SYSTEME “D” pour ravitaillement de nuit

               Les premières interventions en Afrique, ont mis en évidence le besoin de pouvoir ravitailler de nuit, capacité dont le Jaguar n’était pas doté à l’origine. Obtenir cette modification par la voie normale de la filière programme aurait demandé beaucoup (trop) de temps ;  comme elle ne semblait pas compliquée à réaliser et qu’elle ne touchait pas à une partie sensible de l’avion (commande de vol, modification structure ou moteur,..), la 11 EC décida de résoudre le problème en local en faisant fonctionner le système “D” et confia la tâche à l’ADC Grafiadis, adjoint technique à la sécurité des vols, interviewé ici par “Air Actualités”.

                NB : si Grafiadis lit cet article, il pourra peut être compléter l’histoire en nous racontant les débuts plutôt hésitants qui ont vu l’utilisation d’une ventouse à déboucher les WC et les premiers essais déformer le plexi glace de la verrière… Mais force est de reconnaitre que l’affaire fut rapidement menée, les résultats furent  au rendez-vous et qu’elle donna certainement les idées de concevoir aussi en local, le lance leurre de queue et le puits de navigation. 

                                                             

   40 WATTS POUR RÉUSSIR UN RAVITAILLEMENT EN VOL DE NUIT

            Toul. 11ème Escadre de chasse. Raymond Grafiadis, adjoint technique à l’officier de sécurité des vols, est un mécanicien, spécialisé dans l’équipement électronique. Plus il avance dans sa carrière, moins il semble prisonnier des chaînes paralysantes de la routine. Preuve en est sa toute dernière invention, «une bricole somme toute », me confie-t-il, après m’avoir subrepticement demandé pourquoi Air Actualités avait estimé bon d’envoyer un reporter de Paris (du Ministère !) sur les terres glacées d’une Lorraine noyée en plein brouillard ce jour-là. Pour une bricole ! Il n’empêche qu’avant le travail original de l’adjudant-chef Grafiadis, le Jaguar ne pouvait effectuer de ravitaillement en vol de nuit — Rien que ça…

          Une opération de ravitaillement en vol se déroule à vue. S’aidant de repères, l’opérateur du C 135 F ravitailleur indique par radio au pilote de l’avion à ravitailler les manoeuvres à accomplir, au fur et à mesure de l’approche. Ainsi, par exemple, tant que la perche d’un Jaguar ne vient pas soigneusement se verrouiller au fond du panier flottant au bout d’un flexible. accroché au C 135 F, le précieux carburant ne peut évidemment pas passer. En vol, comme sur la route, on ne fait pas forcément le plein ; c’est au pilote du Jaguar à décider de la quantité de pétrole dont il estime avoir besoin. Sans être difficile, la procédure de ravitaillement n’en demeure pas moins délicate et l’absence de luminosité la rend impossible. Aussi, le Jaguar ne pouvait-il pas envisager une intervenlion crépusculaire si un ravitaillement s’avérait indispensable avant le retour sur une base éloignée.

         Il est superflu de préciser davantage les inconvénients résultant d’une telle carence, qui pouvait profiter à un adversaire quelque peu astucieux. Il suffisait à celui-ci d’opérer à la nuit tombante en toute quiétude et de s’échapper sans le souci « dissuasif » d’être poursuivi bien longtemps…

         Et dans tous les cas, « pour faire planer la menace d’une intervention à tout instant, précise le lieutenant colonel Pissochet, commandant la 11ème Escadre de Chasse, il nous fallait être capables d’effectuer une rejointe de jour comme de nuit. Et l’adjudant-chef Grafiadis d’esquisser un sourire malicieux, sentant venir l’instant où j’allais porter mon regard sur une innocente ampoule de 40 watts…

« MEHR LICHT »

          Il fallait agir vite. Aussi fut-il demandé à la FATAC de faire étudier par les services spécialisés un phare de ravitaillement de nuit. Parallèlement, les services techniques de la 11ème Escadre s’étaient mis à l’oeuvre dès la fin janvier 1978. Si bien que dès le 8 février l’entreprise était officiellement lancée. L’adjudant-chef Grafiadis, de par ses bonnes connaissances en équipement de bord et en électricité, disposant du temps nécessaire et ayant un accès aisé à tous les autres moyens de l’escadre fut pressenti comme le personnage idoine. Les recherches aboutirent-elles rapidement ? ADC Grafiadis : Un soir, j’ai surpris le colonel Pissochet alors qu ‘il était plongé dans son courrier. Je crois, lui dis-je, avoir trouvé quelque chose qui va bien !… J’ai installé un phare le long de l’habitacle près du pare-brise avant droit à l’intérieur de la cabine ; si vous voulez venir voir, l’avion est dans le hangar.

            Air Actualités : Je suppose qu’à cet instant précis, si le Patron avait téléphoné, le lieutenant-colonel Pissochet aurait rétorqué qu’il était occupé !

           ADC Grafiadis : Peut-être !.. Le colonel s ‘est assis à la place du pilote et a allumé le phare… Ce fut une vive exclamation, toute à la mesure de son contentement !

            Air Actualités : Comment se présente-t-il ce phare ?

           ADC Grafiadis : Très simplement. II s’agit d’une lampe de 40 w à réflecteur interne équipant normalement les feux de navigation d’aile du Jaguar. Cela éclaire assez pour avoir dans le champ visuel la perche de ravitaillement et tout l’ensemble se trouvant à l’arrière du C 135 F.

          Air Actualités : Quelle est la portée de cet éclairage ?

          ADC Grafiadis : 30 à 40 mètres. Précisons qu ‘il existe aussi une lampe de secours de 24 W à réflecteur interne. L ‘ensemble du mécanisme est mis en action par un dispositif de commande à trois positions : éclairage brillant, normal, et éclairage de secours de la deuxième ampoule. Ce dispositif se trouve sur la gauche du pilote.

          Air Actualités : Vous parlez d’éclairage « brillant ». Cela ne risque-t-il pas d’éblouir l’opérateur se trouvant dans l’avion ravitailleur ?

         ADC Grafiadis : Regardez cette ampoule au plafond. Elle fait 60 watts. Vous aveugle-t-elle ? Non, c’est un faux problème. En revanche, le phare se situant à l’intérieur de la cabine, un halo gênant peut apparaître. Aussi avons-nous créé une sorte de parabole antireflets fixée sur la casquette au-dessus du phare qui masque presque totalement le halo.

          Air Actualités : Mais était-il vraiment si délicat d’imaginer un phare de ravitaillement ?

          ADC Grafiadis : D’imaginer le phare, non. Mais de trouver l’emplacement de ce dernier, oui. Sur le Mirage F 1, le système d’éclairage pour le ravitaillement de nuit était prévu dès la conception de l’avion. En revanche, rien de tel pour le Jaguar. Il importait donc de trouver une place à l’intérieur de l’habitacle et, surtout, sans toucher à la cellule. Voilà la difficulté.

VOLS DE NUIT

       Air Actualités : Comment se sont déroulés les premiers essais du phare en vol ?

      ADC Grafiadis : Il y eut d’abord des vols destinés à juger l’efficacité du phare sur un Jaguar en vol. Quelques améliorations techniques furent dès lors apportées : position de commande du dispositif lumineux placée sur la gauche et non plus sur la droite ; la fameuse parabole sur la casquette pour supprimer le halo…

       Air Actualités : Et le premier vol officiel ?

      ADC Grafiadis : Un monoplace et un biplace prirent l’air pour Istres. Cette fois, il y eut des ravitaillements : six contacts par avion dont quatre de nuit avec deux prises de pétrole. Si les deux Jaguar étaient capables de prendre du carburant par nuit noire puis de s’en retourner sur Toul l’affaire était gagnée ! C’est ce qui se passa.

       Air Actualités : Il ne suffisait donc plus qu’à équiper la flotte tout entière ?

      ADC Grafiadis : Oui. Après vérification de deux avions test, au C.E. V. de Brétigny, un projet d’instruction technique fut établi, devant aboutir à la modification des Jagur. Du reste, mon système demeure amovible.

     Il aura fallu un mois pour mettre au point le phare de ravitaillement en vol sur le Jaguar- Une initiative peu coûteuse dont le prompt aboutissement tend à prouver que les problèmes simples peuvent parfois réglés simplement.

Système "D", un dispositif de commande à trois positions : éclairage brillant, normal et de secours.
Système "D", un dispositif de commande à trois positions : éclairage brillant, normal et de secours.

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