En 1977, le Lieutenant Colonel Menu,(à l’époque) qui était en première ligne lors du déclenchement des opérations contre le Polisario, nous fait revivre ce véritable début de la saga des Jaguar en Afrique.
Article paru en 2010 dans le bulletin des anciens de l’Ecole de l’Air.
La montée en puissance
Après la mort de Franco, l’Espagne souhaitant se débarrasser du Sahara occidental, vaste étendue désertique de 286000 km2, signa en novembre1975, un accord dit de Madrid, partageant ce territoire entre le Maroc qui prit possession du Nord et la Mauritanie, du Sud. Les armées espagnoles évacuaient l’ancienne colonie en décembre 1976. Cet accord n’avait pas été reconnu par l’Algérie, qui souhaitant disposer d’un libre accès à la façade atlantique, s’inquiétait de l’expansion marocaine vers le sud. La République arabe sahraouie démocratique quant à elle, contestant ce partage, avait constitué à Alger, depuis le début de 1976, un gouvernement en exil, reconnu par 72 pays africains et asiatiques. La France, admettant le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, s’était contentée de prendre acte du traité de Madrid.
Le Polisario, abréviation de Front populaire pour la libération de Saguia el-Hamra et Rio de Oro, mouvement de libération du peuple sahraoui créé depuis 1973, décida de passer à l’action avec le soutien logistique de l’Algérie. Il s’attaqua en priorité à la Mauritanie, pays faible et pauvre, en concentrant ses efforts sur le train, talon d’Achille et véritable poumon économique, qui transportait le minerai de fer de Zouérate (Fort-Gouraud) à Nouadhibou (Port-Étienne).
Ne disposant pas de moyens militaires suffisants pour se défendre, ce pays risquait de s’écrouler et portait en germe une déstabilisation de la partie occidentale de l’Afrique pouvant impliquer le Maroc, l’Algérie, le Sénégal et le Mali, tous prêts à réclamer les dépouilles du vaincu et à entrer en conflit armé les uns contre les autres. Contrairement à un certain nombre d’anciennes colonies françaises, la Mauritanie, dans la dynamique de son indépendance, avait dénoncé les accords de coopération militaire ou de défense passés avec la France. Toute intervention avait donc perdu le moindre caractère systématique.
En mai 1977, Zouerate subit une attaque du Polisario au cours de laquelle deux Français furent tués et six enlevés. Malgré les interventions réitérées de notre gouvernement, nos compatriotes sont restés détenus.
À Toul, la 11e escadre de chasse venait d’être équipée du Jaguar en remplacement du F100. Il n’avait pas encore la renommée de ce dernier qui avait fortement marqué de son sceau tous les pilotes qui l’avaient apprécié pour ses grandes qualités, ni le prestige du Mirage. Mais il était le seul avion de combat de l’Armée de l’air, en dehors des Mirage IVA cantonnés dans leurs missions de dissuasion nucléaire, à pouvoir se projeter loin de la Métropole et en particulier en Afrique, grâce au ravitaillement en vol. Cette escadre avait gardé les missions dévolues au F100. Elle était donc, à l’époque, encore unique en son genre.
C’est ainsi qu’au début du mois de novembre1977, une cellule “Rapace” composée de 4 Jaguar, de pilotes et de mécaniciens, a été mise en alerte sur la base d’Istres. Tout était prêt à partir sur ordre. Les matériels de soutien entreposés dans les hangars étaient déjà conditionnés sur des palettes. Des C135F stationnés en permanence sur la base étaient également en alerte. Ils allaient jouer un rôle majeur et déterminant dans notre capacité à exécuter des missions de guerre loin de la base de départ.
Les événements se sont précipités le 22 novembre. Chef du détachement Jaguar à Istres depuis quelques jours, j’ai reçu en fin d’après-midi, de l’état-major des armées, l’ordre de déploiement sur Dakar. Compte tenu des disponibilités, seuls 3 Transall étaient mis à notre disposition au lieu des 5 nécessaires. Il nous appartenait donc de décider ce que nous devions emporter en priorité. Le matériel laissé sur place devait en principe être convoyé ultérieurement. En fin de journée, ces trois appareils sont arrivés, ont été chargés immédiatement et ont pu décoller vers Dakar le lendemain matin à 5 h.
Le déploiement
Le 23novembre 1977 aux aurores, le dispositif composé du C135Fet des quatre Jaguar prenait l’air. Nous avons rencontré sur le trajet des conditions de turbulence assez sévères qui ont rendu les opérations de ravitaillement en vol plutôt sportives. La queue du ravitailleur était animée selon les sautes d’humeur du vent, de mouvements vigoureux sur ses trois axes. Plusieurs tentatives ont été nécessaires pour entrer en contact avec le panier de ravitaillement et s’y maintenir. Tous les avions ont pu malgré tout ravitailler et cinq heures trente après le décollage d’Istres, nous nous posions à Dakar.
Les moyens d’accueil sur la base aérienne de Ouakam étaient suffisants. Les matériels de couchage qui avaient été chargés dans les avions étaient donc tout à fait inutiles. Ils ont été entreposés dans un coin de hangar et deviendront rapidement des lieux de refuge pour serpents.
La veille de notre arrivée, quatre Jaguar de Toul s’étaient posés à Dakar. Ce déploiement, indépendant de Lamantin, s’inscrivait dans le cadre d’une traditionnelle manœuvre franco-gabonaise (Estuaire). Ce n’était pour eux qu’une étape. Mais le train minéralier ayant été durement accroché au sud de Zouérate, cette patrouille avait été maintenue sur place et mise en alerte pour une intervention armée qui n’a pu être déclenchée en l’absence d’autorisation politique.
Mise en condition opérationnelle
Dès notre arrivée, le général Forget (46 – de Saint-Exupéry) qui avait installé son état-major à Nouakchott, capitale de la Mauritanie, est arrivé pour inspecter ses moyens aériens. Nous avons alors pris la relève des premiers avions qui ont pu poursuivre leur chemin vers la Côte d’Ivoire, le Togo et le Gabon. Quelques jours plus tard, ils étaient de retour, mais, compte tenu de la situation militaire, l’ensemble du dispositif a été maintenu sur place.
Le général Forget était à l’époque le commandant en second de la FATAC. De telles fonctions n’auraient pas dû le conduire à prendre le commandement de cette opération qui, selon l’organisation en vigueur, relevait de la responsabilité du 2e CATAC. Pour des raisons purement politiques, le général Saint-Cricq (42-Tricaud), chef d’état-major de l’Armée de l’air, avait tenu à changer de niveau et mettre en place un général de division. Il fut un chef de guerre de très grande qualité, certes exigeant, mais attentif à la satisfaction de nos besoins par la base. Son souci d’efficacité s’est rapidement concrétisé par la mise en place d’une remarquable organisation dans la conduite des opérations.
Il était indispensable de bien connaître tous ceux avec lesquels nous allions réaliser nos missions. Nous avons tissé avec les équipages des C135F des liens privilégiés. Ils se sont montrés coopératifs et dévoués. Nous avons particulièrement apprécié toutes les initiatives heureuses qu’ils ont su prendre pour faciliter les rejointes après les phases de combat. Cette première expérience africaine a incontestablement ouvert la voie à un nouvel emploi opérationnel de ces ravitailleurs dans la projection des escadrons de chasse et de reconnaissance. Les années suivantes, tout ceci allait devenir monnaie courante voire banal et s’élargir à l’ensemble de l’aviation de combat de l’Armée de l’air. Nos camarades du Transport ont eu aussi leur part d’efficacité dans cette opération, bien sûr dans leur mission essentielle de soutien logistique dont l’excellent niveau n’est plus à démontrer mais aussi dans une fonction de PC volant dans laquelle ils ont su, avec bonne humeur et philosophie, faire la preuve d’une remarquable capacité d’adaptation aux “souhaits” de notre chef. Il était intéressant d’assister à une technique éprouvée de décollage sur alerte qui consistait à mettre en route le moteur gauche quand l’équipage apercevait la voiture du général – toujours plein pot – puis commencer le roulage porte encore ouverte dès que le chef était à bord et enfin démarrer le moteur droit !
Sur place à Dakar, la Marine nationale détachait en permanence un à deux Bréguet Atlantic. Nous avons adapté aux Jaguar les techniques que la Patrouille Maritime utilisait pour guider des raids d’Étendard dans des missions d’attaque de bâtiments à la mer. Ceci fut déterminant dans la réussite des opérations dans lesquelles l’Atlantic fut utilisé pour pister à haute altitude les colonnes du Polisario, puis guider les Jaguar vers la zone d’intervention. Sans lui, nous aurions très perdu la trace des colonnes qui, après les attaques des postes mauritaniens, se repliaient à grande vitesse vers leur base arrière de Tindouf, sur le territoire algérien. Naturellement, il nous a été nécessaire de nous familiariser avec le vocabulaire très spécifique des marins ailés qui, au parking arrivaient au “mouillage” et dans le désert, ne larguaient pas des fumigènes mais les “mouillaient” !
Du côté des autorités sénégalaises, j’ai eu le plaisir de revoir deux anciens de l’École de l’air, les généraux Seck (60-Ferrando) et Diop (61Moulin), le premier CEMA et le deuxième CEMAA. Un bon soutien au cas où nous aurions rencontré des difficultés au niveau local.
Les missions d’entraînement
À peine installés, nous avons lancé les premières missions au-dessus de la Mauritanie. Comme il se doit, la discrétion allait jusqu’à déposer des plans de vol Dakar Saint-Louis du Sénégal et retour 3 à 5 heures plus tard ! Le contrôle sénégalais n’a jamais été dupe. Il devinait parfaitement que nous allions bien au-delà de la frontière nord, mais il s’est toujours abstenu de s’immiscer dans nos affaires.
Les ravitaillements en vol étaient systématiques. Nous avons peaufiné, en l’absence de moyens de navigation au sol, radar et tacan, nos procédures de rendez-vous avec les C135F. Heureusement, le tacan air-air, la gonio, la bonne visibilité en altitude, nous ont beaucoup aidés. Ensuite, il fallait bien roder et maîtriser les techniques de guidage par Atlantic et enfin, après avoir renoncé à l’emploi des roquettes et des bombes, se familiariser avec le tir aux canons de 30 mm au milieu des dunes, sous faible anglé de piqué. L’accoutumance au vol à basse altitude au-dessus du désert était indispensable, avec pour corollaire, une bonne mémorisation visuelle des quelques points géographiques caractéristiques et des axes empruntés de manière habituelle par le Polisario lors de ses mouvements. Il fallait apprendre à se méfier des visibilités soudainement réduites par les vents de sable, sans pouvoir toujours compter sur une bonne précision du calculateur du Jaguar monoplace, loin de rivaliser avec les centrales à inertie. En un mot, garder les fondamentaux du couple cap et montre !
C’est ainsi que nous nous sommes familiarisés avec des paysages de toute beauté et des lieux comme Nouakchott, Nouadhibou, Atar, Zouérate, El Richat, Bir Arame, Akjoudj, Choum, El Mreiti, Chinguetti, Ouadâne, sans oublier la voie ferrée utilisée pour transporter le minerai de fer de Zouérate à Nouadhibou. Un train d’une longueur impressionnante, avec ses 220 wagons transportant 20000 tonnes de minerai, nécessitant l’emploi de trois ou quatre motrices diesel.Nous avons très rapidement fait la démonstration que nous étions capables avec trois ravitaillements en vol d’intervenir à plus de 1500km de Dakar.
Les premiers contacts avec le Polisario
Le 2 décembre 1977, le Polisario venait d’attaquer un poste militaire mauritanien à Bou Lanouar, situé sur la voie ferrée. Il retournait vers sa base en toute impunité, comme d’habitude. Cinq Jaguar étaient mis en l’air. Les deux C135Fqui nous accompagnaient, s’étaient mis en circuit d’attente vers Nouadhibou. Le guidage de l’Atlantic nous avait parfaitement conduits à la verticale de la colonne, comme à l’entraînement. C’est alors qu’il a fallu faire preuve de beaucoup de patience. Pendant près de deux heures trente, nous avons tourné en rond, tout en suivant la progression de la colonne et en nous ravitaillant à tour de rôle. Nous ignorions que le général Forget à bord du PC volant était en contact radio H.F. avec le chef d’état-major des Armées, le général Méry. Ce dernier essayait de convaincre le Président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, d’autoriser l’ouverture du feu. Ce fut peine perdue ! Seul un petit Defender mauritanien tira quelques roquettes sans toucher sa cible.
Nous nous sommes contentés de prendre quelques photos qui ont été présentées au Président de la République et d’exécuter un tir de semonce. Rien d’impressionnant pour les combattants aguerris du Polisario ! Le gouvernement mauritanien attendait impatiemment autre chose de la part de la France. Après quatre heures trente de vol, nous nous posions à Dakar. Nous étions vraiment déçus d’avoir déployé une telle énergie pour pas grand-chose. Mais en y réfléchissant bien, cette mission fut une excellente préparation physique et psychologique pour tout ce que nous allions vivre par la suite.
Les missions réelles
Le 12 décembre 1977, nouvelle attaque du Polisario contre le train minéralier au niveau de Char, à 150 kilomètres au sud de Zouérate, faisant une vingtaine de victimes parmi les forces mauritaniennes. Nous avons mis en vol cinq Jaguar. Le Bingo Vert – l’autorisation de tir – avait déjà été donné. Le général Forget supervisait l’opération à bord d’un C160. Après le premier ravitaillement, mise de cap vers l’Atlantic qui nous a communiqué tous les éléments nécessaires à l’acquisition visuelle des véhicules qui progressaient en ordre dispersé, très éloignés les uns des autres. La colonne était à environ 1100 kilomètres de Dakar. Nous étions encore à 20000 pieds et à cette altitude, chaque objectif paraissait bien minuscule !
Cette fois-ci, nous sommes rentrés immédiatement dans le vif du sujet. La légitime appréhension ressentie jusque-là avait presque disparu. Descente à 500 nœuds sur l’arrière de la colonne et ouverture du feu à des distances de tir qui nous vaudraient sous d’autres cieux, des points négatifs. Il fallait impérativement privilégier un faible angle de piqué pour à la fois diminuer les risques de prendre des coups et éviter les enfoncements caractéristiques du Jaguar à masse élevée pendant les ressources, dégager sans cabrer dans l’axe, puis remonter légèrement en vent arrière pour acquérir un nouvel objectif. Nous recherchions à détruire en priorité les camions transportant du carburant ou des réserves d’eau. Les passes de tirs se sont succédé en prenant bien soin de varier les caps d’attaque et de maintenir la cohésion de la patrouille. Les combattants du Polisario se défendaient avec leurs armes automatiques et opéraient de brusques variations de cap avec leurs véhicules rendant nos visées plus aléatoires. Heureusement, la précision des canons de 30 mm du Jaguar était remarquable et chaque véhicule touché par un obus explosait sous l’effet combiné du carburant et des munitions qu’il transportait. Apparemment, aucun tir de missile n’a été observé. Après vingt minutes de combat, munitions épuisées, dégagement et rejointe du ravitailleur avant de mettre le cap sur Dakar. Nous laissions sur le terrain une quinzaine de véhicules incendiés. Nous apprenions alors que le Polisario avait décidé de libérer les otages français.
Mais à notre grande surprise, le lendemain matin,13 décembre, nous recevions l’ordre de décoller en direction de la colonne avec deux patrouilles de 3 avions. L’ouverture du feu n’ayant pas été renouvelée, nous avons dû faire demi-tour après avoir survolé la colonne. En fin d’après-midi, alors qu’il restait à peine trois heures avant le coucher du soleil, une nouvelle mission avec six Jaguar était lancée. Cette fois-ci, nous avions l’autorisation de tir.
Le contact avec le reste de la colonne attaquée la veille, avait été maintenu par deux Atlantic qui se sont relayés jusqu’à notre arrivée. Le premier se dérouta sur Nouakchott, les réservoirs pratiquement vides. Superbe démonstration d’efficacité de la Patmar. Le deuxième Atlantic, en panne de radar de bord utilisa une procédure de secours déjà éprouvée à l’entraînement. Il nous guida, à l’issue du deuxième ravitaillement, sur la colonne qui se trouvait à près de 1500 kilomètres de Dakar, au nord d’El Mreiti. Les véhicules toujours aussi dispersés semblaient à l’arrêt. Il valait mieux ne pas se poser trop de questions sur notre probabilité de survie dans cette partie du désert en cas d’éjection, loin des zones amies! Le soleil déclinait sur l’horizon, les ombres s’allongeaient au sol et il fallait déjà penser au ravitaillement retour qui risquait de se dérouler dans des conditions limites compte tenu de l’absence de phare sur le Jaguar !
La première attaque a été lancée cap à l’est de manière à garder le soleil dans notre dos et gêner les tirs du Polisario. Conditions idéales pour nous. Les traçantes des rafales de l’artillerie sol-air étaient parfaitement visibles. Au cours d’une de mes attaques, j’ai aperçu des étincelles qui sortaient d’un épineux. De toute évidence, il s’agissait d’un bitube de 14.5 mm qui avait trouvé un abri et prenait à parti un de mes équipiers. J’ai ouvert le feu à moins de 200 mètres et j’ai vu alors monter vers moi une énorme boule de feu dans laquelle je suis passé, en rentrant la tête dans les épaules, heureusement sans dégât pour le Jaguar. Mon dernier véhicule explosa sur un coup de chance incroyable, avec le seul obus qui me restait dans mes caissons et dont j’ai pu suivre la trajectoire jusqu’à l’impact !!! Un seul départ de missile SAM 7 a été observé. Mais il a mal fonctionné et a percuté une dune voisine.
Le retour sur le ravitailleur s’est fait presque de nuit. Le commandant de bord, pour gagner du temps, avait déjà anticipé la manœuvre de rendez-vous et pris une excellente initiative en quittant son circuit d’attente pour venir à notre rencontre. Ce ravitaillement eut lieu à la nuit tombante, surtout pour la deuxième patrouille, dans des conditions limites de sécurité. Heureusement, la nuit noire en altitude n’était pas encore totale. Une fois encore, les pilotes ont parfaitement maîtrisé cette partie délicate du vol, succédant à une phase intense de combat. Après plus de quatre heures de vol dont une de nuit et trois ravitaillements, la patrouille se posait à Dakar. Quand j’ai ouvert ma verrière en arrivant au parking, j’ai eu le sentiment de me vider de toutes mes tensions et émotions passées. Je n’avais jamais vécu d’évènements aussi intenses et je suis resté quelques minutes sans bouger, à l’écoute de la fréquence radio. Plusieurs pilotes avaient exécuté deux missions dans la journée, huit heures de vol et six ravitaillements. Quel soulagement quand le dernier des avions s’est posé ! Aucun n’avait été touché.
En deux jours, nous avions détruit les deux tiers de cette colonne, soit environ 35 véhicules. La confirmation nous a été donnée en recueillant des renseignements de l’armée mauritanienne qui s’était rendue sur les lieux du premier accrochage et en interceptant les communications radio des quelques Land Rover survivantes arrivées à Tindouf. Le général Forget est venu nous rendre visite le lendemain. Il était particulièrement fier de nous et ne se priva pas de le manifester chaleureusement. Il participa activement, comme un sous-lieutenant, à une petite fête que nous avions organisée pour faire chuter la pression des deux journées précédentes.
Les cinq jours suivants, grand calme sur tous les fronts ! Aucune attaque n’a été lancée. Le Polisario semblait intégrer cette nouvelle menace aérienne. Les mécaniciens ne sont pas restés inactifs et ont assuré les maintenances pour rendre tous les avions opérationnels. La libération réelle des otages a été confirmée le 14 décembre 1977 par un communiqué du “Ministère sahraoui de la Défense” à Alger. Nous n’avons pas pu nous empêcher d’éclater de rire en consultant la presse que nous avions reçue à Dakar quelques jours après. Une photo montrait Georges Marchais, premier secrétaire du Parti Communiste Français, accueillant ces ex otages à Orly, clamant haut et fort que leur libération était le fruit de ses efforts auprès des camarades du Polisario et des frères algériens dans le cadre de l’amitié des peuples révolutionnaires !!! Une “amitié” qui sentait fort la poudre des obus de 30mm…
Mais de nouvelles surprises nous attendaient encore. En effet, semblant ignorer nos interventions des 12 et 13 décembre, une nouvelle colonne avait attaqué un poste mauritanien à T’Meimichat. Il y avait de quoi être étonné, les Jaguar avaient infligé des pertes sévères au Polisario et il ne changeait pas ses modes d’actions.
Le théâtre des opérations.
Nous étions donc une fois de plus avec sept Jaguar, ce 18décembre 1977, cap au nord pour intercepter la colonne qui se trouvait cette fois ci sur le territoire contesté de l’ex Sahara espagnol, à 1000 km de Dakar. Toujours le même scénario, ravitaillement aller, rejointe de l’Atlantic et du PC volant, visuel sur la colonne à 20000 pieds, descente rapide et attaque à grande vitesse. Cette fois-ci, l’accrochage fut plus sévère pour nous. Une défense sol-air dense et précise nous attendait de pied ferme. Des véhicules brûlaient au sol, mais un des avions était sérieusement touché, une tuyauterie de carburant percée, la cabine envahie de vapeurs de pétrole, laissant derrière lui une trainée blanche. Le pilote s’est dérouté immédiatement et calmement avec son équipier sur Nouadhibou après avoir éjecté sa verrière. Munitions épuisées, les deux avions restants ont dégagé et se sont posés sur ce même terrain, sans avoir besoin de ravitailler.
La deuxième patrouille redécolla de Dakar pour exécuter une nouvelle mission. Les véhicules s’étaient retranchés dans du relief et devant l’intensité de la défense sol-air, nos Jaguar décrochèrent sans insister et firent demi-tour. Le général Forget, toujours soucieux d’efficacité avait heureusement déployé à Nouadhibou des mécaniciens sur ce terrain. L’avion le plus touché a été démonté sur place pour être réparé en France. Les trois autres ont pu rejoindre Dakar dès le lendemain, une fois les quelques trous bouchés.
Entre les 12, 13 et 18 décembre, les deux colonnes avaient perdu près de cinquante véhicules et une centaine d’hommes. Le Polisario changea de tactique et cessa ses attaques massives. Il lança alors, surtout de nuit, des petites escarmouches sans grande envergure contre le train. Nous avions donc gagné cette partie et soulagé le gouvernement mauritanien. Par chance, sans perdre un seul avion. Grâce à nos interventions, la Mauritanie avait pu sauvegarder pendant un temps son intégrité et son indépendance. Mais en l’absence de moyens militaires suffisants, elle n’a pas été en mesure de poursuivre sa lutte contre le Polisario avec lequel elle passa en août1979 un accord de paix et renonça au territoire annexé. Le Maroc s’empressa de le récupérer. La lutte bascula alors exclusivement du côté marocain sans pour autant déclencher des conflits ouverts avec les voisins. Aujourd’hui, le problème n’est toujours pas résolu !
En 1978, nous étions toujours présents au Sénégal. Les Jaguar sont intervenus une fois encore contre le Polisario. Mais le Tchad recommençait à faire parler de lui. Le gouvernement français décida de déployer des forces terrestres et des moyens d’appui aérien. C’est ainsi que le 16 avril 1978, je décollais de Dakar avec quatre Jaguar pour me mettre en place à N’Djamena en passant par Abidjan. Mais apparemment les autorités gouvernementales ivoiriennes n’avaient pas été informées de notre arrivée. Nous nous sommes retrouvés dans une situation désagréable à supporter, confiscation des avions et à la limite de l’emprisonnement. Heureusement la présence d’un officier des forces aériennes ivoiriennes, issu de l’École de l’air, a été de nature à arrondir les angles. Nous avons tout de même été contraints de revenir à notre point de départ quatre jours plus tard, en réalisant, au travers du Libéria, une belle rejointe en face à face sur notre ravitailleur qui avait décollé de Dakar. Ces premières opérations africaines nous avaient vraiment mis en confiance.
L’opération Tacaud venait de commencer par un petit hoquet. Mais c’est une autre histoire.
Je dédie ces quelques souvenirs aux 11 pilotes et en particulier aux anciens de l’École de l’air, Jean-Marie Dehaeze (65-Tricornot de Rose), Jean-Marc Jantet (67-Péronne), Hervé Longuet (69-Tariel) qui partagèrent avec moi ces moments exceptionnels. Tous ont fait une brillante démonstration de l’excellence de la formation reçue et accompli l’ensemble des missions avec un courage digne d’éloges.