L’AFFAIRE DE SEVILLE – MAI 1966, UN ACCIDENT AERIEN MEDIATIQUE

Dans un article précédent Denis TURINA un des pilotes de la patrouille des 6 Mystère IV de Séville, vous racontait la mission et son éjection.  Je vous propose aujourd’hui une analyse des causes de l’accident ainsi que les suites données à cette affaire. 

En ce temps-là, l’activité de la 8e Escadre de chasse de Cazaux était déjà consacrée au perfectionnement des jeunes pilotes de chasse, frais émoulus de l’école de Tours en insistant plus particulièrement sur le tir, air-sol et air-air, en quelque sorte un OTU, selon la terminologie anglo-saxon¬ne.
En fin de stage, les escadrons organisaient un voyage vers un terrain étranger de l’OTAN en Grande Bretagne, Allemagne de l’Ouest, Pays-Bas, Italie… voire Espagne. Le vendredi 27 mai 1966, en début d’après-midi décollait une patrouille lourde de six Mystère IV vers Séville. Elle était solidement corsetée. Les trois jeunes chasseurs étaient encadrés par trois chefs de patrouille, le lea¬der étant le Capitaine G.-N., talentueux commandant d’escadrille du 2/8 “Nice”.
Le fait que la fiesta de Pentecôte débutait le lendemain à Séville n’avait rien de fortuit ; pourquoi ne pas ajouter l’agréable à l’utile ? Le narrateur était alors commandant en second de la 8e Escadre de chasse. Il en devint le commandant ipso facto. Il fut durant cette période aux premières loges, confronté aux étonnantes péripéties de l’affaire, ce qui lui donne l’audace d’imprégner son récit d’une marque personnelle. Rentrant de Paris après une semaine difficile (oral de l’ESGA), il reçut vers 15 heures, chez le Colonel commandant de base, le coup de télépho¬ne de déclenchement de l’affaire. Le commandant du centre de détection et contrôle de Mont-de-Marsan lui annonçait tout à trac “Six avions de la 8e Escadre sont perdus en Espagne !… Nous poursuivons les recherches”. Brutale et insupportable prémonition de six cercueils drapés de tricolore, de six familles et d’une escadre éplorée.
Il est facile d’imaginer le ballet téléphonique qui suivit entre Cazaux, Séville, l’Attaché de l’air à Madrid, le Contrôle de Mont-de-Marsan, la région de Bordeaux, le Commandement des Ecoles et l’Etat-major à Paris. Après maints recoupements et des heures fébriles, les pièces du puzz¬le finirent par s’assembler. Les débris des appareils furent retrouvés, enfouis dans le sol, à une certaine distance les uns des autres, selon un axe sensi¬blement ouest-est, dans la région d’Huelva. Tous les pilotes étaient indemnes après avoir utilisé leur siège éjectable. Aucune victime espagnole, aucun dégât important n’étaient à déplorer. Cette recherche avait pris toute la fin de l’après-midi. Avec le comman¬dant d’escadre, de retour de mission, nous nous félicitions de l’issue relati¬vement heureuse d’un événement catastrophique au départ – six éjections sans une égratignure ! Lorsque dans l’écran de télévision, machinalement allumée, apparut le visage du premier Ministre, Pompidou. Il annonçait en avant-première des informations de 20 heures l’accident de Séville et le commentait en des termes ainsi résumés “L’armée de l’air a perdu six avions en Espagne… des sanctions seront prises” ce qui ne manqua pas de nous inquiéter.
Le “cirque” venait de commencer.
L’enquête normale d’accident déclenchée dès le vendredi et l’enquête de commandement qui la compléta mirent en cause la responsabilité du Capitaine G.-N. qui, de son côté, la revendiquait entièrement, en ce qui concerne les causes initiales et principales.
Voici les faits. La mission de la patrouille lourde se déroule sans histoi¬re, à haute altitude, jusqu’à la balise sud de la zone contrôlée de Madrid. Constatant alors l’abaissement du plafond et la diminution de la visibilité, le chef de patrouille décide d’effectuer une descente à faible taux vers Séville. S’estimant à une quinzaine de minutes de San Pablo, il préfère ouvrir son cap pour s’appuyer sur le Guadalquivir et enrouler le terrain par la droite. Malheureusement, la balise de Séville subit l’interférence d’une balise de fréquence proche, située à la frontière portugaise – le radiocompas est l’unique moyen de radionavigation du Mystère IV – et G.-N., par mauvaise identification, s’oriente sur un rio parallèle au Guadalquivir. Durant une quin¬zaine de minutes de “viscosité mentale”, la patrouille s’écarte vers l’ouest, à basse altitude.
Les niveaux de sécurité-pétrole sont atteints. G.-N. réalise alors son erreur et met le cap à l’est vers Séville et Moron déjà très distants. Il retrou¬ve alors son sang-froid ; il rappelle à ses équipiers les consignes d’une bonne utilisation du siège éjectable, en leur demandant d’orienter leur appa¬reil vers les zones marécageuses dans les environs d’Huelva. Au fur et à mesure de l’extinction de leur réacteur, les équipiers s’éjectent dans les meilleures conditions. G.-N. est évidemment le dernier ; il avouera avoir pensé fugitivement à percuter le sol avec son avion. La conscience de ses responsabilités familiales et professionnelles l’en ont heureusement retenu.
Nous sommes là dans le cas typique d’un excellent pilote victime d’un “passage à vide”, au mauvais moment.
Qui ne s’est perdu… et retrouvé, au moins une fois, dans sa carrière de pilote de chasse ?
En l’occurrence, le contrôle espagnol, alerté très tôt par les messages de détresse, a fait preuve d’une rare incompétence.
De l’écoute des bandes magnétiques témoins, il ressort que les fré¬quences furent saturées de messages en un anglais approximatif. A un point tel, qu’une patrouille de l’US AIR FORCE, ayant décollé de Moron, ne put intercepter la patrouille de Mystère IV.
L’enquête démontre qu’une tranche d’une vingtaine de minutes, les plus cruciales, de ces bandes témoins ont été effacées. Il est manifeste qu’un tel accident n’aurait pu se dérouler dans un espace où le contrôle eût été mieux exercé.
Sur le plan économique, l’accident était aussi plus spectaculaire que coûteux et puisque des chiffres ont été avancés par la presse, il convient d’apporter quelques précisions. Quatre de ces appareils relevaient du plan d’Aide militaire (PAM) de l’OTAN et quand on sait qui finançait ce plan !
Les deux derniers avaient été acquis en 1954 sur le budget-air pour la somme de 153 millions d’anciens francs ; tous avaient beaucoup volé pendant plus de dix ans, et pouvaient être considérés comme “amortis”
On aurait pu croire que l’accident ayant eu lieu en fin de semaine, veille de Pentecôte, à l’étranger, sans victime aucune, touchant un type d’appareil qui n’était plus de “pointe” militerait en faveur d’une relative discrétion à l’échelon national.
Mais, alertés par la déclaration du Premier Ministre lors des informations télévisées du vendredi soir, dès le samedi matin tous les journalistes sont sur le pont. Le chef d’Etat-major de l’Armée de l’Air fait part au Ministre des Armées de son intention d’organiser une conférence de presse. C’était l’autorité la plus apte à désamorcer la situation. On peut deviner la teneur de sa conférence. Sans dissimuler la vérité, il aurait pu présenter diverses hypothèses en ce qui concerne les causes, en attente des résultats des travaux des commissions d’enquête. L’Aéronautique civile est passée maitre en cet art, les commissions ne rendent leur rapport que quelques mois ou années plus tard. Le procès public de l’accident d’Habsheim, survenu en 1988 ne viendra peut-être à son ultime jugement qu’en 1996.
Le Ministre des Armées refuse son autorisation et émet, à son niveau un communiqué remis aux agences de presse. D’une cinquantaine de lignes, ce communiqué est un condensé de maladresses. Il s’encombre d’abord de considérations à connotation aéronautique dont la majorité des journalistes, ignorants en la matière, n’ont que faire. Ensuite, que les enquêtes viennent à peine d’être enclenchées, il incline déjà à impliquer les échelons de l’Armée de l’air dans la responsabilité de l’accident. Il pourra être écrit sans être contredit, par la voix la plus autorisée, que “l’information de l’opinion publique a été plus que tendancieuse” ; ce communiqué en est coupable.
C’est à croire que le gouvernement donnait lui-même les verges pour se faire fouetter.
Les médias n’y faillirent pas.
La presse anglo-saxonne traita cet accident avec une certaine réserve privilégiant, comme elle sait si bien le faire, la pure objectivité au détriment des commentaires oiseux. Il est vrai que ce type d’accident avait eu de sanglants précédents au sein des forces de l’OTAN, affectant des Hunter Britanniques, des F84 portugais, des Phantom allemands, des Crusaders d’un porte-avions US. Un des chroniqueurs du Sunday Mirror alla même à considérer que le chef de patrouille “méritait d’être décoré pour son réel courage et son sens des valeurs” lui qui avait décidé que “six vies humaines avaient plus d’importance que six avions à réaction”.
Encore traumatisée par l’affaire du B52 nucléaire de Palomares la presse espagnole se déchaîna avec une susceptibilité d’écorché. D’ABC à Arriba, en passant par YA et Informacione, elle défendit a priori et sans nuance l’honneur des organismes de contrôles de la région de Séville, dont le rôle avait paru inefficace ; il était pourtant connu de tous qu’il fallait aborder leur contact avec la plus extrême prudence.
Seule, dans ce concert polémique, s’éleva la voix sereine d’un général de l’aviation espagnole, Luis Serrano de Pablo, qui, dans un long article d’ABC, repris avec photo du Mystère IV en page centrale de Jour de France, l’hebdomadaire de Marcel Dassault, prenait adroitement la défense du Capitaine G.-N. en soulignant les aléas du métier de pilote de chasse. Le narrateur aura la joie, en 1969, de donner un “abrazo” de remerciement à ce caballero.
La presse française fut égale à elle-même. Dès le samedi, les journaux furent unanimes pour donner à l’événement une large place, c’est-à-dire l’in¬clure en page une ou deux. Le Figaro, le Monde, délivrèrent la nouvelle accompagnée d’une critique décente. France-soir et le Journal du Dimanche se permirent quelques digressions conformes à leur goût de l’inédit. L’Humanité, en accord avec sa politique d’opposition, débuta par une contrevérité, parlant d’une collision en vol des six Mystère IV puis s’orienta, par une facile assimilation de mots, vers un “mystère” créé de toute pièce par le gouvernement pour noyer le poisson. L’information s’éta¬la tout au long de la semaine ne rendant pas pour autant facile la compré¬hension des événements. Les hebdomadaires y allèrent de leur couplet. Le plus virulent fut évidemment celui du Canard Enchaîné estimant que “deux milliards de francs anciens, soit le prix de deux cents écoles (?), venaient de s’abattre dans les plantations de tomates de la banlieue de Séville” et met¬tant en comparaison Verdun et Séville quant à leur activité militaire, parlait de “régiment retrouvé et patrouille perdue”.
Ce fut l’occasion de relever quelques perles rares :
– Pourquoi les pilotes n’ont-ils pas abandonné leur avion au-dessus de la mer ? demanda un sénateur bien connu. Parce qu’ils s’en trouvaient dis¬tants, aurait répondu Monsieur de la Palisse.
– D’aucuns n’hésitèrent pas à accuser les USA, avec lesquels nous étions en froid puisque nous allions quitter l’OTAN, d’être responsables du la perte de nos avions. Comment ? Par le fait d’un rayon vert (sic) capable de désorienter tout appareil atteint ou encore l’émission d’un brouillage par les bases aériennes de Moron et Rota alors que, conformément à la solidarité aéronautique, les chasseurs US de Moron avaient mis une patrouille eu vol pour tenter d’intercepter les Mystère égarés.
NDLR – Un autre acteur de l’affaire témoigne :
« Nous découvrons la presse de ces trois derniers jours. Elle n’est pas tendre et ne diffère de celle de nos voisins du sud, dans la présentation et la teneur, que par la langue. Tous les journaux du samedi nous ont réservé la une. Et l’événement du jour, à savoir la commémoration du 50e anniversaire de la bataille de Verdun par le Président de la République, a fait l’effet d’un pétard mouillé et est relégué à la page des faits divers. On se souvient que le refus du Chef de l’Etat de transférer les cendres du Maréchal à Douaumont n’a pas fait l’unanimité autour des anciens combattants ; ceux-ci n’ont répondu que tiè-dement à son invitation. On comprendra aussi plus aisément l’effet qu’aura produit notre intrusion dans cette situation délicate. Nous apprendrons amèrement plus tard que ça n’a pas plu.
Dans les jours qui suivent, le communiqué officiel qui pourrait calmer le jeu ne vient pas. La presse est débridée ; les journaux à sensation jouent la provo¬cation et, de jour en jour, pratiquent l’escalade. On ne ménage ni l’image de l’Armée de l’air, ni celle de ses chefs, pas plus que celle de ses pilotes :
– « Rentrés hier à Cazaux, les pilotes sont au secret… »
– « On a vu les pilotes faire la fête la veille de leur départ dans une boîte de nuit à Bordeaux. Le lende-main, ils étaient tellement ivres qu’il a fallu les aider à monter à bord de leurs avions et à s’attacher… »
– « Bien que le rapport officiel se fasse attendre, la perte des six Mystère IV ne semble plus si mystérieuse… Dix-huit millions de francs volatilisés en quelques secondes… »
– « Inexplicable, les appareils étaient équipés de tous les équipements électroniques… »
– « L’affaire des Mystère un scandale ! Un effroyable laisser-aller à l’État-major de l’air. Les vols d’exercice étaient le prétexte à de joyeux week-ends. De Gaulle furieux : on a ridiculisé sa force de frappe !… »
– « Les six pilotes français qui ont abandonné leurs avions au-dessus de l’Espagne sont allés voir une cor¬rida entre deux interrogatoires… »
– « Pompidou annonce que des sanctions vont être prises : les pilotes des Mystère IV étaient fautifs… »
– « Et Pisani voulait leur confier des Boeing !… »
– « A Séville, un colonel enquête sur le mystère de la chute des six Mystère. Les témoins espagnols racon¬tent : “choqués par leur aventure, les pilotes arrivè¬rent à l’hôtel en chantant…” »

Bref, ce fut pour ceux qui étaient parfaitement informés et malheureusement tenus au devoir de réserve, une torture morale, d’autant que les réactions officielles ne semblaient en rien calmer le jeu.
De fait, en cette affaire, on pourrait chercher une motivation à une attitude gouvernementale qui parut, à certains égards, relever du masochisme. Mais la vue des coulisses échappe au spectateur, fut-il aux premières loges. Des rumeurs ont cependant filtré, que rien n’est venu étayer.
D’abord, il importe de se souvenir que l’Armée de l’air en 1966 n’était pas en odeur de sainteté à l’Elysée. Deux des généraux du fameux “quarteron” du Putsch lui appartenaient, et ce n’est qu’à l’intervention in extremis du premier Ministre Pompidou que le Général Jouhaud devait d’avoir été gracié. Bastien-Thiry, l’instigateur de l’attentat du Petit-Clamart était aussi un ingénieur de l’air.
On dit alors…, que lors du premier rapport oral au Président, le terme de Mirage IV fut utilisé au lieu de celui de Mystère IV par un membre non initié du Cabinet ; ce qui modifiait le contexte de l’accident, justifiant l’ire présidentielle. La rectification tardive d’un tel quiproquo laisse toujours des traces.
On dit aussi… mais que ne dit-on pas… que cet événement pouvait en cacher un autre. En effet, à l’occasion du cinquantenaire de la bataille de Verdun, un effort avait été déployé pour réconcilier les anciens combattants – ils étaient encore nombreux – avec le gaullisme. Une campagne de presse avait été organisée dans ce but. Entre autres, durant les quatre précédentes semaines, les effigies du Maréchal Pétain ornèrent la couverture de Paris Match, hebdomadaire le plus vendu en 1966, accompagnant des articles élogieux liés à la fameuse bataille ; pré¬paration psychologique destinée à faire de cet anniversaire un succès.
Hélas, les anciens combattants avaient boudé et certaines associations, encore traumatisées par le procès Pétain s’étaient désistées. 500 000 mani¬festants selon France-Soir (700 000 selon d’autres sources) étaient prévus ce dimanche de Pentecôte ; 25 000 s’étaient réellement présentés aux céré¬monies présidées par le Général De Gaulle.
C’était un “bide” gouvernemental qu’il convenait de dissimuler. Pour donner du grain à moudre aux journaux, l’affaire de Séville, mineure en apparence, aurait été bienvenue… … et ce ne serait pas la première fois que l’apprenti sorcier serait tombé dans son propre panneau.
Il n’en reste pas moins qu’une méfiance s’établit dès lors entre les hautes sphères du pouvoir et l’Armée de l’Air. C’était mal venu au moment où cette dernière supportait en totalité les charges d’une dissuasion nucléai¬re naissante avec la mise en place du système d’armes Mirage IV.
En veut-on une preuve ? Il fut décidé que le message initial d’accident aérien aurait dorénavant le Cabinet du Président de la République comme premier destinataire. Le fait qu’il transitât par la voie directe de la Gendarmerie donnait la primeur au Cabinet. Cette ingérence allait créer des situations désagréables entre le Cabinet, informé très tôt mais incomplète¬ment, et l’Etat-Major de l’air qui faisait confiance aux Grands Commandements spécialisés pour instruire tout accident aérien relevant de leur responsabilité. L’on sait, qu’en matière d’enquête, la sérénité et la rigueur l’emportent sur l’urgence.
On vit bien que cette formule anormale était le privilège d’une équipe ; dès que Pompidou parvint en 1969 à la magistrature suprême, la mesure fut rapportée.
Le deuxième volet de cette affaire qui parut également disproportionné fut celui des sanctions. Certes, ces dernières s’élevèrent à la hauteur du tin¬tamarre médiatique, ce qui tendrait à prouver que nos politiques étaient déjà influencés par l’opinion publique ou ce qui en tenait lieu, l’opinion des médias. Et puisque l’on avait, avant toute enquête, envisagé la responsabi¬lité des échelons du commandement, il convenait que les menaces soient suivies d’effet.
Le Général, commandant les Ecoles, fut relevé de son commandement et ne tarda pas à rejoindre la 2e section. Le Général, sous-chef de l’Etat-major, dont le seul grief d’accusation avait été la signature normale des ordres de mission à l’étranger, vit une brillante carrière prendre là un tour-nant fâcheux.
Le commandant de la base, qui n’en pouvait mais, reçut un avertisse¬ment. Le commandant d’Escadre fut relevé de son commandement. Le commandant d’Escadron fut relevé de son commandement. Sans compter certaines retombées moins visibles, en cascade, aux différents niveaux.
Mais c’est sur le Capitaine G.-N. que les foudres de Jupiter s’abattirent avec le plus de poids. Il pouvait s’attendre, en sus d’une punition discipli¬naire de principe, à une radiation du personnel navigant, la plus grave sanc¬tion jamais encourue pour un pilote. On trouva mieux.
Par décret du Président de la République, contresigné par le Premier Ministre et le Ministre des Armées, le Gouvernement portait mesure de mise en non-activité par retrait d’emploi au Capitaine G.-N. Honneurs suprêmes et redoutables !
C’était confondre faute professionnelle et faute contre l’honneur ou la discipline. C’était traiter le coupable d’une erreur humaine comme un délin¬quant. C’était surtout rejeter sans délai la famille G.-N. dans la vie civile avec le modeste pécule de 700 francs par mois pour faire vivre cinq per-sonnes. Sanction disproportionnée et scandaleuse.
Lors du Congrès de la Chasse qui se déroulait en juin à Cazaux, le nou¬veau commandant de la 8e Escadre en fit part à tous les commandants d’es¬cadre de chasse qui se déclarèrent solidaires pour accorder un secours à la famille G. N
Celle initiative portée à la connaissance d’un “soviet”, trou¬va une solution aussi intelligente qu’efficace ; l’Association des anciens élèves de l’Ecole de l’air prendrait G.-N. à sa charge jusqu’à ce qu’il trouve un job civil, ce qu’il ne tarda pas à faire dans la compagnie aérienne de notre camarade Frayssinet… A toute chose, malheur est bon. L’ingérence des politiques ne pouvait qu’apporter des arguments à ceux qui préconisaient, à l’instar de la vieille institution de la Marine pour ses aléas maritimes, une audience permettant d’instruire et de statuer en matière d’accidents aériens ; objectif difficile à atteindre. Mais dans les années qui suivirent, cela déboucha sur la création du Conseil Permanent de la Sécurité aérienne, organisme placé auprès du chef d’Etat-major, et, à défaut d’un Code aérien, d’un Code des faits pro¬fessionnels qui, dans tous les cas, définissait les sanctions, punitions ou récompenses, lors d’accidents aériens survenus ou évités.
Plus tard, apparaîtrait le SIRPA, à même, en prise sur les médias, d’évi¬ter les contacts directs unités-journalistes souvent délicats et de fournir à ces derniers une “pâtée” consommable, expurgée des erreurs flagrantes dont la presse non spécialisée, est coutumière.
Dans la petite histoire aéronautique des trente dernières années, peu d’accidents aériens eurent la résonance de celui de Séville. Il faudra attendre les accidents civils d’Habsheim et du Mont Sainte-Odile pour retrouver une telle campagne de presse.
Encore que, dans ces deux derniers cas, les conséquences eussent été incomparablement plus graves du fait de nombreuses victimes, ce qui n’était nullement le cas de l’accident de Séville, uniquement militaire et sans conséquence de pertes humaines.
Alors, comment expliquer une telle publicité ? Si l’on ne s’arrête pas à l’hypothèse d’une manœuvre concertée gouvernementale, ne resterait que ce qui relève de notre actuel système médiatique : un état d’esprit favorable au sensationnel, les péripéties ou non-péripéties d’une actualité virevoltan¬te, les humeurs de certains journalistes en mal de scandale et prompts à s’enflammer sur le même thème que leurs confrères, une fois l’information engagée.
Il n’en reste pas moins que, fors l’honneur, la réputation de l’aviation de chasse souffrirait de ce mauvais procès. Peut-être eut-il été préférable, en contre-feu, ainsi que le fit le général espagnol, de mettre l’accent sur les grandeurs et servitudes de la fonction de pilote de chasse, ce qui ne fut fait en France.
Mais l’on sait que l’opinion publique est versatile. La sortie, quelques temps plus tard, du feuilleton télévisé “Les chevaliers du ciel”, qui succom¬bait à la facilité mais eut un franc succès populaire, n’a pas peu contribué à rétablir une atmosphère plus cordiale.
Ce qui permet, avec la philosophie que donne le recul, de faire dire à notre Naïf, “Ah ! quel dommage que Brigitte Bardot n’ait pas convolé, pour la troisième fois, quelques semaines plus tôt, en cette fin mai 1966 ! L’affaire de Séville en eût été étouffée.”
HENRI ROUILLON

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