Un aviateur dans la Marine

Catapultage

         Jeune chef de patrouille sur Jaguar, le Capitaine Jean-Marc Denuel (77) a été, de septembre 1984 à octobre 1986, le premier pilote de combat de l’Armée de l’air participant à l’échange d’officiers entre la Force aérienne tactique et l’Aviation de chasse embarquée de la Marine.

       D’abord « amariné » au sein de l’escadrille 59S sur Fouga Zéphyr et sur Étendard IVM, il a ensuite rejoint la flottille 11 F sur Super-Étendard à Landivisiau.

      Les deux années d’échange lui ont permis de réaliser plus de 400 heures de vol, près de 90 appontages (dont 13 de nuit) et six mois d’embarquement sur le Foch et le Clemenceau.

LE MATELOT DECROCHEUR

      Ce matin-là , je n’étais pas inscrit sur la feuille des vols. Je n’étais pas non plus de permanence en salle d’alerte. Aucune raison de rester là, les vieux « chibanis (1) » de la flottille me l’ont dit : sur le porte-avions, ce n’est pas comme à terre. Ne pas tenter de tout connaître à bord trop vite, apprendre à durer… J’ai été envoyé en échange dans l’Aéronautique navale il y a déjà plus de six mois, mais je n’ai que 10 jours de mer et je ne peux pas me targuer d’être un vieil apponteur ; d’ailleurs, mes résultats récents ne me feront pas grimper sur le podium de la coupe des apponteurs  « tricot bleu ». Bref, pour ma première grande sortie sur le porte-avions et au bout d’une douzaine de missions à la mer,  je n’ai pas un gros moral et la perspective d’embrasser l’horizon des quatre murs de tôle de ma chambre ne me réjouit pas. Il me faut de la compagnie, ou, à défaut, de la vie et du mouvement. Je décide donc de monter à la passerelle d’admiration : vue sur le pont, grand air assuré et sûrement un peu d’animation.

      Je suis verni, le ramassage de la première pontée se prépare. Les avions tournent au-dessus de nos têtes en attendant que leur soit donnée l’opportunité d’engager les brins. Il y a parmi eux des copains de galère, enseignes (2) débutants dans le métier, dont les prouesses face au miroir n’ont rien à envier aux miennes. La ronde des appontages commence. Toutes les 36 secondes environ, les Crusader, Étendard et Super Étendard se présentent. Je suis fasciné par le rythme de cette fantastique orchestration. Le passage dans le groove (3) ne dure pas plus d’une quinzaine de secondes ; très en incidence, les avions approchent au moteur, tout près du second régime : ils semblent en équilibre sur une tête d’épingle ; plus lents, ils tomberaient, plus rapides, ils pourraient casser les presses de frein… ou le brin. C’est pour cette raison, et, bien sûr, au cas où la crosse raterait ses   retrouvailles avec le câble, que les pilotes affichent plein gaz dès que les roues heurtent le pont. Les Cruse, dressés sur la roulette de nez, hurlent leur puissance comme des chevaux cabrés. Un Étendard IVP se pose vite et désaxé à gauche. Sur les quelque 70 mètres de sa décélération donne l’impression de se débattre de droite et de gauche avant de s’immobiliser de travers, au bout du pont, le moteur grondant, retenu par la crosse au câble trop tendu par la puissance du réacteur. « Les Poney » (4) surgissent du boulevard et, en le repoussant par les ailes, aident l’insecte de métal bleu à se libé rer de sa toile d’araignée.

     J’en ai trop vu, j’ai le moral définitivement dans le baquet. C’est trop difficile. J’étais pourtant chef de patrouille dans mon escadron, je rentrais de Red flag (5) juste après avoir participé à la mise en place de l’opération Manta au Tchad… Une petite gloire pour un pilote de Jag. Il ne me restait plus qu’à attendre, paisible, un commandement d’escadrille chez les Sphynx. Mais qu’étais-je venu faire dans ce cirque ?  Hébété, je décidais de me retrancher dans ma chambre, à l’abri des regards indiscrets qui auraient pu déceler ma détresse naissante. Dans l’ascenseur minuscule qui me ramenait au pont principal, je fixais une photo du porte-avions au mouillage de nuit pour ne pas croiser le regard du « quatre galons » qui était monté avec moi. « Belle photo, pas vrai ?» Cest le chef PEH (7), genre vieux loup de mer buriné par les embruns qui vient de m’adresser la parole. Je dois grommeler une réponse en m’escrimant sur le système d’ouverture des portes de « monte-charge » d’un autre âge pour m’enfuir dans la coursive obscure.

C'est parti !
C'est parti !
La piste : courte, pas dans l'axe et elle bouge !
La piste : courte, pas dans l'axe et elle bouge !

       Quelques jours ont passé. On dirait que cela commence à rentrer. J’ai assimilé mes erreurs et mes derniers appontages sont plutôt bons. Bien sûr, ça ne mérite qu’une pine à trois heures dans le carnet noir des officiers d’appontage (OA) mais, pour le moment, je m’en satisfais. J’arrive maintenant à lire la route aviation quand je rentre dans le circuit d’appontage et je ne me retrouve plus divergent en vent arrière. Je sais aussi analyser la vitesse du bateau en fonction de la taille du sillage, ce qui permet d’être renseigné sur l’importance du phénomène aérodynamique que l’on va rencontrer en entrant dans le groove. Plus le bateau va vite et plus la pompe est forte en sortie de dernier virage. Il faut alors réduire pour conserver l’assiette et la pente, à vitesse constante. Mais on n’a pas plus tôt résorbé son problème d’assiette, de pente ou de vitesse qu’il faut rajouter du moteur pour ne pas tomber dans la dégueulante en courte finale. Et puis, qui dit forte allure, dit machine en avant toute et cheminée fumante. Chaude et noirâtre, la fumée enveloppe l’avion en se combinant au phénomène de pompe, en sorte qu’il faut encore plus réduire tellement l’air est porteur avant de réagir encore plus promptement pour ne pas voir le tableau arrière de trop près. De toute façon, si vous arrivez à faire tout cela, vous sortez forcément désaligné, parce que comme le porte avions file ses vingt nœuds ou plus et que la piste est désaxée de huit degrés, à un vous êtes en face, à deux, vous êtes en vrac. « Du pied à droite » ordonne l’OA. Ben oui, mais quand on met du pied, on induit plus de traînée et moins de portance et l’avion tombe. D’ailleurs, il demande de rajouter des gaz : « Moteur ! Plein pied à droite » mais le pont se rapproche. BIP (8) ambre, c’est quelques nœuds de trop, on accélère… et on ne peut plus levez le nez, pas question d’arrondir. Le meatball (9) monte, monte dans  sa cage de verre, surtout ne pas le perdre. Pousser le  manche vers l’avant, Pan, brin 4, désaxé. Ça freine fort ! Plein gaz tout de suite, mais pas trop longtemps pour ne pas mettre le brin en tension et permettre le rappel de l’avion en arrière qui fera tomber le brin du sabot de crosse. Bon sang, je ne recule pas. Encore raté ! J’ai dû freiner, c’est sûr.

     Les Poney autre nom des PEH, se précipitent sur mon avion le long de chaque aile pour libérer le brin. Un tonnerre se déclenche au-dessus de ma tête : c’est mon équipier qui remet les gaz, comme pour souligner ma maladresse. Le chien jaune, encore plus énervé que d’habitude, me fait des signes « appuyés » pour que je sorte de la piste oblique.

     Le soir, le pacha fait savoir aux jeunes apponteurs qu’un wave-off» provoqué par l’encombrement du pont, c’est du pétrole et du temps perdu… à bon entendeur…

      Le soir, au bar, les anciens y vont de leur conseil : c’est pourtant facile, « tu impactes », tu mets plein gaz, tu sautes sur le “bitard” de la crosse (à côté de la palette) pendant que ça décélère (fort !), tu te trompes pas, parce que si tu relèves la palette, le train rentre vu qu’il est allégé pendant la décélération ; là, il est temps de réduire à fond, sinon tu ne profites pas de l’élasticité des brins mais pas trop tôt, sinon l’OA te colle une pine (10) en bas… et tu en remets tout de suite une louche pour évacuer le pont. Au fait, fais gaffe, si tu n’obéis pas strictement au chien jaune, je le connais, il va te garer la roue avant au bord du pont et le cockpit au-dessus du vide : tu pourras pas descendre. »

 

       C’est fou ce que tout ça me rassure. Une autre bière, maître d’hôtel, pour oublier ! Le chef PEH lui, me prend à part : tu sais, la photo de l’ascenseur, je peux te la procurer… si tu réussis trois sorties de brin d’affilée. Chiche ».

       Deux vols sont passés, soldés par deux appos corrects et deux sorties de brin impeccables. Au matin de mon troisième vol, je vais à l’avion confiant. Le loup de mer, goguenard, vient à ma rencontre en piste : « plus qu’un… » ironise-t-il. Je lui réponds d’un sourire que j’espère décontracté et je sors sur le pont en essayant d’évacuer la pression qui m’envahit. Au moment de monter dans l’avion, un matelot s’approche :  

      «Capitaine » « Oui… »

      « Je suis le matelot décrocheur ; je voulais vous dire, ça serait chouette que vous arriviez à vous décrocher tout seul ». Derrière lui, à distance, le chef PEH est tordu de rire sous son casque…

       Cette photo, je la regarde souvent   ;  elle est plus que belle et je ne m’en séparerais pour rien au monde.

   (1) – Chiban : maître en arabe ; par extension, pilote chevronné en jargon aéronautique,

   (2) – Enseigne de vaisseau lieutenant-

   (3) – Groove : phase finale du circuit d’appontage, le tuyau dans lequel on peut voir la tache lumineuse du miroir d’appontage

   (4) – poney surnom des appelés qui, sous les ordres des chiens jaunes, s’occupent des mouvements sur le pont d’envol.

   (5) – Red Flag : célèbre exercice tactique de grande envergure au Nevada.

   (6) Sphynx : insigne de la meilleure des escadrilles de l’EC 4/11, bien sûr.

   (7) – PEH : service pont d’envol hangar.

   (8) – BIP : incidence mètre à trois lampes ambre, verte et rouge ; les lampes- s’allument en fonction de la vitesse de l’avion•

   (9) – Meatball : tâche lumineuse du miroir d’appontage.

(10) – L’OA (officier d’appontage) note chaque appontage à l’aide d’une flèche dite “pine” orientée de midi (excellent) à 6 heures (sécurité engagée) 

Certificat Marine d'appontage
Certificat Marine d'appontage

Quelques photos, pour certaines marquantes de son passage dans la Marine.

TAM 88

TAM 88

      TAM 88 était un exercice majeur OTAN qui s’est déroulé en 1988 à partir de la base canadienne de Solingen (RFA) , auquel la France participe bien qu’elle ne fasse pas partie de la structure intégrée. Cela fait 35 ans mais quelques souvenirs notoires me restent encore : 

       – tous les jours un “Mass-raid” d’une cinquantaine d’avions décollait de Solingen et il y en avait presque pour une heure à mettre tout le monde en l’air ; un grand spectacle 

       –  le briefing du soir qui rassemblait l’ensemble des participants commençait toujours par le “Hack” qui consistait à synchroniser les montres des participants. Le général Britannique responsable de l’exercice avait chronométré le temps qu’il lui fallait pour aller de la porte d’entrée de la salle jusqu’à son siège de façon à ce qu’il s’assoit quand l’officier en charge du briefing prononce le mot “Hack” ; du grand art ! 

       –  pour pénétrer dans la zone OPS (celle d’un escadron), les véhicules étaient systématiquement fouillés, un miroir passé sous la caisse,… car à l’époque l’IRA (branche armé Irlandaise) avait menacé de s’en prendre aux intérêts de l’OTAN. Quelle ne fut pas la surprise du fusilier commando Canadien quand à l’ouverture du coffre de la 305  du détachement français, il vit un pilote (Gadget) lui demander comment il allait ! L’histoire fit rapidement le tour des participants qui en rigolèrent ; pas certain qu’il en soit encore ainsi à notre époque….

–  cela me permet aussi d’adresser un petit coucou à “Néné” chef du détachement français. 

TAM 88

       Dans la jungle des exercices aériens qui événement a été régulièrement commenté dans se déroulent régulièrement dans les cieux européens, nul doute que les lecteurs ou « aérophiles » peuvent y perdre un peu le nord…

    Bien que pour eux des notions telles que « Tiger Meet », « Tactical Meet », « Best Focus », «Central Entreprise», « Datex », «Reforger» soient souvent synonymes de « beaucoup d’avions rassemblés en un même jour en une même place, donc une opportunité photographique sans pareille, on sait beaucoup moins ce qui se cache derrière ces exercices eux-mêmes.

      Nul besoin d’avoir honte de son ignorance car en Amérique du Nord, avec des exercices tels que « Red Flag », « Blue Flag », « White Flag », « Maple Flag « Giant Voice », « Bull’s Eye » et beaucoup, beaucoup d’autres, il faut être spécialiste pour distinguer ce qui fait l’originalité de chacun d’eux, ainsi que leur raison d’être. 

   Le « Tactical Air Meet » est l’un de ces exercices qui se déroule tous les 2 ans et que tout le monde connait maintenant puisque cet évènement a été régulièrement commenté dans les pages de notre magazine. C’est devenu une chose tellement courante en fait, qu’on ne sait plus très bien à quoi il sert, ni comment il se déroule !

Canberra Tornado TAM 88
Canberra Tornado TAM 88

    Est-ce une réunion « amicale » du type « Tiger Meet » ? Est-ce une compétition entre escadrons ou avions ? Ou alors s’agit-il de mettre en commun ses forces pour faire face à une menace commune ?

       Autres questions. Comment les participants vivent-ils cet exercice ? Volent-ils avec moins de restrictions ? Accumulent-ils plus d’heures de vol ? En retirent-ils vraiment des leçons, qu’ailleurs ils n’auraient jamais pu apprendre ? Bien entendu, ces questions concernent tout aussi bien les équipages navigants que les techniciens au sol.

       Cette année, c’est ta base canadienne de Baden Solingen qui a été choisie pour accueillir être cet événement. Une chose est certaine de prime abord : le fait de changer tous les deux ans de base aérienne en lieu et place d’une base d’exercice unique comme il en existe en Sicile, en Sardaigne ou même en Corse est révélateur sur deux points. Premièrement, on ne peut contredire le caractère d’exercice que prend une telle manifestation dans la mesure où la base qui accueille 70 appareils supplémentaires, devra forcément s’adapter à un rythme différent, tant au niveau de l’infrastructure, de la logistique et, du ravitaillement qu’à celui du « management », dirons-nous, de l’espace disponible pour permettre à toutes les équipes invitées de travailIer dans les meilleures conditions possibles.

       Cette pression se fait également sentir au niveau des contrôleurs aériens, assurant la gestion totale de l’ensemble des mouvements sur l’aérodrome, depuis les circuits d’approche jusqu’à la circulation sur les taxiways et la piste principale.

On peut aller plus loin encore, en évoquant l’intégration de 200 personnes supplémentaires, équipages, techniciens et autres personnels qu’il faudra nourrir, loger et transporter. Bref, pour la base qui reçoit, il s’agit effectivement d’une mise à l’épreuve et d’un contrôle de ses capacités à s’accommoder d’un rythme de vie non conforme à son activité quotidienne habituelle. Par contre, c’est un scénario qui pourrait se jouer dans l’hypothèse d’une crise sérieuse ou d’un conflit… Un autre élément entre en faveur du choix d’une base opérationnelle « normale », située sur le continent.

TAM 88-2 JAG de RAF en DL PS
TAM 88-2 JAG de RAF en DL PS
F 16 Danois
F 16 Danois

      Il s’agit pour les équipes participantes d’évoluer dans un espace aérien et dans une zone géographique identiques à ceux dans lesquels elles auraient à intervenir en cas de conflit, et dans le cadre de leurs responsabilités au sein de l’OTAN. Mener un tel exercice à partir d’une base en Sicile, par exemple, impliquerait des problèmes logistiques énormes, et l’intervention quasi systématique de ravitailleurs en vol pour se rendre jusque sur le continent et en revenir.

      Bref, pour le « base commander » de Baden-Solingen, accueillir le TAM 88 fut un honneur, mais pas forcément une partie de plaisir. On pourra ainsi vérifier en pratique ses capacités de « manager », et à la fin de l’exercice, c’est lui qui recevra des messages de félicitations et de remerciements, mais c’est également lui qui sera la cible n°1 si, au soir d’une journée de travail, les mécanos n’ont pas d’eau chaude pour prendre leur douche : c’est accessoire direz-vous, mais ça compte, et c’est essentiel pour conserver sa bonne réputation…

      Et justement, les mécanos et les chefs de piste, ceux qu’on oublie trop souvent, comment cela se passe-t-il pour eux ?

     A leur niveau, le défi à relever est certainement plus grand encore que pour tous les autres, et sans commune mesure avec le travail quotidien sur leur base d’origine. Imaginez la situation sous l’angle suivant. Au TAM, vous aurez trois ou quatre forces aériennes qui, toutes, sont venues avec quatre avions, tous du même type, le F-16 par exemple ; Belges, Danois, Hollandais et Américains vont s’observer mutuellement pour voir lequel d’entre eux pourra, au jour le jour, aligner ses quatre avions disponibles à 100 %. Pas une mince affaire en soi car, si l’une des équipes a des difficultés à ce niveau, ou une indisponibilité de 25 % voire de 50 % sur un avion identique, cela peut-être révélateur d’un problème sur le plan de la maintenance. Pour les équipes au sol, ce sera indubitablement une espèce d’épreuve, et la volonté, surtout, d’atteindre le statut opérationnel des collègues étrangers. Mais heureusement, dans ce type d’exercice international, voué à la réussite d’une cause commune – la défense des pays de l’OTAN –  il est normal que l’on tire des leçons de ses éventuels échecs, et que l’on bénéficie de l’expérience des autres.

      C’est ainsi qu’un technicien hollandais donnera quelques « tuyaux » à un collègue belge sur un problème de maintenance bien particulier. Alors qu’un technicien de l’USAF ayant travaillé sur F-16 dans le climat aride de l’Arizona, dispensera des conseils judicieux aux Européens sur la maintenance de l’avion en plein air, lors de nos étés continentaux. Mais on pourra également discuter d’un problème commun à l’avion, d’une panne ou d’une défaillance fréquente, et trouver, ensemble, un moyen d’y remédier. Lors d’une telle manifestation internationale où chacun défend ses « couleurs », ce sont eux, les techniciens qui tiennent un peu la barre. Sans eux, même le plus « tigre » des pilotes sera dans l’impossibilité de voler, et s’il le faut, ils travailleront toute la nuit pour que le lendemain toute l’équipe, pilotes compris. puisse répondre « présent » et relever un nouveau défi.

EF 111 Guerre Electronique
EF 111 Guerre Electronique
F 16 de Spangdalem
F 16 de Spangdalem

      En ce qui concerne les pilotes, les choses ont quelque peu changé pour eux, à ce TAM 88.

       Dorénavant, il ne faudra plus confondre un TAM avec ce qui fut jadis un « Weapon Meet » ou un « Royal Flush ». Autrement dit, il ne s’agit plus d’une compétition ou d’un concours dans le style « allez-y et que le meilleur gagne ! » Il n’y a plus de classement au TAM, ni d’équipe gagnante. L’esprit du « Meet » a changé : il est devenu plus réaliste.

     En effet, comme devait le déclarer un général lors de la cérémonie d’ouverture : « ce serait une contradiction de nous battre entre nous, alors que le but recherché est d’être efficace ensemble, contre un ennemi commun. » Quoi de plus logique !

     Un participant devait par ailleurs déclarer : « l’abandon de la notion de compétition enlève une partie du stress qui pesait sur les équipages. Aujourd’hui, on recherche l’harmonie et non plus le duel. Au niveau sécurité, c’est mieux également car les équipages ne prennent pas de risques inutiles. » Voilà dans l’esprit dans lequel s’est déroulé ce TAM 88.

     Passons maintenant à la raison d’être du TAM. En termes généraux, il s’agit de recréer un environnement qui permette aux forces aériennes de l’OTAN (Allied Air Forces Central Europe – 2nd et 4th ATAF) de mettre en pratique des tactiques et procédures qui ont été développées conjointement au niveau des forces d’attaque, de défense aérienne, de reconnaissance et de guerre électronique, afin d’en assurer une utilisation harmonieuse tout en tenant compte des divers matériels utilisés.

Les objectifs recherchés par ce biais sont de nature variée : étendre le champ d’activité et d’intervention des différentes forces aériennes concernées, améliorer les capacités de commandement et de contrôle, faire un usage intensif des moyens d’interprétation et d’aides informatiques pour le planning des missions, et enfin, assurer une meilleure compréhension des opérations aériennes combinées. Parallèlement et indirectement, l’exercice permet également de développer la confiance mutuelle entre les divers équipages participants sur un plan plus humain et personnel.

     Concrètement, comment fonctionne l’exercice ? Les participants qui, tous, se retrouvent regroupés sous la notion de force « attaquante », sur la même base, en l’occurrence Baden-Solingen, sont structurés en cinq « escadres TAM », dont chacune a un rôle bien particulier : deux sont vouées à l’attaque au sol, une à la couverture aérienne/chasse, une à la reconnaissance et une à la guerre électronique. Les missions sont coordonnées par un « ATOC » (Allied Tactical Operations Center). Ces escadres effectuent une mission d’attaque « en masse » (près de 40 avions ou plus) une fois par jour, scénario au cours duquel elles obtiennent également l’appui d’un E-3A AWACS de l’OTAN. Leur mission consiste à défaire et à pénétrer le réseau de défense aérienne d’un ennemi hypothétique, pour attaquer ensuite, derrière les lignes, divers objectifs. En 1988, ceux-ci étaient situés en Belgique et en France, exclusivement dans le Nord-Est. A titre d’exemple, l’ancienne base américaine de Chaumont figurait sur la liste des objectifs attaqués.

CF 18 Canadien
CF 18 Canadien
F 15 de Birburg
F 15 de Birburg

      Les forces de défense aérienne ne font pas partie intégrante du TAM, mais participent à l’exercice en jouant le jeu. Ces dernières consistaient en deux escadres de chasse, des sites de missiles sol-air, des stations de détection fixes et mobiles, et elles disposaient elles aussi d’un AWACS. En résumé, toutes les missions dites offensives s’effectuèrent au départ de Baden. Il y en eut 600 en tout.

       Toutes les missions dites de défense, soit 300 au total, furent lancées à partir de diverses bases localisées en France, en Belgique et en Allemagne. On estime qu’environ 500 avions furent concernés par l’exercice, alors que l’équipe TAM elle même disposait de 73 avions à Solingen.

       Afin de tirer le maximum de leçons de cet exercice, une place prépondérante avait été laissée aux missions de préparation, puis à l’analyse des résultats. Une équipe spéciale avait même été mise en place afin d’en vérifier tous les éléments et de se prononcer, ensuite, sur la « qualité » de la mission effectuée.

On comprend mieux l’importance de la planification, lorsque l’on considère que tous les avions partent du même terrain. Il faut donc se rassembler quelque part dans le ciel afin de former le dispositif d’attaque prévu. Or, un F-104 ou un F-5 n’a pas la même autonomie qu’un F-111 ou un Tornado par exemple ; mais il faut que tout le monde arrive sur l’objectif et puisse en revenir avec assez de pétrole.

       Ainsi, durant les missions quotidiennes, on pouvait assister en premier lieu, au décollage de I’AWACS, suivi des avions ECM, puis des F-111 , puis des Tornado et ainsi de suite, les F- 104 et F-5 décollant, en général, en dernier. Au retour, le scénario se déroulait en sens inverse, I’AWACS se posant en dernier, bien après fa grande masse des chasseurs

Et les équipages, d’où proviennent-il ? Il est à signaler que chaque pays présentait une équipe formée d’éléments (avions et hommes) provenant de divers escadrons. Les pilotes eux-mêmes, il faut le préciser, ne sont pas des « débutants ». Ils sont tous certifiés et diplômés du « T.L.P. » (Tactical Leadership Program), et ont une qualification de chef de patrouille leur permettant de mener quatre avions, et de types différents qui plus est. Leur expérience servira bien entendu à la formation des jeunes dans leurs unités respectives

      La France, qui ne fait plus partie intégrante de l’OTAN, avait participé au TAM 88, une fois de plus en tant qu’invitée, avec les 2e , 7e, 11e et 33e escadres. Il en fut de même pour l’Italie et le Danemark qui, eux, ne font pas partie du « Allied Air Forces Central Europe ».

      La conclusion de cet exercice, le général Fred Noak (RFA), commandant en second de I’AAFCE, devait la résumer en ces termes « contrairement à « Maple Flag » ou « Red Flag », le TAM nous offre un bonus non négligeable ; celui de mener des opérations à basse altitude et de manière réaliste, dans un environnement géographique que nous aurions à défendre en cas réel. On ne pourrait trouver un exercice plus adapté que celui-ci pour des membres de l’OTAN.

        Jean-Pierre HOEHN   AIR FAN 

UNITÉS PARTICIPANTES AU TAM 88

        BELGIQUE : Escadron – Bierset, Mirage V (2) / 8e Escadron – Chièvres, Mirage V (2) / 42e Escadron de Reconnaissance – Florennes / Mirage V BR (2) / 349e Escadron – Beauvechain, F-16 (1)

       ITALIE :  62e Escadre – Ghedi, Tornado (2) / 9e Escadre – Grazzanise, F-104S (1) / 36e Escadre – Gioia del Colle, Tornado (1)  Escadre – Trapani, F-104S (1) / Escadre – Istrana. F-104S (1) /  350e Escadron — Beauvechain, F-16 (1)

     HOLLANDE : 314e Escadron – Eindhoven, NF-5 (2) / 316e Escadron — Gilze-Rijen, NF-5 (2)

    CANADA : 409e Escadron Nighthawks » – Baden Soelingen, CF-18 / 421e Escadron Red Indians » – Baden Soellin CF-18 / 439e Escadron « Tigers » – Baden Soellingen CF-18. Le Canada a participé avec 8 avions.

      GRANDE-BRETAGNE – : llnd Squadron – Laarbruck, Jaguar (2) / IXth Squadron – Brüggen, Tornado GR. 1 (4) / XIXth Squadron – Wildenrath, FG.R2 Phantom (2)

      RAF Germany : Unités de la RAF basée en Grande-Bretagne : 29th Squadron –  Coningsby, Tornado F3 (2) / 560th Squadron – Wyton, T-17 Canberra (1) (ECM) / 617th Squadron – Marham, Tornado GR.1 (4)

     DANEMARK : 730th Squadron – Skrydstmp, F-16 (2) / 725th Squadron – Kamp, F-35 Draken (4)  

     FRANCE : 2e Escadre de Chasse – Dijon, Mirage 2000 (2) / 11e Escadre de Chasse Toul, « Jaguar (2) / 7e Escadre de Chasse – St. Dizier, Jaguar (2) / 33e Escadre de Reconnaissance – Strasbourg, Mirage F1CR (2)

     USA : 20th TFW – Upper Heyford, F-111E (4)CF-18 / 52nd TFW – Spangdahlem, F4G (2) et F-16 (2) / 42nd Electronic Combat Squadron – Upper Heyford, EF-111A (2) (ECM) / 36th TFW – Bitburg, F15C (2)

     RFA : JaBo 32 – Lechfeld, HFB-320 Hansa Jet (ECM) (2) / JaBo 33 – Büchel, Tornado (4) / AkG 51 – Bremgarten, RF4E (2) / IG 74 – Neuburg, F-4E (2)

     Enfin il y eut le Nato Airbone Early Warning Force (NAEWF) avec un E-3A aux couleurs de  l’OTAN.

COLMAR, mes souvenirs avec ceux de la 11EC

La base de Colmar

MES SOUVENIRS AVEC CEUX DE LA 11EC, de 1965 à 1967

(par un ancien chef de quart de l’approche de Colmar)

                               Plus que des anecdotes, ces souvenirs sont une évocation de l’activité aéronautique de l’Armée de l’Air, dans l’espace aérien de l’Alsace du sud entre 1965 et 1967. Deux escadres de chasse française séparées par le Rhin s’y entraînaient intensément à leurs missions de guerre respectives dans un esprit de compétition exacerbée. Toutes deux disposaient d’un encadrement de grande qualité qui avait acquis expérience et combativité dans des conflits où ils étaient sortis vainqueurs. Ces hommes remarquables, commandant d’escadrille, commandant d’escadron ou commandant d’escadre qui furent un peu plus tard mes chefs forgeront une aviation de combat exceptionnelle dont les appareils interviendront victorieusement dans de multiples parties du monde. J’ai pris du plaisir à citer certains noms, car ils ont fait partie de ma vie militaire.

                               Lieutenant du corps de Bases de l’Armée de l’Air, promotion 1962 de l’École de l’Air, à la sortie de Salon j’avais choisi la spécialité de contrôleur de circulation aérienne désirant être au plus près des avions et des pilotes. Je suis affecté à ma demande le 10 décembre 1965, au contrôle local d’aérodrome (C.L.A) de la B.A.132 de Colmar-Meyenheim au titre d’officier contrôleur d’approche.

                Je sortais de ma période de spécialisation qui s’était déroulée à l’École Nationale de l’Aviation Civile qui à l’époque était installée à Orly. Ma connaissance de l’Armée de l’Air était superficielle, pendant ma formation je n’avais connu que les bases aériennes de Salon, Cazaux, Mont de Marsan, Cognac et Étampes. Aussi lors de visites organisées par notre centre de formation nous avions pu nous renseigner sur notre futur travail et je fus littéralement conquis par l’importance guerrière de la B.A.132 et son contrôle d’aérodrome. C’était un autre monde que celui qui existait sur les autres bases aériennes que j’avais connu, nous sortions de la guerre d’Algérie et l’Armée de l’Air fonctionnait alors à deux vitesses : l’une regardait devant elle vers l’Est et l’autre regardait maintenant derrière son épaule, vers le Sud. Lors de notre amphi-garnison mon rang de sortie me permit de choisir parmi la dizaine de bases proposées celle qui m’avait le plus impressionné.

                Les approches des bases aériennes du Commandement Tactique étaient modernes, toutes équipées d’un radar (RAdio Detection And Ranging) panoramique, le S.R.E. (Search Radar Equipment) qui pour faciliter l’identification des aéronefs comprenait un radar secondaire, signal électronique émis par l’avion, l’I.F.F (identification ami ennemi) qui codé devenait le S.I.F.. Le reste des approches françaises avaient encore les goniomètres de la seconde guerre mondiale, le gonio axial était disposé sur le terrain et le gonio ”flanquer” ou latéral, armés par quelques opérateurs isolés se trouvait à une dizaine de kilomètres de la base. L’identification des avions était assurée par le croisement sur la table traçante des deux faisceaux lumineux maniés manuellement et dont les données provenaient des relevés des deux gonios transmis téléphoniquement, vestige de la deuxième guerre mondiale. 

                    Un chasseur-bombardier impressionnant Le F 100.

F 100 à Bremgarten
F 100 à Bremgarten

                Très vite je fus confronté aux caractéristiques aéronautiques des F 100 Super-Sabre stationnés sur la B.A.136 de Bremgarten, située tout à côté, en face, de l’autre côté du Rhin. Bien que leurs missions d’entraînement s’effectuaient essentiellement en basse altitude. Cependant, certaines de type haut-bas-haut ou lors de missions plastron (chasseur ami servant de cible d’exercice) au profit des chasseurs de D.A. transitaient par notre intermédiaire à destination notamment de la station radar de Contrexeville. L’approche de Bremgarten n’ayant de liaison directe qu’avec l’autre station radar ”du secteur” Drachenbronn récemment inaugurée en 1964. La mission secondaire de la 11 était l’interception de jour.

                De temps en temps, nous recueillons à l’approche de Colmar certaines patrouilles de F 100 D monoplace et F 100 F biplace de la 11 qui venant de France (de l’intérieur comme on disait en Alsace) qui préféraient ”percer” (traverser la couche de nuage) avec nous pour ensuite rejoindre directement leur base soit en basse altitude à vue, soit par ”hand-over” ou transfert d’approche à approche entre Colmar et Brem…

                Parfois nous recevions la visite d’autres F100 super sabre français, il s’agissait de ceux de la 3e EC en provenance de la base aérienne 139 de Lahr située de l’autre côté du Rhin en face de la B.A. 124 de Strasbourg, mais c’était peu courant. Et nous avions régulièrement les déroutements des appareils de chasse de nos autres bases de l’Est, F84F, RF84, mystère IV et mirage IIIR qui pour des raisons techniques concernant soit les avions, soit l’état de l’infrastructure de leur terrain ou à cause de l’aggravation brutale de la situation météorologique de leur base de stationnement, étaient dirigés sur notre plate-forme. Pour la 11, les déroutements étaient dus à des raisons techniques, essentiellement des ”engagements barrière”, car entre les deux plateformes très poches, à une dizaine de nautiques seulement (une vingtaine de kilomètres), la situation météo était identique et souvent favorable à cause de l’effet de ”foehn” qui relevait le ”plafond” (sommet de la couche nuageuse) grâce à la présence du massif vosgien.

                C’est ainsi que j’ai pu véritablement contempler cet oiseau métallique mythique qui avait écrit son histoire au Vietnam, impressionnant par ses dimensions comparées à celle des Mirages certes élégants mais qui semblaient fragiles à côté de ce croiseur des airs qui dégageait une impression de puissance. 

                Avec le F100, le plus impressionnant était le décollage, car, pour atteindre sa vitesse critique décollage, le F100 devait utiliser sa ”military power” ou ”post-combution” ou P.C. Les vieux pilotes de F100 qui avaient été ”lâchés” par des instructeurs U.S utilisaient souvent doctement le terme de military power. Au ”top décollage”, les F100 ouvraient l’écoulement du carburant nécessaire à l’augmentation de puissance, les volets de la tuyère à l’arrière du réacteur se refermaient et pour nous spectateurs attentifs nous entendions tout d’abord une détonation brutale très forte (par condition de vent favorable nous pouvions entendre les détonations des P.C des F100 au décollage de Brem). Puis c’était un vrai feu d’artifice qui éclairait l’arrière de l’avion, la couleur était principalement mauve entourée de deux anneaux lumineux caractéristiques et se terminait par un panache d’une dizaine de mètres de couleur rougeâtre. Comme toujours, l’avion quittant le sol, le bruit cessait brusquement et le feu arrière s’éteignait aussitôt.

              Un décollage de F100 était donc toujours spectaculaire et attirait tous les regards.

F 100 prêt à décoller
F 100 prêt à décoller

                Les F100 n’avaient pas des moyens de transmission exceptionnels, son poste radio principal était un U.H.F américain (Upper High Frequency) qui était souvent en panne. Heureusement il disposait d’un deuxième poste radio mais, celui-ci était un V.H.F (Very High Frequency) à canaux présélectionnés, ce poste secondaire était de faible puissance, il représentait un cauchemar pour les contrôleurs.

                Les F100, pour assurer leur mission principale de pénétration en basse altitude volaient toujours avec des bidons supplémentaires et les contrôleurs les considéraient comme des appareils qui ayant beaucoup de ”pétrole” ou carburant, n’avaient donc pas la priorité pour l’approche. Mais lorsqu’ils étaient en configuration lisse, sans bidons extérieurs supplémentaires, ce n’était pas la même chose et je me souviens des remarques répétées de certains cadres inquiets de la 11 qui nous rappelaient qu’avec cette configuration le F100 n’avait pas plus de carburant que les Mirages, ce qui voulait dire pas beaucoup.

  L’alerte permanente.

                Pendant les premières années de mon affectation à Colmar, notre pays faisait encore partie de la structure intégrée de l’O.T.A.N. et notre rythme opérationnel était intense. Dans les escadres, et les escadrons de chasse il régnait alors une odeur de combat et les pilotes étaient des guerriers. La grande majorité d’entre eux avaient été engagés dans les opérations aériennes d’Algérie, certains d’entre eux y avaient été marqué dans leur chair. Le commandant Jean Bonnet, ancien commandant du 1/3 de Lahr sur F100, était chef des opérations de la 13e escadre en 1965, il avait eu en Algérie son avion touché et qui avait pris feu en vol, il parvint à crasher son T6 et se dégager brûlé à 50%, il finit sa carrière comme général à la Direction du personnel militaire de l’Armée de l’Air, où il fut de nouveau mon chef alors que j’étais le sous-chef du 2e bureau de cette direction (bureau des sous-officiers). De même, le commandant du CEVSV, unité navigante stationnée alors à Colmar, le commandant Le Noury, portait également les marques de brûlures sur tout un côté du visage et du corps. Claude Le Noury sera commandant de la base de Colmar en 1977. Beaucoup de ces navigants avaient effectués en plus, en 1956, des missions de guerre au-dessus du territoire égyptien qui vit plusieurs de nos escadrons de chasse intervenir pour la reconquête du canal de Suez. Sur ces deux théâtres d’opérations, ils étaient sortis vainqueurs mais on leur avait volé leurs victoires, alors ils continuaient le combat. L’odeur de la guerre était présente partout, à commencer par la tête de notre commandement, le général commandant la Fatac-1ere RA, ancien de l’École de l’Air, promo 1938, était parmi les ”as de guerre” il nous commandait 20 ans après la fin de la guerre, il était titulaire de 9 victoires aériennes et de 13 citations. Son indicatif ”maquis 01” semait la terreur parmi les contrôleurs d’aérodrome, à chaque passage sur une base, le contrôleur de service prenait systématiquement 8 jours d’arrêt, par principe, aussi nous avions décrété un tour pour permettre à tous d’avoir le plaisir de signer au bas de la page de sanction.  

                Dans cette ambiance tendue, les alertes succédaient aux alertes et les exercices plus ou moins importants venaient agrémenter notre travail. Le classeur qui décrivait tous les exercices, les CPX (Consignes Permanentes d’Exercices) était d’une belle épaisseur.

                Je me souviens par exemple de l’exercice ”roulette” qui était toujours déclenchée à des heures impossibles surtout au milieu de la nuit par des officiers sadiques. Il consistait à faire rouler les avions d’alerte jusqu’en bout de piste où était relevé le temps de réaction. Pour le plaisir, les responsables de ces exercices poussaient parfois la plaisanterie à poursuivre la manœuvre par un autre exercice qui exigeait le décollage. Alors, au cours d’une nuit noire, imaginez l’angoisse du pilote de la 13 qui avait décollé en pyjama négligeant sa combinaison de vol croyant en un retour rapide dans les bras de Morphée et qui propulsé dans les airs sur son moderne destrier se voyait accueilli par des camarades chasseurs hilares stationnés sur une autre plate-forme au mieux française mais qui aurait pu être alliée. Le terrain de Ramstein en Allemagne, ainsi que celui de Neubourg dans une moindre mesure, étaient l’un des terrains préférentiels des déroutements imposés en vol par Aircent aux Mirage III. A l’époque Ramstein Air Base, du district de Kaiserslauten au Nord de Strasbourg, était la principale base de chasse de l’USAFE. Toutes les communications radio se passaient en anglais, cette procédure était obligatoire et ne demandait aucune peine pour les cadres P.N. formés par des instructeurs U.S. Mais quand nous quittâmes l’Otan et du jour au lendemain sur un ordre, nous devions parler français et que le français. Quelques années plus tard, le retour à la procédure anglaise fut difficile aussi bien pour les pilotes que les contrôleurs. J’étais alors à Dijon et mon commandant de base le Colonel Jacques Bourillet qui avait été brigadier de promotion à Salon lorsque j’étais élève, puis ancien commandant d’escadron du 1/11 sur F100 en 1965, avait payé, sur ses crédits instruction, à mes contrôleurs, pendant deux ans de suite, des cours d’anglais hebdomadaires de deux heures de conversation, qu’un professeur civil venait nous dispenser à la tour de contrôle tous les mercredi matin pendant la matinée réservée à l’instruction. Nous acquîmes rapidement tous le Cmlp un ou certificat militaire de langue parlé du premier degré d’anglais et certains furent reçus au deuxième degré. Rendons un hommage bien mérité au Général Michel Forget notre chef à la Fatac, d’avoir compris que seule la pratique pouvait nous faire progresser. Il avait réussi à convaincre son homologue de l’USAFE que les échanges de contrôleurs US et Français ne pouvaient être que bénéfiques pour nos deux armées. Pendant quatre ans, les contrôleurs des CLA de la Fatac iront à tour de rôle passer trois semaines dans les tours de contrôle US d’Allemagne. Nos progrès furent immédiats, la motivation accrue et pour les contrôleurs US ce fut de bonnes vacances, surtout gastronomiques très appréciées par des sous-officiers majoritairement d’origine mexicaine.       

        La valse des codes.

                Les navigants d’aujourd’hui pensent que les indicatifs codés des escadres et des escadrons étaient permanents, il n’en était rien. Sous les ordres du 1er Catac tous les premiers de chaque mois nous procédions à la redistribution de ces indicatifs entre toutes les escadres et escadrons rattachés. Et pour faire bonne mesure c’était en même temps la redistribution des fréquences particulières U.H.F des tours de contrôle et des quatre fréquences attribuées à chaque approche du commandement tactique. Chaque base aérienne, chaque centre de contrôle étaient nommés par un nom codé sans relation avec son implantation géographique et que personnel navigant et contrôleur devaient impérativement utiliser, ce code tournant changeait également le 1er de chaque mois. Je vous laisse imaginer le désordre radiophonique de chaque 1er de mois. Les ordres correspondants étaient tombés dans la nuit, donc en général, cette matinée du premier de chaque mois était une période de ”no fligth” car il fallait laisser le temps à la section photo de tirer les fiches de renseignements emportées en vol par les pilotes qui indiquaient codes terrains et fréquences radio à utiliser. Cette valse des codes perdura quelques mois après que nous ayons quitté l’OTAN et puis un jour tout cessa et les escadrons conserveront pour longtemps le dernier code tournant qui leur fut attribué.

                Plein de sollicitude à notre égard, les officiers de la 4e ATAF voulaient s’assurer de notre constante disponibilité et de notre faculté d’adaptation. Pour cela, ils avaient une manœuvre préférée c’était ”l’évaluation opérationnelle” uniquement tournée vers le côté opérationnel, la Fatac repris cette habitude qui devint une ”évaluation tactique” plus générale, mais sans jamais atteindre le réalisme otanien. Donc, régulièrement nous recevions la visite d’une vingtaine d’officiers alliés avec un majorité d’officiers belges qui entendant le français étaient plus particulièrement chargés de découvrir les ”adaptations” françaises au règlement interallié. Bref, le réalisme était toujours présent, en salle d’approche quand le chef de quart se voyait remettre une fiche lui indiquant que son radar de détection était en panne, ce n’était pas simplement une indication car l’officier évaluateur se faisait un malin plaisir à éteindre tous les ”scopes” (écrans) de la salle de contrôle. Si l’approche avait des appareils en compte et c’était toujours le cas ou alors il n’y aurait pas eu de plaisir, il devait prendre les bonnes décisions en liaison avec le directeur des vols : soit il assurait le guidage par les autres moyens restant à sa disposition soit il procédait au déroutement. En ce temps-là on déroutait beaucoup et chaque mess-officiers de la Fatac mettait à la disposition des pilotes voyageurs le ”kit propreté” du Robinson aviateur consistant en savon pour la douche, le gant de toilette et les serviettes, la crème à raser et le rasoir, la brosse à dent et le dentifrice. Nos chevaliers du ciel étaient reçus comme des petits rois.!!! ils y prenaient goût et revenaient souvent. 

                Enfin, à chaque évaluation nous jouions le grand jeu du desserrement et toujours après un ramassage général du personnel au cours de la nuit. Le nombre important de bus affectés aux bases aérienne était la conséquence de ces alertes et de la nécessité de procéder à la récupération de l’ensemble des personnels logés et regroupés principalement dans les regroupements d’habitations, les fameuses cités militaires construites en même temps que les nouvelles bases aériennes mais qui se dégraderont rapidement par manque d’entretien de l’organisme de gestion, la SNI (Société Nationale Immobilière), pourtant émanation de l’État, une anomalie.

                Parfois ce desserrement était un vrai déplacement, en réalité c’était un déménagement complet, la 13 EC rejoignait son terrain de Belfort Fontaine (90). Les échelons précurseurs des escadrons mais aussi des opérations et donc du contrôle d’aérodrome avec sa salle d’approche sous tente, son radar (SRE) et son radar de précision atterrissage (PAR) prenaient la route en convoi. Le dernier desserrement de mirage IIIC à Belfort eut lieu en 1964, je ne l’ai pas connu mais j’en ai connu plusieurs semblables ailleurs. En particulier la base de Colmar disposait près de son dépôt de munitions de Munchhouse d’une piste de secours sous la forme d’une portion de route rectiligne située à 5 kilomètres au sud-est de la BA 132 au milieu des champs et se terminant par des alvéoles cachées dans la forêt de la Hardt (j’y ai fait une récolte fabuleuse de cèpe). Lors des exercices, les chasseurs étaient tractés depuis la base en utilisant les routes existantes jusqu’au lieu secret de stationnement. En 1967, lors d’un exercice, le contrôle local y avait installé une vigie mobile qui était sa jeep-radio-follow-me qui servait principalement de véhicule d’inspection de piste. Très rapidement après son arrivée le service incendie de piste avec la grue servant éventuellement à l’extraction du pilote de l’avion craché étaient mis en alerte, de même que l’ambulance de piste du service médical avec médecin à bord, c’était le temps heureux où les armées pouvaient disposer d’appelés nombreux et dévoués. On donna alors l’autorisation de décollage à une patrouille de F100 du 3/11. Tout cela était parfaitement huilé, les difficultés hiérarchiques avaient été aplanies, il faut dire que du temps de l’OTAN, les moyens opérationnels étaient rattachés à l’escadre et en conséquence les contrôleurs du CLA portaient l’insigne de leur escadre. Pilotes et contrôleur avaient le même chef. J’appartenais donc à la 13e EC dont je portais fièrement l’insigne.

                Le terrain de Colmar avait une place prépondérante dans le dispositif de l’A.D. (Air Defense) ou Défense Aérienne de la 4e A.T.A.F (4th Allied Tactical Air Force) du théâtre Centre-Europe de l’OTAN. Pour notre Armée de l’Air, les opérations aériennes d’entraînement étaient dirigées par le 1er CATac (1er Commandement Air Tactique) pour l’Europe et par le 2eme CATac pour les opérations extérieures dépendant du commandement des forces aériennes tactiques qui devint FATac/1er R.A. le 1er mai 1964.

                Bref, Colmar était le terrain de stationnement de deux escadrons de défense aérienne qui avaient pris le qualificatif de ”tout temps” lorsqu’ils avaient reçu des F-86K équipé d’un radar de bord, qualification confirmée avec ses deux escadrons 1/13 Artois et 2/13 Alpes équipés des tous récents Mirage III E. Je me souviens de la grande personnalité de deux commandants d’Escadron du 2/13, le premier qui avait eu son commandement en 1965 était le capitaine Gérard Arnaubec, plus tard, il fut mon supérieur direct comme chef des moyens opérationnel de la base de Dijon après avoir commandé la 10e EC. Le second qui lui succéda au 2/13 en 1966, était le capitaine Étienne Copel, en campagne de tir à Cazaux, il avait pris de son temps pour venir assister à mon mariage à Arcachon. Curieusement ces deux officiers furent amenés à quitter précocement l’Armée de l’Air à cause de leurs témoignages et de leurs réflexions. Le premier qui avait fait paraître un livre sans autorisation, sous le pseudonyme de Spartacus ‘‘Les documents secrets, Opération Manta, Tchad 1883-1984”, fut condamné pour divulgation de secrets d’État ? et emprisonné. Affecté à Balard à cette époque, je me reproche de n’avoir pas essayé de le revoir, car c’était un homme intègre et un grand chef, toute l’Armée de l’Air l’a banni et abandonné. Étienne Copel fut une personnalité forte de cette nouvelle Armée de l’Air, toujours premier en tout, il largua la première bombe nucléaire tactique à Mururoa à partir d’un Mirage III E, le 28 août 1973, alors qu’il était commandant de la 4e EC. En 1981 il fut le plus jeune général en activité, en 1984 alors sous-chef d’État-major de l’Armée de l’air, il démissionna de son poste pour pouvoir s’exprimer librement sur sa conception de la politique de défense de la France. Il publiera alors son premier livre ” Vaincre la guerre” et poursuivra jusqu’à ce jour une carrière politique. Incompris par ses pairs qui voyaient surtout son départ de l’Armée de l’Air comme l’élimination d’un redoutable concurrent, il fut marginalisé. Chapeau mon général!!!

    LE CEVSV 338 à Colmar

                Était également stationné sur le terrain de Meyenheim, une unité particulière le ”CEVSV” 338 ou Centre d’entraînement au vol sans visibilité qui faisait passer ”la carte blanche” pour les équipiers et ”la carte verte” (qualification au VSV) à tous les chefs de patrouille de l’Armée de l’Air et de la Marine. Il disposait alors d’une dizaine de T 33 U.S pour cette mission (altimètre en pouce comme tous les appareils d’origine U.S.). Le contrôle se devait d’anticiper dès le premier contact radio et donner la bonne pression atmosphérique du terrain, le QFE, en millibars pour les appareils de construction française et en pouces pour ceux provenant des USA, d’où l’importance de connaître par cœur les indicatifs escadrons et donc le type d’avion qui se présentait en approche. Cette unité avait un magnifique insigne peint sur le fuselage, il représentait un diable montrant au pilote une carte blanche dans sa main droite et une carte verte dans sa main gauche ou l’inverse. Ces ”T. Birds” étaient équipés du nouveau moyen de navigation le T.A.C.AN. qui affichait azimut et surtout distance et qui était celui des chasseurs modernes F 100 et Mirage III E. Le TACAN (TACtical Air Navigation) est un système de navigation militaire qui permet à un avion de se situer par rapport à une balise en distance et en direction. Lorsqu’un contrôleur annonce sa position à un chasseur, le pilote qui reçoit les mêmes données fournies par l’écran de son tacan à bord, est tout de suite rassuré sur la bonne identification. Afin de pouvoir assurer ce contrôle et notamment les évolutions inusuelles avec tonneaux et barriques du stagiaire en place arrière sous capote, une unité de contrôle et de surveillance spécifique avait été créé à l’approche de Colmar, qui avait l’indicatif de ”Mira” et qui possédait son propre espace aérien réglementée (restricted aera) située au-dessus de la Forêt Noire et du terrain de Bremgarten. Cette zone réglementée dévolue au contrôle français en territoire allemand était un reliquat des droits issus de l’occupation du territoire allemand par les forces militaires françaises. Les pilotes moniteurs de cette unité officiers et vieux sous-officiers étaient tous des navigants de grande expérience, nous les avions souvent au téléphone pour débriefer leurs vols, ils recherchaient toujours la perfection et la diffusion de leur expérience. Nous devions faire du contrôle final au degré près !!!, j’en rêve encore. Pour les stagiaires, ce contrôle d’aptitude était une remise en cause de son professionnalisme. Ils abordaient cette semaine de vol le plus humblement possible, elle consistait en trois vols d’instruction et un quatrième vol pour l’examen, le jeudi. Pour les recalés le vendredi était un vol de repêchage. Chaque vol entièrement sous capote consistait d’abord en évolutions en panneau partiel : sans horizon artificiel ni conservateur de cap, puis en positions inusuelles, ensuite venait la partie entraînement au VSV, l’avion devait faire une QGH (percée par passage à la verticale du terrain) à l’aide du radiocompas ou du Tacan, complété par un GCA, une remise de gaz pour un nouveau GCA avec atterrissage, chaque vol durait environ une heure et demi. J’ai vu défiler et contrôler tous nos pilotes-chasseurs, pour nous les jeunes contrôleurs, c’était une formidable école de formation. Débutant, profitant de mon inexpérience, l’un de ces moniteurs me donna une leçon qui est encore gravée dans ma mémoire. Je contrôlais donc un T33 qui avait remis les gaz après une finale GCA et qui se présentait pour une nouvelle finale avec atterrissage, je lui ordonnais un nouveau cap (direction) sans indication de sens de virage. La procédure correcte était : ” à gauche cap 200” et non pas ”cap 200”, le pilote confirma l’ordre et presque immédiatement annonça avoir exécuter l’ordre, incrédule le plot de l’avion était au même endroit, il n’avait pas bougé et pour le faire revenir sur l’axe, je lui donnais un nouveau cap. Le moniteur intervint pour ironiquement demander confirmation de cette succession de caps. J’avais compris, le T 33 avait fait un looping, j’eus droit à un débriefing sanglant, mais je n’ai plus donné de cap sans indiquer le sens à prendre. J’évoque, la personnalité étonnante d’un adjudant-chef moniteur de cette unité, l’adjudant-chef Toussaint, tout le monde le craignait, il faisait trembler jeunes pilotes, contrôleurs et mécaniciens. Comme il avait été le moniteur de presque tous les commandants d’escadrille et d’escadron, il avait une aura telle que peu de personnes osaient lui demander des comptes. Il connaissait parfaitement le fonctionnement de son avion, toujours avec le tournevis dans sa tenue de vol, il lui arrivait de démonter en vol le tableau de bord et de résoudre la panne en vol. Lors de vol de navigation, il démontrait à certains de ses élèves comment l’on pouvait augmenter la distance de vol d’un appareil. Cette manœuvre consistait à couper le réacteur en haute altitude, restons sérieux avec le T33 disons 30 000 pieds et à planer, puis en basse altitude rallumer le réacteur (il faut avoir confiance en son matériel) et recommencer la manœuvre. Il nous fit un jour un vol de plus de quatre heures, ces démonstrations seront arrêtées par un général stagiaire sans humour qui n’avait pas apprécié cette technique d’allonge. Les minimas étaient théoriquement de 200 pieds, mais je n’ai jamais dérouté un T33 du CESVS pour QGO (météo inférieure aux minimas), c’était de sacrés pilotes et ils avaient confiance en nous. Mais ils nous maintenaient la pression, le même moniteur, célibataire endurci, dormait très peu et la nuit faisait du bricolage dans sa chambre. Pour vérifier que nous tenions correctement la veille, la nuit pendant les alertes, il nous contactait sur le canal radio de la vigie ou de l’approche avec son indicatif personnel pour demander les éléments météo, à par exemple à trois heures du matin !!! cela motive.        

Un T33 du CEVSV 338
Un T33 du CEVSV 338

    Les exercices d’interception et d’arraisonnement.

                La frontière ennemie, était à ”une étape du tour de France” de notre propre frontière nationale comme l’avait dit le Général de Gaule et comme la base de Meyenheim était sur notre frontière de l’Est, l’alerte D. A. s’y tenait H 24 et à deux avions à 5 minutes et 2 avions à 15. Pour assurer nos missions, l’approche de Colmar disposait de deux radars de recueil, le bien connu S.R.E  (search radar equipment) en service dans presque tous les C.L.A. de France et un autre système de radar d’origine américaine composé d’un radar panoramique le M.P.S. 11 et d’un radar d’altitude à balancement le M.P.S.14. Ces radars étaient les éléments restants des stations de guidage des missiles tactiques Nike des unités de l’Armée de l’Air stationnées à Friedrichshafen pour la 501e brigade d’engins française et à Stetten pour la 500e brigade. Nous étions donc une approche très bien équipée et donc très sollicitée et en outre nous servions systématiquement de terrain de dégagement (déroutement) éventuel pour les appareils des forces aériennes stratégiques.

                Les nuits étaient longues. Aussi incroyable, je vois que vous en doutez, pendant trois années ma moyenne horaire de présence à l’approche de Colmar fut de 72 heures par semaine… Notre record de mouvements pour un aérodrome militaire avait atteint le chiffre de 319, sachant qu’un espacement de trois minutes entre deux mouvements d’appareils à réaction est indispensable et minimum pour éviter les turbulences, le décrochage à l’atterrissage et la libération complète de la piste pour les décollages, vous pouvez constater que l’on ne pouvait pas faire beaucoup mieux. Notre plate-forme était considérée comme sûre pour le recueil d’appareils de tous types.

           Une odeur de poudre.

                Donc, en ces derniers jours de 1965, l’alerte DA à Colmar était tenu par deux Mirage IIIC de la 2e EC de Dijon, car la 13, qui venait de toucher à partir de mai 1965 ses premiers Mirage IIIE, n’était pas encore qualifiée ”alerte DA” par la 4e ATAF (la disponibilité de ces avions neufs bourrés d’électronique était très faible comme toujours en pareil cas). C’était une fin de matinée si mes souvenirs ne me trahissent pas, soudain nous entendîmes un appel sur la fréquence commune de l’OTAN, la Gold 1 où fréquence de ”garde” un message automatique d’alerte : ” Brass Monkey”. Cette annonce répétée plusieurs fois nous avait préparé à un événement futur, elle prévenait le pilote d’un appareil navigant cap à l’est qu’il avait pénétré dans la zone tampon ou A.D.I.Z. (Air Defense Identification Zone) et que poursuivre selon cette trajectoire pouvait conduire à un incident diplomatique avec les pays du Pacte de Varsovie soit au pire au déclenchement de la troisième guerre mondiale.

                Encore quelques minutes et la sirène retentit dans notre salle d’approche et à la Vigie nous prévenant du déclenchement d’un décollage sur alerte. Le directeur des vols confirme par haut-parleur le ”scramble” de nos deux avions d’alerte.

                Dans toutes ces histoires on ne fait rien pour simplifier la vie du contrôleur, la zone d’alerte est toujours située sur le côté en fin de la piste d’atterrissage préférentiel, soit à Colmar la piste 20 (pour un cap 200). Les avions d’alerte vont devoir décoller en Contre-QFU (le code Q est un code de l’aviation internationale qui signifie sens d’atterrissage, ici dans notre exemple le QFU est 20), mais à condition que le vent contraire ne soit pas supérieur à 10 nœuds, ce qui était très rarement le cas.

                Pour décoller et se diriger en montant selon le cap requis par les ordres d’opérations en toute sécurité il appartient au contrôle (Vigie et approche) de dégager l’espace aérien devant les avions en ”scramble” (décollage sur alerte) et ce n’est jamais une chose simple pour un contrôle toujours surchargé de trafic et avec des pilotes toujours pressés de se poser dans ces cas-là.

                Mais, ça passe toujours pour les ”hots”, pour les ”practice” (décollage sur alerte en exercice) le contrôle a très souvent interdit ces décollages en Contre-QFU, après une passe d’arme avec la direction des vols, car il était le seul à pouvoir juger de la situation instantanée régnant parmi les ”short” pétrole.

                La situation est très intéressante mais que deviennent nos F100. Un peu de patience j’y viens.

                PC maintenu allumée, nos chasseurs rentrent le train, prennent le cap 080 vers l’Est et contactent la console ”montée” du contrôle local, lequel après identification de leur écho radar les autorisent à poursuivre leur ascension vers un niveau de vol (F.L.) plus élevé. En salle d’approche on s’active, le contact téléphonique avec la station radar de défense et de surveillance aérienne allemande de Mestetten, a été réalisé, ce dernier identifie nos chasseurs et le ”hand-over” peut donc s’effectuer, nos Mirage III passent sur la fréquence du contrôleur allemand. C’est fini pour nous, la routine reprend mais le directeur des vols qui a une grande expérience fait en sorte que nos avions en vol regagnent au plus vite la plate-forme. Le temps passe vite et peut être 15 minutes environ après le scramble, le contrôle de Mestetten nous rend la patrouille. Le contact radio est difficile, les deux avions échangent des messages dont la signification nous semble étrange. La patrouille demande priorité pour l’atterrissage, elle encadre deux avions arraisonnés, l’approche est faite directement pour une arrivée à vue, le terrain étant vert (code couleur indiquant la possibilité de se poser à vue après une traversée des nuages). Tout le reste va se passer à vue, je viens de grimper quatre à quatre les quatre étages qui séparent la salle d’approche de la vigie de la tour qui contrôle le roulage au sol, les décollages et les atterrissages et j’aperçois en longue finale nos quatre avions. Les pilotes des Mirages échangent de multiples messages me faisant croire que les avions arraisonnés ne sont pas tout à fait coopératifs. Le premier Mirage est devant le premier ennemi que suis le deuxième, il sort le train pour indiquer l’ordre d’atterrissage, les deux avions ennemis que je vois mieux maintenant, sont métalliques, ils sortent chacun leur train, ils n’ont aucune marque distinctive peinte ni sur le fuselage ni sur la queue, pardon la dérive, ils ressemblent à tout cracher à des avions de construction soviétique, la tension monte. Le second Mirage est derrière, il n’a pas sorti son train, il surveille et menace de ses armes de bord les intrus contre toute manœuvre intempestive. La tour donne les autorisations d’atterrissage doublées par deux fusées de couleur verte… et… en très courte finale, une double détonation confirme le déclenchement des P.C. des inconnus qui rentrent le train accélèrent brutalement virent brusquement à gauche au ras des pâquerettes, c’est à dire en frôlant le toit de la tour pour prendre un cap à l’Est. Par radio nous informons nos chasseurs, surtout le premier qui ne pouvait voir la manœuvre des ennemis. La réponse est claire est sans appel : ”short-pétrole” and full stop (atterrissage).

                Pendant quelques minutes nous nous sommes pris au jeu de la guerre et nous sommes déçu du résultat, c’est un échec de nos chasseurs et une victoire des ennemis qui n’étaient autres que deux F100 de la 11. Des traîtres !!! 

                Régulièrement nous devions contrôler des F100 de la 11. C’était souvent un des premiers vols d’un jeune pilote qui venait se familiariser avec son nouvel avion et avec son terrain de déroutement de prédilection.

        La France quitte l’OTAN.

                Toutes ces relations étaient bien ordonnées mais un événement politique va briser nos habitudes.  Le 21 février 1966, le Président de la République, le général de Gaule fait savoir que La France va se retirer du commandement intégré de l’OTAN. La fin de la subordination des forces françaises à l’OTAN est fixée au 1er juillet 1966, mais le retrait des bases alliées en France s’échelonnera du 1er avril 1966 au 1er avril 1967, ce qui décalera le retour dans l’hexagone des escadrons français en Allemagne.

                La 11e EC était particulièrement concernée et devra quitter Bremgarten. Ce déplacement sera préparé en amont et l’escadron 3/11 Corse nouvellement crée le 1er avril 1966, va faire un mouvement préalable sur Colmar Meyenheim au cours du mois de juin 1966. Ce sont les 17 F100 de cet escadron qui s’installent sur la ”marguerite” sud-est de la base de Colmar Meyenheim. Sur une base aérienne une marguerite est une aire de stationnement pour aéronefs disposée selon le dessin d’une marguerite avec de 15 à 18 pétales chacune pouvant recevoir 2 chasseurs et au centre de cet ensemble il y avait un hangar pour la ”mécanique”. Ces F100 étaient la propriété de l’état français qui les avait achetés à la différence des autres F100 qui étaient prêtés à la France par les États-Unis. Le PC (ici il s’agit du poste de commandement) de l’escadron était installé dans un abri antiatomique enterré à proximité qui était équipé de tous les moyens téléphoniques nécessaires au fonctionnement des ”OPS” ou opérations. Cependant, c’était du camping, car il n’y avait pas d’installation en dur, seules quelques tentes apparaissaient çà et là pour protéger les mécanos, ainsi qu’une grande remorque US qui se dépliait sur les côtés, certes, confortable qui servait essentiellement aux préparations des missions.

                Une remarque sur les caractéristiques des bases types de l’OTAN qui doit être oubliée à ce jour. Sur les 17 nouvelles bases construites pour l’OTAN, l’infrastructure se présentait de la même manière : une piste de 2 400 mètres utiles, un taxiway ou chemin de roulement et 3 marguerites. Ces taxiways de même longueur que la piste mais moins large servaient de piste de secours pour le décollage et l’atterrissage pour un seul chasseur alors que deux réacteurs pouvaient utiliser la piste principale en même temps. La caractéristique commune était la distance strictement la même pour tous les terrains entre la piste et le taxiway afin de pouvoir faire un atterrissage mauvais temps avec le G.C.A. sur ce taxiway. Les approches d’aérodromes avaient un seul radar d’atterrissage le P.A.R qui permettait au contrôleur de guider l’appareil en finale jusqu’à ses minimas. Or ce radar avait été conçu pour permettre le guidage de ces finales sur l’axe de piste mais aussi sur l’axe du taxiway dont les écartements étaient standards.

           Le Closing Pattern.

                Ces radars d’atterrissage ne fonctionnaient que dans le QFU préférentiel. Alors quand le vent était contraire et le terrain classé code couleur ”Vert” (ou atterrissage possible à vue), les appareils étaient amenés en vue du terrain, sous la couche de nuages afin de passer directement ”vent arrière” et de poursuivre en dernier virage pour l’atterrissage dans le QFU en service. Mais si le terrain était couleur ”Jaune”, (atterrissage mauvais temps) nous appliquions une procédure spécifique appelé le ”closing pattern”, non traduit en français certainement un truc de cow-boy. Elle permettait un atterrissage avec 500 pieds de plafond seulement, le guidage radar se faisait jusqu’à 500 pieds en contre-QFU, sur ordre, le pilote ouvrait à droite de 20 degrés en maintenant l’altitude, alors il devait rechercher à vue les points caractéristiques au sol en l’occurrence la station d’essence qui était le point de début du dernier virage. Cela marchait et cela évitait les déroutements mais cette procédure était réservée aux seuls initiés du terrain. L’affectation d’un nouveau radar d’atterrissage le S.P.A.R (Sligth P.A.R) utilisable dans les deux sens d’atterrissage supprima la pratique du ”closing pattern”. Cependant la disparition des P.A.R vieillissant interdit les atterrissage type G.C.A sur le taxiway.     

          Le 3/11 à Colmar

                L’ambiance était chaleureuse, le personnel avait reçu des consignes, il n’était pas chez lui, mais de passage. Cependant les échanges entre pilotes des autres escadrons étaient parfois vifs lorsque tout le monde se retrouvait au briefing météo du matin. Chacun vantait les qualités supérieures de son vecteur, les appareils américains étaient supérieurs en tous points aux avions de construction française, les pilotes du 3/11 pouvaient compter sur l’appui des vieux moniteurs du CEVSV qui n’avaient volé que sur des appareils de conception américaine. En infériorité numérique, le pilote de Mirage ne pouvait faire entendre son point de vue. Je me souviens d’un argument sans appel des pro-américains qui affirmaient que dans le cockpit du F100 le pilote pouvait se permettre de déplier en vol tranquillement sa carte de Nav. Avant de partir faire son vol de navigation en basse altitude à vue, le pilote de Mirage devait avoir préalablement plié sa carte de manière scientifique s’il ne voulait pas se perdre. Sur notre base, on reconnaissait facilement un pilote de F100 d’un pilote de Mirage, le premier avait souvent une combinaison de vol usée, délavée, parfois trouée, et avec un blouson de vol qui tombait en lambeaux, alors que le chasseur de DA portait un équipement beaucoup plus neuf. Mais tout cela s’explique, les renouvellements de tenues de vol mais également ceux des tenues du personnel non-navigant, ne se faisaient qu’au compte-goutte, la priorité était ”tout pour les Fas” et si les chasseurs de la 13 avaient des tenues plus récentes ils le devaient à leur bel avion tout neuf que des personnalités extérieures venaient contempler. Quand on pense que des milliers de tenues et surtout des blousons de vol neufs avaient étaient détruits par le commissariat à Bou-Sfer (base aérienne d’Oran) en Algérie, parce que ce matériel commissariat ne faisait pas partie des priorités pour le rapatriement en métropole. Cela faisait rager tous ceux qui se gelaient sous les frimas de l’Est.

                 Les pilotes du 3/11 étaient inquiets de leur sort, depuis qu’ils avaient quitté l’Allemagne ils n’avaient plus de mission de guerre, l’avenir prouvera que cette inquiétude sera infondée, cet escadron aura un brillant avenir. En attendant les F100 servaient surtout de plastron (cible fictive) pour les autres escadres et se spécialisaient dans la formation de tous les jeunes pilotes affectés à la 11. L’ambiance générale était morose, malgré les encouragements à l’optimisme délivrés par le nouveau commandant d’escadron, le capitaine Roumilhac qui sera plus tard mon commandant de base de 1779 à 1781. Plusieurs anciens de la 11 furent mes commandants de base, je pense ici au colonel Desjobert, commandant d’escadron sur F100 au 2/11 en 1956-1958, et qui commandera Colmar en 1969.   

                Le 3/11 était temporairement stationné à Colmar-Meyenheim, les personnels attendaient impatiemment leur affectation définitive. Tous les matins les cars militaires amenaient les personnels du 3/11 en Alsace, les familles étant restés en Allemagne et tous les soirs après les vols les cars faisaient le chemin inverse. Quelques personnes de l’escadron utilisaient leur véhicule personnel et il y eut des accidents de circulation qui eurent des conséquences néfastes sur le moral général

Le 3/11 à Colmar ; les reconnaissez vous ?
Le 3/11 à Colmar ; les reconnaissez vous            

La corvée de charbon.

                Il s’agit des conséquences du ”Crash aérien dans le ciel de Rixheim”. Cet accident raconté par Frédéric Casarin par un article paru le 28 mai 2016 sur internet dans l’histoire de la 11e EC. Cela se passe en 1966, deux pilotes confirmés de la 11 se heurtent en vol quelques minutes après leur décollage de Brem en direction de la plaine d’Alsace. Ils s’éjectent, tombent à proximité de l’aérodrome de Mulhouse-Habsteim, et sont sain et sauf, les deux avions s’écrasent le premier sur Rixheim et le second sur la gare SNCF de l’île Napoléon. Il n’y a que des dégâts matériels plus conséquent à la gare. Les secours militaires et civils rapidement sur place, rencontrent un problème de sécurité. Les F100 étaient armés et les munitions sont encore actives, le casse-tête concerne l’énorme tas de charbon qui a accueilli les obus des canons des deux appareils. Ces obus ont pénétré profondément dans le charbon devenu dès lors inutilisable. Les dégâts commis aux biens des particuliers comme à ceux des entreprises sont tout de suite pris en compte et seront remboursés par le contentieux. Mais reste un problème de taille, le tas de charbon, il est invendable en l’état, on risque l’explosion d’un obus à la combustion. La SNCF et l’Armée de l’Air vont se mettre d’accord : la base aérienne de Colmar achètera le charbon de la 11, charbon dont elle a besoin pour le fonctionnement de sa chaufferie. 

                Alors, commence la dépollution du tas de charbon, les obus peuvent exploser si on les manipule brusquement, il va falloir faire le travail à la main et être patient. Tous les jours ouvrables, une section de militaires du rang quittent la BA 132 pour la gare de triage de Mulhouse afin d’effectuer cette dépollution qui durera une dizaine d’années !!!  

               Les huîtres d’Arcachon n’aiment pas l’altitude.

                Les fêtes de fin d’année 1966 approchent et ici en Alsace elles sont particulièrement suivies. Sur la base de Colmar comme sur toutes les autres bases de l’Armée de l’Air, chaque unité se doit d’organiser un repas convivial, véritable rite de rassemblement coutumier au sein de l’Armée de l’Air. Il y avait deux très grandes fêtes, celle de la Noël et surtout celle de ”la Saint-Eloi”  à l’origine fête des mécaniciens, cette dernière donna lieu à des exagérations qui conduisit à sa quasi suppression. L’Armée de l’Air eut à combattre une grave épidémie contractée en Indochine, puis en Algérie : l’alcoolisme, qui avait touché toutes les spécialités et tous les grades. Les aviateurs originaires du sud-ouest comme moi étaient nombreux au sein de nos bases aériennes de l’Est, pour eux un repas de fêtes comprend impérativement des huîtres que l’on ne trouvait pas facilement sur les marchés locaux, aussi il fallait aller les chercher à la source. Pour l’officier responsable de la restauration de la base 120 de Cazaux, cette période était riche en achats groupés d’huîtres du Bassin d’Arcachon, il reçoit des commandes venant de toutes les bases aériennes, car tous les pilotes de chasse sont passés par Cazaux ils connaissent le goût particulier de nos huîtres. Cet officier va stocker les bourriches dans les frigos de ses mess et chaque unité navigante va lui donner rendez-vous pour la veille de ses agapes.

                Chaque escadre de chasse disposait d’un MD 312 (Marcel Dassault) Flamand affecté au titre d’appareil de liaison et d’entraînement à partir de 1963 et jusqu’en 1974. La 11 et la 13 chacune de leur côté vont donc utiliser cet appareil pour aller chercher les fameuses huîtres à Cazaux. Cet appareil étant qualifié IFR, la mission ne pouvait qu’être réussie, mais les bouches à nourrir étaient nombreuses sur les bases aériennes et certains avions de chasse étaient capable d’être configuré avec un bidon valise. Il n’y en avait pas pour le Mirage III, mais le CEVSV et le 3/11 avaient des bidons-valises, aussi les opérations de chaque unité avaient programmé un vol avec escale à Cazaux au titre de l’entraînement des équipages. En cette veille de fêtes tous étaient revenus en début d’après-midi seuls les deux F100 du 3/11 sont en retard et la météo se dégrade dans la vallée du Rhin. A l’approche de Colmar nous attendons la patrouille pour passer en quinze minutes, nous sommes le soir de Noël, elle doit nous rejoindre par un vol en COM.V (vol à vue en circulation opérationnelle militaire). Rien ne peut surprendre un contrôleur, la patrouille contacte l’approche, après identification il apparaît que les avions sont au sud-ouest pour une cinquantaine de nautique (90 kilomètres) environ, ils volent à environ 1000 pieds-sol et ils demandent le guidage vers le terrain, la pluie bouchant parfois l’horizon. Le contrôleur veut les faire monter plus haut pour dépasser la hauteur de sécurité au-dessus des obstacles que représentent le massif vosgien, fixée à 6500 pieds (2200 mètres), le chef de patrouille refuse expliquant que les huîtres du bassin d’Arcachon ne supportent pas l’altitude. Alors carte en main le contrôleur de service conseille la meilleure route à prendre pour la navigation basse-altitude de cette patrouille de F100. Les huîtres du 3/11 furent sauvées !!!

                Nos peines.

                Nous devions connaître un drame. Le crash d’un appareil du 3/11 au cours d’un exercice d’un vol plastron au profit des intercepteurs de la 13eEC interrompu pour cause de panne électrique.

                Notre terrain étant temporairement déclaré technique pour panne du radar panoramique, selon la règle de la série des embêtements groupés, cet avion piloté par un des plus expérimenté de l’escadron fut pris en compte par l’approche de Bremgarten afin de brûler son carburant en basse altitude en faisant une série de G.C.A. d’entraînement (ground control approach) ou guidage par radar par un contrôleur pour un atterrissage de précision). Que s’est-il passé, nous ne le savons pas avec certitude, l’appareil a percuté le sol à proximité de la BA 136. J’ai mis ma chemise blanche pour la cérémonie, ce fut une des trop nombreuses cérémonies semblables que j’ai connu en unité. J’en suis marqué pour la vie.

                Moins dramatique furent les quelques incidents concernant des appareils du 3/11 à Colmar, il y eu quelques engagement barrières dus à une vitesse d’atterrissage mal contrôlée, surtout sur piste mouillée, il est vrai que les freins du F100 étaient moins performant que ceux des Mirages après un peu d’aquaplaning. 

                   Départ avorté.     

                              Vint la date du départ du 3/11 annoncée depuis longtemps, reportée et maintenant fixée.

                La 11e EC devait s’installer sur la base aérienne de Toul-Rosière laissé libre par l’U.S.Air Force. La rancœur de ces américains chassés de cette base qu’ils avaient édifiée était grande, ils faisaient pour les peuples libres, partout dans le monde, la guerre aux rouges et ici en Europe, les Français les trahissaient et les abandonnaient en plein combat. L’intelligence n’étant pas répartie dans tous les cerveaux de la même manière, certains responsables américains de Toul voulurent se venger et entreprirent un sabotage en règle. Tous les tuyaux d’eau potable, de chauffage, de gaz, ainsi que tous les fils électriques et téléphoniques furent sciés au ras du sol. Pour rendre difficile la reprise de cette base, les saboteurs coulèrent systématiquement du béton dans tous les trous, chaque installation sanitaire, W C, douches, lavabos furent rendus inutilisable. Pour toutes ces raisons la venue de la 11 fut décalée et certaines installations n’étaient pas encore prêtes en temps utile.   

                La 11e EC avait été commandé par le commandant Capillon de 1966 à 1967, général commandant en second la Fatac 1ere RA, il sera mon chef direct lorsque je serai affecté à la section circulation aérienne de cet État-major en 1980-82. Le général Théodore Mahlberg lui succédera à ce poste, s’il avait été mon commandant de base à Dijon, il avait été préalablement commandant d’escadron du 1/11 en 1961 et chef des OPS de la 11 en 1962.

                 Le nouveau commandant d’escadre, le commandant Ghesquière, avait fixé au 14 septembre 1967 le déploiement sur Toul. Il voulait marquer la vie locale et comme Lafayette avant lui il voulait à son tour pouvoir déclarer ”nous voilà”. La météo n’était pas excellente, Toul était jaune comme tous les terrains de l’Est. C’était un temps assez habituel pour une grande partie de l’année, les américains qui venaient du Texas, de Floride ou de Californie appréhendaient leur affectation en Europe, pour eux la caractéristique aéronautique européenne était le pays du ”poor weather” (temps pourri).

                L’escadre va donc se présenter à l’atterrissage à Toul en deux vagues, la première partira de Bremgarten et la deuxième sera constituée par le 3/11 qui décollera de Colmar avec un décalage de  10 minutes environ. L’approche de Colmar assurera le transfert des appareils vers ”Menthol’‘, indicatif radio de la station de détection et de contrôle de Drachenbronn. Cette première partie s’exécuta conformément au plan, mais environ une demi-heure plus tard, en ordre dispersé tous les appareils du 3/11 demandèrent l’approche et l’atterrissage à Colmar. Nous apprendrons plus tard que la plupart des F100 n’avaient pu ”percer” (approche à travers les nuages) une véritable panique s’étant emparée du contrôle de Toul surchargé.

                Le commandement avait commis une erreur, il s’était montré exagérément optimiste quant au niveau opérationnel des contrôleurs de l’approche de Toul. Ces derniers étaient de nouveaux affectés pour la plupart, ils n’étaient pas suffisamment entraînés aux délicates procédures locales d’approche. La base de Toul était proche de celles de Nancy-Ochey et de Metz-Frescaty, quantité d’avions se partageait cet espace aérien relativement restreint, aussi, devant ce problème de concentration de trafic et de danger d’abordage, l’ U.S. Air Force avait créé une station d’approche commune qui s’appelait ”Moselle Contrôle” et qui avait la responsabilité du départ et des arrivées des trois terrains cités auquel il fallait ajouter celui de Grostenquin des canadiens et celui de Phalsbourg. Toutes ces précautions bien connues des cadres auraient dû alerter les responsables de la Fatac.

                Le départ définitif du 3//11 s’échelonnera le lendemain et les jours suivants. C’est avec beaucoup de nostalgie que nous les avons vus nous quitter, nous étions habitués à la détonation caractéristique de leur P.C. et de la sonorité propre de leur poste radio, ils nous ont manqué. 

                Nous ressentions un grand vide, il ne restera sur la base de Colmar qu’une seule escadre à 2 escadrons de la 13e EC, à 15 avions chacun, car le CEVSV nous avait également quitté pour la base aérienne de Saint-Dizier en juillet 1967 et non pas 1965 comme il est écrit la plupart du temps. Un détachement Hélicoptère du 2/67 prendra sa place en 1971, nous apportant un surplus bienvenu d’activité.

                La 11e EC (et la 3) avait permis à la FAS (Force Aérienne Stratégique) une montée en puissance extrêmement rapide au grand étonnement du monde entier, en retour c’est grâce à la FAS que le 3/11 du capitaine Roumilhac apprit la technique du ravitaillement en vol. Le 3/11 puis la 11 tout entière fut l’escadre de chasse unique chargée de l’intervention en Afrique, mais elle commit le péché d’orgueil, elle ne voulut pas partager. Un jour, tous les navigants et mécaniciens de cet escadre transmirent à l’État-major de la Fatac leurs demandes de permission sur une feuille double 21/29,7 car ils n’avaient pu les prendre l’année passée étant en mission outre-mer. La réponse fut réglementaire négative, assortie d’un avertissement : partagez !!!  Depuis lors, tous les pilotes des autres escadrons de Jaguar purent à leur tour accéder aux missions de guerre, l’adrénaline fut partagée. Je suis fier d’avoir un peu contribué à l’entraînement de tous ces hommes.

       COLONEL B. DUTEIN

Les 6 MYSTERE IV de Séville (2/2)

MYSTERE 4

       Suite et fin de l’aventure de l’éjection des 6 Mystère IV qui avaient décollé de Cazaux à destination de Séville.

         Je raconte le début de notre épopée lorsque des officiers espagnols, pas souriants du tout, m’embarquent dans un bureau et commencent à m’interroger. Notre terrain de mésentente est un anglais approximatif, ce qui ne facilite pas les choses. Au mur, une carte du sud de l’Espagne. De temps à autre, notre entretien est interrompu par le téléphone. Les deux officiers parlent entre eux, pointent une punaise sur la carte. Je devine à chaque fois que l’on a retrouvé quelque chose, mais on ne veut pas me dire s’il s’agit d’un avion ou d’un pilote.

        À la tombée de la nuit, un hélicoptère de l’US Air Force dépose le chef de la patrouille, accompagné de Tonton. Le pilote lui avait appris que j’étais à l’aéro­port, son n° 3 à Huelva, qu’on avait repéré Pépé (on ne lui avait pas dit dans quel état), et qu’on n’avait pas de nouvelles du n° 5. Il repartait pour chercher « les autres ».

       On rassure le capitaine Paul sur mon état de santé. Je suis toujours en interrogatoire et personne ne me dit qu’il est là avec Tonton.

     À la nuit tombée, l’hélicoptère revient. Le capitaine Olivier descend, puis le sergent-chef Michel et Pépé (avec sa valise !), tous deux les chaussures et le pan­talon anti-g crottés.

     C’est alors qu’on me fait sortir et que je retrouve toute l’équipe au complet. La guerre des nerfs est finie. À ma vue, et à la vue de ses quatre autres équipiers, surtout de Pépé et de Michel, Paul craque:

      – Vous êtes tous vivants, alors peu importe ce qui peut m’arriver maintenant !

       Émotion, pleurs, embrassades, et chacun raconte pendant que les chefs restent entre eux et avec les autorités espagnoles. Nous apprenons par Tonton que peu de temps après moi, le n° 5 puis le n° 6 ont annoncé leur extinc­tion et ont sauté. Puis ce fut son tour. Après avoir tiré le rideau, rien ne s’est passé. Deux secondes plus tard, il a fait une nouvelle tentative. Cette fois, le rideau a avancé de quelques centimètres de plus, et il est alors parti, lui aussi, au moment où il ne s’y attendait pas. Il a vu son avion continuer sa route et se planter dans les marécages, sans feu, ni fumée. En faisant son tour d’horizon, il a aperçu son leader, pas très loin, au bout de son parachute. Ils se sont vus et se sont fait des signes. Son atterrissage a eu lieu dans un champ de cacahuètes près d’une route qui mène à un village, à environ 200 mètres de là. De nom­breux curieux sont venus l’accueillir. Il comprend qu’on lui demande si l’avion qui vient de tomber est dangereux ; il rassure. On l’accompagne au village d’où il veut téléphoner, mais il se heurte très vite aux problèmes linguistiques que j’ai connus, et décide, en désespoir de cause, de laisser tomber. Peu avant d’arriver au sol, il avait vu une fumée s’élever au loin et avait pensé à l’avion de son leader. Il essaie de faire comprendre qu’il souhaiterait s’y rendre. Un paysan le met en croupe sur son cheval. Il laisse momentanément le matériel qu’il avait emporté au village (casque, paquetage et parachute) et part vivre son aventure équestre. Les sauts de haies et de clô­tures et le roulis induit par l’animal ont vite raison de son dos et de sa patience. Comme la fumée ne semble pas se rapprocher, il décide de descendre de son destrier et de retourner au village. Sur la route, un carabinier passe sur un scooter et Tonton change alors de monture. Retour à la case départ, au poste de la guardia civil du village.

      Là, il a la surprise de trou­ver son leader. Curieux tour du sort, ce village s’ap­pelle El Roccio, célèbre pour son pèlerinage à la Vierge et ses fêtes saintes de Pentecôte, la fameuse « Romeria », but de notre voyage. D’une certaine manière, la mission était accomplie !

       Quant à Pépé, il raconte que juste après son éjec­tion, il a vu un avion qui tournait au-dessus de lui, et comme il n’y avait pas de pilote à bord, il en a déduit que c’était le sien. Il l’a vu s’écraser, sans feu ni fumée. Lui est tombé dans un bois, entre deux arbres. Il a marché environ trois kilomètres puis a rencontré un paysan et a continué à pied avec lui jusqu’au poste de la Guardia civil de Villablanca, deux kilomètres plus loin.

      Lorsque l’hélicoptère vient l’y chercher, assez tard, il demande au pilote s’il peut l’amener sur le point d’impact de son avion, qu’il a eu le temps de repérer pendant sa descente. Il retrouve le Mystère IV, tombé à plat et cassé en deux au niveau du compartiment valise. Le bagage lui tend les bras, et il le récupère. Nous nous empressons de l’ouvrir. La bouteille d’après-rasage est intacte ; seul le boîtier du rasoir électrique est légèrement fêlé.

No comprendo
No comprendo

         Quant au leader, après avoir entendu l’annonce des quatre premières extinctions et ordonné les éjections, en rappelant les consignes de sécurité, il a dirigé les deux avions vers une zone marécageuse. Alors qu’il observait le bon déroulement de l’éjection de Tonton et l’ouverture de son parachute, son moteur s’est éteint et il a sauté à son tour.

          C’est à ce moment que, brusquement dans le silence, pendu au bout de son parachute et enfin face à lui-même, il a pris la pleine mesure du film qui venait de se dérouler. Il nous avoue que de sombres pensées sont alors venues le hanter. Il a été rappelé à la réalité en apercevant et en entendant son fidèle n° 2 qui descendait en patrouille sur lui.  Les interrogatoires individuels, les conversations téléphoniques et les échanges de messages se pour­suivent tard dans la soirée. Vers une heure du matin, on nous amène à notre hôtel, en nous prévenant qu’il y aurait probablement des journalistes pour nous attendre. Effectivement, il y en a partout. Nous sommes assaillis de questions, et comme convenu entre nous, nous nous abritons derrière le « no comprendo ! », réponse unique aux mul­tiples harcèlements dans toutes les langues, y com­pris le français. Ça ne leur plaît pas.

        Le lendemain matin, en attendant qu’on vienne nous chercher pour nous conduire à l’aéroport, nous apercevons un kiosque sur la place, vers lequel nous nous dirigeons pour voir si à tout hasard un journal relatait l’événement. Au fur et à mesure que nous nous approchons, nous mesurons l’étendue du désastre. L’intégralité de la une de tout ce qui peut être publié en Espagne, de ABC à Arriba, en passant par Ya et Informacione, et j’en passe, est entièrement consacrée à notre épopée, avec au premier plan la photo d’Olivier à Huelva, celle de son avion à demi planté dans le sol, et nous, la veille, dans le hall de l’hôtel, sans oublier Pépé avec sa valise.

       ‘ No traïamos bombas, Uan dedarado los pilotas fran-cests, euforicos y nerviosos » (Nous ne transportions pas de bombes ont déclaré les pilotes…).

        Nous n’avions pourtant rien dit, mais on nous fait parler ! De toutes tendances, la presse défraie la chro­nique et mobilise l’opinion. Il est vrai que l’Espagne est toujours traumatisée par la récente collision en vol et l’explosion au-dessus de Palomares d’un bombar­dier B-52 de l’US Air Force et d’un KC-135 qui le ravitaillait en vol. Trois des quatre bombes nucléaires transportées étaient tombées sur le sol, la quatrième en mer. Malgré les déclarations rassurantes des experts américains sur l’inexistence de risque d’irra­diation, les Espagnols avaient réussi à se faire indem­niser les récoltes présentes, absentes, passées et à venir pendant plusieurs années. Fallait-il déplorer que nos avions n’aient pas été armés ou n’aient pas fait de dégâts au sol ?

      Plus que jamais, nous n’éprouvons pas le besoin de faire de publicité sur notre identité.

      Nous sommes conduits à l’aéroport. Les interro­gatoires continuent, et l’ambiance est toujours peu conviviale. Nous apprenons que cinq épaves ont été retrouvées ; nous ne réunissons pas à savoir les­quelles (la sixième serait en mer où l’on aurait vu un bidon flotter) et on nous refuse l’autorisation d’aller les voir.

         Dans les moments de spleen, je me mets à penser à ceux qui me sont chers, aux copains, à ceux de l’es­cadron et aux autres. Comment auront-ils appris la nouvelle ? Et ma valise ? J’imagine qu’elle fera le bon­heur de quelqu’un qui va pouvoir voyager dans un beau costume tout neuf, en bénéficiant du quart de place dans les trains français, prendre des photos avec un bel appareil et payer en devises françaises.

        On nous informe qu’en fin de matinée, un C-47 Dakota venant de Villacoublay via Cazaux va amener une commission d’enquête désignée par le chef d’état-major de l’Armée de l’air. Cette information nous remet brutalement les pieds sur terre. Depuis la veille, je crois que nous n’avions pas très bien réalisé ce qui nous était arrivé. Après l’euphorie des retrou­vailles, les dialogues de sourds avec les autorités locales et les hypothèses que nous n’avions pas manquées d’élaborer sur l’impact de cette affaire en métropole ainsi que sur les conséquences qui pour­raient en résulter pour les uns et les autres, nous tom­bons maintenant dans le dur concret.

        Nous apprenons par les nouveaux venus que notre aventure a fait l’effet d’une bombe. Personne ne savait ce qui nous était arrivé. On avait su que, pas­sée l’autonomie des avions, nous n’étions posés nulle part. On avait passé l’après-midi à nous chercher par­tout. Puis, on avait appris sur le tard que cinq épaves de Mystère IV avaient été retrouvées dans la région de Huelva, à plus de 100 km à l’ouest de Séville, sans dommage aux tiers. Pas de nouvelles des pilotes. Un message du chef de l’échelon technique était parti à 18 h 17 : « Sans nouvelles de Riquet noir, attendons ins­tructions ». Enfin, un premier message de l’ambas­sade de France à Madrid avait fait état de « Six pilotes éjectés ; 4 pilotes retrouvés indemnes à 19 h 30 », puis un deuxième « Six pilotes retrouvés indemnes à 20 h 00 ». Le chef de la patrouille avait rédigé à l’at­tention du commandant de la base de Cazaux le message suivant : « Tous pilotes indemnes regroupés à Séville San Pablo ». Ce message avait quitté Séville à minuit. La commission d’enquête avait été dési­gnée dans la nuit : le président, colonel commandant en second la base aérienne de Mont-de-Marsan, un commandant pilote du commandement des écoles de l’Armée de l’air de Villacoublay et trois capitaines, un pilote, un mécanicien et un médecin du personnel navigant, de la base aérienne de Mont-de-Marsan.

      L’après-midi de ce samedi 28 mai, nous avons été examinés par le médecin et nous nous sommes indi­viduellement soumis aux investigations de la com­mission. Bien sûr, nous avons passé sous silence notre « coup du lapin », car nous ne tenions pas à courir le risque d’être déclarés inaptes chasse. Je crois me souvenir que nous avions ce même visage que ceux que l’on croise dans les couloirs de l’oral d’un examen ou d’un concours.

No comprendo

        Le soir, enfin entre nous, nous allons faire quelques pas dans les jardins de Séville, dont nous ne verrons pas grand-chose, et dîner dans un petit restaurant sympa. La solidarité aidant, Pierrot et les collègues de l’échelon technique nous avaient prêté de quoi res­sembler à des civils et préserver notre anonymat.

      Dans un coin de la salle, sur une petite estrade, une troupe de flamenco vient se produire, face à un aréo­page qui semble de belle qualité. Bien que nous fai­sant discrets sur le côté, nous sommes vite démas­qués et nous avons la surprise de voir la troupe se tourner vers nous et nous offrir le spectacle. Nous avons même droit à la Diva. Quelque part, ça fait enfin du bien de rencontrer des gens qui nous témoi­gnent un peu de chaleur et ne nous considèrent pas comme des parias.

     Le lendemain matin, re-commission. Dans l’après-midi, le Dakota nous ramène sur la base de Cazaux.

      Sur le parking, le commandant de base, le comman­dant d’escadre et son second, le commandant d’es­cadron et le commandant de l’autre escadrille. Nous redoutons l’accueil. Nos pronostics s’effondrent lorsque nous entendons le commandant de base dire au chef de patrouille :

        –  Vous êtes partis à six et vous me ramenez six pilotes. Pour moi, c’est l’essentiel…, et à nous trois :

        –  Vous avez dû avoir bien peur. Ça vous fera une bonne expérience, en début de carrière !

        Puis on nous raconte comment la chose a été vécue ici depuis notre décollage : le doute, l’incompréhen­sion, les échanges téléphoniques, les messages, les attentes, le stress, les flashs des médias annonçant « Six Mystère IV partis de Cazaux pour Séville s’écra­sent sur le sol espagnol. On est sans nouvelles des pilotes ».

       Et bien sûr, on nous demande de raconter.

        On nous informe que les médias tirent à boulets rouges et que nous sommes consignés sur la base afin de nous tenir à l’écart des journalistes. Les copains célibataires nous attendent dans leurs chambres, et c’est ainsi qu’a commencé l’histoire :

        –  Jean-Joseph, raconte !

       Je parviens à rassurer ma famille (on me dit que le tailleur de mon village a eu très peur) et mes amis, et j’apprends que ma petite amie a fait une crise d’urti­caire monumentale.

         Nous découvrons la presse de ces trois derniers jours. Elle n’est pas tendre et ne diffère de celle de nos voisins du sud, dans la présentation et la teneur, que par la langue. Tous les journaux du samedi nous ont réservé la une. Et l’événement du jour, à savoir la commémoration du 50e anniversaire de la bataille de Verdun par le Président de la République, a fait l’effet d’un pétard mouillé et est relégué à la page des faits divers. On se souvient que le refus du Chef de l’Etat de transférer les cendres du Maréchal à Douaumont n’a pas fait l’unanimité autour des anciens combattants ; ceux-ci n’ont répondu que tiè­dement à son invitation. On comprendra aussi plus aisément l’effet qu’aura produit notre intrusion dans cette situation délicate. Nous apprendrons amèrement plus tard que ça n’a pas plu.

         Dans les jours qui suivent, le communiqué officiel qui pourrait calmer le jeu ne vient pas. La presse est débridée ; les journaux à sensation jouent la provo­cation et, de jour en jour, pratiquent l’escalade. On ne ménage ni l’image de l’Armée de l’air, ni celle de ses chefs, pas plus que celle de ses pilotes :

     – « Rentrés hier à Cazaux, les pilotes sont au secret… »

      – « On a vu les pilotes faire la fête la veille de leur départ dans une boîte de nuit à Bordeaux. Le lende­main, ils étaient tellement ivres qu’il a fallu les aider à monter à bord de leurs avions et à s’attacher… »

     – « Bien que le rapport officiel se fasse attendre, la perte des six Mystère IV ne semble plus si mystérieuse… Dix-huit millions de francs volatilisés en quelques secondes… »

   –  « Inexplicable, les appareils étaient équipés de tous les équipements électroniques… »

      – « L’affaire des Mystère un scandale ! Un effroyable laisser-aller à l’État-major de l’air. Les vols d’exercice étaient le prétexte à de joyeux week-ends. De Gaulle furieux : on a ridiculisé sa force de frappe !… »

     – « Les six pilotes français qui ont abandonné leurs avions au-dessus de l’Espagne sont allés voir une cor­rida entre deux interrogatoires… »

   –  « Pompidou annonce que des sanctions vont être prises : les pilotes des Mystère IV étaient fautifs… »

     – « Et Pisani voulait leur confier des Boeing !… »

    – « A Séville, un colonel enquête sur le mystère de la chute des six Mystère. Les témoins espagnols racon­tent : “choqués par leur aventure, les pilotes arrivè­rent à l’hôtel en chantant…” »

       On taira certaines allégations, chaque jour plus acides et plus insupportables, faites à [‘encontre de personnes nommément désignées. Mais on gardera pour la bonne bouche :

     – « Enfin la vérité. Le mystère des six Mystère. Un raid français sur La Rota. Les Américains “descen­dent nos avions”. »

      On apprend dans cet article que notre mission était un raid contre la base de l’US Air Force de Moron, en représailles d’un survol impuni de l’usine atomique de Pierrelatte. Les Américains y expérimentent le « rayon de la mort » qui protège leurs bases, afin de l’utiliser au Viêt-Nam ; ils auraient déclaré : «… Cette affaire nous concerne au premier chef. Les avions français ne se dirigeraient pas vers San Pablo, mais directement sur La Roca. Une première fois, nous les avons repérés sur les radars, volant en formation de combat à une altitude de 850 mètres. À quelques minutes de nos installations, nous leur avons demandé vainement de s’identifier. S’étant éloignés, ils revinrent quelques instants plus tard, à une alti­tude de 350 mètres. Deux autres sommations, la der­nière à 10 secondes de La Rota, n’eurent pas plus de succès que la première. À ce moment-là, nous avons pris les mesures qui s’imposent. Et les pilotes d’ex­pliquer : “Nous ne pouvions rien faire. Brusquement, tous nos instruments de contrôle se sont affolés, nos commandes ne répondaient plus, nos appareils se sont mis à tomber comme une pierre”…».

     Nous avons le sentiment, devant ce déchaînement de prose acide, que l’on nous reproche d’être vivants, d’avoir joué avec désinvolture avec l’argent du contri­buable et de nous être séparés de nos avions comme on le fait de simples mouchoirs en papier, sans nous soucier des populations laborieuses au-dessous. Il faut avoir survolé cette région à cette époque-là pour se souvenir qu’à part les collines et la mer, il n’y avait pas grand-chose au sol. Sinon, peut-être que cela nous aurait aidés à mieux nous repérer et à éviter le pire. Et, en ce qui me concerne, à moins avoir à mar­cher.

           Il aurait certainement été plus intéressant que nous restions aux commandes jusqu’au bout. Ce serait tel­lement plus « commercial » de broder autour de ces héros qui n’ont pas hésité à sacrifier leur vie pour éviter… mais éviter quoi ? Les consignes de sécurité des vols existent ; nous nous devons de les appli­quer. L’atterrissage moteur coupé est interdit. II est dans tous les cas voué à l’échec. Et, s’il est vrai que la perte de vies humaines au sol est dramatique et insupportable, s’il est vrai que la perte d’un avion est intolérable, il n’en demeure pas moins certain que la perte d’un pilote est un échec.

       Une dizaine de jours plus tard, un communiqué officiel venait mettre fin à toutes ces palabres, et nous sommes enfin autorisés à sortir.

       Mais le mal était fait et dans les subconscients, il en est resté quelque chose. Même au sein de la corpo­ration, nombre sont ceux que j’ai rencontrés et que je rencontre encore qui se sont fait leur propre ver­sion de l’affaire et qui pensent détenir la vérité, sou­vent bien éloignée, hélas, de la simple réalité.

      Les Mystère IV, quoique déjà bien âgés, auraient certes pu continuer à rendre de bons services. Mais on sait que leur coût était loin d’être celui qui était annoncé. Par précipitation, ignorance ou goût du sen­sationnel, on a même quelquefois confondu Mystère. IV et Mirage IV, fleuron de la toute jeune force de frappe chère à notre Président. C’est en tout cas enta­chée de ce lapsus que l’information lui a été com­muniquée. Et quand bien même elle aura été rectifiée par la suite, on peut imaginer l’effet détonant qu’elle aura produit, dans un contexte où les masses cri­tiques étaient en présence. La situation politique du moment n’était pas au beau fixe, la manifestation de Verdun n’avait obtenu qu’une adhésion très tiède des anciens combattants et de l’opinion. La France venait de se désolidariser de l’OTAN et on se demandait si l’impuissance des américains de Moron à nous aider n’était pas étrangère à l’invitation récente qui avait été faite à leurs compatriotes de quitter le sol français. L’Espagne était encore sous le traumatisme de Palomares. Et enfin, six avions, c’est spectaculaire, à plus forte raison à l’étranger. Pour les média, nous tombions à point (si l’on peut dire) et ce qui, en d’autres temps, aurait pu n’être qu’un fait aérien banal, relégué à la page des faits divers (on sait que les annales de toutes les ailes du monde en sont riches), devenait l’affaire du siècle et allait servir d’exutoire. On comprendra alors dans ce contexte, à quel niveau et avec quelle force les sanctions ont été prises.

        Dans les jours qui suivent notre retour, on ne parle, bien sûr, sur la base et à l’escadron, que de cette affaire. Une commission d’enquête est envoyée à Séville pour étudier les enregistrements. On appren­dra plus tard que – pas de chance – par des erreurs de manipulation, une partie avait été effacée (celle, bien sûr, concernant route notre phase de détresse).

         Nous vivons dans l’attente des conclusions et des sanctions ; les pronostics sont ouverts. Nous passons devant une commission d’enquête des faits profes­sionnels. Le général qui la préside (qui commandait l’École de l’air lorsque j’y suis rentré) nous rassure, nous les trois « peintres ». Nous n’avions qu’une chose à faire et nous l’avons bien faite : tenir notre place et ne pas semer la panique au sein de la patrouille.

        On s’interroge sur ce qui pourrait arriver au lea­der. Toutes les hypothèses sont élaborées, de la plus optimiste à la plus pessimiste compte tenu du contexte du moment : points négatifs, mutation, relève du commandement d’escadrille, remise en cause du brevet de chef de patrouille, voire radiation du personnel navigant (la plus grave sanction envers un pilote). L’idée d’une sanction disciplinaire, bien que la presse poussât au crime, est écartée, que l’on sache, il n’y a pas eu indiscipline

          Nous revivons la mission et sa préparation. Seule, la commission d’enquête a compétence pour analy­ser les causes d’un accident et proposer les mesures pour éviter son renouvellement. Cependant, nombreux sont les conseillers et ceux qui, assis au calme dans un fauteuil, auraient certainement mieux réagi dans cette aventure. Il est vrai que dans toute enquête, il est difficile de se mettre à la place des acteurs qui ont vécu au menu détail l’événement.

        Nous avons, hélas, bénéficié de la loi de l’embête­ment maximum (d’aucuns diront que nous avons été victimes d’un enchaînement d’impondérables), et le résultat est bien que nous ayons été acculés à une situation irréversible.

         Et puis un jour, le leader est appelé à Paris. On lui fait très vite comprendre que la décision se situe à un niveau qui dépasse tout le monde et il pressent que la sanction ira probablement au-delà d’une simple sanction professionnelle.

        Quelques jours après, nous apprenons que « Par décret du Président de la République, contresigné par le Premier Ministre et le Ministre des armées, le gou­vernement portait mesure de mise en non-activité par retrait d’emploi …

          Plus tard, un ardent défenseur écrira « C’était confondre faute professionnelle et faute contre l’honneur ou la discipline. C’était traiter le coupable d’une erreur humaine comme un délinquant. C’était sur­tout, par une mise à pied avec les 2/5 de la solde, rejeter sans délai une famille dans la vie civile avec un pécule ridicule pour faire vivre cinq personnes. Sanc­tion disproportionnée et scandaleuse ! ».

        À tous les échelons, des sanctions très sévères sont prises. Quant à nous, les trois « peintres », seuls à nous en être tirés avec les honneurs de la guerre, en sommes-nous vraiment sortis indemnes ?

      Avec quels yeux nous regarde-t-on désormais intra et extra-muros ? L’Armée de l’air est médusée. Nos ailes sont ternies et fragilisées. Pour le joyeux feuille­ton des « Chevaliers du ciel », la route est tracée. Il faudra attendre de nombreuses années pour que, par notre présence sur de nombreux théâtres d’opéra­tions, l’opinion voie enfin en nous ce que nous n’avons jamais cessé d’être : des professionnels.

        Cependant, à toute chose malheur est bon. À la suite de cet accident, la création du Conseil permanent de la sécurité aérienne a été décidée ; on n’est jamais si bien jugés, défendus ou punis, que par ceux qui nous commandent. Le SIRPA, qui fera désormais le tampon entre les média et les armées, est dans l’œuf.

       La solidarité s’organise autour de la famille du capi­taine Paul. L’association des anciens élèves de l’École de l’air la prendra à sa charge jusqu’à ce qu’il trouve un travail dans le civil. Dans toute la tourmente médiatique bien de chez nous, c’est hélas d’au-delà de nos frontières que nous vient un peu de réconfort.

        Dans la presse anglo-saxonne, restée très réservée et objective, un chroniqueur du Sunday Mirror est même allé jusqu’à considérer que « Le chef de la patrouille méritait d’être décoré pour son réel courage et son sens des valeurs, lui qui avait décidé que six vies humaines avaient plus d’importance que six avions à réaction ». Et pourtant l’histoire nous a tou­jours appris que la perfide Albion n’a jamais fait de cadeaux aux compatriotes de Jeanne d’Arc !

        Et un pilote espagnol, le général Serrano, avait écrit au capitaine Paul une lettre admirable de lucidité et pleine de chaleur humaine, dans laquelle, relatant notre aventure en professionnel, exactement comme s’il l’avait vécue au sein de notre patrouille, il prenait adroitement sa défense en soulignant les aléas du métier de pilote de chasse. Cette lettre ouverte avait paru dans un grand journal espagnol et avait été reprise par un hebdomadaire français.

        Ainsi fut vécu le plus grand fait aérien médiatique de nos ailes. Que d’énergie perdue et de mal fait autour d’un événement certes autant spectaculaire que regrettable, mais somme toute banal ! Avec le recul et la sagesse que de nombreuses années de métier m’ont donnés face aux événements, je me suis souvent interrogé : ce qui, selon moi (et cela n’engage que moi), aurait pu n’être jugé et sanc­tionné professionnellement que comme un excès de confiance devant une situation contrariante ou une obstination erronée à poursuivre la mission, justi­fiait-il que l’on sacrifiât une tête sur l’autel de l’hon­neur et que l’on portât un coup aussi dur ?

        La profession de pilote de chasse est une école de modestie et d’humilité. Qui, à plus forte raison s’il n’est pas du métier, peut dire comment il aurait réagi dans cette galère ? Qui peut affirmer qu’il ne s’est jamais perdu ? Qui n’a pas été confronté au moins une fois à une situation pas possible, si toutefois il a eu la chance de pouvoir le raconter par la suite ? Avec 4 500 heures de vol sur de nombreux types d’avions, pas moi en tout cas. La chance existe. Elle fait partie de notre paquetage. II n’est pas toujours facile de la mettre de son côté. Placée en fin de mon cycle de formation, cette aventure m’a apporté de précieux enseignements qui m’ont servi tout au long de ma vie de pilote de chasse. Elle aura aussi permis, comme toute aventure malheureuse, de tirer des enseigne­ments utiles à tous les pilotes. À toute chose, mal­heur est bon.

      Au terme d’une carrière aéronautique bien rem­plie, je conserve toujours la même admiration et une confiance intacte pour ce chef de patrouille com­mandant d’escadrille que je regarde toujours respec­tueusement avec mes yeux de jeune lieutenant pilote en escadrille. Il est de ceux qui m’ont appris mon métier et la solidarité. Je sais qu’il garde toujours le stigmate de la blessure sur le côté et le goût amer de l’éponge vinaigrée. Mais on ne refait pas le monde.

          Pendant très longtemps, au sortir de Cazaux, si l’on m’avait demandé quel était l’instrument le plus important dans un avion, j’aurais répondu : LE JAUGEUR !

NDLR ; je vous invite à prendre connaissance de l’article qui analyse et traite des causes de l’accident ainsi que des suites qui ont été données. 

Les 6 MYSTERE IV de Séville ( 1/2 )

Mystere IV

       Les 2 prochains articles racontent l’aventure des 6 Mystère IV décollant de Cazaux et à destination de Séville et qui,  suite à un concours de circonstances défavorables, s’est terminée par 6 éjections. Dans la patrouille figuraient 2 pilotes de la 11EC, JJ Brie auteur de ces articles et “Tonton” TURINA  qui à l’occasion inaugurait sa série de 3 éjections racontée dans l’article précédent.

 

27 MAI 1966 : SIX MYSTÈRE IV À SÉVILLE

(Première partie)

           En ce mois de mars 1966, nous voici donc, le premier tiers de la promotion, sur la base aérienne de Cazaux, en OTU, à l’escadron de chasse 2/8 « Nice », équipé de Mystère IV, pour poursuivre notre cycle de formation au difficile mais si beau métier de pilote de chasse.

       Là, pour la première fois, nous volions avec une combinaison « anti-g », pleine de lacets partout, ancêtre de l’actuel pantalon du même nom et qui nous faisait plus ressembler à ces prédécesseurs de Patrick Baudry tirés d’un livre de Jules Verne, qu’à des pilotes de Mirage 2000.

      Cazaux. Bien que lieutenants, nous n’étions encore que des poussins. Une base magnifique au bord d’un lac, une escadre de chasse, un avion d’homme, monoplace, des instructeurs, chefs et sous-chefs de patrouille expérimentés, qu’il n’aurait pas fallu appe­ler «monit » depuis le macaronage à Tours ; nous n’étions plus élèves pilotes, mais pilotes de chasse à l’instruction. La transmission du savoir avait un je ne sais quoi de magique, fait, pour ceux qui le trans­mettaient, de rigueur et de fermeté mais aussi de compréhension et de complicité, et pour nous, d’hu­milité, de confiance et d’obéissance presque aveugle.

      Le matin, tous les avions étaient en ligne impec­cable sur le parking devant l’escadron, et nous allions bavarder avec les mécanos qui s’affairaient à la pré­paration pour le vol : pleins de kérosène et d’oxygène, petits dépannages, et changements de confi­guration (avion lisse ou bidons de 625 litres, paniers roquettes, bombes ou armement des canons ou encore équipement en « biroutier » suivant la mis­sion).

      Et puis, un jour, la nouvelle tombe : l’escadron est désigné pour effectuer un voyage de fin de stage à l’étranger. De telles missions étaient parfois déclen­chées afin d’accoutumer les pilotes aux procédures internationales de navigation. C’est ainsi que des patrouilles simples (4 avions) s’étaient déjà rendues en Espagne et en Italie. Le fait que la promo soit exceptionnelle n’était probablement pas étranger au fait que, pour la première fois, il avait été décidé de porter l’effectif de ce huitième voyage à six avions. Objectif : Séville, à l’occasion des célèbres fêtes saintes de Pentecôte (la « Romeria » d’El Rocio).

       Inutile de décrire l’exaltation et la fébrilité qui régnaient dans la salle d’opérations de l’escadron quand, de sa blanche main innocente, le sergent-chef marqueur martiniquais tira au sort, dans un calot bien entendu, les noms des trois stagiaires privilé­giés (Tonton, Jean-Joseph et Pépé), puis celui d’un remplaçant (Pierrot) qui devait rejoindre Séville par avion de transport avec l’échelon technique.

  

       Inutile de décrire l’exaltation et la fébrilité qui régnaient dans la salle d’opérations de l’escadron quand, de sa blanche main innocente, le sergent-chef marqueur martiniquais tira au sort, dans un calot bien entendu, les noms des trois stagiaires privilé­giés (Tonton, Jean-Joseph et Pépé), puis celui d’un remplaçant (Pierrot) qui devait rejoindre Séville par avion de transport avec l’échelon technique.   

         Difficile de décrire les nombreuses pressions et les propositions plus ou moins honnêtes dont les heu­reux désignés furent l’objet pour céder leur place. Pierrot, le remplaçant, n’était pas le seul à s’enquérir tous les matins sur l’état de notre santé ; en bons chasseurs, il nous a fallu d’ailleurs mettre en appli­cation l’un des principaux préceptes du métier : la surveillance de nos arrières.

6 pilotes et Taureau
Les 6 pilotes de Mystere IV

   

    Pendant plusieurs jours, le chef de la future patrouille, le capitaine Paul, commandant de l’une des deux escadrilles, aidé de ses deux autres leaders, le capitaine Olivier et le sergent-chef Michel, collec­tent les divers documents et autorisations nécessaires et préparent la mission.

      La veille du départ, le jeudi 26 mai, nous traçons l’itinéraire sur la carte de radionavigation au 1/2.000.000 et sur la carte au 1/1.000.000 de l’Es­pagne qui nous avait été distribuée (édition 1952, la seule disponible à l’escadre). Puis, je vais passer la soirée chez mes parents, en région bordelaise, où j’en profite pour récupérer le magnifique costume que j’ai fait confectionner chez le tailleur du village (il ne faut pas plaisanter avec l’image de marque de l’Armée de l’air à l’étranger, ni avec celle de pilotes de chasse français face aux petites Sévillanes). Ce brave tailleur, qui n’avait pas eu le temps de préparer la facture de son œuvre me dit qu’il n’est pas inquiet : je paierai à mon retour…

      Le 27 mai au matin, dernier regard scrutateur des copains,… et surtout de Pierrot. La santé et le moral sont de fer. Nous peaufinons la préparation de la mis­sion. Avant d’aller déjeuner, nous amenons nos petites valises au bureau de piste pour que les mécanos les installent dans le compartiment ad hoc derrière la ver­rière. Repas au premier service. Au mess, un collègue me rembourse une belle somme d’argent que je lui avais prêtée quelques semaines auparavant. Voilà qui fera mon affaire pour acheter en Espagne la belle veste en daim dont je rêve depuis longtemps. De retour à l’es­cadron, je fais récupérer ma valise qui contient mon portefeuille. Autant mettre les billets à l’abri et leur éviter la sueur de la combinaison de vol.

     Il est 12 h 30. La patrouille des « Riquet noir » est réunie en salle d’opérations pour le briefing.

      Appel : « Leader, capitaine Paul, n°2 lieutenant Ton­ton, n°3 et deputy-leader, capitaine Olivier, n°4 lieu­tenant Jean-Joseph, n°5 sergent-chef Michel, n°6 lieutenant Pépé ». Nous étudions la mission en détail. Les tâches et les responsabilités sont définies. Nous aurons un temps de curée sur le trajet et à l’arrivée. La patrouille adoptera la formation défensive rap­prochée pour garder la cohésion dans les voies aériennes. Le leader est ferme. Pas de complaisance. Les équipiers seront fidèles à la devise affichée en salle d’opérations, à côté des panneaux de sécurité des vols : « L’équipier tient sa place ou crève ». Ils se tiendront en formation intégrée sur leurs leaders, à 50 mètres, surveilleront le ciel et suivront la naviga­tion. Des questions leur seront posées en vol. Les fréquences des balises de radionavigation qui maté­rialisent la voie aérienne, ainsi que celle du terrain de Séville San Pablo (au cas où une percée au radiocompas serait nécessaire), sont évoquées une der­nière fois ; nous connaissons déjà par cœur les fré­quences et les indicatifs en morse. Nous n’ignorons pas que les seules aides à la navigation sur le Mystère IV sont le radiocompas, le crayon gras et le cal­culateur (pour paraphraser certaines affirmations bien établies). Les balises qui jalonnent l’itinéraire tracé sur nos cartes sont répertoriées à côté des fréquences radio, principales et secondaires des différents organismes de contrôle, sur le bloc note qui sera fixé sur la cuisse gauche.

        Les procédures de secours et les modalités d’un éventuel déroutement sont rappelées en détail. Le pétrole restant au début de la descente, donné par le computer, sera d’environ 1000 kg, soit 150 kg de plus que la sécurité « terrain jaune » en vigueur : le pied ! Je me dis que l’arrivée au break en patrouille à six devrait décoiffer. La percée radiocompas est révisée. Il est 13 h 35. Nous allons aux avions. Celui qui aura des problèmes à la mise en route restera au parking.

        Je dépose ma petite valise au pied de l’avion et, après avoir fait le tour de vérification, je m’installe. J’attends que le mécano monte à l’échelle pour m’aider à me brêler, car, avec la Mae West en plus, il faut avoir fait un stage de contorsionniste pour réussir à enfiler seul le parachute. Je n’aperçois pas mon homme ; il doit être affairé au compartiment valise. Mes collègues à droite et à gauche sont déjà prêts et les réacteurs commencent à tourner. Cela signifie que le check radio a été fait sans moi et que la mise en route a été ordonnée. Paniquant à l’idée de rester à Cazaux pour avoir été trop lent, j’essaie, toujours en vain, d’enfiler le parachute, les sangles ne voulant pas remonter jusqu’aux épaules. Je parviens enfin à le boucler tant bien que mal (ce serait bien le diable que nous ayons à l’utiliser) et à me brêler. Au moment où les autres avions commencent à rouler, les différents indicateurs du tableau de bord m’indi­quent que le groupe électrogène est branché sur mon avion ; j’aperçois enfin mon mécano, auquel je fais signe d’une rotation de l’index particulièrement rapide qui traduit une nervosité non dissimulée que je vais mettre en route. Une impulsion sur le démarreur. La turbine tourne. Les pressions se stabilisent. Le poste de radio est enfin chaud ; le mécano finit le tour de l’avion, monte à l’échelle pour ôter les sécurités de verrière et de siège. Les cales ne sont pas encore enlevées lorsque j’annonce, comme si je renaissais à la vie, « Riquet Noir 4 sur la fréquence – prêt à rouler ». Le leader me demande de les rattraper et de reprendre ma place au point de manœuvre : Ouf ! Je serai du voyage, mais il s’en est fallu de peu !

       Nous décollons individuellement à 10 secondes. Il est 13 h 45 ; dans 1 h 15 environ, nous serons sur le sol de Séville.

      Stable au niveau 290 (le 310 nous ayant été refusé), rivé dans les 50 mètres de mon leader que je main­tiens légèrement au-dessus de l’horizon, je me livre, malgré l’étroitesse de l’habitacle, à une gymnastique savante pour essayer de remonter les sangles du para­chute vers les épaules. Après tout, on ne sait jamais. Je parviens enfin tant bien que mal à les glisser sous le col du gilet de sauvetage. Il fait beau. Les contacts radio avec les organismes de contrôle sont clairs. La procédure anglaise passe bien. Les timings sont respectés. Les balises sont musclées et faciles à prendre, et je regarde avec une satisfaction bien légitime l’aiguille du radiocompas basculer franchement à leur verticale. A chaque check radio après changement de fré­quence, il manque bien toujours quelqu’un, pro­blème bien connu avec les postes UHF de l’époque (je m’expliquerai plus en détail dans la suite de ce récit) :

     – allez chercher le 6 sur la fréquence précédente,

     – 5, reçu,

et un moment après :

      – Riquet noir 6, de 5, check radio,

      – numéro 6, 5 sur 5,

      – leader, numéros 5 et 6 sur la fréquence.

  De temps en temps, comme prévu au briefing, le leader teste notre attention :

        – Noir 2, quelle est la rivière à neuf heures ?

        – 6, le nom de la ville à midi ?

     Après un coup d’œil rapide sur les cartes dépliées sur nos genoux, nos réponses ne se font pas attendre. Aussi, comprendra-t-on la vague d’orgueil qui m’envahit aux diverses occasions où je fus concerné, telles par exemple :

     – Noir 4, quel est le nom de la rivière que l’on vient de franchira

     – l’Henares, ou bien

     – Noir 4, quel est le terrain à trois heures bas ?

     – Madrid Barajas !

     Après tout, ce n’est pas si difficile que cela de navi­guer en CAG à l’étranger. Un peu moins d’une heure après le décollage, nous arrivons à la verticale de la dernière balise de notre trajet dans la voie aérienne, Hinojosa. Dans un quart d’heure si tout va bien, nous serons posés. Les aiguilles basculent et nous prenons le cap sur Séville San Pablo. Nous préparons sur nos radiocompas la balise du terrain. Il nous reste 1000 kg, un peu moins que ce qu’avait donné le calculateur, mais compte tenu de la marge qui avait été prévue, il n’y a pas de raison particulière de s’inquiéter.

      Devant, nous apercevons une importante couche nuageuse ; elle n’avait pas été prévue au programme. Si nous restons à cette altitude, nous y avons droit. Mais jusqu’où descend-elle ?

    Le leader demande l’autorisation de descendre au niveau 230. Madrid contrôle nous donne son accord et nous fait passer sur Séville contrôle. La fréquence est très encombrée. Plusieurs personnes parlent en même temps, tant en anglais qu’en espagnol. II nous faut attendre assez longtemps pour pouvoir enfin faire le check radio au sein de la patrouille. Bien sûr, comme à tout changement de fréquence, il manque quelqu’un à l’appel et il faut aller le rechercher sur la fréquence précédente.

      La balise de San Pablo (260 kHz) est difficile à accrocher. Elle n’a pas la puissance de celles que nous venons d’utiliser. Je ne parviens pas à recevoir l’indi­catif et mon aiguille a plus tendance à s’orienter vers l’ouest que droit devant comme cela devrait être le cas. L’histoire nous dira plus tard qu’elle avait des problèmes de fonctionnement et qu’une balise de fréquence proche (262 kHz), installée au Portugal, avait plus de vitalité. Le leader semble également avoir des difficultés pour la sélectionner. Il demande si quelqu’un a un gisement ; les réponses divergent. Profitant d’un créneau de silence, il cherche à établir le contact avec Séville. Mais les autres communica­tions radio interfèrent et couvrent la sienne.

     Pendant ce temps-là, nous avançons, et la visibilité diminue.

     Nous repassons sur Madrid contrôle pour deman­der une autre fréquence. Course habituelle après les équipiers… mais je n’en parlerai plus car ce sera à chaque fois la même chose. Madrid ne répond plus, et nous revenons sur Séville contrôle. Le scénario n’a pas changé.

    Nous sommes pratiquement dans les nuages. Le leader nous a demandé de resserrer la formation. Je pose ma carte et je viens « sucer le saumon » du numéro 3, à droite. Tonton est en patrouille à gauche et le 5 et le 6 sont sur moi. Profitant d’un créneau, le leader annonce qu’il est en descente vers le niveau 230. Pas de réponse de l’organisme de contrôle. La visibilité horizontale est nulle, et nous ne voyons qu’épisodiquement le sol. Nous continuons à cher­cher à établir le contact avec Séville ; le n° 3 et le n°5 essaient à leur tour. La couche étant plus épaisse que prévue, nous demandons à poursuivre la descente vers le niveau 170. Un moment après, Séville répond enfin « Stand-by », puis, « remontez au niveau 230 ». Le dialogue de sourd s’installe ; nous sommes coupés sans cesse. Le leader tente d’expliquer que nous sommes six avions en formation serrée et qu’il pré­fère garder la vue du sol. Il lui faut répéter plusieurs fois. Dans l’enchevêtrement des voix, nous compre­nons que Séville accorde le niveau 170 en VMC et nous demande de contacter la tour de contrôle de Séville (l’histoire nous dira que le contrôle avait com­pris que, dès lors que nous passions en vol à vue en espace inférieur, nous clôturions de facto notre plan de vol).

   Nous sommes toujours en patrouille serrée. Je fixe mon attention sur le n° 3, trop préoccupé de ne pas le perdre de vue et d’éviter de « pomper » pour me faire « remonter les bretelles » par le n° 5. Je n’ose pas imaginer ce qui se passerait si, en plus des difficultés auxquelles nous commençons à être confrontés, j’étais amené à annoncer : « Leader, perdu de vue ! », et à me retrouver tout seul en plein ciel de gloire ! Nous ne parvenons pas à établir le contact sur Séville tour. Le même enfer continue. Impossible d’en placer une. Une voix ininterrompue égrène des informations météorologiques. Pas moyen de com­muniquer. En double fond, nous entendons la tour qui nous appelle, mais elle semble ne pas nous rece­voir. Bref, c’est laborieux. Mais je me sens serein. J’ai déjà une petite habitude des aléas de la radio. Ça nous arrive souvent d’avoir des problèmes de contact avec le sol sur certaines fréquences et il faut en essayer d’autres. Je ne m’en fais pas trop ; j’ai un chef; il sait ce qu’il fait et il doit avoir plus d’un tour dans son sac. Je lui fais confiance. Et puis, il y a deux autres leaders ! Je n’aurai par la suite aucune notion du temps passé ni de notre position dans l’espace. Je suis préoccupé par la tenue de ma place, et je n’ai pas encore l’ai­sance nécessaire pour, à la fois, mettre la tête dans la cabine, surveiller le chronomètre, l’horizon artificiel ou les caps, et mémoriser.

    Si je relate avec un peu plus de précisions nos dif­férentes évolutions, c’est grâce à la restitution que nous avons pu en faire plus tard. Nous faisons environ dix minutes au cap 215 sur Séville, puis nous ouvrons à droite vers un lac qui ne figure pas sur la carte. L’histoire nous dira que le leader pense avoir passé le travers est de Séville. Ne voulant pas pénétrer dans la zone sans contact radio, il nous fait faire demi-tour par la gauche jusqu’au cap 010. Nous sommes à 14 000 pieds. Je saurai plus tard qu’il essayait de garder le contact visuel avec le sol, mais, compte tenu de la visibilité oblique médiocre, il ne trouvait pas de repères caractéristiques. Quant à nous tous, nous sommes bien en patrouille serrée sans visibilité ; et dans ces cas-là, il y a autre chose à faire qu’à chercher à regarder en bas.

     Nous quittons la tour et repassons sur Séville contrôle qui nous donne pendant environ une minute sans interruption des Fréquences sur lesquelles nous pouvons contacter la tour de Séville, puis nous ignore malgré nos appels.

    Il reste 730 kg. Dans mon for intérieur, je me dis que la sécurité carburant étant de 850 kg par terrain « jaune », s’il ne fait pas beau en bas, il serait grand temps que quelqu’un nous prenne en charge pour nous amener rapidement en finale ; et je réalise que nous n’avons plus les 800 kg nécessaires au déroute­ment sur Madrid. Une certitude : il faudra bien se poser à Séville. Un sentiment étrange m’envahit alors. Espérons qu’il fait beau en bas, et que le terrain est au pire en condition « vert ». Dans ce cas, la sécu­rité carburant pour percer et se poser est de 650 kg ; nous n’y sommes pas encore.

    On sent comme un flottement dans l’air. Le leader nous demande si nous avons un gisement sur San Pablo et Moron. Les commandes du radiocompas se trouvant sur la banquette droite, je me livre à l’exer­cice délicat qui consiste à piloter de la main gauche afin de pouvoir sélectionner les indicatifs sur les deux postes avec la main droite, regarder les tambours de fréquences sombres et mal placés, tourner les mani­velles et trouver des indicatifs morses qui se che­vauchent les uns les autres, sans réussir à trouver le bon, puis sélectionner la fonction « compas » et affi­ner la position des manivelles pour trouver un gise­ment qui se stabilise. Puis recommencer l’opération car il est rare d’accrocher une balise à la première tentative et généralement rien d’exploitable ne s’en­tend. Pendant ce temps-là, il faut continuer à tenir la patrouille serrée avec la main gauche, avec la sou­plesse que cet exercice de style comporte, sans attar­der le regard à l’intérieur car un écart est vite fait. Et bien sûr, la manette des gaz étant momentanément abandonnée, on a tendance à doubler ou à prendre du retrait. Toute cette gesticulation prend, on le comprendra, du temps et de l’énergie.

Personne n’obtient de renseignement exploitable. J’avais bien quelque chose de stable vers l’ouest (je pense maintenant que je devais être accroché sur la balise du Portugal), mais je ne parviens pas à perce­voir l’indicatif.

     Nous avons repris le cap initial (210) par la gauche et nous essayons de contacter le radar américain de Moron. La gesticulation des fréquences continue. On se souviendra qu’elle est aussi sportive que celle du radiocompas. Le poste UHF est sur la banquette gauche et les quatre lucarnes d’affichage des fré­quences ne sont pas très lisibles. A chaque change­ment, il faut abandonner la manette des gaz pour afficher avec la main gauche un à un les quatre chiffres du canal. Chaque manipulation est entre­coupée d’un regard à l’extérieur et d’une reprise de la manette des gaz. C’est bien le diable si dans l’inter­valle, on n’a pas « encastré » ou pris du retrait, ce qui engendre une manœuvre un peu brusque qui se répercute, amplifiée, sur ceux qui tiennent la patrouille sur vous. Et parfois, soit le poste ne posi­tionne pas sur la fréquence sélectionnée (c’est un sif­flement interminable dans les oreilles, et il faut recommencer l’opération), soit on s’est trompé d’un chiffre et on n’est pas sur la bonne fréquence. En désespoir de cause, il faut revenir sur la fréquence précédente où l’on ne tarde pas à venir vous chercher. On imagine les poussées d’adrénaline que toutes ces opérations génèrent chez l’opérateur et les pertur­bations qu’elles peuvent provoquer chez celui qui conduit la patrouille.

Moron est également saturé. Pas moyen d’obtenir un contact, pas plus qu’un gisement significatif sur la balise de San Pablo. L’histoire nous dira que le leader a un gisement 50° arrière droite (confirmé par le n°3) qui le conforte dans son sentiment d’être au sud-est de Séville. Nous prenons le cap 330.

    Check pétrole : 600 kg, et nous n’avons toujours pas commencé notre percée. II ne reste plus qu’à espérer que nous allons trouver le terrain dans un trou si nous voulons avoir les 500 kg réglementaires (normes « terrain bleu ») au break. Et pourvu que personne n’éclate un pneu à l’atterrissage car la remise des gaz va être chère ! Nous repassons sur Séville contrôle. La fréquence est encombrée par un autre avion et nous ne parve­nons pas plus à capter l’attention du contrôleur qu’à faire taire son interlocuteur. Le sentiment est que personne ne nous entend.

Le leader nous fait prendre le cap 270 pour annu­ler ce qu’il estime être son gisement sur San Pablo et demande confirmation à ses chefs de patrouilles. Le n° 3 a 20° d’écart et le n° 5 a l’indicatif, mais pas de gisement. Il nous dit alors :

   – Eh bien, nous sommes dans de beaux draps !

   Jusqu’à ce moment, nous étions tous persuadés qu’il connaissait sa position et savait ce qu’il faisait. Le sentiment étrange qui s’était emparé de moi peu de temps auparavant se précise ; il fait place à une brusque angoisse. C’est maintenant que je mesure l’ampleur du problème. Nous sommes perdus, et nous sommes dans une impasse. Il reste certes de quoi voler encore un peu, mais si quelqu’un arrive à nous guider vers notre terrain, nous risquons fort d’éteindre avant d’y arriver, soit sur le trajet si nous sommes loin, soit en finale radar si le terrain est « jaune » ; et en plus, il faudra dissocier les avions, donc rallonger la procédure ! Je me vois mal faire un GCA individuel réel en langue hidalgo-anglaise dans le ciel sévillan ! Plus que jamais, je me cramponne à mon leader. II ne nous reste plus qu’à tenir notre place, à attendre que ça sèche (façon de parler) et à observer le jaugeur, qui descend inexorablement. Les leaders parlent entre eux et essaient de s’entraider. Le n° 5, qui avait pressenti quelque chose, avait depuis quelque temps déjà passé son IFF sur Emergency. Le leader admet s’être trompé et pense être à l’ouest de Séville. Mais où ?

    Nous essayons de contacter Moron mais la fré­quence est saturée. Séville parle en même temps et on sent que la panique a gagné le sol. Il reste 400 kg Nous passons sur Guard (fréquence de détresse), et nous branchons nos IFF sur Emergency. On sent que l’ambiance devient tendue au sein de la patrouille. Les six IFF sur Emergency, ça va bien réveiller un contrôleur tout de même ! Et puis, sur cette sacro-sainte fréquence de détresse, ça devrait décoiffer !

    Le leader annonce : « Emergency fuel », et dit que nous sommes perdus et que nous désirons une prise en compte rapide vers Séville ou Moron. Mais hélas, les liaisons sont toujours aussi mauvaises. J’ai l’im­pression d’entendre le poste de radio de ma grand-mère, celui avec l’œil vert, sur ondes courtes, avec la fréquence qui fluctue et qui chevauche les voisines. Nous recevons Moron par intermittence, faible, puis fort, puis disparaissant sur fond de Séville contrôle qui interfère et s’affole. Chacun à notre tour, nous essayons de passer un message, ponctué de May-Day, qui en espagnol, qui en français. J’essaie même en italien ! Le leader tente, en vain, de faire taire Séville. Plusieurs voix s’entremêlent. Nous discer­nons difficilement l’identité de ceux qui nous par­lent. On continue de nous passer les renseignements météo et des fréquences de contact. Dans ce brouhaha et cette ambiance de stress étouffé mais croissant, je me conforte dans la certi­tude que cette affaire va mal se terminer. Les statis­tiques d’éjection sur Mystère IV me reviennent en mémoire : sur trente-trois, onze seulement avaient réussi. N’écoutant que mon égoïsme et mon instinct de conservation, je me dis qu’avec un peu de chance, je serai bien parmi les deux heureux élus !

    Mais même si ça marche bien, où vais-je tomber ? Et si je me casse à l’arrivée, alors que personne ne sait où nous sommes ?

    Mille choses se bousculent dans ma tête. Les sou­venirs défilent. Les sentiments d’impuissance et d’in­justice se renforcent. Ce n’est pas vrai ! Ce n’est tout de même pas à moi que ça va arriver ! Nous continuons à annoncer notre détresse et à demander assistance. En bas, c’est toujours la même pagaille. Et dire que j’avais toujours cru que Guard était le saint Bernard des gens en perdition ! Le silence devait y être de rigueur et l’on devait y trouver en permanence et immédiatement l’ange sauveur prêt à vous aider ! Les consignes étaient claires et connues de tous : à n’utiliser qu’en cas d’absolue nécessité !

     À un moment, un message enfin en clair parvient à passer. Ce n’est plus l’anglais approximatif des pro­cédures internationales mais une voix américaine qui annonce :

    – Riquet Noir, contact. Take heading 1.9.0 (prenez le cap 190).

     Le leader accuse réception et demande confirma­tion du contact. Le renseignement n’est plus confirmé, et nous n’entendrons plus cette voix. L’idée m’effleure qu’en bas, on commence à craindre de recevoir quelque chose sur la tête et qu’on cherche à nous envoyer au-dessus de la mer. Nous prenons le cap vers le sud. Il reste 350 kg. Plusieurs organismes sont en réel contact avec nous et parlent simultanément sur la fréquence malgré l’ordre que leur donne le leader de se taire (on saura plus tard qu’il y avait Moron, Séville contrôle, approche et tour, chacun ne sachant pas bien sûr au sol que l’autre émettait en même temps). Mais les conversations sont inexploitables à cause du niveau et du débit.

    Le leader reprend le cap ouest pensant trouver la côte à l’ouest de Séville. Quatre minutes plus tard, il aperçoit une rivière importante au cap 210 qu’il pense être le Guadalquivir. Il signale sa position approxi­mative au-dessus du fleuve que nous suivons un moment au cap 210 (logiquement, le Guadalquivir doit nous mener à Séville). Durant ce trajet, il demande cap et distance sur n’importe quel terrain et annonce : « Emergency Fuel, autonomie 5 minutes ». Il nous reste 150 kg.

    Depuis un moment, nous sommes descendus au niveau 100. La visibilité oblique est toujours médiocre mais on voit le sol à la verticale. La patrouille s’est un peu relâchée, les numéros 3 et 5 ayant repris leur carte et essayant d’apporter leur aide. Quant à nous, nous continuons à rester en patrouille serrée afin de ne pas gêner les manœuvres de nos leaders, un œil rivé – on nous le pardonnera – sur le jaugeur.

    Voyant, après quelques minutes, que la rivière fait un crochet au sud et apercevant la mer, le n° 3 annonce qu’il est repéré et que nous sommes à che­val sur la Guadaiana, qui fait frontière entre l’Es­pagne et le Portugal (nous sommes alors à 150 km environ à l’ouest de Séville), et qu’il faut prendre le cap 90. Il part immédiatement à gauche et je le suis. Pendant quelques instants, je vois les autres avions amorcer leur virage derrière nous.

    Dernier check pétrole : il nous reste 50 kg, soit un peu moins de deux minutes de vol. Ma voix semble être mal passée à la radio ; tous ont compris qu’il me restait 150 kg, soit cinq minutes de vol. Stable au cap, une minute plus tard je vois l’avion de mon lea­der ralentir. Afin d’éviter de toucher à la manette des gaz, je commence à faire une barrique pour prendre du retrait, comme on nous l’avait appris en école.

    Le n° 3 annonce :

–      3, j’ai éteint. Noir 4, continuez à ce cap. Séville droit devant à sept minutes.

     Je le vois partir en virage à gauche en descendant, puis je le perds de vue. Le leader demande la confir­mation de l’extinction et ordonne l’éjection. Le n° 3 ne répond pas. Il a débranché son cordon radio. Je ne vois plus les autres. Je demande au leader s’il a visuel sur moi, il répond :

     –  Négatif.

      Je réalise alors que je suis tout seul dans le ciel espa­gnol. Me voilà bien. Je suis tétanisé. Mes yeux deviennent des lasers. Je scrute droit devant, mais la visibilité oblique est toujours mauvaise. Pas de repères, pas de villages, des collines partout ; c’est plutôt désert. Et si je ne trouve pas le terrain ?

      Mais je n’ai pas le temps de réfléchir plus long­temps. J’entends mon réacteur dévisser, le klaxon de panne retentit dans mes oreilles et tout s’allume dans la cabine. J’annonce mon extinction au leader, qui me rappelle les consignes d’abandon de bord et m’or­donne de m’éjecter. Pensant qu’il pouvait rester un petit quelque chose dans les réservoirs largables, je les branche à nouveau, et j’essaie le rallumage en vol ; sans résultat. Brusquement, c’est le grand silence, et l’euphorie me gagne. Fini le stress ; je me sens envahi par une sensation de bien-être indescriptible. L’avion vole, je m’y sens bien et, je n’ai plus envie de sauter. Je déconnecte cependant le cordon radio, car envie ou pas, il va bien falloir que je m’éjecte ! A droite, la mer ; la visibilité dans ce secteur est meilleure. J’aperçois alors une piste, parallèle à la côte. Je me mets en virage vers elle en vol plané en conservant 250 nœuds. En m’approchant, je réalise avec le reflet du soleil qu’il s’agit d’un canal. Pas de chance ! Très près, la plage semble sécurisante. Mais je n’y tente­rai pas un « acontucou » (Atterrissage configuration turbine coupée). Je me souviens des conseils des anciens et des consignes à Cazaux : la plage tue. Formellement interdit.

      Je suis à 7000 pieds. L’éjection est inéluctable. Je règle l’avion en palier, face à la mer. Je redresse la tête et je ramène les jambes en arrière. Coudes ren­trés, je lève les deux bras pour saisir le rideau au-des­sus de ma tête. Je tire d’un coup sec vers l’avant. Panique ; rien ne se passe ! (il faut une seconde pour que la verrière parte ; je n’ai pas réalisé qu’une seconde, parfois, c’est très long). Au moment où je baisse la tête pour regarder sous le rideau, une grosse explosion, un appel d’air, la cabine est envahie par une fumée bleutée, et un gigantesque coup de pied dans les fesses me catapulte vers le haut, me faisant peser 20 fois mon poids sur le siège. Mon avion devient de plus en plus petit, comme au cinéma. Vite ! Me séparer du siège pour autoriser l’ouverture du parachute. Bien que la séquence soit automatique, il vaut mieux aider les événements ! Ça tourne dans tous les sens, puis c’est la chute. Tout va très vite. Une grande force me tire dans les épaules ; le parachute doit être ouvert. Je vois passer mon siège, mais je n’y vois que d’un œil. Je suis borgne ! J’essaie de lever la tête pour observer la cou­pole. Je ne peux pas. Et pour cause ; les suspentes sont torsadées et je me mets à pivoter très vite sur moi-même. Enfin stabilisé, je m’aperçois que mon casque avait tourné et m’occulte la visibilité d’un côté. Je le remets en place et je vois à nouveau nor­malement ; je dégrafe mon masque qui commence à m’étouffer. Un regard vers la coupole. Elle est magni­fique. Je suis vivant ! L’hystérie me gagne alors et je me mets à hurler et à chanter. Puis l’euphorie cède à la place à une profonde déprime.

      Et les autres. Ont-ils pu rejoindre un terrain ? Et s’ils ont sauté, ont-ils eu de la chance ? Et si je me casse en bas, qui va me retrouver ?

      Je fais un rapide tour d’horizon. Aucune habita­tion, si ce n’est une petite maison blanche, assez éloi­gnée. Je note qu’il faudra que je marche vers l’est pour l’atteindre. En proie à ces réflexions peu opti­mistes, je réalise que le vent me pousse vers la côte. La déprime cède la place à la panique. Je ne veux pas tomber en mer ! Personne ne sait où nous sommes et je ne tiens pas à finir ma vie sur un canot de sauve­tage ! Je me mets à tractionner comme un fou sur les élévateurs afin d’annuler mon déplacement. Je tire tellement fort que je parviens à attraper les suspentes et à atteindre le bord d’attaque de la voile du para­chute, que je garde fermement à hauteur de mon visage Un parachutiste d’essais dira plus tard qu’il n’est pas possible pour un homme normalement constitué de tractionner jusqu’à la voile, et quand bien même cela arriverait, le parachute se mettrait en torche. Je me félicite de constater que les parachu­tistes n’ont jamais eu peur.

   Le sol se rapproche très vite, et lorsque j’ai acquis la certitude que même un mistral à décorner tous les taureaux de Camargue ne me ferait plus dériver vers la mer, je relâche. Des collines, ma petite maison blanche au loin, et au-dessous, très près, un champ, avec quelques arbres et des vaches noires. Mon regard est alors attiré par un poteau de ligne à haute tension, puis un deuxième. Je ne vois pas les câbles. Je lève les bras pour tractionner afin de m’en écarter, mais ceux-ci tétanisés, par l’effort précédent ne par­viennent pas à dépasser l’horizontale

     Ma trajectoire converge vers un arbre et une vache. Je suis incapable de prendre la bonne traction pour l’atterrissage. Le sol arrive très vite ; je tombe sur les fesses à deux pas d’un bovin ébahi ; le choc, bien qu’amorti par le paquetage de survie que j’avais oublié de dégrafer en passant 1500 pieds, est violent pour mon fondement. Je me relève. Rien de cassé ! Je suis vivant ! C’est à nouveau l’hystérie. Je chante, je crie, je salue les rumi­nants en ponctuant mes marques de respect d’un tonitruant Ole ! Revenu très vite à la réalité, je pose mon casque et je commence à étaler la voile du para­chute afin qu’on puisse me repérer ; si tant est qu’il y ait des recherches.

      Il est 15 h 40. Le vol a duré 1 heure et 50 minutes portant à 69 heures mon expérience sur Mystère IV et à 300 heures celle de pilote. Sur mon carnet de vol, à la date du 27 mai 1966, dans la colonne « atterris­sage » n’apparaît pas le chiffre 1. Il est tout simple­ment écrit : « Ole ». Au cours des 35 dernières minutes, l’avion a consommé la précieuse réserve qu’il aurait dû avoir au parking. Et moi j’ai fait de l’huile !

     Mais ce n’est pas fini !

Au bout du parachute

       Pendant que je suis affairé à étaler la voile, j’en­tends souffler à côté de moi. Relevant la tête, je vois le bovidé, revenu de sa surprise, gratter le sol. Il ne me faut pas une heure pour réaliser, à l’analyse de sa morphologie, qu’il ne s’agit pas d’une vache mais d’un taureau. Les autres compères commencent à s’approcher et à charger. Je prends les jambes à mon cou et, est-ce l’effet produit par mon gilet de sauve­tage orange « fluo », ça suit derrière, et vite ! Pas loin de là, je trouve un fossé assez profond sans eau. Peu m’importe, je plonge, et Dieu merci, mes aficionados restent alignés sur la berge et m’observent, avec, il ne faut pas craindre de le dire, des yeux vides de sym­pathie.

     Je ne me suis pas chronométré, mais je suis sûr que j’ai battu mon propre record sur 100 mètres départ arrêté, enregistré au concours d’entrée à l’Ecole de l’air. Mais inutile d’en parler aux parachutistes d’es­sais ; ils auraient évidemment un doute.

     Je décide de laisser sur place casque, paquetage et parachute, et de partir à la recherche de la maison que j’avais repérée. Je marche un bon moment et de colline en colline ; je gamberge dur. Est-ce que je ne rêve pas ?… Et les autres ?… L’impact de cette mésa­venture Et le compte rendu de perte en sept exemplaires : « J’ai l’honneur de vous rendre compte de la perte de mon Mystère IV, de mon chronomètre et de mon couteau de survie ! ». Cela ressemble à un gag. Enfin, on verra bien.

    Bientôt, j’aperçois au loin une maison blanche. Enfin de la vie ? Déception, ce n’est qu’une grange, avec de la paille pas très fraîche. Il doit y avoir quelques lunes qu’elle n’a pas été habitée. Je continue mon parcours évasion lorsque, d’un point haut, j’aperçois au loin une autre maison. C’est une hacienda, avec des fleurs et des barreaux aux fenêtres. Mais les volets sont fermés et il n’y a pas âme qui vive. Un chemin ; je décide de le suivre ; il doit bien mener quelque part, vers la civilisation ?

     Mon espoir est de courte durée. Après une marche plutôt longue, je ne peux plus avancer. Le chemin s’enfonce dans un radier plein d’eau. Preuve qu’il ne doit pas être utilisé si souvent. C’est alors que j’entends des voix. De l’autre côté, deux hommes à cheval rassemblent des troupeaux de taureaux. On imaginera aisément leur surprise lorsque je les appelle, puis leur stupéfaction à la vue du martien, tout de vert vêtu, avec son pantalon anti-g et sa Mae West « fluo » ! Ne parlant pas un mot d’es­pagnol, je m’époumone en utilisant toutes les langues que je connais, pour me rapprocher de celle de Cer­vantes :

     – lo, piloto frances – Avion boum-boum. Mi andare a Sevilla! Por favor!

     C’est la panique dans les rangs. Mes cavaliers éperonnent leurs montures et disparaissent. Puis, le plus jeune revient, traverse le radier me prend en croupe et me fait chevaucher derrière lui. Il me parle, je ne com­prends rien, et je réponds : « Si Si Gracias ! ». Je me cramponne à lui ; la bête est avantageuse et chaque mouvement de roulis me fait craindre le pire. Nous « roulons » ainsi jusqu’à une route. Mon hôte me dépose et me dit en me montrant l’ouest, puis l’est :

        – Por aqui Huelva, 30 kilometros, y por aquiSevilla 70 kilométros.

     A l’entrée du chemin, une pancarte indique le nom de la propriété : « Al Dolmen », qui, m’apprendra-t­on plus tard, est très réputée pour ses élevages de taureaux. Une voiture arrive. C’est une 4L. À ma vue, le chauffeur ne me donne pas l’impression de vouloir s’arrêter. Je lui barre la route. Toujours dans mon meilleur espéranto, j’essaie de lui faire comprendre qui je suis, ce qui m’est arrivé et que j’ai hâte d’aller à Séville, pour donner de mes nouvelles et avoir celle des autres. Comme il ne semble pas comprendre, il répond « Si, Si », et nous roulons, à 30 km/h. Et chaque fois que je lui dis :

      – Pronto, pronto, io soy muy pressado,

il répond (décidément ce n’est pas mon jour…) :

      – Si, en rodaje.

     J’élargis ainsi l’éventail de mon savoir en devinant que la voiture était en rodage.

     En traversant une agglomération, je demande à mon Fangio de m’arrêter pour téléphoner à l’aéro­port de Séville. Il me facilite la tâche en m’introduisant chez l’habitant. Mais impossible d’avoir la com­munication. Je suis pressé. J’abandonne. Deux heures plus tard, j’arrive enfin. Il doit être aux alentours de 19 h 30. L’équipage du MD312 est là avec l’échelon technique. La surprise, une demi-joie et toutes les interrogations du monde se lisent sur leurs visages.

    Pierrot me tombe dans les bras en sanglotant et me dit qu’il a fumé un paquet de cigarettes depuis son arrivée. Après l’heure prévue de notre atterrissage, le commandant de bord, inquiet, avait cherché à savoir ce que nous étions devenus. Il avait su par Séville que nous avions eu des problèmes, avait appelé Madrid et Cazaux pour savoir si nous nous étions déroutés ou si nous avions fait demi-tour. Puis les autorités sur place lui avaient appris que nous avions annoncé notre détresse et certainement épuisé notre autono­mie. Nous devions être quelque part, mais où ?

    Par la suite, mon leader (le n° 3) avait donné de ses nouvelles depuis Huelva. II était sain et sauf. Il a raconté que nous nous sommes retrouvés à bout de carburant. Il a éteint en premier. Il a repéré la ville, s’en est rapproché en se laissant planer et, à basse alti­tude, lorsqu’il a acquis la certitude que son avion ne présentait plus de risques pour les populations, il a sauté et a atterri dans un champ de cacahuètes. Il ne savait pas ce qui était arrivé aux autres. II a été recueilli par les habitants et amené chez le consul général où on lui a servi une bonne omelette et un cigare. Depuis, nos camarades, à l’aéroport, étaient sans nouvelles du reste de la patrouille. Aussi, me saute-t-on dessus, avec, on l’imagine, un flot de questions, mais sans me rassurer.

(Suite au prochain numéro)

La retraire des F 100

F100

        Cet article date du début  de l’année 1976 ; les escadrons 3/11 puis 1/11 sont déjà transformés sur Jaguar et le 2/11 le sera à son tour début Novembre 1976. 

         Sur ce site, plusieurs articles ont déjà été consacrés à cet avion et notamment celui de Tonio ( le F 100 sous les cocardes françaises) mais celui a l’avantage de tirer un bilan presque exhaustif sur la carrière du F 100.

F100 au parking
F100 au parking
F100 au dessus de la campagne enneigée
F100 au dessus de la campagne enneigée

 

LA RETRAITE DES F 100

       Fin octobre. Pour arriver à la Base 136 de Toul-Rosières, nous survolons les forêts et la campagne lorraines. Elles ont déjà pris leurs tons jaunes et bruns. Sur le parking, un vent froid promène quelques lambeaux de brume. Cette atmosphère d’automne convient parfaitement à la visite que nous allons faire : nous venons jeter un dernier regard sur le Supersabre F 100.

     Justement sa silhouette apparaît au bout du parking, à droite. Elle est un peu lourde, légèrement démodée. Son nez est largement ouvert par une prise d’air axiale de forme ovale. Sa voilure basse est plantée sur un corps cylindrique et massif. Cet énorme tube d’acier est percé de un ou deux habitacles selon qu’il s’agit du F. 100 monoplace ou du F. 100 F biplace.

      Nous sommes à côté de la “marguerite” de l’Escadron 2/11 “Vosges”. Mais si nous faisions 2 ou 3 kilomètres sur la gauche, nous arriverions à une autre “marguerite”, et cette fois, dans les alvéoles, nous verrions une silhouette trapue montée sur de grandes pattes de sauterelle ; les prises d’air latérales de forme rectangulaires nous éviteraient toute hésitation : il s’agit de Jaguar. Nous sommes au parking de l’Escadron 3/11,   “Corse”.

    Enfin, si nous traversions la piste, nous trouverions une troisième marguerite… vide. C’est le parking du 1/11, “Roussillon”. Faute d’avions, nous y rencontrerions peut-être quelqu’un qui nous raconterait  qu’il y a quelques jours, le 17 octobre 1975, une cérémonie a eu lieu : neuf F. 100 ont défilé dans le ciel de Toul, puis ont simulé une attaque de la base. Enfin, les avions se sont posés : ils n’appartenaient plus au 1/11, mais étaient transférés au 2/11.

    Cette visite rapide illustre parfaitement la situation actuelle de la 11ème Escadre de chasse. Une lente hémorragie, depuis quelques mois, lui fait perdre ses vieux F. 100, cependant que des livraisons mensuelles l’équipent de Jaguar. Mutation terminée pour le 3/11, en cours pour le 1/11, prochaine pour le 2/11, dernier escadron à faire voler les F. 100. Dernier ? Non, car notre petit tour de la base ne nous a pas permis de voir un quatrième parking, celui du 4ème Escadron, “Jura”. Pour une raison bien simple: ce parking, c’est Djibouti.

“A NOUS LES F 100”

       Si nous feuilletons le journal de bord du 2/11, nous sommes arrêtés par un titre énorme qui barre la page du 1er janvier 1958: “A nous les F. 100”. Mais ce n’est qu’un bruit : il paraît que la 11ème Escadre de chasse va changer ses vieux F. 84 pour des F. 100… Pendant quelques mois, nous pouvons suivre les espoirs des pilotes. Des officiers font de mystérieux voyages aux U.S.A. Mars: “ce n’est ni un rêve, ni une plaisanterie. Nous allons avoir des F 100 Et puis, vers la mi-avril, c’est la grande nouvelle: le 1er Mai, la base est consignée. Mais cela n’ennuie personne; au contraire, c’est la fête. Ce jour là, tous les pilotes guettent le ciel. Trois avions y apparaissent : ce sont des F 100.

        A la grande déception de tout le monde, Ils vont immédiatement se ranger dans un hangar. Ce n’est qu’un peu plus tard que l’entraînement commence pour quelques privilégiés; ils ont confié aux pages du journal la joie parfois presque enfantine que leur procurent ces nouveaux appareils, qui sont, il est vrai, parmi les meilleurs de l’époque : “Apercevant des traînées alors qu’ils se baladent à basse altitude, nos archanges, délirants de joie, mettent la post-combustion et interceptent tout ce qui traîne”

      Du point de vue administratif, ce chasseur bombardier américain, fabriqué par la North American, est prêté à la France au titre de l’OTAN, il date de 1953. Les avions livrés sont des appareils d’occasion, mais ayant peu volé (en tout cas, moins de mille heures) et ayant été totalement revus dans les usines espagnoles de la North American. En quelques mois, “Roussillon” et “Vosges”, les deux escadrons qui constituent la 11 EC., stationnée à Luxeuil, en sont équipés. Une autre escadre française la 3 EC., alors stationnée en Allemagne, à Lahr, en est également équipée. Lorsqu’en 1966, cette 3 EC. se transforme sur Mirage, elle lègue ses appareils à la 11 EC, qui crée alors un troisième escadron, le 3/11 “Corse”, et regroupe ainsi tous les F. 100 utilisés par l’armée française. Parmi ceux-ci, il faut distinguer deux types d’appareils : ceux qui sont prêtés par les U.S.A. au titre de l’OTAN, et ceux que l’armée française a achetés, et que l’on surnomme “les nationaux”. Ces derniers ont à peu près tous été regroupés dans le 3/11 lors de sa création en 1966.

“STRIKE !”

       En juin 1961, l’escadre quitte Luxeuil. Elle va s’installer en Allemagne, à Bremgarten. Là, ses qualités de bombardiers vont bientôt valoir au F. 100 le privilège d’être le premier appareil de l’armée de l’air à avoir une mission nucléaire. Pour le compte de l’OTAN, naturellement. La bombe atomique française et le Mirage IV sont encore du domaine du futur. C’est en novembre 62 que le journal de bord frémit à nouveau : “nous allons devenir Strike”. En janvier, une caricature nous renseigne sur la principale difficulté de la première phase de cette mission . des pilotes se regardent avec des faces ahuries, pris dans un tourbillon de mots anglais : what ? Please ? En effet cette première phase consiste en cours d’instruction faits par les Américains. Et puis le journal devient silencieux. Plus un mot sur la mission nucléaire. Sans doute de strictes consignes de discrétion avaient-elles été données. Il faut consulter le “journal de marche et opérations” de l’escadre, officiel celui-là, et bavarder avec les sous-officiers qui ont vécu cette période, pour connaître la vie des “années nucléaires” du F. 100.

     En quoi consistait cette mission ? En permanence deux avions (tous, à tour de rôle) étaient stationnés dans un périmètre prévu à cet effet et spécialement protégé par les troupes américaines. Seuls les deux pilotes désignés et quelques mécaniciens y accédaient. Les appareils étaient en état d’alerte, prêts à décoller. Sous le ventre du F 100 F ou sous l’aile gauche du F 100 D était fixé l’engin nucléaire MK 28 YRE. Mais les avions n’ont jamais volé ainsi chargés. En dehors du périmètre, on s’entraîne, les pilotes d’abord, qui se perfectionnent dans le vol à basse altitude et suivent une instruction spéciale sur les connaissances aériennes générales et sur le matériel et les missions nucléaires ; les armuriers ensuite, qui, avec des bombes simulées s’entraînent à effectuer un chargement rapide et techniquement parfait de l’engin. Enfin la base était en alerte QRA (décollage à partir de la zone d’alerte).

      Deux ans plus tard, la France quitte l’OTAN. Pour le F 100, cela veut dire la fin de la mission nucléaire. Cela se produit en avril 1966, et le 1er juillet au matin, les Américains évacuent la base.

Presqu'aux trainées
Presqu'aux trainées
Au sol
Au sol

RETOUR A TOUL

      Sa mission nucléaire terminée, le F. 100 reste encore un an à Bremgarten, à titre français cette fois. La rupture de la France avec l’OTAN ramène les unités aériennes de l’Armée de l’air en France et libère sur notre territoire un certain nombre de bases et de camps américains. Entre autres, la Base de Toul. C’est elle qui est désignée pour accueillir la 11 EC. En juillet, août et septembre 1967, le déménagement est effectué par route, et par les seules forces de l’escadre. Enfin, le 13 septembre le commandant Ghesquière, commandant de l’escadre (maintenant colonel et commandant de la base) atterrit aux commandes du premier F. 100. Les autres arrivent bientôt, et, après quelques problèmes d’aménagement et d’installation, l’escadre s’installe dans une vie nouvelle, qui est toujours la sienne.

     Quelles sont ses missions au sein de la F.A.TAC (Force aérienne tactique) ? Nous avons déjà dit que c’était un bombardier : sa mission en France sera donc avant tout l’attaque au sol et l’assaut. C’est ainsi qu’en cette fin d’octobre, à l’occasion des manoeuvres Datex 75, nous avons pu voir décoller une formation de 12 appareils partant à l’assaut de la Base de Cambrai. Il assure aussi l’appui aux opérations de l’armée de terre. Mais c’est également un chasseur, et il participe à la défense aérienne. D’autre part, il n’a jamais oublié totalement ses antécédents allemands : il participe aux manœuvres alliées dans le cadre des accords sur Berlin et sur la protection du couloir aérien au-dessus de la RDA.  A ce titre, il refait chaque année un petit voyage au-dessus de l’Allemagne. Disons plutôt : il refaisait, car en septembre dernier, il a fait ses adieux au ciel allemand, lors de manœuvres qui l’on conduit à Gütersloh, Fassberg et Wildenrath. L’an prochain, ce seront des Jaguar… Enfin, depuis quelque temps, il remplit un autre type de mission ; mais nous reparlerons de son aventure… africaine. Contentons-nous ici de mentionner encore 2 tâches qui furent un peu ses spécialités à Toul. D’abord, il s’est spécialisé dans le bombardement au napalm ; c’est pour cet exercice qu’il a participé (brillamment paraît-il) à la grande parade de MourmeIon, en mai dernier, en présence du Président de la République. Ensuite, appareil robuste et fiable, il a longtemps servi d’avion, non pas d’entraînement, mais de “mûrissement” : de jeunes pilotes venaient  voler une centaine d’heures sur F. 100 avant d’être envoyés sur Mirage. C’est pour ce travail de mûrissement que, pendant plusieurs années, le F. 100 avait pris l’habitude de s’offrir une campagne hivernale en Provence, à Istres, le climat lorrain étant peu favorable pour de jeunes pilotes.

       Le F 100 menait donc une vie riche et variée. Mais, tout comme le 1er mai 1958, il était venu éclipser le F 84, le 7 février 1975, un nouvel appareil apparaît dans le ciel de Toul, piloté par le commandant Eyraud, alors commandant de la 11ème escadre. C’est un Jaguar, que trois F 100 escortent sans rancune, sinon sans tristesse. Depuis cette date, chaque F 100 continue à voler jusqu’à ce qu’il ait atteint 4000 heures : il est alors conduit jusqu’à un hangar où il attend que son propriétaire américain vienne le rechercher. A moins que ce ne soit un “national”, auquel cas il part pour le grand garage de Châteaudun, où les vieux  avions sont mis “en conserve”. Enfin, nous reparlerons des dix-huit privilégiés qui, eux, connaissent déjà ou connaîtront bientôt une retraite active à Djibouti. C’est vers juin 1976 que les derniers F. 100 devraient atteindre le seuil fatidique des 4 000 heures.

UN ÉQUIPEMENT VIEILLI

        L’heure du bilan a donc sonné. Sans prétendre le dresser, nous pouvons toutefois apercevoir ses principales faiblesses et ses qualités majeures. Evidemment, un avion qui a plus de 20 ans ne peut qu’être dépassé sur un certain nombre de points. Disons que ce qui a le plus vieilli dans le cas du F100, c’est son équipement. Le système de navigation d’abord, est assez démodé sans parler de tous les raffinements de pilotage des appareils modernes, il faut relever un défaut majeur l’absence de radar, qui limite les possibilités de vol de nuit et de vol sans visibilité. La conduite de tir ensuite a vieilli. Le F 100 est équipé du viseur GBRAU, célèbre pour avoir été le meilleur des viseurs gyroscopiques. Mais depuis, de nouvelles techniques, en particulier celle du viseur au laser, ont relégué à l’arrière-plan le viseur gyroscopique. Si le F 100 reste excellent dans le tir air-air, il est nettement dépassé dans le tir air-sol.

UN AVION DE GUERRE

L’avion lui-même a moins vieilli que son équipement. De l’avis général, c’est un appareil excellent. Au nombre des preuves, on peut déjà mettre l’ampleur de sa carrière. Comme le fait remarquer un pilote “un avion qui est en service pendant plus de 20 ans, c’est un avion réussi”. De fait, le F, 100 a connu une carrière remarquable en durée d’abord, puisque, sorti en 1953, il est encore en service non seulement dans l’Armée de l’air française, mais aussi en Turquie, au Danemark et… aux U.S.A., dans l’Air Gard il est vrai (armée de réserve). Carrière remarquable aussi en quantité fabriqué à 3000 exemplaires, il a équipé la plupart des armées occidentales. Quant à la 11 EC, elle a inscrit de belles victoires au palmarès du F 100 : dans le concours Air-cent, au cours duquel il affronte régulièrement les autres appareils européens, il s’est toujours bien classé, monopolisant les 3 premières places au “tir-canon” en 1969, remportant l’épreuve “armes tactiques” en 1970… et c’est en 1972 pratiquement pour son vingtième anniversaire, qu’il a battu tous ses concurrents modernes dans la coupe Comète. Enfin, puisque, pour du matériel militaire, se battre est un titre de gloire, rappelons que le F 100 a été très utilisé au Vietnam, en particulier dans les missions d’appui au sud. Il est également intervenu à Chypre, sous les couleurs turques.

Un avion ne fait pas une telle carrière sans avoir de solides qualités. Quelles sont donc celles du F 100 ?

      Sa puissance d’abord. Son réacteur est bien connu de ceux qui s’intéressent à l’aéronautique : le J 57. Pour donner une idée de sa puissance, nous dirons aux spécialistes qu’il s’agit d’un réacteur double corps à 16 étages, et que sa poussée est de 7 250 kg , et aux non-spécialistes, nous rappellerons que le F. 100 a été le premier avion à passer le mach en vol horizontal (les autres à l’époque, ne le passaient qu’en piqué). Du point de vue de la vitesse, il reste un avion puissant et rapide (mach 1,4). Mais il y joint une qualité qui reste très originale sa post-combustion. Nous avons déjà vu les pilotes jouer avec émerveillement de celle-ci dans les premiers mois de 1958 et bien ils peuvent toujours le faire ! En effet, alors que sur la plupart des avions, la mise en post-combustion donne en moyenne 30 % de puissance supplémentaire, sur le F. 100, elle donne… 60 % ! Cela est très économique en vol “sec” il consomme peu, et il dispose d’une brutale et imposante réserve de puissance. Quant au fuselage et à l voilure, un seul mot peut les qualifier : robustesse. Un mécanicien nous fait par exemple admirer les ailes : regardons les becs de bord d’attaque : pas de vérins électriques ou d’équipements sophistiqués, ils sont tout simplement auto commandés. C’est la force mécanique de l’air qui les actionne et les règle selon la vitesse et l’angle de l’appareil.

      Mais si solide soit-il, tout appareil s’use. En 1973, la firme américaine a proposé un programme de renforcement de la cellule e la voilure. Les F 100 firent alors une petite visite aux ateliers de la SNIAS à Châteauroux, et en revinrent avec une capacité de vol de 1000 h supplémentaires. Leur longévité théorique passait ainsi de 4 000 h à 5 000 h. Une autre qualité du F 100, c’est sa capacité d’emport. Comme dit un pilote : “c’est très simple, on peut tout emmener”. De fait, on peut accrocher à peu près n’importe quoi, bombes, roquettes, missiles, etc., aux six points de fixation qu’il possède sous ses ailes (plus une fixation ventrale sur le F 100 F). Son poids à vide est de 10 T, il peut décoller en en pesant 18 ! Enfin ceux qui connaissent le F 100 attendent qu’on parle de son atout majeur qui est le avitaillement en vol. Nous y reviendrons. Nous allons plutôt conclure cette liste de qualités en rapportant un argument à la limite de la technique et de la psychologie. C’est un pilote qui parle :  “c’est un avion américain, c’est-à-dire efficace. Il n’est pas raffiné, il est simple, presque grossier, mais solide et fiable. On peut se battre avec  c’est un véritable avion de guerre. Regardez le même son aspect fait guerrier”.

SOYONS JUSTES

        Donnons-nous quand même un petit air impartial en signalant encore quelques défauts du F100, en dehors de son équipement démodé que nous avons vu tout à l’heure. Et tout d’abord, son inconvénient majeur le démarrage à air comprimé. La nécessité d’avoir sur la piste un compresseur est évidemment une servitude considérable, par rapport au démarrage autonome. Le F 100 a d’ailleurs un véhicule particulier qui le suit partout et que les mécanos appellent “sa bonne à tout faire” : le MA 2. Ce petit camion lui fournit en effet l’électricité, l’air comprimé, et le fait démarrer grâce à son fournisseur d’air sous pression (la palouste). Pour finir, ou plutôt pour commencer, il le tracte. Seul défaut, cette “bonne” est un peu grassouillette 3,5 tonnes et 20 m3.  

     Enfin le F 100 est un appareil un peu lourd, pas toujours très maniable ni très souple. En particulier, il lui faut un long roulement au décollage comme à l’atterrissage, il a besoin d’un minimum de 1000 mètres, plus souvent le double (à titre de comparaison, le Jaguar peut décoller sur 500 mètres).

MAINTENANCE : what is it ?

        Allons faire un tour au GERMAS où est effectué la maintenance au second degré. Le premier degré est fait par l’escadre, le troisième et quatrième par la SNIAS (cellule) et par la SNECMA (réacteur). Tout à l’heure, nous avons vu les pilotes suivre des cours en anglais. Eh bien, les mécaniciens eurent le même problème à surmonter. En livrant leurs appareils en 1958, les Américains ont naturellement fourni tout le matériel de maintenance, outils, bancs d’essai, etc. Et avec ce matériel, une belle documentation. Il ne restait plus qu’à la lire… Dieu merci, la débrouillardise des mécanos est célèbre ils ont d’abord assimilé les termes techniques les plus courants, se constituant une sorte d’argot “franglais” Ils ont travaillé à partir des schémas, bref, ils ont mis en œuvre tous les miracles de l’astuce. De plus, au début des années 60, on a établi une documentation francisée. Celle-ci ne résolut toutefois pas tous les problèmes la traduction d’une documentation aussi spécialisée n’est pas chose facile, surtout qu’il aurait fallu, au fil des modifications proposées par la firme, tenir cette documentation francisée à jour. Concluons sur ce problème en tirant notre chapeau aux mécaniciens qui, en dépit de cette difficulté ont su maintenir l’appareil qui leur était confié.

       Et les pièces ? Elles aussi sont américaines, bien sûr. Mais le problème est moindre en effet la SNIAS et la SNECMA fabriquent la plupart des pièces en sous-traitance. L’approvisionnement est facile. Le vrai problème commence lorsqu’on tombe sur une pièce qu’on ne peut fabriquer ni sur place ni dans les usines françaises. Il faut alors déclencher tout un processus administratif et commercial la pièce peut arriver… deux ans après ! Dieu merci cela se produit très rarement. A part cela, la maintenance n’a jamais posé de gros problèmes  Toutes les deux cents heures de vol c’est la visite complète qui comprend la dépose du réacteur, elle dure 15 jours. Toutes les cent heures c’est la visite intermédiaire qui demande de 7 à 9 jours. En dépit de ces soins attentifs, le F 100 vieillit. Il vieillit bien aux dires de ses médecins, mais il vieillit. Au fil des VP le nombre des pièces usées augmente, les réparations ne lui rendent pas toujours une jeunesse intégrale, les réacteurs compressent un peu moins…

      Désormais les mécanos préparent leur reconversion ; ils vont étudier leur nouveau client à l’EMI Jaguar de la base ou à Saint Dizier, où ils sont déjà en service. Mais c’est avec une mélancolie certaine  vont abandonner leurs vieux F 100 , bien que ce soit un point de vue surtout sentimental, écoutons-les : “voyez-vous, nous allons changer de type de maintenance. Le Jaguar est un avion moderne , pour nous, le maintenir, ce sera souvent démonter des blocs entiers, les envoyer au constructeur et en mettre des neufs. Bien sûr, on ne peut pas arrêter le progrès, cette nouvelle maintenance, plus rapide est plus opérationnelle. Elle augmente la disponibilité. C’est normal. Mais professionnellement, un avion simple

Défilé
Défilé
F100 et MA2
F100 et MA2

LA BASSINE VOLANTE

          C’est un des surnoms du F. 100 : “la bassine volante”. Pourquoi ? Parce qu’il a une capacité d’emport en carburant tout à fait remarquable : son réservoir principal emporte 4500 litres, auxquels on peut ajouter 2 bidons de 1000 litres chacun, plus deux autres bidons de 750 litres chacun. Avec une telle autonomie, on peut facilement faire des missions de deux heures. Mais le F 100 ne s’arrête pas là : il ravitaille en vol. Certains des appareils reçus en 1958 étaient équipés de cette “option”. Mais l’armée française ne pratiquant pas alors te ravitaillement en vol, on avait négligé la perche fixée sous l’aile droite de l’appareil ; elle finit par s’abîmer, et on la retira. Mais en 1967, les temps ont changé : la France, depuis 1964, a acquis des avions ravitailleurs C 135F, pour le ravitaillement des Mirage IV. On pensa alors à ressusciter cette possibilité inutilisée du F 100. La technique aussi a évolué : à la place des vieilles perches droites, on en adapte de nouvelles, coudées et plus pratiques. Quelques pilotes partent s’entraîner sur Vautour et bientôt la technique est au point : un C 135F prêté par les F.A.S. (Forces aériennes stratégiques) peut remplir deux bidons de 1 200 litres chacun, donnant ainsi à l’appareil une nouvelle autonomie. Voilà comment le F 100 est devenu le premier chasseur bombardier de l’armée de l’air française à pratiquer le ravitaillement en vol ! Les pilotes se plaisent même à démontrer que c’est le seul… “le Mirage IV est réservé aux missions nucléaires, le cas de l’Étendard de la Marine est un peu à part, et le ravitaillement du Jaguar n’est pas encore tout à fait opérationnel…” En tous cas, cette technique permet des vols de très longue durée. En dehors de quelques problèmes techniques comme le renouvellement de l’huile et de l’électricité, les seules limites sont humaines, il s’agit de la résistance physiologique du pilote. Mais si l’on fait des vols de longue durée, c’est pour aller loin… Et en effet, à partir de cette date, de nouveaux horizons (au sens propre) s’ouvrent aux F 100.

RVT F100
RVT F100
1972 Convoyage vers Djibouti
1972 Convoyage vers Djibouti

UN SECOND SOUFFLE EN AFRIQUE

         Après 10 ans de service, le F 100 allait s’engager dans une nouvelle aventure : il allait devenir “l’avion africain” de l’armée de l’air française. On lui confia une mission dans le cadre de la CAFI (composante Air des forces d’intervention), qui depuis est devenue le FAI (Forces aériennes d’intervention).

Nous avons vu qu’en 1967, la technique du ravitaillement du F 100 est acquise. Il reste à l’appliquer de façon opérationnelle. Le soir, dans la salle des opérations, un des promoteurs de cette nouvelle mission nous raconte ses souvenirs. En 1968, pour la première fois, un F 100 effectue le raid Toul-Dakar, avec des escales à Istres et à Las Palmas. Les essais continuent, et en décembre 1969, c’est le succès : un appareil parti d’Istres rallie Dakar sans escale, grâce à 2 ravitaillements en vol. Depuis, une ou deux fois par an, un raid conduit les F 100 dans un pays d’Afrique francophone : N’Djamena, Libreville, Lomé, Abidjan, Niamey… On pourrait énumérer la plupart des capitales de l’Afrique de l’ouest. Dans chaque atelier du GERMas, un certain matériel est conditionné et prêt à partir : outils, pièces diverses, une tuyère de rechange, un parachute frein, bref tout ce qui peut servir lors d’une mission lointaine. Plus bien sûr, le fidèle mais lourd MA 2 (parfois réduit à la palouste). En cas de mission, on demande au COTAM (commandement du transport aérien militaire) un Transall pour le matériel et les mécanos, et aux F.A.S. (Forces aériennes stratégiques) un C 135F pour le ravitaillement. Tout le monde s’efforce d’arriver sur les lieux d’opération le plus vite possible, comme s’il y avait alerte. Là-bas se déroutent quelques manœuvres, et puis l’on revient à Toul. Cela constitue les missions FAI, maintenant classiques. Mais bientôt une nouvelle étape est franchie : en décembre 1970, notre interlocuteur et deux autres pilotes décollent d’Istres, et rejoignent N’Djamena ; de là, ils gagnent Djibouti, puis… Tananarive ; ils reviennent enfin à Djibouti. Déjà ils ont accompli le plus long raid de l’histoire du F 100. Mais à Djibouti, ils continuent à voler pendant tout le mois de janvier 1971. Objectif : tester les possibilités de travail du F 100 sur le sol (et surtout dans le climat) de ce territoire. En deux mois et demi nos trois avions (et par la même occasion, les trois pilotes l) ont effectué 315 heures de vol ! Cette évaluation est positive : le F 100 pourra faire une nouvelle carrière à Djibouti. Jusque-là, cette base ne disposait que de quelques vieux Skyraider : elle reçoit bientôt huit F 100, ils sont maintenant douze et seront d’ici peu dix-huit. A cette occasion, on ressuscite un escadron qui avait été dissous en 1957 le 4/11 “Jura”. Il trouve ses pilotes au sein des 3 autres escadrons : à peu près tous y sont affectés à tour de rôle, pour des périodes de deux ans. Quant aux personnels de maintenance, au début détaché du GERMas de Toul, il tend à devenir autonome. Enfin, le dédoublement du matériel de servitude n’a pas posé de problèmes, étant donné la surabondance de l’équipement laissé par les Américains. Et les appareils ? Et bien ça va ! Évidemment il y a des problèmes. La chaleur de l’air fait toujours perdre un peu de puissance à des réacteurs, mais le J 57 n’en manque pas. Deux ennemis l’agresse en permanence : le sable et le sel ; mais chaque soir les mécanos lui font une toilette soigneuse : un produit spécial, qu’ils appellent le “B and B”, et qui est une sorte d’huile anticorrosive, est pulvérisé dans le réacteur alors qu’il tourne lentement. L’appareil lui-même n’a dû subir que quelques modifications de détail, telle la transformation du paquetage de survie fixé au siège éjectable (évidemment les conditions de survie ne sont pas les mêmes pour un pilote tombé dans le désert que pour un pilote perdu dans une forêt allemande). Enfin, étant seul dans la région, le F 100 est obligé d’accomplir des missions plus variées : par exemple, il a dû s’inspirer des avions de reconnaissance pour transformer en bidon-photo un de ses bidons de carburant. Voilà comment s’organise la retraite exotique et active des F 100 de l’Armée de l’air française.

II est 23 heures. Un dernier F 100 vient de se poser en vol de nuit. La piste de Toul Rosières est fermée. La salle des opérations va se mettre en veilleuse jusqu’à demain matin. Le lieutenant-colonel Richalet, qui pilote des F 100 depuis 1968 et commande maintenant la 11 EC, prononce quelques

Parking à Djibouti
Parking à Djibouti
Un des requins de la Mer Rouge
Un des requins de la Mer Rouge

Entretien avec Patrick BAUDRY

Baudry, pilote et cosmonaut

       Patrick BAUDRY, pilote de l’Armée de l’Air garde un souvenir très fort de son séjour à la 11ème Escadre de Chasse sur F 100, basée à Toul. Il en avait fait part dans le livre “Histoires de la 11ème Escadre de Chasse” qu’il avait eu l’amabilité de préfacer. 

       Aujourd’hui, je vous propose un entretien paru dans “Air Actualités” en 1989, entretien qui est principalement consacré à sa carrière de cosmonaute. 

         

      Le 1 er satellite artificiel est lancé par l’URSS en 1957, 10 ans tard, vous intégrez l’Ecole de l’Air. Depuis quand aspiriez-vous à devenir pilote dans l’Armée de l’air ?

       — Dès l’âge de 4 ans, j’aspirais à et à devenir un jour pilote. Je vis dans une ambiance aéronautique parce que mon père était ingénieur-météo travaillait dans les aéroports. Ma récompense était à l’époque, non pas d’aller au cinéma mais de m’emmener voir et toucher les avions. Vers 10 ans, j’ai commencé à prendre conscience des difficultés de réaliser mon rêve, le doute et les incertitudes ont commencé à s’installer dans mon esprit. Quand on désire formellement quelque chose, on croit ne pouvoir l’atteindre. C’est pourquoi quand je fus reçu au concours d’entrée à l’Ecole de l’air, ce fut pour moi une très grande joie.

       En 1971 le 1ère station soviétique Saliout est mise en orbite, tandis vous, affecté à la 11e Escadre chasse à Toul, vous entamez une carrière de pilote de combat F 100, puis sur Jaguar. Quels souvenirs vous viennent à l’esprit à l’évocation de cette période ?

     — 1971-1978 représente pour moi, la plus belle période de ma vie car je suis vraiment « éclaté » dans une ambiance fantastique. Cet esprit de famille qui règne dans les escadrons chasse je ne l’ai retrouvé que dans l’entraînement des cosmonautes. Beaucoup de souvenirs me viennent à l’esprit à l’évocation de cette période, mais les plus marquants restent pendant le premier vol en Mystère IV et le premier vol solo sur F 100. Quand on se retrouve face à une machine aussi puissante, aussi impressionnante, on se demande si on est vraiment à la hauteur, si on est capable de la dominer. Puis quelques minutes plus tard, quand vous retrouvez seul à 10 000 m d’altitude un Immense bonheur vous envahit et vous prenez alors conscience que rêves d’enfant sont en train de réaliser.

       En 1978 vous suivez les cours à l’Ecole des pilotes d’essais britannique et 2 ans plus tard vous êtes sélectionné avec Jean-Loup Chrétien pour devenir les premiers spationautes français. Était-ce la réalisation d’un rêve d’enfant et à quel moment avez-vous senti que ce rêve pouvait se réaliser un jour ?

     — Depuis toujours, la 3e dimension m’a attiré et j’ai saisi toutes les chances que me permettaient d’aller toujours plus loin. C’est pourquoi j’ai fait l’Ecole de pilotes d’essais et dans la poursuite du même raisonnement, je me suis porté volontaire pour devenir spationaute.

          Les vols spatiaux que j’espère encore réaliser ne seront pas un aboutissement puisque l’inachevé est ne pouvoir demeurer que dans la proche banlieue de la Terre. Durant un vol circumterrestre, on ressent quelque chose de plus fort que de voler en avion de chasse ; c’est en effet déjà fantastique que de s’échapper de l’attraction terrestre. Mais ceux qui verront la Terre disparaître pour ne devenir qu’un point dans l’immensité céleste, ceux-là vivront un moment extraordinaire, un bonheur irréel du domaine du rêve.

       En 1981, Young et Crispen effectuent leur premier premier vol à bord de la navette américaine Columbia. Vous êtes à la Cité des Etoiles à Moscou où vous suivez avec J.-L. Chrétien l’entraînement pour le premier vol spatial d’un Français. C’est, je pense, une période difficile à la fois intellectuellement et physiquement. N’avez-vous jamais éprouvé de grands moments de découragement alors que vous saviez que votre chance de vous envoler était très infime ?

     — Le fait d’appartenir à la famille des cosmonautes est déjà une aventure fantastique. Ce que l’on comprend le plus vite est que l’on fait partie d’une équipe et très vite on oublie les frustrations pour ne garder en tête que la victoire. Et pour nous, Jean-Loup Chrétien et moi, c’était la réussite du vol, de ramener les meilleurs résultats à la communauté scientifique et au CNES qui avait décroché cette première opportunité pour la France. C’est l’enthousiasme qui prédomine. Ceci dit, j’ai, aujourd’hui en 1989, 3 ans de moins que Jean-Loup Chrétien lorsqu’il a effectué son premier vol en 1982, et je suis conscient du privilège dont j’ai pu bénéficier…

       Lors de mon entraînement en URSS, j’ai rencontré des collègues soviétiques qui attendaient leur tour depuis 15 ans. L’un d’eux a d’ailleurs perdu son aptitude médicale et donc tout espoir de s’envoler un jour. Il a eu une réaction digne des plus grands. Dans ce monde on est en contact avec des gens qui ont véritablement « l’étoffe des héros ». La Cité des Etoiles est une école de noblesse.

       En 1983, vous partez aux Etats-Unis cette fois en tant que titulaire du 1 er vol d’un Français à bord d’une navette américaine. L’entraînement aux Etats-Unis est-il différent de celui de l’URSS ?

      — Aux Etats-Unis, l’entraînement est très différent, tant sur le plan humain que sur le plan des matériels utilisés. Sur le plan humain, les Slaves ont des tempéraments très différents des Anglo-Saxons. Leur convivialité, leur flexibilité dans l’organisation est parfois très proche de la nôtre… Le «système D» est manifestement passé à l’Est, mais il a quelques difficultés à franchir l’Atlantique. D’autre part, dans le Shuttle, l’équipage est de 7, dans le Soyouz il est de 3. La répartition des tâches s’effectue d’une autre manière, l’état d’esprit est donc différent.

     Sur le plan des matériels, les véhicules sont également différents. La technologie américaine représente une avance d’une dizaine d’années pour les vols habités. N’oublions pas que Columbia a effectué son premier vol spatial avec des hommes à son bord le 12 avril 1981 et que la navette soviétique ne sera capable de réaliser l’équivalent qu’en 1990 dans le meilleur des cas. La confiance que l’on doit apporter à un système pour l’autoriser à transporter des hommes reste d’un ordre de grandeur supérieur à celle qui est suffisante lorsque la vie humame n’est pas en jeu.

      En 1985 c’est la consécration et vous vous envolez à bord de Discovery. Quel est le premier souvenir qui vous vient immédiatement à l’esprit ?

      Sans aucun doute, le moment de l’allumage des moteurs, alors que l’on est couché à 80 m du sol. C’est un tel déferlement de puissance que l’orbiteur est secoué d’une manière formidable et la chevauchée fantastique se poursuit durant 120 secondes, la durée de fonctionnement des énormes boosters à poudre qui fournissent la poussée de 3 000 tonnes nécessaire pour le décollage. Particulièrement durant le transsonique de Mach 0,8 à Mach 1,4 où s’exerce la pression dynamique maximum — « Max Q » — quelques secondes sont particulièrement émouvantes. Lorsque l’on aime ce qui pousse, on est servi !

     Vous êtes aujourd’hui à l’Aerospatiale. Quels liens vous unissent toujours personnellement à l’Armée de l’air ?

      — L’Armée de l’air reste et demeure ma famille d’origine et j’éprouve joie et fierté d’y appartenir. Le fait de continuer à voler en unité opérationnelle à la 11ème Escadre de chasse, au delà des compétences techniques qu’il me permet de maintenir, c’est avant tout une ambiance que j’ai besoin de retrouver et qui est nécessaire à mon équilibre.

     Vous êtes particulièrement sensible à l’information des jeunes à l’Espace et vous avez créé dans ce but le « Space Camp European Quels conseils donnez-vous à ces jeunes qui sont tentés par cette aventure ?

     — Simplement qu’ils peuvent y consacrer toute leur passion, tous leurs efforts car le jeu en vaut largement la chandelle. Le métier de pilote est un métier qui permet un accomplissement total de soi-même, mais qui demande beaucoup de travail et de sacrifices.

     D’une manière générale, tout ce qui touche à l’espace, cette grande aventure n’est pas uniquement l’affaire des pilotes. Elle concerne des nombreuses équipes constituées d’hommes de professions très diverses, des contrôleurs aux techniciens, des médecins aux scientifiques. Il y a de la place pour beaucoup et tous y trouveront une satisfaction hors du commun,

                Air Actu no 420 avril 89

 

     Patrick BAUDRY

     Colonel du corps des officiers de l’air. Né le 6 mars 1946 à Douala (République unie du Cameroun). Marié, père d’une petite fille.

     Entré à l’Ecole de l’air en 1967 après une formation de mathématiques spéciales, il est breveté pilote de chasse en 1970. Pilote de combat à la 11e Escadre de chasse durant six années sur F 100 « Super Sabre » puis sur « Jaguar », il est chef de patrouille le 4 décembre 1974. Patrick Baudry suit en 1978 les cours de l’Empire Test Pilot’s School, école des pilotes d’essais britanniques à Boscombe Down, il en sort major.

    Pilote d’essais au Centre d’essais en vol de Brétigny-sur-Orge au moment de sa présélection comme futur spationaute français, il totalise près de 4 000 heures de vol.

    La région familiale de Patrick Baudry est le Bordelais. Il pratique les sports mécaniques (auto, moto), le marathon, le squash et le ski.

    Le colonel Baudry, ingénieur de l’Ecole de l’air, pilote d’essais, spationaute, est officier de la Légion d’honneur, chevalier de l’ordre national du Mérite et médaillé de l’Aéronautique. Il est également décoré de l’ordre de Gagarine et de l’Amitié des peuples.

     Détaché au Centre national d’études spatiales (CNES) le 1 er juillet 1980, il est à nouveau détaché au CNES pour une période de 5 années à partir du 1 er juillet 1984.

     Doublure du colonel Jean-Loup Chrétien, premier spationaute français (vol spatial du 24 juin au 2 juillet 1982), Patrick Baudry est le premier français à voler sur la navette américaine. « Discovery » qui a décollé le lundi 17 juin 1985 s’est reposée au bout d’une semaine et de 111 révolutions autour de la Terre. Pour Patrick Baudry ce vol est la consécration d’un long entraînement et d’une longue attente.

Un site web lui est consacré “Patrick BAUDRY” 

Patrick Baudry cosmonaute

SYSTEME “D” pour ravitaillement de nuit

L'ADC Grafiadis

               Les premières interventions en Afrique, ont mis en évidence le besoin de pouvoir ravitailler de nuit, capacité dont le Jaguar n’était pas doté à l’origine. Obtenir cette modification par la voie normale de la filière programme aurait demandé beaucoup (trop) de temps ;  comme elle ne semblait pas compliquée à réaliser et qu’elle ne touchait pas à une partie sensible de l’avion (commande de vol, modification structure ou moteur,..), la 11 EC décida de résoudre le problème en local en faisant fonctionner le système “D” et confia la tâche à l’ADC Grafiadis, adjoint technique à la sécurité des vols, interviewé ici par “Air Actualités”.

                NB : si Grafiadis lit cet article, il pourra peut être compléter l’histoire en nous racontant les débuts plutôt hésitants qui ont vu l’utilisation d’une ventouse à déboucher les WC et les premiers essais déformer le plexi glace de la verrière… Mais force est de reconnaitre que l’affaire fut rapidement menée, les résultats furent  au rendez-vous et qu’elle donna certainement les idées de concevoir aussi en local, le lance leurre de queue et le puits de navigation. 

                                                             

   40 WATTS POUR RÉUSSIR UN RAVITAILLEMENT EN VOL DE NUIT

            Toul. 11ème Escadre de chasse. Raymond Grafiadis, adjoint technique à l’officier de sécurité des vols, est un mécanicien, spécialisé dans l’équipement électronique. Plus il avance dans sa carrière, moins il semble prisonnier des chaînes paralysantes de la routine. Preuve en est sa toute dernière invention, «une bricole somme toute », me confie-t-il, après m’avoir subrepticement demandé pourquoi Air Actualités avait estimé bon d’envoyer un reporter de Paris (du Ministère !) sur les terres glacées d’une Lorraine noyée en plein brouillard ce jour-là. Pour une bricole ! Il n’empêche qu’avant le travail original de l’adjudant-chef Grafiadis, le Jaguar ne pouvait effectuer de ravitaillement en vol de nuit — Rien que ça…

          Une opération de ravitaillement en vol se déroule à vue. S’aidant de repères, l’opérateur du C 135 F ravitailleur indique par radio au pilote de l’avion à ravitailler les manoeuvres à accomplir, au fur et à mesure de l’approche. Ainsi, par exemple, tant que la perche d’un Jaguar ne vient pas soigneusement se verrouiller au fond du panier flottant au bout d’un flexible. accroché au C 135 F, le précieux carburant ne peut évidemment pas passer. En vol, comme sur la route, on ne fait pas forcément le plein ; c’est au pilote du Jaguar à décider de la quantité de pétrole dont il estime avoir besoin. Sans être difficile, la procédure de ravitaillement n’en demeure pas moins délicate et l’absence de luminosité la rend impossible. Aussi, le Jaguar ne pouvait-il pas envisager une intervenlion crépusculaire si un ravitaillement s’avérait indispensable avant le retour sur une base éloignée.

         Il est superflu de préciser davantage les inconvénients résultant d’une telle carence, qui pouvait profiter à un adversaire quelque peu astucieux. Il suffisait à celui-ci d’opérer à la nuit tombante en toute quiétude et de s’échapper sans le souci « dissuasif » d’être poursuivi bien longtemps…

         Et dans tous les cas, « pour faire planer la menace d’une intervention à tout instant, précise le lieutenant colonel Pissochet, commandant la 11ème Escadre de Chasse, il nous fallait être capables d’effectuer une rejointe de jour comme de nuit. Et l’adjudant-chef Grafiadis d’esquisser un sourire malicieux, sentant venir l’instant où j’allais porter mon regard sur une innocente ampoule de 40 watts…

« MEHR LICHT »

          Il fallait agir vite. Aussi fut-il demandé à la FATAC de faire étudier par les services spécialisés un phare de ravitaillement de nuit. Parallèlement, les services techniques de la 11ème Escadre s’étaient mis à l’oeuvre dès la fin janvier 1978. Si bien que dès le 8 février l’entreprise était officiellement lancée. L’adjudant-chef Grafiadis, de par ses bonnes connaissances en équipement de bord et en électricité, disposant du temps nécessaire et ayant un accès aisé à tous les autres moyens de l’escadre fut pressenti comme le personnage idoine. Les recherches aboutirent-elles rapidement ? ADC Grafiadis : Un soir, j’ai surpris le colonel Pissochet alors qu ‘il était plongé dans son courrier. Je crois, lui dis-je, avoir trouvé quelque chose qui va bien !… J’ai installé un phare le long de l’habitacle près du pare-brise avant droit à l’intérieur de la cabine ; si vous voulez venir voir, l’avion est dans le hangar.

            Air Actualités : Je suppose qu’à cet instant précis, si le Patron avait téléphoné, le lieutenant-colonel Pissochet aurait rétorqué qu’il était occupé !

           ADC Grafiadis : Peut-être !.. Le colonel s ‘est assis à la place du pilote et a allumé le phare… Ce fut une vive exclamation, toute à la mesure de son contentement !

            Air Actualités : Comment se présente-t-il ce phare ?

           ADC Grafiadis : Très simplement. II s’agit d’une lampe de 40 w à réflecteur interne équipant normalement les feux de navigation d’aile du Jaguar. Cela éclaire assez pour avoir dans le champ visuel la perche de ravitaillement et tout l’ensemble se trouvant à l’arrière du C 135 F.

          Air Actualités : Quelle est la portée de cet éclairage ?

          ADC Grafiadis : 30 à 40 mètres. Précisons qu ‘il existe aussi une lampe de secours de 24 W à réflecteur interne. L ‘ensemble du mécanisme est mis en action par un dispositif de commande à trois positions : éclairage brillant, normal, et éclairage de secours de la deuxième ampoule. Ce dispositif se trouve sur la gauche du pilote.

          Air Actualités : Vous parlez d’éclairage « brillant ». Cela ne risque-t-il pas d’éblouir l’opérateur se trouvant dans l’avion ravitailleur ?

         ADC Grafiadis : Regardez cette ampoule au plafond. Elle fait 60 watts. Vous aveugle-t-elle ? Non, c’est un faux problème. En revanche, le phare se situant à l’intérieur de la cabine, un halo gênant peut apparaître. Aussi avons-nous créé une sorte de parabole antireflets fixée sur la casquette au-dessus du phare qui masque presque totalement le halo.

          Air Actualités : Mais était-il vraiment si délicat d’imaginer un phare de ravitaillement ?

          ADC Grafiadis : D’imaginer le phare, non. Mais de trouver l’emplacement de ce dernier, oui. Sur le Mirage F 1, le système d’éclairage pour le ravitaillement de nuit était prévu dès la conception de l’avion. En revanche, rien de tel pour le Jaguar. Il importait donc de trouver une place à l’intérieur de l’habitacle et, surtout, sans toucher à la cellule. Voilà la difficulté.

VOLS DE NUIT

       Air Actualités : Comment se sont déroulés les premiers essais du phare en vol ?

      ADC Grafiadis : Il y eut d’abord des vols destinés à juger l’efficacité du phare sur un Jaguar en vol. Quelques améliorations techniques furent dès lors apportées : position de commande du dispositif lumineux placée sur la gauche et non plus sur la droite ; la fameuse parabole sur la casquette pour supprimer le halo…

       Air Actualités : Et le premier vol officiel ?

      ADC Grafiadis : Un monoplace et un biplace prirent l’air pour Istres. Cette fois, il y eut des ravitaillements : six contacts par avion dont quatre de nuit avec deux prises de pétrole. Si les deux Jaguar étaient capables de prendre du carburant par nuit noire puis de s’en retourner sur Toul l’affaire était gagnée ! C’est ce qui se passa.

       Air Actualités : Il ne suffisait donc plus qu’à équiper la flotte tout entière ?

      ADC Grafiadis : Oui. Après vérification de deux avions test, au C.E. V. de Brétigny, un projet d’instruction technique fut établi, devant aboutir à la modification des Jagur. Du reste, mon système demeure amovible.

     Il aura fallu un mois pour mettre au point le phare de ravitaillement en vol sur le Jaguar- Une initiative peu coûteuse dont le prompt aboutissement tend à prouver que les problèmes simples peuvent parfois réglés simplement.

Système "D", un dispositif de commande à trois positions : éclairage brillant, normal et de secours.
Système "D", un dispositif de commande à trois positions : éclairage brillant, normal et de secours.

En Afrique, il y avait aussi la SSIS

La SSIS locale

      Parmi le soutien des avions d’armes, la SSIS joue un rôle primordial en cas d’incident (ou d’accident) sur la piste et ses abords. Ceux-ci étant plutôt rares, la tendance est à les oublier et pourtant…. Aujourd’hui, je vous propose le témoignage d’un pompier venant de Luxeuil qui nous rappellera pas mal de souvenirs et qui a eu la gentillesse de me compléter son article par quelques photos.  

           Le livre d’Histoires de la 11è EC ne peut me laisser indifférent, d’abord parce que je fis une carrière dans l’armée de l’Air, ensuite pour avoir vécu en partie auprès d’éléments de « la 11 ». Que de souvenirs ! Des machines et des hommes, une ambiance, une armée de l’Air qui n’existe plus.

           Nous voici avec nos impressions d’une autre génération. D’emblée je vous remercie d’avoir écrit un livre relatant la vie de ceux qui entretenaient ou pilotaient le Jaguar.

            Pour ma part, je connu l’ambiance Jaguar » pour la première fois en 1978 lors de l’Opération Tacaud. Enlevé manu-militari depuis la SSIS de Luxeuil pour aller en renfort sécurité-incendie à N’Djamena. Nous étions quelques-uns (biffins, médecins, deux pompiers) à embarquer au fond d’un DC-8 chargé de caisses de munitions. Un pompier fut déposé à Dakar après une approche du style « chasse » qui me causa un mal sévère dans une oreille. Puis nous arrivâmes à NDJ ; je fus pris en mains par des gens de l’escadron Jaguar et logé à La Tchadienne pour les semaines à venir.

             La section de sécurité incendie tchadienne ne mettait en service aucun véhicule à mousse.

             L’unique véhicule opérationnel était un fourgon -pompe type « feux d’installations ». Tandis que les personnels de l’escadron organisaient la mission qui leur était dévolue, je « cannibalisais » trois VLE (véhicule lourd d’extinction) pour n’en faire qu’un seul qui soit efficace. La mécanique tchadienne m’apportait une aide précieuse ainsi que les ravitailleurs de l’escadron pour la logistique et le moral. Indiscipline et nonchalance étaient de mise chez les pompiers locaux : une découverte !

            Le recours à l’autorité tchadienne se conclu par une bastonnade et les pompiers cessèrent les abandons de poste ! Enfin, la mission de protection des avions sur les parkings fut comprise, mais il fallait éviter le déclenchement d’un exercice de contrôle à l’heure de la prière . . .

            Par la télévision française nous voyions François Mitterrand — leader de l’opposition- s’exclamer que la France se lançait dans une guerre coloniale ! La saga africaine des Jaguar était lancée. Les colonnes de Hissène Habré et de Goukouni Oueddeï ne menaçaient plus le pouvoir du Général Malloum. Les jours passaient sur le parking surchauffé (la guerre du Golfe n’avait pas encore américanisé les tarmacs ; le mot parking s’était francisé), le C-135 côtoyait l’Atlantic des marins le Transall de chez nous tandis qu’à l’autre bout s’animait une aviation d’un autre âge : C-47, DC-4, et Skyraider pissaient l’huile.      

            Paradoxe tchadien : lorsque j’ai eu l’occasion de faire un vol à bord d’un Dakota vers Mongo ou Moussoro, je m’y suis précipité !

            L’hôtel La Tchadienne était devenu un repli pour les Français exilés en Afrique. Ils venaient dîner ou simplement boire un verre et y rencontrer des compatriotes. Au sous-sol, la boîte de nuit ne désemplissait pas ; le noir-et-blanc devenu la mode du jour. Parfois, le bouche- à-oreilles diffusait un « décollage 4 heures !». Il était temps de se coucher pour une brève nuit sinon de consommer de la noix de kola sensée tenir en éveil jusqu’au bout de la nuit.

            Avant l’aube les personnels concernés rejoignaient la base aérienne « Sergent-Chef Adji Kosseï » et je préparais le VLE-type II » pour assurer la mise en route du Jaguar-photo. On disait qu’il décollait de bonne heure afin d’être sur zone au lever du jour, le moment des belles ombres, des détails.

            Un jour, comme les autres, deux Jaguars ont lancé leurs moteurs et se sont dirigés vers la piste. Un certain temps s’est écoulé… J’étais en train de rédiger dans le bureau de la SSIS lorsque mon esprit s’est demandé pourquoi ces Jaguars roulaient. L’autre partie de mon cerveau ne comprenait pas la signification de ce bruit familier, si proche du décollage… J’ai regardé par la fenêtre et mes yeux ébahis ont vu un Jaguar s’approcher, le nez endommagé, des fils pendouillant de sa blessure !

        – Qu’est-ce qui se passe ? demandai-je.

             François “le Barbu” venait de s’éjecter et son ailier ramenait son avion blessé à la suite d’une collision. Nous nous sommes tous précipités vers le Jaguar ; son pilote (dont j’ai oublié le nom ; il s’agit de Michel TANI –  voir l’article racontant son accident) nous a indiqué la direction où se trouvait son leader. Une réunion improvisée a eu lieu pour écouter son récit de l’événement et les conditions de son retour (si ma mémoire est bonne : il n’avait plus d’oxygène, de radio, ni de pitot, et un seul moteur fonctionnait — merci au Jaguar — car le second avait ingéré des débris). J’ai pris une photo de l’avion dans le hangar. Pendant le récit, deux Puma de l’ALAT ont décollé pour ramener le Lieutenant François, qui a avoué son soulagement de sortir du désert.

       J’aurai l’occasion de retourner au Tchad en qualité de Chef de la SSIS. Les Jaguar se frottaient au Mirage FI venus surveiller les Lybiens. La SSIS n’eut heureusement pas d’intervention grave sur avion mais les camions-citernes tchadiens connaissaient une tendance à l’inflammation …Et quand sur les lieux d’un incendie en ville je dis au Capitaine des pompiers qu’il avait un beau camion, il me répondit « oui, mais je ne sais pas comment ça marche ! ». Cela aussi, c’est l’Afrique Patron !

               Major (er) Poissonnier Michel

EC 2/11, années 80, souvenirs

Berthet mécano au 2/11

Jean Pierre BERTHET, ancien mécano SER au 2/11, m’a proposé une vidéo qu’il a tourné  au début des années 80 ; passée au numérique, il s’avère qu’elle a plutôt bien vieillie et qu’à défaut de constituer une œuvre d’art, elle rappellera bien des souvenirs à ceux qui étaient à l’escadron à cette époque. Epoque durant laquelle l’Afrique a tenu un rôle important sur l’activité de la 11ème Escadre de Chasse ; TACAUD en 78/79, suivi de MANTA 83/84 puis d’EPERVIER (86/ fin ?) et j’ oublie d’autres OPEX moins marquantes . 

Au menu de cette vidéo : 

      –  Première partie  : 

               –  Avions du 1/11 – 2/11 – 3/11  sur le parking de Nancy Ochey (piste de Toul en réfection). 

               –  Tour avion très consciencieux de la part d’un pilote qui ne l’était pas moins. 

                –  Vol avec tonneaux, aux commandes Azam avec son flamboyant casque jaune.

      –  Deuxième partie  : –  Ravitaillement en vol (vol convoyage Afrique le 12/03/84 à partir du C135F N°475 Cdt de bord Cdt Dalmas.

      –  Troisième partie  :  –  Rassemblement sur l’avion de Carrasco, leader d’un box de 4 Jaguar pour de son dernier vol au 2/11 le 13/07/84. Berthet passager camera avec comme pilote Cdt Carbon (et oui ça fait longtemps mais c’est ce qu’est marqué sur le carnet de vol) sur le Jaguar E23.

    –  Quatrième partie  :  –  Passage au bac sur le parking de Ochey du “Melon”  pour son dernier vol à l’escadron en juillet 84.

    –  Cinquième partie  :  –  Partie mécanos au 2/11 en juin 84

Je remercie très sincèrement Jean Pierre BERTHET de m’avoir communiqué cette vidéo et de m’avoir autorisé à la publier ; ceux du 2/11 de l’époque y trouveront bien évidemment leur compte et pour les autres je suis preneur d’une initiative identique. 

En prime, histoire de rafraichir certaines mémoires, BERTHET félicité par CARRASCO et une photo du DETAM TACAUD de l’EC 2/11 en septembre – octobre 1979 (cela ne nous rajeunit pas !) 

Berthet mécano au 2/11
Berthet mécano au 2/11
EC 2/11 TACAUD sept - oct 1979
EC 2/11 TACAUD sept – oct 1979