Patrick GUERIN, faisait partie du détachement de l’EC 4/11 commandé par le capitaine CROCI à N’Djamena lors de l’opération MANTA en 1984. Témoin privilégié, il décrit les circonstances dans lesquelles Michel CROCI a trouvé la mort le 25 Janvier 1984 à Toro Doum, il y a tout juste 35 ans.
Objectif : Percevoir cette étrange guerre de position sous un nouvel angle et rétablir quelques vérités.
Tout ce qui est écrit ci-dessous n’engage que moi. La partie historique provient de sources ouvertes issues d’internet et d’ouvrages « papier » remis dans l’ordre après plusieurs recoupements et vérifications. Quant à la partie spécifique Toro Doum, c’est en tant qu’acteur des premières heures et en tant que témoin direct que je vous livre cette page d’anthologie. Pour éviter les erreurs de mes prédécesseurs qui ont déjà écrit sur le sujet, j’ai réuni plusieurs témoignages de mes compagnons d’alors pour qui Toro Doum reste une intervention difficile à digérer, même après plus de 34 années.
Je tiens à remercier vivement tous les acteurs de la 11ème et de la 12ème escadre de chasse qui étaient présents à cette époque et qui ont contribué à la réalisation de ce témoignage unique et exceptionnel.
Les principaux acteurs.
Détachement Jaguar de l’escadron 4/11 Jura du 27 décembre au 14 février 1984, Détachement F1C de l’escadron 2/12 Picardie, Les équipages C135, Breguet Atlantic et Transall.
Rappel historique rapide sur les causes de l’opération Manta
9 août 1983, à la demande du gouvernement tchadien, les autorités françaises encouragées par plusieurs pays de l’OUA (Organisation de l’Union Africaine) décident d’engager des moyens militaires importants au Tchad pour stopper l’agression libyenne. C’est le début de l’opération interarmées « Manta ». Cette force d’intervention est la plus importante que la France ait envoyée outre-mer depuis la fin de la guerre d’Algérie.
Les troupes françaises, déployées sur la base de l’accord de coopération militaire du 6 mars 1976, traité prévoyant plutôt « l’organisation et l’instruction des forces armées du Tchad » qu’une véritable alliance défensive, sont chargées de défendre une « ligne rouge », située à hauteur du 15ème parallèle démarcation abstraite, que les troupes libyennes ne doivent en aucun cas franchir.
Le 21 août, quatre Jaguar, quatre Mirage F1 et un avion de ravitaillement arrive de Bangui et se posent à N’Djaména. Leur mission : défendre les positions françaises au Tchad que si elles sont attaquées. Les Américains ne sont également pas très loin : huit chasseurs F-15 Eagle sont déployés au Soudan à Khartoum pour opérer si nécessaire au-dessus du Tchad. Washington promet aussi 25 millions de dollars d’aide militaire, notamment des missiles SATCP (missile air-sol à très courte portée) Redeye et Stinger.
Les forces terrestres françaises, sont articulées autour de trois groupements tactiques, à l’Est Manta Echo (Abéché, Biltine et Arada), à l’Ouest Manta Oscar (Moussoro et Salal) et au centre Manta Charlie à Ati, les forces de l’Armée de l’Air, de la Marine et le commandement de l’ensemble sont à N’Djamena.
Les libyens sont bloqués au nord et la situation se fige pendant quelques temps. Seules quelques rares escarmouches destinées à chatouiller les forces d’Hissène Habré installées en avant des postes français troublent le calme de cette autre guerre de position.
2 septembre 1983, Manta Echo est appelé à la rescousse au nord d’Arada, une colonne formée du 1er REC et 8ème RPIMa intervient. Deux Jaguar armés de roquettes, survolent la colonne ennemie, sans ordre de tir ils font de magnifiques photos et rentrent se poser à N’Djamena.
En octobre 83, l’aviation libyenne franchit deux fois la ligne rouge.
Le 23 octobre, un IL-76 Candid est intercepté par une patrouille de Mirage F1C au nord de Salal, l’équipage est sommé par les pilotes de F1 de modifier sa route et met gentiment le cap vers le Nord.
En décembre 83, Sur le front diplomatique les négociations se sont arrêtées, entrainant de part et d’autre, une augmentation des tensions.
Le 24 janvier 1984, ce sera Ziguey
Le 25 janvier 1984, ce sera Toro Doum :
Avant le 24 janvier l’ambiance sur la base, était plutôt sereine, la première partie du détachement de l’Escadron de Chasse 4 /11 JURA était arrivée à N’Djamena le 27 décembre dans le cadre de l’Opération MANTA par DC 10 d’UTA (5 pilotes, 23 mécaniciens). La seconde partie était arrivée le 29 décembre par DC 8 du COTAM (2 pilotes, 8 mécaniciens).
L’aménagement bien que très spartiate contentait tout le monde. L’ensemble du personnel était logé sur la base aérienne 172 « Sergent-chef Adji Kosseï ». Les pilotes dans un premier temps logèrent au dernier étage du LC0 à quatre par chambre climatisée et dormaient sur des lits de 70 cm. Les mécaniciens moins chanceux, étaient répartis à 4 ou 5 par chambre non climatisée sur des lits picot. Après plusieurs jours le bâtiment LC 5 fut aménagé et réservé au Personnel Navigant. Il y avait du progrès, nous étions deux par chambre mais nous avions perdu la climatisation.
Les avions des détachements étaient stationnés sur le parking militaire et cohabitaient comme ils pouvaient, Jaguar, F1, Breguet Atlantic, C160 Transall, DC3, DC4, Mirage V Zaïrois. Les services techniques des Jaguar et des F1 se partageaient un demi-hangar dans lequel était entreposé une bonne partie de l’armement.
Une grande salle d’opérations servait de PC aux détachements Jaguar et F1 et de salle de briefing à toutes les unités, mais également de salle de repos pour les pilotes d’alerte qui disposaient de lits dans un coin de la pièce.
Le régime d’alerte assurait en permanence deux avions en 30 minutes jusqu’au 25 janvier. Les 26, 27 et 28 janvier tous les moyens disponibles étaient en 30 mn.
Les conditions MTO furent dans l’ensemble aéronautiquement assez clémentes pendant toute la durée de notre détachement. Seuls quelques vents de sable vinrent perturber notre organisation.
Les vols des Jaguar, étaient en majorité, des reconnaissances à vue réparties sur deux axes le long de la « Ligne Rouge » que représentait le 15ème parallèle : A l’Est, l’axe : Abéché, Biltine, Arada, Oum Chalouba, et à l’Ouest, l’axe : Salal, Koro Toro, Toro Doum.
Les vols des Mirage F1C, étaient principalement des missions de chasse de protection des autres avions (Jaguar, ravitailleurs, transport…) et d’accompagnement des Jaguar lors des missions de reconnaissance.
TORO DOUM (16° 30′ 13.8″ Nord, 16° 35′ 3.1″ Est) Puits situés dans la région désertique de Borkou parsemée de « kékés » (arbrisseaux) (Intervention aérienne du 23 au 30 janvier 1984)
En souvenir de mes amis :
– Michel Croci mort pour la France le 25 janvier 1984.
– Michel Ramade mort en service aérien commandé le 21 mars 1984.
– Michel Pruna mort en service aérien commandé le 2 juillet 1986.
Le 24 janvier, pour la première fois en six mois, les rebelles tchadiens de Goukouni Weddeye et leurs alliés libyens franchissent la ligne de démarcation abstraite « ligne rouge (15ème parallèle) » pour attaquer l’avant-poste militaire de Ziguey (Latitude : 14°43′ Nord, Longitude : 15°47′ Est, à 85 km au Nord de la ville de Mao), près de la frontière nigérienne, contrôlée par les hommes d’Hissène Habré. Après avoir massacré les soldats FANT qui ont refusé de se rendre et capturé douze soldats gouvernementaux, ils se replient vers le Nord en enlevant deux coopérants belges travaillant pour MSF (Médecins Sans Frontière) ! Un médecin (M. Christian Delzenne) et une infirmière / sage-femme (Mme Marie Chantal Roekens). Pris d’abord pour des français, ils avaient purement et simplement été accusés d’allégeance avec le gouvernement de N’Djamena.
La patrouille F 216 composée de deux Jaguar, (Leader : Cne Croci et N° 2 : Cne Le Balle) qui avait décollé vers 16h00, fut sur ordre relayé par l’Atlantic, déroutée sur Ziguey pour effectuer une reconnaissance à vue et des photos. La patrouille survola le Fort de Ziguey, constata qu’il n’y avait ni activité ni véhicule dans l’enceinte du fort. Les photos prises en fin de journée sous une luminosité médiocre furent inexploitables.
Dans la soirée du 24, les tentatives de communications du commandement de N’Djamena vers le fort de Ziguey restèrent vaines. L’attaque de Ziguey, n’était cependant pas confirmée.
Le 25 janvier : Tôt le matin deux patrouilles mixtes (Jaguar, Mirage F1) font de la reconnaissance à vue sur deux zones entre Ndjamena et la ligne rouge, l’une à l’Est, l’autre à l’Ouest.
Une première patrouille (la F 217), leader : Cne Patrick Guérin sur Jaguar et deux Mirage F1, décolle vers l’Est en direction d’Oum Chalouba (très loin de Ziguey) en mission de reconnaissance journalière de routine.
A 8h00, une seconde patrouille de quatre avions, (la F 218), leader : Lcl Serge Cocault (Jaguar), N°2 : Cne Daniel Kerfriden (Jaguar), N°3 : Cne Michel Ramade (Mirage F1C) et N°4 : Lcl Guy Raynal (Mirage F1C) décolle pour reconnaître le fort de Ziguey et remonter la piste vers Toro Doum. Les pilotes repèrent des traces assez nombreuses à Ziguey et continuent sur Toro Doum. A cinq nautiques au sud-ouest de Toro Doum (16 ème parallèle au Nord de la ligne rouge), ils aperçoivent une Toyota et un camion-citerne apparemment ensablés, plus une vingtaine de personnes.
Les photos prises montreront, que ces personnes avaient des intentions hostiles : Sur l’une d’elles on voit des combattants avec des Kalachnikov pointées vers le ciel.
En fin de matinée, après confirmation que Ziguey a bien été attaqué et sur ordre du ministre de la Défense, M. Charles Hernu, une opération aérienne est planifiée pour localiser, identifier et éventuellement, intercepter la colonne des rebelles en fuite.
A 13h05, une troisième patrouille (la F 219), composée de deux Jaguar (Leader : Cne Jacques Le Balle et N°2 : Cne Michel Croci) est alors déclenchée : En remontant la piste à partir de Ziguey sur environ 120 Nm et, très près de Toro Doum ils découvrent une colonne d’une vingtaine de véhicules bien alignés composée de poids lourds, de camions citerne, de Toyota équipées de canons ZSU 23/2, du véhicule blanc de MSF et le tout, accompagné par une troupe assez importante de combattants (environ 200 individus). Au premier passage le leader a transmis les coordonnées au quartier général via le Breguet Atlantic, et demandé les instructions de tir ! En attendant les ordres, les pilotes ont fait trois passages photos dans le sens de la colonne avec le doigt sur la queue de détente. A l’issue, le pétrole arrivant aux minima, la patrouille décida de rentrer à Ndjamena sans avoir fait feu ! Ce n’est qu’à mi-parcours en HA (Haute Altitude) que l’ordre de tir leur parvint ! Mais, Trop tard ! Ils n’ont plus assez de carburant pour revenir sur Toro Doum.
Si l’autorisation de tir avait été reçue à temps, le problème aurait été vite réglé ! Ils auraient eu le bénéfice de l’effet de surprise et la colonne bien alignée aurait été un objectif facile pour un tir canon. Au retour de la patrouille, sur l’une des photos prises au cours de la mission on aperçoit clairement un individu épauler une arme qui ressemble étrangement à un missile sol air SA 7. En salle d’opérations, une effervescence inhabituelle s’installe : les téléphones sonnent sans arrêt, comme on dit en Afrique : ça palabre beaucoup.
En début d’après-midi, Un coup de téléphone du « camp Dubut » siège du quartier général, ordonne le « Scramble » (Alerte pour un décollage immédiat) de la quatrième patouille, un rapide tour des disponibilités avions : un Jaguar, deux Mirage F1.
Les pilotes présents dans la salle d’opérations, sont vite désignés.
– Leader : Cne Guérin EC 4-11 Jaguar A101
– N°2 : Cne Ramade EC 2-12 F1 242
– N°3 : Cne Blanc EC 2-12 F1 282
Configuration avions :
– Jaguar A101 : 1 bidon ventral : Armement : OPIT
– MF1 242 : 1 bidon ventral : Armement : OMEI + OPIT + 2 Magic
– MF1 282 : 1 bidon ventral : Armement : OMEI + OPIT + 2 Magic
Sentant que cela devenait chaud, je demande à charger tous nos avions avec un armement adapté aux attaques basses altitudes ou au moins avec un panachage d’obus OPIT, OMEI. Dans la confusion et la précipitation, cette requête restera vaine pour le Jaguar dont les deux canons de 30 mm étaient déjà armés en OPIT. Les ordres ne sont pas très évidents à interpréter ! Le Col Caisso de la FATAC (Force Aérienne Tactique) insiste en téléphonant au PC commandement MANTA pour avoir des ordres clairs et précis ; faut-il tirer ou non ? Le flou dure une dizaine de minutes. Finalement, sans instructions précises, les pilotes partent aux avions et ce n’est qu’après avoir commencé à rouler, qu’ils reçoivent l’ordre du COMELEF : (Commandant des Eléments Français) « Autorisation d’ouverture de feu pour tir d’intimidation à côté et au Nord des éléments reconnus ennemi pour retarder leur progression ».
A 15h15 : La patrouille F220, des Veto « N » (indicatif radio) décolle à 20 secondes. La montée se fait plein gaz au cap Nord, pour rejoindre l’avion ravitailleur C 135 en provenance de Libreville qui a survolé N’Djamena au moment de notre décollage. Toujours au cap Nord, nous acquerrons le visuel du tanker, nous le rassemblons et effectuons un ravitaillement express à 300 kts, niveau de vol 260. Après le ravitaillement, nous dégageons en échelon sur son côté gauche et accélérons pendant la descente : Les avions sont très lourds. Nous vérifions une dernière fois les transferts carburant, voyants pétrole, le détotalisateur carburant et bien sûr les différents contacts armement canon.
En vol, un contre-ordre nous est donné, « Vous n’avez plus l’autorisation de tir ».
A suivre….
Citation :
La patrouille F 216 composée de deux Jaguar, (Leader : Cne Croci et N° 2 : Cne Le Balle) qui avait décollé vers 16h00, fut sur ordre relayé par l’Atlantic, déroutée sur Ziguey pour effectuer une reconnaissance à vue et des photos. La patrouille survola le Fort de Ziguey, constata qu’il n’y avait ni activité ni véhicule dans l’enceinte du fort. Les photos prises en fin de journée sous une luminosité médiocre furent inexploitables.
Dans la soirée du 24, les tentatives de communications du commandement de N’Djamena vers le fort de Ziguey restèrent vaines. L’attaque de Ziguey, n’était cependant pas confirmée.
Fin de citation
La Guerre Electronique avait confirmé l’attaque du Fort du Ziguey mais le haut commandement ne croyait absolument pas qu’une colonne libyenne descendait plein centre du Tchad.
En 1984, les spécialistes GE n’avaient que trois années d’ancienneté dans les Armées. Le commandement (parisien et local) n’accordait que peu de crédibilité aux renseignements obtenus par ces “nouveaux” soldats. La perte du jaguar et de son Pilote renversa la tendance et depuis lors, les gars des écoutes sont pris très au sérieux.
Je ne peux pas en dire plus, discrétion oblige…
ton récit est palpitant, d’une réalité bien exprimée par la seule maîtrise de la langue….on a fait bcp de kms entre le 08/02 et Aulnat, avec de vielles chignoles ! Pauvre Croci , un mec super à Cognac, il était le mono de Philippe Boullet ! Je viens de Cognac ge315, journée du patrimoine au musée et un Fouga…..ma femme me dit “j’aurais peur de monter dedans”….comme nous , ça se surmonte et devenir moins dangereux! au plaisir de te revoir.
Récit passionnant.
Je me rappelle bien de toi Patrick, quand nous rentrions à Tours avec ton Opel GT. Aulnat, quel bon souvenir avec la 71/4. Napias, Hébrard…
Au passage, bonjour à coucharriere. J’ai toujours les photos noir et blanc que tu développais.
Je suis devenu instituteur, et directeur d’école.
J’habite Cagnes-sur-Mer,
Ha salut mon “bon”, quel beau métier (j’ai 9 enfants!) et moi je suis devenu directeur travaux ingénierie export , 2 ans à Qatar, etc…10 ans au Vénézuéla ou j’ai passé ma licence privé, pays unique quand on vole par plaisir….! Il y a longtemps que je ne touche plus à ces pièges, vive le bateau et comme avec philippe Boullet retrouvé grâce à son frére Général, tu es le bienvenu au domaine ici à Melle/Petit beauvais, survolé régulièrement par les PT6…je regrette les Fougas qui sifflent en planant…des oiseaux, quoi ! Coucou à Guérin en souvenir de l’Ami 6 !