Un peu en retard pour la célébration du 80ème anniversaire du débarquement, mais cet article écrit par le Généra SIFFRE (le père de la GE) retrace le rôle de la Guerre électronique lors de cette opération.
Comme souvent, il est difficile de quantifier l’efficacité de ces moyens.
Quel est le rapport ave la 11 EC ? La GE (guerre électronique) a été la mission principale de l’EC 2/11 VOSGES qui a notamment vu arriver les premiers équipements (PHIMAT, BOA, BARRACUDA, BOZ, ….) au cours des années 70/80.
Cette photo d’un détecteur acoustique symbolise l’effort humain et technologique des Allemands pour surveiller leurs frontières. Leurs radars étant vulnérables au brouillage, ils conservaient et amélioraient des capteurs moins performants mais insensibles aux actions électroniques.
“Ad augusta per angusta” (On arrive au triomphe qu’en surmontant maintes difficultés,) Si le débarquement de Normandie fut le succès que l’on connaît, c’est sans aucun doute en partie grâce aux actions de guerre électronique menées par les Alliés.
La planification de l’opération Overlord comprenait un volet guerre électronique, parfaitement intégré avec la manœuvre globale. Les buts étaient clairement définis. Il s’agissait tout d’abord d’empêcher l’ennemi d’avoir un préavis d’alerte de l’arrivée de la force de débarquement et un suivi précis de sa progression. Il fallait aussi empêcher les batteries côtières d’effectuer des tirs contrôlés par radar contre la force navale. Ensuite, il s’agissait de soutenir les opérations aériennes par la dégradation et la confusion du dispositif de veille, les interférences avec les fréquences de contrôle de la chasse et la création de menaces de diversion. Enfin, il fallait retarder les mouvements des réserves des forces terrestres de l’ennemi, en donnant l’illusion de la menace d’assauts aériens et maritimes.
La planification débuta en décembre 1943.
Pendant les travaux préparatoires, des efforts considérables furent réalisés par les services de renseignement pour suivre l’ordre de bataille électronique de la défense aérienne et des défenses côtières. Par la fusion du renseignement en provenance de toutes les sources, une exploitation technique et des simulations réalisées sur les côtes de l’Écosse, ils firent également une assez bonne évaluation des capacités du dispositif de défense. Leurs sources de renseignement étaient de trois types : électroniques, « Imagerie » et humaines.
Les sources électroniques (« les écoutes » des communications et des radars) permettaient d’obtenir les caractéristiques techniques des signaux pouvant faire l’objet de mesures de brouillage. À cette époque, les localisations des émetteurs, données par ces sources, n’étaient pas très précises. Les sources « imagerie » étaient constituées par les avions de reconnaissance aérienne, qui identifiaient et localisaient les radars avec une grande précision. Enfin, les sources humaines, Résistance et « espions », donnaient une description parfois très précise des matériels et de leurs localisations.
Destruction et invention
Les actions préparatoires eurent lieu en France et en Grande-Bretagne. Sur le territoire français, il s’agissait de détruire par des bombardements aériens les radars, les réseaux de communications et les stations allemandes d’écoute et de brouillage électronique. Malgré leur caractère intense et systématique (environ 2 000 missions en 10 semaines), ces actions ne devaient pas donner d’indices aux Allemands sur le futur lieu du débarquement. Elles étaient donc généralisées depuis la Bretagne jusqu’à la Belgique. Un certain nombre de stations radar avaient été sélectionnées pour ne pas être détruites et servir de support aux opérations de désinformation de l’ennemi. L’importance de ces actions est à souligner. Les stations radar étaient bien protégées et les pertes alliées furent parfois très élevées. Les Américains estiment que sur les 92 radars identifiés et localisés sur les côtes de France et de Belgique, il n’en restait que 16 opérationnels à la veille du débarquement. Dans la nuit du 1 er au 2 juin 1944, pour la destruction d’une station radar située à proximité de Cherbourg, les équipages français des groupes lourds du Bomber command furent engagés pour la première fois. En Grande-Bretagne, il s’agissait d’un travail secret de développement, de production et de mise au point de matériels et de tactiques de guerre électronique. Les Alliés avaient en effet remarqué que l’efficacité d’un moyen ou d’une tactique GE décroît au fur et à mesure de la répétition de son emploi. Les premières utilisations de moyens et de tactiques étaient donc réservées pour des opérations majeures, et leur autorisation d’emploi était soumise à la décision des plus hautes autorités politiques. On peut citer : le premier emploi de brouilleurs aéroportés par les forces US à l’occasion du débarquement en Sicile dans la nuit du 9 au 10 juillet 1943, les premiers largages de leurres « windows » par le Bomber command pour les missions de bombardement sur Hambourg dans la nuit du 24 au 25 juillet 1943. Ces « windows » étaient dimensionnées pour agir contre les radars des chasseurs de nuit et les radars au sol, de tir et de poursuite. Pour le débarquement, de nouvelles « windows », adaptées aux fréquences des radars de veille, furent utilisées pour la première fois.
Il est probable également que les Alliés étudièrent avec beaucoup d’attention leur échec du 12 février 1942, lorsque le Scharnhorst, le Gneisenau et le Prinz Eugen échappèrent impunément à la Navy et à l’aviation qui attendaient leur passage dans la Manche. Une opération de guerre électronique, montée par les Allemands, avait totalement trompé le dispositif de détection, déployé sur les côtes et dans les airs. Pendant la nuit du débarquement, les Alliés craignaient le brouillage, par les Allemands, du système Eurêka de radionavigation utilisé par les avions de parachutage.
Dans la nuit du 1er au 2 juin 1944, pour la destruction d’une station radar située à proximité de Cherbourg, les équipages français des groupes lourds du Bomber Command furent engagés pour la première fois
Les contraintes à prendre en compte étaient nombreuses et complexes. Il fallait brouiller, leurrer, décevoir et détruire les radars et les réseaux de transmissions. En même temps, les radars, les moyens de radionavigation et les communications alliés devaient être préservés des interférences. Il fallait également ne pas brouiller un certain nombre de transmissions ennemies qui étaient indispensables aux services de renseignement, pour surveiller les réseaux allemands et reconstituer la vision de l’ennemi sur le déroulement de la bataille, ainsi que ses capacités et ses intentions. La coordination entre les actions de guerre électronique et celles de recueil de renseignement fut très complexe à réaliser. L’établissement de l’ordre d’opération des transmissions a dû être un travail de titan. Le volume, la diversité et la concentration des forces armes et ennemies, ainsi que le caractère secret des opérations ont dû poser des problèmes que même les ordinateurs d’aujourd’hui auraient des difficultés à résoudre.
De nombreuses actions
Les actions de brouillage étaient réalisées depuis l’Angleterre, avec des émetteurs de grande puissance, destinés à brouiller principalement les communications allemandes, des bâtiments en mer (brouillage des radars de veille et de conduite de tir, ballons réflecteurs pour simuler une flotte importante près de Fécamp…), et des avions contre les radars et les communications (largage de leurres « windows », manœuvres de déception par le suivi d’itinéraires de navigation spécialement étudiés, brouillage par bruit et déception…)
Ces actions ont souvent été décrites dans la littérature relative à la seconde guerre mondiale. Mais on parle peu de l’efficacité obtenue. Il est certain que, sans parler de la dégradation des écoutes par le brouillage ami, les centaines de brouilleurs et les millions de leurres utilisés ont obligatoirement eu une incidence sur les capacités du dispositif allié. Il y a peu de témoignages dans ce domaine. Dans les sources bibliographiques, on cite le brouillage fratricide du système Gee de radionavigation par les brouilleurs Mandrel.
Radar Seetakt au-dessus d’une casemate dans la région du Cap de la Hague
L’efficacité des mesures de brouillage contre les radars de conduite de tir des batteries côtières, est assez bien démontrée par le fait que sur les milliers de navires de la force, peu furent touchés et un seul bâtiment de combat fut coulé. Dans la zone de l’attaque fictive, des tirs furent observés contre les leurres.
L’effet sur la défense aérienne est plus difficile à estimer. La chasse effectua des missions contre les avions brouilleurs, qui simulaient la protection électronique d’un raid massif de bombardement transitant au-dessus du nord-est de la France. Un avion brouilleur fut abattu. Mais dans la zone des parachutages, là où plus de 1 000 avions et planeurs réalisèrent le débarquement, il n’y eut pas de pertes à cause de la chasse. Ce succès n’est que partiellement le fait de la guerre électronique. En raison des bombardements aériens alliés sur tout le continent, il y avait pénurie d’avions, de carburant, et les bases de déploiement étaient repliées loin des côtes. La Flak fut la principale victime du brouillage.
Sur l’efficacité des actions de guerre électronique contre l’ensemble du dispositif allemand, la lecture des travaux du Col Salles (voir bibliographie) est très instructive. À partir de recherches effectuées dans les archives allemandes, il présente les déploiements et l’organisation des sites de radars. L’analyse des messages échangés dans la nuit montre les limites de la confusion induite au niveau du haut commandement, qui ne savait pas déterminer si le débarquement majeur allait être réalisé au nord ou au sud de la Seine. Par contre, au niveau des responsables de secteurs réellement menacés, la situation était assez clairement suivie. Ainsi, dès 3 h le 6 juin, les stations radars d’Arromanches, La Percée et La Pernelle détectent au radar de nombreux navires faisant route vers la côte. Le nombre de radars détruits et l’efficacité des actions de brouillage étaient certainement inférieurs aux estimations.
Mais l’efficacité globale des actions de guerre électronique dans le succès du débarquement et la réduction des pertes alliées, est indéniable. Même si de bons renseignements étaient à la disposition du commandement allemand, ils étaient noyés parmi d’autres qui étaient faux. Hier comme aujourd’hui, le problème majeur n’est pas d’avoir la bonne information, mais de savoir l’extraire du fouillis des fausses informations. Souvent, l’arrivée d’un bon renseignement dans un ensemble cohérent de mauvais renseignements ne fait qu’ajouter à la confusion.
Pendant les opérations de débarquement en Normandie, comme pendant la guerre 14-18 et la guerre du Golfe, la guerre électronique a joué son rôle de réducteur des forces ennemies et de multiplicateur des forces amies.
Général Siffre
Bibliographie
The history of US electronic warfare (Alfred Price) Association of Old Crows.
Instruments of darkness (Alfred Price) Macdonald and Jane’s – Londres.
Confound and Destroy (Martin Streetly) Macdonald and Jane’s Londres.
La guerre ultra-secrète (1939-45) (R.V.
Jones) Plon (traduction de The most secret war).
Travaux non publiés du Col Salles (conseiller militaire du Mémorial du débarquement – Caen).