En Afrique, il y avait aussi la SSIS

La SSIS locale

      Parmi le soutien des avions d’armes, la SSIS joue un rôle primordial en cas d’incident (ou d’accident) sur la piste et ses abords. Ceux-ci étant plutôt rares, la tendance est à les oublier et pourtant…. Aujourd’hui, je vous propose le témoignage d’un pompier venant de Luxeuil qui nous rappellera pas mal de souvenirs et qui a eu la gentillesse de me compléter son article par quelques photos.  

           Le livre d’Histoires de la 11è EC ne peut me laisser indifférent, d’abord parce que je fis une carrière dans l’armée de l’Air, ensuite pour avoir vécu en partie auprès d’éléments de « la 11 ». Que de souvenirs ! Des machines et des hommes, une ambiance, une armée de l’Air qui n’existe plus.

           Nous voici avec nos impressions d’une autre génération. D’emblée je vous remercie d’avoir écrit un livre relatant la vie de ceux qui entretenaient ou pilotaient le Jaguar.

            Pour ma part, je connu l’ambiance Jaguar » pour la première fois en 1978 lors de l’Opération Tacaud. Enlevé manu-militari depuis la SSIS de Luxeuil pour aller en renfort sécurité-incendie à N’Djamena. Nous étions quelques-uns (biffins, médecins, deux pompiers) à embarquer au fond d’un DC-8 chargé de caisses de munitions. Un pompier fut déposé à Dakar après une approche du style « chasse » qui me causa un mal sévère dans une oreille. Puis nous arrivâmes à NDJ ; je fus pris en mains par des gens de l’escadron Jaguar et logé à La Tchadienne pour les semaines à venir.

             La section de sécurité incendie tchadienne ne mettait en service aucun véhicule à mousse.

             L’unique véhicule opérationnel était un fourgon -pompe type « feux d’installations ». Tandis que les personnels de l’escadron organisaient la mission qui leur était dévolue, je « cannibalisais » trois VLE (véhicule lourd d’extinction) pour n’en faire qu’un seul qui soit efficace. La mécanique tchadienne m’apportait une aide précieuse ainsi que les ravitailleurs de l’escadron pour la logistique et le moral. Indiscipline et nonchalance étaient de mise chez les pompiers locaux : une découverte !

            Le recours à l’autorité tchadienne se conclu par une bastonnade et les pompiers cessèrent les abandons de poste ! Enfin, la mission de protection des avions sur les parkings fut comprise, mais il fallait éviter le déclenchement d’un exercice de contrôle à l’heure de la prière . . .

            Par la télévision française nous voyions François Mitterrand — leader de l’opposition- s’exclamer que la France se lançait dans une guerre coloniale ! La saga africaine des Jaguar était lancée. Les colonnes de Hissène Habré et de Goukouni Oueddeï ne menaçaient plus le pouvoir du Général Malloum. Les jours passaient sur le parking surchauffé (la guerre du Golfe n’avait pas encore américanisé les tarmacs ; le mot parking s’était francisé), le C-135 côtoyait l’Atlantic des marins le Transall de chez nous tandis qu’à l’autre bout s’animait une aviation d’un autre âge : C-47, DC-4, et Skyraider pissaient l’huile.      

            Paradoxe tchadien : lorsque j’ai eu l’occasion de faire un vol à bord d’un Dakota vers Mongo ou Moussoro, je m’y suis précipité !

            L’hôtel La Tchadienne était devenu un repli pour les Français exilés en Afrique. Ils venaient dîner ou simplement boire un verre et y rencontrer des compatriotes. Au sous-sol, la boîte de nuit ne désemplissait pas ; le noir-et-blanc devenu la mode du jour. Parfois, le bouche- à-oreilles diffusait un « décollage 4 heures !». Il était temps de se coucher pour une brève nuit sinon de consommer de la noix de kola sensée tenir en éveil jusqu’au bout de la nuit.

            Avant l’aube les personnels concernés rejoignaient la base aérienne « Sergent-Chef Adji Kosseï » et je préparais le VLE-type II » pour assurer la mise en route du Jaguar-photo. On disait qu’il décollait de bonne heure afin d’être sur zone au lever du jour, le moment des belles ombres, des détails.

            Un jour, comme les autres, deux Jaguars ont lancé leurs moteurs et se sont dirigés vers la piste. Un certain temps s’est écoulé… J’étais en train de rédiger dans le bureau de la SSIS lorsque mon esprit s’est demandé pourquoi ces Jaguars roulaient. L’autre partie de mon cerveau ne comprenait pas la signification de ce bruit familier, si proche du décollage… J’ai regardé par la fenêtre et mes yeux ébahis ont vu un Jaguar s’approcher, le nez endommagé, des fils pendouillant de sa blessure !

        – Qu’est-ce qui se passe ? demandai-je.

             François “le Barbu” venait de s’éjecter et son ailier ramenait son avion blessé à la suite d’une collision. Nous nous sommes tous précipités vers le Jaguar ; son pilote (dont j’ai oublié le nom ; il s’agit de Michel TANI –  voir l’article racontant son accident) nous a indiqué la direction où se trouvait son leader. Une réunion improvisée a eu lieu pour écouter son récit de l’événement et les conditions de son retour (si ma mémoire est bonne : il n’avait plus d’oxygène, de radio, ni de pitot, et un seul moteur fonctionnait — merci au Jaguar — car le second avait ingéré des débris). J’ai pris une photo de l’avion dans le hangar. Pendant le récit, deux Puma de l’ALAT ont décollé pour ramener le Lieutenant François, qui a avoué son soulagement de sortir du désert.

       J’aurai l’occasion de retourner au Tchad en qualité de Chef de la SSIS. Les Jaguar se frottaient au Mirage FI venus surveiller les Lybiens. La SSIS n’eut heureusement pas d’intervention grave sur avion mais les camions-citernes tchadiens connaissaient une tendance à l’inflammation …Et quand sur les lieux d’un incendie en ville je dis au Capitaine des pompiers qu’il avait un beau camion, il me répondit « oui, mais je ne sais pas comment ça marche ! ». Cela aussi, c’est l’Afrique Patron !

               Major (er) Poissonnier Michel

TORO – DOUM

CROCI Djibouti 1978

Au cours des opérations aériennes, le Jaguar du capitaine Croci fut touché par un tir de petit calibre, entraînant la perte de contrôle de l’avion et son écrasement au sol à Toro Doum. Cette deuxième partie,  relate l’attaque proprement dite ainsi que les opérations de recherche et de récupération de l’épave de l’avion.

La deuxième attaque

Pendant que la patrouille des Véto N (Novembre) allait effectuer la première attaque, nous avions repréparé nos avions et nous nous apprêtions à les rejoindre avec deux Jaguar et deux Mirage F1. Le capitaine Croci décida de prendre le lead de cette cinquième mission – la F221, indicatif Véto P (Papa) –, composée de moi-même et des capitaines Ducanois et Harmand pour les Mirage F1. À 15h45, nous décollâmes avec l’ordre de détruire la citerne et tous les véhicules, à l’exception de la voiture blanche de Médecins sans frontières. Après le ravitaillement en vol sur Boeing KC135 le capitaine Croci décida de changer la configuration de la patrouille pour l’attaque. Je pris la position du n° 3 de façon à créer deux binômes (Jaguar + F1), le capitaine Ducanois prenant la position d’équipier du capitaine Croci, et le capitaine Harmand devenant mon équipier. On avait aussi décidé d’approcher l’objectif sous deux axes différents, soleil dans le dos, les Mirage F1 restant en snake à 2000 mètres derrière les Jaguar. Nous restâmes en HA (haute altitude) jusqu’au visuel de l’objectif, et descendîmes en TBA (très basse altitude) pour l’attaque. De loin, j’aperçus distinctement une épaisse fumée noire provenant de la combustion du camion-citerne détruit par la patrouille précédente. Cela constituait un repère immanquable. Le capitaine Croci décida d’attaquer au nord de la fumée en me laissant la partie sud. Il commença immédiatement un tir canon sur des véhicules abrités sous des palmiers. En in (position d’attaque), je vis le leader et le n° 3 dégager à 90° de mon cap. J’essayai de repérer des véhicules, sans résultat. Tout d’un coup, j’aperçus un flash à une heure. C’était un départ missile. J’effectuai une ressource en éjectant des leurres infra-rouges. Je n’avais pas eu le temps de tirer. Le n° 4 n’avait également pas pu tirer à cause des départs missile et des leurres. Je décidai de revenir par la gauche en virant au cap 230. Le capitaine Croci m’annonça qu’il avait visuel sur moi et me suivit. Dans mon deuxième in, j’aperçus un groupe d’individus en batterie dans ma glace frontale. Je tirai une rafale d’obus dans leur direction sans pouvoir vraiment viser. Je volais trop vite pour ajuster un tir au dernier moment. Mon n° 4 fit de même. La luminosité du ciel commençait à s’assombrir. À cette heure-là, 16h30, le soleil se couche rapidement dans cette région et il devenait plus difficile de détecter les cibles et d’ajuster un tir. Les rebelles étaient trop éparpillés et répliquaient énergiquement avec toutes les armes qu’ils avaient à leur disposition, même les plus absurdes comme des armes antichars portatives RPG (Rocket-propelled-grenade) et bazooka (anti-tank rocket launcher).

Le crash

À l’issue de sa deuxième passe le capitaine Croci fut certainement touché par un tir de petit calibre (7.62 ou 14.5). Volant très bas et très vite au cap sud/sud-ouest, il annonça soudainement à la radio : « Merde, j’ai une panne hydr. » (hydr pour hydraulique). Le circuit des servocommandes de vol avait dû être touché et il devait perdre du liquide hydraulique depuis le début de nos attaques, d’où la panne à ce moment-là.

L’action et le crash vus de mon cockpit

À l’issue de ma troisième passe de tir, je dégageai dans l’axe au cap 300 et aperçus le leader et le n° 3 en virage à gauche, revenant vers l’objectif à un cap sud/sud-ouest. J’annonçai : « Visuel ». Je voyais bien le leader qui arrivait très vite et très bas à un cap collision sur moi. Arrivant à une heure, il annonça son problème hydraulique puis se tut. Il était en face de moi, à environ 300 mètres, quand je vis son Jaguar se cabrer brutalement sans monter, puis faire un premier tonneau à droite de 180° et, après un court arrêt, un second toujours à droite le positionnant en ligne de vol à plat mais à 60° de piqué et à quelques mètres du sol. L’action se passa en quelques fractions de secondes. Le nez de son avion toucha le sommet d’une dune à mes midis, puis explosa au milieu d’une boule de feu. Je passai à droite du crash, au cap 300, pour n’apercevoir que des débris noirs sur le sable jaune. J’actionnai ma caméra Omera 40. La boule de feu s’était rapidement évaporée. J’alertai le commandement et refis une reconnaissance de la zone du crash. Je ne voyais pas l’équipier du leader. Mon équipier devait logiquement toujours me suivre en snake (l’un derrière l’autre). Nous refîmes deux survols de la zone du crash. Je ne vis que des débris calcinés éparpillés sur environ 100 mètres de rayon, aucun parachute, et pas de trace du pilote. En dégageant de sa passe canon derrière moi, le capitaine Harmand assista également au crash du leader. Son avion avait aussi été touché, mais il ne s’en aperçut pas de suite. Je pris, par intérim, la position de leader, rassemblai la patrouille, fis plusieurs passages au-dessus de la zone de crash qui se situait dans le 300° pour 8 à 10 nautiques de la palmeraie et filmai la scène. Le n° 3 m’avertit qu’il avait vu une trace blanche avant l’impact sans pouvoir préciser si c’était au cours d’une séquence d’éjection. N’apercevant aucun signe de vie et persuadés qu’il n’y avait plus d’espoir, nous quittâmes la zone.

RVT C 135 en route vers Toro Doum
RVT C 135 en route vers Toro Doum
Carte Toro Doum
Carte Toro Doum
Résultats du tir de la patrouille précédente
Résultats du tir de la patrouille précédente

Pendant ce temps à N’Djamena

À 16h30, la patrouille suivante (lieutenant-colonel Cocault et capitaine Pruna) fut stoppée au parking. Il faisait déjà trop sombre quand nous sommes intervenus à Toro Doum, qui se trouve à une forte distance de N’Djamena, (dans le nord pour 280 nautiques, (environ 520 km)). De plus, le crash de notre leader avait freiné les ardeurs de tout le monde. En salle d’opération, l’ambiance était grave. Les pilotes et mécanos étaient stupéfaits d’avoir perdu notre leader, mais on allait se ressaisir pour les missions suivantes. Nous reçûmes l’ordre de nous tenir prêts à décoller dès le lever du jour pour continuer les missions, en utilisant des munitions plus performantes, et aussi pour retrouver l’épave du Jaguar.

Localisation de l’épave (1re tentative)

Le 26 janvier, la mission de localisation de l’épave du jaguar du capitaine Croci était ordonnée. Je me devais de la retrouver dans ce désert immense. Ce fut la mission F222 et le lieutenant-colonel Cocault m’accompagnait. Nous décollâmes vers 15h00, avec pour tâche de finir le travail de la veille et, si possible, de localiser précisément l’épave du Jaguar. Après un ravitaillement sur le C160 Transall, nous progressâmes vers le nord mais nous ne fûmes malheureusement pas en mesure de voir quoi que ce soit. Pendant la nuit, un vent de sable s’était levé dans la région de Toro Doum, et le nuage de sable resté en suspension nous empêchait de voir le sol. On ne pouvait pas localiser le dispositif libyen, ni la zone du crash.

Atterrissage sans visibilité

 (La F223 dans un brouillard de sable) Le 27 janvier, je décollais en n° 2 du capitaine Guerin. Nous avions l’ordre de tirer sur l’ennemi sans sommation. Après avoir ravitaillé sur un Transall, nous avons remonté la piste à partir de Toro Doum. Nous étions armés de bombes Beluga, qui peuvent être larguées à très basse altitude. Nous avons suivi leurs traces jusqu’à Kiri-Kide (025 de N’Djamena pour 620 km) sans trouver de véhicule, puis nous avons fait demi-tour. Pendant ce temps, un vent de sable s’était levé sur N’Djamena et la visibilité horizontale était en dessous des minima. Comme il n’y avait pas de rampe d’approche pour identifier l’entrée de piste par mauvaise visibilité, les pilotes restés au sol eurent l’excellente idée d’utiliser des miroirs héliographes. Dès qu’ils entendirent le bruit de nos avions, ils se précipitèrent pour se placer de part et d’autre de l’entrée de piste, face au soleil. Ils firent scintiller leurs miroirs héliographes dans notre direction pendant notre approche en longue finale sans GCA (ground controlled approach). On s’était alignés à 1500 pieds avec le VOR-DME (VHF omnidirectional range & distance measuring equipment). On descendait à 300 ft/minute en comptant les nautiques restants. On ne voyait absolument rien. En courte finale, vers 300 ft sol, nous avons aperçu les éclats lumineux des héliographes dans le halo de la brume de sable et pu localiser assez tôt l’entrée de piste pour nous aligner et nous poser. Cela nous a évité un déroutement aléatoire sur un terrain éloigné, mais c’était passé de justesse. Le 28 janvier, aucune mission ne put être effectuée à cause de la tempête de sable sur N’Djamena. Le 29 janvier, je déclenchai trois missions de reconnaissance, mais elles revinrent bredouilles. La troupe des rebelles avait complétement disparu.

                         – La F225 : capitainne Kerfriden et aspirant Maurin Serge.

                         – La F226 : sous-lieutenant Wurtz et capitaine Planet sur Toro Doum.

                         – La F227 : lieutenant Le Gall et commandant Mandrile sur Iriba.

Miroir pour guider
Miroir pour guider
Eclats miroir vus de l'avion
Eclats miroir vus de l'avion
Parking N'Djamena pendant Manta
Parking N'Djamena pendant Manta

Localisation de l’épave (2e tentative)

Le 30 janvier, l’Armée de terre envoya deux hélicoptères Puma dans le sud de la palmeraie de Toro Doum, avec à leur bord des commandos, un médecin et un spécialiste GE (guerre électronique). Ils avaient pour mission de rester en retrait, hors de portée d’ennemis éventuels et d’attendre que les Jaguar confirment la position de l’épave pour venir récupérer le corps et la partie sensible des équipements électroniques. Je décollai une nouvelle fois avec le lieutenant-colonel Cocault. Ce fut la mission F228, deuxième mission de reconnaissance pour repérer l’épave du Jaguar A81. On savait qu’on allait devoir résoudre un gros problème. On n’était pas certains de pouvoir précisément localiser l’épave à cause des tempêtes de sable des trois derniers jours. Arrivés sur place, ce n’était plus le même paysage. Tout avait été balayé et les dunes avaient changé de place et d’aspect. La zone de crash était pratiquement invisible. J’ai dû refaire plusieurs fois les mêmes trajectoires et passes de tir pour localiser l’épave. J’ai réussi à la repérer à la troisième tentative grâce à l’image des trajectoires que j’en avais gardée (cap et timing). Je me rappelais globalement du paysage et j’ai fait abstraction des dunes. Dans le même temps, je me rembobinais le film dans ma tête, (le comportement bizarre du Jaguar du capitaine Croci et son crash). Cela m’avait marqué et c’était gravé dans ma mémoire, comme ça l’est encore aujourd’hui. J’ai envoyé les coordonnées des débris au QG de N’Djamena puis j’ai demandé à l’Atlantic de ploter la position et de guider les hélicoptères sur la zone de l’épave. Nous sommes restés en alerte à proximité jusqu’à ce que les hélicoptères arrivent sur place. Le lieutenant-colonel Cocault raconta plus tard que, sans ma mémoire, on aurait eu beaucoup de difficultés pour désigner la zone de crash car les débris étaient à peine perceptibles dans l’étendue du désert. Tout au plus quelques anomalies difficilement perceptibles à la surface du sable.

Fin de nos missions tchadiennes le 13 février 1984 J’avais effectué 22 missions de guerre + 1 vol de contrôle, 13 RVT dont 6 sur C160 et 7 sur KC-135, 39h35 de vol, 9 AMV (atterrissage par mauvaise visibilité) et volé avec plusieurs types d’armements.  

L'épave de l'avion
L'épave de l'avion
L'Atlantic et les Jaguar
L'Atlantic et les Jaguar
Les F1C au parking
Les F1C au parking

Début de l’opération MANTA (1983 – 1984)

Cne CROCI et Cne LEBALLE

Au cours de l’opération MANTA, le 25 Janvier 1984, le Capitaine CROCI trouvait la mort aux commandes de son Jaguar en attaquant une colonne de rebelles dans le nord du Tchad à Toro-Doum. 

Le capitaine Guérin, autre pilote du détachement de l’EC 4/11 et témoin privilégié avait relaté cette triste affaire dans 2 articles précédents : Toro-Doum, au cœur de l’opération MANTA (1/2) et Toro-Doum, au coeur de l’opération MANTA (2/2). 

Ici, je vous propose le témoignage, avec l’aimable autorisation de l’AEA  (l’Association des anciens élèves de l’Ecole de l’Air), du Capitaine LE BALLE, équipier de Croci lors de cette mission.  

Scramble au 4/11

Nous sommes à Bordeaux, le 5 août 1983 et le 4/11, en alerte FAR, décolle avec 6 Jaguar, destination N’Djamena, (Tchad). L’opération Manta commence. Dans un premier temps nous atterrissons à Dakar, pour arriver à N’Djamena 15 jours plus tard, le temps nécessaire à la logistique pour nous accueillir dans de bonnes conditions. Arrivés sur place le 21 août, aucun comité d’accueil n’était là, excepté nos mécanos. On se serait posé sur une base secrète au milieu de nulle part que ça aurait été la même chose. Le peu d’avions que le Tchad avait étaient en très mauvais état et les bâtiments de la base aérienne étaient assez délabrés. Il y avait tout à reconstruire. La ville elle-même ressemblait à une ville fantôme. Les rues étaient désertes et presque plus un bâtiment ne tenait debout. Nos logements étaient très spartiates : lits picots sans couverture ni drap. Nous dormions à plusieurs par chambre, sans climatisation et sans placard. Certains d’entre nous dormaient à la belle étoile pour profiter de la fraîcheur de la nuit. Les bâtiments et les dortoirs étaient très insalubres. Nous avons été obligés de les nettoyer nous-mêmes avec les moyens du bord.

Nous avons néanmoins débuté les opérations comme prévu. Le 25 août 1983, j’effectuais ma première mission (F003) de reconnaissance. Quelques jours plus tard, les premiers Mirage F1 arrivaient. Ce fut la bonne entente avec le 1/5 et on effectuait les opérations en binôme Jag-F1.

Une mission difficile

On a continué les opérations jusqu’à la relève du 20 septembre. Au total, j’avais effectué sept missions de guerre, dont une qui aurait pu mal se terminer, quatre ravitaillements et 13h25 de vol. Celle qui aurait pu mal finir était un vol expérimental (F037) avec deux lance-roquettes LAU51 (72 roquettes) et deux lances leurres Alkan 531 sous les ailes. C’était une mission Reco vers Berdoba en haut-bas-haut avec deux ravitaillements (c’était au nord-est de N’Djamena pour 530 nm, soit 950 km). Le retour était prévu en passant par Koro Toro (dans le 045 de N’Djamena pour 300 Nm, 550 km). Le deuxième ravitaillement devait se faire au-dessus de Koro Toro et le C135 devait s’y trouver à l’heure H+95 minutes, H étant l’heure de notre décollage de N’Djamena. L’expérimentation devait vérifier que la consommation réelle correspondait à celle inscrite dans le manuel qui indiquait une consommation d’environ 50 kg/minute à 440 kts en TBA (très basse altitude). En configuration habituelle le Jaguar consomme environ 35 kg/minute. En principe, à Berdoba on aurait dû avoir 3100 kg de carburant restant mais on avait déjà ce pétrole à 50 nm de l’objectif. On consommait beaucoup trop. Je décidai d’annuler la Nav BA vers Oum-Chalouba pour monter en altitude et rejoindre directement le Boeing qui devait se trouver vertical Koro-Toro. On a donc commencé à monter au cap 270 en silence radio comme prévu. Après quelques minutes de vol en montée, le Breguet Atlantic de la Marine rompit le silence radio pour nous demander où on allait. Le Breguet Atlantic nous voyait au radar ainsi que le Boeing C 135. Il nous informa qu’au cap 270 où nous allions, nous ne pouvions pas rejoindre le Boeing, qui, lui-même, était au sud-ouest de Koro Toro. Il était très loin de notre position et ce n’était pas prévu. Le Breguet Atlantic décida de nous guider. Je reçus l’ordre de prendre le cap 250 et le Boeing reçut l’ordre de prendre la cap 070. En volant à 7 Nm/minute chacun, cela nous faisait une vitesse de rapprochement de 14 Nm/minute. En 15 minutes on devait être en position derrière le Boeing avec 1200 kg restant. Grâce aux marins qui firent un guidage remarquable, j’arrivai directement sur le panier du Boeing avec environ 1000 kg de pétrole restant. Je restai dans le panier un peu moins d’une minute pour laisser la place à mon n° 2 qui, lui, resta un peu plus longtemps pour prendre 2 tonnes de pétrole, (à 600 kg/ minute de débit). Quand il dégagea, je me remis en observation pour reprendre moi-même 1,5 tonne de pétrole. Une fois fait, je décidai de revenir en HA vers N’Djamena. On avait eu chaud. L’équipage du Boeing a bien réagi mais pourquoi n’avait-il pas été au point de rendez-vous comme prévu ? Le soir, au bar, on a bu un bon coup tous ensemble pour oublier cette affaire. On ne voulait pas faire de vagues pour une histoire qui s’était bien terminée.

Le 20 septembre nous rentrions à Bordeaux, et le 2 octobre on recommençait à voler en France. Mais la partie africaine n’était pas terminée car nous allions y retourner le 26 décembre 1983 pour un détachement de 45 jours.

Jacques Pilote Jaguar 4-11 1983
Jacques Pilote Jaguar 4-11 1983
DETAM 4/11 - MANTA
DETAM 4/11 - MANTA
Manta Salle OPS N'Djamena
Manta Salle OPS N'Djamena

Deuxième détachement

Le 26 décembre 1983, nous partions pour N’Djamena en civil à bord d’un Boeing d’UTA. On relevait le 2/11 qui nous accueillait à bras ouverts le 27 décembre au matin. Cette fois-ci, c’était peu plus confortablement qu’en septembre 1983. Ce n’était pas le luxe mais c’était assez bon pour pouvoir dormir et se reposer normalement. Plus tard, on fut logé dans un autre bâtiment, et nous étions deux par chambre. Concernant les opérations, la salle de briefing et les méthodes n’avaient pas changé. Les missions aériennes n’avaient également pas changé mais, cette fois-ci nous avions la possibilité de ravitailler en vol derrière un C160 Transall. C’était une première pour nous et ce fut une fantastique expérience. C’était très facile de ravitailler derrière un Transall et cela nous a ouvert des possibilités de secours au cas où nous ne pourrions pas nous poser. On pouvait faire décoller le Transall très rapidement pour ravitailler en urgence des avions devant se dérouter. On n’était pas là pour s’amuser : nous avions mis deux avions en alerte à 30 minutes jusqu’au 25 janvier. Les 26, 27 et 28 janvier, tous les moyens disponibles étaient en alerte à 30 mn. La météo était assez clémente mais il y a eu quelques vents de sable qui vinrent perturber nos opérations. Les vols étaient en majorité des reconnaissances à vue réparties sur deux axes le long de la « ligne rouge » que représentait le 15ème parallèle. – À l’est, l’axe Abéché, Biltine, Arada, OumChalouba. – À l’ouest, l’axe Salal, Koro Toro, Toro Doum.

Prise d’otages à Ziguey

 Le 24 janvier, les Libyens et des rebelles tchadiens franchirent la ligne rouge et attaquèrent de fort de Ziguey. Ils prirent des soldats gouvernementaux en otage et se replièrent vers le nord en enlevant également deux coopérants belges de Médecins sans frontières. Vers 16h30, les opérations déroutèrent notre patrouille de Jaguar (la F216) (capitaine Croci et moi-même en n° 2) qui venait de décoller pour une mission différente. L’ordre avait été relayé par l’Atlantic en route vers cet des kalachnikovs pointées vers le ciel. En fin de matinée, après confirmation que Ziguey avait bien été attaqué et sur ordre du gouvernement, une opération aérienne fut planifiée pour localiser, identifier et intercepter la colonne des rebelles en fuite.

Toro Doum : début des hostilités

Le 25 janvier 1984, tôt le matin, on envoya deux patrouilles mixtes (deux Jaguar + deux Mirage F1) pour une reconnaissance à vue sur deux zones entre N’Djamena et la ligne rouge. L’une à l’est et l’autre à l’ouest. La première patrouille (F 217), conduite par le capitaine Guérin, décolla vers l’est en direction d’Oum-Chalouba (très loin de Ziguey). La seconde patrouille (F 218), conduite par le lieutenant-colonel Cocault, accompagné des capitaines Kerfriden et Ramade et du lieutenant-colonel Raynal, décolla à 8h pour une reco sur Ziguey et pour remonter la piste vers Toro Doum. Les pilotes repérèrent des traces assez nombreuses à Ziguey et continuèrent sur Toro Doum. À 5 Nm de Toro Doum, ils aperçurent des véhicules ensablés ainsi qu’une vingtaine d’individus. Les photos prises montrèrent que ces personnes avaient des intentions hostiles. Sur l’une d’elles, on voyait des combattants avec des kalachnikov pointées vers le ciel. En fin de matinée, après confirmation que Ziguey avait bien été attaqué et sur ordre du gouvernement, une opération aérienne fut planifiée pour localiser, identifier et intercepter la colonne des rebelles en fuite.

 

La base de N'Djamena pendant MANTA
La base de N'Djamena pendant MANTA
Survol d'un camion en panne
Survol d'un camion en panne
Manta Patrouille mixte Jaguar - F1C
Manta Patrouille mixte Jaguar - F1C

La découverte des rebelles

À 13h05 une troisième patrouille de deux Jaguar (F 219), conduite par le capitaine Croci et moi-même, fut déclenchée. En remontant la piste de Ziguey à Toro Doum, on découvrit une colonne d’une vingtaine de véhicules composée de poids lourds, de camions-citernes et de batteries de ZSU 23/2 accompagnée par une troupe d’environ 200 individus. Au premier passage, je transmis les coordonnées au Breguet Atlantic, et je demandai les instructions de tir. En attendant, on fit trois passages photos dans le sens de la colonne avec le doigt sur la queue de détente. La jauge descendait à vue d’œil. À l’issue des trois passes, le pétrole était plus bas que le minima et il devenait urgent de rentrer ou de rejoindre un tanker. Il n’avait malheureusement pas été planifié et je dus me résoudre à mettre le cap sur N’Djamena en HA sans avoir fait feu. Ce n’est qu’à mi-parcours que l’ordre de tir nous parvint. Mais c’était trop tard. On n’avait vraiment plus assez de carburant pour revenir sur Toro Doum. Si l’autorisation de tir avait été reçue à temps, le problème aurait été vite réglé. On avait eu le bénéfice de l’effet de surprise et la colonne bien alignée aurait été un objectif facile pour un tir canon. On aurait pu faire un beau carton et la suite des événements aurait été bien différente. Ce fut bien dommage, surtout pour le capitaine Croci. Pendant qu’on revenait en HA, une effervescence inhabituelle s’était installée en salle d’opérations. L’alerte que nous avions lancée avait déclenché des appels téléphoniques à répétition et ça discutait de partout. Un appel téléphonique du quartier général (camp Dubut) ordonna de scrambler la quatrième patrouille de la journée. Il ne restait qu’un Jaguar et deux Mirage F1 de disponibles. Les pilotes furent vite désignés. Leader : capitaine Guerin sur Jaguar avec le capitaine Ramade et le capitaine Blanc sur Mirage F1. Ils prirent les avions dans la configuration du moment (OPIT pour le Jaguar), (OPIT+OMEI+deux Magic pour les F1). Les ordres n’étaient pas évidents à interpréter. Le colonel Caisso, de la Fatac (Force aérienne tactique) insistait auprès du commandement Manta pour avoir des ordres clairs et précis. Fallait-il tirer ou non ? Le flou dura une dizaine de minutes. Finalement, sans instructions précises, les pilotes partirent aux avions et ce n’est qu’après avoir commencé à rouler qu’ils eurent l’ordre du Comelef. « Autorisation d’ouverture de feu pour tir d’intimidation à côté et au nord des éléments reconnus ennemis pour retarder leur progression. » À notre retour, nous avons visionné les photos prises au cours de la mission et on voyait très bien un individu épauler une arme qui ressemblait à un missile sol-air SA 7.

La première attaque

 À 15h15, la patrouille F220 (les Veto « N ») décolla. Le capitaine Guerin et les deux F1 montèrent au cap Nord pour rejoindre le KC 135 en provenance de Libreville. Après le ravitaillement, ils mirent le cap sur Toro Doum au moment où ils reçurent un contre-ordre: « Vous n’avez plus l’autorisation de tir. » Ils continuèrent la descente vers l’objectif. Arrivés en TBA, ils virèrent par la gauche au cap 270 à 450 kts et 300 pieds en échelon à 1500 mètres pour chaque équipier. Sans ordre de tir, le premier passage ne fut fait que pour prendre des photos à l’Omera 40. L’ennemi avait eu le temps de se disperser et de se cacher sous les arbres de la palmeraie de Toro Doum. Il marqua sa présence en tirant avec du SA 7 et du ZSU 23/2. Dès son premier survol, le capitaine Guerin entendit sur la fréquence « leader, break missile »! Il tira sur le manche et vira très serré à droite. Son n° 2 le suivit. Après 90° de virage, il aperçut derrière lui un nuage noir qu’il attribua à l’explosion du missile. Pendant ce temps son n° 3 avait fait la même manœuvre mais à gauche.

L’ordre de tir

Le leader rendit compte au PC volant du Breguet Atlantic qu’ils venaient de se faire tirer par un missile. Ils reçurent alors l’ordre de « riposter sans toucher le véhicule des otages ». Ils se placèrent en formation d’attaque l’un derrière l’autre et commencèrent la première passe canon. Un 4×4 Toyota apparut droit devant lui, juste au milieu de sa glace frontale et, comme au champ de tir, il amena le réticule dessus et commença le tir. Une trentaine d’obus suffirent pour toucher la cible. Il effectua la ressource au milieu d’une explosion entourée d’une multitude de débris. Avec son n° 2, qui le suivait, il enchaîna la deuxième passe sur un axe d’approche décalé par rapport au premier passage. En dégageant vers l’est, il découvrit un gros camion près d’un arbre. Dans le même temps, ses équipiers lui annoncèrent qu’ils n’avaient plus de munition. Comme il ne voulait pas laisser filer le camion avant de quitter la zone, il décida de faire une dernière passe sur un axe nord-sud. Lors de cette dernière passe, il se trouva pile dans l’axe du camion de munitions quand il commença à tirer. Il vit les traces et impacts de ses OPIT remonter de l’arrière vers l’avant du camion puis les attaches de ridelles se détacher les unes après les autres. De sa place de n° 3, le capitaine Blanc voyait parfaitement l’ensemble des scènes. Il raconta que ça allait être chaud car ils ne bénéficiaient plus de l’effet de surprise. Il vit son leader piquer sur un camion. Il fut entouré de panaches noirs dus à la riposte adverse. Il vit le n° 2 qui plongea en tirant une rafale appuyée sur un camion-citerne qui explosa. Lui-même s’aligna sur un véhicule et vit des nuages noirs autour de lui. Il volait très vite (500 kts) et suivait ses obus grâce aux traceurs. Ses OMEI explosèrent dès le contact avec le sable mais ses OPIT ricochèrent plus haut que son F1. Il perçut des claquements autour de lui : c’était la riposte adverse, mais son regard était focalisé sur son viseur et le sol qui se rapprochait. Il finit sa longue passe et retourna sur l’objectif. De la fumée s’élevait de Toro Doum. Chaque avion essuyait les tirs nourris des canons antiaériens et il vit un obus anti-aérien exploser devant son viseur. Ayant épuisé tous ses obus, il dégagea pour rassembler les autres avions de la patrouille qui, eux non plus, n’avaient plus de munitions. À l’issue du dernier dégagement, le leader rassembla la patrouille et reprit le cap sur N’Djamena. Pendant la montée ils croisèrent la patrouille suivante (les Veto P) et sur la fréquence de travail inter pilotes il contacta le leader (le capitaine Croci) pour lui décrire la zone d’intervention. Il l’avertit que la position était fortement défendue et qu’il devrait facilement repérer l’objectif car un camion-citerne était en train de brûler au milieu de la palmeraie. Il recommanda également aux pilotes de F1 de ne pas se tétaniser sur la queue de détente afin de ne pas tirer tous leurs obus inutilement. (à suivre)

Fort de Ziguey
Fort de Ziguey
Camion citerne à Toro-Doum
Camion citerne à Toro-Doum
Camion munition - Toro-Doum
Camion munition - Toro-Doum

Attaque de la piste de Ouadi-Doum, il y a 35 ans

Les bombes dans la piste de Ouadi-Doum

Récemment, on a célébré les 30 ans de la première mission de la campagne aérienne de la guerre du Golf ; à l’instar de ce que j’ai publié pour cet événement “La guerre du Golfe, c’était il y a 30 ans“, pour le 35ème anniversaire de l’attaque de la piste de Ouadi-Doum, je vous propose 2 articles qui sont en ligne sur ce site. 

Le premier, “Attaque de la piste de Ouadi-Doum, 1ère partie”, décrit le contexte dans lequel cette attaque a eu lieu ; concept géo-politique, l’agitation qui a précédé,… beaucoup d’éléments dont j’ignorais l’existence quand je suis arrivé à Libreville le 11 Février en tant que chef d’un des 3 détachements Jaguar que l’escadron 1/11 assurait. On allait régulièrement faire des photos de la piste de Ouadi-Doum et constater que les travaux avançaient bien, mais j’étais loin de me douter que la France avait décidé  d’intervenir sous une forme plus expéditive. Je me souviens notamment du premier briefing que j’ai fait au tout début du détachement. Mon discours était simple ; on était parti pour un séjour tranquille dans des conditions confortables, qui ne présentait pas beaucoup d’intérêt opérationnellement parlant mais qui ne devait pas se transformer en “vacances” style aéroclub de luxe au club Med. Le Gabon est constitué essentiellement de forêts, les vols étaient plutôt monotones et étaient agrémentés de temps en temps par un passage sur les terrains de Port Gentil ou de Lambaréné. J’avais à peine commencé de parler qu’un mécano est venu m’interrompe :

–  “Chef, on vient de recevoir un message de Bangui.

–  Oui, je verrai ça plus tard.

–  Vous devriez regarder tout de suite c’est un message classé immédiat (qui imposait un accusé de réception dans les minutes qui suivaient son arrivée)”.

Ce message demandait à ce qu’on amène le plus rapidement possible 2 avions à Bangui.

–  “Il y a encore des gens à Bangui qui s’énervent pour rien ; je vais aller voir ce qui se passe et de toute façon, je suis de retour ce soir”.

En fait, l’agitation était bien réelle car la situation militaire était très tendue (preuve des combats sur le 16 Nord au Tchad) et a certainement poussé le pouvoir politique à donner le feu vert à l’attaque de la piste de Ouadi-Doum. Militairement parlant, elle représentait une véritable menace et son attaque  était en préparation depuis plusieurs moi, ce que j’ignorais totalement… 

Le Sofitel de Libreville où logeait le détachement
Le Sofitel de Libreville où logeait le détachement
La plage de Libreville

 

Le deuxième article “Attaque de la piste e Ouadi-Doum”  est le récit de la mission par un des pilotes . Trente cinq après, les souvenirs qui restent sont bien différents de ceux qu’a laissé l’attaque du terrain d’Al Jaber en Irak ; ici, tout s’est passé comme prévu (comme dans le livre), l’attaque a duré moins d’une minute et l’arrivée en très (très) basse altitude, soleil dans le dos n’a laissé aucune chance aux défenses anti-aériennes pourtant présentes en force sur la base. 

Après l’attaque de la piste le 16 Février 1986, l’ensemble des détachements de Libreville et Dakar se sont retrouvés à N’Djamena pour les débuts de “l’Opération Epervier” 

Le "Sofitel" de la base de N'Djamena
Le "Sofitel" de la base de N'Djamena
La "plage" de N'Djamena
La "plage" de N'Djamena

Quelques photos de l’évènement 

Guerre du Golfe ; 30 ans après le capitaine Hummel se souvient

Le capitaine Hummel devant le A 91

Il y a 30 ans, le capitaine Hummel faisait partie de la première patrouille des 12 Jaguar qui ont attaqué le terrain d’Al Jaber et qui a ramené son avion le Jaguar A 91 après avoir été touché par un missile sol/air SA7. Son avion est désormais visible au Musée de l’Air au Bourget et samedi dernier, une cérémonie inaugurale et commémorative s’y est tenue ; à cette occasion, le capitaine Hummel a accepté de revenir sur cette mission en accordant un interview à Xavier Méal journaliste au “Fana de l’Aviation”. 

30 ans après, le capitaine Hummel devant le A 91
30 ans après, le capitaine Hummel devant le A 91

Xavier que je remercie très vivement m’a autorisé à publier cet entretien que vous pouvez retrouver dans le dernier numéro du Fana qui revient de manière plus complète sur cette première journée de la campagne aérienne de la guerre du Golfe. 

Le Fana de Janvier 2021

 

Le 17 janvier 1991, alors que débute l’opération Tempête du désert (Desert Storm), 12 “Jaguar” de la 11e Escadre de Chasse furent lancés à l’assaut de la base d’Al Jaber, au Koweït, prise par les troupes irakiennes. Cette mission, menée à très basse altitude, faillit tourner à la tragédie pour de nombreuses raisons. Quatre “Jaguar” furent touchés : un par des armes de petit calibre qui affectèrent les commandes de vol, un dont le pilote fut atteint à la tête par une balle de kalachnikov, un dont un réacteur prit feu, un dont le réacteur droit fut mis hors d’usage par un missile SA-7 et dont le second réacteur fut par rebond également endommagé. Ces quatre avions purent être ramenés au sol par leurs pilote respectifs. Dans le cas du “Jaguar” touché par un missile, le capitaine Jean-François Hummel, nom de code “Mamel”, eut à piloter un avion sous une double épée de Damoclès : les flammes de l’incendie du réacteur le menacèrent constamment pendant presque une heure faisant planer la menace d’une éjection. Le sort en décida autrement. Aujourd’hui spécialiste en management de transition, après un parcours atypique, Jean-François Hummel nous livre ses réflexions sans filtre sur ce moment intense de sa vie, alors que le “Jaguar” qu’il pilotait ce jour-là, il y a 30 ans, a inauguré au musée de l’Air et de l’Espace, au Bourget, ce 17 janvier

Dans l’action ce 17 janvier 1991

Le désert ne présente pas énormément de points de repères.
A un certain moment, un de nos points de virage était un croisement de méridiens, parce qu’il n’y avait rien au sol. On comptait beaucoup sur les systèmes de navigation très rudimentaires dont nous disposions. Il s’agissait d’un système de navigation Doppler. Le calculateur intégrait une certaine dérive de vent et pouvait se recaler sur une trace au sol relativement différenciée – forêt, relief…
Sur le désert, il y avait une dérive inhérente semblable à celle à laquelle on était confronté lors des attaques à la mer – toujours très problématique en “Jaguar”.
Sur le désert, il y avait le même problème que sur la mer, l’effet de brume et la saturation de l’atmosphère avec les fumées.

La centrale de navigation du Jaguar dérivait – je ne sais plus trop… –  d’environ peut-être un nautique à l’heure ; et un nautique dans le désert fait que l’on passe à côté de la cible sans la voir lorsque l’on vole à très basse altitude.

Cela a été un facteur anecdotique d’une réelle portée. On n’avait pas l’habitude de ces missions à très, très basse altitude. Or l’ordre de vol du jour était : Attaque du terrain d’Al Jaber, 480 nœuds, 250 pieds.
C’était la règle de la Force aérienne tactique à l’époque, on n’avait pas le droit de descendre sous 250 pieds ; à tel point que les jours précédents, dans une zone du sud, on s’était entraîné véritablement à 12 avions pour faire ce changement de formation qui nous permettait de passer d’une phase Approche à la phase Attaque. On devait tous être dans une position précise parce qu’on avait des objectifs qui nous étaient attribués à chacun, et ces objectifs, sur le papier, sur les photos de renseignement, nous obligeaient à être, en fonction de l’armement emporté, dans une certaine position, et cette position n’était pas celle que nous avions lors des phases d’approche.
Le dernier virage vers l’objectif, il fallait le faire à l’altitude la plus basse possible, donc autorisée à 250 pieds, faire nos croisements pour ne plus bouger, à 1’, 1’ 30” de l’objectif.

Les Saoudiens nous avaient laissés de grandes zones où nous nous entrainions véritablement. Et la première des choses dont nous nous étions rendu compte, était que la configuration que nous adoptions lors des entrainements à basse altitude en métropole – avec un étagement positif de l’équipier par rapport au leader – nous faisait perdre systématiquement de vue les autres avions, parce qu’un Jaguar couleur sable sur fond de sable…
Nous avons dès lors commencé à transgresser les règles, car on se rendait bien compte que cela n’allait pas passer : il fallait que le leader des deux formations soit plus haut et que les équipiers croisent en-dessous… chargés, avec le souffle des avions, cela posait quelques problèmes. On a commencé à s’entraîner comme ça. Et petit à petit, on a commencé à se dire que 250 pieds c’était très haut, trop haut, donc nous avons commencé à descendre. Comme ça jusqu’au 14 janvier, je crois.
Marc Ambert était le commandant des forces aériennes sur place, son adjoint était Komajda ; ce dernier avait voulu faire un des derniers vols d’entraînement, il en était revenu tout blanc et avait décidé de nous mettre tous à pied. Tous les soirs on avait un grand briefing sous une tente affectée à cela, avec les gens des Mirages 2000 et des F1 CR – ce soir-là, Komajda a annoncé que les pilotes du 2/11 étaient interdits de vol jusqu’à nouvel ordre… et là, cela a jeté un froid… car l’ultimatum expirait le lendemain. Nous étions interdits de vol alors que nous avions été désignés pour la première mission. Cela témoignait d’un manque de capacité d’adaptation culturelle.

Quand l’Irak envahit le Koweït en 1990, je rappelle que l’on sortait tout juste de l’effondrement du mur de Berlin, et toutes nos missions – notamment au 2/11, mais plus largement dans la FATAC – étaient tournées vers l’Est. Toutes nos missions étaient des missions de pénétration tout temps, au 2/11 nos missions étaient l’assaut antiradar.
Nous partions avec nos avions de préférence la nuit et par mauvais temps, nous traversions les Vosges, l’Allemagne. On s’arrêtait à la frontière tchèque ou polonaise…et là, on se retrouvait projeté…

Le 2/11 était un escadron de guerre électronique, notre mission était d’ouvrir la voie pour les bombardiers nucléaires, on nettoyait le train des radars, on faisait du brouillage et les bombardiers nucléaires arrivaient derrière. Ce 17 janvier 1991, on se retrouvait projeté sur un théâtre en autonomie totale sans cette notion d’intégration à une force multinationale.

On a découvert en 1991 l’intégration du Renseignement. Eric Florentin, qui était alors l’officier Renseignement du 2/11 à Riyad ou KKMC [King Khalid Military City] à l’époque, devait  faire les poubelles des Américains pour essayer de nous donner des informations tactiques – sinon nous n’aurions rien eu…

Dans l’enfer d’Al Jaber…

J’ai vu plein de missiles partir du sol, mais pas celui qui a atteint mon avion.
A ce moment-là, on était extrêmement tendus pas parce qu’on nous tirait dessus, mais parce que le leader ne trouvait pas l’objectif et que tout le monde était largué derrière. Au moment où on devait virer et changer de formation, on ne l’a pas fait et alors que nous devions voir l’objectif là, on le voit ailleurs. On est alors extrêmement tendu et on se dit : Comment on est passé au travers ? On ne peut pas repartir comme ça, on cherche comment rattraper les choses, et on cherche presque individuellement… Il n’y a plus de patrouille, il n’y a plus rien. A chacun son objectif. Il faut qu’on trouve quelque chose, est-ce qu’on va sur le terrain, mais là… ? C’est ce que j’ai essayé de faire à ce moment-là, quand j’ai vu le terrain, j’y suis allé et là, un mur de feu qui s’est… C’était rien comparé à ce que l’on avait vu avant. Quand on est arrivé aux abords du terrain d’Al Jaber, tout le monde avait été réveillé par les avions qui étaient passés en vrac dessus, et là, tout s’est illuminé et on s’est dit “Là, ça ne passe pas…”. Ce n’était même pas la peine d’essayer. C’était un vrai mur, il y avait probablement un canon tous les 50 cm qui tirait, des éclats de lumière partout, c’était terrible. A ce moment, on ne sait plus vraiment où on est, le terrain est là, mais après qu’est-ce qu’il y a autour, on n’a pas de carte, on n’a rien. Quand cela est arrivé, je venais de prendre un cap « pour voir »… il y avait des traces au sol je me souviens. On cherchait à tirer sur des batteries anti-aériennes, des choses qu’on allait trouver… des objectifs d’opportunité. C’est à ce moment-là, quand on cherchait, que c’est arrivé. Cela se passait très, très bas. Sans doute en dessous de 50 pieds… il y avait des lignes électriques, on est passé par réflexe en dessous des premières, puis, en passant au-dessus, on voit tout – mais on est à quoi… à peine 100 pieds. Les départ des canons, des ZSU-23-4 et autres… Ces canons anti-aériens, en temps normal, tirent de courtes rafales, mais là les Irakiens les avaient modifiés pour qu’ils tirent en continu tant qu’il y avait des obus dans les caissons, à tel point qu’on voyait des tubes fondre… cela formait des murs de ferraille partout, c’est très noir… puis sont venus tous les autres obstacles… il fallait passer en dessous, donc descendre sous les lignes électriques que l’on voyait dans le désert… et là, d’un coup, un grand choc, l’avion bascule à 90° et l’aile de l’avion est passé, pour moi, à un mètre du sable. L’avion a été complètement chaviré. L’avion était sur la tranche, et j’ai donné un coup de palonnier, pas un coup de manche… l’avion s’est redressé comme ça péniblement. Je venais de tirer mes bombes de 400 kg freinés, car on ne pouvait pas les tirer en dessous d’une certaine altitude, afin qu’elles puissent être armées par le biais d’une petite hélice devant qui doit prendre au préalable une certaine vitesse de rotation ce qui nécessite un certain temps de balistique. L’avion venait d’être allégé. Le missile a explosé et a endommagé toute la partie arrière droit de mon réacteur droit. Je pense que si j’avais dégauchi avec le manche, cela n’aurait pas marché. Je n’ai pas analysé le missile tout de suite et je ne savais pas dans quel état était l’avion. Ma première réaction a été un coup de haine… il y avait des véhicules devant sur lesquels j’ai tiré tous les obus de mes DEFA 30 mm. Je ne m’en souviens pas, c’est quelque chose que j’ai vu après quand on a développé le film de ma caméra. Cela a été ma première réaction, un sentiment qu’on avait violé mon intimité dans l’avion… on avait été pris à partie et il fallait réagir. J’ai tiré en continu, pas en rafales comme on le fait normalement… j’ai dû vider tous mes caissons de munitions. Tout cela a peut-être duré 30 secondes.

Dans un premier temps, je ne me suis pas rendu compte que toutes les alarmes hurlaient car j’étais focalisé sur le fait de tirer. J’ai percuté l’extincteur du réacteur en feu… sans savoir qu’il était tombé dans le désert quelques secondes auparavant… et en fait sur ce moteur-là, il n’y avait plus d’indication de température. Mais il y avait bien un incendie. L’explosion du missile avait produit un trou qui faisait une connexion avec le compartiment de l’autre réacteur qui tournait, mais avec le kérosène qui brulait dedans, et lui était très, très haut en température.

La première étape que j’ai franchie est celle de la décision de rester dans l’avion. J’ai repris le dessus et maitrisé l’avion. Il vole. On vient de larguer quelques tonnes de bombes et on leur a tiré dessus quelques obus, cela n’est pas vraiment l’endroit pour s’éjecter, on est en territoire ennemi. Et après c’est trop tard. On s’est recréé une zone de confiance, et c’est alors compliqué de s’éjecter quand l’avion vole. On se dit OK, et c’est ce que j’ai dit à Bonnaffoux, si les flammes reviennent par l’avant vers la cabine, là il faudra sauter. Mais je n’imagine même pas que l’avion puisse exploser d’un coup, je n’ai jamais vu un avion exploser comme ça… mais déjà on doit sortir de la zone chaude, ce qui prend quelques minutes, et ensuite on va monter. On est à 350 nœuds, sur un seul réacteur, on est en configuration lisse, l’avion est réactif, je n’ai pas de soucis de pilotage. On a pu se rassembler avec le commandant Bonnaffoux après être monté. Et quand il m’a dit que mon avion brulait derrière, on est monté au niveau 120 et là je lui ai dit “Bouge pas, je reviens” et j’ai piqué, à très fortes incidence, pour tenter de souffler les flammes, jusqu’à quelques milliers de pieds d’altitude. Et cela n’a pas marché. Je l’ai rejoint, et c’est là qu’il est resté derrière pour surveiller les flammes. On a rétabli un contact radio avec le reste de la patrouille qui rentrait un petit peu en vrac, et là certains m’ont dit : “Prépare-toi, il faut que tu sautes…” Non, je ne sauterai pas. Sauf si Bonnaffoux me dit de le faire. Si Bonaf n’avait pas été là pour me dire ce qui se passait, je ne sais pas ce que j’aurais fait. Mais je n’ai jamais été envahi par le désespoir ou l’envie d’abandonner. On fait le choix de continuer parce qu’on sent que ça va passer, parce qu’on maîtrise son environnement.

Quand on était en route vers le terrain de Jubayl, la défense aérienne américaine de l’aérodrome nous a demandé par radio des codes d’authentification qu’on n’avait jamais eu… cela a duré un petit moment, au bout duquel notre réponse a été un truc du genre : “Ecoutez, vu comment on doit brûler et fumer, je pense que vous nous voyez, donc si vous voulez tirer, vous tirez, on n’est plus à ça près, mais on n’a pas vos p… de codes d’authentification.” Le seul regret qu’on a par rapport ça, c’est que les Boeing américains et quelques forces pré-positionnées de l’armée de Terre ont entendu ces dialogues surréalistes et personne ne les a enregistrés. Ils ont été reconstitués avec la mémoire collective.

Jubayl une très grande piste. Et du coup Bonnaffoux s’est posé direct, et j’ai poursuivi un tour de piste raccourci pour me poser face à lui, on avait de la place, mais j’avais un doute sur l’état de mes pneus éventuellement – avaient-ils brulé ou pas ? Les volets sont sortis, le train aussi, les pneus étaient intacts… seul le parachute n’est pas sorti. Et pour cause, il était resté quelque part dans le désert.
Quand on s’est séparé pour se poser, à l’atterrissage, je me suis rendu compte qu’avec la vitesse qui diminuait, les flammes ont commencé à approcher, je les ai vues dans le rétroviseur, et j’ai alors remis les gaz avec le camion des pompiers américains qui suivait tant bien que mal. En arrivant sur la première bretelle j’ai écrasé les freins, et le temps que je coupe tout, que j’ouvre la verrière et que je saute… tombe  à terre, l’avion était déjà sous un mètre de mousse. Il devait me rester 100 kg de pétrole, pas de quoi refaire un tour de piste. Je n’ai jamais vraiment vu le feu. Juste quelques flammes dans le rétroviseur.
Quand on est parti en mission, j’avais mis dans une des poches de mon blouson un cigare que j’avais l’intention d’allumer à la fin de la mission. Quand je suis tombé par terre du poste de pilotage, j’ai vu des flammèches qui sortaient du trop plein dans la queue, et j’ai dit aux pompiers “Attendez !” J’ai sorti mon cigare, et je l’ai allumé avec ces flammèches et je leur ai dit “Maintenant vous pouvez éteindre”. Je tremblais de partout… je me suis éloigné en fumant le cigare. Ils m’ont demandé si l’avion était encore armé, et je leur ai alors expliqué que pour moi, il n’y avait plus rien dedans…  Il a quand même fallu que je leur explique l’avion, que je mette les sécurités sur le siège, et ils ont quand même bourré les canons de paille de fer pour éviter un départ intempestif. On m’a alors emmené dans un endroit de la base où j’ai retrouvé Bonaf…et je pense qu’on ne s’est rien dit. On était dans une sorte de mutisme, le contrecoup. Les Américains ont pris beaucoup de précautions… ils ne savaient pas que les Français étaient dans la guerre, c’étaient des troupes de la Navy, pas de l’USAF. On nous a conduit finalement à l’Amiral auquel j’ai demandé de pouvoir prévenir les Français. Il m’a montré un téléphone, de type point-à-point. C’est Perron, le commandant des forces françaises de l’opération, qui a répondu. Après, on a commencé à discuter avec les Américains, et on a appris des choses, comme l’a raconté Bonnaffoux.

Légion d’honneur

Humainement, cette mission m’a révélé une personne : le président de la République.

Effectivement, les Français étaient « tolérés » dans cette guerre. C’était une volonté politique que l’on soit là-bas. Jusqu’au 10 janvier, l’objectif assigné au Français était une île. Les Américains disaient qu’elle pourrait être une tête de pont pour un débarquement des forces terrestres par la suite. Il y avait peut-être un petit terrain et des infrastructures, je ne me souviens plus, mais cet objectif était complètement décalé du théâtre des opérations… Et c’est Mitterrand qui a dit : Non, non, les Français interviennent, et ils interviennent au cœur de la guerre ; la volonté du président de la République était, peut-être au prix du sang, de positionner la France au cœur de la guerre qui allait se dérouler. J’ai alors ressenti très fort une certaine idée de la France.

Par la suite, Mitterrand a souhaité lui-même me remettre la Légion d’honneur, alors que l’on me proposait la médaille de l’Aéronautique – très belle médaille pour moi. C’est donc le président François Mitterrand qui m’a remis la Légion d’honneur dans la cour d’honneur des Invalides.
J’ai été le premier militaire décoré par le président de la République pour cette opération. Mes camarades l’ont aussi été par la suite. Une vision humaine m’a consacré dans ce rôle là – car on se crée un rôle quand on est militaire. Et ce que je n’ai pas compris parallèlement à cela, ce sont les attitudes de Chevènement, et de Joxe par la suite, et leurs tergiversations politiques, au moment où moi, je sentais du coté présidentiel une cohérence – je ne parle pas des idées politiques, mais du rôle de la France dans ce conflit. Il y avait quelqu’un qui incarnait ce qu’on allait faire et cela est extrêmement précieux.

30 ans après, qu’avez-vous retenu de cet épisode de votre vie où vous avez chevauché la mort ? Comment cet événement a-t-il influencé votre vie ? Est-ce que vous revivez toujours cette mission, est-ce qu’elle hante encore vos nuits, ou pas ? Etes-vous en paix avec cet événement ? En avez-vous tiré des leçons qui vous ont servi par la suite ?

Il y a plusieurs stades de retour d’expérience.
Oui, cette mission, je l’ai revécue assez longtemps – encore que – … six mois après mon retour en France, je me réveillais en sursaut la nuit. C’est quelque chose qui était très présent, mais après, plus du tout – cela s’est arrêté net. Probablement parce que j’ai voulu vivre plein d’autres choses, parce que j’ai eu des opportunités.

On fait partie d’une génération bénie : nous avons vécu deux mondes, celui d’avant 1989, et celui d’après dont nous avons été acteurs – de ce monde qui cherchait à se construire (je ne dis pas à se reconstruire, car là, il y avait un nouveau monde et les gens ne savaient plus à quoi s’en tenir). Il y eu ensuite Samuel Huntington et son livre Le choc des civilisations, la fin du monde tel qu’on le connaissait, l’avènement d’un monde unique, le capitalisme, etc. On allait chercher un mode de pensée, un mode de vie, et surtout on allait vers un équilibre. Il y a un parallèle intéressant avec la crise du Covid-19 : dans le confinement, il y a une zone de sécurité qui se créée – c’est dur, il y a une menace, on est contraint mais on est dans une bulle, et la bipolarité de la guerre Froide, c’était ça. Après 1989-1990, mais aussi le Moyen-Orient, les Balkans, l’Amérique du Sud, etc. et puis tout ça, cette explosion a fait qu’il y avait tout à faire. On est sorti d’une diplomatie « à la papa » pour aller vers une diplomatie de la force ; et ce que j’ai ressenti à ce moment-là, c’est qu’on était la pointe de la lance de cette diplomatie de la force. Je suis complètement antimilitariste dans le sens où, pour moi, il est hors de question de donner du pouvoir politique aux militaires, mais j’ai ressenti alors que le militaire revenait au premier plan sur la scène pour apporter un soutien au monde politique, et à cause de cette vision claire du président, et du rôle très claire qui a été rempli par les forces armées, pour moi ça s’est dessiné comme ça et j’ai été acteur de ça. C’est ce sentiment que j’ai gardé fortement ancré en moi par la suite dans tout ce que j’ai pu construire à l’international. Tous les postes que j’ai eus, ce sont des postes de création, il y avait tout à bâtir, et plutôt dans des ambiances très ouvertes ; l’horizon était très large et c’est ce qu’il me fallait. Ce que j’ai retiré de cette époque, c’est le sentiment d’être acteur d’un monde à construire avec d’autres cultures et d’autres visions du monde que la nôtre. C’est ce qui m’a incité en 2009 à quitter l’institution militaire pour me lancer dans le monde de l’entreprise.

Comment fait-on la paix avec un tel événement durant lequel sa propre vie a été en jeu ?

Pour ce qui me concerne, il y a eu le fait de ne pas être blessé, de ne pas être atteint dans son intégrité physique. Je pense que c’est difficile pour une victime d’attentat qui a des séquelles, de se voir ; dans mon cas, quand on se regarde il n’y a aucune trace. Il reste ce qu’on a vécu, le choc émotionnel. En ce qui me concerne, ce qui a été dur pour moi, durant cette période-là, cela a été de me battre sans haine. Avec la volonté, toujours, de se dire qu’on incarne un rôle d’acteur au service du politique, et que de fait cela désincarne quelque part son rôle personnel en tant qu’être humain qui se bat contre un autre être humain. Il y a eu un moment, quand je me suis installé dans l’avion ce 17 janvier, où quelque chose s’est cassé. Jusqu’au moment où j’ai mis les gaz sur la piste ce jour-là, je réfléchissais à la façon de ne pas y aller. C’est tellement énorme cette bosse qu’il faut franchir… Le Jaguar était un avion dont les moteurs étaient fragiles, et je me disais si je mets pleine charge post combustion d’un coup comme ça, il va peut-être y avoir un pompage réacteur… on en est encore là, on est face à quelque chose qui est tellement haut, qu’on ne sait pas comment l’appréhender. Plein de choses se mélangent dans la tête, sa famille, ses enfants, ses amis, qu’est-ce que je fous là… Le fait de s’incarner dans un rôle d’acteur, presque d’une machine, c’est ce qui permet de transcender cette phase-là, et de partir avec une certaine sérénité… une fois qu’on a franchi ce pas, que ce lien émotionnel s’est cassé, il ne revient plus. En tout cas, moi, il n’est pas revenu, ni pendant la mission ni après. J’étais dédié à une mission, à un rôle. Cela m’a permis de travailler psychologiquement sur cet état, en me disant que le seul moyen de continuer à ne pas avoir d’émotion était de me battre sans haine. Ils ne m’ont rien fait personnellement, ce sont les idées qu’ils servent, tout ce que cela représente qui me gêne mais qui me guide dans mon rôle d’acteur pour que cela ne contamine pas le monde que moi j’apprécie et que je veux défendre. Il fallait mettre la pression sur Saddam Hussein. J’ai beaucoup apprécié ensuite toutes les études sur la théorie des cinq cercles de Warden, comment faire infléchir par la puissance militaire un pouvoir politique, et je me suis retrouvé là-dedans, et ça prenait sens de se dire qu’on allait casser les communications pour empêcher d’agir, etc. La puissance militaire au service d’un projet politique, au sens interaction avec la vision d’un monde. J’étais complètement dépassionné par rapport à cette guerre. Mais à tel point qu’après j’ai ressenti un véritable besoin, et je suis retourné 18 mois plus tard à l’état-major pour aider Marc Amberg [commandant de la base d’Al-Ahsa durant l’opération Daguet] à monter l’opération Alice. Et là je me suis vraiment intéressé à l’islam et à ce que ces gens représentaient, justement pour poursuivre ce chemin – l’islam m’intéresse pour ce qu’il est, comme les autres religions, pour bien comprendre les choses, la culture, et ne pas avoir l’impression d’avoir combattu des gens mais d’avoir combattu un pouvoir politique. Je ne me suis pas battu contre des Musulmans, je ne me suis pas battu contre des Arabes, je me suis battu contre le pouvoir de Saddam Hussein. Et ça c’était important. J’en ai retiré, pour tout le reste de ma vie, cette capacité à dépassionner certaines choses, à ne pas prendre les choses personnellement. Par exemple, j’ai accompagné le GIE Rafale à Singapour pour les aider à essayer de vendre le Rafale ; quand on négocie un gros contrat, et quand on n’est pas choisi, et que c’est l’avion américain qui est choisi, ce n’est pas une histoire de moi et ma tête, alors qu’à l’époque l’ambassadeur de France sur place l’avait pris comme un affront personnel, par exemple.
Pour aller plus loin, et sans vouloir mouiller les autres là-dedans, certains sont très conservateurs de ces moments que nous avons vécus et de cette époque. Personnellement, cela fait partie de ma vie, mais cela ne me définit pas. Je ne me résume pas à cet événement. Ce n’est qu’un moment, et c’est pour cela que je ne suis pas très enclin à mettre ce moment-là en avant en permanence. »

Jean-François Hummel est reparti au combat dès le lendemain, aux commandes d’un autre Jaguar.

Propos recueillis par Xavier Méal, rédacteur en chef adjoint du Fana de l’Aviation, auprès de Jean-François Hummel le 26 novembre 2020.

Vous êtes invités à lire l’article “17 janvier 1991, dans l’enfer d’Al Jaber”, publié dans Le Fana de l’Aviation n° 614 actuellement en kiosque, ainsi que l’article “Monument historique !” qui paraitra dans Le Fana de l’Aviation n° 615, en kiosque à la fin du mois de janvier 2021.

 

La Guerre du Golfe ; c’était il y a 30 ans !

Golfe ; c'était il y a 30 ans

 

Le 17 Janvier 1991 une patrouille de 12 Jaguar attaquait la base de Al Jaber en Irak, réalisant ainsi la première mission française de la campagne aérienne de la Guerre du Golfe.

A l’époque, j’étais en stage de ski à Val d’Isère et le 16, comme tous les soirs après manger, on s’était retrouvés devant la télévision pour voir les « Guillaume Durand » des différentes chaines occuper l’antenne avec le peu d’informations dont ils disposaient. Mais ce soir-là, ils nous annoncent que depuis peu de temps les communications étaient brouillées et que l’activité aérienne était plus importante que d’habitude avec notamment le décollage de F15 et de F4. En allant se coucher, j’annonce que c’était pour cette nuit et que ça allait « cogner ». Ma réflexion est tombée à plat et ce d’autant plus qu’un de nos anciens généraux bien étoilés, consultant de la chaine TV, avait dit que toute cette activité n’était qu’agitation destinée à énerver les gens d’en face ; ceux qui me connaissaient m’ont regardé avec crédulité et les autres se sont demandés : « c’est qui celui-là ? ». Celui là était un ancien pilote qui avait passé toute sa carrière opérationnelle sur Jaguar et qui lors d’un stage guerre électronique chez les Américains à Ramstein (car j’étais aussi spécialiste GE) s’était vu exposer le plan d’intervention d’une campagne aérienne : brouillage des communications avec les C 130 « Compass Call », mise en place des avions de supériorité aérienne (F 15 principalement) des supports GE (A6 Prowler et F4G) puis en final les avions d’attaque air / sol ; à quelques détails près, c’est ce que nous avait raconté le commentateur télé.

Sachant qu’en matière de défense sol / air, la menace était bien plus importante que celle qu’on avait rencontré en Afrique, j’étais inquiet pour mes anciens collègues et j’avoue que je n’ai pas très bien dormi, mais très certainement plus et bien mieux que ceux qui allaient affronter les troupes de Sadam. Le lendemain vers 7 heures du matin, je me suis jeté sur la télécommande de la TV ; toutes les chaines ne parlaient que de cette première mission qui avait failli tourner à la catastrophe. La campagne aérienne avait bien démarré dans la nuit et plusieurs Jaguar français avaient été touchés au cours de l’attaque de la base d’Al Jaber. Mais tous confirmaient l’information principale : « tous les avions étaient rentrés ! ».

La guerre du Golfe ne peut pas se résumer uniquement à cette mission, mais il faut reconnaitre que ce fut un moment vraiment spécial pour les participants. Quelques mois après, un des pilotes de la patrouille m’a fait lire le récit de la mission (qui à ma connaissance n’a pas été publié) et un passage m’avait particulièrement marqué. C’était au plus fort de l’attaque ; il volait à 100 ft, devant lui il voyait les traçantes des projectiles des défenses aériennes et il racontait que pour les éviter il était passé dessous et ainsi avait poussé sur le manche malgré le peu de hauteur entre son avion et le sol !

Sur le site j’ai déjà mis en ligne le récit de plusieurs pilotes de la 1ère patrouille :

C’est passé tout prêt pour Charly 

Seul au dessus du désert 

17 Janvier 1991 ; attaque du terrain d’Al Jaber 

La guerre du Golfe ; c’était il y a 25 ans 

Un missile dans le réacteur 

Je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée pour Jean Luc MANSION dit « Schnappy », leader de la patrouille qui nous a quitté l’année dernière et auquel j’avais aussi consacré un article. Tous les ans, à la date anniversaire les pilotes de la première patrouille ont pris l’habitude de se retrouver et cette année pour le trentième anniversaire, Schnappy va leur manquer.

 

Histoire de F 111 et de JAGUAR

Après un vol ennuyeux dans la "non-fly" zone au dessus de l'Irak, 2 Jaguar rencontrent une patrouille de F 111 américains et décident de se joindre à eux pour le retour.

Une petite histoire d’après guerre du Golfe qui montre que malgré leur technologie bien avancée, les Américains peuvent parfois se prendre les pieds dans le tapis. Deux F 111 un peu perdus se font interceptés par 2 Jaguar français qui vont leur provoquer un petit vent de panique.

Pour mieux profiter de l’histoire, cliquez sur e premier dessin et avancez avec la flèche de droite (ou de gauche pour revenir en arrière). 

Les débuts d’Épervier

N'Djamena

 

Article écrit il y a au moins 5 ans et que j’ai (étonnamment) oublié de publier…. 

Rappel de « l’épisode » précédent ; le 16 Février 1986 l’Escadron 1/11  a attaqué la piste de Ouadi Doum avec 11 Jaguar, et le lendemain matin Jean Michel vient cogner à la porte de ma chambre « Les Lybiens viennent de bombarder la piste de N’Djamena !».

Lundi 17 Février, on se retrouve tous à la villa pour préparer la réplique de l’attaque de la piste de N’Djamena par un TU 22 Lybien.

Le TU 22 a tiré une seule bombe, mais une bombe de 2 tonnes qui a fait un gros trou dans la piste : un cratère d’environ 5m situé à 600m de l’entrée de la piste 25, mais laissant une demi bande utilisable. Dit autrement la piste est encore praticable à condition de n’utiliser que la partie non touchée. Malgré le coté rustique de cet armement classique, la bombe a été très efficace ; l’entreprise de BTP française en charge de réparer la piste a mis plus d’une semaine et une fois les travaux terminés, le premier avion qui s’est posé (un DC8) a enfoncé la rustine ce qui a nécessité une reprise des travaux.  On a retrouvé une pierre d’environ 2 kg dans la tour de contrôle située à plus d’un kilomètre !

A la villa, c’est l’effervescence et on commence à parler d’escalade dans l’engagement. L’objectif de la mission est cette fois, la piste de Faya Largeau ; elle est en latérite et ne peut pas accueillir de chasseurs. On a quand même la sensation que les décideurs ont eu du mal à trouver un objectif digne de ce nom, car l’intérêt opérationnel d’une telle attaque n’est pas évident.

La logique est la même que précédemment ; on a une journée pour préparer et on attaque le lendemain, sauf que cette fois l’HSO (heure sur objectif) est fixée à midi. On ne sera pas obligé de lever aux aurores !  Question armement, il a été décidé d’utiliser des Durandal ; même principe que les BAP 100, mais en beaucoup plus gros car on n’en amène que 3 au lieu de 12. Lors de la journée de préparation, on commence à ressentir quelques signes de nervosité, probablement dus à la fatigue, mais en début d’après-midi la mission est prête. Après l’ordre, le contrordre ; on abandonne l’attaque de la piste et on envoie les 4 F1C à N’Djamena. Comme du côté navigation nos collègues de la défense aérienne sont un peu démunis, 2 Jaguar les accompagneront histoire d’être certain qu’ils arriveront à bon port. Il faut signaler que le F1C n’avait pas de calculateur de navigation et je crois qu’il n’est pas équipé de VOR.

Comme prévu, Jean Michel leader de la patrouille des 2 Jaguar, est de retour en fin d’après-midi après avoir accompagné les F1C. On pense qu’on va rester dans cette configuration lorsque Alban nous réunit avant le repas pour nous annoncer que demain 2 Jaguar font mouvement vers N’Djamena et y resteront ; les 2 pilotes gagnants sont… 3D et moi !

Le lendemain à bonne heure, nous voilà donc partis vers ce beau port de pêche que je connais déjà ; comme l’opération EPERVIER a démarré il y a 3 jours, je suppose qu’au niveau logistique je vais revivre ce que déjà vécu pour Manta. Pas de soutien, des conditions de vie plus que limites, des problèmes d’approvisionnement,… bref un grand classique. Et en plus je vais retrouver le « boulanger du désert » (surnommé ainsi pour sa propension à distribuer des pains, jours d’arrêt en langage militaire)  le COMELEF que j’ai eu comme commandant d’escadre et avec qui ça s’est moyennement passé à Toul.

Le boulanger du désert
Le boulanger du désert

En arrivant, la tour nous informe sur l’état de la piste et effectivement, on se rend compte  que le trou est gros et que des ouvriers sont déjà à pied d’œuvre.  Atterrissage 600m long et on va  se garer à l’aéroport civil pour faire les pleins (cas connu). Là nous attend Nénesse, mon officier mécano que j’avais quitté à Libreville, en tenue de combat et en baskets blanches. Le bilan est plus que moyen : seul le chef des armuriers l’accompagne et question matériel, en tout et pour tout il ne dispose que d’une seule échelle, une roue de train avant et un tournevis ! « On est parti dans l’urgence de Libreville et c’est tout ce qu’on a pu embarquer ; c’est comme ça que j’ai oublié mes chaussures », me dit Nénesse ! De retour au parking militaire de l’autre côté de la piste, je suis conduit chez le COMELEF pour une première prise de contact qui s’avère très cordiale et pendant laquelle j’apprends que mes prévisions s’avèrent exactes en ce qui concerne tout le soutien. A peine le temps de manger un morceau, on nous demande 3D et moi de repartir pour une reconnaissance à vue (RAV) au nord de N’Djamena, à la recherche de troupes Libyennes ; on décolle face à l’ouest et le trou de la bombe est à 600m. Un mécano est positionné au seuil  de piste à côté des avions avec un chiffon blanc et un de ses collègues, proche du trou avec un chiffon identique. Lorsque les deux chiffons s’agitent et après clearence de la tour, on lâche les freins. La vitesse à proximité des travaux est d’environ 80kts et on a le temps de voir les ouvriers situés seulement à quelques mètres nous faire des grands signes ou plus stoïques pour certains qui sont appuyés sur leur manche de pelle. Question sécurité des vols, ce n’est pas vraiment ça, mais c’est l’Afrique patron !

Coté aéroport civil à N'Djamena
Coté aéroport civil à N’Djamena

Comme je l’avais pressenti, les conditions de vie  sont  spartiates ; je n’ai jamais compris cette hâte à faire venir les avions d’arme avant d’avoir des conditions d’accueil décentes, que ce soit pour les personnels ou les matériels. Un copain de promo, commissaire décrit ce qu’il a dû entreprendre pour améliorer l’ordinaire de chacun dans un article déjà publié précédemment. Certes, on survit, cela reste comme de bons souvenirs quelques années après, mais il faut reconnaître que ce n’est pas facile à vivre.  De plus, nous sommes confinés sur la base et il faut avouer que les journées sans vol sont longues.

Une des chambres mécanos
Une des chambres mécanos

Question vol, avec une échelle et un tournevis, ce n’est pas le Pérou ; dès notre arrivée, je fait part de la situation au COMELEF qui m’écoute amusé et pour qui ce n’est pas vraiment un souci. Je réussis à lui faire signer un message pour demander à ce qu’on m’envoie du renfort de Bangui. En attendant, on utilise les avions comme le ferait monsieur tout le monde avec sa voiture ; on vole, l’avion est Ok au retour, on refait les pleins et on est prêt pour le tour suivant. Chaque jour, avec Nénesse on est à l’arrivée des Transall, espérant voir venir du personnel ou du matériel ; chaque fois c’est la déception et chaque soir c’est un nouveau message de relance qui reste lettre morte. Sauf qu’un soir on voit débarquer du C160 un pilote : Engie ! Content de le voir mais ce n’est pas question pilote que ça coince. On aurait pu continuer comme ça un bon moment, sauf que les moteurs Adour du Jaguar consomment de l’huile à chaque vol ; on a bien essayé d’aller voir du côté des F1C, mais les embouts pour refaire les pleins ne sont pas les mêmes !

Question vol il y avait un autre problème qui cette fois était général, celui du pétrole. La  source principale d’approvisionnement consistait à faire venir un DC8 de la compagnie « Minerve » (aujourd’hui disparue) qui décollait de Libreville avec le plein complet, dépotait le carburant de l’avion pour ne garder que la quantité minimale pour revenir à Libreville. On peut imaginer le prix du litre (et aussi ce qu’ils gardaient pour le retour)! On s’accommodait de cette situation qui réduisait l’activité aérienne, mais quelle ne fut ma surprise de découvrir en dernier virage au-dessus du fleuve Chari (frontière entre le Cameroun et le Tchad) des kilomètres de camions citernes attendant une autorisation administrative pour prendre le bac et traverser le fleuve ! Il ne faut pas oublier que le France est revenue à N’Djamena à la demande du Tchad.

Finale à N'Djamena en piste 25 au dessus du Chari
Finale à N’Djamena en piste 25 au dessus du Chari

Sur la base avec nos 2 Jaguar, 2 (puis 3) pilotes et les 2 mécanos, on est un peu à part et la priorité est donnée aux F1C qui tiennent une alerte H24 à 5 minutes. C’est beaucoup de présence, beaucoup de contraintes et beaucoup d’attente. Le chef de détachement est mon copain de promo Baudouin et histoire de s’occuper, tous les matins on fait le tour des installations OPS ; j’en profite pour compter ses missiles super 530 ; 1, 2 , 3 et 4 le compte est bon ! Et puis un jour, pendant notre promenade matinale,  on voit arriver un biffin (terme affectif pour désigner un représentant de l’armée de terre) tout excité en train d’agiter  un long ruban de papier blanc qui s’avère être une suite de messages Libyens interceptés par nos services « Je savais bien que vous ne l’aviez pas détruite » nous crie t’il avec un grand sourire. En fait il parlait de la piste de Ouadi-Doum au sujet de laquelle, depuis quelques jours, commençait à circuler la rumeur que l’attaque du 16 février n’avait pas été couronnée de succès. Visiblement il en était ravi et il  me montre un message décrivant l’activité aérienne prévue ce jour sur la base ; TU 22, MIG 23,…. Je lui réplique que ce n’était parce que c’était écrit que cela allait se faire. Argument rejeté, et puis en regardant les autres messages qui ne traitaient que de sujets sans grande importance, je m’aperçois que ceux-ci comportaient  des mots manquants ou remplacés par une série de croix. Je lui pose une question à ce sujet et la réponse est simple : de temps en temps on ne décode pas certains mots des messages Lybiens et on les remplace par des croix. Je lui fais alors remarquer que le seul message entier, donc non codé, est le plus important car c’est celui qui concerne l’activité aérienne. Cela ne l’a absolument pas ébranlé dans sa certitude et il est parti aussi sec répandre la (bonne) nouvelle.

A force de consommer de l’huile, nous avons fini par faire le constat qu’il ne restait plus qu’un potentiel de 1H30 de vol par avion, de quoi évacuer N’Djamena en cas d’urgence. Je réussis à convaincre le COMELEF de me laisser partir sur Bangui pour expliquer notre situation qui à l’évidence était le cadet de ses soucis.

Quelques jours plus tard, les Jaguar de Bangui firent mouvement vers N’Djamena et commença ainsi véritablement, l’opération EPREVIER qui dura plus de 25 ans.

N'Djamena. La zone vie : les mess et le LC0
N’Djamena. La zone vie : les mess et le LC0
Vue du LC0
Vue du LC0

25 Janvier 1984 ; mort du Capitaine CROCI

Le capitaine CROCI

Retour sur les circonstances de la mort du Capitaine CROCI, mort pour la France. Extrait de l’article du Capitaine GUERIN Toro Doum au cœur de l’opération MANTA”

A 13h05, une patrouille (la F 219), composée de deux Jaguar (Leader : Cne Jacques Le Balle et N°2 : Cne Michel Croci) est alors déclenchée :

En remontant la piste à partir de Ziguey sur environ 120 Nm et, très près de Toro Doum ils découvrent une colonne d’une vingtaine de véhicules bien alignés composée de poids lourds, de camions citerne, de Toyota équipées de canons ZSU 23/2, du véhicule blanc de MSF et le tout, accompagné par une troupe assez importante de combattants (environ 200 individus). Au premier passage le leader a transmis les coordonnées au quartier général via le Breguet Atlantic, et demandé les instructions de tir ! En attendant les ordres, les pilotes ont fait trois passages photos dans le sens de la colonne avec le doigt sur la queue de détente. A l’issue, le pétrole arrivant aux minima, la patrouille décida de rentrer à Ndjamena sans avoir fait feu ! Ce n’est qu’à mi-parcours en HA (Haute Altitude) que l’ordre de tir leur parvint ! Mais, Trop tard ! Ils n’ont plus assez de carburant pour revenir sur Toro Doum.

Fort Ziguey 25 Janvier 1984
Fort Ziguey 25 Janvier 1984

Si l’autorisation de tir avait été reçue à temps, le problème aurait été vite réglé ! Ils auraient eu le bénéfice de l’effet de surprise et la colonne bien alignée aurait été un objectif facile pour un tir canon. Au retour de la patrouille, sur l’une des photos prises au cours de la mission on aperçoit clairement un individu épauler une arme qui ressemble étrangement à un missile sol air SA 7. En salle d’opérations, une effervescence inhabituelle s’installe : les téléphones sonnent sans arrêt, comme on dit en Afrique : ça palabre beaucoup.

En début d’après-midi, Un coup de téléphone du « camp Dubut » siège du quartier général, ordonne le « Scramble » (Alerte pour un décollage immédiat) de la quatrième patouille, un rapide tour des disponibilités avions : un Jaguar, deux Mirage F1.

Parking N'Djamena
Parking N’Djamena

Les pilotes présents dans la salle d’opérations, sont vite désignés.

      • Leader : Cne Guérin          EC 4-11 Jaguar   A101
      • N°2 : Cne Ramade             EC 2-12 F1           242
      • N°3 : Cne Blanc                   EC 2-12 F1           282

Configuration avions :

      • Jaguar A101 : 1 bidon ventral : Armement : OPIT
      • MF1 242 : 1 bidon ventral : Armement : OMEI + OPIT + 2 Magic
      • MF1 282 : 1 bidon ventral : Armement : OMEI + OPIT + 2 Magic

Sentant que cela devenait chaud, je demande à charger tous nos avions avec un armement adapté aux attaques basses altitudes ou au moins avec un panachage d’obus OPIT, OMEI. Dans la confusion et la précipitation, cette requête restera vaine pour le Jaguar dont les deux canons de 30 mm étaient déjà armés en OPIT.

Les ordres ne sont pas très évidents à interpréter ! Le Col Caisso de la FATAC (Force Aérienne Tactique) insiste en téléphonant au PC commandement MANTA pour avoir des ordres clairs et précis ; faut-il tirer ou non ? Le flou dure une dizaine de minutes. Finalement, sans instructions précises, les pilotes partent aux avions et ce n’est qu’après avoir commencé à rouler, qu’ils reçoivent l’ordre du COMELEF : (Commandant des Eléments Français) « Autorisation d’ouverture de feu pour tir d’intimidation à côté et au Nord des éléments reconnus ennemi pour retarder leur progression ».

A 15h15 : La patrouille F220, des Veto « N » (indicatif radio) décolle à 20 secondes. La montée se fait plein gaz au cap Nord, pour rejoindre l’avion ravitailleur C 135 en provenance de Libreville qui a survolé N’Djamena au moment de notre décollage. Toujours au cap Nord, nous acquerrons le visuel du tanker, nous le rassemblons et effectuons un ravitaillement express à 300 kts, niveau de vol 260. Après le ravitaillement, nous dégageons en échelon sur son côté gauche et accélérons pendant la descente : Les avions sont très lourds. Nous vérifions une dernière fois les transferts carburant, voyants pétrole, le détotalisateur carburant et bien sûr les différents contacts armement canon.

En vol, un contre-ordre nous est donné, « Vous n’avez plus l’autorisation de tir ».

Arrivés en très basse altitude, nous virons par la gauche au cap 270 pour longer la ligne rouge du 16ème parallèle, nous volons à 450 kts, et 300 pieds sol en échelon à 1500 mètres pour chaque équipier ; le N°2 est à ma droite, le N°3 en retrait à 1500 m à gauche surveillant respectivement nos arrières.

Sans ordre de tir le premier passage à très basse altitude n’est fait que pour prendre des photos. L’ennemi qui a eu le temps de se disperser et de se cacher sous les arbres de la palmeraie de Toro Doum marque sa présence en tirant avec du SA 7 et du ZSU 23/2 (canon bitube de 23 mm de diamètre).

Dès notre premier survol, j’entends sur la fréquence « leader, break missile » ! Comme à l’entrainement, je tire sur le manche sans aucune hésitation et vire très serré à droite ! Mon N°2 me suit. Après un 90°de virage, j’aperçois derrière moi un nuage noir que j’attribue à l’explosion du missile. Pendant ce temps mon N°3 avait fait la même manœuvre à gauche. Nous continuons cap à l’Ouest pendant dix nautiques et nous nous mettons en attente hors de portée de tir ! Dès que la patrouille est rassemblée, chacun vérifie sa cabine et ses instruments de vol, pressions, transferts carburant, etc. Je rends compte immédiatement que nous venons de nous faire tirer par du missile au PC volant qui est dans le Breguet Atlantic ! Nous recevons l’ordre de « riposter sans toucher le véhicule des otages ». Nous nous mettons en formation d’attaque l’un derrière l’autre et commençons la première passe canon sur ce que nous découvrons. Le temps d’attribuer les objectifs à mes équipiers en fonction de leur angle d’attaque, un 4/4 Toyota apparait droit devant juste au milieu de ma glace frontale et comme au champ de tir, j’amène le réticule dessus, vérifie que les paramètres vitesse et accélération sont stables et commence le tir. Une trentaine d’obus suffira pour toucher la cible, j’effectue à temps la ressource au milieu d’une multitude de débris non identifiés.

Après sa première passe mon N°3, annonce « j’ai tiré tous mes obus » ! Je lui donne l’ordre de se mettre en attente à l’Ouest, loin de la palmeraie. Avec mon N°2, j’enchaine sur la 2ème passe sur un axe d’approche décalé par rapport au premier. En dégageant, j’entends mon N°3 m’annoncer « leader, il me reste des obus » ! Je lui demande de nous rejoindre et de se replacer derrière le N°2 pour la 3ème passe. En dégageant de la 3ème passe vers l’Est, je découvre un gros camion près d’un arbre sur ma gauche ! Mes équipiers m’annoncent fin de munition mais, pris dans le feu de l’action et mordant le coussin, je ne veux pas le laisser filer : Je décide donc de faire une dernière passe, seul sur un axe Nord Sud avant de quitter la zone.

Camion citerne
Camion citerne

Lors de cette 4ème passe, je suis pile dans l’axe du camion de munition quand je commence à tirer ! J’ai vu les impacts de mes obus remonter de l’arrière vers l’avant et les attaches de ridelles se détacher les unes après les autres.

Note: Le tir canon à bord d’un Jaguar ou d’un F1, est équivalent à une action chirurgicale effectuée en moins de cinq secondes à une vitesse de 500 kts (nœuds) mini ! (En 1984 : c’était la vitesse minimum pour distancer les missiles à courte portée type SA 7). On part d’une altitude de vol de 100 pieds sol, on monte à 1500 pieds pour chercher à identifier la cible et on ajuste le tir qui s’effectue idéalement à 500 m de distance ! Cependant, ce jour-là, la distance de tir était plutôt entre 400 et 200 mètres. A la ressource, on peut se trouver au milieu d’éclats de toutes sortes qui peuvent monter et passer au-dessus des ailes de l’avion.

Résultat global : Plusieurs véhicules sont touchés dont un camion-citerne qui s’embrase au milieu de la palmeraie et un camion de munitions. L’incendie provoqué restera visible à plusieurs kilomètres jusqu’à l’arrivée de la patrouille suivante.

La patrouille des Veto “P” s’était préparée à nous rejoindre quand nous intervenions sur la zone ennemie. Elle décolla de N’Djamena très rapidement pour nous remplacer.

Composition de la patrouille des Veto « P », (Mission F221):

      • Leader : Cne Croci                            EC 4-11 Jaguar   A81
      • N°2 : Cne Le Balle                             EC 4-11 Jaguar   A100
      • N°3 : Cne Ducanois                         EC 2-12 F1           280
      • N° 4 : Cne Harmand                        EC 2-12 F1           220

Configuration avions :

      • Jaguar A81 : 1 bidon ventral : Armement : OMEI + OPIT + Phimat Baracuda
      • Jaguar A100 : 1 bidon ventral : Armement : OMEI + OPIT + Alkan 531
      • MF1 280 : 1 bidon ventral : Armement : OMEI + OPIT + 2 missiles air air
      • MF1 220 : 1 bidon ventral : Armement : OMEI + OPIT + 2 missiles air air

A 15h45, les Veto « P », décolle avec comme ordre : « confirmation de détruire la citerne et destruction de tous véhicules à l’exception de la voiture blanche de médecin sans frontière ».

Après le ravitaillement en vol, la patrouille change de configuration pour l’attaque et se sépare pour approcher sous deux axes différents dans l’ordre un Jaguar, un Mirage F1 (N°1 et N°3), (N°2 et N°4). Les équipiers sont en snake (l’un derrière l’autre) à 2000 mètres et la première attaque commence soleil dans le dos. Un camion-citerne en flamme au milieu du désert, constitue un repère immanquable, le leader commença le tir canon au premier passage sur les véhicules cachés sous les palmiers qui ripostaient avec tout l’armement dont ils disposaient entre autres, du SA7, des canons ZSU 23/2 (canon anti-aérien soviétique de 23 mm) et 14.5 (canon anti-aérien de 14,5 mm), des kalachnikovs et même de l’anti-char (douilles retrouvées sur place après l’intervention).

Le N°2 : Jacques Le Balle raconte :

De loin, nous apercevons distinctement une épaisse fumée noire provenant certainement de la combustion de pétrole suite aux attaques de la patrouille “des VETO N”. Le leader décide d’attaquer au Nord de la fumée, me laissant la partie Sud.

En « in » je vois le leader et le N°3 dégager dans l’axe, à 90° de mon cap. J’essaye de repérer des véhicules, sans résultat. A 500 mètres restant, j’aperçois un flash à une heure. J’effectue la ressource éjectant des leurres infra rouges. Je n’ai pas eu le temps de tirer. Le N°4 aperçoit plusieurs départs de missile et perturbé par mes leurres ne peut pas ajuster sa visée. Nous dégageons dans l’axe. Je m’éloigne en essayant d’avoir visuel du leader sans résultat.

Je décide de refaire la même passe et vire à gauche

Le leader m’annonce visuel et me suit. J’effectue la même attaque et tire sur un groupe de personnes nous mitraillant en larguant mes leurres. Je dégage dans l’axe. Le N°4 aperçoit également un groupe en batterie et tire.

Après trois passes à très basse altitude et surtout après avoir pris en compte la tactique d’attaque de la patrouille précédente, l’ennemi riposte et ajuste ses tirs. Le Jaguar A81 du Cne Michel Croci est touché probablement par un tir de petit calibre (7.62 mm ou 14.5 mm) à l’issue de la 2ème passe canon, (Un impact très certainement au niveau de la pompe hydraulique secours a provoqué la perte instantanée des trois circuits hydrauliques (Un, deux et secours). Volant très bas et très vite au cap sud/sud-ouest, il annonce soudainement à la radio : « Merde, j’ai une panne Hydr … » (pour hydraulique). Sans avoir eu le temps de finir sa phrase, son avion se cabre brutalement ! (Sous une très forte accélération, il se dresse et donne l’impression de s’arrêter dans les airs), les commandes de vol sont bloquées. Il fait une barrique très serrée par la droite, se retrouve avec un angle de 60° à piquer et percute le sommet d’une dune de sable.

Jacques Le Balle raconte :

A l’issue de ma 3ème passe de tir, je dégage dans l’axe au cap 300 et aperçois le leader et le N°3 en virage à gauche revenant vers l’objectif à un cap sud / sud-ouest : J’annonce « visuel ». Je vois bien le leader qui arrive très vite et très bas à un cap collision sur moi. Arrivant à mes une heure, il annonce soudainement : « MERDE, j’ai une panne hydr… ». Il est en face de moi à environ 300 mètres quand je vois son Jaguar se cabrer brutalement sans monter, puis faire un premier tonneau à droite de 180° et après un court arrêt, un second toujours à droite le positionnant en ligne de vol à plat mais à 60° de piqué et à quelques mètres du sol. L’action se passe en quelques fractions de secondes, j’ai l’impression qu’elle se déroule au ralenti. Le nez de son avion touche le sommet d’une dune à mes midis, puis explose au milieu d’une boule de feu. Je passe à droite du crash au cap 300, n’aperçois que des débris noirs sur le sable jaune et actionne ma caméra Omera 40. Le nuage de feu s’est rapidement évaporé. Je vire à gauche pour permettre aux deux mirages F1 de rassembler sur moi. J’alerte le commandement et refait une reconnaissance de la zone du crash. Je ne vois pas le N°3 qui devrait être derrière moi au cap sud. Le N°4 en snake, doit logiquement toujours me suivre. Nous faisons deux survols de la zone du crash : Je ne vois que des débris calcinés éparpillés sur environ 100 mètres de rayon, aucun parachute et pas de trace du pilote.

Patrick GUERIN

Détachement du 4-11
Détachement du 4-11

 

Seul au dessus du désert

Après l'attaque du terrain d'Al Jaber

 

Le commandant Bonnaffoux est affecté en mars 1980 à la 7ème Escadre de Chasse, à St Dizier. Il était encore lieutenant lors de la guerre du Golfe, où il a vécu une aventure qui aurait pu tourner au drame, à bord du JAGUAR A104. Ce témoignage ne laisse aucune équivoque sur les dangers et les difficultés auxquels furent confrontés les pilotes français sur ce théâtre d’opérations.

C’était le 17 janvier 1991. Je faisais partie des pilotes désignés pour la toute première attaque de l’Armée de l’Air contre des positions irakiennes au Koweït. J’étais initialement le seul pilote de la 7ème E.C à venir renforcer les pilotes de la 11ème E.C avant d’être rejoint par le Lieutenant Schwebel, après une défection d’un des pilotes du 2/11.

Notre objectif était la base aérienne d’Al Jaber, au centre de l’Emirat. Dans le cadre du partage des missions entre les Alliés, les Américains nous avaient demandé d’y rechercher et d’y détruire des stocks ou des emplacements de missiles sol/sol de type SCUD suspectés d’être équipés de charges chimiques. Notre dispositif était une formation de 12 jaguars, composée de 2 groupes de 6 avions qui devaient attaquer à quelques secondes d’intervalles, les 2 hangars centraux et les zones des hangarettes aux extrémités des pistes. La première patrouille de 6 Jaguars, indicatif Jupiter 01 était composée du Cdt Mansion, du Ltt Bolin, du Cne Depardon, du Ltt Schwebel, du Ltt devautour et du Ltt Christ. La seconde patrouille, indicatif Jupiter 11 était composée du Cne Pacorel, du Ltt Jurys, de moi-même, du Cne Houdet, du Cne Mahagne et du Cne Hummel. Notre armement était composé de bombes freinées de 250 kg et de bombes lance grenades BLG 66 Belouga avec des sous-munitions de type interdiction de zone afin d’empêcher les irakiens de déplacer leur SCUD.

L'objectif : la base d'Al Jaber
L’objectif : la base d’Al Jaber
Pendant le briefing
Pendant le briefing

Pendant le briefing, juste avant le départ en mission. On peut voir toute la tension sur les visages des pilotes.

Notre mission devait se dérouler à basse altitude, d’une part à cause de notre armement, et d’autre part afin d’échapper aux batteries de SAM (Surface to Air Missile) guidées par radar, la menace la plus dangereuse… Au moins, était-ce ce que nous croyions à ce moment-là, même si, en principe, les Américains avaient déjà détruit tous les centres de guidage et de contrôle des SAM (Surface Air Missile). Nous avons décollé d’Al Ahsa, notre base dans le désert d’Arabie Saoudite, il était de très bonne heure le matin, nous avions passé une nuit blanche suite aux incessantes alertes d’attaques missiles qui avaient débutées aux alentours de minuit. Après avoir ravitaillé, nous avons pris notre formation d’attaque, un triangle de trois patrouilles légères et nous sommes descendus en basse altitude pour rejoindre le point de recalage du calculateur de navigation avant de pénétrer au Koweït. Nous n’avions pas encore de GPS et le calculateur de navigation du Jaguar avait tendance à dériver un peu. Les 6 premiers Jaguars se sont retrouvés un peu plus à l’ouest du trait de navigation prévu ce qui dans un sens les a sauvés du déluge de feu que la deuxième patrouille a reçu. La frontière était bien délimitée au sol par une bande verte de culture, à peine l’avions-nous traversée, que notre univers a soudain changé. C’était comme si une ligne invisible avait été tracée sur le sable. D’un côté, tout était calme et organisé, de l’autre, après quelques secondes, c’était la guerre et l’enfer !

Photo prise au cours de l'attaque du terrain d'Al Jaber pylone d eclairage
Photo prise au cours de l’attaque du terrain d’Al Jaber pylone d eclairage

C’était ma première mission de guerre, mais je ne pensais pas qu’une chose pareille pouvait exister. L’intensité de la riposte venant du sol était incroyable, et comme nous étions très bas, nous avions droit à toute la ferraille, tout ce que les armes de tous les calibres pouvaient tirer vers le haut ! J’étais dans la deuxième vague de six avions, je voyais très bien le feu anti-aérien monter vers les premiers Jaguars, avec, en nombre important, ces fameux SA-7 à guidage infrarouges, tirés à l’épaule par des fantassins. Contre cette concentration de tirs, il n’y avait pas grand-chose à faire. Nos moyens de contre-mesure électronique ne servaient à rien puisque les Irakiens n’utilisaient pas de radars pour ajuster leurs tirs, peut-être, d’ailleurs, par crainte d’attirer les « Weasels » Américains. Et surtout, la vitesse des missiles ne nous laissait aucune liberté de manœuvre contrairement à l’idée que l’on pouvait avoir lors de nos entrainements en France, tout juste descendre le plus bas possible pour trouver une protection derrière les merlons des fortifications irakiennes et appuyer sur le bouton « lance leurres ». Je me suis demandé ensuite pourquoi autant de SA- 7 avaient fait si peu de dégâts contre nous. Peut-être parce que l’empennage horizontal à dièdre fortement négatif du Jaguar masque un peu la sortie des tuyères ou en absorbe la chaleur et réduit ainsi la signature infrarouge de l’avion, le réacteur est un double flux ce qui atténue également un peu la chaleur ? Cette explication ne peut pas être la seule. Je pense que d’autres facteurs jouèrent aussi en notre faveur, comme notre grande proximité avec le sol, la position des tireurs, ou leur angle de visée, ainsi que leur niveau de technicité dans l’utilisation de ce système d’arme, beaucoup avait dû être tiré sans attendre d’avoir l’autodirecteur accroché, heureusement pour nous, ça aurait été un massacre !

Un SA-7 en vol
Un SA-7 en vol

Notre formation venait de pénétrer dans cette concentration de tirs, quand j’ai ressenti clairement 3 impacts sur l’avion. La proximité du sol me rendait moins vulnérable aux SA7 mais m’exposait davantage aux petits calibres. Je n’ai rien vu ni entendu, simplement « éprouvé » un choc dans la cellule. J’ai su que j’avais été touché avant que l’alarme de la baisse de pression d’huile ne s’allume et qu’au même instant commence à hurler le signal d’incendie du réacteur gauche. J’ai essayé de conserver ma place auprès des cinq autres Jaguar, mais je perdais régulièrement de la puissance et de la vitesse. J’ai réduit mon moteur gauche mais accaparé par les tirs sur mes co-équipiers, j’en oubliais de poursuivre la procédure « feu moteur », aussi parce que, inconsciemment, je n’avais pas du tout envie de perdre de la vitesse en plein milieu de cet enfer ! (J’ai eu l’agréable surprise une fois rentré de découvrir que mon équipier, le Ltt Houdet avait immortalisé cet instant sur la pellicule de son Oméra 40 lorsqu’il m’avait dépassé, bien involontairement, mais le déclenchement de l’Oméra 40 avait été couplé avec toute action de tir et mon cher « Bénito » avait vidé ses caissons d’obus de 30 mm.)

Incroyable photo sur laquelle on peut distinguer à l’arrière de l’avion, la flamme du moteur en feu
Incroyable photo sur laquelle on peut distinguer à l’arrière de l’avion, la flamme du moteur en feu

Le reste de la formation me distançait peu à peu, à chaque missile qui frôlait mes co-équipiers, je craignais le pire et mon rythme cardiaque battait la chamade. Puis une ligne haute tension est venue nous barrer la route, dilemme, passer dessous, c’était prendre le risque de l’accrocher et passer au-dessus, c’était s’exposer aux tirs des SA7. Certain sont passés dessous, à la hauteur à laquelle nous volions, ce n’était pas vraiment un exploit (bien qu’après avoir vu les lignes haute tension au Koweït lors d’une mission d’observation au sein de l’ONU en 2002, les câbles de la ligne les plus bas doivent être à une dizaine de mètres du sol, c’est à dire que pour passer dessous il ne fallait pas être à plus de 5 mètres), mais j’avais commencé à tirer sur le manche par réflexe et il était trop tard pour changer d’avis ! Ma seule préoccupation était de revenir le plus vite possible à proximité du sol et j’ai franchis cette ligne haute tension comme on franchit une crête, en passant 3/4 dos. Cette manœuvre avec un seul moteur qui pousse m’a fait perdre de la vitesse mais j’étais encore tellement soucieux de la menace extérieure que je n’y prêtais pas attention sur le moment.

Puis l’intensité du feu ennemi a diminué et enfin cessé. J’avais déjà dépassé la zone la plus dangereuse. J’entendais toujours mes camarades à la radio, mais je ne pouvais plus les apercevoir, j’agissais grâce aux réflexes que m’avaient donné des centaines d’heures d’entraînement.

J’étais seul au-dessus du désert !

Ça aurait pu être un facteur de stress supplémentaire mais pour un pilote formé à la mission nucléaire en solo ce n’était pas réellement un problème. J’ai songé à m’éjecter, mais, comme l’avion volait toujours, j’ai pensé que je pouvais m’en tirer et au moins délivrer l’armement sur l’objectif avant de ramener mon avion. Je me remémorais cette phrase du règlement de manœuvre et d’emploi de l’aviation de chasse, « poursuite d’un objectif unique », qui au niveau de l’exécution signifiait qu’il fallait s’efforcer d’atteindre le but fixé par la mission sans s’en laisser distraire par les circonstances du moment.

A un moment devant moi apparurent plusieurs chars et troupes au sol, j’appuyais sur la détente canon, mais je voyais mes obus monter vers le ciel et compte tenu de la trop grande proximité avec le sol, il m’était impossible de baisser le nez pour tirer au but. J’ai ressenti un énorme sentiment de frustration et d’impuissance ! Je retrouvais mes esprits, ma faible vitesse me faisait voler avec trop d’incidence ce qui expliquait tout. Il était illusoire de pouvoir espérer atteindre le terrain d’Al Jaber pourtant tout proche, moins de 2 minutes de vol, avec une vitesse de 240 Kts et de plus ça aurait fait de mois une cible idéale. J’ai donc largué toutes les charges accrochées sous l’avion et j’ai pris un cap au sud-ouest, itinéraire le plus court pour repasser la frontière. Dans mon virage retour, j’ai aperçu un avion isolé et je me remémorais tout le dialogue radio. Pendant que je me trainais comme un pauvre diable, j’entendais mes camarades attaquer Al Jaber. Soudain, Hummel avait crié qu’il était touché, lui aussi, au-dessus de l’objectif ! J’ai alors compris que c’était son jaguar que j’apercevais. Je lui ai annoncé ma position et que j’avais visuel sur lui et nous nous sommes rassemblés. En arrivant à son niveau, je lui ai dit que son avion était en feu, il m’a un peu surpris en m’annonçant que le mien l’était aussi ! Accaparé par les évènements extérieurs je n’avais pas fait attention. L’aiguille de l’indicateur de température de mon moteur gauche était en butée max, j’ai coupé enfin le réacteur et percuté l’extincteur ce qui a permis d’éteindre le feu. J’ai évolué autour du Jaguar d’Hummel pour évaluer les dégâts, le moteur droit avait été bien endommagé par le missile, mais l’empennage n’avait pas été touché et après quelque test de manœuvrabilité l’avion restait pilotable. La priorité était de sortir du Koweït avant une éventuelle éjection. En reprenant un peu de vitesse, les flammes paraissaient moins visibles, le terrain le plus proche était KKMC (King Khalid Military City) mais pour le rejoindre il fallait survoler une zone défendue par les batteries anti-aériennes égyptiennes en qui nous n’avions aucune confiance, aussi nous prîmes la décision de nous diriger vers le terrain de Jubail avec l’aide de l’AWACS.

Le feu ne semblait pas progresser et Hummel se tenait toujours prêt à s’éjecter à la moindre alerte. A l’approche du terrain de Jubail je lui ai indiqué qu’il se poserait en premier et j’ai fait un 360° pour prendre mon espacement. Une fois aligné sur la piste, j’ai cherché son visuel pour être certain d’avoir suffisamment de retrait et ne le voyant pas, je lui ai demandé de m’annoncer quand il serait en courte finale. Mais l’annonce que j’ai reçue n’était pas celle que j’attendais, il me dit « je suis en virage retour », je lui dis « en virage retour de quoi ? » et il me répondit pour le QFU 35 en service. Il avait juste oublié que dans l’urgence on peut se poser à contre QFU surtout quand la piste fait 4000m de long. Mais il était trop tard pour changer quelque chose, j’ai donc accéléré ma finale pour pouvoir me poser avant lui et dégager la piste avant son atterrissage. J’ai pu ainsi assister au spectacle assez hallucinant des camions de pompiers américains poursuivant à pleine vitesse le Jaguar de Hummel dès son touché des roues, tout en l’arrosant de neige carbonique, impressionnant ! Piste dégagée, il a coupé le réacteur, a ouvert sa verrière sous les applaudissements et a sauté de son Jaguar dans un mètre de mousse, il a alors ouvert la poche de sa combinaison pour saisir un gros cigare que lui avait donner le Cdt Mansion avant le décollage et l’a porté à sa bouche sous les yeux médusés des américains. La France entrait dans la guerre en faisant son show !

Nous avons été conduits chez le commandant de la base pour un débriefing. Il n’était pas au courant que des avions français participaient à l’opération Desert Storm et quand nous lui avons montré le run d’attaque sur notre carte, il nous a dit :

  • vous étiez à 25 000 ft  nous lui avons répondu
  • non, à moins de 50 ft 
  • ce n’est pas possible, vous étiez combien d’avions? 
  • 12,
  • combien sont rentrés?,
  • bien, en plus de nous 2 autres Jaguars ont été touchés et un des pilotes a été blessé à la tête, mais au dernier contact radio ils étaient tous en train de rentrer sur la base d’Al Ahsa.

Le commandant de base nous a demandé de sortir et a gardé l’officier qui nous accompagnait pour discuter assez longuement. Quand celui-ci est sorti, il nous a demandé de le suivre, nous sommes arrivés devant une porte hautement sécurisée, avec un scanneur pour la paume de la main. Il nous a dit « normalement vous n’avez pas le droit de pénétrer dans cette salle mais le commandant de base a jugé que vous en aviez un grand besoin »

En rentrant nous avons découvert une carte géante du Koweït, d’environ 3 mètres sur 6 où une vingtaine de personne actualisaient en permanence l’état et la position des troupes irakiennes. Et là, stupeur, nous avons découvert que notre run faisait la verticale des 3 sites les plus défendus au Koweït. En entrant, le poste de commandement d’une division d’infanterie, là précisément où nous avions vécu l’enfer, ensuite le terrain d’Al Jaber que nous devions attaquer et pour terminer, en sortant, le poste de commandement d’une division blindée. On aurait voulu se suicider, on n’aurait pas fait mieux. Mais en retraçant avec Hummel le trajet que nous avions suivi au retour, nous avons eu une autre surprise. Nous étions passés exactement dans une sorte de couloir entre deux zones de concentrations irakiennes. Voilà pourquoi nous n’avions rien vu, ni personne. Décidément, nous avons eu beaucoup de chance !

L’officier américain est revenu avec une grosse enveloppe cachetée et couverte de tampon « Top secret » et nous l’a tendue en disant « ça aussi normalement c’est interdit mais ne la perdez pas et surtout faites en bon usage ». Puis on nous a informé que le commandement français avait été prévenu que nous étions sains et saufs et que le Lcl de Saxcé venait nous rejoindre par la route. On lui avait prêté une Mercédès sur-boostée avec laquelle il s’était fait un grand plaisir en lui faisant cracher tous ses chevaux. En l’attendant et malgré le coup de fatigue, nous n’avons pas eu le temps de nous ennuyer, toute la base de Jubail voulait une photo des « guerriers français ». Nous étions assez fiers de voler la vedette aux Jaguars et Tornados de la Royal Air Force.

Un hélicoptère français est venu nous récupérer pour nous ramener à Al Ahsa. En arrivant, notre seule préoccupation était de prendre des nouvelles de nos frères d’armes. On nous a dit que Mahagne avait réussi à se poser avec l’aide soutenue des autres pilotes pour qu’il ne perde pas connaissance. Une balle avait troué la verrière, puis son casque, avait fait le tour de son crâne pour trouer à nouveau son casque et enfin la verrière opposée. Il était scalpé sur tout l’arrière du crâne et se vidait de son sang. Arrivé au parking, il avait coupé les réacteurs et avait perdu connaissance. Il avait été pris en charge par le service médical et conduit en urgence à l’hôpital d’Al Hufuf. Le Lieutenant Christ avait lui aussi réussi à poser son Jaguar malgré ses commandes de vols endommagées. Puis on nous a raconté le silence de mort qui planait sur le parking au retour des avions. Comme dans les films retraçant la bataille d’Angleterre, on comptait les avions qui rentraient, les deux premiers avaient installé l’ambiance avec Mahagne évacué inconscient par l’ambulance et les rebonds au touchée des roues de Christ, puis 3, 4, 5..10 et plus rien, il en manque 2 et personne ne savait encore que nous étions sains et saufs à Jubail. Première journée de guerre, ça calme !

Nous avons rendu visite à Mahagne dans la soirée à l’hôpital où il était le chouchou du service hospitalier saoudien, dans sa « djellaba » bleu ciel (blouse médicale) et avec son bandage sur le crâne, il faisait très couleur locale, on a ri, c’était le moment décompression ! Il avait été formidablement recousu par un chirurgien saoudien, il allait bien si ce n’est qu’il était sourd de l’oreille côté impact, mais il était en vie pour notre plus grand bonheur. Une telle mission rapproche les hommes et ça a été pour moi un grand honneur de voler avec les pilotes du grand 2/11 Vosges, comme de recevoir l’insigne de l’escadron des mains du Capitaine Hummel, mon équipier d’infortune. Frères d’armes à jamais.

J’ai toujours la balle de 5,56 mm qui a provoqué mon feu moteur, les mécanos l’ont retrouvée dans le carter d’huile qu’elle avait explosé. La question demeure de savoir combien d’avions auraient décollé le lendemain s’ils avaient été envoyés sur une nouvelle mission en basse altitude. Nous ne le serons jamais puisque l’Etat-major a pris la sage décision de faire des missions qu’en haute altitude. Je ne regrette pas de ne pas mettre éjecté par mesure de précaution, tout le monde a en tête les images sur CNN des visages tuméfiés des pilotes anglais et américains capturés par les irakiens, ainsi que l’histoire de ce pauvre pilote enchainé et tiré derrière un 4×4. Ce qui est certain, c’est que si cette première mission avait été faite avec des Mirages 2000, mono réacteur dont la signature infrarouge est plus importante que celle du Jaguar, ça aurait été une hécatombe.

Dans les missions suivantes, il a fallu s’adapter. Le système d’armes du Jaguar n’est pas fait pour du bombardement en haute altitude et à plus de 60° de piqué, l’épée en tête haute qui sert à indiquer le point d’impact des munitions part en butée en nous laissant sans aucune indication de tir. Le seul repère utilisable était celui qui matérialisait l’axe avion et pour s’en servir il a fallu adopter la méthode « Stuka », c’est à dire arriver vertical l’objectif, passer sur le dos pour entamer un piqué à 90°, moteurs réduits, aérofreins sortis, larguer les bombes et faire une ressource dont le point bas de devait pas passer en dessous de 20 000 ft pour ne pas rentrer dans le volume de tir des défenses anti-aériennes. Ceux qui s’y sont risqués ont très vite compris que le risque existait bel et bien en voyant le ciel se remplir de petits nuages gris caractéristiques de l’explosions des obus des canons anti-aériens S60.

Je suis arrivé à Al Ahsa le 26 décembre 1990, l’arrêt des opérations offensives et le cessez le feu ont été décrétés le 28 février 1991 à 08h00 et je suis rentré en France le 11 mars 1991 dans le convoyage de 4 jaguars après 7h30 de vol et 5 ravitaillements. Une belle aventure qui incarne toute ma passion et mon engagement dans le métier de pilote de chasse.

Franck BONNAFOUX

CHARLY entouré par les autres pilotes ayant participé à l'attaque
CHARLY entouré par les autres pilotes ayant participé à l’attaque