1952 – 1966 : Toul-Rosières Air Base ou quatorze années de présence américaine en Lorraine avec les meilleurs squadrons des US Air Forces Europe.
Plus que toute autre base américaine en France, Toul-Rosières Air Base (“Trab” pour les personnels de l’USAF en Europe) va, avec les années soixante, subir une mutation profonde. Après la lenteur qui a caractérisée les premières années de mise en train de la base, cette fois-ci, les choses vont vite. A peine les Voodoo du 66e TRW ont-ils évacué la base, que la machine administrative de l’USAFE se met une nouvelle fois en marche.
Le 10e TRW et ses différents escadrons ont été, le 1er juillet 1964, relevés du contrôle de la 3e Air Force, et mis à la disposition de la 17e Air Force, dans le cadre d’une réorganisation portant le nom de code de « Third Rally ». C’est ainsi qu’entre le 15 juillet et le 1er août 1962, les 49e et 42e TRS vont faire mouvement de leur base britannique vers le continent jusqu’à Toul-Rosières. Suite de quoi, la 17e AF prenait une importance énorme au niveau des avions et des unités qu’elle pouvait mettre en œuvre, et ce déséquilibre inquiéta probablement l’USAFE. Pour y remédier, on décida, le 1er septembre 1963, de reverser le 10e TRW sous le contrôle de la 3e AF, et par voie de fait, Toul Rosières allait devenir la seule base de l’USAFE en France à dépendre d’un Etat-Major situé en Grande-Bretagne.
Mis à part cette exclusivité. il y avait aussi désormais à Toul la présence d’un avion relativement rare et intéressant : le RB-66 « Destroyer », appareil assez peu connu puisque ce « bombardier » moyen aurait pu être aussi bien à l’aise avec les forces stratégiques (il était plus gros que le « Vautour » qui servait alors dans nos escadrons stratégiques), mais en vérité, le « Destroyer » fut toujours considéré comme un avion « tactique ».
Le tout premier modèle de cet avion vola dès 1954. et il était déjà prévu pour la reconnaissance aérienne. Il s’agissait d’un RB-66A propulsé par deux réacteurs en nacelle. Le modèle de production définitif devait être en fait le RB-66B dont 175 exemplaires furent construits, les premiers étant livrés dès 1956. Dans ce premier lot, il y eut 30 avions qui équipèrent, dans le cadre de notre historique, les 19e et 30e TRS du 10e TRW basé en Angleterre à partir de 1957. Ces avions furent d’ailleurs des modèles RB-66C, reconnaissables par de petits réservoirs profilés en bout d’aile. L’avion avait en outre une espèce de soute ventrale destinée à transporter des « flash » utilisés pour des missions de reconnaissance de nuit. Comme armement défensif, le RB-66C était équipé d’une tourelle de queue pourvue de deux canons de 20 mm. Impressionnant par sa taille, l’avion affichait un poids de 31 tonnes.
Ci-dessus, un RB 66
Dès 1962, on trouve donc à Toul des RB-66B et C qui équipent le 42e TRS (bande rouge sur les nacelles ainsi que sur la dérive), et le 49e TRS (même décoration mais de couleur verte). D’emblée, il faut préciser que le 19e TRS était un escadron de reconnaissance photo « classique » utilisant d’ailleurs pour ce rôle des RB-66B, alors que le 42e TRS avec ses RB-66C, était chargé des missions de reconnaissance électronique. Les « pods » que porte la version « C » en bout d’ailes contiennent d’ailleurs une instrumentation d’écoute électronique. Les deux versions sont encore équipées à cette époque de la tourelle de queue. A l’intérieur des avions des deux types, les diversifications deviennent visibles. Le RB-66B comporte toujours un équipage de trois hommes seulement : pilote, navigateur et mitrailleur radariste. Le RB-66C quant à lui, emporte pour chaque mission un équipage de sept hommes : pilote, navigateur, mitrailleur-radar, et quatre officiers de guerre électronique installés dans un compartiment séparé et pressurisé, à l’endroit même où se trouvait la soute.
Comme mentionné plus haut, le 42e TRS était chargé de la reconnaissance électronique (et météorologique selon certaines sources). A ce stade, abordons immédiatement le problème de ce type de reconnaissance qui se subdivise en fait en deux catégories : active et passive. La reconnaissance dite « active » sous-entend qu’un avion brouille des émissions radio et radar par différentes méthodes, soit électronique, soit de manière plus classique comme par exemple avec des « chaff » (petites paillettes métalliques coupées selon certaines longueurs d’ondes).
La reconnaissance dite « passive » est chargée, quant à elle, du recueil de renseignements, et d’analyser des signaux radio et radar. C’était là le rôle primordial du 42e TRS de Toul. Plus tard, avec l’avènement d’un système de défense aérienne de plus en plus sophistiqué, la tourelle de queue fut supprimée et remplacée par une espèce de cône contenant diverses antennes réceptives, ainsi qu’un compartiment spécial destiné à emporter des «chaff». L’équipage fut dès tors réduit à six hommes, mais le siège du mitrailleur resta en place à toutes fins utiles, soit pour emporter un passager, soit un instructeur. Par la même occasion, la plupart des avions de Toul perdront leur couleur d’escadron respective, ce qui rendra les identifications et le rôle des divers avions extrêmement délicat, d’autant plus que tous les RB-66 sont progressivement équipés de pods ECM en bout d’aile. Par ailleurs, les bandes de couleur disparaissent, et font place au sommet de la dérive à un insigne unique : une étoile ailée. cette dernière étant formée des couleurs symboliques du 10e TRW : rouge et vert pour Toul, jaune et bleu pour le et le 30e TRS basés en Grande-Bretagne. Sur le flanc également, les avions portent désormais un insigne relativement important en taille, à savoir celui du 10e TRW.
On peut aisément affirmer que l’époque des RB-66 est celle qui est la plus méconnue de la vie de Toul sous contrôle de l’USAFE. A l’entour, on ne sait trop bien ce que font ces fameux avions bourrés d’instruments électroniques qui volent par tous les temps, de jour comme de nuit. Et lorsqu’en 1965 un Destroyer est abattu au-dessus de l’Allemagne de l’Est lors de l’une de ses missions, les choses deviennent plus claires ! Des murmures d’espionnage et de base secrète fusent de partout… Pourtant, officiellement, ce ne sont que des missions de routine.
Tous les RB-66 sont équipés d’une perche de ravitaillement en vol dans le nez : ils peuvent donc aller loin, vers l’Est, et voler le long du Rideau de Fer pour capter et analyser tous les signaux radar et radio de « ceux d’en face», puis les exploiter pour mieux connaître les moyens de défense aérienne mis en œuvre par les blocs de l’Est. Opérationnellement parlant, c’est certainement une des périodes les plus « chaudes » de Toul-Rosières.
Pour ce qui est du ravitaillement en vol, le Capitaine Stan Tippin. ancien officier électronicien avec le 42e TRS, confirme qu’aucune manœuvre de ce type n’avait lieu au-dessus de la France-même, pour des raisons non explicites, mais très probablement pour des raisons de sécurité. Les tankers de l’époque étaient des Boeing KB-50 stationnés en Grande-Bretagne, alors que les circuits de ravitaillement proprement dits se trouvaient dans deux secteurs : « nord» au large de la Scandinavie, et « sud » au-dessus de l’Allemagne. On raconte aussi que les RB-66 de Toul ne participèrent jamais à aucun échange d’escadron avec les forces de l’OTAN, probablement à cause de la mission très « spéciale» de ces avions… Pourtant. des RB-66B ont participé à certaines compétitions « Royal Flush ».
La plupart des missions de temps de paix effectuées par ces avions à partir de la base de Toul, duraient en général plusieurs heures, et les RB-66 se promenaient» aussi bien au-dessus de la Norvège que de l’Italie ou de la Turquie ; bien peu au-dessus de la France en somme paraît-il, pays qui fut plutôt considéré comme simple base d’attache..
La naissance du 26e Tactical Reconnaissance Wing
Dès 1964, dans les sphères élevées de l’État-Major de l’USAFE, une idée prenait progressivement forme : celle de constituer sur le continent européen, en l’occurrence en France, et rattachée par la même occasion à la 17e Air Force, une nouvelle escadre de reconnaissance.
L’idée est très vite approuvée, et le projet est signé dès le 12 octobre 1964. Puis les premiers détails administratifs sont ébauchés. Et ce sera finalement la base de Toul qui sera choisie pour abriter cette nouvelle escadre de reconnaissance : le 26e TRW.
Mais ce n’est pas tout, car dans le même temps, on parle de rééquiper cette nouvelle escadre d’un nouvel avion. et pas n’importe lequel : avec le dernier-né de l’arsenal américain en matière de reconnaissance aérienne tactique : le McDonnell RF-4C « Phantom » …
Cette même année 1964, des travaux de modifications et de constructions débutent sur la base de Toul pour une programme chiffré à $ 3,5 millions (dollars de l’époque), afin de recevoir le nouvel avion et son infrastructure technique. En effet, la mise en place du 26e TRW devrait se concrétiser dès le 1er juillet 1965. Les RB-66 qui se trouvaient encore à Toul ne sont pas retournés aux États-Unis malgré ce changement. Dans un premier temps, en juin 1965, le 42e TRS fait un saut de puce pour se rendre sur la base américaine de Chambley, vide à cette époque, et on assistera, là-bas aussi, à la création d’une nouvelle unité : le 25e Tactical Reconnaissance Group. Puis, fin juillet, afin de terminer au plus vite le programme de modernisation de la base de Toul, au niveau de la piste notamment, tous les RB-66 restants, soit ceux du 19e TRS, sont mutés eux aussi à Chambley où ils resteront d’ailleurs afin d’être intégrés au 25e TRG. Bref, les RB-66 Destroyer sont appelés à continuer à survoler nos villes et nos campagnes…
L’originalité du RB-66 permet que l’on s’attarde quelque peu sur le sort ultérieur de cet avion jadis basé sur notre sol. Lorsque, en 1966, l’USAFE évacue ses bases en France, les RB-66 vont faire route vers la base de Spangdahlem en RFA, où ils seront administrativement rattachés au 36e TFW de Bitburg. Leur nouvelle affectation va de concert avec une nouvelle mission : celle de la guerre électronique exclusivement. Moyennant force modifications réalisées aux États-Unis, les avions reviennent en Allemagne transformés en EB-66, revêtus de peintures de camouflage « style Vietnam », et le ventre hérissé d’antennes !
Puis, avec l’intensification de la guerre aérienne dans le Sud-Est Asiatique, une partie de ces EB-66 sera renvoyée, au début des années soixante-dix aux Etats-Unis sur la base de Shaw en Caroline du Sud. De là, ils feront une courte étape sur la base de Davis-Monthan en Arizona pour un entraînement spécifique. Enfin, de l’Ouest américain, ils vont faire route vers la Thaïlande pour participer activement à la guerre aérienne. Curieux destin que celui de certains avions jadis visibles au-dessus de la campagne lorraine et perdus au-dessus du Nord-Vietnam…
L’originalité du RB-66 permet que l’on s’attarde quelque peu sur le sort ultérieur de cet avion jadis basé sur notre sol. Lorsque, en 1966, l’USAFE évacue ses bases en France, les RB-66 vont faire route vers la base de Spangdahlem en RFA, où ils seront administrativement rattachés au 36e TFW de Bitburg. Leur nouvelle affectation va de concert avec une nouvelle mission : celle de la guerre électronique exclusivement. Moyennant force modifications réalisées aux États-Unis, les avions reviennent en Allemagne transformés en EB-66, revêtus de peintures de camouflage « style Vietnam », et le ventre hérissé d’antennes !
Puis, avec l’intensification de la guerre aérienne dans le Sud-Est Asiatique, une partie de ces EB-66 sera renvoyée, au début des années soixante-dix aux Etats-Unis sur la base de Shaw en Caroline du Sud. De là, ils feront une courte étape sur la base de Davis-Monthan en Arizona pour un entraînement spécifique. Enfin, de l’Ouest américain, ils vont faire route vers la Thaïlande pour participer activement à la guerre aérienne. Curieux destin que celui de certains avions jadis visibles au-dessus de la campagne lorraine et perdus au-dessus du Nord-Vietnam…
Des « Phantom » en Lorraine…
En fait, avec le départ des 19e et 42e TRS, la base, de même que l’escadre nouvellement formée, se retrouvaient sans escadrons ni avions. Une nouvelle fois, une réorganisation en profondeur a lieu au sein de diverses unités existantes. D’entrée, il est question d’équiper le 26e TRW de trois escadrons. C’est ainsi que le 38e TRS également équipé du RF-101 Voodoo, et stationné à Ramstein, va être rattaché au 26e à partir du 1er octobre 1965, mais ses avions resteront Outre-Rhin… De même, le 32e TRS opérant à partir de la base de Laon Couvron, sur Voodoo lui aussi, sera muté au 26e TRW, mais avec son plein effectif avions cette fois-ci.
Enfin, un nouvel escadron, le 22e TRS, mis sur pied le 1er octobre 1965, complètera les rangs de la nouvelle escadre.
Le premier escadron à recevoir le fameux Phantom sera le 32e TRS. Mais au-delà de cette reconversion, il faut voir le petit « événement » en soi que constituait l’arrivée des RF-4C, puisque la France avait ainsi la primeur d’être le pays d’Outre-Atlantique où arrivaient les premiers Phantom de reconnaissance ! Les équipages du 32e TRS s’étaient entraînés sur la base de Shaw aux États-Unis, « écurie » des pilotes de « reco » de l’USAF, et les premiers RF-4C se posaient à Toul, venant de Shaw, le 3 octobre 1965. Étant les plus « anciens » sur ce type d’avion, les équipages du 32e TRS ont également assuré le convoyage de vingt-sept RF-4C depuis l’usine de McDonnell à St-Louis, jusqu’à Toul-Rosières, et ceci entre octobre 1965 et juin 1966.
A partir du 1ermai 1966, le 32e TRS était déclaré opérationnel sur RF-4C, devenant ainsi le premier squadron “ops” de toute l’USAF en Europe. Ceci-dit, le 32e n’était pas étranger à Toul, puisque, entre octobre 1960 et mars 1962, cette unité fut stationnée sur la base, équipée à l’époque du RF-101C. Son insigne, un aigle tenant dans ses serres un appareil photo et une bombe, symbolise la mission double à laquelle s’entraînait cet escadron entre 1962 et 1964 : reconnaissance et appui feu…
Les premiers « Phantom » qui se posent à Toul en 1965, impressionnants par leur taille et par l’énorme traînée de fumée noire qu’ils tissent derrière eux, sont encore tout blanc. Selon l’ancienne coutume, on peut voir sur leurs flancs l’inscription US Air Force, et un « buzz number» «FJ» suivi des trois derniers chiffres du serial number. Courant 1966, cependant, les premiers avions camouflés apparaissent. Très sobres d’allure, ils ne portent aucun code ni insigne, seul le nez radar est resté blanc…
Le 22e TRS est lui aussi entièrement équipé du RF-4C courant 1966, quant au 38e TRS, celui-ci recevra son premier Phantom en avril 1966, mais l’unité restera basée à Ramstein.
Le RF-4C est à l’époque (et même encore aujourd’hui), ce qu’il y a de mieux en matière de reconnaissance aérienne tactique en Europe et même de l’autre côté de l’Atlantique. Avec une vitesse de pointe approchant Mach 2,5, le RF-4C est en mesure d’effectuer des reconnaissances de jour et de nuit, et même par mauvais temps, grâce à un système infrarouge.
L’épopée lorraine du Phantom est principalement une histoire de prise en main et d’entraînement intensif, afin de maîtriser cette nouvelle machine. Cependant, dès le mois de mai 1966, le 32e TRS participe pour la première fois avec son nouvel avion à un exercice de grande envergure : l’« Exercice Southern Arrow».
En vérité, la présence du Phantom sur notre territoire fut relativement éphémère, et peu d’événements marquent la vie du 26e TRW. En outre, dès avril 1966, le gouvernement français, après sa décision de se retirer du commandement intégré de l’OTAN, annonce que toutes les unités américaines en France vont être soit soumises au contrôle français, soit obligées de quitter notre sol. On connaît le choix fait par les Américains.
L’une des plus grandes bases opérationnelles de l’USAFE en France commencent à vivre ses derniers jours, et les Phantom sont les premiers à quitter la Lorraine.
Le 32e TRS fera cap sur la base d’Alconbury en Grande-Bretagne où il rejoindra à le 10e TRW, et le 1er novembre cet escadron effectuera déjà ses premières missions à partir de sa nouvelle base. Il faut préciser aussi que, si tous les avions du 32e ont été transférés en Grande-Bretagne, beaucoup des pilotes de l’escadron, notamment des « anciens » du RF-4C, sont partis au Vietnam. Peu après, le 22e TRS rejoindra lui aussi la base d’Alconbury et y établira ses quartiers définitifs.
Pour que cette histoire se termine cependant sur une note optimiste, signaIons que le 26e TRW ne fut pas dissous lors de son départ de France. Tout le personnel administratif et d’encadrement fut muté sur la base de Zweibrücken en RFA, laissée libre par les Canadiens. Deux nouveaux escadrons sont alors alloués à l’escadre : le 38e TRS, qui lui appartenait déjà, et qui s’en vient de Ramstein, et le 47e TRS venu de Laon-Couvron, et qui touchera lui aussi des RF-4C. Note optimiste également parce que la base de Zweibrücken est si proche de la France que, pour effectuer leurs approches et, selon la direction des vents, leurs décollages, les impressionnants Phantom continuent à survoler une petite parcelle de notre territoire…
Au moment où paraissent ces lignes cependant, le 26e TRW n’est plus formé que d’un seul escadron : le 38e TRS, et c’est en outre la dernière unité de reconnaissance de l’USAFE basée sur le continent !
Mais Toul-Rosières n’a jamais cessé de vivre puisque l’Armée de l’Air a repris cette base. Ainsi, celle-ci reste un témoignage vivant et un symbole de la présence américaine sur notre sol, non pas une force d’occupation, mais plutôt un partenaire dans la défense d’intérêts communs : ceux de la paix. D’incroyables souvenirs se rattachent à Toul, et toute une époque nostalgique où nos villes et nos campagnes résonnaient du grondement des F-86, F-100, F-84F, RF 104, RB-66 et RF-4 partis à jamais, sauf des mémoires de ceux qui ont eu la chance de connaître cette époque.
Jean-Pierre HOEHN


















































































