Pierre AMARGER nous a quittés

Amarger commandant du 2/11

        Pierre AMARGER était un pur produit de la FATAC puisque n’ayant connu que la 11ème et 7ème Escadre ; arrivé PIM au 2/11 il y fit toute sa carrière, car après son escadrille et 2 ans à Salon pour encadrer les jeunes élèves, il était revenu pour commander l’escadron. A la suite il fit mouvement vers Saint Dizier pour prendre l’Escadre. 

        Pierre était quelqu’un d’entier, avec qui c’était plutôt blanc ou noir  laissant peu de place au gris et par conséquence qui ne laissait pas grand monde indifférent. Il avait une foi inébranlable en “la mission” comme il disait, mais cela présentait l’avantage de savoir où on allait, n’hésitant pas à monter au créneau lorsque la cause à défendre lui paraissait juste. 

      C’est aussi vrai que cela l’amenait à avoir des comportements ou attitudes très tranchées et parfois surprenantes. Je me souviens qu’à l’issue d’une mission d’entrainement BCP lambda, il était rentré dans une colère noire, car le candidat leader de la patrouille avait réagi trop mollement à son ordre en vol d’effectuer un break face à une menace fictive ; le débriefing s’était résumé au seul mot qu’il avait écrit sur le cahier d’ordre “NUL !”. 

     Il en était de même pour les avions sur lesquels il avait volé ; à la fin de sa carrière, il avait probablement plus d’heures de Jaguar que de F 100, mais la référence (et de très loin) était cet avion américain, cet avion d’homme qui possédait en autre,  une position de la manette de train qui permettait de le rentrer de force à travers les trappes si celles-ci étaient récalcitrantes. Il faut aussi dire qu’il avait dû s’éjecter sur Jaguar du coté de Dieulouard suite à un foudroiement qui avait provoqué un feu moteur. 

      Il a connu les premiers pas de la Guerre Electronique” et s’était beaucoup investi dans le domaine et dans ses conséquence opérationnelles. C’est lui qui avait transformé le “Jink” ramené du premier Red Flag en attaque double manivelle (en fait qui n’était que simple), qui a facilité et poussé la mise au point et l’installation du lance-leurre de queue et qui avait demandé (sans succès) de transformer l’outil de maintenance des Crotale en simulateur car il avait la capacité de restituer l’efficacité des contre-mesure face à ce système sol-air. 

Toujours très attaché à la 11EC, il était l’auteur de plusieurs articles publiés sur ce site ; 

 Mise en service et prise en compte des CME (Contre Mesure Electronique) de 1976 à 1993

La Défense des couloirs de Berlin

– F 100, surprise à l’atterrissage

Henri HAYE dit “La Fouine” nous a quitté

Henri HAYE dit "La Fouine"

Henri HAYE est décédé ce matin. 

“La Fouine” figure de l’Armée de l’Air a effectué plus de 14 000 heures de vol dont 4000 heures sur F 100 . “Un des plus beau carnet de vol de l’Armée de l’Air” , telle était la phrase que le Colonel PACHEBAT, commandant la 8EC avait prononcé lors de son départ à la retraite.

Je lui avais consacré un article https://www.pilote-chasse-11ec.com/henri-hay-dit-la-fouine/  et Frédéric LERT, journaliste au “Fana de l’Aviation” en avait rédigé un autre d’une quinzaine de  pages https://www.pilote-chasse-11ec.com/fouine/  , articles qui étaient le reflet d’une carrière aéronautique exceptionnelle. 

On te souhaite un bon dernier vol et toutes nos pensées accompagnent tes 3 enfants Stéphane, Lionel et Christelle. 

La Fouine lors de la remise de la médaille militaire
La Fouine lors de la remise de la médaille militaire

Le “Fana de l’Aviation” met à l’honneur Henri HAYE dit “La fouine”

Le Fana et La Fouine

Henri HAYE dit “La fouine” est le pilote aux 4000 heures de F 100 qui a terminé  avec plus de 14 000 heures au total. Je vous avais proposé il y a un peu moins d’un an, un article https://www.pilote-chasse-11ec.com/henri-hay-dit-la-fouine/  racontant brièvement sa carrière qui a commencé aux Etats Unis en 1953 et qui l’a amené à un tel palmarès qu’on ne reverra plus jamais dans l’Armée de l’Air. 

Cette fois, j’y reviens mais pour vous signaler que c’est le magazine “Le Fana de l’Aviation” qui lui consacre un article et la “Une” du mois d’Octobre. On passe dans la catégorie “professionnelle” et l’auteur Frédéric LERT, après avoir passé plusieurs journées avec Henri, nous fait revivre l’ensemble d’une carrière exceptionnelle dans ces 14 pages qui lui sont dédiées.  

Article qui se lit d’une traite et le seul regret qu’on a l’issue est qu’il n’en raconte pas plus. Je vous invite donc de le lire par vous-mêmes ; vous ne serez pas déçus. Je termine en citant la dernière phrase que Frédéric LERT a écrit à ce sujet et qui à mon avis résume la carrière exemplaire de “La Fouine” : “Au dos de la dernière page du carnet de vol, le lieutenant-colonel Pachebat, commandant la 8ième Escadre a tracé ces quelques mots : “Avec mes compliments pour ce carnet de vol, sans doute un des plus beau de l’Armée de l’Air”. 

Avec l’autorisation de l’auteur, les deux premières pages de l’article. 

La Fouine 1
La Fouine 1
La Fouine 2
La Fouine 2

Jean Luc MANSION dit “Schnappy” nous a quittés.

Jean Luc MANSION dit "Schnappy"

Jean Luc MANSION décédé le 27 Mai 2020, restera dans l’histoire de la 11EC et de l’Armée de l’Air comme le leader de la première mission effectuée lors de la “Guerre du Golfe”. Il était alors commandant de l’escadron 2/11 VOSGES et à la tête des 12 Jaguar qui ont attaqué le terrain d’Al Jaber. Ce fut une mission dantesque.

La préparation ; l’ATO (Air Task Order, le document qui donne à l’ensemble des participants, les élément nécessaires pour préparer la mission (objectif, heure sur objectif, ravitailleur,…) est arrivé tard dans la nuit ce qui laissa peut de temps et fit en sorte que Jean Luc ne put bénéficier que d’un temps de sommeil très court (voire pas du tout). La situation tactique fournie par les officiers de renseignements s’est révélée à posteriori très “approximative” et le tout interrompu de temps en temps par des alertes “SCUD”. Bref, vraiment pas les conditions idéales.

L’exécution ; je vous renvoie aux différents récits (voir ci-dessous) que les pilotes de la mission en ont fait, mais pour résumer ils ont pris cher comme on dit maintenant. Cela a commencé par les bombes des F 16 de la National Guard US qui étaient en retard sur l’horaire initialement prévu et qui ont largué juste avant l’arrivée des Jaguar. Mais surtout il y a eu le comité d’accueil très fourni qui infligea des dégâts sérieux à quatre avions. C’était du jamais vu ; un des pilotes de la patrouille m’a raconté que pendant la phase d’approche il volait très bas (vers 100 feet) et qu’en voyant les traçants de l’artillerie anti-aérienne lui passer au dessus, il avait baissé la tête et poussé sur le manche pour passer en dessous et tout ça à 500 kts… Une catastrophe évitée de trois fois rien à l’image de la balle qui a entamé le casque de Charly ; à 1 cm près il n’en revenait pas.

L’histoire se termina bien puisque l’objectif fut traité et que tous les avions sont rentrés en plus ou moins bon état, mais cette mission marqua les esprits, surtout ceux des participants qui se retrouvent chaque année à la date anniversaire. L’année prochaine, celle des trente ans, ce sera malheureusement sans leur chef.

Jean Luc en tant que commandant d’unité a été leader avec succès d’une mission de guerre à la tête de ses troupes ce qui ne peut que forcer le respect, car ce n’est pas par hasard qu’on mène à bien ce genre de mission. Cela nécessite, compétence, expérience et l’adhésion de ses subordonnés.

“Charly” MAHAGNE qui l’a eu comme chef au 2/11 et qui fut un des équipiers de la patrouille m’a fait parvenir ce texte. 

Le Général Jean-Luc Mansion

Le Commandant Mansion nous arrive à l’été 1999 directement de l’académie des chasseurs aux yeux bleus, le grand 2/2 Côtes d’or. Son expérience est indéniable même si son ressenti de la barque à fond plat le laisse perplexe. A son poste de commandant en second il se fait très rapidement une place de choix au sein de l’escadron. Et la guerre électronique devient pour lui une mission à part entière. Il est très apprécié et son premier détachement à Bangui se passe à merveille au milieu d’une bande de joyeux lurons de CP et Sous CP.

C’est en 1990 qu’il prend le commandement de l’escadron 2/11 Vosges. Tout de suite, il s’affirme et on l’apprécie comme chef. Il est ferme, exigent mais juste.

En août, Le Koweït est envahi par l’Irak de Saddam Hussein. Dès lors, il n’a de cesse de préparer son escadron au départ pour la guerre. Tel un chef de guerre, il prendra la tête de ses troupes pour une première mission du D Day, jugée à risques et qui s’avéra périlleuse. Mais comme souvent, il a eu « la baraqua » et a ramené ses 12 pilotes au bercail.

C’est d’ailleurs lui qui a tenu à conserver cette union sacrée créée ce jour-là par une commémoration des douze familles tous les ans autour du 17 janvier.

Son commandement de l’EC 1/4 Dauphiné à Luxeuil puis de la Base Aérienne 126 de Solenzara n’ont fait que consacrer cet homme dont la fierté était celle de l’institution. D’autant diront que c’était une grande gueule dans le métier, peut-être, mais toujours à bon escient et pour le bien du service.

« Mon Général, mon ami, malgré tous tes efforts et le soutien que t’ont apporté tes proches, les portes de la vie ont fini par se refermer sur toi. Saches, où que tu te trouves, que je trinquerai souvent en pensant à toi, moi qui suis si fier d’avoir été sous tes ordres. »

                                                                       Alain MAHAGNE « Charly »

Quelques témoignages de cette mission.

– Le récit de “Schnappy” https://www.dailymotion.com/video/xgnywl?fbclid=IwAR2CROyeCLbj6RrK_OObW2odxNMJdbFd8J5iTxOhzEig9Jw_ns9SC5nKJ6M

La mission racontée par Charly

Seul au dessus du désert par Bonnaffoux 

Attaque du terrain d’Al Jaber par Schwebel 

Souvenirs de guerre d’un mécanicien du GC 1/3

Gaillagot

Les hasards de la vie m’ont fait rencontrer Georges GAILLAGOT un mécanicien du GC 1/3 ayant appartenu à l’escadrille du “Chat” dont les traditions ont été reprises plus tard par l’escadron de chasse 03/011″CORSE”. A la demande de ses enfants, il a écrit ses mémoires, racontant comment il a vécu lors de la deuxième guerre mondiale, décrivant surtout ses conditions de vie. 

Cet article comporte deux parties : la première est celle que Georges a passée dans l’Armée de l’Air et la seconde concerne ce qu’il a vécu avant. 

Cette vie dans l’artillerie a assez duré. Je fais une demande pour réintégrer l’armée dans laquelle je me suis engagé : l’aviation. Ma demande est acceptée assez rapidement et je suis convoqué à Blida. De là j’obtiens une permission de 8 jours rapport au fait que depuis le début de notre arrivée en Afrique nous n’en avons pas obtenue. Pour ces vacances il m’est proposé un séjour chez une famille pied noir rue de la glacière à Alger. L’accueil dans cette maison est très sympathique et ma première occupation est de faire une très grande toilette. Il y avait longtemps que je ne m’étais pas senti autant à l’aise car il faut bien imaginer que depuis de longs mois l’hygiène manquait beaucoup et tout à coup j’avais l’impression de rajeunir. La famille est composée de la mère, du père et de la fille, une jeune de 16 ans environ dont l’accueil très sympathique m’avait redonné le moral ; la jeune fille m’accompagnait à Alger pour me faire visiter, la maman de son côté faisait tout pour rendre mon séjour agréable. Il est dommage que peu de temps avant la fin du séjour un échange de mots avec le père ait créé un fossé que je ne pouvais pas supporter davantage. Ainsi le lendemain je prenais congé de la maman et de la fille, les remerciant de leur accueil chaleureux et m’excusant de ma décision mais l’accusation du mari disant que les Français venaient en Algérie pour manger le pain des Algériens n’était pas acceptable ; la maman et la fille étaient très confuses de ce qui s’était passé et s’excusaient. Me voici revenu à Blida où je ne vais pas rester très longtemps. En effet, une note de service demande aux volontaires de se présenter pour une inscription, soit à l’école d’officiers de Cherchell soit à l’école de spécialistes d’Agadir. N’ayant pas l’intention de faire carrière dans l’armée mais préférant rentrer en France le plus tôt possible, je choisis Agadir.

Agadir
Agadir

Je passe un petit examen technique qui était en fait un exercice de physique, ce qui ne me posa aucun problème. Avant d’avoir le résultat, je rencontre un ami de La Bastide dans un bar d’Alger, un nommé Médat qui avait fui la France en passant par l’Espagne et qui s’apprêtait à partir comme parachutiste à Londres. Cette idée d’être plus vite en France me donna envie de faire une demande pour accéder à cette unité. Malheureusement le lieutenant Demenant de la chefferie de l’air me prévint que je n’aurai pas l’autorisation de partir et si je devais le faire sans autorisation je risquais 45 jours de prison. Je n’avais pas réfléchi au fait que j’appartenais à l’armée de Giraud alors que mon ami faisait partie de l’armée De Gaulle ! Toujours est-il que quelques jours plus tard j’obtenais ma nomination à l’école d’Agadir où nous ne sommes pas très nombreux mais cela n’a pas d’importance.

Agadir visite du général Clark
Agadir visite du général Clark

Départ pour Agadir ; je pars par le train d’Alger, arrêt à Oudjda à la frontière Marocaine, arrêt prolongé, si bien qu’il a fallu cinq jours pour faire le parcours Alger Agadir. Nous arrivons à Agadir où nous sommes conduits vers le sud afin d’être logés dans un fort. Très rapidement nous sommes mis au travail car, il faut faire vite pour former les spécialistes nécessaires à l’équipement des divers groupes aériens qui seront formés avec le matériel que nous amènent les Américains et les Anglais. Les études et travaux pratiques sont accélérés, il faut s’accrocher, tout s’effectue dans un grand hangar près de la piste d’atterrissage. Ces hangars qui avaient été vidés de leur contenu étaient par contre remplis de carcasses décortiquées d’avions qui allaient nous permettre de nous familiariser avec nos nouvelles activités. Nous effectuons quotidiennement le trajet pour rejoindre le fort. Un jour il nous a été demandé s’il y un volontaire pour rester la nuit dans le hangar afin d’y effectuer la garde ; je le fus et m’installais tant bien que mal. L’avantage, que j’avais prévu, était de pouvoir continuer à travailler le soir, de ne pas perdre de temps dans le transport journalier et de na pas avoir cette limite de l’extinction des feux ce qui me permettait de travailler en m’éclairant avec des morceaux de plexiglas provenant de cockpits d’avions que je faisais brûler. Mon installation était sommaire, un lit, une paillasse, un WC et un lavabo le tout dans un immense hangar. Ce que j’avais oublié c’est que la nuit comme nous sommes près du désert, la température par rapport au fort est très froide, ce qui m’obligeait à m’entourer de ma ceinture de flanelle. Pendant les trois mois que dura le stage nous suivions également l’entrainement de mitrailleur sur des appareils américains, ce qui n’était pas désagréable. Nous ne savions pas dans quelle unité nous allions être affectés, aussi fallait-il être prêts. Pendant cette période j’ai eu l’occasion unique d’entrer en relation avec des amis que mes parents avaient connus à Rochefort et qui habitaient à Casablanca. C’est ainsi que j’ai pu obtenir une permission de quitter Agadir pendant deux jours et de visiter cette belle ville, ce qui m’a permis de bavarder tout en changeant d’horizon et d’évoquer des souvenirs car nous avions beaucoup de choses en commun. Il faut aussi dire que ces personnes au demeurant très sympathiques avaient des vues sur moi pour leur fille. Nous avons communiqué par lettre et les choses en sont restées là. Ce que je devrais ajouter pour que le tableau soit complet c’est d’évoquer la manière dont s’est passé le voyage aller. Parti le matin de bonne heure j’ai eu l’occasion de connaitre ce qu’est un nuage de criquets, la route donnait l’impression d’être verglacée avec l’épaisseur de ces insectes écrasés, quant à la nature on se serait cru en hiver chez nous car il n’y avait plus une feuille aux arbres. Le séjour à Agadir terminé, diplôme en poche nous sommes dirigés vers Marrakech où nous séjournons quelques jours ; nouvelle ville à visiter, puis, nous voilà reparti du Maroc en direction d’Alger.

Alger nous accueille avec son beau soleil, bien que nous n’en ayons pas manqué à Agadir, provisoirement hébergés au fort des Arcades en attendant notre affectation. Là nous avons eu droit au spectacle du bombardement du port d’Alger et ce fût un feu d’artifice superbe avec les tirs de D.C.A et des divers navires de guerre encrés dans le port, il y avait là au moins deux mille bouches à feu. Ainsi pour la première fois nous assistions à tout cela en spectateurs. Pendant le séjour à Alger nous sommes équipés à l’anglaise, Battle Dress (sorte de blouson), calot, etc…

En Tunisie en tenue anglaise
En Tunisie en tenue anglaise

Nous avons aussi et cela est plus intéressant la possibilité de profiter de la cantine anglaise dans laquelle nous buvions du thé ou du chocolat avec du pain blanc, genre pain de mie. Nous nous régalons de tout cela car la nourriture au fort des arcades n’est pas d’excellente qualité, seul le vin étant bon. Enfin l’affectation arrive c’est au groupe de chasse 1/3 « Corse » escadrille des “Chats” que je vais rejoindre. Nous embarquons au port d’Alger à bord de gros bateaux et cette fois-ci, je suis à bord de « l’EI Biard » qui suit le « Marakech » et un autre navire dont je ne me rappelle plus le nom. Encadrés de croiseurs, de contre -torpilleurs, de dragueurs de mines durant le trajet ilsl nous arrivent de voir des mines flottantes et nous faisons beaucoup de zig-zag pour échapper un peu aux sous-marins allemands, lesquels sont surveillés par tous les navires qui nous encadrent. Pourtant nous sommes passés près d’un torpillage ; en effet, malgré la surveillance, un sous-marin s’était infiltré dans le convoi, et là encore la chance m’a souri ou plutôt nous a souri car une torpille est passée devant et une autre derrière notre navire sans faire mouche.

Après ce très long parcours, nous apercevons la Corse, Ajaccio nous sourit. Le nettoyage a été fait par les commandos et la résistance Corse et ils ont bien fait le boulot. Le débarquement s’effectue dans de très bonnes conditions, rien de notre matériel n’a souffert et il nous reste à rejoindre « Campo D’el Lorro », terrain d’atterrissage qui a été épargné et que le génie aura très vite fait de remettre en état ; les grilles perforées américaines étant idéales pour cela. A mon arrivée en Corse je suis nommé caporal car le commandant ne supporte pas que le chef d’une chaîne soit un deuxième classe, et comme je suis diplômé de l’école d’Agadir je suis nommé responsable du service radio électrique de l’escadrille.

Les mécaniciens à Bastia
Les mécaniciens à Bastia

Trois jours après notre arrivée ce sont les Spitfires, avions de chasse anglais qui nous arrivent. Les pilotes que nous ne connaissons pas encore sont pour la plupart très sympathiques, il y a parmi eux des sous-officiers dont un que l’on surnomme Moustache et qui est particulièrement sympa, son surnom venant de ce qu’il a une moustache du type Clark Gable comme je l’avais laissée pousser au Maroc.

Travail mécanicien à Borgio Bastia 1943
Travail mécanicien à Borgio Bastia 1943

Immédiatement il faut se mettre au travail. J’ai déjà organisé les tentes qui nous sont affectées, celle du couchage, du matériel ; tout est en place mais la grande difficulté pour nous c’est la découverte de ce nouveau matériel car lors de notre formation nous n’avions travaillé que sur du matériel américain. Je fais le tour du premier avion avec un mécanicien qui était déjà en Algérie avec ces appareils et en une heure l’affaire est réglée. Je donne alors les ordres à mes copains du service pour que tout fonctionne bien et que chaque matériel soit en place. Il faut faire vite car les missions ne vont pas tarder, notamment sur l’Italie car nous sommes très près de l’île d’Elbe où les Allemands sont bien incrustés et des côtes Italiennes, il y a du travail en perspective. C’est en effet sur tous les fronts qu’il faut intervenir à tour de rôle. Tout se passe bien également avec la population civile, les personnes âgées en particulier sont très sympathiques, peut-être sont-elles émues de voir tant de jeunes parmi nous. Notre séjour à Ajaccio va se poursuivre sans trop de casse ; seulement deux avions descendus, un autre dont le pilote faisait un essai et qui est venu s’écraser sur la piste sans avoir eu le temps d’ouvrir son parachute. Depuis la Tunisie je n’avais plus eu l’occasion de voir un homme, ami qui plus est, dont il fallait ramasser les divers morceaux épars dans son parachute. Les collègues secouristes du service de santé faisaient là leur baptême du feu.

Avant le débarquement sur l’île d’Elbe qui doit avoir lieu rapidement nous sommes transportés à Bastia, Borgo plus exactement. C’est le 17 juin qu’aura lieu ce débarquement et nous partons donc avant par la route, cette fameuse route dont nous avons entendu parler, qui passe par le col de Vitsavone et où nous avons perdu corps et bien un camion qui a versé dans le ravin.

Notre escadrille participe très activement aux opérations. Le débarquement est effectué par des troupes pour la plupart sont coloniales, commandos, chocs, tirailleurs, tabors. Ce sont deux cents bateaux qui prennent la mer pour cette opération qui aura coûté assez cher en hommes car les allemands avaient en effet préparé de vrais pièges ; par exemple, ils avaient installé des filins d’acier en travers des routes menant au bord de mer de manière à décapiter les hommes qui arrivent avec leurs Jeep et c’est à partir de cette période que les véhicules ont été pourvus de barres avec une encoche pour couper ce filin. Nous sommes bien installés à Borgo dans la colline qui domine la mer mais dans les arbres de manière à être à l’abri de l’aviation allemande. Les tentes à quatre dans lesquelles nous sommes logés sont disséminées, les pilotes eux sont dans des maisons dans le village même au-dessus de nous. En ce qui concerne la piste d’atterrissage, elle se trouve en bord de mer, là où sont réunis les groupes 1/3 — 1/7 —2/33, ce dernier étant le groupe de reconnaissance équipé de Lightning connu pour avoir comme pilote Antoine de Saint Exupéry que j’ai eu l’occasion de croiser sur la piste et que j’ai vu lors de son dernier décollage avant qu’il ne soit descendu par un pilote allemand, c’est tout au moins ce qu’un allemand a revendiqué.

Les journées sont très longues car nous sommes en alerte du matin 2 heures jusqu’au soir 23 heures. Nous prenons un casse-croûte le matin sur la piste et le soir après avoir rangé tout le matériel et laissé le service de garde sur le terrain nous rejoignons le campement par une route très accidentée comme on les rencontre en Corse. En arrivant nous avons des tirailleurs Sénégalais chargés de la surveillance de nos installations qui nous font chauffer de l’eau dans des bidons de 200 litres, ce qui nous permet de nous doucher et comme les journées sont très chaudes cela nous remet en forme. Il nous arrive cependant malgré la fatigue et le manque de sommeil de terminer la soirée au village de Borgo où nous rencontrons de braves paysans qui nous paient à boire pour que nous leur donnions des nouvelles de leur maison sur le continent alors que nous ne pouvions pas connaître ce qu’il s’y passait. A notre arrivée en Corse, nous avons été équipés de vêtements américains. Il est vrai que l’aviation est intégrée à l’armée américaine ; vêtements bien taillés, matériel de toilette et d’hygiène etc.., excepté l’armement qui pour l’instant est la mitraillette Sten qui sera par la suite échangée contre la Thomson. En ce qui concerne la nourriture elle est assez bonne sauf lorsque le chef du ravitaillement fait des achats trop importants et que nous sommes obligés de manger la même chose pendant un certain temps. Par exemple, un jour les choux fleurs devaient être bon marché et nous en avons mangé jusqu’à extinction c’est à dire en état proche de la pourriture. Notre cuisinier n’était en rien dans tout cela et il avait assez de mal à cuisiner dans les conditions où il se trouvait (fourneau bricolé à l’essence) et c’est ainsi qu’un cuisinier est mort de ses brûlures.  Je viens d’être nommé sergent, passant directement de caporal sans le grade intermédiaire de caporal-chef, et je m’emploie à fabriquer mes galons avec du cuivre pour ne pas avoir à les coudre et recoudre lors du lavage. En ce qui concerne notre lavage nous nous débrouillons assez bien, pour ce qui est du linge de piste c’est à dire avec les combinaisons que nous trempons dans des bacs d’essence ce qui permet de nettoyer les taches de graisse et de laver en même temps, en revanche pour le linge de corps, nous le lavons dans notre casque (pas celui dans lequel où nous mangeons notre soupe). Nous sommes de plus en plus pressés d’avoir des nouvelles du débarquement en Normandie et piaffons d’impatience de rentrer dans le grand cirque pour retrouver enfin la France ou tout au moins le continent comme ils disent en Corse. Enfin après de très longs mois je reçois des nouvelles par message de la croix rouge, de maman et de la famille qui sont très anciens car comme moi ils ont beaucoup voyagé avec mes changements nombreux d’affectation et de pays. Quand on pense que dans l’armée elle-même, ils m’ont recherché comme déserteur à Agadir après la campagne de Tunisie.

Ces derniers jours en Corse se passent bien car les Allemands n’ont plus la maîtrise du ciel avec tous les fronts auxquels ils ont à faire face. Nous avons ainsi la possibilité de nous distraire et c’est ainsi que pour le 14 juillet 1944, laissant une équipe d’alerte sur place, nous sommes invités par la population d’un petit village dont j’ai oublié le nom ; grande fête chacun de nous étant invité dans une famille, une salle avait été préparée pour le bal et là pour la première fois de ma vie j’ai eu l’occasion de danser avec la jeune fille de la famille qui m’avait reçu. Cela nous a remonté le moral tout comme le fait que le débarquement de Normandie semblait bien se passer et que j’avais reçu des nouvelles même anciennes.

Fin juillet, j’apprends que St Ex n’est pas rentré ; parti pour une mission de reconnaissance à bord de son P-38 afin de photographier les positions allemandes sur le continent, j’avais assisté à son départ le matin même. Nous avons aussi perdu deux avions et ne savons rien des pilotes. Avant de quitter Borgo nous avons le plaisir de recevoir la visite de notre marraine de guerre Joséphine Baker en superbe tenue d’officier de l’armée de l’air. Au mois d’août 1944 nous sommes transférés à Calvi, au moins pour ceux qui sont chargés de préparer le matériel nécessaire pour accueillir les avions en France, les autres restant avec les appareils sur place à Borgo, pour assurer la sécurité. Nos tentes sont installées sur la plage en face du port de Calvi, et heureusement que les Allemands ne viennent pas aussi souvent dans notre secteur car nous serions en danger et sans défense. Nous avons la chance avant le grand jour de profiter de cette période qui nous donne l’impression d’être en vacances ; cela durera une huitaine de jours et nous nous baignons faisant même un bain de minuit. Le camp lui-même est un bazar indescriptible à un tel point que notre chocolat qui avait été posé sans précaution au soleil fondait et que les vaches corses qui sont amateur de chocolat nous en ont mangé une certaine quantité.

Tous les jours nous surveillons pour apercevoir des navires à quai, le temps paraît long !  Puis un jour nous voilà rassurés, le bateau qui va se joindre à l’armada est à quai. Personne ne traîne lorsque l’ordre de démonter les tentes est donné, pour ranger le matériel se mettre en tenue de combat, la mitraillette chargée, les chargeurs également garnis etc. L’embarquement s’effectue le soir même ; un de mes camarade Edneff à peine monté sur le bateau tombe malade, le sera jusqu’au bout et sera ramené à terre  sur une civière plus tard que tout le monde . Les groupes d’assaut ont débarqué et nous arrivons après le gros de la bataille ; il y a là une quantité de bateaux impressionnante car nous sommes accompagnés par des troupes très diverses qui viennent de tous les horizons en plus des bâtiments de guerre qui continuent à bombarder le continent. Les avions anglais et américains n’arrêtent pas de passer au-dessus de nous et viennent pour la plupart d’Italie. Les plages sont nettoyées lorsque nous débarquons et nous voyons des pièces d’artillerie qui ne sont plus dangereuses car détruites par les commandos. Le débarquement s’effectue sur plusieurs plages, nous nous arrivons au Dramont entre St Raphael et Ste Maxime. Là nous allons installer nos tentes dès que nous allons trouver un point sans trop de danger ; puis ce sera la remontée vers le nord. Marseille et Toulon étant pris très rapidement rien ne s’oppose à une remontée rapide. Notre installation suivante sera Salon de Provence où nous recevrons nos avions après avoir organisé le terrain.

Notre séjour à Salon ne sera pas très long car l’avancée est spectaculaire ; les FFI participent à cette chasse, font sauter des ponts et des voies de chemin de fer ce qui bloque les groupes allemands, qui seront ensuite attaqués par notre aviation, celle des Allemands étant beaucoup moins puissante qu’elle ne le fût car la dispersion sur tous les fronts leur pose des problèmes… Après Salon, nous partons pour Lyon, et une nouvelle installation sur le terrain de Bron où nous investissons les anciennes casernes. Les pistes sont en bon état, mais nous avons un problème avec le manque de carburant, car l’avance est très rapide. L’essence arrive par cargos depuis l’Italie et ce sont ensuite des Libérator qui nous ravitaillent. L’accueil de la ville de Lyon est très chaleureux envers nous.

Lyon sept 1944
Lyon sept 1944

Nos avions continuent à mitrailler les convois allemands. Si j’ai parlé de la réception de Lyon c’est que nous étions accueillis avec une chaleur inimaginable ; nous ne pouvions nous arrêter dans un bar sans être servi sans payer, sans compter les femmes et jeunes filles qui nous sautaient au cou à tout instant.

Lyon sept 1944 Equipe spécialisée
Lyon sept 1944 Equipe spécialisée

Ce séjour terminé à regret nous allons rejoindre Dijon, là encore pour un temps très limité. À notre arrivée nous sommes installés dans les casernes près de l’aérodrome où nous recevons nos avions ; l’adjudant avec lequel j’ai d’excellentes relations et qui est un bourguignon bon vivant, m’invite à me rendre avec lui dans sa famille afin de retrouver après de longues années d’absence tout son monde, ce qui nous manque à tous ou à peu près. Il faut imaginer ce qu’a été cette réception le soir dans cette maison, les meilleurs crus étant sortis de la cave et tout cela s’est traduit par un retour très matinal au quartier.

Après cette réception nous avons dû nous rendre à la réalité et au travail de réception, tout cela pour très peu de temps car notre progression s’est effectuée encore une fois assez rapidement. Cependant les choses ont l’air de changer de ton et les Allemands résistent un peu plus. C’est ainsi que vers la mi- septembre nous partons à nouveau, cette fois pour Luxeuil qui est une ancienne base aérienne.

Georges en tenue US à Luxeuil
Georges en tenue US à Luxeuil

La région est très fraiche, nous approchons de l’automne et nous le sentons. Par contre nous avons une installation qui n’a pas son pareil car nous sommes logés à l’Hôtel des Bains ; très bel hôtel qui avait servi à héberger les Allemands notamment la Komandantur. En ce qui nous concerne nous avons une chambre à deux avec salle de bains et il ne nous manque que des serveurs ou serveuses pour améliorer l’ambiance. L’hôtel a été réquisitionné entièrement pour notre groupe. L’activité aérienne est intense car la grande bataille a vraiment commencé vers l’Alsace et les Vosges. Nous pensons à nos camarades des troupes à pied qui doivent beaucoup souffrir déjà du froid et des attaques allemandes. Mon camarade (moustache) que nous appelons ainsi car il a la moustache à la Clark Gable ainsi que je l’avais au Maroc, a été descendu au-dessus de Dôle mais il a réussi à sauter en parachute et à rejoindre nos lignes tout en étant tombé chef les Fritz ; inutile de dire la réception qui lui a été faite à son retour, le champagne a coulé à flot.

Luxeuil dec 1944 Reste d'un Marauder
Luxeuil dec 1944 Reste d’un Marauder

C’est la bataille des Vosges qui commence, il fait froid, l’amalgame avec les éléments FFI (forces françaises de l’intérieur) est terminé et il y a du sang neuf incorporé dans ce que l’on a appelé la première Armée qui était en fait l’Armée d’Afrique.

Nous devons quitter notre hôtel de Luxeuil les Bains car nous allons nous diriger vers Strasbourg qui vient d’être libéré par la deuxième DB. C’est à Ensheim que nous arrivons et allons habiter chez l’habitant. Une chambre, très belle a été réquisitionnée et nous nous retrouvons toujours à deux copains pour la partager. Nos logeurs très sympathiques qui ont un accent très prononcé et entrecoupé de mots alsaciens, prennent très bien soin de nous et nous offrent le plus souvent possible une gourmandise comme un gâteau et, lorsque nous rentrons de piste le soir, il y a toujours un bol de lait frais sur la table de la cuisine. Nous sentons cependant de la part de ces personnes une crainte de voir revenir des Allemands chez eux et il y avait de quoi être inquiets à leur place. Nous voici sur le terrain d’Ensheim, il fait très froid ; nous sommes bien couverts heureusement, veste fourrée bottes également fourrées etc.

Le 26 décembre nous allons quitter Ensheim et comme nous dépendons du commandement américain, nous allons être dirigés sur Bischwiller, près d’Haguenau c’est à dire dans l’aviation de chasse de première ligne. C’est en effet dans cette localité que nous faisons une halte après avoir roulé par très grand froid et nous avions besoin de nous réchauffer. Nous en profitons pour faire un brin de toilette après avoir obtenu qu’une personne nous dégèle une fontaine, la toilette ne durera pas ! Il fait un froid de canard (la température est d’environ -15°), nous avons roulé toute la nuit et nous nous sommes de cette manière bien réveillés. Nous entrons dans un café afin de boire quelque chose de chaud, un bon café arrosé de Schnaps ; nous conversons avec les habitants résistants qui nous disent de nous méfier car dans les cafés nous pourrions être empoisonnés par des collaborateurs, ce qui nous fait un peu sourire, cependant nous allons être sur nos gardes. Nous poursuivons notre route vers Bischwiller, le froid devient intense (la température est descendue à -20°) et malgré notre excellent équipement la nuit passée dans nos camions avec une fermeture quelque peu aléatoire ce n’est pas le Pérou.

Nous voici à Bischwiller, mais cette fois nous ne monterons pas les tentes car nous allons être logés dans un ancien asile d’aliénés. Nous aurions préféré coucher sous la tente car il n’y a plus une vitre aux fenêtres de ce bâtiment. Il y a un courant d’air affreux et on a l’impression qu’il y fait plus froid qu’à l’extérieur ; il fallait être jeunes pour tenir le coup dans ces conditions climatiques et ce n’était pas fini nous qui venions de Corse et d’Afrique n’étions pas habitués à ce régime. Notre installation terminée, ce qui consistait à nous débarrasser de notre barda nous fonçons vers le terrain et là nous trouvons les anciens hangars partiellement démolis voire aux trois quart, une piste bricolée avec les plaques perforées.

Par ce froid sibérien nous accueillons nos Spitfires. Pour travailler sur les avions avec cette température les américains sont heureusement prévoyants car ils nous avaient équipés de gants qui protègent du froid comme de la chaleur. Nous sommes vraiment en première ligne tout près du Rhin avec les troupes de ce secteur des tirailleurs Algériens et Marocains lesquels souffrent comme nous et peut être encore plus que nous de ces conditions de vie. Les interventions seront très rapides car à 3 ou 4 km du Rhin les incursions en Allemagne ne peuvent être plus faciles. La défense du secteur est également assurée par les tirailleurs tunisiens du Général Guillaume alors qu’au nord c’est la 7ème armée américaine. Nos interventions sont très fréquentes, les appareils ont à peine atterri qu’il faut les préparer pour repartir. Le froid est toujours aussi intense et en plus la neige s’est mise à tomber et le verglas s’installant, nous sommes obligés de dégivrer les avions tous les matins avant le lever du jour en utilisant du glycol et ainsi aucun taxi ne reste au sol. Les avions allemands qui ne sont pas gênés par la D.C.A. absente se font un grand plaisir dès qu’ils le peuvent nous bombarder, nous abimant deux avions et blessant quelques-uns des nôtres dont mon excellent camarade DEVY. Nous allons voir que notre séjour en première ligne pour l’aviation n’est peut-être pas une très bonne chose ; en effet, il va être de courte durée car la 39ème panzer allemande attaque notre secteur, et alors que nous nous apprêtions à fêter le nouvel an le 1er janvier 1945, nous sommes obligés de prévoir un repli de toute urgence. Le 30 décembre certainement en préparation à cette attaque nous sommes bombardés par des FokWulfs qui ne se privent pas de mitrailler, n’ayant aucune protection radar ni de DCA ; la proie est trop belle.

31 Décembre 1944, nous sommes réunis avec les Américains et nous pensons que les Fritz allaient nous permettre de fêter la fin de l’année, mais il n’en fut rien. Les américains avaient même amené leurs instruments de musique, mais en guise de musique, c’est une autre partition qui allait se jouer. Il est 23H30 et nous recevons l’ordre de nous préparer à reculer. Les troupes américaines ont décroché devant la contre-attaque des panzers allemands ; nous faisons sauter le maximum du matériel que nous avons dans les hangars ainsi que les avions en panne sur le terrain. Nous courons vers notre asile d’aliénés et par les fenêtres nous balançons nos paquetages dans les camions, après quoi nous montons dans nos G.M.C. découverts qui vont nous servir à faire la route vers Toul ou Nancy ; nous ne connaissons pas encore quel sera notre point de chute.

Toul 3 Janvier 1945 Spitfire
Toul 3 Janvier 1945 Spitfire
Toul 5 Janvier 1945 Les mécanos équipements
Toul 5 Janvier 1945 Les mécanos équipements

Nous partons donc par un froid terrible, il neige, il y a du verglas, les camions tous feux éteints, avancent péniblement et nous sommes frigorifiés. Nous avons démarré vers une heure du matin, la nuit est très sombre malgré la neige. Il ne faut pas trainer car les Allemands ont franchi le Rhin à Kinstell à quelques kilomètres de notre asile. Dans le nord ils ont contre-attaqué à Haguenau et à Bischwiller avec les panzers. On comprend mieux maintenant pourquoi les alsaciens n’étaient pas trop expansifs, un jour Français, le lendemain Allemand avec toutes les conséquences que cela représente. Nous voici arrivés à Toul. Le froid est toujours intense, nous devons avoir une température de moins 23°, le chef de convoi nous fait arrêter dans un café ; il est 7 heures du matin, nous prenons du café chaud arrosé pour se donner du courage et aussitôt après nous nous dirigeons vers les restes de Toul enneigé pour retrouver les Thunderbolt américains et nos Spitfires. Il faut faire des points fixes pour chasser la neige de la piste, et il fait toujours aussi froid ; nous allons rester sur place jusqu’au 2 janvier. A cette date nous nous dirigeons vers Nancy. Là encore la route nous paraît très longue et peu sure et encore une fois nous arrivons à Nancy congelés. Nous sommes installés dans une ancienne caserne qui a beaucoup souffert avec les bombardements mais pas autant que notre ancien « asile » de fou. Nous essayons de nous réchauffer avec du café chaud et de la « gniole ». Nous avons nos rations et mangeons surtout du chocolat et fumons beaucoup pour couper la faim.

Nous voici installés à Nancy pour quelques jours car les avions sont cloués au sol avec environ 50 cm de neige ; nos tentes sont installées sur le terrain où nous devons demeurer dans la journée pour faire tourner les moteurs et entretenir tout le matériel batteries et autres… J’ai la malchance pendant cette période de souffrir d’une crise de dysenterie amibienne qui m’oblige à baisser la culotte plusieurs fois par jour et cela dure deux semaines au moins malgré les cachets de bismuth que m’administre le médecin (il n’a pas trouvé autre chose à me donner pour me calmer). Toujours bloqués par l’épaisse couche de neige nous faisons brûler des bidons d’essence pour nous réchauffer dans les tentes. Nous pensons à nos copains qui devant Strasbourg menacé souffrent peut-être davantage du froid que nous, notamment les tirailleurs, algériens, marocains et tunisiens ; les sénégalais ayant été retirés en raison des conditions climatiques.

Nancy 19 Février 1945 Heinkel 111 abattu
Nancy 19 Février 1945 Heinkel 111 abattu

Le génie vient enfin nous aider à dégager les avions de la neige et petit à petit nous allons réussir à les faire décoller. Chaque jour c’est la même opération qu’il faut recommencer car les troupes engagées dans cette bataille terrible qui se déroule pour la défense de Strasbourg ont besoin de renfort que ce soient les troupes à pied ou les blindés. Au bout de huit jours de travail intensif avec une surveillance journalière, les pistes sont améliorées et permettent de faire décoller les avions avec tout de même grande prudence. Ils sont bien nécessaires nos avions pour mitrailler les troupes au sol et bombarder en piqué les engins blindés notamment les chars (Tigre). Les pertes en homme et en matériel sont très importantes et toujours avec un temps affreux. Les Allemands sont équipés de vêtements blancs en raison de la neige et dans les troupes coloniales je me suis laissé dire par un collègue tirailleurs qu’ils avaient au cours des combats récupéré des chemises de nuit dans des maisons afin de les enfiler sur leurs vêtements.

La neige continue de tomber en abondance et nous recevons l’ordre de quitter cette région et de faire route vers Fontaine les Luxeuil. Là encore nous montons nos tentes mais notre installation ne sera que de courte durée car la bataille de Colmar est bien déclenchée, et ce sera une des plus dures. Quelques jours à peine passés à Fontaine nous voici partis faisant route vers Colmar pour investir une ancienne caserne près des combats afin d’être plus efficaces. Nous commençons à savoir ce qu’est la proximité des combats. Nous sommes soumis à de nombreux bombardements par une aviation allemande sur le terrain où nous recevons des bombes genre crapouillot qui explosent en plusieurs fois ; d’autre part nous subissons des bombardements sur la caserne dans laquelle nous avons été installés, ce sont des bombardements de la part des batteries de très gros calibre installées type 380 ou 420mm sur voie ferrées qui ne sont pas accessibles le jour camouflées sous la roche et sorties la nuit et aidées par des espions de la 5ème colonne qui dirigent leurs tirs au moyen de fusées. Tous les jours c’est le feu d’artifice et leurs objectifs sont bien déterminés. La caserne où nous sommes est devenue la cible idéale un peu à l’écart du centre de Colmar et chaque jour nous recevons une avalanche d’obus. C’est ainsi que mon meilleur camarade Hubert Mastron est sérieusement blessé au cours d’un de ces bombardements ; il a le bras arraché et au cours des opérations successives qu’il subira on lui trouvera 45 éclats dans le corps. Je pourrais une fois de plus invoquer la baraqua car si mon camarade n’avait pas été un mètre devant moi je ne pense pas que je serais en train d’écrire cette rubrique. Notre cuisinier aussi a eu beaucoup de chance car un obus est tombé exactement dans la cheminée de la cuisine et est allé jusqu’à la cave. Imaginez cet homme qui a vu cette marmite lui tomber juste devant sans exploser… il a eu encore plus de chance que moi bien que je n’aie pas eu à me plaindre. Il fallait le voir sortir de cette situation : il était d’une part blanc de peur mais aussi noir de suie et il mit un certain temps à s’en remettre comme moi d’ailleurs. Pendant toute cette période qui a précédé la prise de Colmar le temps a toujours été exécrable, froid, la neige n’ayant pas cessé de tomber. Cette situation climatique a été très pénible et les organismes ont été mis à l’épreuve que ce soit chez nous mais surtout chez les coloniaux qui souffrent terriblement sans parler des FFI qui pour certains n’ont pas eu l’équipement qu’ils auraient dû avoir. Les pertes en avions chez nous sont très importantes en raison d’une DCA allemande très puissante et parmi les pertes, celle de Marin la Meslée (20 victoires) est durement ressentie.

Le 28 février, alors que Colmar est libéré nous partons pour Strasbourg- Enzsheim, et nous nous installons afin de suivre nos troupes à pied et les aider pour les attaques au sol. Les Allemands ne veulent pas lâcher prise, c’est là que sont engagées les troupes les plus enragées d’Allemagne. Les forces françaises commandées par le Général de Lattre de Tassigny et les troupes américaines font un travail magnifique, il fallait prendre la ligne Siegfried et les combats au corps à corps ont lieu entre les S.S. et les Tabors marocains.

C’est le 31 mars vers 2H30 du matin que des éléments de la DIA passeront les premiers le Rhin avec des pneumatiques. La course commence car il faut s’enfoncer au plus vite en Allemagne et ce sera dur ! Les Allemands ont mis toutes leurs forces dans la bataille jusqu’à la Hitlerjungen et les forces blindées.

Le 21 avril la ville de Stuttgart est prise et le 25 nous y sommes en place après avoir été transportés par DC-3 Dakota. Nous atterrissons sur une piste en mauvais état avec la crainte de voir notre appareil faire un cheval de bois, mais tout se passe bien. Nous découvrons la ville qui n’est qu’un amas de décombres ayant subi de très importants bombardements.

Vue de Stuttgart
Vue de Stuttgart
Stuttgart, les ruines
Stuttgart, les ruines

Nous aurons l’occasion aussi de voir Pforsheim qui fut la capitale des pierres précieuses et qui est encore plus détruite. Ce qui est remarquable c’est de voir comment les Allemands se sont mis à rassembler les pierres de leurs maisons et en faire un tas à l’emplacement exact de la construction ancienne. Certains habitants s’étaient installés dans les caves qui ont résisté aux bombes et il semble que la ville reprenne vie notamment avec la remise en état du tramway ; il est curieux de voir ce spectacle dans une ville fantôme, cela semble irréel. Nous sommes installés dans des villas épargnées. Mes hommes et moi sommes dans une maison qui n’a subi que quelques dégâts sans gravité et cela dans Stuttgart même. Nous avons la chance de trouver dans cette habitation un petit stock de nourritures dont des œufs conditionnés dans un grand fût rempli de plâtre de manière à ce que leur conservation soit excellente ; nous améliorons ainsi notre ordinaire. Nous avons aussi l’avantage de pouvoir faire une toilette correcte ce qui devient un luxe après ce que nous avons vécu avant. Maintenant c’est la débâcle, Hitler avait demandé à ses troupes de se faire tuer sur place et beaucoup l’ont fait fanatisées qu’elles étaient.

Georges à Stuttgart avec l'équipe de mécanos
Georges à Stuttgart avec l’équipe de mécanos

Notre aviation n’aura bientôt plus qu’à impressionner avec des vols en rase-motte car la bête agonise, elle est même morte. Nous en profitons pour nous promener en ville et se rendre aux usines Salamander où nous trouvons des chaussures de tous modèles et de bonne qualité. En France il y a les tickets de rationnement, il est donc difficile de se chausser, nous profitons de cette aubaine et récupérons quelques paires afin de les donner à la famille. Puis nous découvrons que l’usine de jouets de Ravensbourg est très bien achalandée et là aussi nous allons nous ravitailler car cela fera d’excellents souvenirs de notre passage dans cette Allemagne qui nous a fait bien souffrir. Pour la petite histoire il me revient une anecdote que nous avons vécue dans l’usine de chaussures ; les Américains qui étaient passés par une autre entrée, nous apercevant ont peut-être pensé que nous étions des truands et se sont mis à tirer avec leurs mitraillettes, et nous en avons fait de même. Cela était plutôt amusant de tirer à la mitraillette à travers le magasin mais les choses en sont restées là.  Conformément aux instructions données par les troupes d’occupation, les habitants avaient déposé tous leurs appareils radio à la mairie, et comme cela nous était autorisé nous avons pu en obtenir un, nous donnant ainsi la possibilité d’avoir des nouvelles de l’extérieur.

Le 24 avril lors d’une conférence du colonel on nous donne des instructions concernant notre départ, pour le lac de Constance et nous appareillerons le 25 avril en direction de Friedrichshafen. Lorsque je rentre de cette réunion je trouve mes gars en train de détruire les tableaux, les glaces, miroirs à l’aide de boites de conserves qui servaient de projectiles.  Imaginez la colère que j’ai pris et j’exigeais de remettre de l’ordre et de faire en sorte de replacer tout ce qui pouvait l’être, afin que le lendemain on ne trouve pas un champ de ruines.

Ce 25 avril, nous voici partis pour Friedrichshafen et nous traversons la forêt noire afin de rejoindre le lac de Constance. Nous allons être logés dans les habitations du personnel des usines Dornier le fabricant de ces appareils qui nous ont si souvent laisser tomber leur chargement à proximité. Avec un camarade sergent comme moi et chargé de l’équipement, je partage une villa très agréable qui donne sur le lac. Notre mess n’est pas loin, tout comme les pistes qui servaient aux avions à leur sortie de l’usine et qu’on va pouvoir utiliser. Nous allons vivre ici une période de repos bien méritée que je pourrai appeler une période de rêve. Une jeune fille nous est allouée pour faire le lit et le ménage. J’ai choisi moi-même une jeune allemande qui avait une ressemblance avec l’élue de mon cœur et qui avait gardé sa place pendant tout mon périple.

Cette période de l’occupation est surement la plus heureuse depuis que j’ai endossé mon habit militaire. Plus de risques, cadre de vie magnifique, promenades sur le lac de Constance avec nos camarades de la marine qui tout en effectuant une surveillance des frontières maritimes nous permettaient de jouir de ces paysages. Notre activité principale consiste à bien entretenir les appareils afin que les pilotes puissent faire de nombreux passages en rase-motte pour impressionner les habitants, notre seconde occupation étant la gymnastique que nous effectuons tous les après-midis au bord du lac de manière à garder la forme physique. De temps en temps nous avions un orchestre tyrolien qui venait pour nous divertir et nous dansions, il ne manquait pas de candidates pour participer à ces moments de détente, mais le cas échéant, nous dansions entre hommes si cela était nécessaire.

Ce n’est qu’au mois d’août que nous avons quitté avec un certain regret ce secteur pour rejoindre la base de Dijon laissant sur place le groupe 2/38 formé avec les membres de la résistance.

Dès notre arrivée à Dijon nous nous sommes installés dans la caserne à Longvic, et nous n’avons pas apprécié cette nouvelle vie qui devint la pire des choses comparée à la liberté que nous avions trouvée en Allemagne et en zone d’occupation ! Jusque-là les grades n’avaient pas d’importance, il existait une vraie camaraderie, nous avions souffert ensemble. Maintenant nous retrouvions ces vieux sous-officiers qui le matin venaient agresser les soldats qui ne se levaient pas assez tôt. Ce qui était l’occasion de conflits et qui nous faisait réagir méchamment étant donné que ces gens-là avaient passé le temps de la guerre pour la plupart planqués et en congé d’armistice. Nous n’acceptions pas que nos hommes soient traités comme des collégiens.

Etant donné que nous avions acquis une certaine expérience, depuis notre retour en France, nous avions très fréquemment des conférences pour nous préparer à une éventuelle prolongation de notre engagement dans les troupes appelées à partir pour l’Indochine. Certains d’entre nous sont sélectionnés pour faire une formation sur un nouvel avion anglais le « Mosquito ». C’était un avion en bois et toile d’une très grande rapidité et d’une excellente maniabilité et très bien équipé en armement. La fabrication de ces appareils se faisait dans le nord, aux usines de Méaulte près d’Albert, entre Amiens et Arras. Nous avons reçu l’ordre de mission de nous rendre dans ces usines afin voir comment étaient fabriqués ces fameux avions et ensuite de pouvoir faire un stage de formation en Angleterre.

En attendant de partir pour Albert où nous devons être hébergés nous sommes convoqués à Paris, détachés au ministère de l’Air, place Balard et, chaque matin pendant un mois, nous nous sommes rendus au ministère pour avoir des informations. Pendant toute cette période nous ne faisons que nous promener, aller au cinéma au théâtre et dans les musées. Nous avions trouvé au ministère un ancien camarade que nous avions perdu de vue en raison de son départ pour les combats en Russie avec le groupe Normandie-Niemen. Nous l’avions connu sous-officier et était devenu le capitaine Albert héros de l’Union soviétique. Par son intermédiaire nous avions la possibilité d’obtenir des ordres de mission tamponnés en blanc par le ministère d’Air, nous permettant ainsi de nous absenter pour un week-end. Pour moi c’était l’occasion de faire des aller et retour de Paris à Toulouse et là je retrouvais sans frais l’élue de mon cœur, ne payant pas de voyage. Puis un jour nous apprenons que le départ est fixé, le plus gradé d’entre nous est un adjudant. Nous partons donc pour le nord. Nous arrivons dans une région triste par un temps déplorable, il est vrai que nous sommes au mois de décembre 1945 et un pays comme celui-là est peut-être agréable pendant la belle saison mais à cette période ce n’est pas Le lac de Constance.

Comme j’ai l’intention de passer Noël en famille, pour la première fois depuis longtemps, je demande à partir pour le midi. Il est vrai que j’avais presque oublié l’existence des fêtes. L’adjudant m’accorde l’autorisation de partir, ce qui m’enchante, mais me fait promettre d’être bien là dans les délais. J’avais en effet reçu mes livres sterling pour partir en Angleterre. Malheureusement au cours du week-end je tombe malade avec une belle angine alors que je n’avais pas connu pareille mésaventure pendant la guerre. Je fais envoyer un télégramme pour prévenir de mon impossibilité de rejoindre, mais comme la confiance dans l’armée ne règne pas, j’ai la visite des gendarmes qui me font transporter à l’hôpital de Foix où je demeure quatre ou cinq jours. Ensuite direction Dijon car je ne peux rejoindre mes camarades en Angleterre, étant donné que j’avais été remplacé au pied levé.

Voici résumée cette période de ma vie ou plutôt de ma jeunesse. De retour à Dijon la question s’est posée de savoir si j’acceptais de partir en Indochine avec un grade supplémentaire et une prime intéressante. Ne voyant aucun intérêt de partir me battre en Indochine j’avais mieux à faire en retrouvant celle qui m’attendait à Toulouse, mon amour que personne ne pouvait m’enlever. J’étais parti avec un certain souvenir d’elle et heureusement grâce à Dieu, je suis revenu avec le même souvenir qui n’avait fait qu’embellir au fil des jours et des années.

Enfin j’allais vivre, c’était le 14 mai 1946, j’étais démobilisé à Ia caserne Pérignon à Toulouse.

J’ai voulu écrire ces quelques lignes pour vous dire que nombreux sont ceux (nous étions environ deux cent cinquante milles dans cette première armée) qui comme moi ont perdu le meilleur de leur jeunesse, mais aussi qu’un grand nombre ont perdu la vie pour un idéal, en l’occurrence il s’agissait de libérer la France d’un occupant qui aurait privé notre Pays de liberté comme cela avait déjà été fait pour d’autres. Cependant j’ai muri je suis revenu un homme, c’est le bon côté de la chose.

2 ème partie qui raconte le début de la guerre. 

DE 1924 1945

C’est le titre de cette chronique personnelle d’un début de vie qui, sans être fracassant présente quelques situations particulières.

Né dans ce beau département de l’Ariège, plus précisément à La Bastide de Sérou, comme ma mère, je pense avoir déjà voyagé avant de naître et ainsi avoir eu ce besoin de bouger.

En effet mon père militaire de carrière vivait avec ma mère en Rhénanie du côté de Worms et de Zweibrücken, c’est de là que ma maman est partie pour me mettre au monde en Ariège. J’imagine le voyage à cette époque pour une femme enceinte, mais le voyage a du bien se passer puisque je suis là pour en parler. N’oublions pas que je suis né au mois de février dans une région où les hivers ne sont pas particulièrement doux.

Puis ce fût la guerre du Rif au Maroc à laquelle mon père qui était dans les tirailleurs algériens participait, ainsi qu’un voyage aller et retour d’Allemagne en Ariège en 1925. Au retour, c’est le départ pour Thionville en Lorraine où mon père vient d’être muté, mais pas pour longtemps car, en 1928 c’est un nouveau départ pour le Sénégal et retour pour moi dans l’Ariège où je fais connaissance avec l’école maternelle.

En 1929 nous partons pour Châteauroux car je dois aller à l’école et c’est tous les matins, souvent par temps très froid, que nous empruntons un camion qui nous mène à Châteauroux. Cette situation va durer jusqu’en 1932. Puis c’est Rochefort sur mer où nous allons passer le plus grand nombre d’années en famille. Nous habitons tout près de l’école communale ce qui n’est pas désagréable après cette période où les transports journaliers par tous les temps étaient épuisants et très néfastes pour la santé. Mon père adjudant à l’école des mécaniciens de l’air avait quant à lui un trajet assez long pour se rendre au travail. Après le certificat d’études primaire, j’entrais à l’école primaire supérieure au Lycée Pierre Loti. Jusque-là, mis à part tous ces déménagements, ma vie s’est déroulée le plus calmement du monde avec un père très aimant mais très sévère et une mère tout acquise à ses deux hommes qu’étaient son mari et son fils.

Malheureusement depuis quelques années, les nouvelles des journaux et de la radio inquiétaient ; les quelques renseignements que nous avions parlaient de menaces en tous genres. En France il y avait des heurts à propos de la politique de droite comme de gauche (1934/1936) ; cela mena en 1938 aux accords de Munich. Seuls ceux qui ne voulaient ni voir ni entendre furent surpris par la mobilisation de 1939. Je garde un souvenir assez précis de ces militaires très nombreux rassemblés à Rochefort au « centre mobilisateur ». Notre voisine Mme Devillers épicière, vendait du vin au détail. Toute seule dans son magasin elle était heureuse que j’aille remplir les bidons de tous ces soldats mobilisés qui avaient pour la plupart un bon moral. La propagande était telle qu’ils pensaient en avoir pour quelques jours à peine, pour donner une bonne leçon aux Allemands. Ne chantait -ton pas « Nous irons pendre notre linge sur la ligne Siegfried » !

 

« LA ROUTE DU FER EST COUPEE «

Malheureusement, les jours passaient et tous les soirs avec mon père nous bougions sur une carte du front les petits drapeaux au fur et à mesure des nouvelles que nous annonçait la radio, c’est à dire ce que l’on voulait nous donner comme informations. C’était la drôle de guerre. Enfin les choses se sont précipitées lorsque les Allemands passant par la Belgique envahissent la France, enfonçant très rapidement le front des alliés à l’aide leurs armes blindées. La panique fit rapidement jour. Je vois encore tous ces réfugiés belges ou français des départements du Nord fuyant devant l’avance des troupes allemandes. Les voitures automobiles souvent recouvertes de matelas afin de limiter l’effet des mitraillages dont les aviateurs allemands et italiens ne se privaient pas. Ceux qui n’avaient pas ces moyens poussaient des charrettes chargées de tout et de et rien. Au milieu de tout cela des militaires peu fiers, sans officiers, quelques fois sans armes, débraillés. On ne chantait plus, mais par contre on recevait des bombes car la base aérienne, le port, l’arsenal et accessoirement la population civile étaient la cible des bombardiers ou chasseurs bombardiers. Je me souviens avoir beaucoup inquiété ma mère lorsque, curieux avec un copain, j’allais voir les avions abattus, allemands ou français. Au retour il fallait souvent plonger dans les fossés pour échapper aux mitraillages qu’effectuaient de préférence les aviateurs italiens. Pendant ce temps ma mère était avec ses voisins dans la cave (abris), puis lorsque j’arrivais la plupart du temps avant la fin de l’alerte, la joie revenait.

L’avancée allemande est rapide et l’école de Rochefort doit se replier comme toutes les troupes qui ont pu éviter la capture. Le repli de l’école se fit sur la région de Perpignan, plus justement à Céret. C’est de là que nous recevons des nouvelles de mon père. En ce qui nous concerne nous restons ma mère et moi inquiets pour l’avenir. Et puis ce que nous pouvions craindre est arrivé, les Allemands ont occupé Rochefort. Déploiement de force, démonstration des motards, défilé des armes blindées et des troupes à pied frappant assez fort le sol de leurs bottes afin d’impressionner la population. Quelle différence avec notre armée en déroute, mal habillée, c’était Waterloo.

Première colère pour moi à l’arrivée des occupants. Ma mère m’avait envoyé chez notre voisine épicière pour lui ramener un litre d’huile et malheureusement comme les soldats allemands étaient en train de dévaliser l’épicerie je rentrais chez moi bredouille. C’est le genre de chose que l’on accepte mal lorsque l’on a 16 ans et que l’on a été élevé dans un esprit patriotique très développé. Les troupes arrivées faisaient de nombreux défilés mais sans avoir beaucoup de succès. Les murs de la ville ont commencé de se couvrir d’affiches indiquant les exigences des troupes d’occupation qui concernaient par exemple les heures de couvre-feu, le comportement à avoir vis à vis des occupants etc. Avec mes copains de la J.E.C et de la J.O.C, nous continuons à nous rencontrer dans la salle de gymnastique et là nous définissions comment nous comporter face à toutes ces exigences. Ainsi, il fut établi de sortir tous les soirs malgré Je couvre-feu par groupe de deux ou trois afin de décoller les affiches installées dans la journée par les autorités occupantes. Puis arrive le temps du nouveau pouvoir faisant état de la collaboration avec l’occupant qui devait nous permettre d’éviter les réactions brutales de ceux-ci. Là encore ce fut notre point de mire et tout en se cachant des patrouilles de l’armée la nuit, nous continuons de décoller systématiquement les affiches de la collaboration en prenant beaucoup de risques et en se cachant dans les encoignures de portes.

Voilà très rapidement quelle était la vie pendant l’occupation en zone interdite puisque nous étions en bord de mer.

Le temps passait péniblement, nous n’avions plus de nouvelles du père ou très rarement. Nous apprenions que l’armée était en congé d’armistice et que mon père n’était plus à Perpignan mais devait se rendre à Toulouse près de mon oncle et ma tante en attendant une décision pour ce qui nous concernait. C’est à partir de ce moment que nous avons commencé à préparer la mise en garde meublé de tout Ie contenu de notre appartement, meubles vaisselle etc… Nous allions quitter Rochefort avec plaisir pour échapper à cette occupation, mais aussi avec un pincement au cœur car j’allais quitter mes excellents camarades avec lesquels j’avais eu depuis de longues années de très bons rapports et avec lesquels nous avions si souvent tiré la langue à l’occupant, je ne pouvais savoir si et quand je pourrais les revoir.

Enfin le grand jour est arrivé, ma mère a obtenu son laisser passer pour rejoindre la zone libre. Nous avons quelques jours pour nous organiser car je n’ai pas obtenu ce précieux sésame, étant mobilisé pour garder la ligne téléphonique aérienne reliant Rochefort à La Rochelle. Nous avons la chance, en parlant avec notre propriétaire, d’apprendre que sa fille âgée d’une quarantaine d’années connaissait une personne qui habitait à Langon localité frontalière entre les zones libre et occupée qui possédait une ferme se trouvant à cheval sur cette ligne. A partir de ce moment il n’a plus été question que de notre départ et comment l’organiser. En ce qui concerne ma mère il fallait préparer les bagages comprenant également des vêtements pour moi, ne sachant pas très bien comment les choses se passeraient, mais sa plus grande crainte était son argent ; il fallait camoufler le peu qu’elle emportait, dans des pelotes de laine, le tout dans un sac à ouvrage. Enfin ces questions secondaires étant réglées, nous avons sérieusement abordé ce que je devais faire pour une rencontre éventuelle avec la personne qui devait me faire franchir la ligne autant que possible sans encombre. Après de nombreuses conversations téléphoniques et des courriers entre la fille de notre propriétaire et celui qui devait être mon sauveur, nous avons fixé le jour du départ. J’avais un souci supplémentaire car je devais emporter le pistolet automatique de mon père car il n’était pas question de le confier à ma mère. Je décide de le mettre tout simplement dans ma poche enveloppé d’un mouchoir afin que cela passe mieux ; il est vrai qu’un 6/35 n’est pas très encombrant. Je faisais le fier mais malgré tout il y avait en moi un peu d’inquiétude. Le voyage se passe bien jusqu’à Langon où c’est la séparation discrète avec ma mère en qui je devine une angoisse sérieuse.

Sortie du train, les informations me concernant auront-elles été suffisantes pour que la personne en question me reconnaisse ? Tout va bien, aucun contrôle à la gare ce qui me va bien, puis un monsieur d’un âge moyen vient à ma rencontre et m’appelle par mon prénom. Aucun doute je suis sauvé et tout à coup tout me semble si simple ; je suis invité à passer la soirée chez ces personnes qui me font l’éloge de ma salvatrice puis nous préparons le départ pour le lendemain.

De bonne heure je me réveille et après un petit déjeuner campagnard nous voilà parti pour la grange où se trouvent plusieurs chars dont un empli de foin. C’est à ce moment que j’apprends comment je vais sortir de cette diable de zone occupée ; me voici installé sous une toile recouvert de foin. Le sort en est jeté, peu de temps après mon sauveur me prévient que tout va bien et à ce moment-là « je peux vous assurer que le roi n’est pas mon cousin ». Après des remerciement nombreux et répétés, je m’en vais avec mon petit bagage rejoindre sur les conseils qui m’ont été prodigués le point où je dois prendre l’autobus avec lequel je dois rejoindre Agen et de là Toulouse n’est pas loin. Je prends le train à Agen pour Toulouse, j’arrive en gare de Matabiau et rejoints la maison de mon oncle rue St Louis où nous allons être hébergés avec mes parents pour quelques jours. Cela va durer quelques temps quand j’y pense il est vrai que nous vivions comme des réfugiés, mais sans être malheureux. En attendant que le temps passe je me rends presque tous les jours chez mes cousins qui habitent également Toulouse au Pont des Demoiselle et là je m’occupe en aidant à transporter de la marchandise à la gare avec le neveu de mon cousin qui lui travaille à la coupe des tissus destinés à faire des uniformes de l’armée.

En ce qui concerne mes parents ils trouvent le temps un peu long, s’occupant comme ils le peuvent sans trop déranger.

Enfin nous obtenons un appartement à La Bastide de Sérou par l’intermédiaire d’une amie de ma mère Louise Laffont. Pour mes parents c’est le lieu de prédilection car ils reviennent près de leur lieu de naissance à tous les deux. En ce qui me concerne, il n’en va pas de même ; je ne connais personne, maman elle, retrouve ses amies, mon père a un jardin à entretenir ce en quoi je suis de temps en temps utile ne serait-ce que pour bêcher. Enfin au bout de quelques semaines nous recevons les meubles, nous avons mon père et moi de quoi ne pas nous ennuyer.

Nous sommes en 1941 et nous subissons les restrictions comme tout le monde : tickets d’alimentation, pour les tissus, les chaussures, etc. Cependant nous n’avons plus les allemands derrière nous. De ce fait je trouve extraordinaire que depuis mon arrivée mes parents me laissent une telle liberté avec des sorties le soir. En plus, je me suis fait assez rapidement des camarades qui m’interrogent souvent au sujet de la vie en zone occupée, ce qui intéresse beaucoup de monde.

La vie s’installe petit à petit, je refuse de repartir en classe ayant passé le brevet avant de partir de Rochefort et mon père ayant décidé de me faire engager à 18 ans. Je vis ma vie ! Il y a dans cette localité une vie presque artificielle. Malgré la situation du partage en deux de la France et cette difficulté à se nourrir, le moral est bon. Par contre je reçois une lettre expédiée de la zone libre par Melle Thérèse Méry, celle qui m’avait permis de sortir de la zone occupée, m’apprenant l’arrestation de mes camarades avec lesquels nous faisions nos sorties nocturnes, Gueguen, Cléfar, les frères Terrasson, Bobineau etc. tous enfermés à Fresne. Celui qui dirigeait notre petit mouvement que nous considérions sans grande importance a été arrêté, torturé, puis fusillé à Hambourg. Avait-il parlé, c’est probable car la rafle a eu lieu peu après ; j’ai eu encore de la chance de plus être là et cette chance me suivra.

A l’occasion de cette nouvelle ma mère raconte à mon père ce que j’avais fait en son absence et j’ai eu droit à une remontrance, modérée car mon sentiment anti-allemand ne pouvait pas tellement déplaire à mon père, ancien combattant de 14/18, blessé, gazé et prisonnier, mais en partie justifiée pour la crainte que j’ai fait subir à ma mère.

Dans cette situation nouvelle, je reste suivi par ma bonne étoile, car pendant le séjour à La Bastide j’ai eu le très grand bonheur de rencontrer celle qui m’a suivi dans toutes mes pensées et qui m’est devenue indispensable. Nos deux cœurs ont battu de concert et rien ne pourra les séparer sauf la mort.

Ainsi que je le disais plus haut la vie s’est installée ; mon père a trouvé un emploi dans le service du ravitaillement car la pension était légère. Il parcourt l’Ariège à vélo, à ses moments de détente, fait un peu de jardinage auquel je participe bien évidemment. Entre temps avec les amis jeunes, nous faisons du théâtre ce qui me permets également d’être en contact avec ma protégée. Arrive le mois de mars 1942, je viens d’avoir 18 ans en février et il est temps de partir. Je reconnais qu’à cette époque ce n’est pas avec enthousiasme que je vais aller sous les drapeaux mais quelque chose me dit, sans être Jeanne d’Arc que ma vie est ainsi tracée et qu’il est préférable de partir.

Le 25 avril, je quitte La Bastide. Mes parents viennent m’accompagner jusqu’à Foix, maman la grosse larme à l’œil, mon père fait le fort mais je vois ses mâchoires se contracter, savait-il qu’il ne me reverrait plus ? A Toulouse je retrouve mes copains, Armand LAFFONT, Jean ROUCH… Ils m’attendent pour arroser mon départ à l’armée, puis je me rends chez ma cousine Marguerite chez qui la soirée se prolonge assez tard dans la nuit. Le lendemain 28 avril à 14 heures, je rejoins la caserne de Francazal. A peine arrivé je dois toucher mon paquetage puis passer la visite médicale, après quoi c’est l’opération coiffeur. Celui-ci me donnant l’impression de couper un peu trop court, j’ai protesté et malheureusement pour moi je n’avais pas remarqué que derrière se trouvait le caporal qui a demandé que la coupe soit encore raccourcie, environ un centimètre et demi.

Le 5 mai toutes les formalités accomplies, je reçois la visite de Roger DEDIEU qui vient récupérer mes vêtements civils. Bien entendu, celui-ci fut surpris par ma coiffure mais également par le fait que dans le paquetage, j’avais hérité d’une paire de sabots trop petits (il n’y en avait pas d’autres !)

Jusqu’au 8 mai nous occupons notre temps comme nous le pouvons en attendant ce fameux départ pour la formation à Ste Livrade prévue pour le 8 à 19 heures. En fait nous avons attendu dans le train jusqu’au 9 à 4H30 du matin. Enfin, nous arrivons à Ste Livrade où doit se situer notre camp et il reste encore trois kilomètres à parcourir à pied avec notre barda. Nous sommes quelque peu épuisés, en sueur, mais point de répit. Nous sommes amenés à l’infirmerie afin de savoir si nous n’avions pas de parasites. Nous nous mettons nus une fois de plus et l’infirmière qui n’est pas du tout sympathique donne l’impression de se moquer de nous. J’apprends que je suis nommé à la 2ème compagnie qui est une compagnie disciplinaire ; je ne comprends pas trop pourquoi, « peut être mon intervention concernant ma chevelure en est responsable ? ».

Nous restons donc dans ce camp pendant environ quatre mois et nous allons avoir une vie très dure comme dans un petit bagne. Tout d’abord nous sommes reçus par un sous-officier, chemise ouverte, casquette cassée, nerf de bœuf à la main, nous menaçant en cas de manquement à la discipline. Nous disant par exemple qu’il a les moyens de nous casser, ce qui ne nous étonne pas et que nous pourrons vérifier lors de notre séjour. Les premiers jours se passent calmement, mais dès le 11 nous avons une inspection avec revue de literie et ensuite nous partons à l’exercice. Le plus gros problème au début c’est la nourriture qui non seulement n’est pas bonne, topinambours, rutabagas etc…, mal préparée et en quantité insuffisance. Comment tenir tous les jours avec les inspections diverses, les exercices, les marches de 35 à 50 kilomètres. Nous recevons malgré tout des compliments du commandant du camp mais cela ne nous nourrit pas. L’autre compagnie ne fait pas les mêmes marches que nous. Le 18 nous recevons notre fusil car il y aura en plus les exercices de tir, ce qui n’est pas le plus pénible. Jusque-là nous n’avons pas eu la moindre occasion de sortie. Le 31 mai nous allons à Ste Livrade et nous en profitons pour amener du tabac afin de l’échanger contre du pain avec les gitans et comme nous avions été avertis que nous allions avoir une marche d’épreuve de 100 kilomètres avec tout notre barda, il valait mieux prendre ses précautions. Le 5 juin nous sommes vaccinés vers 11 heures le matin et presque aussitôt après je reçois une dépêche m’informant du très mauvais état de santé de mon père. Il m’est refusé de se rendre à son chevet sous prétexte que je viens d’être vacciné ; le moral est très bas.

Le 8 juin, nous sommes déconsignés de la vaccination, mais par contre, nous sommes reconsignés à cause de la rougeole qui sévit dans le camp et nous avons l’obligation de faire des gargarismes tous les matins. Le samedi 13 juin, je suis très heureux car les nouvelles de mon père sont meilleures. La joie n’a pas été longue puisque dès le lendemain au téléphone j’apprends que celui- ci est très mal. Après de nombreuses palabres et un passage à l’infirmerie devant l’infirmière désagréable, j’obtiens la permission de partir pour rendre visite à mon père. Je perçois les tickets d’alimentation sans lesquels point de salut. Mon départ se fait en compagnie d’un camarade qui partait pour les mêmes raisons que moi. Pour aller de Sainte Livrade à Villeneuve sur Lot il y a 9 kilomètres et demi que nous parcourons à pied. Nous couchons à Villeneuve et de là, le lendemain nous prenons l’autobus pour Agen, puis d’Agen le train pour Toulouse. Le soir j’arrive à Foix à 20 heures et là je trouve le boulanger, Mr Gaston qui m’amène à La Bastide. Tout ce trafic pour rien car j’apprends que mon père a été transporté à la clinique de Toulouse dans l’après-midi. Le soir, je couche chez mon camarade Armand Laffont et le lendemain je repars à Toulouse où je trouve maman qui m’accompagne près de papa qui est dans le coma. Je suis révolté, je lui avais porté innocemment du tabac pensant lui faire plaisir. Je ne puis exprimer ce que j’ai ressenti lorsque je suis arrivé dans la chambre, voir mon pauvre père, maigre, pâle, lui si beau si bon et qui ne m’a pas reconnu. J’en veux à l’armée de ne pas avoir accepté de ne me pas m’avoir laisser partir afin de me permettre de le revoir encore lucide.

Le lendemain je reprends le chemin de Ste Livrade où j’arrive le mercredi à 23H30. Le vendredi je me rends à l’exercice comme d’habitude et à 10 heures et je reçois le télégramme m’annonçant le décès de Papa. Je sentais bien lorsque je l’ai quitté qu’il n’y avait plus grand chose à espérer, cependant on espère toujours, il était si jeune. J’obtiens ma permission et quitte le camp à 18 heures pour arriver le lendemain à 22 heures à Toulouse pour repartir le 20 Juin avec Roger Dedieu pour la Bastide. A Foix je retrouve la famille avec qui je continue le voyage et je trouve Maman désespérée. Je ne trouve pas la force de la consoler car il faut dire que je suis arrivé après la fermeture du cercueil. Cette journée terminée, nous sommes, maman, ma grand-mère et moi-même dans un triste état. Le lundi je dois rejoindre le camp, laissant maman à son chagrin pour qui c’est tout à coup le grand vide. C’est tout de même jeune de quitter le monde à 43 ans et d’être veuve en voyant son fils partir sans trop savoir quand elle le reverra ; j’ai pourtant l’espoir de revenir.

Avec ce grand choc dans ma vie je suis un écorché vif, il ne faut pas trop m’en faire et les derniers temps passés à Ste Livrade ont été très fades. Je n’ai plus envie de travailler et l’encadrement qui fondait de grands espoirs pour me voir terminer major de ma promotion est profondément déçu. Je ne terminerai pas premier mais, cependant je demande ma mutation pour l’Afrique dans les meilleurs délais. De toute façon, rester en France je n’y tiens pas car soit je serai pris par la milice suite à mes antécédents de Rochefort, soit je devrai trouver le moyen d’une action quelconque pour éviter de me faire prendre.

Les examens de sortie se passent le 26 août et le 31 nous partons pour Toulouse, faisant à nouveau le parcours de Villeneuve à pied. Cependant nous sommes heureux de quitter ce bagne où tous les matins nous devions faire par tous les temps le décrassage, les exercices, astiquer les chambres au fond de bouteille et à la moindre occasion avoir des punitions sévères. Pour les plus fortes, avant d’être présenté à l’ensemble du camp, le puni qui n’avait généralement commis que des fautes légères, comme prendre des cerises sur un arbre au cours d’une marche, passait entre les mains du sergent-chef Velge ; son nom je ne suis pas prêt de l’oublier, il était champion de France de boxe militaire et m’avait tuméfié le visage.

Depuis Toulouse nous embarquons à destination de Ia base aérienne d’Orange Caritat. Nous y arrivons le 1er septembre 1942 et je suis affecté à la 4ème compagnie où pendant deux jours c’est la pause de récupération. Ensuite je suis affecté comme secrétaire. Dans mon bureau il y a trois adjudants, un sergent-chef et un sergent. Cette affectation est très temporaire puisque le départ pour l’Afrique est programmé pour le 25 septembre. Avant de partir je tiens à aller voir maman et à aller me recueillir sur la tombe de mon père. Ayant demandé à ma mère un télégramme « bidon », j’obtiens une permission de trois jours et le16 septembre je quitte le quartier d’Orange à 17 heures, satisfait d’avoir pu obtenir cette autorisation d’absence. Je prends le train de Toulouse où j’arrive à 3 heures du matin pour avoir à 5H30 la correspondance Doué-Foix où j’arrive à 8 heures. Maman, très surprise car elle n’avait pas trop compris à quoi servirait le télégramme que je lui avais demandé, obtient la journée de repos afin que nous puissions aller nous recueillir sur la tombe de Papa. Pendant trois jours c’est une résurrection, mais il faut se rendre à la réalité et je dois reprendre le chemin. Le train de Bordeaux ayant un énorme retard je rate la correspondance pour Orange où j’arrive le 20 septembre à 2 heures du matin. Malgré ce retard les choses s’arrangent. Il faut dire que nous sommes très près d’embarquer et nous en profitons pour faire un petit tour à Orange afin de voir les magnifiques vestiges de cette ville ; le 22 nous percevons le nécessaire colonial et le masque à gaz.

Le 23 septembre nous partons pour Marseille où nous arrivons à 7 heures le matin. Là de nombreuses formalités nous attendent avant d’être installés au D.M.I. (centre de regroupement) avant le départ de Marseille. Les lits sont farcis de punaises. Nous nous amusons à les faire tomber des lits pour voir courir ces petites bêtes afin d’en détruire le plus possible ; je décide de ne pas dormir dans mon lit, mais d’emporter ma couverture pour aller dormir dans la cour mais, comme il est interdit de dormir dehors, il faut le faire d’un œil seulement à cause des rondes qui sont effectuées toute la nuit. Le 26 c’est le grand départ. Nous passons devant la commission de contrôle Italienne qui comprend très mal que nous partions pour l’Afrique avec un casque métallique (ils ne savent pas ce qui les attend).

Nous embarquons à 350 dans le Djebel Dirah un rafiot moutonnier. Nous sommes entassés dans la cale où l’odeur suffit à savoir ce que le bateau transporte en temps normal. A 18 heures nous appareillons et quittons les côtes de France par un temps maussade. La première nuit se passe bien, la mer est calme, il semble que nous allons faire un très bon voyage. Mais il n’en est pas de même pour la seconde. Au large des îles Baléares, nous subissons une forte tempête qui provoque tangage et roulis tout ce qui est nécessaire pour rendre la presque totalité de la « cargaison » malade. Avec un camarade qui comme moi franchissait cette période sans encombre, nous essayons d’accéder à l’extérieur, mais le commandant nous interdit toute apparition à l’extérieur car les vagues balaient le pont dans tous les sens. Il nous précise que la mer est aussi démontée que lors du naufrage du Lamoricière. Il y avait même des matelots malades, ce qui n’était pas fait pour nous rassurer, et en plus le bateau craquait de tous côtés dans la cale.

Le 28, après cette mer déchainée nous arrivons avec le calme en vue des côtes Algériennes et mouillons au large de Bougie. C’est le 29 que nous débarquons à Bône avec la musique du 3ème régiment de tirailleurs algériens qui nous accueille. Nous nous formons en trois rangs et nous dirigeons vers le dépôt R.T.A où nous allons prendre une douche. De là nous partons vers le D.M.I. (dépôt mobilisateur). L’après-midi nous avons quartier libre pour la première fois en Algérie. Nous profitons de cette sortie pour apprécier les spécialités du pays. Nous nous gavons littéralement et pensons à la France où les restrictions font des dégâts dans la population.

Le soir vers 20 heures nous défilons, sous les applaudissements de la foule, pour nous rendre à la gare où nous embarquons dans des wagons à bestiaux en direction de Tunis. Comme il fait nuit nous avons beaucoup de difficultés à retrouver nos bagages. Le 1er octobre nous arrivons à Duvivier petite localité Algérienne où nous faisons halte ; les femmes viennent nous vendre des figues de barbarie et des dattes. Nous profitons de cet arrêt pour nous évader de notre prison et aller faire un petit tour dans la localité. Vers 16 heures nous repartons. De temps à autres nous devons descendre du train car il n’arrive pas à franchir les côtes, ce qui est très folklorique. Il faut savoir qu’à ce moment-là les locomotives fonctionnent à l’alpha « herbe » d’Afrique et d’Espagne.

Le 2 octobre à 16 heures nous arrivons au D.M.I. de Tunis. Là encore nous stationnons, ce qui nous permet de sortir un peu dans la ville. Nous restons en attente jusqu’au 4 octobre, où nous prenons le T.G.M à destination d’El Aouina. La base se trouve très près du lac infesté de moustiques. La base aérienne d’El Aouina est très importante car elle compte trois groupes aériens plus tout le personnel de soutien. Nous sommes nommés à l’unité de surveillance, activité peu intéressante. Heureusement pour nous avec un de mes camarades nous faisons la connaissance d’un pilote un peu fada et casse-cou. Celui-ci nous convie à des sorties aériennes avec acrobaties. C’est l’occasion de faire des figures de toute sorte, quitte à redescendre quelque peu pâles. Hormis cette distraction nous effectuons des tours de garde, ce qui nous permet lorsque nous sommes de service la nuit d’aller nous promener le jour à Tunis.

Jusqu’au 8 novembre c’est cette vie que nous menons, peu agréable car manquant d’activité, mais le 8 novembre c’est le branlebas de combat ; nous voyons les escadrilles décoller et tout le monde suit. En ce qui nous concerne aucun ordre de repli ni de départ. Nous sommes 25 dans ce cas-là et apprenons les raisons de ces mouvements. Il s’agit du débarquement Anglo-Américain qui vient d’être effectué en Algérie et au Maroc. Au niveau commandement c’est la panique, et le personnel à terre reste sans ordre ! Le 9 novembre nous sommes isolés et les parachutistes allemands commencent à envahir le terrain, les planeurs se posent les uns après les autres chargés d’hommes et de matériel de toute sorte y compris de blindés. Avec mon camarade, nous sommes résolus à faire quelque chose le lendemain au cas où personne ne nous donne de nouvel ordre. Si tôt dit sitôt fait, nous décidons de partir par n’importe quel moyen. Nous nous nous précipitons dans notre chambre afin de prendre nos affaires et nos armes et filons à l’extérieur de la caserne sans attendre ce que font nos collègues. Avec mon camarade Dussel de Montpellier nous faisons du stop et un camion d’artilleurs nous prend à son bord. Nous nous inquiétons de la situation et le chef du convoi le lieutenant Gueutz nous signale qu’ils partent vers la frontière algérienne afin d’éviter d’être prisonniers mais que les ordres sont très contradictoires. Nous sommes donc à bord d’un camion d’artilleurs du 412ème régiment. Un certain nombre de militaires seront fait prisonniers en raison de cette absence d’ordre ; c’est une vraie panique ! Nous voici en route heureux de nous être extrait de cette situation et nous allons rouler jusqu’à Béja localité du nord de la Tunisie où nous allons rester quelques jours.

Nous arrivons à destination à 21 heures et élisons domicile dans les caves de la poste afin d’établir une liaison téléphonique. Nous sommes appelés à avoir des rôles variés, que ce soit la liaison avec les postes de première ligne, où nous irons à tour de rôle pour une semaine environ afin de repérer les avions ennemis prenant la direction de l’ouest et de prévenir les diverses villes du danger de bombardement ou encore de rejoindre les batteries anti-aériennes disséminées autour de Béja. Les premiers jours sont très calmes, mais la localité prend de plus en plus d’importance avec l’arrivée des états-majors anglais, américains ainsi que français. Nous pensons bien que nous allons être un centre visé par la flotte aérienne allemande. Nous n’avons pas pour l’instant pas de cuisine aménagée et avons la chance de déjeuner au restaurant très proche de notre poste où nous sommes bien nourris avec des plats du pays, le soir nous nous contentons d’un casse-croûte.

Le 19 novembre alors que nous allions nous mettre à table, il est 13H30, des Stukas (chasseurs bombardiers allemands) arrivent et lâchent trois bombes qui comme la veille ne font que quelques dégâts matériels. Le 20 novembre il est 12H10, alors que le serveur nous porte les hors d’œuvres, j’entreprends une discussion avec mon camarade Dussel et plaisante au sujet d’une charmante jeune fille installée avec ses parents tout près de nous. Je lui dis qu’en cas d’alerte comme la veille, je plongerai sous la table afin de la rejoindre. Je ne la rejoindrai jamais. Je n’avais pas fini ma plaisanterie qu’un nouveau bombardement était effectué sans alerte par un groupe de Stukas. La veille c’était le hors d’œuvre, mais aujourd’hui c’est le plat de résistance. Ils sont 19 et larguent à tour de rôle leurs bombes en faisant le bruit impressionnant que nous leur connaissions depuis les attaques en France. Au total ce sera environ une cinquantaine de bombes qui seront déversées sur cette petite localité très dense en population, que ce soit civile ou militaire. Cette fois les dégâts sont très importants étant donné d’une part que les constructions pour la plupart sont très légères, et d’autre part qu’aucune alerte n’a été donnée. C’est la panique et avec mon camarade nous décidons de ne pas attendre la fin du bombardement et sortons car de toute façon le repas est terminé et il ne pourra se poursuivre le plafond étant tombé en grande partie sur les tables et les assiettes ; le plongeon sous la table avait été nécessaire et bien venu mais ne permettait aucunement de faire ce que je pensais faire à l’origine. La porte du restaurant est bloquée par une partie du mur qui s’est effondré et nous passons par la cuisine où nous marchons accidentellement sur le corps de la personne de service du restaurant qui elle a été tuée par un éclat de bombe. Les blessés dans le restaurant ne sont que légèrement touchés, ce qui est assez étonnant étant donné que nous avons été littéralement encadrés par les bombes. Nous ne nous attardons pas et à l’extérieur le spectacle est désolant. Avec mon camarade nous ramassons une bonne douzaine de blessés que nous transportons à l’hôpital laissant les blessés légers se rendre par leurs propres moyens au centre de soins. A cours de brancards alors que mon camarade est allé dans une autre direction, je décroche une porte et appelle une personne du service de sécurité afin qu’il m’aide à emporter un blessé très gravement atteint. Pendant ce temps les avions non contents de nous avoir bien bombarder nous mitraillent autant qu’ils le peuvent.

Je retrouve Dussel en repartant à la poste et à l’entrée du marché, nous entendons des cris provenant de décombres ; nous nous dirigeons en direction des cris et au moment où nous arrivons un pan nous dégringole sur les talons. Sans outils nous ne pouvons dégager ces pauvres gens et donnons la consigne à la défense passive. Nous continuons notre travail maintenant plus calmement les avions étant partis il n’y a plus de mitraillage. Arrivés près de notre centre postal nous retrouvons un monsieur que nous connaissons, un juif commerçant qui a les deux jambes arrachées et que nous amenons très rapidement à l’hôpital ; nous apprendrons plus tard qu’il s’en était sorti. Au retour, nous trouvons une pauvre femme Tunisienne avec son enfant en sang dans les bras que je prends dans mes bras tout en lui demandant de me suivre à l’hôpital. Le bilan de ce bombardement est de 310 morts sans compter ceux qui sont encore sous les décombres, quant aux blessés ils seront comptabilisés plus tard mais sont très nombreux.

Le 21 nous accueillons une quinzaine de prisonniers Italiens que nous faisons garder par deux Tunisiens. Jusqu’au 24 novembre nous sommes tranquilles hormis un Dornier 17 (bombardier) qui lâche ses bombes sans faire trop de dégâts car il avait été gêné par la D.C.A.

Le 26 par contre nous avons eu un peu peur et les arabes qui étaient près de nous priaient leur dieu la tête contre la terre car un nouveau Dornier déversait à nouveau son chargement de bombes et encadrait notre PC. La prison toute proche est très touchée mais nous n’en sommes que pour la peur. Devant ces frayeurs renouvelées nous avons décidé de faire provision d’alcools. Il faut essayer de garder le moral, d’autant plus que le 24 c’est la Ste Barbe patronne des artilleurs.

Il est vrai que nous sommes devenus des artilleurs, avons coiffé la chéchia et revêtu la ceinture de flanelle rouge que nous mettons à deux car elle mesure 2 mètres et il est quasiment impossible de nous entourer seul de façon correcte. Le 6 décembre lors d’un bombardement en règle, mon camarade Dussel avec qui j’étais parti de Tunis a un coup de cafard et dans la nuit je dois user de toutes mes forces pour le persuader de renoncer à aller se livrer aux Allemands. En effet ceux-ci, lorsque nous sommes en première ligne, usent de tous les subterfuges pour saper le moral, notamment en utilisant des hauts parleurs invitant les français à se rendre pour éviter que leurs familles soient déportées. Enfin avec l’alcool nous arrivons à surmonter le cafard qui nous prend à peu près tous, mais heureusement pas tous en même temps. Tous les jours pratiquement nous subissons des bombardements car l’aviation allemande n’est pas encore assez affaiblie par les alliés. Le 19 décembre c’est à nouveau un bombardement avec les Messerschmitt 109 qui fait de gros dégâts. Les écoles, la gare, les silos à grains sont détruits. Le 20 il s’agit de 25 bombardiers et 8 chasseurs qui s’acharnent dans notre environnement. Par la suite les choses vont se calmer, il faut dire que le temps nous protège, il pleut, il neige le plafond est très bas.

Peut-être que nos ennemis sont-ils croyants car ils nous laissent arriver à Noël sans trop de casse. Je pourrais faire une description précise des nombreux bombardements mais c’est devenu maintenant une habitude. On ne compte plus les dégâts en hommes et en matériel. A Noël pas de messe de minuit pas plus le jour de Noël, l’Aumonier ne pouvant pas être partout à la fois.

À partir du mois de janvier nous effectuons beaucoup de mouvements, des séjours en première ligne pour les renseignements de l’arrière afin de prévenir des mouvements aériens constatés. Puis ce sont les passages en batterie afin de faire un roulement ; le PC n’étant qu’à 15 kilomètres des lignes, ce qui fait que nos déplacements sont très rapides et nous effectuons de cette manière des rotations tous les quatre ou cinq jours. En ce qui concerne la nourriture nous ne sommes pas gâtés, nous avons notamment du pain en forme de boules portant la date de fabrication qui souvent a plus d’un mois, expliquant que l’intérieur est souvent moisi.

Il m’est arrivé depuis le mois de novembre de faire le cuisinier en intérim avec un arabe qui m’a appris à faire le couscous. J’essaie d’être à la hauteur de ma tâche mais ce n’est pas une réussite tous les jours. Et ce fut notamment le cas du jour de la visite d’inspection du colonel qui venait nous apprendre notre inscription à la croix de guerre. L’inscription à la croix de guerre était pour mon camarade Dussel et pour moi en raison de notre comportement pendant les grands bombardements mais aussi pour l’ensemble du relai de transmission de Béja qui a vécu une période très rude.

Le mois de janvier est un mois très difficile car de très durs combats se déroulent mais nous avons la chance du soutien des forces anglaises et surtout américaines. Le plus important soutien vient de l’aviation américaine avec les bombardements de leurs forteresses volantes B.17 qui sont efficaces et également très destructrices. Cependant les allemands arrivent à effectuer des sorties avec leurs Stukas et leurs Folk Wulf.

Le 2 février je n’ai pas eu le loisir de fêter mon anniversaire car les allemands répondant aux bombardements américains nous ont arrosé de plus belle. Le 28 ce sont les anglais qui sont touchés, ils ont 22 morts dont le Tommy qui assurait la circulation des convois, qui a été décapité. Parmi les locaux il y a aussi de nombreux tués et blessés et on trouve de la chair éparpillée un peu partout. Ce jour-là je ne suis pas allé à la messe étant occupé au central, une fois de plus la chance m’a souri, car un camarade qui y était allé a été tué. Ce n’était pas mon jour, j’avais la, baraka ! Après cette lourde attaque aérienne nous devons évacuer notre installation. Ralliement de toutes nos affectations car nous l’avons échappé belle, tout étant détruit chez nous, il n’y a plus de matériel de communication. Nous nous transportons dans une grande maison appelée « château Joly ». Cette demeure un peu isolée et dans les arbres sera peut-être un peu moins repérable. Cependant malgré cet acharnement de nos ennemis et les incendies que s’efforcent d’éteindre les pompiers anglais le moral n’est pas trop atteint. Au sud les choses vont mieux qu’au nord, nous apprenons la chute de Sfax, Sousse et Gabes.

En ce qui nous concerne, nous passons plus de temps en première ligne, ce sont beaucoup de combats de chars d’assaut et d’artillerie auxquels nous devons participer avec nos canons de 75 transformés en antichars. Les journées sont très longues ainsi que les nuits et le temps est affreux, les canons s’embourbent dans les oueds que les pluies diluviennes font déborder. Nous ne séchons pas, le ravitaillement est de plus en plus irrégulier, nous passons quelques fois plus de 48 heures sans recevoir notre nourriture, ni notre tabac pas plus que le vin, à cause des attaques répétées.  Au fur et à mesure où nous avançons nous sommes de plus en plus éloignés de notre centre de ravitaillement. De plus nous avons une nouvelle inquiétude avec l’infiltration de nos lignes par les arabes qui accompagnent les patrouilles allemandes, connaissant beaucoup mieux le pays. Aussi le lieutenant, chef de notre poste qui avait été nettoyeur de tranchée en 14/18 n’hésite pas à liquider ces éléments qui sous prétexte de nous vendre des galettes viennent repérer nos installations. Leur à sort est vite décidé ; après une petite interrogation un coup de pistolet suffit. Il en est de même lorsque des arabes pilleurs vont dévaliser des maisons bombardées, et c’est ainsi que je me suis retrouvé dans un peloton d’exécution sans savoir ce dont il s’agissait ou ce qui s’était passé. Nous continuons à avancer ; à Medjez-el-Bab de gros combats se déroulent, beaucoup de pertes, cependant nous avons l’heureuse présence des forteresses volantes américaines qui font le rouleau compresseur en déversant des tonnes de bombes. Par exemple, à Mateur les américains ont lancé l’équivalent d’une bombe au mètre carré, et c’est ainsi que les G.I. ont pu entrer dans la ville presque l’arme à la bretelle.

Ce sera cela jusqu’à la libération de Carthage et de Tunis où nous retrouverons les troupes de Leclerc qui sont remontées de Libye franchissant la ligne Mareth. A Tunis nous retrouvons d’anciens militaires français prisonniers des Allemands lors de leur arrivée en Novembre. Les Allemands connaissent maintenant la défaite et c’est par camions entiers souvent conduits par eux-mêmes que ces prisonniers sont envoyés vers l’Algérie.

Au cours de cette guerre j’ai souvent eu l’occasion de penser lors de périodes plus calmes à ma famille, à maman que je savais seule et dont je n’avais aucune nouvelle pas plus qu’elle ne devait en avoir de moi. Il m’est arrivé très souvent avec nostalgie de penser à cette année 1941 au cours de laquelle j’ai rencontré au cours de pièces de théâtre ou d’autres spectacles celle qui deviendra mon épouse. C’étaient des moments heureux et c’étaient des nuits au cours desquelles il faisait mieux vivre que le jour.

Enfin le cauchemar est terminé, en attendant d’autres occasions qui ne manqueront pas. C’est le défilé de la victoire et nous avons droit à 48 heures de détente. Ce jour-là l’alcool a coulé à flot, je vois encore le lieutenant Thiesselin, surnommé « Papillon » car il était juif alsacien, l’adjudant Meunier, le maréchal des logis Martel, au même titre que nous dans un état d’ébriété avancée.  Comparés aux Américains nous étions des sages car la Military police les ramassait dans les caniveaux, ivre morts après avoir fait des cartons dans les cafés.

 Notre séjour à Tunis ne fût pas de longue durée, et nous allons être dirigés vers le 411ème régiment d’artillerie en Algérie. C’est ainsi que nous nous retrouvons à Tipaza près d’El Afroun où nous nous installons. Là nous espérons avoir quelques jours de tranquillité, mais la nourriture qui nous est servie, presque tous les jours constituée de sardines bouillies servies à la louche, est celle qu’on donnait aux les porcs. Heureusement que nous avons la possibilité de faire quelques sorties en ville et de nous rendre dans des gargotes où nous pouvons déguster côtelettes de mouton ou brochettes, dans des assiettes  un peu grasses qui malgré tout n’altèrent pas le goût.

Jean Pierre OLLIVIER dit “Olive” ou “Paimpol”

olive lors d'un détachement au Tchad

Encore une figure de la 11 EC qui malheureusement nous quitte. Issu de la promo EA 75 de l’Ecole de l’Air, Olive arrive à Toul à l’escadron 2/11 VOSGES en 1979. Progression normale sans histoire pour prendre le commandement de la SPA 91 en 1984, commandement qui s’achèvera un peu prématurément suite à la rencontre inopinée d’une ligne à haute tension qui ne s’était pas signalée, ce qui lui vaudra une mutation express à Saint Dizier aux OPS.

“Olive” était un personnage, entier, ses avis ne laissaient pas de place au doute ; j’appréciais beaucoup ce coté “franc du collier”. Quand je lui avais demandé s’il voyait un inconvénient à ce que je publie l’article relatant son “exploit” sur le A83, il m’avait répondu que non et m’avait même joint sa version dans laquelle il reconnaissait “avoir merdé”. “Publies la aussi, il faut que mes conneries servent aux autres“.

Mais celui qui est le mieux placé pour en parler est son pote Jean François DUBOIS, dit “le melon”. Je vous joins le texte qu’il a écrit et lu au cours de ses obsèques.

Là haut, je suis certain qu’il y a un bar de l’escadrille ; ils ne vont pas être déçus, car c’est un sacré client qui arrive.

Jean-Pierre,” Mon Ami”, “Mon Ami” : tel était le rituel entre nous. Formule un peu égoïste car, en fait, tu étais l’Ami de la plupart d’entre nous. Ami parce que l’on pouvait toujours et en toutes circonstances compter sur toi.

         Pour les autres, tu laisseras le souvenir impérissable d’un bon copain, d’un spécialiste de la bonne ambiance, de la déconne, des histoires interminables et des blagues … quelquefois à deux balles.

         Quant à ta carrière, tu n’as pas grand-chose à te reprocher : la preuve en est que tu as toujours croisé sur ta route des chefs intelligents pour te soutenir et te sortir de certains mauvais pas.

         Que de missions avons-nous fait ensemble dont certaines nous ont valu des interdictions de vols : ce n’était pas grave après tout, car en attendant, nous avions bien rigolé de nos exploits aéronautiques. Certains chefs n’avaient pas la même perception de notre idéal aéronautique. 

         Tu es revenu dans ta Bretagne natale où tu as pu assouvir ton autre passion : la pêche et te faire plein de copains pêcheurs. Cela ne t’empêchais pas, parfois, de traiter certains de “Putain de Bre….on” quand on te ramassait tes casiers.

         Tu n’as pas rompu le Cercle des Poêtes, comme dans ce fameux film (car poêtes, nous, cela se saurait…)  mais la chaîne terrestre de l’Amitié à notre grand regret.

         Jean-Pierre, j’espère que tu voleras et vogueras là-haut aussi bien qu’ici bas.

         Tu peux compter sur nous pour prendre soin de ta Mamourette ainsi que de s’enquérir de ta belle-mère adorée, de tes enfants et de ton petit-fils.

                                     Et A LA CHASSE, BORDEL !

TON PUTAIN DE MELON PREFERE ! 

                                                         KENAVO

Souvenirs en kaki ; marqueur au 1/11

Rolando : marqueur OPS

Souvenirs en kaki ; marqueur au 1/11

Ndlr : un marqueur était un appelé qui officiait dans la salle d’OPS, véritable centre de vie dans un escadron. Au contact  permanent des pilotes, il occupait donc une place privilégiée. 

« – Vers quelle heure vous aurez besoin de moi demain matin mon capitaine ? »

La demande est inhabituelle. Dans la salle pilotes, le capitaine H, commandant d’escadrille à l’escadron 1/11 Roussillon est surpris. J’ai dû poser une question particulièrement con, parce que les 2 autres pilotes présents ont levé la tête et me dévisagent comme si je venais d’apparaître dans une explosion de fumée en scandant des slogans antimilitaristes.

« – Heu, et bien… »

Le capitaine est tourné vers le tableau blanc des ordres de vol qu’il a préparé pour le lendemain. Une mise en place à Istres, antichambre d’un bond vers l’Afrique, doit débuter très tôt, bien avant le lever du soleil, pour quelques Jaguar qui vont quitter pendant un bon mois la traditionnelle grisaille lorraine.

« – Vers 6h00 ? Vous pourrez être là à 6h00 ? »

« – Oui mon capitaine, je vais faire en sorte de pouvoir ! »

« – Bien répondu ! Merci. »

Je suis bidasse (aviateur 2ème classe !) depuis 4 mois. C’était il y a plus d’un quart de siècle, mais certains clichés restent gravés dans ma mémoire comme si c’était hier. A cette époque, chaque français se devait de donner une année de son temps à la nation. En contrepartie, la nation s’occupait généreusement de son logement, de sa nourriture, de son habillement. Et de son coiffeur…

La question est inhabituelle parce qu’à l’époque, et traditionnellement, depuis la nuit des temps, les ordres viennent plutôt d’en haut et sont rarement sollicités par la base. Mais je ne suis bénévole dans l’escadron que depuis 2 mois…

« Tu veux la planque ? Demande à être marqueur ! Tu verras, c’est cool et tu entendras parler d’avions toute la journée ! » J’ai suivi le conseil avisé d’un copain vélivole qui venait de tester la chose l’année d’avant. Je n’ai pas eu à le regretter (merci Dominique) !

J’avais eu de la chance. Beaucoup de chance ! D’abord, d’être affecté dans l’Armée de l’Air (une chance sur 3 !). Puis d’être envoyé sur une base d’avions de chasse (si si, le Jaguar est classé comme avion de chasse dans les encyclopédies spécialisées !), et qui plus est, en Lorraine, à quelques dizaines kilomètres de mon domicile. Enfin, pendant mes 2 mois de classes (période pendant laquelle quelques Gentils Organisateurs essaient de formater une bande de jeunes ex chevelus en leur proposant des activités de groupe comme du camping par    – 10°C ou des marches de nuit avec sac à dos…), j’avais eu la chance d’être orienté « marqueur » par le ‘pitaine pilote qui nous maternait. Tout ça sans piston ! Quels regrets, avec le recul, de n’avoir pas tenté un ticket de loto !…

Bref, depuis 2 mois, la période de classes étant passée, je suis au chaud dans un espace rempli de militaires en combinaisons vertes qui me demandent de passer leurs plans de vol, de remplir leur paperasse, de balayer les zones communes et plus rarement de me comporter en bon soldat que je ne suis pas de façon naturelle (il a fallu m’apprendre par quel côté il faut tenir un fusil ou une mitraillette). Je n’ai certes pas trop le choix, mais l’ambiance me convient bien. Je me régale de voir faire des gestes que j’aimerais bien pouvoir faire moi même, je me tords le cou pour apercevoir les félins ailés passer au roulage en grondant devant mes fenêtres et je m’installe en pensées dans les cockpits, majoritairement monoplaces, en suivant sur la carte murale le trajet que j’ai dicté consciencieusement au contrôle quelques heures auparavant pour valider le plan de vol obligatoire à tout mouvement.

Salle d'OPS du 1/11
Salle d’OPS du 1/11

Bref, j’ai médicalement loupé la marche qui mène à ce métier que je m’étais promis de faire depuis l’âge de 9 ou 10 ans, mais je me console. Je me console en regardant préparer les missions sur les 500 000 « peaudecouillées », en assistant aux briefings hésitants des jeunes nouveaux ou magistraux des vieux anciens, aux débriefings souvent « sanglants », en visionnant furtivement, par dessus l’épaule, les films de ciné-mitrailleuses, en lisant les livres de marche de l’escadron rédigés avec humour et annotés de caricatures ou de dessins d’artistes talentueux, voire même en participant aux discussions avec ces « vieux » qui ont 5, 10 ou 15 ans de plus que moi et qui ont réalisé mon rêve de gosse.

Parmi la quinzaine de pilotes de l’escadron, quelques uns étaient pilotes. D’autres étaient d’abord militaires. Mes affinités allaient en priorité aux premiers.

Parmi eux, le capitaine H, l’un des deux commandants d’escadrille. C’était Le « Chibane » de l’escadron ! Engagé homme du rang à l’époque de Clément Ader, sous officier pilote peu après la traversée de l’Atlantique, Ecole Militaire de l’Air pour passer officier, des milliers d’heures de vol dont quelques unes à essayer d’éviter de vrais projectiles, plus de mille heures de Jaguar, c’était un meneur d’hommes ! Une assurance froide couplée à la modestie apparente de celui qui n’a pas besoin d’exhiber sa supériorité pour l’imposer.

Quel régal de le voir négocier un avion avec la mécanique !

« – Vous me le rendez quand le 46 ?

–  On en a pour 24 heures, il faut tomber le siège, etc, etc…

–  24 heures ? Vous déconnez là ! Comment je fais pour la patrouille de demain ?

–  Je ne sais pas mon capitaine, mais moi il me faut tout désosser ?

–  Bon, les gars, on va passer pour des cons si vous désossez en gardant les mains dans les poches, vous savez faire mieux que ça d’habitude, vous n’essayeriez pas de faire un effort ? Tout petit ? Etc etc… »

A l’issue de la joute, le mécano ou le pistard repartaient presque toujours avec de nouveaux délais. Ceux du capitaine. Sans qu’à aucun moment les galons ne pètent, sans qu’à aucun moment les esprits ne s’échauffent. J’avais parfois l’impression qu’il en savait presque plus sur le Jaguar que ceux qui étaient chargés de lisser les moustaches et de soigner les entrailles de la bête …

Vu de derrière mon bureau (ou de derrière mon balai…), sa compétence en vol était moins évidente pour moi à percevoir. Mais j’entendais les commentaires que d’autres pilotes laissaient parfois échapper. Ainsi le lieutenant M, jeune PI (pilote en instruction), à l’issue d’un vol apparemment très éprouvant. Je le vois se détendre (s’affaler) dans un fauteuil après plus de 2 heures de « promenade » pendant lesquelles il était l’équipier du capitaine H. Les traits sont tirés, la sueur a collé les cheveux et assombri la combinaison kaki.

« – Ca va mon lieutenant ? Vous avez l’air fatigué !

–  Non Rolando, pas fatigué, dégoûté !

–  Ah bon ? Ça n’a pas marché ?

–  C’est pas ça, mais j’ai galéré pour le ravitaillement, j’en ai c..é ! J’ai réussi à connecter avec un mal de chien, et lui (le capitaine H), non seulement il enquille du premier coup mais en plus il t’annonce que quand il a fini, il va essuyer la dernière goutte sur le bord du panier ! Et il le fait !!! ».

Mais, tout « commandant d’escadrille » qu’il était, le capitaine H n’était pas infaillible. Un jour, je le vois rentrer de vol et se diriger rapidement vers la carte de France qui couvre tout un pan de mur de la salle pilote. Habituellement, il prend le temps d’enlever son anti-g et de débriefer son équipier. Là, il se plante face à la fresque et sort sa propre 1/500 000 pour comparer. Je l’entends grommeler : « M…e, elle est où cette autoroute ? Je ne l’ai pas sur ma carte ! Et la voie ferrée ? Pourquoi elle est sur la mienne et pas au mur ? M…e ! » Après quelques secondes de flottement, je le vois déplier son parchemin, consulter le cartouche avant de s’écrier en riant « M…e, le con, d’où je la sors celle là ? Elle a 10 ans !!! Ah le con ! » La carte a fini dans la poubelle. L’équipier qui « jouait » au leader a eu droit à l’habituel décorticage en règle du vol accompli et il a fallu que je me défende mollement face à l’évidente mauvaise foi pour esquiver la responsabilité de cette vieille carte qui traînait dans son casier…

Le Jaguar est (était) un avion de chasse ! A ce titre, il devait pouvoir intercepter un autre avion. Mais sans radar, au raz du sol, l’exercice n’est pas toujours évident. Le capitaine H avait trouvé la parade ! Il avait un secret !

J’avais assisté, comme tous ceux qui « traînaient » en salle pilote à ce moment là, au débriefing d’une mission conjointe entre deux appareils « de chez nous » et deux Jaguar d’un autre escadron de la base. « Nous » n’avions pas fait des étincelles ! « Nous » passions même pour des canards dans une fête foraine ! Après le départ des deux « invités », voyant son air moqueur, le capitaine H avait été interpellé par l’un des « canards » :  « – Qu’est ce que tu veux que je te dise, ils nous ont vus les premiers, je n’ai rien pu faire ! On a mis les manettes au tableau et on a essayé de descendre encore un peu, mais j’allais pas passer sous les ponts pour éviter de me faire shooter quand même ! Qu’est ce que tu veux que je te dise ? »

« – Hu hu hu ! Tu veux que je t’explique comment je fais d’habitude ? »

« – Ahhhh oui, je t’écoute, tu m’intéresses !!! »

Il s’était mis à sourire et avait dévoilé son secret avec un air de conspirateur.

« – C’est simple, je m’annonce systématiquement avec 15 à 20 secondes d’avance sur les points de report ! »

Silence dans l’assistance. Suivi d’un grand éclat de rire général.

« Le salaud ! Et dis-moi, ça marche ? ». « A chaque fois quand c’est des jeunes perdreaux de l’année ! Soit c’est moi qui shoote, soit j’arrive à esquiver et à poursuivre vers l’objectif ! »

En l’absence de radar (et en l’absence de vraie guerre avec de vrais ennemis), les règles du jeu étaient claires. Chaque avion à cocarde en basse altitude s’annonçait sur une fréquence commune au passage de tel ou tel gros repère. La France était divisée en 4 ou 5 zones (je crois) dotées chacune d’une fréquence propre. Les trafics s’identifiaient donc ainsi les uns les autres de façon à éviter les collisions qui, à ces vitesses, sont un peu très violentes. En Jaguar, l’exercice d’interception se faisait très souvent par un ou deux appareils sur une patrouille d’un autre escadron chargée d’aller « traiter » un objectif. Les « bombardiers cibles » transmettaient, avant le décollage, la route prévue et les tops de passage aux « gardiens de buts » qui espéraient bien les accrocher à leur tableau de chasse en ramenant un film de ciné-mitrailleuse incontestable. Or, durant mon année sabbatique à leur contact, je n’ai jamais rencontré un homme vert qui se prêtait avec plaisir au rôle d’appât. Le capitaine H avait remarqué qu’en s’annonçant réglementairement avec un peu d’avance à chaque point de sa route prévue, il permettait à ceux qui étaient chargés de le tirer de se précipiter pour le chercher là où il n’était pas encore. Et accessoirement, il se glissait dans leur dos pendant qu’ils étaient occupés à scruter l’horizon devant eux…

Je n’aurais pas aimé jouer au poker avec cet homme !

Quelques jours, semaines, mois (j’ai oublié) plus tard, l’adjudant chef  P se plante devant mon bureau. Ils sont encore trois sous-officiers pilotes.  C’est, à cette époque, une espèce en voie de disparition. Lui, c’est le plus ancien. Petit homme, la trentaine très largement passée, il est aussi « moustachu » que le capitaine H. C’est le second (et dernier) de l’escadron à porter l’écusson « Jaguar + 1000 ». Il n’a jamais voulu franchir le pas pour passer officier (« Mieux vaut être grand parmi les petits que petit parmi les grands ! »). D’un naturel habituellement assez réservé, on sent bien que les jeunes pilotes le craignent un peu.

« Rolando, vous êtes occupé là ? »

Le ton est sec. Presque agressif. Je n’aurais pas dû me plonger dans la lecture d’un des nombreux livres de marche. Je n’aurais pas dû laisser échapper une série de ricanements. J’aurais dû faire semblant de calculer des totaux de temps de vol, faire semblant de chercher un NOTAM, actualiser les couleurs des terrains sur le tableau mural. Là, c’est sûr, je suis bon pour la corvée de chiottes !

« Non mon adjudant chef. Je n’ai rien à faire ».

Je n’ai jamais réussi à mentir. Trouver une bonne excuse en moins de quelques heures pour éviter une corvée n’est pas mon point fort. Alors autant éviter de le prendre pour un c.n, ça va me retomber sur la gu…e !

« Suivez-moi ! »

M…e ! Tant pis, c’est la vie ! Vivement la quille !

Mince, les chiottes c’est pas par là ! Je l’ai suivi jusqu’à l’autre bout de l’escadron. Il m’a emmené directement … au bar de la mécanique.

« Qu’est ce que je vous offre Rolando ? » « Heuuuu un coca mon adjudant. Merci ! »

Estomaqué, surpris, déconcerté ! Nous avons passé un bon moment à parler d’avions. Sans barrière, sans galons, juste avec passion.

Il y avait encore des sous-officiers pilotes à cette époque
Il y avait encore des sous-officiers pilotes à cette époque

Quelques uns étaient pilotes. D’autres étaient avant tout militaires ! J’essayais de les éviter. Comme je pouvais. Mais ce n’était pas toujours possible.

« Rolando, c’est quoi ce sac ?

–  Heuuu, c’est un sac de sport mon commandant.

–  Je le vois que c’est un sac de sport ! Il est à qui ?

–  Beinnn, je ne sais pas mon commandant

–  Démerdez vous, je ne veux plus voir ça ici.

–  Heuuuuuu

–  Vous imaginez si c’est une bombe ? »

Il ne m’avait pas échappé que pour rentrer sur une base, il faut montrer patte blanche. Il ne m’avait pas échappé non plus que nous étions en période de paix, de calme, et que même si nos voisins anglais essayaient de récupérer quelques îles du côté de l’Argentine, rien ne semblait laisser entendre que quelques pilotes du 1/11 étaient menacés par une puissance étrangère terroriste. Il ne m’avait pas non plus échappé que le ton employé était condescendant, cassant, agressif et méchant. Heureusement un jeune pilote s’est jeté sur la bombe potentielle. C’est lui qui a continué à faire les frais de l’ire du mal luné.

Je n’étais pas le seul à souffrir de ce commandant. Même les pilotes ne courbaient l’échine que parce qu’il était le chef. Je n’ai donc logiquement pas été le seul à me réjouir quand il a été temporairement interdit de vol et de vacances par le général de la FATAC (région aérienne aujourd’hui disparue). Avant d’être muté derrière un bureau.

J’ai en effet appris à cette occasion qu’un général n’aime pas découvrir la vie poétique de ses escadrons par informations régionales télévisuelles interposées. La fois là, je l’ai imaginé en pyjama, une bière à la main, assis dans son fauteuil, face à une vieille télé noir et blanc, l’orteil gauche en train de chercher abri dans la pantoufle coincée derrière un pied de la table basse. Imaginez un peu, au moment où l’inégal combat entre l’homme et le confortable accessoire est en train de basculer vers une éclatante victoire, la presse diffuse les images des restes d’une roquette tirée par un Jaguar dans un stade de foot ! Et un stade civil en plus !…

En route vers le champ de tir habituel, le commandant avait, selon la procédure traditionnelle, testé « dans la nature » son télémètre laser. Habituellement, la chose était banale et sans conséquence. Le jour là, un gremlin, un lutin vengeur a décidé de provoquer une petite étincelle quelque part dans la cellule ou dans la filasse. Et une roquette, certes inerte, mais roquette tout de même, a décidé qu’il était l’heure de se réveiller, l’heure de vivre sa vie ! Heureusement le stade était désert !!! Le général, lui, était en pleine ébullition. Il en avait certainement renversé sa bière ! Renverser une bière de général n’est pas une situation d’avenir ! Le commandant a donc été prié d’annuler ses prochaines vacances en Israël (si ma mémoire est bonne) et de passer son commandement à un successeur plus soigneux, un successeur qui éviterait d’égarer ses munitions n’importe où.

Apparemment, les gremlins aimaient bien le Jaguar car quelque temps plus tard c’est un canon qui a parlé. L’autre, il faut le souligner, a parfaitement fonctionné puisqu’en l’absence de réelle sollicitation il était resté muet comme une tombe ! Quelques obus ont décidé unilatéralement d’aller tester la solidité de la voiture d’un mécano garée sur le parking de l’escadron. « Faux contact » ! Cette fois là les munitions qui avaient déserté leur logement avaient eu le bon goût de retomber dans l’enceinte de la base ! Le linge sale s’est donc lavé en famille. Il a simplement fallu faire diversion pour les deux civils qui visitaient l’escadron. Heureusement que la voiture n’a pas pris feu et qu’elle pouvait encore rouler hors de la vue des indiscrets potentiels !

Une autre fois c’est un réservoir, certes largable et presque vide mais assez pesant tout de même, qui a décidé d’aller brouter les pâtures au moment de la sortie du train d’atterrissage. Je n’ai pas été invité à l’expédition de recherche et récupération en fourgonnette bleue, mais l’ambiance m’avait semblé assez festive !

Bref, la monture avait plus de points communs avec les machines sauvages du début du siècle dernier qu’avec les F35 et autres Rafales informatisés d’aujourd’hui. Un avion d’homme quoi !

Le second de l’escadron est donc passé premier. Le commandant L était un vrai pilote ! Un amoureux des vrais avions. Il évoquait souvent ses vols supersoniques en Mirage F1. Avec nostalgie. « A Mach 2, vous sentez la chaleur à travers les gants quand vous approchez la main de la verrière ! Et les distances défilent à une vitesse affolante ! Et …. ». (C’est sûr que le Jaguar ça devait le changer !). Ou ses « mailloches » avec les F15 fraîchement débarqués à Bitburg : « On les a vu débouler en face à face, 500 pieds plus haut. On s’est dit que le temps qu’ils virent pour nous tomber dessus, on serait loin. Les cons, on les a vu sortir leur « aèf », passer tranquillement sur le dos et le temps de dire ouf ils avaient tiré une demi-boucle et nous filmaient le croupion tranquillement. Bluffés ! Ils nous ont bluffés ! »

Sans jamais se départir de son calme, sans un mot plus haut que l’autre : « Mon commandant, j’étais OPO hier soir, je vous ai vu décoller de la tour, j’étais à deux doigts de déclencher les secours !

– Oui, j’ai eu comme un moment de flottement. Ça ne voulait pas accélérer ! Pourtant je n’étais pas beaucoup plus chargé que d’habitude. J’ai refait le tour des pendules, j’ai même vérifié deux fois que la PC était bien enclenchée et les manettes à fond. Et puis je me suis souvenu que le moteur droit revenait de révision. Il a dû lui manquer 2 ou 300 kilos de poussée. J’ai même jeté un œil sur la poignée d’éjection … Un peu stressant comme période ! »

Comme le capitaine H, il avait gagné le respect de ses hommes par ses qualités humaines et de pilote, pas par les barrettes qu’il portait sur la poitrine.

C’est le seul parmi les 15 pilotes de l’escadron à avoir su répondre à une question naïve qui me hantait depuis quelques jours, que j’avais soumise à un pilote et qui s’était propagée comme un feu de brousse : « Mon lieutenant, la boule, elle pivote bien sur tous les axes, dans tous les sens ? Mais alors, comment elle fait pour tenir dans sa cage, comment est-elle entraînée ? »

Un quizz avant l’heure… Et seul Le Chef connaissait la réponse !

« – Vers 6h00 ? Vous pourrez être là à 6h00 ? »

« – Oui mon capitaine, je vais faire en sorte de pouvoir ! »

J’étais bien décidé à être présent avant 6 heures pour pouvoir passer tous les plans de vol. Je suis donc rentré chez moi (je n’habitais pas sur la base) comme n’importe quel employé après sa journée de travail. Donc, logiquement, le lendemain je suis arrivé bien après 10h00 à l’escadron ! Confus et gêné. Ma vieille Fiat (Fix It Again Tonny) avait décidé de faire une grâce matinée de plusieurs jours !

Heureusement, personne n’est irremplaçable !

Les pilotes du 1/11 à l'époque
Les pilotes du 1/11 à l’époque

Souvenirs en kaki, suite. 

« Bonjour Chef, vous me reconnaissez ? »

Voilà 10 ans que j’ai terminé ma période de bénévole que les moins de 25 ou 30 ans ne peuvent plus connaître. J’aime toujours les avions, même kaki, avec passion. Je suis donc venu en touriste au meeting de l’air de la base voisine, très proche de la base de mon service militaire pour y retrouver, au détour d’une buvette, le Chef qui a, en deux mois de classes, fait de moi un homme, un vrai (sans toutefois les tatouages…) !

«- Comment ça va depuis ce temps, lui dis-je ? Vous n’êtes plus au 1/11 ? Vous faites des infidélités au Jaguar et sa mécanique de rêve ?

– Non, on m’a transféré ici, au GERMAS. Fini le Jag, maintenant c’est le 2000.

– Vous avez de nouvelles des anciens ? M, S, B, qu’est ce qu’ils deviennent ? Ils doivent être généraux maintenant non ? »

La réponse est inattendue, étonnée, presque murmurée…

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« Bonjour « mes lieutenants », je peux vous aider ? »

Je suis installé comme un coq en pâte depuis 2 ou 3 semaines dans un coin de la salle pilotes. La grande muette qui m’a formaté à grands frais me prête un magnifique bureau et une chaise d’école primaire de mon enfance avec quelques stylos et un ou deux téléphones ultras modernes (pas de cadrans qui tournent : des touches de chiffres de 0 à 9 !). Je suis, comme je vous l’avais précisé, marqueur au 1/11. Opérationnel depuis une bonne semaine (après 1 ou 2 semaines de doublure) !

L’une de mes fonctions, c’est l’accueil des visiteurs. Comme on m’a appris que tout ce qui porte plus de barrettes que moi est respectable et potentiellement dangereux pour mon matricule, comme en tant que soldat aviateur 2ème classe la population qui m’entoure et qui est plus gradée que moi est majoritairement plus nombreuse que celle qui me doit respect et obéissance, comme je suis d’un naturel plutôt fataliste et que j’ai bien compris que ma volonté de rentrer à la maison ne pèse rien dans cet univers kaki au milieu des barbelés et des patrouilles en képi, j’accueille. Avec résignation et un soupçon de méfiance.

Les deux jeunes pilotes qui sont en face de moi viennent visiblement de débarquer. L’un arbore un beau « gamma » d’aspirant et l’autre deux belles barrettes dorées de lieutenant. Ils me font penser un peu à Laurel et Hardy par leur corpulence respective, mais je garde pour moi cette comparaison hardie ! L’image du beau jeune pilote de chasse sportif est un peu mise à mal par le sympathique duo. « Bonjour, nous sommes les nouveaux affectés. Vous pouvez nous indiquer à quelle heure arrive le commandant ? »

Je l’avais deviné ! Deux jeunes perdreaux de l’année ! Quel talent : même pas marqueur depuis un mois et j’arrive déjà à identifier deux intrus parmi le groupe des 15 ou 16 autres pilotes de l’escadron ! Inconsciemment, je vais m’attacher à eux. Ils sont arrivés ici presque en même temps que moi ! Ça crée des liens ! Même si pour eux la contrainte de présence est moins subie que la mienne … Toutes choses égales par ailleurs, nous avons rapidement sympathisé.

L’aspirant S, le moins « sportif » des 2, est un mordu. Pilote privé, pilote professionnel théorique, quelques centaines d’heures de vol dans le civil avant de signer un engagement de 10 ans. Il m’a confié : « Je finirais peut-être commandant, si tout va bien. M (son collègue lieutenant), lui, il finira général ! S’il ne fait pas de connerie ! Il a fait l’Ecole de l’Air… »

Tous les deux « débarquent » de St Dizier, la base « école » pour le Jaguar. Ils sont capables de prendre en compte un avion au parking et de le ramener quelques heures plus tard à peu près au même endroit et dans le même état. J’en bave d’admiration, mais je ne suis pas, en la matière, une référence indiscutable !

Vu le profil bas qu’ils affichent et la façon dont ils sont « accueillis » par les anciens, j’en arrive presque à partager leurs souffrances. Et je ne parle pas du traditionnel bizutage qu’ils ont subit pendant les premiers jours. En fait, la tâche qui les attend est énorme : il leur reste à apprendre le métier ! Ils sont, pour quelques mois encore, PI. Pilote en Instruction. A force de briefings hésitants, de débriefings humiliants, ils se forgent une expérience et acquièrent un formatage indispensable pour leur santé ! J’assiste, en spectateur envieux (sauf pour les débriefings !), à leur transformation.

Spectateur envieux mais lucide. Et muet. Lucide parce qu’il m’arrive de comprendre les maladresses qu’on leur reproche :

« Qu’est ce que vous faisiez à 500 fts dans la crasse avec le relief qui arrive ? Pourquoi vous n’avez pas réagi ? On est tous morts à cette heure ci ! Deux trous dans la colline ! Faut pas dormir à 400 kts ! On est morts ! ».

Muet parce que je surprends parfois des conversations que je ne devrais pas, je capte des regards entre les « vieux » qui en disent long.

L’aspi marche bien. En tout cas il a une progression « normale ». Le taux de conneries par heure de vol semble se stabiliser dans la moyenne, même si les débriefings sont « musclés ». C’est visiblement de la graine de chasseur et les deux commandants d’escadrille en conviennent parfois d’une réflexion, d’une remarque discrète. Le lieutenant, lui, a un problème. Son attitude me surprend parfois un peu. Il se plaint souvent, se dévalorise régulièrement, bref il ne semble pas très offensif, pas très combatif. Et il y a aussi quelques « bizarreries » qu’un marqueur normal ne peut pas ne pas voir : retours de vol complètement abattu, manque d’enthousiasme au départ, annulations sous différents prétextes, etc … Ainsi, le jour où un gégène « abonné » à l’escadre vient s’envoyer en l’air dans un dispositif de 10 ou 12 avions. Le show a été monté à sa demande et les préparatifs vont bon train depuis plus d’une semaine. Chaque escadron de la base fournit quelques avions et même la base voisine participe à la « sauterie ». Le barrage au fond de la vallée alpine n’y résistera pas ! Même sans larguer une seule bombe, le bruit devrait à lui seul le faire vaciller sur ses bases ! 12 félins à vive allure, c’est en tout cas suffisant pour effrayer durablement les marmottes ! Le briefing final et familial à l’escadron est solennel. C’est la grand messe. A l’heure dite, tout le monde part aux avions et quelques dizaines de minutes plus tard, la base tremble de la puissance phénoménale du décollage des bestiaux chargés de leur cargaison fictive. C’est bien parti.

C’est bien parti, sauf pour le lieutenant M. Il revient penaud au parking. Température élevée sur un organe que le secret défense (et mon ignorance de l’anatomie du bestiau) m’interdit de dévoiler ! Le retour des guerriers quelques heures plus tard donne lieu à quelques engueulades (« Il a foutu un sacré bordel M ! Au lieu de descendre toute la piste au pas il aurait mieux fait de se pousser et de laisser passer les autres ! Quel bordel dans le timing ! »). A partir de là, je comprends. Le lieutenant M a un petit problème existentiel : la peur. Peut être pas beaucoup, mais suffisamment pour être mal à l’aise en général. Le constat est implicitement confirmé par le pistard venu rendre compte au capitaine H, commandant d’escadrille. L’échange entre les deux hommes, près du tableau d’ordres, à un ou deux mètres de mon « bureau », est discret, renforçant ainsi mes soupçons. « Mon capitaine, l’avion est bon ! J’ai mis une équipe dessus et on a pas arrêté de mettre en route pour vérifier. Les températures restent bonnes ! Pas un frémissement ! ».

Le coup de menton d’acquiescement discret du capitaine ne m’a pas échappé.

Le lieutenant M a peur, mais il lutte ! Il s’accroche ! Je ne sais pas quel challenge personnel le pousse, mais je l’admire. Et j’assiste en spectateur étonné aux efforts des commandants d’escadrille. Je m’attendais à une mise à mort en règle, à un vidage violent et rapide. En fait, ils le prennent en charge et lui arrangent un planning « adapté ». Les débriefings sont encore « musclés », mais le ton a changé. C’est moins sanglant, moins dans la ligne classique du « vous n’arriverez jamais à rien, vous auriez dû être affecté au transport ! Et encore, en autobus !». Je surprends même des compliments : « Bravo M., vous aviez postulé dans la DA (défense aérienne)? Vous ne m’avez pas lâché d’un pouce, chapeau ! ». L’expression de joie qui naît parfois sur son visage me laisse penser que la thérapie est la bonne. Pas question de le perdre, M ! Le budget de la Défense n’y résisterait pas !

Pas question de le perdre ! Parce que l’escadron voisin vient d’essuyer un échec. Un de leur jeune lieutenant s’est fait peur. Il ne supporte plus de croiser à presque 500 kts et 500 fts sol. Alors il a annoncé la couleur : « Stop ! J’arrête les conneries ! ». Le ballet des huiles a commencé. Même le gégène qui commande la FATAC (Force Aérienne TACtique) s’est déplacé pour venir « évaluer » le démissionnaire. Devant son obstination à refuser les lampes à souder, devant son indifférence aux flatteries, il a fallu s’incliner. Depuis, il erre en attendant une réaffectation dans les hélices ou les rotors. Je le vois souvent venir en parler à son copain de promo qui « habite » chez nous.

Le lieutenant B, son copain de promo qui habite chez nous, est le plus ancien des PO (pilote opérationnel) de l’escadron. Même parcours que M avec quelques années d’avance. Je l’aime bien B. Il est « nature ». « Nature » et toujours de bonne humeur. Il enchaîne les missions dans l’espoir de passer son brevet de sous chef de patrouille. Et il est heureux, toujours de bonne humeur, toujours volontaire ! Même après s’être fait massacrer aux débriefings ! Il croit en sa bonne étoile, il n’a aucun doute ! « La première fois que j’ai passé le concours de l’Ecole de l’Air, je me suis planté. Normal, j’étais en math sup. La seconde je me suis planté. J’ai donc repiqué math spé. La 3ème fois, un des examinateurs a trouvé gonflé que je ne présente que ce concours. Il a cru à une erreur et m’a demandé de confirmer. Je crois que je l’ai un peu cueilli ! De toute façon je ne me voyais pas faire autre chose ! ». Il n’a aucun doute et s’applique avec constance. Content de lui, mais besogneux. Sa bonne étoile le lui rend bien ! Ainsi le jour où le capitaine R, commandant d’escadrille, revient de mission avec lui.

« – Pourquoi vous annoncez Fox two ? Qu’est ce qui vous a pris ?

–  Bennnn, mon capitaine, je vous ai shooté, sinon je n’aurais rien dit …

–  Quoi ? Vous rigolez ? Vous n’avez rien shooté du tout ! Je vous ai vu tardivement mais j’ai dégagé et vous n’avez pas pu me tirer ! »

Le ton monte chez R. L’atmosphère devient tendue. Un PO qui aligne un vieux CP (chef de patrouille) commandant d’escadrille ? Même pas en rêve ! C’est pas prévu au manuel ! En tout cas pas avec ce capitaine là !

–  « Heuuu, je crois que si mon capitaine.

–  Vous croyez vous croyez, vous rigolez ou quoi ? On va bien voir à la ciné-mitrailleuse ! »

Le capitaine n’a jamais admis, malgré le visionnage de la bande, que le réticule lui a poinçonné l’aile gauche ! Pas le bout de l’aile, pile poil à l’emplanture ! Les spectateurs (tous les pilotes présents que le bruit de l’empoignade et l’air agité de la « victime » galonnée avait attiré) ont pu constater que la ressource pour éviter le nuage virtuel d’obus de 30 était « musclée » : « P….n, c’est solide un Jaguar ! Il devait être aux limites ! Et ça ne l’a pas empêché de se ramasser quelques pruneaux ! Il a dû se taper un de ces voiles noirs !  etc etc…» Le capitaine R n’a jamais admis ! Devant sa colère et sa mauvaise foi, les spectateurs se sont tous rapidement trouvés une occupation urgente. Ailleurs. Et le lieutenant B a du subir le débriefing « classique ». Malgré tout, il est resté philosophe. Et souriant. Il savait qu’il venait d’obtenir une victoire sur son supérieur et il était prêt à se battre pour faire aussi bien les fois suivantes ! L’attitude qui consiste à laisser gagner son chef au tennis (ou au golf) pour se faire bien voir n’était pas une option possible pour lui.

Je l’aimais bien B. Même après qu’il soit venu nous dire, un collègue appelé et moi même, qu’il n’appréciait pas de voir sa place à bord d’un 262 (Le Nord, pas le Me …) affectée à un « bidasse ». Le nouveau commandant d’escadrille avait décidé que le retour de manœuvres se ferait aussi en avion pour quelques appelés. Par souci de justice. Nous étions donc deux « amateurs » parmi un cargo de professionnels. Or, le 262 n’est pas élastique et les places assises sont limitées. Nombreux furent les malheureux perdants qui venaient de gagner un aller en seconde classe SNCF entre le Sud Ouest lointain et la riante Lorraine ! Le lieutenant n’était pas content. Pas de Jaguar pour lui, plus de place dans le taxi volant, seul une croisière de quelques semaines à bord de l’Orient Express restait disponible ! Les boules ! Il avait néanmoins admis mon argument en acier inoxydable qui constituait notre unique défense : nous n’avions rien demandé, le vol retour nous était imposé par le commandant ! A notre corps défendant ! Nous exécutions un ordre ! En bons militaires ! J’ai beaucoup apprécié son attitude compréhensive. Il ne nous en a jamais voulu. Au commandant je l’ignore, mais à nous non !

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«- Bonjour Chef, vous me reconnaissez ? ……..Vous avez de nouvelles des anciens ? M, S, B, qu’est ce qu’ils deviennent ? Ils doivent être généraux maintenant non ? “Comment, vous n’avez pas su ? M et B sont morts. Plantés tous les deux à quelques mois d’intervalle… “

Le reste des amabilités s’est estompé dans un brouillard triste. Je venais de voir resurgir le visage de deux fantômes. Je me souviens même encore, 25 ans plus tard, de leur voix, du sourire « béat » de l’un, des yeux humides de son allergie au pollen («Chut ! Le toubib ne le sait pas !… ») de l’autre.

Nous n’étions pas proches au sens habituel du terme, je ne me souviens même plus de leur prénom. Mais j’ai éprouvé pour ces deux lieutenants une sympathie et un respect qui fait qu’un quart de siècle après je me souviens d’eux comme si c’était hier. Je n’ai jamais pu réellement mesurer la quantité d’efforts et de travail qu’il leur avait fallu abattre pour exercer leur passion. Peut être n’en ont ils pas mesuré eux même le poids, emportés qu’ils étaient dans le quotidien de leur passion. Mais j’avais la conscience intuitive de leur engagement personnel, de leurs qualités et de leurs failles qui faisaient d’eux des êtres humains. Et sans vouloir devenir pompeux, je peux dire qu’ils étaient admirables !

Je les regrette.

Raymond GABARD aurait eu 100 ans

Raymond Gabard en 1936

15 Octobre 1919 : date de naissance de Raymond GABARD. Il aurait eu 100 ans, ce qui signifie aussi qu’il n’avait pas 20 ans lors de la campagne de France qu’il a effectué sur MS 406. Sur ce site, un certain nombre d’articles lui ont été consacrés.  Afin de rendre hommage à ce grand ancien du Groupe de Chasse III/6 qui était aussi membre de l’association des anciens de la 11EC, je vous propose un article qu’il m’avait fait parvenir il y a 4 ou 5 ans dans lequel il raconte de façon presque banale comment il s’était mis en vrille sur P 40, vrille qui normalement aurait dû être fatale. 

Curtiss P-40E
Curtiss P-40E

 J’ai piloté le Curtiss P 40.

Nous sommes en début 1945, Le stage à Kasba Tadla est terminé. Je pars pour Meknès au Centre d’Instruction de Chasse, pour ensuite revenir en France pour terminer la guerre. Après quelques heures de vol sur Curtiss H 75, je prends en main le Curtiss P.40. Grosse machine ayant quelques défauts mais idéal pour l’entrainement au travail de chasseurs bombardiers près du sol. Les mois de février et mars 1945 sont utilisés pour l’entrainement   à cette nouvelle spécialité.

Tout se passe bien pendant 1 mois et demi de travail quand un après-midi de mars 1945, alors que je m’entrainais à la mise de l’avion en piqué à la verticale après un renversement (figure de voltige), j’ai trop attendu (1 seconde peut être) avant de basculer vers le sol à la verticale, cette seconde m’a été fatale et je me suis retrouvé en « vrille à plat sur le dos » situation plus qu’inconfortable, puisque, paraît-il, il est impossible de s’en sortir. L’avion descend relativement lentement, comme une feuille morte, sur le dos, c’est à dire que j’étais la tête en bas, les commandes sont molles et l’avion descend inexorablement vers le sol. Seul le parachute avec siège éjectable pouvait peut-être me sauver. Je n’avais pas de siège éjectable.

 Je voyais le sol approcher sans aucun espoir de m’en sortir et dans ma tête, certains souvenirs surtout ma famille me venaient à l’esprit, quand soudain, j’ai pensé au moteur, qui tournait toujours au ralenti.  J’ai poussé la manette de gaz vers l’avant et miracle, je me suis retrouvé en vrille normale. J’étais sauvé. Redressant le P.40 au ras du sol, j’ai mis le cap sur l’aérodrome de Meknès. Il paraît que j’étais plutôt pâle à l’atterrissage. Il m’est difficile de donner mon altitude lorsque j’ai accéléré, je l’évalue à 300 mètres environ. Un peu bas pour redresser une vrille, mais une chose est certaine c’est que je suis toujours vivant.

 Après cet entrainement sur P.40, je suis parti sur P.47 (Thunderbol)

Raymond Gabard   Le 15 Octobre 2014

Philippe DEMOURES : pilote de la 11EC devenu curé

Demoures sur Jaguar

Philippe DEMOURES a commencé une carrière de pilote de chasse dans l’Armée de l’Air. Issu de la promotion 1982 de l’Ecole de l’Air, il a effectué sa période opérationnelle au sein de la 11 -ème Escadre et plus précisément à l’Escadron 3/11 CORSE. Après avoir exercé les fonctions de commandant d’escadrille, il a quitté l’Armée de l’Air pour entrer dans les ordres. Parcours pas banal !

Pour le « Piège », la revue des Anciens de l’Ecole de l’Air, il a bien voulu faire part de quelques réflexions, que ses camardes de promo, ou amis des autres promos connaissent déjà un peu, mais qu’il est heureux de partager avec tous.

Philippe écrit :

Pour mes amis du 3/11, cela a commencé par une pirouette un soir de novembre 1991. Pendant un pot, organisé sous un prétexte fallacieux du genre « on va fêter un jour en « i » », j’ai donc annoncé « après avoir fait les ordres pendant un an, je vais rentrer dedans »…

(Ndlr : les ordres qu’il évoque, sont les ordres de vol qui déterminent l’activité aérienne de l’escadron, responsabilité dévolue au commandant d’escadrille)

Je n’avais pas prévu d’annoncer si tôt dans l’année un départ qui devait arriver 8 mois plus tard… Quand on fait un choix de vie important, on est aussi heureux de le conserver un peu pour soi-même, et, dans mon cas, suivant les conseils de mon « père spi » (l’accompagnateur prêtre que je rencontrais régulièrement), de préserver ma liberté.

Cependant, un pilote de Jaguar plus malin que la moyenne (ça existe, j’en ai connu) avait deviné la chose, et m’avait conseillé de ne pas attendre mars ou avril pour l’annoncer…

Mais, bien sûr, l’aventure a commencé bien avant…

Probablement depuis tout petit, puisque je suis tombé dedans à la naissance, dans une famille où, la foi était partagée et vécue au quotidien et dans une vie paroissiale habituelle, et où la vie consacrée n’était pas une incongruité, mais une possibilité offerte, et vécue par plusieurs oncles, tantes et cousins.

Mais c’est l’année avant mon entrée à l’École de l’air que le Seigneur m’a « accroché radar »… A travers le silence et la paix d’une abbaye… A travers la joie et la sérénité contagieuse de ces hommes, les moines.

De visites en visites, de séjours en séjours, on en vient à se demander si on n’y aurait pas sa place… Mais j’avais probablement trop la bougeotte. Et la question du célibat choisi ne se résout pas en un jour. Il a fallu encore du temps, la redécouverte du scoutisme et l’accueil d’une autre façon d’aimer que l’amour d’une femme et la construction d’une famille, une façon d’aimer différente, mais qui comble aussi, pour franchir le pas. Neuf ans de recherche, pendant lesquels j’ai appliqué un axiome valable à la fois dans la méthode jésuite de discernement, et dans les bons principes de la « Nav BA » : si tu n’es pas sûr de savoir où tu es et où tu vas, tant que tu n’as pas discerné, garde ton cap !

Un prêtre est ordonné pour un diocèse, c’est-à-dire une subdivision de territoire qui, en France, correspond la plupart du temps à un département. C’est l’évêque du diocèse qui accueille la demande du candidat à la prêtrise, qui l’envoie au séminaire de son choix, et accepte, au terme des études, de l’ordonner la personne. L’évêque de Périgueux m’a accueilli, dans ses terres, racines de ma famille.

On peut être prêtre de différentes manières, et, en l’occurrence, j’ai été, comme la majorité, envoyé dans une paroisse. Après quelques années de vie commune avec 3 autres confrères à Bergerac, j’ai été « lâché » seul sur un territoire rural. Comme curé.

Je n’apprendrai pas grand-chose à la plupart des lecteurs je suppose, mais le rôle du curé est souvent proposé suivant un triptyque : Gouverner, Sanctifier, Éduquer.

Aujourd’hui, on parlerait peut-être plus d’une fonction à 5 dimensions :

  • le prêtre doit permettre et développer la vie spirituelle des paroissiens, en animant la prière et en donnant l’exemple de celle-ci. Ces dernières années la dimension d’adoration, dans la prière, a pris une assez grande importance, alliée à la louange. Prière de contemplation, quand nos prédécesseurs mettaient l’accent sur l’action,
  • le curé doit former et faire grandir une vraie communauté. Aujourd’hui, dans le monde rural, il rencontre sa communauté « pratiquante », mais aussi, très souvent, des personnes  « du seuil », qui demandent catéchisme, sacrements ou rites, sans participer à la vie paroissiale. C’est là son plus grand défi : faire comprendre que la foi catholique ne peut être que personnelle et communautaire. Il doit permettre à chaque membre de la communauté d’être porteur de cette mission. Alors que, dans le monde rural, pendant longtemps, c’était le curé devant et les autres derrières « en rangs par deux »,
  • le curé doit être un acteur de la charité. Le mot charité a, en langage chrétien, un sens précis et technique. Il traduit le mot « agapé », qui signifie, dans la Bible, l’amour dont Dieu aime. Faire la charité n’a pas le sens un peu « mièvre » qu’on peut lui donner, comme partager un peu ou donner une pièce à un SDF. Il doit avoir le sens d’un partage qui relève et humanise celui qui reçoit et celui qui donne. De la même manière, c’est toute la paroisse qui doit devenir charitable,
  • le curé doit former les paroissiens. Il doit leur donner la nourriture intellectuelle dont ils ont besoin, pour leur permettre d’être, en vérité et en liberté, capables de rendre compte des raisons de leur foi. Il doit aussi permettre aux paroissiens d’apprendre à trouver leur nourriture, et de savoir discerner,
  • enfin, le curé doit permettre à la communauté tout entière d’être évangélisatrice, par contagion, par conviction, par annonce directe.

Cette vie de curé, je la pratique au milieu d’une communauté bigarrée. Tous les milieux sociaux sont présents, du milieu traditionnel agricole aux cadres retraités (dont l’officier de l’Armée de l’air aspirant à une douce retraite dans un pays de cocagne…), à l’employé. La population est plus âgée que la moyenne nationale, mais le brassage est réel.

Le Périgord attire plus de deux millions de touristes par an. Un tourisme plutôt populaire, logeant souvent au camping. Pas forcément demandeur de spirituel, mais accueillant favorablement les propositions de visites ou d’accompagnement dans la cathédrale de Sarlat. Un public qu’on peut toucher par la beauté.

Bien entendu, dans le mon livre, je survole bien d’autres thèmes, de la vie fraternelle à la vie spirituelle, en passant par la dispersion due aux multiples activités, qui peut être le plus grand risque aujourd’hui pour un prêtre je crois. Mais j’espère que ces quelques lignes vous permettront de découvrir un peu, comme un vol de reconnaissance, ce qui fait une vie de prêtre en campagne aujourd’hui… Au-delà des misères et des drames décrits dans nos journaux, qui nous navrent, mais qui nous entraînent à aller toujours plus haut, et à Faire face !

« Curé rural, tout simplement », Presses de la Renaissance

Philippe Demoures
Philippe Demoures

https://www.librairiedialogues.fr/livre/14550551-cure-rural-tout-simplement-demoures-philippe-presses-de-la-renaissance

https://videotheque.cfrt.tv/video/le-pilote-et-le-pretre/ lien d’une vidéo

Manip 11EC – 2 ème

Comme l’année dernière, on s’est retrouvé chez Jérôme Rambeau (le fils du père) sur le site de “https://lakecity.fr/“. Cette deuxième “Manip” a réuni un peu moins de monde que la première, la faute à une date qui ne convenait pas trop (vacances, marathon du Médoc,…)  mais ce fut tout aussi cordial. Un petit clin d’œil à Harry qui fut contraint d’effectuer un vol sur New York (qui a dit qu’on ne travaillait pas chez Air France?) et qui nous a passé un coup de fil sitôt posé vers 22H00 locales France. 

Les prestations toutes aussi réussies que les précédentes, René en forme à la sono et il en pas fallu plus pour passer une bonne soirée. 

On recommence en 2019 et ce sera le vendredi 13 Septembre ! Réservez la date, mais je vous en reparlerai en temps utile. 

Photo de groupe Manip 2018
Photo de groupe Manip 2018
René aux manettes de la sono
René aux manettes de la sono
Pendant la soirée de la Manip
Pendant la soirée de la Manip
Une première bougie pour cette 2 ème "Manip" ; en espérant qu'il y en aura beaucoup d'autres
Une première bougie pour cette 2 ème “Manip” ; en espérant qu’il y en aura beaucoup d’autres