans une ambiance aéronautique parce que mon père était ingénieur-météo travaillait dans les aéroports. Ma récompense était à l’époque, non pas d’aller au cinéma mais de m’emmener voir et toucher les avions. Vers 10 ans, j’ai commencé à prendre conscience des difficultés de réaliser mon rêve, le doute et les incertitudes ont commencé à s’installer dans mon esprit. Quand on désire formellement quelque chose, on croit ne pouvoir l’atteindre. C’est pourquoi quand je fus reçu au concours d’entrée à l’Ecole de l’air, ce fut pour moi une très grande joie.
En 1971 le 1ère station soviétique Saliout est mise en orbite, tandis vous, affecté à la 11e Escadre chasse à Toul, vous entamez une carrière de pilote de combat F 100, puis sur Jaguar. Quels souvenirs vous viennent à l’esprit à l’évocation de cette période ?
— 1971-1978 représente pour moi, la plus belle période de ma vie car je suis vraiment « éclaté » dans une ambiance fantastique. Cet esprit de famille qui règne dans les escadrons chasse je ne l’ai retrouvé que dans l’entraînement des cosmonautes. Beaucoup de souvenirs me viennent à l’esprit à l’évocation de cette période, mais les plus marquants restent pendant le premier vol en Mystère IV et le premier vol solo sur F 100. Quand on se retrouve face à une machine aussi puissante, aussi impressionnante, on se demande si on est vraiment à la hauteur, si on est capable de la dominer. Puis quelques minutes plus tard, quand vous retrouvez seul à 10 000 m d’altitude un Immense bonheur vous envahit et vous prenez alors conscience que rêves d’enfant sont en train de réaliser.
En 1978 vous suivez les cours à l’Ecole des pilotes d’essais britannique et 2 ans plus tard vous êtes sélectionné avec Jean-Loup Chrétien pour devenir les premiers spationautes français. Était-ce la réalisation d’un rêve d’enfant et à quel moment avez-vous senti que ce rêve pouvait se réaliser un jour ?
— Depuis toujours, la 3e dimension m’a attiré et j’ai saisi toutes les chances que me permettaient d’aller toujours plus loin. C’est pourquoi j’ai fait l’Ecole de pilotes d’essais et dans la poursuite du même raisonnement, je me suis porté volontaire pour devenir spationaute.
Les vols spatiaux que j’espère encore réaliser ne seront pas un aboutissement puisque l’inachevé est ne pouvoir demeurer que dans la proche banlieue de la Terre. Durant un vol circumterrestre, on ressent quelque chose de plus fort que de voler en avion de chasse ; c’est en effet déjà fantastique que de s’échapper de l’attraction terrestre. Mais ceux qui verront la Terre disparaître pour ne devenir qu’un point dans l’immensité céleste, ceux-là vivront un moment extraordinaire, un bonheur irréel du domaine du rêve.
En 1981, Young et Crispen effectuent leur premier premier vol à bord de la navette américaine Columbia. Vous êtes à la Cité des Etoiles à Moscou où vous suivez avec J.-L. Chrétien l’entraînement pour le premier vol spatial d’un Français. C’est, je pense, une période difficile à la fois intellectuellement et physiquement. N’avez-vous jamais éprouvé de grands moments de découragement alors que vous saviez que votre chance de vous envoler était très infime ?
— Le fait d’appartenir à la famille des cosmonautes est déjà une aventure fantastique. Ce que l’on comprend le plus vite est que l’on fait partie d’une équipe et très vite on oublie les frustrations pour ne garder en tête que la victoire. Et pour nous, Jean-Loup Chrétien et moi, c’était la réussite du vol, de ramener les meilleurs résultats à la communauté scientifique et au CNES qui avait décroché cette première opportunité pour la France. C’est l’enthousiasme qui prédomine. Ceci dit, j’ai, aujourd’hui en 1989, 3 ans de moins que Jean-Loup Chrétien lorsqu’il a effectué son premier vol en 1982, et je suis conscient du privilège dont j’ai pu bénéficier…
Lors de mon entraînement en URSS, j’ai rencontré des collègues soviétiques qui attendaient leur tour depuis 15 ans. L’un d’eux a d’ailleurs perdu son aptitude médicale et donc tout espoir de s’envoler un jour. Il a eu une réaction digne des plus grands. Dans ce monde on est en contact avec des gens qui ont véritablement « l’étoffe des héros ». La Cité des Etoiles est une école de noblesse.
En 1983, vous partez aux Etats-Unis cette fois en tant que titulaire du 1 er vol d’un Français à bord d’une navette américaine. L’entraînement aux Etats-Unis est-il différent de celui de l’URSS ?
— Aux Etats-Unis, l’entraînement est très différent, tant sur le plan humain que sur le plan des matériels utilisés. Sur le plan humain, les Slaves ont des tempéraments très différents des Anglo-Saxons. Leur convivialité, leur flexibilité dans l’organisation est parfois très proche de la nôtre… Le «système D» est manifestement passé à l’Est, mais il a quelques difficultés à franchir l’Atlantique. D’autre part, dans le Shuttle, l’équipage est de 7, dans le Soyouz il est de 3. La répartition des tâches s’effectue d’une autre manière, l’état d’esprit est donc différent.
Sur le plan des matériels, les véhicules sont également différents. La technologie américaine représente une avance d’une dizaine d’années pour les vols habités. N’oublions pas que Columbia a effectué son premier vol spatial avec des hommes à son bord le 12 avril 1981 et que la navette soviétique ne sera capable de réaliser l’équivalent qu’en 1990 dans le meilleur des cas. La confiance que l’on doit apporter à un système pour l’autoriser à transporter des hommes reste d’un ordre de grandeur supérieur à celle qui est suffisante lorsque la vie humame n’est pas en jeu.
En 1985 c’est la consécration et vous vous envolez à bord de Discovery. Quel est le premier souvenir qui vous vient immédiatement à l’esprit ?
Sans aucun doute, le moment de l’allumage des moteurs, alors que l’on est couché à 80 m du sol. C’est un tel déferlement de puissance que l’orbiteur est secoué d’une manière formidable et la chevauchée fantastique se poursuit durant 120 secondes, la durée de fonctionnement des énormes boosters à poudre qui fournissent la poussée de 3 000 tonnes nécessaire pour le décollage. Particulièrement durant le transsonique de Mach 0,8 à Mach 1,4 où s’exerce la pression dynamique maximum — « Max Q » — quelques secondes sont particulièrement émouvantes. Lorsque l’on aime ce qui pousse, on est servi !
Vous êtes aujourd’hui à l’Aerospatiale. Quels liens vous unissent toujours personnellement à l’Armée de l’air ?
— L’Armée de l’air reste et demeure ma famille d’origine et j’éprouve joie et fierté d’y appartenir. Le fait de continuer à voler en unité opérationnelle à la 11ème Escadre de chasse, au delà des compétences techniques qu’il me permet de maintenir, c’est avant tout une ambiance que j’ai besoin de retrouver et qui est nécessaire à mon équilibre.
Vous êtes particulièrement sensible à l’information des jeunes à l’Espace et vous avez créé dans ce but le « Space Camp European Quels conseils donnez-vous à ces jeunes qui sont tentés par cette aventure ?
— Simplement qu’ils peuvent y consacrer toute leur passion, tous leurs efforts car le jeu en vaut largement la chandelle. Le métier de pilote est un métier qui permet un accomplissement total de soi-même, mais qui demande beaucoup de travail et de sacrifices.
D’une manière générale, tout ce qui touche à l’espace, cette grande aventure n’est pas uniquement l’affaire des pilotes. Elle concerne des nombreuses équipes constituées d’hommes de professions très diverses, des contrôleurs aux techniciens, des médecins aux scientifiques. Il y a de la place pour beaucoup et tous y trouveront une satisfaction hors du commun,
Air Actu no 420 avril 89
Patrick BAUDRY
Colonel du corps des officiers de l’air. Né le 6 mars 1946 à Douala (République unie du Cameroun). Marié, père d’une petite fille.
Entré à l’Ecole de l’air en 1967 après une formation de mathématiques spéciales, il est breveté pilote de chasse en 1970. Pilote de combat à la 11e Escadre de chasse durant six années sur F 100 « Super Sabre » puis sur « Jaguar », il est chef de patrouille le 4 décembre 1974. Patrick Baudry suit en 1978 les cours de l’Empire Test Pilot’s School, école des pilotes d’essais britanniques à Boscombe Down, il en sort major.
Pilote d’essais au Centre d’essais en vol de Brétigny-sur-Orge au moment de sa présélection comme futur spationaute français, il totalise près de 4 000 heures de vol.
La région familiale de Patrick Baudry est le Bordelais. Il pratique les sports mécaniques (auto, moto), le marathon, le squash et le ski.
Le colonel Baudry, ingénieur de l’Ecole de l’air, pilote d’essais, spationaute, est officier de la Légion d’honneur, chevalier de l’ordre national du Mérite et médaillé de l’Aéronautique. Il est également décoré de l’ordre de Gagarine et de l’Amitié des peuples.
Détaché au Centre national d’études spatiales (CNES) le 1 er juillet 1980, il est à nouveau détaché au CNES pour une période de 5 années à partir du 1 er juillet 1984.
Doublure du colonel Jean-Loup Chrétien, premier spationaute français (vol spatial du 24 juin au 2 juillet 1982), Patrick Baudry est le premier français à voler sur la navette américaine. « Discovery » qui a décollé le lundi 17 juin 1985 s’est reposée au bout d’une semaine et de 111 révolutions autour de la Terre. Pour Patrick Baudry ce vol est la consécration d’un long entraînement et d’une longue attente.
Les premières interventions en Afrique, ont mis en évidence le besoin de pouvoir ravitailler de nuit, capacité dont le Jaguar n’était pas doté à l’origine. Obtenir cette modification par la voie normale de la filière programme aurait demandé beaucoup (trop) de temps ; comme elle ne semblait pas compliquée à réaliser et qu’elle ne touchait pas à une partie sensible de l’avion (commande de vol, modification structure ou moteur,..), la 11 EC décida de résoudre le problème en local en faisant fonctionner le système “D” et confia la tâche à l’ADC Grafiadis, adjoint technique à la sécurité des vols, interviewé ici par “Air Actualités”.
NB : si Grafiadis lit cet article, il pourra peut être compléter l’histoire en nous racontant les débuts plutôt hésitants qui ont vu l’utilisation d’une ventouse à déboucher les WC et les premiers essais déformer le plexi glace de la verrière… Mais force est de reconnaitre que l’affaire fut rapidement menée, les résultats furent au rendez-vous et qu’elle donna certainement les idées de concevoir aussi en local, le lance leurre de queue et le puits de navigation.
40 WATTS POUR RÉUSSIR UN RAVITAILLEMENT EN VOL DE NUIT
Toul. 11ème Escadre de chasse. Raymond Grafiadis, adjoint technique à l’officier de sécurité des vols, est un mécanicien, spécialisé dans l’équipement électronique. Plus il avance dans sa carrière, moins il semble prisonnier des chaînes paralysantes de la routine. Preuve en est sa toute dernière invention, «une bricole somme toute », me confie-t-il, après m’avoir subrepticement demandé pourquoi Air Actualités avait estimé bon d’envoyer un reporter de Paris (du Ministère !) sur les terres glacées d’une Lorraine noyée en plein brouillard ce jour-là. Pour une bricole ! Il n’empêche qu’avant le travail original de l’adjudant-chef Grafiadis, le Jaguar ne pouvait effectuer de ravitaillement en vol de nuit — Rien que ça…
Une opération de ravitaillement en vol se déroule à vue. S’aidant de repères, l’opérateur du C 135 F ravitailleur indique par radio au pilote de l’avion à ravitailler les manoeuvres à accomplir, au fur et à mesure de l’approche. Ainsi, par exemple, tant que la perche d’un Jaguar ne vient pas soigneusement se verrouiller au fond du panier flottant au bout d’un flexible. accroché au C 135 F, le précieux carburant ne peut évidemment pas passer. En vol, comme sur la route, on ne fait pas forcément le plein ; c’est au pilote du Jaguar à décider de la quantité de pétrole dont il estime avoir besoin. Sans être difficile, la procédure de ravitaillement n’en demeure pas moins délicate et l’absence de luminosité la rend impossible. Aussi, le Jaguar ne pouvait-il pas envisager une intervenlion crépusculaire si un ravitaillement s’avérait indispensable avant le retour sur une base éloignée.
Il est superflu de préciser davantage les inconvénients résultant d’une telle carence, qui pouvait profiter à un adversaire quelque peu astucieux. Il suffisait à celui-ci d’opérer à la nuit tombante en toute quiétude et de s’échapper sans le souci « dissuasif » d’être poursuivi bien longtemps…
Et dans tous les cas, « pour faire planer la menace d’une intervention à tout instant, précise le lieutenant colonel Pissochet, commandant la 11ème Escadre de Chasse, il nous fallait être capables d’effectuer une rejointe de jour comme de nuit. Et l’adjudant-chef Grafiadis d’esquisser un sourire malicieux, sentant venir l’instant où j’allais porter mon regard sur une innocente ampoule de 40 watts…
« MEHR LICHT »
Il fallait agir vite. Aussi fut-il demandé à la FATAC de faire étudier par les services spécialisés un phare de ravitaillement de nuit. Parallèlement, les services techniques de la 11ème Escadre s’étaient mis à l’oeuvre dès la fin janvier 1978. Si bien que dès le 8 février l’entreprise était officiellement lancée. L’adjudant-chef Grafiadis, de par ses bonnes connaissances en équipement de bord et en électricité, disposant du temps nécessaire et ayant un accès aisé à tous les autres moyens de l’escadre fut pressenti comme le personnage idoine. Les recherches aboutirent-elles rapidement ? ADC Grafiadis : Un soir, j’ai surpris le colonel Pissochet alors qu ‘il était plongé dans son courrier. Je crois, lui dis-je, avoir trouvé quelque chose qui va bien !… J’ai installé un phare le long de l’habitacle près du pare-brise avant droit à l’intérieur de la cabine ; si vous voulez venir voir, l’avion est dans le hangar.
Air Actualités : Je suppose qu’à cet instant précis, si le Patron avait téléphoné, le lieutenant-colonel Pissochet aurait rétorqué qu’il était occupé !
ADC Grafiadis : Peut-être !.. Le colonel s ‘est assis à la place du pilote et a allumé le phare… Ce fut une vive exclamation, toute à la mesure de son contentement !
Air Actualités : Comment se présente-t-il ce phare ?
ADC Grafiadis : Très simplement. II s’agit d’une lampe de 40 w à réflecteur interne équipant normalement les feux de navigation d’aile du Jaguar. Cela éclaire assez pour avoir dans le champ visuel la perche de ravitaillement et tout l’ensemble se trouvant à l’arrière du C 135 F.
Air Actualités : Quelle est la portée de cet éclairage ?
ADC Grafiadis : 30 à 40 mètres. Précisons qu ‘il existe aussi une lampe de secours de 24 W à réflecteur interne. L ‘ensemble du mécanisme est mis en action par un dispositif de commande à trois positions : éclairage brillant, normal, et éclairage de secours de la deuxième ampoule. Ce dispositif se trouve sur la gauche du pilote.
Air Actualités : Vous parlez d’éclairage « brillant ». Cela ne risque-t-il pas d’éblouir l’opérateur se trouvant dans l’avion ravitailleur ?
ADC Grafiadis : Regardez cette ampoule au plafond. Elle fait 60 watts. Vous aveugle-t-elle ? Non, c’est un faux problème. En revanche, le phare se situant à l’intérieur de la cabine, un halo gênant peut apparaître. Aussi avons-nous créé une sorte de parabole antireflets fixée sur la casquette au-dessus du phare qui masque presque totalement le halo.
Air Actualités : Mais était-il vraiment si délicat d’imaginer un phare de ravitaillement ?
ADC Grafiadis : D’imaginer le phare, non. Mais de trouver l’emplacement de ce dernier, oui. Sur le Mirage F 1, le système d’éclairage pour le ravitaillement de nuit était prévu dès la conception de l’avion. En revanche, rien de tel pour le Jaguar. Il importait donc de trouver une place à l’intérieur de l’habitacle et, surtout, sans toucher à la cellule. Voilà la difficulté.
VOLS DE NUIT
Air Actualités : Comment se sont déroulés les premiers essais du phare en vol ?
ADC Grafiadis : Il y eut d’abord des vols destinés à juger l’efficacité du phare sur un Jaguar en vol. Quelques améliorations techniques furent dès lors apportées : position de commande du dispositif lumineux placée sur la gauche et non plus sur la droite ; la fameuse parabole sur la casquette pour supprimer le halo…
Air Actualités : Et le premier vol officiel ?
ADC Grafiadis : Un monoplace et un biplace prirent l’air pour Istres. Cette fois, il y eut des ravitaillements : six contacts par avion dont quatre de nuit avec deux prises de pétrole. Si les deux Jaguar étaient capables de prendre du carburant par nuit noire puis de s’en retourner sur Toul l’affaire était gagnée ! C’est ce qui se passa.
Air Actualités : Il ne suffisait donc plus qu’à équiper la flotte tout entière ?
ADC Grafiadis : Oui. Après vérification de deux avions test, au C.E. V. de Brétigny, un projet d’instruction technique fut établi, devant aboutir à la modification des Jagur. Du reste, mon système demeure amovible.
Il aura fallu un mois pour mettre au point le phare de ravitaillement en vol sur le Jaguar- Une initiative peu coûteuse dont le prompt aboutissement tend à prouver que les problèmes simples peuvent parfois réglés simplement.
Jean Pierre BERTHET, ancien mécano SER au 2/11, m’a proposé une vidéo qu’il a tourné au début des années 80 ; passée au numérique, il s’avère qu’elle a plutôt bien vieillie et qu’à défaut de constituer une œuvre d’art, elle rappellera bien des souvenirs à ceux qui étaient à l’escadron à cette époque. Epoque durant laquelle l’Afrique a tenu un rôle important sur l’activité de la 11ème Escadre de Chasse ; TACAUD en 78/79, suivi de MANTA 83/84 puis d’EPERVIER (86/ fin ?) et j’ oublie d’autres OPEX moins marquantes .
Au menu de cette vidéo :
– Première partie :
– Avions du 1/11 – 2/11 – 3/11 sur le parking de Nancy Ochey (piste de Toul en réfection).
– Tour avion très consciencieux de la part d’un pilote qui ne l’était pas moins.
– Vol avec tonneaux, aux commandes Azam avec son flamboyant casque jaune.
– Deuxième partie : – Ravitaillement en vol (vol convoyage Afrique le 12/03/84 à partir du C135F N°475 Cdt de bord Cdt Dalmas.
– Troisième partie : – Rassemblement sur l’avion de Carrasco, leader d’un box de 4 Jaguar pour de son dernier vol au 2/11 le 13/07/84. Berthet passager camera avec comme pilote Cdt Carbon (et oui ça fait longtemps mais c’est ce qu’est marqué sur le carnet de vol) sur le Jaguar E23.
– Quatrième partie : – Passage au bac sur le parking de Ochey du “Melon” pour son dernier vol à l’escadron en juillet 84.
– Cinquième partie : – Partie mécanos au 2/11 en juin 84
Je remercie très sincèrement Jean Pierre BERTHET de m’avoir communiqué cette vidéo et de m’avoir autorisé à la publier ; ceux du 2/11 de l’époque y trouveront bien évidemment leur compte et pour les autres je suis preneur d’une initiative identique.
En prime, histoire de rafraichir certaines mémoires, BERTHET félicité par CARRASCO et une photo du DETAM TACAUD de l’EC 2/11 en septembre – octobre 1979 (cela ne nous rajeunit pas !)
Ayant appris que ce site était dédié à la 11EC, et un peu par la force des choses à la BA 136, le général RATIE m’a proposé divers documents dont le N° 101 de Reflets.
J’ai scanné toutes les pages y compris celles qui ne comportent que des publicités car cela remémorera forcément de vieux souvenirs et aussi pour montrer que, compte tenu du nombre, la base était bien implantée dans le paysage Toulois et qu’elle constituait un acteur majeur de la vie locale.
D’autres suivront, peut être pas exactement sous cette forme mais témoigneront encore de la période 11EC / BA .
Pour ceux qui souhaitent connaitre ce qu’il s’est passé lors du temps de commandement du Colonel RATIE, je les invite à cliquer sur le lien qui suit “Les années RATIE, 1985 – 1987”
Nonobstant le respect que l’on peut avoir pour les peintres en bâtiment, les Leonardo Da Vinci, les ripolineurs du dimanche ou les Salvator Dali, le qualificatif de « peintre » dans le petit milieu des pilotes de chasse ne peut pas être considéré comme un compliment, loin s’en faut…
Néanmoins, il faut être honnête, le fait de savoir dessiner ne m’a pas toujours desservi. En effet, il apparaissait évident qu’il me revenait d’être en charge du cahier de marche qui a vocation à rapporter la vie de l’escadron sous une forme souvent imagée, parfois sarcastique mais toujours drôle.
Cette fonction annexe m’a toujours suivi dans les escadrons auxquels j’ai appartenu, de la division des vols de Salon de Provence au commandement de l’escadrille SPA 38 du 3/7 « Languedoc » en passant par les fameux 2/11 «Vosges » et 3/11 « Corse ».
Bref, lorsque le lieutenant-colonel Blanc m’a traité de « peintre » en voyant ma création rupestre en campagne de tir (photo 1 et 2), ce n’était pas à l’issu d’un débriefing houleux comme on aurait pu le craindre mais, heureusement, dit avec un petit sourire en coin et à prendre au premier degré.
Seules les responsabilités arrivant avec les années ont eu raison de mes méfaits picturaux, même si j’ai eu une rechute lors de mon passage à l’Ecole de Guerre qui s’appelait encore le Collège Interarmées de Défense à l’époque. L’absence de cahier de marche en état-major y est aussi probablement pour quelque chose.
On m’a souvent demandé comment j’avais appris à dessiner et si j’avais pris des cours. La réponse était toujours la même : « non, j’ai appris à dessiner pendant mes cours de math et j’ai eu beaucoup beaucoup de cours de math !! ».
En fait, j’ai toujours dessiné, d’aussi loin que je me souvienne. J’ai bien acheté quelques livres pour essayer de progresser mais le dessin m’est venu un peu comme cela. Probablement en regardant ma maman dessiner.
Les premiers souvenirs marquants sont les bandes dessinées faites lors des études du soir au Lycée militaire de Saint Cyr et la création d’un mouvement contestataire artistique « The Art » avec mon camarade Hubert Thonet, coincé comme moi le week-end parce que nos parents habitaient loin. Je crois même que l’idée nous est venue lors d’une retenue. A confirmer avec Hubert. Notre action militante se résumait à scotcher nos œuvres format A4 signée « The Art » au stabilo de façon aléatoire dans les couloirs historiques de l’institut de madame de Maintenon. Je vous rassure, ce mouvement n’est jamais sorti de l’enceinte du Lycée, ce qui est probablement mieux pour la recherche artistique en général et nos réputations en particulier.
L’Ecole de l’Air fut pour moi un lieu particulièrement propice à la création, probablement parce que les cours de Thermodynamique et d’astronautique me passionnaient finalement assez peu, comme en témoignent mes résultats, sans parler des intégrales triples dont je ne voyais par directement le lien avec le pilotage des avions de chasse. Bref, l’une de nos premières actions fut de nous créer une « identité visuelle » comme diraient les publicitaires de la fin du siècle dernier (je suppose que le terme a changé depuis). En clair, il nous fallait un insigne de promotion comme le voulait la tradition. Ce fut fait rapidement avec un logo présentant un poussin en son centre dont le sourcil relevé avait été emprunté à mon camarade Rémi Castellarnau, les symboles des trois spécialités de la promo : un mirage 2000 pour les pilotes, un moteur pour les mécanos et un fusil mitrailleur FAMAS pour les Basiers. Sur la partie droite on retrouvait les trois insignes des trois corps. J’avais fait apparaitre l’insigne du brevet para de base pour les mécanos car à cette époque le brevet métallique n’existait pas pour les mécaniciens. Enfin, en fond d’insigne il y avait nos trois couleurs que j’avais fait apparaitre avec des lignes penchées pour être un peu original, mais nous y reviendrons. Ce logo de la promotion « Clément ADER » 1989 de l’Ecole de l’air fut reproduit sous différentes formes : autocollants dont certains doivent toujours trôner fièrement sur les poteaux des remonte-pente d’Ancelles et bien sûr T-Shirts (photo 3).
En parallèle, au cours de l’année, nous avions aussi décidé de créer des insignes de brigade. Aussi, en tant que représentant de la 1ère brigade, j’ai proposé le symbole du lion, à la fois poussé par le fait que c’était le roi des animaux et par le clin d’œil à mon prénom. On pouvait donc y voir un lion doré sur le modèle de celui de Peugeot portant fièrement ce qui représente le poignard d’officier de l’armée de l’air avec en fond le profil d’un Rafale et bien sûr nos 3 couleurs. Je fus rattrapé par cet insigne 30 ans plus tard quand je reçu un mail d’un brigadier de l’école de l’air me demandant des explications sur l’origine des insignes de brigade. Je cachai dans un premier temps ma fierté que l’insigne soit toujours présent à l’Ecole de l’air mais fus très heureux de pouvoir annoncer que c’était notre promotion qui avait instauré cette tradition.
Mais revenons au drapeau en ligne écartées. En août 1990, Saddam Hussein, suivant l’avis de ses conseillers étrangers « bien intentionnés », eu le bon goût d’envahir le Koweït afin de faire revenir dans le giron irakien ce qu’il considérait comme une partie de la Mésopotamie originelle et surtout ses immenses réserves de pétrole. Mais je ne m’étendrai pas sur cette opération à laquelle la 11 EC a héroïquement participé et dont les récits sont nombreux dans les colonnes du bulletin des anciens de la 11 EC. En revanche, il est une anecdote assez drôle sur l’insigne Armée de l’air de l’opération Daguet. A cette époque, il y avait peu d’officiers arabisants dans l’armée de l’air et encore moins dans le corps des officiers renseignement, or, il s’avérait que le brigadier de la seconde brigade, le commandant Philippe Gunet[1], en faisait partie. Il fut donc réquisitionné et envoyé en Arabie saoudite auprès des autorités Air déployées à l’époque pour préparer la reconquête du petit émirat. Une fois sur place, il fut chargé de proposer des versions d’insigne pour l’opération Daguet et il s’inspira du drapeau aux lignes écartées de notre insigne promotion car il trouvait cela très original (cf photo 4 et 5). Il ne m’avoua cela que bien plus tard alors qu’il était général en charge des relations internationales à l’état-major des armées et que je passais dans son bureau pour débriefer mes deux années comme coopérant au Qatar. Le général Gunet nous a malheureusement quitté prématurément des suites d’une longue maladie en 2019. Ce fut pour moi l’occasion de faire un petit dessin en sa mémoire envoyé à sa veuve.
Une autre aventure m’amena l’année suivante à devenir un faussaire en herbe. En effet, ayant vu à la télévision un reportage sur les timbres et en particulier ceux avec des défauts qui devenaient uniques, je suis resté amusé par certains philatélistes qui réalisaient leurs propres timbres expliquant que le fait qu’ils soient oblitérés les rendaient « reconnus » par les PTT. En voilà un challenge à ma hauteur… Je m’attelai donc immédiatement à la tâche en créant un timbre « Ecole de l’air, promotion clément ADER » où l’on voyait le Bâtiment des études, l’Eole et Ader, de couleur bleu-gris avec au-dessus les Alphajets de la patrouille de France (photo 6).
Je découvris un peu plus tard qu’il existait déjà un timbre Ecole de l’Air et que celui-ci ressemblait de façon assez surprenante à celui que j’avais commis et fait oblitérer par la poste (photo 7). Je fis également un timbre 1ère brigade et un timbre promo 1989, jusqu’au jour où je fus convoqué par les brigadiers de la 1ère et deuxième Brigade, les commandants Laurent et Gunet. Ils étaient tombés par hasard sur un de mes timbres lors de la distribution du courrier aux élèves. En effet, pour savoir si les timbres étaient validés par les PTT, je me les adressais avec à chaque fois ce petit pincement au cœur de la crainte de me faire prendre. « Vous ne vous rendez pas compte ! faire des faux est passible de 300 000 francs d’amende, bien plus que ce que ma solde me permettait d’économiser, et de 10 ans de prison, ce qui me faisait abandonner tout espoir d’être pilote de chasse ! vous êtes inconscient. Et la réputation de l’école ? ». Ayant pris conscience du crime que je commettais, je décidai d’inscrire République « Françoise » avec une faute d’orthographe pour éviter de longues années dans les bagnes français dont je me voyais déjà risquer la peine (photo 8). Finalement, ce fut donc le coup d’arrêt à mon aventure philatélique dont je ne garde que quelques souvenirs et deux ou trois timbres.
Arrivant à la division des vols, je découvris l’existence des cahiers de marche qui avaient vocation à garder en mémoire les faits marquants de l’Unité. Je me suis d’ailleurs rendu compte plus tard lors des dissolutions des escadrons de la 11ème escadre, en consultant tous les cahiers de marche que nous avions rapatriés pour l’occasion, que ces gros livres étaient à la fois les témoins de la vie de l’unité mais aussi d’une époque avec son humour, sa calligraphie et son style de dessin. : Me voilà donc arrivant au 3ème Escadron d’instruction en Vol prêt à attaquer mes premiers vols sur Fouga Magister. Cette arrivée fut l’occasion de marquer le coup en caricaturant l’ensemble des moniteurs. La complexité de l’exercice fut de réaliser un montage en relief qui se déployait lorsque l’on ouvrait le cahier de marche. L’exercice n’était pas simple et je dû y consacrer pas mal de temps au détriment de la révision de mes procédures. Mais ce ne fut pas du temps perdu car ce fut un succès immédiat qui me propulsa responsable du cahier. Je suppose qu’il doit être encore à la DV ou archivé au Service Historique des armées.
Tout s’étant bien passé à Salon, je poursuivis vers l’Ecole de chasse de Tours. Là encore, notre esprit tribal nous poussait à avoir des signes d’appartenance et le T-Shirt d’escadron en faisait partie. La confection de T-Shirt est d’ailleurs devenue quasiment une tradition pour moi dans toutes les unités où je suis passé : 3èmeEscadron d’Instruction en Vol, école de chasse, 2/11 « Vosges » etc…, détachements opérationnels et même lors de mon retour à la Division des vols de Salon comme commandant d’escadrille (cf photos 9, 10 et 11).
A l’issue de l’amphithéâtre de Cazaux, je sortis 1er de mon groupe et pu choisir mon affectation. Alors que j’aurai pu aller su M2000 à Dijon ou Orange, je choisi d’aller à la 11 sur Jaguar. Mais avant de rejoindre l’escadron, il fallait à l’époque passer par Saint-Dizier pour la transformation sur Jaguar. L’arrivée au 2/7 fut l’occasion de changer d’échelle après les cahiers de marche et les T-Shirts car l’unité allait bientôt fêter ses 20 ans et ses escadrilles leurs 80 ans. Je participai à la proposition de projets de peinture d’un Jaguar B et ce fut le mien qui fut retenu. Le design était assez classique et symétrique, voire presque stalinien comparé aux décorations actuelles, mais nos moyens étaient assez limités (cf Photo 12 et 13). Si l’enthousiasme au lancement du projet était indéniable, nous nous rendîmes vite compte que la réalisation ne serait pas si simple, compte tenu de la taille importante de l’avion. Jouant de ruse avec le rétroprojecteur et d’habileté dans la découpe du scotch de peintre, nous finirent à temps la livrée de l’avion pour la cérémonie, après quelques journées et soirées à peindre l’avion.
Enfin, je pu rejoindre Toul-Rozières et le 2/11 où le cahier de marche fut une de mes taches annexe. Outre la présentation des pilotes de l’escadron (qu’à priori je n’eus pas le temps de finir), mon rôle consista donc à faire état des différents événements de l’escadron : Ejection du lieutenant Bresse (photo 14), sortie du taxyway de Razafimaro (photo 15), ou reprise d’une anecdote d’Incirlik où des Jaguars avaient rassemblé des F111 américains que ces derniers avaient pris pour des avions syriens…(photos 16, 17, 18 et 19) Cela pouvait être sur mon initiative ou sur commande quand certains avaient les idées mais pas forcément le coup de crayon (photo 20 et 21). Un des sujets était bien sûr de se moquer des autres escadrons de Jaguar mais également des pilotes de défense aérienne, sujet inépuisable… Malheureusement, l’escadron fut endeuillé à deux reprises en trois mois début 1995 et cela plomba un peu l’ambiance pour être honnête. Néanmoins, l’occasion de ma première campagne de tir fut l’occasion de découvrir l’escadron de passage de la base de Cazaux et ses peintures rupestres laissées par les Michel-Ange des escadrons. Le 2/11 ne pouvait donc pas décemment passer sans laisser sa trace. Je fus donc désigné pour marquer notre passage comme en témoigne les photos du cahier de marche. Le style de la peinture était assez « corps de garde » il faut être honnête mais le dessin fut apprécié et décliné en T-Shirt un peu plus tard (cf Photo 1). J’eu l’occasion de refaire d’autres peintures à Cazaux voire même à Solenzara lors d’un détachement sur Tucano (photo 22).
Bien plus tard, après avoir réussi le concours d’entrée au Collège Interarmées de Défense, je rejoignis Paris et les bancs de l’Ecole Militaire pour y profiter d’un enseignement de qualité. J’y retrouvai l’ambiance promotion connue 15 ans plus tôt à Salon même si cette fois nous étions 320 stagiaires de toutes les armées et de 70 nationalités différentes. Les conférences quoique souvent très intéressantes, me donnaient l’occasion de faire des dessins humoristiques. Je ne pus pas résister à la tentation et réalisa quelques « crobards » dès les premiers jours de la rentrée. Je les partageai avec mon bi-groupe et des copies numériques ne tardèrent pas à se retrouver sur le réseau informatique de l’Ecole où mon cadre professeur les intercepta très vite. J’avoue qu’en signant mes dessins « Lio », je prenais le risque d’être rapidement identifié. Mon cadre, par ailleurs très sympathique, se sentit obligé de me sermonner et cela mis fin à ma production de caricatures et autres dessins humoristiques. Mais quelques jours plus tard, toute la promotion reçu un mail s’inquiétant de ne pas voir de « crobard » suite aux dernières conférences… ce dernier était signe général Flichy, directeur du collège interarmées de défense ! Nous prîmes donc cela comme une autorisation et je découvris rapidement deux acolytes, un terrien et un gendarme. Notre production fut si importante que l’on put confectionner un recueil en fin d’année que l’ensemble des stagiaires eut la possibilité de remporter chez soi (photo 23 et 24).
Cette année à Paris, fut également l’occasion pour moi de gagner un pari. En partant de Salon-de-Provence où j’étais instructeur, je fis le pari que je mettrai ma tête sur la plaquette de l’association des anciens de l’Ecole de l’Air vendue chaque année lors du Gala de charité de l’association. Mon plan était simple. Je savais que c’était un groupe de stagiaires du CID qui devaient se charger chaque année de la conception de cette plaquette… il ne me restait plus qu’à me porter volontaire, sachant que les prétendants ne se bousculeraient pas. Une fois au sein du comité, je fis un peu de lobbying pour proposer un thème qui me tenait à cœur : « les peintres et les écrivains de l’Air ». L’idée était de faire une plaquette un peu originale qui ne soit pas qu’historique ou trop technique. Avec un peu de chance, notre sujet fut accepté pas le comité du Gala et nous pûmes nous mettre à la tâche. Je me suis alors proposé de faire un tableau pour la couverture illustrant les Clostermann, Saint-Exupery et autre Leonardo da Vinci (vision large des peintres de l’air !). M’inspirant du triple auto-portrait de Norman Rockwell (photo 28), je fis une composition représentant un peintre se peignant lui-même avec quelques détails aéronautiques (cf photo 25). La peinture fut acceptée pour la couverture et le pari réussi…
Les années faisant et les responsabilités aidant… je fus moins productif. Quelques toiles lors de mon passage au Qatar, mais l’ambiance en état-major opérationnel ou en Ambassade n’est pas celle en escadron … à fortiori ceux de la 11 EC !
Je ne désespère pas de reprendre les crayons et les pinceaux un jour, il y a en effet plein de projets qui attendent dans mes cartons mais je n’ai pas vraiment le temps pour l’instant.