LES RACINES DE MON ENGAGEMENT
« Un jour, alors que j’étais écolier à Caen, un pilote est passé pour nous parler de l’armée de l’air. J’avais retenu tout son discours et, dès que j’ai pu, je me suis engagé. »
Je suis né le 29 avril 1934, à Annebault, près de Lisieux dans le Calvados.
Mon père Marcel était fonctionnaire géomètre et ma mère, femme au foyer. J’ai donc connu la guerre et, à 10 ans, j’ai vu le corps décharné d’un allemand qu’on avait laissé dans son char. Ça marque. Comme dans beaucoup de familles françaises, cette occupation avait laissé des traces. Mon grand-père paternel, boulanger du village, avait été dénoncé par un très jeune collabo et, avec d’autres commerçants, il a été fusillé la nuit même du débarquement à la prison de Caen. Ce n’est que quinze ans plus tard, qu’on a retrouvé leurs corps dans un charnier. Ces notions de courage, de liberté et de patrie, je les ai apprises et retenues dès ma première jeunesse.
Les martyrs du 6 juin 1944
De haut en bas et de gauche à droite. Mon grand-père, le maire de Montchamp et deux commerçant parmi les 70 hommes fusillés.
DEVENIR PILOTE DE CHASSE
Mon premier vol
Au mois d’octobre 1952, après mon BAC et un diplôme de mécanicien, j’ai donc voulu être pilote. Bien que j’aie été très bon élève, l’époque d’après-guerre, ne facilitait pas les engagements. J’ai passé le concours aux petites écuries à Versailles, dans des grandes pièces où pendant deux jours, nous étions 1 500 à subir des tas d’examens de calcul mental, littérature et autres tests psychotechniques, le plus difficile. Je me souviens que la visite médicale avait été particulièrement sévère. Sur les 1 500, j’ai fait partie des 35 qu’ils avaient sélectionnés ! Quelques mois plus tard, nous avons a été convoqués à Aulnat, près de Clermont-Ferrand, sur un terrain d’aviation où nous avons réalisé notre formation militaire de base. Nous sommes passés de caporal, caporal-chef puis sergent. A la fin de cette formation militaire nous avons été dirigés soit à Marrakech pour les pilotes de transports, soit au Canada pour les pilotes de chasse. Je parlais un peu anglais et je voulais la chasse ! Comme la France était pauvre en avions, nous avons été répartis, cinq par cinq, dans des aéroclubs en contrats avec l’armée de l’air pour la première phase de formation de 15 heures.
« Mon premier vol, 24 minutes, s’est effectué le 23 juin 1954 sur un STAMP biplan. J’avais ressenti une impression extraordinaire. Se retrouver là-haut ! Cela m’a fait penser à des vacances avec mes parents, au sommet du col d’Aubisque dans les Pyrénées à 1 700 mètres d’altitude. » Mais j’ai bien failli ne pas un mois plus tard, devenir pilote car, le 2 juillet, au bout de 6 heures de vol, nous nous sommes crashés avec mon moniteur, lors d’un exercice de « panne au décollage ». Mon moniteur m’avait encouragé à descendre trop bas et n’a pas hésité à donner un coup sur le manche qui a fait que l’avion a heurté un champ d’épis de blés drus. Nous en sommes sortis indemnes mais l’avion était détruit et le moniteur a été viré. Cela a été une excellente leçon d’humilité et de prudence, pour l’avenir. Je n’ai jamais oublié cette expérience. « Quand on est tout seul dans un avion et qu’on a vingt ans, on se croit le maître du monde ! »
Avec ses six ou sept cadrans donnant les informations principales comme les tours/moteur, l’altitude, une aiguille avec un gyroscope, le STAMP n’était pas impressionnant. Comme il n’y avait qu’un STAMP à l’aéroclub de Caen, après l’accident, j’ai dû me replier sur Grenoble où j’ai fait mon premier lâcher, à savoir, voler seul. C’était le 5 août 1954 : 27 minutes ! Je suis ensuite passé de cet avion rudimentaire à des avions beaucoup plus compliqués avec plusieurs dizaines de cadrans et autres instruments de pilotage. J’ai appris à faire des figures. J’ai poursuivi mon entraînement jusqu’à ce qu’il y ait une place dans les écoles de l’OTAN au CANADA.
En route vers le Canada (1954 — 1956)
J’ai débuté ma formation de pilote militaire au Canada en 1954. Les promotions étaient alors composées de délégations internationales de trente-cinq à quarante pilotes des pays membres de l’OTAN dont dix français. Je portais l’uniforme de l’armée de l’air française. La formation se déroulait alors en trois phases. Ainsi, je suis resté quatre mois dans l’Ontario pour les cours d’aéronautique au sol, neuf mois dans l’Alberta pour voler sur avion à hélices et enfin six mois dans le Manitoba sur avion à réaction. Le premier avion à hélice utilisé avait « une très belle gueule » le CHIPMUNK (écureuil). Après une vingtaine d’heures sur cet avion, nous sommes passés sur le T6 HARVARD que tout le monde connaît dans l’armée de l’air. Un biplace bien plus puissant. Plus tard, en Algérie, je piloterai à nouveau cet avion, cette fois-ci, armé pour la guerre. Puis, c’est sur le T33 « T.BIRD », que j’ai terminé mon cours au CANADA. L’avion à réaction a été une révolution. Sans lui, pas de Boeing ni d’Airbus. Mon premier vol de nuit sur cet avion à réaction s’est déroulé le 28 septembre 1956 et là, je me suis dit que, quand je rentrerai en France, je choisirai la chasse de nuit. La nuit, vous avez l’impression d’être seul au monde avec les étoiles. Et pourtant, j’en ai eu, des frayeurs, lors de ces vols !
PILOTE DE CHASSE
Stage de pilote de chasse au Maroc (1956)
« Un pilote de chasse ? C’est simple, c’est un pilote qui attaque les avions ennemis en combat aérien et qui protège ses troupes au sol, en tirant sur des cibles. C’est exactement ce que je voulais faire. »
Une fois breveté, je suis revenu en France. Je suis d’abord allé voir mes parents. Mon père était étonné car il pensait que je n’y arriverais pas et ma mère ne se rendait pas compte de ce que cela représentait pour moi. Puis je suis parti à Meknès, au nord du Maroc pour faire mon stage de pilote de chasse. Pourquoi j’ai choisi la chasse ? Parce que c’est se battre contre d’autres avions, à armes égales alors que les pilotes de bombardement, eux, ne font que larguer des bombes. J’ai volé pendant trois mois à Meknès, sur un avion anglais qui s’appelait le VAMPIRE. C’était un monoplace avec deux fuselages parallèles. On pouvait le mettre dans toutes les positions, lui faire faire toutes les figures acrobatiques qu’on voulait. Il était maniable et rapide. Il m’a tellement plu que j’ai terminé premier de ma promotion. C’est à partir de ce moment-là que j’ai pensé que j’étais un vrai pilote !
Ma guerre d’Algérie (juin 1957 à juillet 1958 et juin 1961 au 14 juillet 1962)
A mon retour en France, j’espérais être affecté sur une base métropolitaine mais, comme c’était la guerre d’Algérie, j’ai été envoyé dans ce pays sur la base française d’Orléansville (Chlef dans le nord du pays) sur T6, l’avion de mes débuts au Canada. J’y suis resté un an, jusqu’en juin 1958. La France a perdu pas mal d’avions en Algérie. Nous faisions beaucoup de protection de convois. Lorsque nous étions informés de la présence de fellaghas (combattant algérien) cachés au fond d’un oued, nous les délogions avec nos mitrailleuses et en utilisant des roquettes. Je faisais partie de l’armée de l’air et mon escadrille était parrainée par la base aérienne de Tours (30ème escadre de chasse de nuit). Après le confort du Canada, c’était spartiate ! On couchait sous la tente, sur des lits picot et il n’y avait pas d’eau courante. Je m’étais fait un ami, le capitaine Louchtchenko. Il sortait de polytechnique. Trois semaines après son arrivée, il s’est fait descendre avec ses mécaniciens. Les fellaghas leur avaient volé leurs chaussures, leurs montres et leurs armes. J’avais 23 ans et aujourd’hui, je m’en souviens encore comme si c’était hier. J’ai donné l’alerte et un hélicoptère est venu se poser pour ramener leurs corps à la base.
A ma connaissance, je suis l’un des seuls pilotes, et peut-être le seul, qui a demandé à passer huit jours avec les troupes au sol. J’ai crapahuté avec eux et ce n’était pas drôle. On marchait les uns après les autres, pour mener une embuscade. Alors que je participais à des opérations avec eux, je voyais les pilotes au-dessus et j’ai mieux compris combien l’aviation était nécessaire et combien de gars, nous avons pu sauver. Le plus difficile, c’était de trouver les endroits escarpés où se trouvaient les fellaghas. Nous avons fait des exercices en vol, où nous tirions devant les a troupes au sol, à 15 mètres, pour leur donner confiance en nous. La balle partait à 800 mètres/seconde et les étuis éjectés tombaient sur leurs dos. J’ai été touché quatre fois : une fois, dans un piqué, cela m’a couté un câble de commande du compensateur de profondeur et il s’en est fallu de peu que je percute une colline. Une deuxième fois, l’avion avait pris trois balles, dont une dans un circuit hydraulique, mais j’ai pu rentrer. La troisième fois, la balle a touché l’aile gauche pour se loger dans le montant du siège en aluminium, à 5 cm de mon rein gauche. La quatrième, c’était de face ; on pouvait voir la balle dans le capotage, qui est passée entre deux cylindres pour s’arrêter près de mon pied gauche (photo infra).
En Algérie, après avoir obtenu quatre citations, j’ai été décoré de la croix de la valeur militaire.
Retour en Métropole sur Vautour (1958 — 1961)
En juillet 1958, je suis revenu à ma base d’affectation : la 30ème escadre de chasse de nuit de Tours. J’attendais avec impatience que les VAUTOUR sortent des usines de Saint Nazaire. J’ai d’abord volé sur METEOR, biréacteur anglais. Puis j’ai été détaché à Cambrai sur MYSTERE IV, construit par Dassault. En piqué, il pouvait atteindre le Mach 1.3. Quand je suis revenu à Tours, j’ai enfin pu voler sur VAUTOUR (1959). Un avion formidable pour l’époque car il avait une autonomie de 3 heures, ce qui était rare pour un avion à réaction. Il pouvait monter jusqu’à 50 000 pieds (16 000 mètres). Il était assez bruyant mais quand-même moins que le Rafale aujourd’hui. Cet avion avait une puissance que je n’avais jamais eue dans mes avions précédents : chaque réacteur développait l’équivalent de 3 500 chevaux. Je disposais d’un radariste pour la chasse de nuit. En 1959, à 25 ans, j’ai obtenu ma licence de chef de bord, l’équivalent de sous-chef de patrouille dans la chasse de jour. J’ai effectué mon premier vol de nuit sur VAUTOUR en octobre 1959. Un premier vol dont je me souviens très bien car je n’ai pas pu atterrir à Tours, comme prévu, mais à Creil. La piste de Tours avait été endommagée par un accident au décollage d’un SMB2.
Mais moi, du moment que j’étais en vol et de nuit, j’étais heureux.
Gardien du ciel en VAUTOUR
« Pendant que les autres escadres dormaient, nous, on veillait. Aujourd’hui encore, des avions russes passent à la pointe de Brest pour photographier nos sous-marins. La nuit, les avions français les interceptent ; c’est comme ça qu’on le sait. »
Lors de cette époque, l’activité habituelle dans l’escadron consistait à s’entrainer à l’interception de jour et de nuit sur un avion hostile sous le contrôle d’un radar au sol (nom de code RAKI). La mission d’entrainement s’exécutait à deux appareils. Après un décollage et une montée sur la zone en patrouille, nous nous séparions sous les ordres de RAKI. Nous nous séparions alors d’une trentaine de nautiques (50 km environ). L’un des deux avions simulaient l’intrus ennemi pendant que l’autre simulait l’intercepteur. Une fois séparé, mon radariste me ramenait vers un point situé à 2500m à l’arrière de l’intrus. Le pilote prenait alors la finale de l’interception à son compte à partir de son propre écran radar et venait se positionner, à l’aide de l’écho radar en position de tir aux canons. Pour mieux comprendre, je vais présenter un cas réel d’interception d’un intrus en Algérie. Le FLN se faisait alors ravitailler en armes par un tas de monde, passant notamment par le Maroc. Un jour, des bateaux français avaient repéré un avion DC4 suspect, parti de Suède vers Oujda, au nord-est du Maroc, avec une escale à Nice. Un de mes amis, pilote de Vautour, a décollé de nuit d’Oran où il était en alerte pour intercepter ces avions.
Comment a t’il réalisé cette interception ?
Après son décollage, mon ami a contacté l’intrus sur la fréquence internationale de garde 119,7 (fréquence veillée obligatoirement par tout aéronef) en demandant de le suivre. En réponse, l’appareil a réduit sa vitesse de manière à gêner l’interception du Vautour, puis il a piqué vers la côte espagnole pour essayer d’échapper au radar du Vautour et fuir. Il s’est placé en arrière et en dessous de l’intrus. Après l’en avoir informé, il a tiré une rafale de semonce d’obus explosifs devant l’appareil, sans le toucher. Le message était clair : prochaine rafale, c’est pour vous ! ». L’avion a alors obtempéré et s’est posé sur le terrain de ORAN, escorté par mon ami. Cinq tonnes d’armes ont été récupéré et là encore, nous avons eu la confirmation que les Américains approvisionnaient le FLN en armes. En temps de paix l’Armée de l’air assure toujours une alerte permanente pour, par exemple, intercepter les avions de ligne lorsqu’ils dévient de leur couloir aérien ou des appareils en détresse. On se souvient très bien de la violente détonation qui a été ressentie le 30 septembre dernier, avant midi, à Paris et dans ses environs, et qui a suscité l’angoisse et l’interrogation de nombreux Parisiens. Il s’agissait simplement d’un RAFALE qui avait franchi le mur du son en interceptant, pour lui porter secours, un avion en difficulté dans notre espace aérien. Le tournoi de tennis de Roland Garros a dû s’arrêter quelques instants. « Pour un pilote, passer le mur du son, c’est d’une grande banalité ! De l’intérieur, on n’entend rien ! Mais à l’extérieur, ce n’est pas la même chose. Sur le VAUTOUR, par exemple, il y avait des parties de l’avion qui étaient déjà en supersonique alors que d’autres ne l’étaient pas encore. »
Nous effectuions également des missions de reconnaissance, notamment sur le territoire algérien. Voici un exemple réel :
– 1er février 1960 : mise en place à Oran depuis Tours (vol à 14 000 mètres d’altitude)
– 2 février 1960. Première mission : décollage de Oran et navigation à 100 mètres d’altitude (!) vers Tiaret (au centre de l’Algérie), Mecheria (au nord-ouest) et atterrissage à Colomb Bechar (près de la frontière marocaine) – 1 heure 15 de vol. Deuxième mission : décollage de Colomb Bechar vers Hassi Messaoud (au sud), Touggourt, puis atterrissage Telerghma, -1 heure 50 de vol.
– 3 février : retour vers Tours : 1 heure 15 de vol en haute altitude.
Ma valise était toujours prête !
C’est en 1960 que ma fille Patricia est née. J’étais si heureux d’avoir une fille ! Aujourd’hui elle est professeure de français à l’alliance française dans l’Arizona, après l’avoir été à Philadelphie. Par mon métier, je n’ai pas toujours été un père très présent, je le reconnais. Ce fut une année à la fois de bonheur et de chamboulements car la base de Tours était en plein déménagement sur Reims. En 1960, j’ai fait une campagne de tirs au camp de Ruchard, dans l’Indre et Loire.
« Le Vautour disposait de quatre canons de 30mm. Chaque obus pesait 820 grammes Lancé à 800 mètres par seconde, un seul suffisait à détruire un avion ou un véhicule. Avec une cadence de tir de 1 200 coups minute, c’était 4 800 obus qui étaient propulsés par minute, soit 80 obus à chaque seconde… Quelle puissance de feu En combat aérien, sur le VAUTOUR, le pilote appuyait sur la détente avant de voir l’avion ennemi. Il était guidé par son navigateur qui transférait les paramètres de tir à partir de 2500 m. A courte distance, quand le point de l’avion arrivait au centre du réticule de l’écran radar du pilote, les obus partaient automatiquement. Toujours en 1960, j’ai eu le plaisir et l’honneur de participer, avec six VAUTOUR, aux fêtes de l’indépendance de MADAGASCAR à TANANARIVE. Les seuls trajets étaient une aventure à eux seuls
– 24 mars 1960 : départ de Tour ;
– 25 mars : Tours — Reggan (2h50 de vol), coucher sur un matelas, plein de sable (peut-être contaminé car la première explosion nucléaire française avait eu lieu le mois précédent, février 1960, à proximité de la base de Reggan !)
– 26 mars : Reggan – Fort-Lamy, devenue Ndjamena (2h55 de vol)
– 27 mars : Fort-Lamy–Brazzaville (2H20 de vol), puis 24h de tourisme qui me permettent de traverser le fleuve Congo (4km der large) et de visiter Léopoldville la capitale du Congo belge, qui deviendra Kinshasa. J’ignorais alors, bien sûr que neuf ans plus tard je serai pilote à Air Congo qui deviendra Air Zaïre sous le règne du Président Mobutu
– 28 mars : Brazzaville-Kamina (1 h35 de vol). Nous sommes au Katanga, province minière du Congo, où les pilotes belges nous accueillent chaleureusement (mal la tête ! )
– 29 mars : Kamina-Salisbury (1 h40 de vol). Capitale de la Rhodésie, devenue Zimbambwé
– 30 mars : Salisbury-Tananarive (2h20 de vol), où nous séjournerons une semaine ; presque des vacances à l’exception d’un vol-défilé à 8 vautours le jour de l’indépendance, le 3 avril. En effet, quatre vautours B venus de Cognac nous avaient rejoints deux jours plus tôt. C’est là que j’ai connu mon ami, Jean-Marie TABLEAU qui se trouve être, aujourd’hui en janvier 2021, l’un deux porte-drapeaux du secteur 710 Guyenne de I’ANORAA !
Le retour, selon le trajet inverse, fût aussi agréable que l’aller et le 16 avril 1960 nous avions réintégré notre base de Tours. L’assistance technique pour cette mission était assurée par deux Nord Atlas, l’un précédent les avions de chasse et l’autre suivant les avions en convoyage. A la fin de cette année, j’ai été désigné chasseur de nuit pour un deuxième séjour en Algérie.
Deuxième détachement en Algérie (1961-1962)
J’ai effectué un deuxième séjour en Algérie de juin 1961 au 14 juillet 1962 et à la suite des accords d’Evian les avions n’étaient plus armés et nous n’effectuions que des missions de reconnaissance, même si la guerre était finie. Nos missions consistaient à détecter les passages de convois ennemis provenant du Maroc et de la Tunisie, via les barrages et les frontières. Une fois détectés, j’en informais les forces au sol qui effectuaient une interception. Le 14 juillet 1962, je suis rentré en métropole en DASSAULT 315. Le vol a duré 6h30 de Bône (Algérie) via Ajaccio, Orange pour atterrir à Reims.
Le Neu-Neu à Orange (1962 — 1965)
De retour en France, j’ai été affecté au fameux escadron Normandie-Niemen 2/30 de la 30ème escadre de chasse basée à Orange. C’est là que je suis passé chef de patrouille, c’est à-dire leader de plus de deux avions. C’est à Orange que j’ai commencé à participer à des manœuvres internationales. Par exemple, une des missions d’entrainement consistait à attaquer et détruire fictivement des bateaux sur le Rhin, au nord de Colmar. Les tirs étaient fictifs, bien-sûr… Je ne ramenais que les films de la tête de visée qui permettait de s’assurer de la qualité de la passe de tir ! Autre exemple de mission : détruire une entrée de tunnel dans le Massif Central (et Dieu sait s’il y en a, et des bien cachées !). Voici ce qu’on pouvait entendre à la radio à a l’approche de l’objectif : « Objectif dans 15 Kilomètres… armement vérifié …. Objectif dans une minute ! Objectif dans nos 10 heures… Objectif à 50 m à droite du petit pont sur la rivière est/ouest… » Je cabrais, puis piquais, suivi de deux ou trois avions, les uns derrière les autres. « A l’époque, il y avait 3 000 pilotes et aujourd’hui, 900 ! Il faut dire que, de nos jours, les avions disposent d’un plus grand pouvoir de destruction. »
Escadron 1/92 Bourgogne Bordeaux (1965 — 1969)
En 1965, j’ai été affecté sur la base de Bordeaux à l’escadrons 1/92 Bourgogne équipé de VAUTOUR B, bombardier biplace avec un navigateur installé à l’avant dans le nez vitré. L’avion avait un rayon d’action de 1 200 kilomètres. J’étais moniteur de ravitaillement en vol au profit des équipages de Mirage IV, l’avion qui assurait la mission de dissuasion nucléaire françaises et emportait la bombe atomique. J’obtiens mon diplôme d’aptitude aux fonctions de commandant d’avion le 1 er mai 1956.
Le ravitaillement en vol nécessite un avion ravitailleur, un Boeing KC 135 à mon époque, équipé d’un « boom » (perche rétractable manipulée par un opérateur couché à l’arrière du Boeing) avec à son extrémité un « panier » dans lequel l’avion ravitaillé devait introduire un « gland », constituant l’extrémité d’une perche creuse permettant au kérozène de couler vers le réservoir. L’exercice nécessitait un point de rendez-vous à 10 000 m d’altitude entre le ravitailleur et le ou les avions à ravitailler. Quand le pilote apercevait le BOEING ravitailleur (ce qui n’était pas toujours facile en fonction des conditions météorologiques), il annonçait « Contact visuel ». L’opérateur autorisait alors le rapprochement, puis le ravitaillement qu’il surveillait. Le premier ravitaillement a eu lieu en 1927, par gravité, à partir d’une cuve et d’un tuyau libre. Entre 1966 et 1968, toujours depuis Bordeaux j’ai effectué quelques missions particulières, notamment :
– couvertures photos « mapping » de DAKAR, ABIDJAN et FORT LAMY ». Ces photos ornaient les bureaux des présidents et tous les bâtiments officiels de ces pays.
– en Algérie, à nouveau, pour une mission photos afin de repérer des avions MIG livrés par les soviétiques ,
– en 1967, j’ai aussi servi d’interprète sur le porte-avions américain SARATOGA, pour l’amiral, commandant la 6ème flotte, pendant des manœuvres franco-américaines au sud de Malte. C’est le catapultage qui m’avait le plus impressionné,
– en 1967 également, suite à un essai nucléaire chinois, j’ai effectué une mission spéciale de récupération des poussières radio actives au sud de MALTE en vue de leur analyse par le commissariat à l’énergie atomique.
Le 08 février 1967 : une journée normale de travail
Ce jour-là, je suis réveillé à 6h00 du matin par un caporal qui vient me chercher à mon domicile en me disant : « il faut venir tout de suite ». A peine le temps d’enfiler ma tenue de vol et me voilà à l’escadron où c’est l’effervescence. Le tableau d’ordres m’indique un vol aller-retour vers HAMMAGUIF (Algérie) avec le Slt Hemmerlin, mon navigateur. Le commandant d’escadrille me précise notre mission : ce jour, à 09h30, la fusée Diamant 1 doit décoller du polygone de tir de Colomb-Béchar en Algérie. Le Général de Gaulle, qui couvait tout particulièrement le programme spatial français, avait décidé (probablement fort tardivement !) de faire diffuser les images du décollage de la fusée aux informations de 13h00 sur une des deux chaines, en noir et blanc, de l’ORTF, la télévision de l’époque. Nous étions alors bien loin des transmissions en direct ! Il fallait donc récupérer sur place les articles, photos et film du décollage et les ramener le plus rapidement possible à Brétigny ou un jeune journaliste, nommé François de Closet devait m’attendre au pied de l’avion pour récupérer les documents et les bobines de films et les ramener, encadré de motards sirènes hurlantes, à Cognacq Jay. Le décollage de la fusée était prévu à 09h30, heure locale. La durée du vol Bordeaux Hammaguir et Hammaguir-Brétigny était d’environ 02h30. Ça passait, mais ça passait juste… Et il ne fallait pas décevoir LE GENERAL !
Après une préparation de mission des plus succinctes, nous décollons de nuit sur le Vautour 627. L’atterrissage à Hammaguir (40 km au sud de Colomb-Béchar) se fait après un vol sans histoire de 2h20. Dès l’atterrissage nous montons à la tour de contrôle et assistons juste au décollage de la fusée. Pendant ce temps, nos mécanos s’activent à refaire le plein des 10 200l (!) de l’avion. Dès le départ de la fusée nous nous précipitons à l’avion, nous nous « rebrêlons » et nous nous tenons prêt à décoller. Après une vingtaine de minutes d’attente, les journalistes amènent articles, photos et films que le navigateur entasse dans un sac qu’il place entre ses jambes ! Le décollage est immédiat via ORAN, le cap Béar (le survol de l’Espagne était alors interdit bien que celle-ci fasse partie de l’OTAN), Clermont Ferrand et Brétigny. A partir de Clermont Ferrand, nous avons été mis en liaison directe avec François de Closet qui nous a interrogé sur le décollage de la fusée, les conditions météorologiques, la vitesse, l’altitude. L’interview se termina après s’être donné rendez-vous sur la piste d’atterrissage. A peine posé à Brétigny, à 12h30, nous apercevons François de Closet arriver à l’avion escorté de 2 motards. Il monte à l’échelle, récupère le précieux sac après nous avoir bombardé de « Bonjour Commandant », « Merci commandant » J’étais alors lieutenant ; ce qui nous vaudra le lendemain de payer un pot à toute l’escadrille qui n’avait rien manqué à la télévision de l’escadron). A 13h30, nous sommes au mess où nous voyons le décollage de la fusée, en différé, sans suspens quant à la réussite du tir. Nous redécollons vers Mérignac où nous arriverons à temps pour prendre le bus qui nous ramène à la maison comme si de rien n’était, vers 17h30.
Détachement au pacifique HAO (1968)
Dans le prolongement, en 1968, j’ai été détaché au Pacifique, pour sept mois, sur l’atoll de HAO. Ma mission consistait alors à récupérer des poussières radioactives provenant des essais nucléaires français dans des filtres spéciaux. Le vol se déroulait une heure trente après l’explosion et nécessitait de traverser le nuage radioactif. Les poussières étaient ensuite récupérées pour être analysées par les ingénieurs du commissariat à l’énergie atomique. Durant ces sept mois quatre essais ont eu lieu : trois bombes A (fission de l’atome) et une bombe H (fusion de l’atome). Mes quatre missions de tir missile sur une nuage radioactif lors des explosions atomiques de CAPELLA et POLLUX et des explosions thermonucléaires de CANOPUS et de PROCYON m’ont valu un témoignage de satisfaction à l’ordre des éléments air du C.E.P.
En 1968, j’ai été promu Chevalier de la légion d’honneur et décoré à bord du porte-avion Clémenceau par l’amiral commandant au Pacifique
A l’issue de cette campagne, fin 1968, j’ai rejoint l’escadron de Bombardement 1/92. A la fin de mon contrat, en mars 1969, j’ai quitté l’Armée de l’air avec le grade de Capitaine. Lors de mes 15 années de pilote j’ai effectué 3600 heures de vol, 389 missions de guerre N° 2 dont 75 de nuit. Grâce aux contacts noués auprès du Colonel DAUCHIER, commercial chez SUD AVIATION, lors du salon de l’aéronautique du Bourget en 1967, où j’avais été désigné comme interprète auprès de la délégation chilienne venue acquérir dix hélicoptères Alouette III, j’avais pu entrer en contact avec les opérations de la compagnie AIR ZAÏRE. Cette compagnie m’a embauché en octobre 1969 à l’issue d’un test en vol parfaitement réussi « Une fois ! » aux dires du chef pilote belge.
PILOTE DE LIGNE A AIR CONGO puis AIR ZAIRE II (1969 – 1978)
La Compagnie AIR CONGO deviendra AIR ZAÏRE en 1971 lorsque le Président MOBUTU débaptisera le CONGO pour l’appeler ZAIRE. La Compagnie comptait une centaine de pilotes de 19 nationalités différentes. Elle disposait de deux DC 10, trois DC8, deux CARAVELLES, sept DC4 et sept FOKKER F27. La compagnie avait des lignes régulières internationales. Tous les vols partaient de KINSHASA, la capitale du pays, aujourd’hui la RDC (République Démocratique du Congo), et se terminaient systématiquement à BRUXELLES après escale dans une capitale ou une grande ville européenne différente chaque jour de la semaine (Madrid, Paris, Rome, Zurich, Francfort). Elle assurait également des vols interafricains vers les capitales d’Afrique centrale (d’Abidjan à Nairobi et de la Zambie au Tchad). Certains de ces déplacements duraient jusqu’à 7 jours avec en moyenne 7 escales par jour (jusqu’à 11 escales !).
Ma valise était toujours prête !
Dans un premier temps, j’ai effectué 1500 heures de vol comme co-pilote sur l’appareil Fokker F27 avant d’obtenir, en 1970, ma licence suprême de commandant de bord à Forth Worth (Texas). J’ai été commandant de bord sur Fokker F27 puis sur DC4 où j’assurais également les fonctions de « chef pilote instructeur et examinateur » au profit de 21 pilotes et 7 aéronefs.
Missions spéciales : à la demande de la compagnie, j’ai effectué quelques missions en ANGOLA, alors en pleine guerre civile, où je livrais du fuel (avec tous les risques inhérents !) et des vivres à la population. Je volais alors au ras des baobabs pour me protéger des tirs de roquettes ou de missiles russes SAM 7 et me posais sur des terrains sommairement aménagés… Dans cet environnement complexe, mon expérience militaire m’a conduit aussi naturellement à recueillir du renseignement.
Avec un équipage AIR ZAIRE.
Avec Haroun TAZIEFF
Entre Haroun TAZIEFF et son épouse
C’est dans ce pays que j’ai rencontré le célèbre volcanologue, Haroun TAZIEFF. Grâce à lui, j’ai vécu des moments inoubliables comme pénétrer à l’intérieur du volcan Nyiragongo (Zaïre). Nous étions à 150 mètres au-dessous de la crête à 3 5000 mètres, avec les odeurs de soufre… Cela faisait le bruit de trois Boeing au décollage. J’ai gardé des contacts avec lui jusqu’à la fin de sa vie. Ces huit années à Air Zaïre furent pleines et passionnantes. Quand j’ai quitté la compagnie en 1978, j’ai repris la vie civile en France. J’avais 44 ans. J’ai alors acheté un hôtel bureau à MEGEVE à proximité de l’aéroclub où j’ai passé ma licence de pilote de montagne. Ma vie active d’aviateur s’est terminée en 1980 lorsque j’ai quitté pour raison familiale cette magnifique région et rejoint les Landes. La camaraderie a toujours été très importante pour moi. Dans l’armée de l’air, je me suis fait des amis indéfectibles. Dans l’air, on ne triche pas.
LA RESERVE – ASSOCIATIONS ET PORTE DRAPEAUX.
Au CAPIR de Bordeaux
Je profitais des récupérations compagnie (10 jours par mois) pour participer aux activités du CAPIR de Bordeaux et à celles de la SAT (Section Aérienne du Territoire), seule unité aérienne de réserviste à l’époque et j’en profitais pour m’envoyer en l’air.
Au CAPIR de Cazaux
Quelques années plus tard, quand je suis arrivé à Mios, j’ai contacté la base de Cazaux où, pendant neuf ans, j’ai effectué trois contrats, de trois ans chacun, en tant que collaborateur bénévole du service public (CBSP) : j’entrainais les futurs réservistes que j’accompagnais chaque année sur différentes bases aériennes lors de compétitions internationales, telles que « Air Raids » (Nancy, Cognac, Drachenbronn, Cazaux) avec des participations polonaises, canadiennes, allemandes, suisses, belges. A chaque fois, c’était moi qui étais le moins jeune !
2006 A l’entrainement des futurs réservistes de l’armée de l’air.
Porte-drapeaux
Je porte le drapeau depuis 55 ans ; la première fois en 1965, celui de la BA106 de Mérignac. En 1966, j’ai eu l’honneur de le porter sur le quai Louis XVIII à l’occasion du défilé du 14 juillet à Bordeaux. Après ma période militaire, je porte régulièrement le drapeau de I’ANORAA (Association Nationale des Officiers de réserve de l’Armée de l’Air), j’ai également porté régulièrement celui de Rhin et Danube, de la Société des Membres de la Légion d’Honneur (SMLH) et exceptionnellement le drapeau de la Légion étrangère de Parentis et celui de I’UNC (Union Nationale des combattants).
Porter le drapeau tricolore est pour moi une grande fierté.
Les associations
J’appartiens à un nombre certain d’associations : l’association des croix de guerre de Cestas et des Graves, l’association Union Nationale de Combattants (UNC) Arcachon, l’association Rhin et Danube (Arcachon), la Société des Membres de la Légion d’Honneur (SMLH) Arcachon, les associations de la Légion Etrangère de Parentis et de Bordeaux, l’association de la Légion d’Honneur décoré au péril de leur vie (DPLV) de Bordeaux et de la meilleure : l’association des officiers de réserve de l’armée de l’air et de l’espace (ANORAAE).
Opération “Rêves de gosse 2012” avec mon ami Jean Pierre ZAMMIT et des combinaisons rouges de l’organisation locale « Band ‘a Goss »
J’aime bien être avec des enfants et leur faire partager ma passion du pilotage et du monde aéronautique, en général.
Avec le colonel Sylvain BARET, président du secteur 710 Guyenne de I’ANORAA
Aujourd’hui, ma vie me semble paisible. Avec ma femme, nous avons une vie tranquille et je ne m’ennuie jamais. J’adore me promener avec mon chien car j’aime beaucoup les animaux, en général. J’ai été pilote de chasse pendant une époque palpitante. J’ai aimé tous les avions que j’ai pilotés, même si le VAUTOUR a été « mon avion », et j’ai eu aussi l’opportunité de beaucoup voyager, ce qui m’a permis de rencontrer des gens fabuleux, de toutes nationalités. L’aviation a été une grande chance dans ma vie et je suis certain que les jeunes pilotes français et étrangers d’aujourd’hui, partagent le même sentiment que moi.
« Voler me fait toujours autant rêver. Mon rêve serait de voler sur AIRBUS A 400. Moi, je me tiens prêt !»