Attaque de Ouadi Doum (2 ème partie)

BANGUI : samedi 15 Février 1986 19H00.

Alban commandant du 1/11 Roussillon, vient de terminer le briefing de la mission de l’attaque de la piste de Ouadi Doum, prévue le lendemain. La journée a été consacrée à la préparation et les 12 pilotes du 1/11 qui effectueront la mission sont prêts.

Dream Team
Dream Team

Le dîner se passe dans un calme relatif car chacun est conscient des enjeux et des risques : l’attaque de la piste a bien évidemment une connotation politique très forte et les défenses sol/air de la base sont importantes.

Je regagne l’hôtel où on loge vers 22 heures, accompagné de 3D, avec qui je partage la chambre et qui sera mon équipier demain. L’extinction des feux se fait relativement tôt et je mets assez peu de temps à m’endormir.

3H30 le réveil sonne ;

      • 3D m’interpelle « je n’ai pas fermé l’œil de la nuit !»
      • Pour moi ça s’est plutôt bien passé, lui répondis-je
      • Vous n’avez pas arrêté de remuer et de grogner

Soit, mais je me sens relativement en forme.

Le petit déjeuner est calme car nous ne sommes pas vraiment d’humeur à plaisanter et on sent que chacun est déjà dans la mission. Arrivés dans la zone OPS, Alban nous fait un briefing rapide qui a surtout pour but de nous rappeler les éléments essentiels : horaires, fréquence, déroulement,… On ressent un peu de tension, mais la signature de la forme 11 au bureau de piste, le tour avion, l’installation nous ramènent à une routine bien connue.

Parking Bangui 12 Jag, 4 F1C, 2ATL 2
Parking Bangui 12 Jag, 4 F1C, 2ATL

Après la mise en route lors de la vérification du tour cabine, une mauvaise surprise m’attend. Les pompes de transfert du groupe arrière sont sur arrêt ! Je lance la main sur la banquette droite, là où se trouve l’ensemble des breakers accessibles, sachant pertinemment qu’il n’y en pas pour les pompes carburant. Ce n’est pas possible ! Pas aujourd’hui ! J’ai presque 2000 heures de Jaguar et je n’ai jamais eu (et vu) cette panne. En tant que leader de la 2 ème patrouille, je peux prendre l’avion du N°4 (c’est prévu) mais dans 2 minutes on roule, ce qui ne m’en laisse plus vraiment le temps.

Au premier check radio, Zézette annonce « mon avion est en panne, je coupe » ; c’était mon N°4, et c’est son avion que je devais prendre si j’avais décidé de changer….

Le test des freins à la sortie du parking est musclé, espérant débloquer ces foutues pompes, mais rien n’y fait. Et puis, petit miracle, en arrivant au point de manœuvre, il y en a une sur les deux qui bascule sur marche.

Les 4 avions de la première patrouille sont alignés puis lâchent les freins à 30 secondes d’intervalle. Le spectacle des dards PC allumés dans la nuit est toujours aussi beau, et je ne peux m’empêcher de penser au raffut que ça doit faire en ville puisqu’on décolle face au sud. J’imagine aussi les derniers noctambules rentrant chez eux, ceux qui se lèvent, qu’on a réveillé, bref tous ces gens partis pour une journée normale et qui sont loin d’imaginer qu’on va aller casser une piste à 1500 kilomètres de là.

Le décollage ne pose pas de problème particulier et peu après, en me retournant je vois les rotatings de mes équipiers en train de rassembler. Le TACAN déjà en fonction air-air donne une distance, mais pas de relèvement sur le Boeing qu’on doit rejoindre. Il fait beau, le jour commence à se lever et l’acquisition visuelle s’effectue relativement vite. La rejointe est standard, sauf qu’en courte finale le Boeing grossit vite, très vite, trop vite ce qui m’oblige à sortir les aérofreins, cabrer puis la vitesse diminuant vers 250 kts, à sortir des volets et allumer les PC car à cette altitude et avec toutes les charges qu’on a, le Jaguar vole très mal. J’ai l’impression d’être dans une phase de combat et je n’ose imaginer ce que ça doit donner au niveau de mes équipiers ! Je dois avouer que je n’ai pas regardé car je dois assurer le rassemblement et puis et surtout j’ai une entière confiance ; on se connait et je sais qu’ils tiendront leur place. Au cours du débriefing lorsqu’on a évoqué cette phase, j’ai bien aimé leur commentaire « le rassemblement ? oui, effectivement ce fut un peu chaud ». En fait, les tankers qui avaient eu un peu de souci au décollage de Libreville avaient 10 secondes d’avance sur le timing et se sont présentés sans prévenir (silence radio oblige) avec une vitesse de 250 kts au lieu des 300 kts prévus, ce qui nous a donné une vitesse de rapprochement de 100kts au lieu de 50.

On enchaine aussitôt sur le premier ravitaillement ; l’air est calme et ça passe tranquillement. Le transit vers le 16 Nord s’effectue aussi tranquillement ce qui me donne le temps de penser à ce qui s’est passé depuis le début ; j’espérais un début de mission plus paisible et j’espère que ce n’est pas signe de mauvaise augure.

RVT en 250 kgf
RVT en 250 kgf

Au 16 Nord, après avoir ravitaillé une deuxième fois, la descente s’effectue plein complet pour passer sous la couverture des radars de Ouadi-Doum. Le trajet en basse altitude est long et pose un problème de pétrole ; la vitesse a été limitée à 420kts au lieu des 450 pour réduire la consommation. On sait qu’on est vraiment juste, surtout pour la dernière patrouille qui est en bombes 250 kg avec un seul bidon. Pendant la préparation j’avais demandé à pouvoir larguer les bidons une fois vides, mais cela nous avait été refusé. Quand je pense à la consommation qui en a été faite lors de la guerre du Golfe….

Pendant ce trajet en basse altitude, je me souviens avoir survolé des paysages magnifiques comme je n’avais jamais vu auparavant. Je me suis dit alors « je ne sais pas comment va se terminer la mission, mais quelle qu’en soit l’issue, la journée n’aura pas été entièrement mauvaise » ; étonnant ce décalage entre l’enjeu de la mission et la manière dont on le vit.

Le point de recalage situé 5 minutes avant l’attaque approche et fort de la réflexion précédente, je me trouve étonnamment calme ; sauf que je m’aperçois que mon crayon gras n’arrête pas de faire des allers et retours entre ma poche de combinaison et mon anti-G, signe de nervosité évidente. Le point de recalage est normalement à mes midis mais je ne le reconnais pas vraiment. Alban et ses quatre avions sont justes devant et il serait étonnant d’avoir la même erreur de calculateur ; on est forcément sur le chemin prévu !

Virage à gauche pour sortir de la vallée et la piste doit se trouver dans mes 10 heures. Tout d’un coup je vois des flashes lumineux justes au niveau de la première patrouille, flashes que je prends pour des tirs de l’artillerie sol/air. Bizarrement ça m’amène une grande sérénité ; ça y est c’est parti ! (ces flashes étaient en fait les leurres infra-rouge largués par les avions de devant….)

Le
Le “run” final pour l’attaque de la piste de Ouadi Doum

C’est peut être parti, mais je ne vois pas cette foutue piste ! Suite à une mission de reconnaissance effectuée quelques mois plus tôt, je cherchais des bandes blanches (voir photo) alors qu’elles étaient maintenant noires. L’acquisition tardive m’oblige à faire une manœuvre brusque à gauche puis à droite ; là encore une pensé rapide à mes équipiers (3D : « pas grave chef, j’étais plus bas que vous.. ). Et puis on se focalise sur la séquence de tir, séquence qu’on a répétée maintes fois à l’entrainement. Les éléments de l’avion sont stables, « l’épée » qui se rapproche doucement de la cible et l’appui sur le bouton bombe qui va permettre le largage. Cette séquence 30 ans après est encore très présente dans ma mémoire ; ce fut un grand moment qui pour moi représentait l’aboutissement de plus 10 ans d’entrainement passés sur avion d’arme.

Reco photo de la piste de Ouadu Doum en aout 1985
Reco photo de la piste de Ouadu Doum en aout 1985
La
La “fabuleuse” conduite de tir du Jaguar, avec “l’épée” au centre

Le dégagement se fait dans l’axe en descendant et je jette un coup d’œil dans les rétroviseurs ; là encore grand moment quand j’ai vu les colonnes de fumées noires qui montaient dans le ciel. On ne leur avait pas laissé vraiment de chance ; 11 avions qui arrivent de la vallée, soleil dans le dos (il est 7H55) et qui attaquent la piste en moins d’une minute. Du bon travail !

Encore quelques nautiques en très basse altitude et c’est le début de la remontée hors du domaine de tir des missiles sol/air. Comme prévu Alban fait un check radio (première annonce depuis le décollage) ; tout le monde répond et un grand soulagement succède à cette période de concentration extrême.

Plus qu’un ravitaillement à assurer et ce sera gagné ; le TACAN air/air est bien accroché sur le tanker et la distance nous séparant de lui reste quasiment constante, signifiant que nous sommes en route parallèle. Mes appels radio restent sans réponse et pourtant on a passé le point de début de rejointe depuis 5 bonnes minutes. La fatigue aidant je commence à devenir nerveux car je n’ai aucune envie de me dérouter à N’Djamena ; « ils sont 3 à bord, dans une phase où ils ne sont pas surchargés de travail, et même pas foutus de répondre à la radio ! ». Je demande à un autre tanker de faire le relais et à force de, ça finit par le faire. Rejointe sans problème et arrivé en position de ravitaillement, je découvre un panier tout cabossé qui visiblement avait bien souffert. C’était l’œuvre d’un F1C qui avait eu beaucoup de mal à ravitailler et qui avait pris plus de temps que prévu, expliquant ainsi pourquoi le tanker ne répondait pas, puisque F1C et Jaguar étaient sur des fréquences différentes. Quand je pense que les F1C devaient assurer notre couverture haute altitude durant cette phase de rejointe…

Le retour me parut un peu long ; un peu de fatigue et surtout hâte d’arriver.

Le retour des vainqueurs
Le retour des vainqueurs

L’accueil des mécanos et des autres militaires présents sur le site fut plus que chaleureux ! J’en profite pour saluer ces mécanos sans qui rien n’aurait été possible, qui ont œuvré loin des OPS, dans une certaine indifférence et qui ont travaillé sans compter le temps qu’il fallait pour nous préparer et sortir les avions. Je ne dirai jamais assez tout le bien que je pense d’eux.

Pétafs au montage BAP 100 jour J-1
Pétafs au montage BAP 100 jour J-1

Le soir, le COMAIR nous amène dans un restaurant du centre-ville ; l’ambiance est bien évidemment bonne mais ce n’est pas délirant. La soirée se finit autour de quelques bières mais plutôt tranquillement.

Le lendemain matin, je suis réveillé par des coups frappés à ma porte de chambre d’hôtel. J’ai un peu de mal à émerger et en ouvrant je vois Jean Mi qui m’annonce que les Libyens viennent de bombarder N’Djamena « on est tous convoqués à la villa des pilotes pour préparer l’attaque de la piste de Faya Largeau »

André CARBON

A suivre

3 réponses sur “Attaque de Ouadi Doum (2 ème partie)”

  1. Bonjour,

    le dernier n°447 d’Air Fan de février 2016 donne un article sur l’attaque de Ouadi-Doum. Ce qui est intéressant, on y apprend que l’Adc Saint-Lanne dû renoncer suite à une panne de son auto-stabilisateur de tangage, puis les dérives rencontrées avec certains parachutes de BAP100, et les dommages subis par le JAG A91 du Cne Delcourt….du A133 du Ltt Debernardi….
    A suivre, cordialement.

  2. L’article d’Arnaud Delalande est excellent et illustré en partie avec des photos du site, photos pour lesquelles il m’avait demandé l’autorisation de les publier.

  3. Bonjour et bravo. Je lis et analyse votre mission d’un autre point de vue complémentaire: Il se trouve qu’ en mars 87, j’étais parmi un tout petit groupe, présent au sol sur la base de Ouadi Doum, au lendemain matin de sa conquête par les FANT. J’avais pour mission outre l’expertise de la plateforme, la “lecture ” in situ de votre action sur la piste pour le 2B Jaguar de N’djamena.
    Je ne puis en dire plus, sinon que nos regards étaient très souvent tournés vers le ciel, à l’inverse du vôtre, car avec mes collègues, notre présence étant signalée, nous faisions l’objet de très nombreuses attaques aériennes adverses.

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