Parmi le soutien des avions d’armes, la SSIS joue un rôle primordial en cas d’incident (ou d’accident) sur la piste et ses abords. Ceux-ci étant plutôt rares, la tendance est à les oublier et pourtant…. Aujourd’hui, je vous propose le témoignage d’un pompier venant de Luxeuil qui nous rappellera pas mal de souvenirs et qui a eu la gentillesse de me compléter son article par quelques photos.
Le livre d’Histoires de la 11è EC ne peut me laisser indifférent, d’abord parce que je fis une carrière dans l’armée de l’Air, ensuite pour avoir vécu en partie auprès d’éléments de « la 11 ». Que de souvenirs ! Des machines et des hommes, une ambiance, une armée de l’Air qui n’existe plus.
Nous voici avec nos impressions d’une autre génération. D’emblée je vous remercie d’avoir écrit un livre relatant la vie de ceux qui entretenaient ou pilotaient le Jaguar.
Pour ma part, je connu l’ambiance Jaguar » pour la première fois en 1978 lors de l’Opération Tacaud. Enlevé manu-militari depuis la SSIS de Luxeuil pour aller en renfort sécurité-incendie à N’Djamena. Nous étions quelques-uns (biffins, médecins, deux pompiers) à embarquer au fond d’un DC-8 chargé de caisses de munitions. Un pompier fut déposé à Dakar après une approche du style « chasse » qui me causa un mal sévère dans une oreille. Puis nous arrivâmes à NDJ ; je fus pris en mains par des gens de l’escadron Jaguar et logé à La Tchadienne pour les semaines à venir.
La section de sécurité incendie tchadienne ne mettait en service aucun véhicule à mousse.
L’unique véhicule opérationnel était un fourgon -pompe type « feux d’installations ». Tandis que les personnels de l’escadron organisaient la mission qui leur était dévolue, je « cannibalisais » trois VLE (véhicule lourd d’extinction) pour n’en faire qu’un seul qui soit efficace. La mécanique tchadienne m’apportait une aide précieuse ainsi que les ravitailleurs de l’escadron pour la logistique et le moral. Indiscipline et nonchalance étaient de mise chez les pompiers locaux : une découverte !
Le recours à l’autorité tchadienne se conclu par une bastonnade et les pompiers cessèrent les abandons de poste ! Enfin, la mission de protection des avions sur les parkings fut comprise, mais il fallait éviter le déclenchement d’un exercice de contrôle à l’heure de la prière . . .
Par la télévision française nous voyions François Mitterrand — leader de l’opposition- s’exclamer que la France se lançait dans une guerre coloniale ! La saga africaine des Jaguar était lancée. Les colonnes de Hissène Habré et de Goukouni Oueddeï ne menaçaient plus le pouvoir du Général Malloum. Les jours passaient sur le parking surchauffé (la guerre du Golfe n’avait pas encore américanisé les tarmacs ; le mot parking s’était francisé), le C-135 côtoyait l’Atlantic des marins le Transall de chez nous tandis qu’à l’autre bout s’animait une aviation d’un autre âge : C-47, DC-4, et Skyraider pissaient l’huile.
Paradoxe tchadien : lorsque j’ai eu l’occasion de faire un vol à bord d’un Dakota vers Mongo ou Moussoro, je m’y suis précipité !
L’hôtel La Tchadienne était devenu un repli pour les Français exilés en Afrique. Ils venaient dîner ou simplement boire un verre et y rencontrer des compatriotes. Au sous-sol, la boîte de nuit ne désemplissait pas ; le noir-et-blanc devenu la mode du jour. Parfois, le bouche- à-oreilles diffusait un « décollage 4 heures !». Il était temps de se coucher pour une brève nuit sinon de consommer de la noix de kola sensée tenir en éveil jusqu’au bout de la nuit.
Avant l’aube les personnels concernés rejoignaient la base aérienne « Sergent-Chef Adji Kosseï » et je préparais le VLE-type II » pour assurer la mise en route du Jaguar-photo. On disait qu’il décollait de bonne heure afin d’être sur zone au lever du jour, le moment des belles ombres, des détails.
Un jour, comme les autres, deux Jaguars ont lancé leurs moteurs et se sont dirigés vers la piste. Un certain temps s’est écoulé… J’étais en train de rédiger dans le bureau de la SSIS lorsque mon esprit s’est demandé pourquoi ces Jaguars roulaient. L’autre partie de mon cerveau ne comprenait pas la signification de ce bruit familier, si proche du décollage… J’ai regardé par la fenêtre et mes yeux ébahis ont vu un Jaguar s’approcher, le nez endommagé, des fils pendouillant de sa blessure !
– Qu’est-ce qui se passe ? demandai-je.
François “le Barbu” venait de s’éjecter et son ailier ramenait son avion blessé à la suite d’une collision. Nous nous sommes tous précipités vers le Jaguar ; son pilote (dont j’ai oublié le nom ; il s’agit de Michel TANI – voir l’article racontant son accident) nous a indiqué la direction où se trouvait son leader. Une réunion improvisée a eu lieu pour écouter son récit de l’événement et les conditions de son retour (si ma mémoire est bonne : il n’avait plus d’oxygène, de radio, ni de pitot, et un seul moteur fonctionnait — merci au Jaguar — car le second avait ingéré des débris). J’ai pris une photo de l’avion dans le hangar. Pendant le récit, deux Puma de l’ALAT ont décollé pour ramener le Lieutenant François, qui a avoué son soulagement de sortir du désert.
J’aurai l’occasion de retourner au Tchad en qualité de Chef de la SSIS. Les Jaguar se frottaient au Mirage FI venus surveiller les Lybiens. La SSIS n’eut heureusement pas d’intervention grave sur avion mais les camions-citernes tchadiens connaissaient une tendance à l’inflammation …Et quand sur les lieux d’un incendie en ville je dis au Capitaine des pompiers qu’il avait un beau camion, il me répondit « oui, mais je ne sais pas comment ça marche ! ». Cela aussi, c’est l’Afrique Patron !
Major (er) Poissonnier Michel