La vie quotidienne sur TRAB (Avant propos)

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LA VIE QUOTIDIENNE SUR TRAB PENDANT LA PÉRIODE AMÉRICAINE  (Avant-propos)

Avant d’aborder directement le sujet, la vie quotidienne sur TRAB,  je pense qu’il est bon pour chacun de nous de se replonger dans le contexte de cette époque afin de comprendre ce que fut le dépaysement des soldats américains et de leurs familles appelés à venir vivre en Europe.

On dit facilement que les américains sont des “pionniers”, des “gens qui vont de l’avant”, mais comment voulez-vous qu’ils soient venus chez nous de gaieté de cœur, sans une certaine anxiété, après tout ce qu’on leur avait dit sur l’Europe ? Nous nous prenons souvent pour le nombril du monde, alors que pour un homme né outre Atlantique, les pays d’Europe ne sont que des points sur le globe terrestre… d’où bien des incompréhensions dès le départ !

Soldats US à TRAB
Soldats US à TRAB

Why we are here ?

A la question morale que se posent beaucoup d’Américains : “Que faisons-nous ici ?”, “Pourquoi sommes-nous là ?” Voici la réponse donnée

“Dans un climat de guerre froide, générateur de tensions pouvant entraîner une guerre nucléaire — la crise de Berlin et celle de Cuba l’ont démontré — notre présence est nécessaire car elle ressort tout naturellement de nos traditions et de nos responsabilités en tant que nation. En effet, nous partageons avec les pays libres du monde la foi dans la dignité et dans la liberté de l’humanité. C’est un idéal qui fait partie de notre Constitution. Nous, Américains, sommes fiers d’avoir œuvré pour que tout individu possède en propre des droits et des responsabilités qui sont l’essence même de nos lois morales. Cette philosophie est tout à fait à l’opposé de la doctrine communiste qui ne reconnaît à l’homme aucun droit inaliénable qui émane de la raison, ou de la nature, ou encore d’une loi divine, et qui démontre ainsi son mépris de la dignité humaine et de la liberté. C’est cette différence fondamentale de conception et de doctrine sur la finalité de l’homme qui constitue la raison profonde de la tension qui règne entre le monde libre et le bloc soviétique. Nous sommes donc là, dans le cadre de l’OTAN, pour donner un coup d’arrêt à l’agression soviétique dont l’objectif, à terme, est de conquérir le monde.”

Que disait-on aux pilotes ?

A ces hommes, désignés pour le départ, on disait : “Attention, ici vous êtes habitués aux grands espaces aériens, libres de toute activité humaine, là-bas vous ne cesserez de survoler des villes, des villages, des champs et des routes. La découverte pour vous de l’espace aérien ne sera pas de tout repos. Quant au climat, vous trouverez là-bas autant de brumes et de pluie qu’il y a, ici, de soleil ! Alors soyez prêts et attendez-vous au pire !”

On comprend pourquoi un certain nombre de “bleus” aient préféré prendre le bateau pour venir chez nous et laisser les plus expérimentés se charger de convoyer les avions en Europe par l’Atlantique Nord. D’autant plus que le briefing final avait été celui-ci : “Si vous devez vous éjecter en mer, vos chances de survie dépendent de deux choses : votre combinaison de survie en caoutchouc et votre canot de sauvetage. Cette combinaison est difforme et inconfortable, et tellement serrée aux poignets et au cou qu’il vous faudra du talc pour bébé !… Sans elle, vos chances ne dépassent pas trois minutes ; avec elle, quinze minutes… Le temps de grimper dans votre canot et d’attendre du secours !” Rien de convaincant !

Que disait-on aux familles ?

Ce qui suit ne doit d’ailleurs pas nous choquer : l’opinion américaine vis-à-vis de notre pays n’était pas plus évoluée que celle que nous nous faisons actuellement d’autres pays moins avancés.

Pour vous en convaincre, voici le texte d’un document remis à chaque famille expatriée en France : “Les maisons pour famille que Ilon peut trouver aux alentours des bases sont bien en dessous des standards US : pas de chauffage central, toilettes situées le plus souvent dans la cour… Certaines maisons comportent les locaux d’habitation à l’étage, le rez-de-chaussée faisant office détables pour les animaux. Les bâtisses en pierre et en brique sont très difficiles à chauffer, les meublés sont réduits au strict minimum et les meubles sont, en général, très vieux. Il est recommandé de n’acheter aucun produit laitier sur le marché, pas plus que des fruits ou des légumes : tous ces aliments ne répondent pas aux normes de consommation américaines. L’eau courante n’est pas purifiée ; aussi est-il recommandé de ne consommer que de l’eau en bouteilles, avec garantie d’origine.” “Les Français sont des quémandeurs, ils attendent un pourboire lorsqu’on leur demande un service. Quant aux femmes, elles sont “légères…” (attention danger !)

Comment voulez-vous qu’après cela les familles américaines niaient pas vécu en circuit fermé et n’aient consommé que des produits venus de chez eux ? Pour plus de sûreté, tous les hommes, épouses et enfants devaient se soumettre aux vaccins d’usage car l’hygiène en France, en ce temps-là !

Ainsi, loin de leur pays natal, ne comprenant pas toujours pourquoi ils sont chez nous, les Américains s’efforcent-ils en toute circonstance de recréer leur style de vie avec leurs loisirs et leurs habitudes culturelles et même culinaires. La Base de Toul-Rosières ressemble donc à une petite cité américaine, avec son “PX”, supermarché traditionnel, qui ne manque sur aucune base US, où I lon peut acheter des produits en provenance directe des Etats-Unis. Celui de Toul-Rosières est particulièrement important, ses rayonnages sont excellemment pourvus, il est très dynamique et attire même les habitants des bases voisines (en particulier Chambley). On trouve : un cinéma, un bowling, une maternité et une école maternelle dans l’enceinte de la base… Rien ne manque !

Hôpital et maternité de TRAB
Hôpital et maternité de TRAB

Des lignes régulières de bus sont mises en place au profit des adolescents pour les amener jusqu’aux lycées des villes avoisinantes.

Au plan sociologique, les relations entre Américains et Français ne sont pas un modèle du genre, du moins au début : difficultés de la langue, réserve traditionnelle des Lorrains, population

américaine repliée sur elle-même, mode de vie différent, bruits constants des avions, autant d’écueils pour une bonne acceptation et fusion. Ce n’est que progressivement que les relations franco-américaines se réchaufferont jusqu’à devenir amicales.

Néanmoins, l’élément positif pour les deux populations existe.

Côté américain : aspect touristique et découverte d’un nouveau mode de vie. Finalement, la plupart des Américains ayant vécu ces années-là ont avoué qu’ils avaient apprécié leur séjour en France tout en déplorant certains “travers” français assez déplaisants pour eux (la réciproque sera vraie en ce qui les concerne), par exemple

      — on n’offre pas le thé ou le café aussi spontanément que chez eux,

      — on ne pénètre dans les maisons pour les visiter qu’avec réticence,

      — on a l’impression d’être épié en permanence, à voir des gens derrière leurs rideaux.

Côté français

— création d’emplois qui constituent une bouffée d’oxygène pour les populations locales. Et quelle découverte, alors que nous portons encore des tenues traditionnelles, de voir des Américains vêtus de jeans et de chemises à carreaux ; alors que nous roulons en 4 CV, de les voir circuler silencieusement en Buick, Chevrolet, Pontiac ou Cadillac sur nos routes trop étroites. Mais l’émerveillement le plus complet est donné à ceux qui ont la chance de pénétrer sur la base. Là, ils découvrent le “hamburger, le “Coca-cola”, le “congélateur”, le “self-service”, etc… Alors qu’eux-mêmes en sont encore aux légumes du jardin. Que dire des salles de bain américaines, comparées à notre “grande toilette du samedi soir… sans douche ni baignoire…

Cuisine du snack bar
Cuisine du snack bar

— autre élément positif : l’évolution des mentalités à la campagne. Au départ, les paysans expropriés de leurs terres, et qui vivent de cultures céréalières (blé, orge, seigle, pommes de terre) voient d’un mauvais œil l’arrivée de “ces Américains” qui les privent de leur gagne-pain. Quinze ans plus tard, grâce à la fuite du temps et aux indemnisations, tout le monde se félicite. De céréaliers, ils sont devenus éleveurs, ce qui n’est pas plus mal.

Des griefs existent cependant, concernant les manières de vivre américaines :

–  quand on les accueille chez soi, ils se croient immédiatement chez eux : ils touchent à tout, visitent les chambres, se servent dans le frigo, allument la TV…

–  ne préviennent pas quand ils sortent ou quand ils rentrent.

Autre exemple : un propriétaire français ayant loué un appartement à une famille américaine a été fort surpris de voir, quelque temps après, un tas de sable fin versé par un camion devant cet appartement. Mais quelle ne fut pas sa stupéfaction quelques jours plus tard de constater que le tas de sable avait pris place dans une des pièces du rez-de-chaussée, transformée pour la circonstance en petit désert d’Arabie, afin que les enfants puissent jouer comme sur les plages californiennes ! Autre pays, autres mœurs… Mais tout de même, il faut s’y faire !

— Les épouses américaines sont très difficiles à sortir de leur environnement : il faut insister, presque leur forcer la main pour qu’elles consentent à sortir le dimanche visiter les alentours. Les femmes américaines invoquent la peur de conduire en voiture ou d’être conduites, car nos routes sont dangereuses. Elles achètent très peu dans nos magasins par crainte d’être mal conseillées par les commerçants : autant de réticences qui sont la conséquence des mises en garde faites à leur départ pour l’Europe.

Dans l’ensemble, les contacts restent superficiels. Sauf exception, les Américains ont des amis partout où ils passent, mais sans lendemain. C’est l’attrait du moment. Toujours est-il que, dès cette époque, les Européens prennent conscience du décalage existant entre leur mode de vie et celui des États-Unis. Toutes ces différences n’empêcheront pas les Américains de la base de se faire des amis français et d’apprécier notre cuisine nationale.

Il va sans dire que tous ces braves guerriers, qu’on a tant mis en garde contre les produits européens, ont bien vite pris goût, en particulier, à notre pain, et à nos bons vins. C’est si vrai qu’un avion (C 124 Globmaster), qui vient chaque jour de Wiesbaden à 5 h 15 du matin, ravitailler en pain américain les quatre bases du secteur — Rosières, Chambley, Étain et Chaumont— repart avec une douzaine de baguettes de pain frais français (fait par le boulanger de Saizerais) pour le mess de Wiesbaden. Quant au “pinard”… Top secret !

Les premières difficultés rencontrées sur la base sont dues à l’infrastructure, les gros travaux étant confiés à des entreprises françaises sur des spécifications américaines, ce qui entraîne des lenteurs étonnantes dans les décisions administratives ; de plus, il y a urgence dans les délais d’achèvement, le temps presse, il faut faire vite.

La piste
La piste

Or, chacun sait que tout ce que l’on entreprend trop vite est rarement satisfaisant. De plus, la commission de réception des bâtiments est extrêmement sévère, d’où les doléances sans nombre de la part des responsables de la base : fissures dans les murs, sols qui s’affaissent, soubassement étanches qui prennent l’eau, portes qui ne ferment pas, réseau routier lamentable, “océan de boue” et trous sans nombre que les entreprises françaises refusent de remblayer ; coupures d’eau froide ou chaude dues aux pompes d’alimentation défectueuses ou aux conduites brisées ou bouchées, coupures de courant dues aux travaux non terminés aux dates fixées.

Les années 1953, 1954, 1955 sont les plus fertiles en incidents de ce genre car c’est durant ces années-là que sont mis en chantier la piste, la tour de contrôle, l’ERT (Escadron de Ravitaillement Technique), la voie ferrée, les chaufferies, la salle de cinéma, la chapelle, et les logements des différents services nécessaires au bon fonctionnement de la base. L’aménagement de la zone-vie pour les familles n’a lieu que durant les années 1956 / 1957 : canalisations de chauffage, gymnase, blanchisserie, écoles, hôpital, grand magasin…

L’aménagement de la base se poursuivra sans relâche jusqu’au 1 er avril 1967, date de la fermeture de “TRAB”.

Le padre G.DERULE

Le commandement Base
Le commandement Base

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