Entretien avec Patrick BAUDRY

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       Patrick BAUDRY, pilote de l’Armée de l’Air garde un souvenir très fort de son séjour à la 11ème Escadre de Chasse sur F 100, basée à Toul. Il en avait fait part dans le livre “Histoires de la 11ème Escadre de Chasse” qu’il avait eu l’amabilité de préfacer. 

       Aujourd’hui, je vous propose un entretien paru dans “Air Actualités” en 1989, entretien qui est principalement consacré à sa carrière de cosmonaute. 

         

      Le 1 er satellite artificiel est lancé par l’URSS en 1957, 10 ans tard, vous intégrez l’Ecole de l’Air. Depuis quand aspiriez-vous à devenir pilote dans l’Armée de l’air ?

       — Dès l’âge de 4 ans, j’aspirais à et à devenir un jour pilote. Je vis dans une ambiance aéronautique parce que mon père était ingénieur-météo travaillait dans les aéroports. Ma récompense était à l’époque, non pas d’aller au cinéma mais de m’emmener voir et toucher les avions. Vers 10 ans, j’ai commencé à prendre conscience des difficultés de réaliser mon rêve, le doute et les incertitudes ont commencé à s’installer dans mon esprit. Quand on désire formellement quelque chose, on croit ne pouvoir l’atteindre. C’est pourquoi quand je fus reçu au concours d’entrée à l’Ecole de l’air, ce fut pour moi une très grande joie.

       En 1971 le 1ère station soviétique Saliout est mise en orbite, tandis vous, affecté à la 11e Escadre chasse à Toul, vous entamez une carrière de pilote de combat F 100, puis sur Jaguar. Quels souvenirs vous viennent à l’esprit à l’évocation de cette période ?

     — 1971-1978 représente pour moi, la plus belle période de ma vie car je suis vraiment « éclaté » dans une ambiance fantastique. Cet esprit de famille qui règne dans les escadrons chasse je ne l’ai retrouvé que dans l’entraînement des cosmonautes. Beaucoup de souvenirs me viennent à l’esprit à l’évocation de cette période, mais les plus marquants restent pendant le premier vol en Mystère IV et le premier vol solo sur F 100. Quand on se retrouve face à une machine aussi puissante, aussi impressionnante, on se demande si on est vraiment à la hauteur, si on est capable de la dominer. Puis quelques minutes plus tard, quand vous retrouvez seul à 10 000 m d’altitude un Immense bonheur vous envahit et vous prenez alors conscience que rêves d’enfant sont en train de réaliser.

       En 1978 vous suivez les cours à l’Ecole des pilotes d’essais britannique et 2 ans plus tard vous êtes sélectionné avec Jean-Loup Chrétien pour devenir les premiers spationautes français. Était-ce la réalisation d’un rêve d’enfant et à quel moment avez-vous senti que ce rêve pouvait se réaliser un jour ?

     — Depuis toujours, la 3e dimension m’a attiré et j’ai saisi toutes les chances que me permettaient d’aller toujours plus loin. C’est pourquoi j’ai fait l’Ecole de pilotes d’essais et dans la poursuite du même raisonnement, je me suis porté volontaire pour devenir spationaute.

          Les vols spatiaux que j’espère encore réaliser ne seront pas un aboutissement puisque l’inachevé est ne pouvoir demeurer que dans la proche banlieue de la Terre. Durant un vol circumterrestre, on ressent quelque chose de plus fort que de voler en avion de chasse ; c’est en effet déjà fantastique que de s’échapper de l’attraction terrestre. Mais ceux qui verront la Terre disparaître pour ne devenir qu’un point dans l’immensité céleste, ceux-là vivront un moment extraordinaire, un bonheur irréel du domaine du rêve.

       En 1981, Young et Crispen effectuent leur premier premier vol à bord de la navette américaine Columbia. Vous êtes à la Cité des Etoiles à Moscou où vous suivez avec J.-L. Chrétien l’entraînement pour le premier vol spatial d’un Français. C’est, je pense, une période difficile à la fois intellectuellement et physiquement. N’avez-vous jamais éprouvé de grands moments de découragement alors que vous saviez que votre chance de vous envoler était très infime ?

     — Le fait d’appartenir à la famille des cosmonautes est déjà une aventure fantastique. Ce que l’on comprend le plus vite est que l’on fait partie d’une équipe et très vite on oublie les frustrations pour ne garder en tête que la victoire. Et pour nous, Jean-Loup Chrétien et moi, c’était la réussite du vol, de ramener les meilleurs résultats à la communauté scientifique et au CNES qui avait décroché cette première opportunité pour la France. C’est l’enthousiasme qui prédomine. Ceci dit, j’ai, aujourd’hui en 1989, 3 ans de moins que Jean-Loup Chrétien lorsqu’il a effectué son premier vol en 1982, et je suis conscient du privilège dont j’ai pu bénéficier…

       Lors de mon entraînement en URSS, j’ai rencontré des collègues soviétiques qui attendaient leur tour depuis 15 ans. L’un d’eux a d’ailleurs perdu son aptitude médicale et donc tout espoir de s’envoler un jour. Il a eu une réaction digne des plus grands. Dans ce monde on est en contact avec des gens qui ont véritablement « l’étoffe des héros ». La Cité des Etoiles est une école de noblesse.

       En 1983, vous partez aux Etats-Unis cette fois en tant que titulaire du 1 er vol d’un Français à bord d’une navette américaine. L’entraînement aux Etats-Unis est-il différent de celui de l’URSS ?

      — Aux Etats-Unis, l’entraînement est très différent, tant sur le plan humain que sur le plan des matériels utilisés. Sur le plan humain, les Slaves ont des tempéraments très différents des Anglo-Saxons. Leur convivialité, leur flexibilité dans l’organisation est parfois très proche de la nôtre… Le «système D» est manifestement passé à l’Est, mais il a quelques difficultés à franchir l’Atlantique. D’autre part, dans le Shuttle, l’équipage est de 7, dans le Soyouz il est de 3. La répartition des tâches s’effectue d’une autre manière, l’état d’esprit est donc différent.

     Sur le plan des matériels, les véhicules sont également différents. La technologie américaine représente une avance d’une dizaine d’années pour les vols habités. N’oublions pas que Columbia a effectué son premier vol spatial avec des hommes à son bord le 12 avril 1981 et que la navette soviétique ne sera capable de réaliser l’équivalent qu’en 1990 dans le meilleur des cas. La confiance que l’on doit apporter à un système pour l’autoriser à transporter des hommes reste d’un ordre de grandeur supérieur à celle qui est suffisante lorsque la vie humame n’est pas en jeu.

      En 1985 c’est la consécration et vous vous envolez à bord de Discovery. Quel est le premier souvenir qui vous vient immédiatement à l’esprit ?

      Sans aucun doute, le moment de l’allumage des moteurs, alors que l’on est couché à 80 m du sol. C’est un tel déferlement de puissance que l’orbiteur est secoué d’une manière formidable et la chevauchée fantastique se poursuit durant 120 secondes, la durée de fonctionnement des énormes boosters à poudre qui fournissent la poussée de 3 000 tonnes nécessaire pour le décollage. Particulièrement durant le transsonique de Mach 0,8 à Mach 1,4 où s’exerce la pression dynamique maximum — « Max Q » — quelques secondes sont particulièrement émouvantes. Lorsque l’on aime ce qui pousse, on est servi !

     Vous êtes aujourd’hui à l’Aerospatiale. Quels liens vous unissent toujours personnellement à l’Armée de l’air ?

      — L’Armée de l’air reste et demeure ma famille d’origine et j’éprouve joie et fierté d’y appartenir. Le fait de continuer à voler en unité opérationnelle à la 11ème Escadre de chasse, au delà des compétences techniques qu’il me permet de maintenir, c’est avant tout une ambiance que j’ai besoin de retrouver et qui est nécessaire à mon équilibre.

     Vous êtes particulièrement sensible à l’information des jeunes à l’Espace et vous avez créé dans ce but le « Space Camp European Quels conseils donnez-vous à ces jeunes qui sont tentés par cette aventure ?

     — Simplement qu’ils peuvent y consacrer toute leur passion, tous leurs efforts car le jeu en vaut largement la chandelle. Le métier de pilote est un métier qui permet un accomplissement total de soi-même, mais qui demande beaucoup de travail et de sacrifices.

     D’une manière générale, tout ce qui touche à l’espace, cette grande aventure n’est pas uniquement l’affaire des pilotes. Elle concerne des nombreuses équipes constituées d’hommes de professions très diverses, des contrôleurs aux techniciens, des médecins aux scientifiques. Il y a de la place pour beaucoup et tous y trouveront une satisfaction hors du commun,

                Air Actu no 420 avril 89

 

     Patrick BAUDRY

     Colonel du corps des officiers de l’air. Né le 6 mars 1946 à Douala (République unie du Cameroun). Marié, père d’une petite fille.

     Entré à l’Ecole de l’air en 1967 après une formation de mathématiques spéciales, il est breveté pilote de chasse en 1970. Pilote de combat à la 11e Escadre de chasse durant six années sur F 100 « Super Sabre » puis sur « Jaguar », il est chef de patrouille le 4 décembre 1974. Patrick Baudry suit en 1978 les cours de l’Empire Test Pilot’s School, école des pilotes d’essais britanniques à Boscombe Down, il en sort major.

    Pilote d’essais au Centre d’essais en vol de Brétigny-sur-Orge au moment de sa présélection comme futur spationaute français, il totalise près de 4 000 heures de vol.

    La région familiale de Patrick Baudry est le Bordelais. Il pratique les sports mécaniques (auto, moto), le marathon, le squash et le ski.

    Le colonel Baudry, ingénieur de l’Ecole de l’air, pilote d’essais, spationaute, est officier de la Légion d’honneur, chevalier de l’ordre national du Mérite et médaillé de l’Aéronautique. Il est également décoré de l’ordre de Gagarine et de l’Amitié des peuples.

     Détaché au Centre national d’études spatiales (CNES) le 1 er juillet 1980, il est à nouveau détaché au CNES pour une période de 5 années à partir du 1 er juillet 1984.

     Doublure du colonel Jean-Loup Chrétien, premier spationaute français (vol spatial du 24 juin au 2 juillet 1982), Patrick Baudry est le premier français à voler sur la navette américaine. « Discovery » qui a décollé le lundi 17 juin 1985 s’est reposée au bout d’une semaine et de 111 révolutions autour de la Terre. Pour Patrick Baudry ce vol est la consécration d’un long entraînement et d’une longue attente.

Un site web lui est consacré “Patrick BAUDRY” 

Patrick Baudry cosmonaute

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