« Lio : vous êtes un peintre ! »
Nonobstant le respect que l’on peut avoir pour les peintres en bâtiment, les Leonardo Da Vinci, les ripolineurs du dimanche ou les Salvator Dali, le qualificatif de « peintre » dans le petit milieu des pilotes de chasse ne peut pas être considéré comme un compliment, loin s’en faut…
Néanmoins, il faut être honnête, le fait de savoir dessiner ne m’a pas toujours desservi. En effet, il apparaissait évident qu’il me revenait d’être en charge du cahier de marche qui a vocation à rapporter la vie de l’escadron sous une forme souvent imagée, parfois sarcastique mais toujours drôle.
Cette fonction annexe m’a toujours suivi dans les escadrons auxquels j’ai appartenu, de la division des vols de Salon de Provence au commandement de l’escadrille SPA 38 du 3/7 « Languedoc » en passant par les fameux 2/11 «Vosges » et 3/11 « Corse ».
Bref, lorsque le lieutenant-colonel Blanc m’a traité de « peintre » en voyant ma création rupestre en campagne de tir (photo 1 et 2), ce n’était pas à l’issu d’un débriefing houleux comme on aurait pu le craindre mais, heureusement, dit avec un petit sourire en coin et à prendre au premier degré.
Seules les responsabilités arrivant avec les années ont eu raison de mes méfaits picturaux, même si j’ai eu une rechute lors de mon passage à l’Ecole de Guerre qui s’appelait encore le Collège Interarmées de Défense à l’époque. L’absence de cahier de marche en état-major y est aussi probablement pour quelque chose.
On m’a souvent demandé comment j’avais appris à dessiner et si j’avais pris des cours. La réponse était toujours la même : « non, j’ai appris à dessiner pendant mes cours de math et j’ai eu beaucoup beaucoup de cours de math !! ».
En fait, j’ai toujours dessiné, d’aussi loin que je me souvienne. J’ai bien acheté quelques livres pour essayer de progresser mais le dessin m’est venu un peu comme cela. Probablement en regardant ma maman dessiner.
Les premiers souvenirs marquants sont les bandes dessinées faites lors des études du soir au Lycée militaire de Saint Cyr et la création d’un mouvement contestataire artistique « The Art » avec mon camarade Hubert Thonet, coincé comme moi le week-end parce que nos parents habitaient loin. Je crois même que l’idée nous est venue lors d’une retenue. A confirmer avec Hubert. Notre action militante se résumait à scotcher nos œuvres format A4 signée « The Art » au stabilo de façon aléatoire dans les couloirs historiques de l’institut de madame de Maintenon. Je vous rassure, ce mouvement n’est jamais sorti de l’enceinte du Lycée, ce qui est probablement mieux pour la recherche artistique en général et nos réputations en particulier.
L’Ecole de l’Air fut pour moi un lieu particulièrement propice à la création, probablement parce que les cours de Thermodynamique et d’astronautique me passionnaient finalement assez peu, comme en témoignent mes résultats, sans parler des intégrales triples dont je ne voyais par directement le lien avec le pilotage des avions de chasse. Bref, l’une de nos premières actions fut de nous créer une « identité visuelle » comme diraient les publicitaires de la fin du siècle dernier (je suppose que le terme a changé depuis). En clair, il nous fallait un insigne de promotion comme le voulait la tradition. Ce fut fait rapidement avec un logo présentant un poussin en son centre dont le sourcil relevé avait été emprunté à mon camarade Rémi Castellarnau, les symboles des trois spécialités de la promo : un mirage 2000 pour les pilotes, un moteur pour les mécanos et un fusil mitrailleur FAMAS pour les Basiers. Sur la partie droite on retrouvait les trois insignes des trois corps. J’avais fait apparaitre l’insigne du brevet para de base pour les mécanos car à cette époque le brevet métallique n’existait pas pour les mécaniciens. Enfin, en fond d’insigne il y avait nos trois couleurs que j’avais fait apparaitre avec des lignes penchées pour être un peu original, mais nous y reviendrons. Ce logo de la promotion « Clément ADER » 1989 de l’Ecole de l’air fut reproduit sous différentes formes : autocollants dont certains doivent toujours trôner fièrement sur les poteaux des remonte-pente d’Ancelles et bien sûr T-Shirts (photo 3).
En parallèle, au cours de l’année, nous avions aussi décidé de créer des insignes de brigade. Aussi, en tant que représentant de la 1ère brigade, j’ai proposé le symbole du lion, à la fois poussé par le fait que c’était le roi des animaux et par le clin d’œil à mon prénom. On pouvait donc y voir un lion doré sur le modèle de celui de Peugeot portant fièrement ce qui représente le poignard d’officier de l’armée de l’air avec en fond le profil d’un Rafale et bien sûr nos 3 couleurs. Je fus rattrapé par cet insigne 30 ans plus tard quand je reçu un mail d’un brigadier de l’école de l’air me demandant des explications sur l’origine des insignes de brigade. Je cachai dans un premier temps ma fierté que l’insigne soit toujours présent à l’Ecole de l’air mais fus très heureux de pouvoir annoncer que c’était notre promotion qui avait instauré cette tradition.
Mais revenons au drapeau en ligne écartées. En août 1990, Saddam Hussein, suivant l’avis de ses conseillers étrangers « bien intentionnés », eu le bon goût d’envahir le Koweït afin de faire revenir dans le giron irakien ce qu’il considérait comme une partie de la Mésopotamie originelle et surtout ses immenses réserves de pétrole. Mais je ne m’étendrai pas sur cette opération à laquelle la 11 EC a héroïquement participé et dont les récits sont nombreux dans les colonnes du bulletin des anciens de la 11 EC. En revanche, il est une anecdote assez drôle sur l’insigne Armée de l’air de l’opération Daguet. A cette époque, il y avait peu d’officiers arabisants dans l’armée de l’air et encore moins dans le corps des officiers renseignement, or, il s’avérait que le brigadier de la seconde brigade, le commandant Philippe Gunet[1], en faisait partie. Il fut donc réquisitionné et envoyé en Arabie saoudite auprès des autorités Air déployées à l’époque pour préparer la reconquête du petit émirat. Une fois sur place, il fut chargé de proposer des versions d’insigne pour l’opération Daguet et il s’inspira du drapeau aux lignes écartées de notre insigne promotion car il trouvait cela très original (cf photo 4 et 5). Il ne m’avoua cela que bien plus tard alors qu’il était général en charge des relations internationales à l’état-major des armées et que je passais dans son bureau pour débriefer mes deux années comme coopérant au Qatar. Le général Gunet nous a malheureusement quitté prématurément des suites d’une longue maladie en 2019. Ce fut pour moi l’occasion de faire un petit dessin en sa mémoire envoyé à sa veuve.
Une autre aventure m’amena l’année suivante à devenir un faussaire en herbe. En effet, ayant vu à la télévision un reportage sur les timbres et en particulier ceux avec des défauts qui devenaient uniques, je suis resté amusé par certains philatélistes qui réalisaient leurs propres timbres expliquant que le fait qu’ils soient oblitérés les rendaient « reconnus » par les PTT. En voilà un challenge à ma hauteur… Je m’attelai donc immédiatement à la tâche en créant un timbre « Ecole de l’air, promotion clément ADER » où l’on voyait le Bâtiment des études, l’Eole et Ader, de couleur bleu-gris avec au-dessus les Alphajets de la patrouille de France (photo 6).
Je découvris un peu plus tard qu’il existait déjà un timbre Ecole de l’Air et que celui-ci ressemblait de façon assez surprenante à celui que j’avais commis et fait oblitérer par la poste (photo 7). Je fis également un timbre 1ère brigade et un timbre promo 1989, jusqu’au jour où je fus convoqué par les brigadiers de la 1ère et deuxième Brigade, les commandants Laurent et Gunet. Ils étaient tombés par hasard sur un de mes timbres lors de la distribution du courrier aux élèves. En effet, pour savoir si les timbres étaient validés par les PTT, je me les adressais avec à chaque fois ce petit pincement au cœur de la crainte de me faire prendre. « Vous ne vous rendez pas compte ! faire des faux est passible de 300 000 francs d’amende, bien plus que ce que ma solde me permettait d’économiser, et de 10 ans de prison, ce qui me faisait abandonner tout espoir d’être pilote de chasse ! vous êtes inconscient. Et la réputation de l’école ? ». Ayant pris conscience du crime que je commettais, je décidai d’inscrire République « Françoise » avec une faute d’orthographe pour éviter de longues années dans les bagnes français dont je me voyais déjà risquer la peine (photo 8). Finalement, ce fut donc le coup d’arrêt à mon aventure philatélique dont je ne garde que quelques souvenirs et deux ou trois timbres.
Arrivant à la division des vols, je découvris l’existence des cahiers de marche qui avaient vocation à garder en mémoire les faits marquants de l’Unité. Je me suis d’ailleurs rendu compte plus tard lors des dissolutions des escadrons de la 11ème escadre, en consultant tous les cahiers de marche que nous avions rapatriés pour l’occasion, que ces gros livres étaient à la fois les témoins de la vie de l’unité mais aussi d’une époque avec son humour, sa calligraphie et son style de dessin. : Me voilà donc arrivant au 3ème Escadron d’instruction en Vol prêt à attaquer mes premiers vols sur Fouga Magister. Cette arrivée fut l’occasion de marquer le coup en caricaturant l’ensemble des moniteurs. La complexité de l’exercice fut de réaliser un montage en relief qui se déployait lorsque l’on ouvrait le cahier de marche. L’exercice n’était pas simple et je dû y consacrer pas mal de temps au détriment de la révision de mes procédures. Mais ce ne fut pas du temps perdu car ce fut un succès immédiat qui me propulsa responsable du cahier. Je suppose qu’il doit être encore à la DV ou archivé au Service Historique des armées.
Tout s’étant bien passé à Salon, je poursuivis vers l’Ecole de chasse de Tours. Là encore, notre esprit tribal nous poussait à avoir des signes d’appartenance et le T-Shirt d’escadron en faisait partie. La confection de T-Shirt est d’ailleurs devenue quasiment une tradition pour moi dans toutes les unités où je suis passé : 3èmeEscadron d’Instruction en Vol, école de chasse, 2/11 « Vosges » etc…, détachements opérationnels et même lors de mon retour à la Division des vols de Salon comme commandant d’escadrille (cf photos 9, 10 et 11).
A l’issue de l’amphithéâtre de Cazaux, je sortis 1er de mon groupe et pu choisir mon affectation. Alors que j’aurai pu aller su M2000 à Dijon ou Orange, je choisi d’aller à la 11 sur Jaguar. Mais avant de rejoindre l’escadron, il fallait à l’époque passer par Saint-Dizier pour la transformation sur Jaguar. L’arrivée au 2/7 fut l’occasion de changer d’échelle après les cahiers de marche et les T-Shirts car l’unité allait bientôt fêter ses 20 ans et ses escadrilles leurs 80 ans. Je participai à la proposition de projets de peinture d’un Jaguar B et ce fut le mien qui fut retenu. Le design était assez classique et symétrique, voire presque stalinien comparé aux décorations actuelles, mais nos moyens étaient assez limités (cf Photo 12 et 13). Si l’enthousiasme au lancement du projet était indéniable, nous nous rendîmes vite compte que la réalisation ne serait pas si simple, compte tenu de la taille importante de l’avion. Jouant de ruse avec le rétroprojecteur et d’habileté dans la découpe du scotch de peintre, nous finirent à temps la livrée de l’avion pour la cérémonie, après quelques journées et soirées à peindre l’avion.
Enfin, je pu rejoindre Toul-Rozières et le 2/11 où le cahier de marche fut une de mes taches annexe. Outre la présentation des pilotes de l’escadron (qu’à priori je n’eus pas le temps de finir), mon rôle consista donc à faire état des différents événements de l’escadron : Ejection du lieutenant Bresse (photo 14), sortie du taxyway de Razafimaro (photo 15), ou reprise d’une anecdote d’Incirlik où des Jaguars avaient rassemblé des F111 américains que ces derniers avaient pris pour des avions syriens…(photos 16, 17, 18 et 19) Cela pouvait être sur mon initiative ou sur commande quand certains avaient les idées mais pas forcément le coup de crayon (photo 20 et 21). Un des sujets était bien sûr de se moquer des autres escadrons de Jaguar mais également des pilotes de défense aérienne, sujet inépuisable… Malheureusement, l’escadron fut endeuillé à deux reprises en trois mois début 1995 et cela plomba un peu l’ambiance pour être honnête. Néanmoins, l’occasion de ma première campagne de tir fut l’occasion de découvrir l’escadron de passage de la base de Cazaux et ses peintures rupestres laissées par les Michel-Ange des escadrons. Le 2/11 ne pouvait donc pas décemment passer sans laisser sa trace. Je fus donc désigné pour marquer notre passage comme en témoigne les photos du cahier de marche. Le style de la peinture était assez « corps de garde » il faut être honnête mais le dessin fut apprécié et décliné en T-Shirt un peu plus tard (cf Photo 1). J’eu l’occasion de refaire d’autres peintures à Cazaux voire même à Solenzara lors d’un détachement sur Tucano (photo 22).
Bien plus tard, après avoir réussi le concours d’entrée au Collège Interarmées de Défense, je rejoignis Paris et les bancs de l’Ecole Militaire pour y profiter d’un enseignement de qualité. J’y retrouvai l’ambiance promotion connue 15 ans plus tôt à Salon même si cette fois nous étions 320 stagiaires de toutes les armées et de 70 nationalités différentes. Les conférences quoique souvent très intéressantes, me donnaient l’occasion de faire des dessins humoristiques. Je ne pus pas résister à la tentation et réalisa quelques « crobards » dès les premiers jours de la rentrée. Je les partageai avec mon bi-groupe et des copies numériques ne tardèrent pas à se retrouver sur le réseau informatique de l’Ecole où mon cadre professeur les intercepta très vite. J’avoue qu’en signant mes dessins « Lio », je prenais le risque d’être rapidement identifié. Mon cadre, par ailleurs très sympathique, se sentit obligé de me sermonner et cela mis fin à ma production de caricatures et autres dessins humoristiques. Mais quelques jours plus tard, toute la promotion reçu un mail s’inquiétant de ne pas voir de « crobard » suite aux dernières conférences… ce dernier était signe général Flichy, directeur du collège interarmées de défense ! Nous prîmes donc cela comme une autorisation et je découvris rapidement deux acolytes, un terrien et un gendarme. Notre production fut si importante que l’on put confectionner un recueil en fin d’année que l’ensemble des stagiaires eut la possibilité de remporter chez soi (photo 23 et 24).
Cette année à Paris, fut également l’occasion pour moi de gagner un pari. En partant de Salon-de-Provence où j’étais instructeur, je fis le pari que je mettrai ma tête sur la plaquette de l’association des anciens de l’Ecole de l’Air vendue chaque année lors du Gala de charité de l’association. Mon plan était simple. Je savais que c’était un groupe de stagiaires du CID qui devaient se charger chaque année de la conception de cette plaquette… il ne me restait plus qu’à me porter volontaire, sachant que les prétendants ne se bousculeraient pas. Une fois au sein du comité, je fis un peu de lobbying pour proposer un thème qui me tenait à cœur : « les peintres et les écrivains de l’Air ». L’idée était de faire une plaquette un peu originale qui ne soit pas qu’historique ou trop technique. Avec un peu de chance, notre sujet fut accepté pas le comité du Gala et nous pûmes nous mettre à la tâche. Je me suis alors proposé de faire un tableau pour la couverture illustrant les Clostermann, Saint-Exupery et autre Leonardo da Vinci (vision large des peintres de l’air !). M’inspirant du triple auto-portrait de Norman Rockwell (photo 28), je fis une composition représentant un peintre se peignant lui-même avec quelques détails aéronautiques (cf photo 25). La peinture fut acceptée pour la couverture et le pari réussi…
Les années faisant et les responsabilités aidant… je fus moins productif. Quelques toiles lors de mon passage au Qatar, mais l’ambiance en état-major opérationnel ou en Ambassade n’est pas celle en escadron … à fortiori ceux de la 11 EC !
Je ne désespère pas de reprendre les crayons et les pinceaux un jour, il y a en effet plein de projets qui attendent dans mes cartons mais je n’ai pas vraiment le temps pour l’instant.
L . E
Je suis émerveillé par votre travail. Bravo!
École de l’air, 3/7 et 2/11 je connais aussi!!!
Bravo, superbe travail.
Je connais surtout le 1/11, par mon père (OLAT), qui m’emmenait régulièrement respirer avec ravissement le kéro…! en 74