Pierre Le Gloan du groupe III/6 a terminé la guerre avec 18 victoires, à la 4ème place (derrière Closterman, Albert et Demozay) et l’une de ses singularités est d’avoir remporté ces victoires contre des Allemands, des Italiens et des Anglais.
Je remercie sincèrement David Méchin qui m’a autorisé à reproduire son article publié dans le “Fana de l’Aviation” et que je vous proposerai en 3 parties.
Je vous conseille aussi la vidéo qu’il a réalisée sur la même sujet et disponible sur Youtube https://youtu.be/QLlkOBY_RCg?si=JjqKu7Xp5HYzQCEJ
Pourquoi cet article sur Le Gloan ? Pour 2 raisons principales :
– Pierre Le Gloan a obtenu ses victoires au sein du groupe III/6 dont l’EC 1/11 a repris les traditions
– Bien que 4ème dans l’ordre du mérite pour ce qui concerne le nombre de victoires obtenues, son histoire est restée plutôt confidentielle ; l’article vous explique pourquoi.
Formation de pilote
Pierre, Marie Le Gloan voit le jour le 6 janvier 1913 à Kergrist-Moëlou, une commune des Côtes d’Armor (anciennement Côtes-du-Nord) située en plein centre géographique de la Bretagne où ses parents ont une petite exploitation agricole au lieu-dit « Moustermeur », tout comme son oncle et sa tante. Le jeune garçon grandit au village et fréquente l’école communale en compagnie de ses sept frères et sœurs ainsi que ses cousins. Etant le plus jeune de la fratrie, ses chances de reprendre un jour l’exploitation familiale sont bien compromises : un engagement dans l’armée est donc une solution pour obtenir une situation.
C’est vers cette voie qu’il décide de s’orienter, étant de plus motivé par une passion qui le prend dès l’enfance : l’aviation. Cependant, n’étant ni collégien et encore moins bachelier, les voies royales d’accès aux écoles d’officiers lui sont de facto interdites. Il entrera donc dans l’armée de l’air par la petite porte d’une école de pilotage sous contrat avec l’Etat : il décroche une bourse d’état pour financer ses cours et à peine fêtés ses 18 ans il part à l’école CFA de Nîmes où, au terme d’un stage de six mois, y obtient son brevet de pilote militaire (n°23419) le 7 août 1931. La contrepartie est qu’il doit effectuer immédiatement son service national, en devancement d’appel, et s’engage le 8 décembre 1931 à l’intendance de Nîmes au 2e groupe des ouvriers aéronautiques. Envoyé en école de perfectionnement où il se familiarise au pilotage du chasseur Nieuport 62, il est affecté le 15 mai 1932 avec le grade de caporal comme pilote à la 9e escadrille du 2e Régiment d’Aviation de Strasbourg (reprenant les traditions de l’escadrille HD 174), étant promu au grade de caporal-chef le 1er octobre suivant.
Il y termine son service national le 7 décembre 1932 et souhaite immédiatement s’engager, mais le manque de place le contraint à retourner chez ses parents où il doit patienter quelques mois pour signer le 2 mars 1933 un contrat d’engagement d’un an renouvelable. Il retrouve alors son poste dans son ancienne escadrille où il se fait remarquer par ses talents de pilote mais aussi de tireur lors de la campagne de tir de son groupe au camp d’Hyères-Paliverstre durant l’été 1933, période où il est promu au grade de sergent.
Au mois de septembre 1933 le 2e régiment de chasse de Strasbourg est dissous et Le Gloan est muté à Reims où se créée la 6e escadre de chasse forte de deux groupes, étant affecté à la 3e escadrille du GC II/6, reprenant les traditions de l’escadrille SPA 26. A la fin de l’année 1934, la 6e escadre s’installe à Chartres où le futur as gagne en expérience de vol. Ses supérieurs le notent dès le début comme un excellent pilote et un tireur d’élite. En juillet 1935, son supérieur direct, le Lt Destaillac, le qualifie comme « l’un des plus brillants pilote de l’escadrille. » Il obtient son brevet de chef de patrouille qui lui permet de diriger deux équipiers parfois plus gradés de lui. Mais le jeune pilote en réalisant des acrobaties commet une faute de pilotage le 8 octobre 1935 et s’écrase avec son Nieuport 62 à Champseru à 15 km au nord-est de sa base de Chartres. Il en sort indemne, mais la sanction tombe : retrait du brevet de chef de patrouille ! Sa valeur professionnelle le réhabilite vite aux yeux sa hiérarchie, qui note qu’il « cherche à réparer et à faire oublier par son obéissance et sa discipline de vol, la faute commise précédemment. A obtenu d’excellents résultats aux tirs de St Raphaël où il s’est classé 2e parmi les pilotes du groupe ». Son brevet de chef de patrouille lui est de nouveau accordé le 19 octobre 1936. A cette époque les quatre escadrilles de la 6e escadre de chasse se rééquipent sur le chasseur monoplan à aile de mouette Loire 46 qui restera en ligne pendant deux années. Pierre Le Gloan, toujours bien noté, se rengage à plusieurs reprises en contrats d’un an, jusqu’au 23 février 1938 où il est admis dans le corps des sous-officiers de carrière avec son grade de sergent-chef où il a été promu le 19 juin 1937.
A la toute fin de l’année 1938 les premiers Morane 406 sont reçus par la 6e escadre et notre pilote peut voler pour la première fois sur un chasseur moderne à train escamotable. Le Gloan est muté au GC I/6 le 22 février 1939 et participe à une campagne d’entraînement en Tunisie le mois suivant, puis retourne en France le 20 avril. Alors que la tension internationale se détériore et que les menaces de guerre se font plus précises, l’armée de l’air étoffe ses effectifs et la plupart des escadres de chasse se dotent d’un troisième groupe de 2 escadrilles. La 6e n’y fait pas exception et le GC III/6 voit le jour à Chartres le 1er mai 1939 sous les ordres du capitaine De Place, composé de pilotes réservistes encadré par un noyau de pilotes expérimentés.
Le sergent-chef Pierre Le Gloan y est alors affecté, une décision que l’historien Christian-Jacques Ehrengardt a interprété comme une volonté de son chef de groupe de se débarrasser d’un pilote au caractère difficile. La question mérite d’être posée : d’après quelques témoignages et notamment celui du sergent mécanicien Joseph Bibert (1), le futur as est décrit comme « un breton pas toujours commode » et dont les amis sont rares. Si l’homme apparaît toujours crispé sur les photos, il possède pourtant plusieurs amis inséparables parmi ses camarades d’escadrille, comme les sergents Charles Goujon et Pierre Lamazou. De plus, si l’adage populaire prête aux bretons le défaut d’être têtus, le sale caractère supposé du futur as n’a de toute évidence jamais déteint sur son dossier disciplinaire, qui reste assez mince et limité à un total de 5 punitions légères de 1933 à 1936, pour des broutilles de service (retard à une inspection, conduite trop rapide d’une voiture sur la base de Chartres) n’ayant donné lieu qu’à des jours d’arrêts simples. Sa hiérarchie le note avec régularité comme un « Excellent pilote et excellent tireur. Sous-officier plein d’allant, d’une tenue et d’une moralité parfaites. » Il semble en fait qu’il ait été affecté au GC III/6 dans le but de dynamiser cette nouvelle unité par la présence d’un pilote d’élite, qui commence à prendre de l’ascendant sur les autres pilotes plus jeunes, commençant par ailleurs à exercer la fonction de moniteur.
Le nouveau GC III/6 se forme donc sur la base de Chartres et dès le mois de juillet change de chef en la personne du capitaine Castanier. Le commandant adjoint est un personnage haut en couleur, le capitaine André Chaînat, ancien as de 14-18 ayant remporté 11 victoires à la mythique escadrille SPA 3, et qui a repris du service à 47 ans à bord de son Morane 406 qu’il a décoré de la Cigogne et qu’il a fait orner d’une bande d’as tricolore. Le Gloan atterrit à la 5e escadrille dirigée par le capitaine Jacobi. Tous les pilotes du nouveau groupe poursuivent leur entraînement à un rythme accéléré, jusqu’au 3 septembre 1939 où les hostilités débutent avec l’Allemagne.
Premiers succès lors de la drôle de guerre.
Le GC III/6 s’installe sur le terrain de Betz-Bouillancy (Oise), au nord-est de la capitale, d’où il doit protéger la région parisienne des incursions ennemies. Aucun appareil de la Luftwaffe ne montre le bout de son nez à la grande frustration des pilotes qui accueillent avec satisfaction l’ordre de se rendre le 15 novembre 1939 sur le terrain de Wez-Thuizy, à l’Est de Reims, où les occasions d’en découdre seront plus grandes.
Et c’est très vite ce qui va se passer. Le 23 novembre 1939, de nombreux Dornier 17 sont envoyés en missions de reconnaissance photographique à l’arrière des lignes sur le territoire français et huit d’entre eux vont être abattus par des Hurricane de la Royal Air Force ainsi que par des chasseurs de l’Armée de l’Air. Une patrouille du GC III/6 est en l’air à ce moment précis, constituée du sergent-chef Le Gloan (volant sur son Morane 406 n°597) avec pour équipier le sous-lieutenant Robert Martin. Les deux pilotes croisent la route d’un Dornier 17 P que le Gloan attaque plein avant, puis vire pour entamer une poursuite. L’avion ennemi tente de s’enfuir en piquant puis en poursuivant son chemin en rase-mottes à pleine puissance. Bien que la différence de vitesse ne soit pas énorme avec les Morane 406 un peu poussifs ceux-ci ne renoncent pas et au terme d’une poursuite qui dure plus de vingt minutes parviennent à abattre le bimoteur (appartenant à l’escadrille 5.(F)/122 ) qui se pose sur le ventre vers 14 heures à Bras-sur-Meuse, près de Verdun, où son équipage est capturé. La victoire sera homologuée aux deux pilotes (bulletin de la Zone d’Opérations Aériennes Nord n°2) qui remportent le premier succès de leur groupe, ce qui leur vaudra une citation à l’ordre de l’armée publiée au journal officiel du 12 janvier 1940 – la croix de guerre avec palme leur sera remise par le général Vuillemin en personne (chef d’état-major de l’armée de l’air) le 3 février 1940.
Ils vont récidiver leur exploit dans les mêmes conditions le 2 mars 1940, contre un Dornier 17 P de l’escadrille de reconnaissance 4.(F)/11 qu’il croisent à 7000 mètres non loin du lieu de leur première victoire, à Dun sur Meuse. Le Dornier tente également de s’enfuir en piquant puis en rase-mottes ; il est poursuivi par les deux pilotes (Le Gloan est toujours sur son Morane 406 n°597) qui l’abattent dans les lignes françaises à Alzing près de Bouzonville et à quelques kilomètres de la ligne Maginot. Posé sur le ventre, le Dornier immatriculé 6M+AM est capturé avec son équipage constitué d’un officier, d’un feldwebel (adjudant) et d’un mitrailleur qui est d’ailleurs blessé. La victoire est homologuée aux deux pilotes français par le bulletin n°6 de la ZOAN, puis par une citation à l’ordre de l’armée qui leur est décernée le 25 mars 1940, peu avant la promotion au grade d’adjudant de Pierre Le Gloan, le 1er avril 1940.
Ces deux victoires aériennes vont lui conférer une petite célébrité nationale. Petite, car elle n’a rien de commun avec celle obtenue par les as de la première guerre mondiale qui à l’époque voyaient leur photo à la une des journaux et dont des interviews étaient même publiées. Les pilotes se distinguant par des victoires durant la drôle de guerre reçoivent des citations à l’ordre de l’armée après leurs succès, qui sont publiées au Journal Officiel. Celui-ci est scruté avec attention par les rédactions parisiennes, qui ne manquent pas de saluer les aviateurs ainsi distingués dans des entrefilets assez discrets de leurs pages intérieures. Le nom de Pierre Le Gloan apparaît donc dans la plupart des titres de la presse nationale et de la presse locale, dont notamment l’Ouest-Eclair de Rennes diffusé dans sa Bretagne natale.
Il est en tout cas très fier de ses victoires et, selon le témoignage de René Colin, mécanicien au GC III/6, « A chaque retour de mission, nous avions droit à une petite séance d’acrobatie : passage en rase-mottes avec chandelle, tonneaux en montant, ce qui ne devait pas toujours plaire au capitaine Chaînat. Je le vois encore disant : M. Le Gloan, M. Goujon, au lieu de vos acrobaties, vous feriez mieux de vous entraîner au tir. Vous avez vingt obus, c’est beaucoup trop. Sur mon SPAD, j’en avais bien moins : c’était la tête du pilote que je visais. »
Au combat dans la campagne de France
L’attaque allemande du 10 mai surprend le GC III/6 alors qu’il vient depuis un peu plus d’une semaine d’emménager dans le Jura, sur le terrain de Chissey-sur-Loue, près de Dole. Tous les pilotes du groupe vont effectuer de nombreuses missions dans la journée et revendiquer deux victoires contre les bombardiers allemands. Pierre Le Gloan pour sa part manque ce rendez-vous avec la Luftwaffe en raison d’une panne du train d’atterrissage de son Morane 406 n°597. Mais une fois son appareil réparé il se rattrape le lendemain où l’activité du groupe sera tout aussi soutenue. Dès le matin vers neuf heures, il fait partie d’une patrouille de 9 appareils qui intercepte un peloton de 16 Heinkel 111 revenant d’un bombardement sur Vesoul, se joignant à une patrouille de Morane du GC II/7. Pierre Le Gloan est le premier à tirer le Heinkel situé en queue du dispositif ennemi : touché, le bombardier quitte la formation et descend en spirale pour être perdu de vue sur la forêt de Champlitte. Il ne sera compté que comme victoire probable. Les Morane prennent ensuite pour cible un autre Heinkel 111, l’ailier gauche du dispositif, qui quitte aussi la formation avec un moteur fumant et tente de regagner ses lignes en faisant demi-tour plein Est. Tous les Morane se relaient pour lui tirer dessus et font taire successivement ses deux moteurs : le Heinkel de l’escadrille 1/KG 51 immatriculé 9K+GH se pose alors sur le ventre à 9h58 à Pirey (au nord-ouest de Besançon) où ses cinq membres d’équipages sont capturés après avoir tenté sans succès de mettre le feu à leur appareil. La victoire sera homologuée par le bulletin n°16 de la Zone d’Opérations Aérienne Sud (ZOAS) à l’adjudant Le Gloan et au lieutenant Legrand, mais cinq autres pilotes du GC III/6 recevront une citation pour leur participation au combat. Le pilote breton sera décoré de la médaille militaire par le ministre de l’Air Laurent Eynac par un arrêté du 7 juin 1940, paru au journal officiel du 21 juin.
Trois jours plus tard, le 14 mai, le GC III/6 participe à une nouvel affrontement contre des bombardiers de la KG 51 partis attaquer au matin le terrain d’aviation de Dijon. Deux Ju 88 sont ainsi descendus (seul un sera homologué au groupe) vers 12h. Une autre patrouille que dirige Le Gloan est alors envoyée sur place une fois le bombardement terminé : elle interceptera à la verticale de Grey un Heinkel 111 de l’état-major de la III/KG 51 venu constater les résultats. Le pilote breton attaque le bombardier par l’arrière et en dessous, suivi par ses deux équipiers les Sgt de Gerviller et Trinel, puis du S/Lt Steunou venu en renfort et qui participe à une deuxième passe de tir effectuée par les trois pilotes. Le Heinkel immatriculé 9K+DD se pose alors sur le ventre près d’un marécage sur la commune de Fougerolles où son équipage est capturé avec un blessé et un tué à bord. La victoire sera homologuée aux quatre pilotes par le bulletin n°21 de la ZOAS – Le Gloan recevant une nouvelle citation à l’ordre de l’armée qui sera publiée au journal officiel du 19 septembre 1940.
En ce moment précis de la campagne de France, les Panzer allemands franchissent les Ardennes et filent plein ouest tandis que des combats aériens font rage sur ce secteur. Le GC III/6 de sa base du Jura est situé trop loin pour y participer et ne rencontre guère l’ennemi dans les jours qui suivent. L’état-major décide alors de l’installer sur le terrain de Coulommiers, à l’est de la région parisienne, d’où il va connaître de très violents affrontements avec la chasse ennemie lors de plusieurs missions dans le nord dans la région de Cambrai. Le 21 mai, au cours d’un combat contre des Bf 109, un pilote est tué, un autre prisonnier et un troisième est blessé ; le 24 mai le commandant Castanier est tué au combat pendant que son équipier est descendu et fait prisonnier. Devenu le plus ancien dans le grade le plus élevé, le capitaine Chaînat décide le lendemain de conduire une patrouille et revient de justesse avec son appareil criblé de plombs, tout comme celui d’un équipier… Le potentiel du GC III/6 dont le commandement revient au capitaine Paul Stehlin est déjà réduit à peu de choses par l’usure des combats. Il tombe à seulement quatre appareils en début d’après-midi du 26 mai 1940 après le bombardement effectué par une trentaine de Heinkel 111 du terrain de Coulommiers ! Récupérant des Morane 406 livrés par les dépôts pour par les autres groupes, il reçoit l’ordre le 31 mai 1940 de se diriger vers la Provence sur le terrain de Le Luc et les pilotes apprennent avec satisfaction qu’ils doivent y être transformés sur Dewoitine 520.
Le groupe s’y retrouve au complet durant l’après-midi du 1er juin 1940, désormais rattaché au Groupement de Chasse n°24 dirigé par le colonel Armand de Turenne (un as de 14-18 aux 15 victoires) chargé de la protection de la vallée du Rhône et de la région marseillaise. A peine arrivés, une patrouille de deux pilotes reçoit l’ordre de décoller pour couvrir la ville de Marseille qui vient vers 14h30 de subir de jour une attaque de la Luftwaffe (un cargo britannique est coulé). Alors que ces pilotes rentrent et que la nuit tombe, la Luftwaffe attaque de nouveau dans la nuit vers 23 heures, puis au matin du 2 juin entre 9h et 10h30 où elle incendie des réservoirs de la raffinerie de la Mède et coule un navire dans le port. Le GC III/6 reçoit l’ordre dans la journée de détacher dix pilotes sur le terrain de Valence pour assurer la couverture de la cité phocéenne : trop tard pour contrer la Lufwaffe qui a cessé ses raids. Le détachement des Morane du GC III/6 restera trois jours à Valence sans rencontrer d’ennemi, relevé le 5 juin par le GC III/1.
Pierre Le Gloan a priori n’en fait pas partie et reste au Luc, mais dès le 7 juin il va faire partie du premier détachement de pilotes devant partir pour Toulouse afin d’y percevoir des Dewoitine 520. Le capitaine Stehlin, conduisant ce premier détachement, témoigne : « Le général d’Harcourt nous envoya (Le Gloan, Goujon, quelques autres et moi-même) à Toulouse pour y chercher des Dewoitine 520, tant attendus, que le I/3 et le II/3 avaient déjà touchés avant nous. Je n’oublierai jamais, aussi longtemps que je vivrai, l’image de ces merveilleux avions alignés par centaines — je dis bien par centaines : je ne les ai pas comptés mais je suis sûr de ne pas faire erreur sur l’ordre de grandeur — armés, fin prêts devant les hangars. Et je me rappelle encore la réaction des gens de l’usine, atterrés de nous voir arriver si tard, et si peu nombreux : « Choisissez », nous dirent-ils simplement. Et chacun de nous s’assit tour à tour dans plusieurs avions et les essaya en vol, pour finir par en adopter un, d’après des critères évidemment impondérables : ils étaient tous également neufs, également parfaits… » Le Gloan, à cette époque promu au grade d’adjudant-chef, s’approprie très probablement le n°277 qui recevra le code tactique « 6 » sur le fuselage et les ailes, et rentre le 10 juin au Luc à bord du nouveau chasseur que le journal de marche du groupe qualifie de « très belle voiture dont nous tirerons le maximum il faut espérer. » Ce même jour, un évènement d’importance a lieu : l’Italie de Mussolini vient de déclarer la guerre à la France et toute la Provence se trouve sous la menace des appareils de la Régia Aéronautica.
Face aux Italiens
Sur le papier, la supériorité numérique italienne est importante. Sans même parler des unités stationnées face à la Corse ou l’Afrique du Nord, leurs seules forces aériennes stationnées au nord de l’Italie (Squadra 1) et qui sont susceptibles d’attaquer la Provence représentent quatre Gruppi de chasse (n°150, 151, 18 et 23) et sept de bombardement (n°4, 11, 25, 31, 43, 98 et 99) rassemblant un total de 81 chasseurs et 113 bombardiers. L’aviation française n’a pour s’y opposer que le GC III/6 au Luc (théoriquement, 24 appareils) et l’escadrille AC 3 de l’aéronavale à Cuers (12 appareils), soit un total de 36 chasseurs qui sont par conséquent à un contre deux.
Mais dans les faits, malgré leur supériorité numérique, les appareils italiens sont largement dépassés du point de vue des performances. Leur chasseur standard est le Fiat CR 42, un biplan à train fixe dont la vitesse de pointe avoisine les 440 km/h, nettement moins que celle des Dewoitine 520 sur lesquels se transforme le GC III/6 et qui filent à 540 km/h, et même moins que les Bloch 151 de l’aéronavale dont la vitesse de pointe approche des 480 km/h. Quant aux appareils de bombardement italiens, les bimoteurs Fiat BR 20, ils sont aussi rapides que les CR 42 et leur vitesse ne les met pas à l’abri d’une interception.
Les Français disposent enfin d’un autre avantage, assez peu connu : une couverture radar. Si l’armée de l’air de 1940 disposait de moyens de détection, les « barrages David », ceux-ci sont assez peu performants car ils ne peuvent détecter un avion que quand celui-ci passe dans le champ formé entre deux antennes, ce qui contraint à organiser un réseau en profondeur. Un tel barrage David était en place au nord de Marseille le 1er juin 1940 et n’a pu détecter que bien trop tard le passage des bombardiers allemands. La marine française, en revanche, dispose sur l’île de Port-Cros (non loin du port de Toulon) d’un puissant radar métrique à impulsion, qui permet de détecter des avions sur une distance de 130 kilomètres, c’est-à-dire un peu au-delà de la ville de Menton. Très concrètement, cette installation repére un appareil italien dès qu’il franchit la frontière, permettant de déclencher une interception à condition que les ordres de décollages soient exécutés rapidement, car en vitesse de croisière les appareils ennemis peuvent gagner le port de Toulon en une vingtaine de minutes.
C’est dans ce contexte que l’adjudant-chef Pierre Le Gloan va réaliser ses exploits en quelques jours de combat. Au GC III/6, d’autres détachements de pilotes partent pour Toulouse pour revenir avec des Dewoitine 520 flambants neufs. La transformation complète du groupe ne sera achevée que le 16 juin ; il y a donc au début des hostilités avec l’Italie toujours quelques Morane 406 en dotation. Rien ne se passe au premier jour des hostilités, le 11 juin : le temps est assez couvert et l’aviation italienne n’engage successivement que deux Fiat BR 20 faire une reconnaissance sur le port de Toulon. La Royal Air Force, qui dispose d’un Squadron de bombardement stationné à Salon de Provence, l’envoie durant la nuit du 11 au 12 effectuer une mission de bombardement sur Turin en compagnie d’autres appareils basés en Grande-Bretagne, causant quelques dégâts. L’aviation italienne réagit le lendemain 12 juin en effectuant des raids sur les côtes d’Afrique du Nord, mais toujours rien sur la Provence si ce n’est par une reconnaissance d’un Fiat BR 20 du 4e Gruppo sur Toulon. D’après les archives italiennes, ce bombardier est intercepté par la chasse française et doit se poser endommagé en catastrophe dans ses lignes ; il n’y a cependant aucun document dans les archives françaises permettant d’identifier les chasseurs qui l’auraient tiré.
Deux bombardiers descendus
Ce n’est que durant la nuit au 12 au 13 juin que l’aviation italienne, disposant des résultats de ses reconnaissances, va organiser un raid sur le port de Toulon, avec des résultats très minimes : les formations italiennes sont détectées par la station de Port-Cros avec un préavis de 120 km, et les batteries de DCA du port sont prêtes à les recevoir. D’une grande puissance de feu, elles dispersent les Fiat BR 20 qui larguent leurs bombes sans grande précision. Cependant, dans la journée du 13 juin, un nouveau raid a lieu peu avant midi, composé de formations de Fiat CR 42 et de bombardiers BR 20. Les chasseurs CR 42 semblent avoir pris les chasseurs français de vitesse et n’en rencontrent aucun quand le Gruppo 23 mitraille l’aérodrome de Fayence (par ailleurs vide de tout avion militaire) tandis que le Gruppo 151 s’en prend au terrain de Hyères, descendant au passage un Vought 156 de l’aéronavale qui rentre d’une mission d’entrainement. Ils sont repoussés par une forte DCA et sont suivis par une vague de bombardiers Fiat BR 20 des Gruppi 43 et 13, qui, égarés par le mauvais temps, arrivent plus tard et vont faire face à la chasse française. A 10h55 heures, trois D 520 du GC III/6 alertés par le centre de Toulon décollent, pilotés par l’adjudant-chef Le Gloan avec pour équipiers le lieutenant Robert Martin et l’adjudant Charles Goujon. Ils se dirigent vers le terrain d’Hyères et à 11h30 croisent la route de quatre BR 20 du Gruppo 43 qu’ils attaquent aussitôt.
Le Gloan prend pour cible l’ailier droit de la formation, sur lequel il fait feu plein arrière et par-dessous tandis que Goujon tire par-dessus. Le Fiat BR 20 immatriculé MM 21503 et portant pour code tactique « 3-7 » est abattu et s’écrase à 8 km à l’ouest de St-Raphaël. Le sort de l’équipage italien va être tout à fait dramatique : le tenente Aldo Sammartano, chef de bord, perd son sang-froid et abandonne l’équipage en sautant en parachute : il va disparaître en mer. Le copilote, le sergente maggiore Giuseppe Goracci, bien que blessé, va maintenir l’appareil en ligne de vol et faire sauter tout le reste de l’équipage en parachute. Le sergent Mario Costa et le soldat Renzo Magiarotti, déjà blessés par le tir des chasseurs, vont être tués au bout des suspentes de leur parachutes par des tirs de mitrailleuses venus du sol. Goracci est lynché par la foule quand il touchera le sol. Seul, le soldat Natale Vanuzzo, atterrit dans le jardin d’une villa où les propriétaires lui donnent les premiers soins avec humanité. La maison est cernée par une foule en furie qui insulte l’aviateur italien dans sa propre langue. Seule l’intervention des gendarmes qui doivent sortir leurs armes lui permet d’échapper au lynchage et d’être évacué dans un hôpital.
Pendant ce temps, Le Gloan et Goujon poursuivent leur attaque pendant que Martin, victime d’une panne électrique, ne peut faire fonctionner ses armes de bord et rentre à la base. Ils attaquent le Fiat BR 20 immatriculé MM 21505 et codé « 3-6 » au-dessus du cap Cammarat et l’abandonnent criblé d’impacts, un de ses moteurs détruit. Le pilote et chef de bord, le tenente Simone Catalano, grièvement blessé, va tenter de maintenir l’appareil en ligne de vol mais va expirer aux commandes. Son copilote Ottavio Aliani poursuit la route sur le seul moteur gauche qui commence à lâcher et doit se poser sur l’eau au large de San Remo. Il parviendra à quitter l’avion qui s’enfonce rapidement dans les flots en compagnie du mécanicien volant Raffaelo Ferraris, tandis que le radio télégraphiste Salvatore Gaeta et le sergent major mitrailleur Tommaso Ferrari périssent noyés dans l’appareil.
Un troisième Fiat BR 20 (MM 21504, codé « 3-2 ») a été touché par le tir des Dewoitine qui tuent son pilote, le sottotenente Mario Rondinelli. L’appareil peut être ramené à sa base par le copilote, le sergente Raffaelo Bruni, avec trois blessés à bord.
Deux victoires vont être revendiquées par les Français. Elles ne feront pas l’objet d’un bulletin d’homologation mais seront confirmées à Le Gloan par une citation à l’ordre de l’armée publiée au journal officiel du 21 septembre 1940, indiquant « A abattu dans nos lignes, avec son équipier, deux de ces avions ennemis, remportant ainsi ses cinquièmes et sixièmes victoires. »
Le colonel Armand de Turenne, chef du Groupement de Chasse n°24, va analyser ce combat dans un rapport, dans lequel il note que « Il ressort de ce premier contact que les formations italiennes sont loin d’être aussi redoutables que celles de leurs alliés [allemands], les groupes sont peu serrés et ne présentent pas de sérieux plans de feu. Nos chasseurs ont été peu tirés et aucun n’a été touché. Le groupe de 5 avions Fiat BR 20 attaqué par une patrouille simple de D.520 s’est disloquée au moment de l’attaque, les ailiers disparaissant dans les nuages, les autres piquant vers la mer. Ces bombardiers ne se sont pas montrés très ardents et courageux ; arrêtés dans leur attaque sur Toulon ils ont fait demi-tour et largué leurs bombes en mer. Si le terrain de Fayence et la ville de Cannes ont été bombardés, c’est parce que le nombre de chasseurs (le GC III/6 est en transformation) mis en couverture était trop peu nombreux pour pouvoir défendre simultanément plusieurs points de la côte (…) Les D.520 employés pour la première fois par des pilotes confirmés et titulaires de plusieurs victoires ont montré qu’ils étaient rapides, maniables, et permettaient des attaques rapides sur les appareils de bombardement italiens. »
Cinq d’un coup
Le 14 juin, la marine française envoie plusieurs navires de surface effectuer un raid contre des installations portuaires italiennes de la côte ligure à Gênes et Vado. L’opération Samoyède, à laquelle participent des avions de l’aéronavale et neuf avions du GC III/6 en couverture, est un succès et n’a rencontré aucune opposition de la Regia Aeronautica.
Sans doute par volonté de représailles face à ce cuisant échec, les Italiens lancent le lendemain 15 juin toutes leurs unités aériennes sur la Provence. Une cinquantaine de Fiat CR 42 sont lancés pour attaquer les aérodromes de Provence. Le centre de Toulon repère les assaillants et donne l’alerte à 11h40 au GC III/6 et à l’AC 3. Cette dernière unité fait d’abord décoller une patrouille de trois Bloch 151 de son terrain de Cuers qui affronteront une quinzaine de Fiat CR 42 entre le Luc et St-Raphaël. Deux autres patrouilles de 3 Bloch se font surprendre au décollage par un autre groupe de CR 42, qui descendent quatre chasseurs français (deux pilotes tués) au prix d’un des leurs.
Au GC III/6, l’alerte est également bien reçue à 11h40 et Pierre Le Gloan va décoller à la tête d’une patrouille de trois Dewoitine vers le vol qui le fera entrer dans la gloire. Le moins que l’on puisse dire de ce combat épique est que les documents le relatant sont des plus contradictoires… Aucun n’émane du principal intéressé, si ce n’est son carnet de vol qui ne porte que la mention laconique : “15 Juin 1940 – Patrouille de 11h49 à 12h35 – 46 minutes de vol – 5 avions abattus“. D’après plusieurs témoignages, il décolle si précipitamment qu’il ne peut s’équiper de son parachute. Son Dewoitine n°377 étant indisponible, il monte dans un autre appareil qui pourrait être celui de son camarade le Lt Martin, immatriculé « 2 ».
Le premier document rédigé sur le combat est le rapport d’intervention, qui est normalement écrit par le chef de patrouille peu après le combat. Conservé par le service historique de l’armée de l’air, il est daté du lendemain 16 juin et l’identité de son rédacteur n’est pas connue. Le Gloan décolle sur alerte à 11h45 du Luc avec pour équipiers le capitaine Assolant et le capitaine Jacobi, suivi à 11h49 d’une seconde patrouille envoyée en renfort et menée par le capitaine Guerrier avec pour équipiers les S/Lt Capdeviolle et l’adjudant Japiot. Tous ont pour instruction la couverture de la zone comprise entre St-Raphaël et Toulon ainsi que la protection du terrain du Luc. La patrouille Le Gloan file vers l’est sur St-Raphaël, où alors qu’il est à 4 000 mètres un ordre radio lui ordonne virer vers le sud sur St-Tropez. Le capitaine Jacobi, victime d’ennuis moteur, fait demi-tour pour rentrer au terrain. Il ne reste que Le Gloan et Assolant, qui une fois rendus sur place ne tardent pas à découvrir une formation de 12 Fiat CR 42 qui volent en direction du sud-ouest.
Les deux Dewoitine n’ont aucune difficulté à rattraper les Fiat et à les engager. Le rapport indique : « A 12 heures, l’adjudant Le Gloan et le capitaine Assolant attaquent par arrière et dans l’axe de la dernière patrouille. A la première rafale tirée par nos deux chasseurs, l’ailier gauche s’abat en flammes. Les deux autres Fiat CR-42 cherchent à dégager en virant, l’un deux est tiré par l’arrière par l’adjudant Le Gloan et le capitaine Assolant et s’abat en piqué, le pilote se jette en parachute. A ce moment, la patrouille française se trouve disloquée. L’adjudant Le Gloan vire au- dessus de Saint-Tropez, le capitaine Assolant emporté par son élan tire un troisième Fiat CR-42, mais ses armes s’arrêtant de fonctionner, il se dégage en piquant et rentre au terrain. » Les propositions d’homologations de victoires, également datées du 16 juin et signées par le capitaine Stehlin, chef du GC III/6, font état de deux CR 42 abattus à 11h55 et 11h58 par le Gloan et Assolant en collaboration, tombés respectivement à Ramatuelle et à St-Amée (dans l’anse de Pampelonne). Les témoins du combat, en plus des gendarmes de St-Tropez, sont deux habitants de cette ville : un certain M. Borderat, employé d’octroi, ainsi que M. François Honorat, habitant le 17 rue Allart.
Le Gloan, maintenant seul, poursuit son vol comme l’indique le rapport d’intervention : « L’adjudant Le Gloan n’ayant plus de contact avec l’ennemi aperçoit des éclatements de D.C.A. vers Hyères, il se porte aussitôt dans cette direction et voit une patrouille simple de Fiat CR-42 faisant route vers l’Est. Il attaque l’avion droit, qui, touché à la première rafale s’abat à l’Ouest de la baie de Saint-Tropez. Poursuivi à son tour par 8 Fiat CR-42 il se dégage en piquant. » Le document de proposition d’homologation fait état d’une victoire obtenue à 12h00 (contre 12h10 sur le rapport d’intervention) sur un CR-42 tombé à Beauvallon, à 4 km au sud de Grimaud. Les témoins du combat, outre les gendarmes de Cogolin, sont M. Reuter ainsi que le lieutenant Brun, officier de renseignement du 54e R.I.C., tous présents à Cogolin.
Le rapport d’intervention précise ensuite : « Ordre est donné par radio à tous les pilotes de revenir au terrain, ce dernier étant attaqué à la mitrailleuse par la chasse ennemie. Tous les pilotes rallient le terrain. L’adjudant Le Gloan attaque au-dessus de la piste deux Fiat CR-42 et en descend un en flammes à 1 Km du terrain. » Le document de proposition d’homologation fait état d’un appareil abattu à 12h25 à la ferme des Thermes, à 1 km du terrain du Luc. Aucun témoin n’est mentionné mais l’avion italien, tout comme les trois précédent, est mentionné « descendu en flammes et retrouvé ».
Le vol n’est pas terminé car le rapport d’intervention indique : « Après ce combat, il rencontre un Fiat BR-20 qu’il abat après cinq passes, à la ferme du Moulin-Rouge. La deuxième patrouille n’a pas été engagée étant arrivée trop tard sur les lieux du combat. » La proposition d’homologation situe cette victoire à 12h30 à la ferme du Moulin-Rouge, à 10 km au nord du terrain du Luc près de Vidauban. Aucun témoin n’est mentionné mais l’avion est « abattu en flammes et retrouvé ».
Des faits questionnés
Le journal de marche du GC III/6 tout comme ceux de ses deux escadrilles n’apportent aucun élément car ont été reconstitués plusieurs semaines après les faits. En revanche, il existe un document rédigé au jour le jour, et qui apporte des éléments contradictoires avec le compte-rendu d’intervention et les demandes d’homologations du 16 juin : le cahier d’ordres de la 6e escadrille, à laquelle appartiennent les pilotes de la seconde patrouille ayant décollé derrière celle de Le Gloan, dirigée par le capitaine Guerrier avec pour équipiers les S/Lt Capdeviolle et l’adjudant Japiot. Il y est indiqué que, vers 12h15, « le S/Lt Capdeviolle attaque et atteint le BR 20 qui est achevé par Le Gloan », alors que le rapport d’intervention précise que ces trois Dewoitine sont arrivés trop tard pour combattre au-dessus du terrain du Luc. Qui plus est, un rapport italien du 23e Stormo, venu attaquer le terrain du Luc, précise que les Fiat ont été interceptés par « quatre ou cinq Morane » qui pourraient bien correspondre aux Dewoitine de la 2e patrouille plus celui de Le Gloan appelé à la rescousse. Trois Dewoitine ont été endommagés au sol par les tirs des biplans italiens qui a duré près de 17 minutes selon les personnels administratifs du groupe.
Deux témoignages, livrés bien des années après les faits, viennent ajouter à la confusion. Le chef de groupe, Paul Stehlin, devenu général et chef d’état-major de l’armée de l’air, publie en 1964 un livre de souvenirs « Témoignages pour l’histoire » (ed. Robert Lafont) dont il reprend plus ou moins les termes en 1970 en écrivant un article dans la revue ICARE. Les deux textes présentent un point de vue très romancé des combats du 15 juin : Stehlin prétend revenir d’une mission sur Marseille et vient de se poser quand une escadrille d’Italiens attaque le terrain : il court à la voiture radio pour prévenir les pilotes qui n’ont pas atterri, dont Le Gloan, qui abat alors sous leurs yeux quatre chasseurs. Puis Stehlin dit apercevoir un Fiat BR 20 et dirige Le Gloan par radio, ce dernier abattant le bombardier. Trois aviateurs italiens survivants de l’équipage sont capturés et sont invités à déjeuner par le GC III/6 avant de partir en captivité. « Enfin… leur demanda Le Gloan, pourquoi ne vous êtes-vous pas mis en virage quand je suis arrivé ? La seule explication de leur comportement était leur manque d’expérience. Ils mangèrent de très bon appétit, avant leur départ en captivité. Telle fut la seule apparition sérieuse des Italiens devant nous. » Le récit est en complète contradiction avec les circonstances du combat décrites dans les propositions d’homologation signées de la main même de Stehlin. Ce dernier aurait-il oublié les faits quelque vingt années plus tard ou a-t-il cherché à camoufler quelque chose ? Car un fait reste assez inexpliqué : même en tenant compte du fait que 3 Dewoitine revenaient à 11h15 d’une mission de protection, pourquoi seulement 6 des 16 Dewoitine alors en dotation au groupe ont pris l’air le jour de l’attaque, sans parler du reliquat de Morane se trouvant sur le terrain ?
L’explication peut venir du témoignage du sergent Michał Cwynar, pilote polonais vétéran de la campagne de Pologne où il a remporté une victoire à bord de son PZL, et qui a été affecté à la 6e escadrille du GC III/6 le 11 juin 1940. Terminant la guerre dans la Royal Air Force sur Spitfire puis Mustang où il remportera quatre autres victoires, il a publié ses mémoires en 2004 (« Wspomnienia wojenne » – souvenirs de guerre) et y livre un témoignage pour le moins troublant sur les évènements survenus au Luc le 15 juin 1940. Il décrit le capitaine Pierre Guerrier comme « un réserviste plus intéressé par la pêche à la ligne dans la rivière voisine que par la guerre », et qui, bien qu’étant d’alerte, parvient à convaincre le capitaine Stehlin que cette organisation était inutile car une patrouille menée par un adjudant de la 5e escadrille (Le Gloan ?) y était déjà. Peu avant midi, tous les pilotes ont été emmenés par le capitaine Stehlin déjeuner dans un restaurant au village du Luc. « Le Commandant n’a pas eu le temps de porter le traditionnel toast à la “République” car nous avons entendu des bruits d’avion. En fait douze biplans CR42 viraient sur leur droite pour s’aligner sur notre terrain et le mitrailler. Nous avons couru vers le jardin et avons regardé incrédules ce qui se passait. Il n’y avait pas de poste de radio dans le camion qui nous ramenait à la base. Il était trop tard. Toutefois, l’honneur français a été, dans une certaine mesure, préservé. Au moment où les Italiens entamaient la première passe de mitraillage, Pierre le Gloan, de la 5ème, rentrait justement à la base. Il se mit en position pour attaquer le dernier biplan de la formation italienne et commença à ouvrir le feu sur lui. Arrivant très vite, il dépassa l’italien et il fit alors battre plusieurs fois violement le gouvernail du Dewoitine à droite et à gauche pour le ralentir et pouvoir ainsi se replacer à l’arrière de son adversaire. Il tira une courte rafale de canon de 20 mm sur le côté droit de la queue de l’Italien, et le petit biplan, avec sans doute une structure essentiellement faite de bois, s’abattit tandis que son pilote sautait. On apprit par la suite que cet avion était le quatrième que le Gloan avait abattu depuis le début de sa patrouille. Dans le camion qui nous ramenait du restaurant au terrain nous étions catastrophés à l’idée des horribles dégâts que les Italiens avaient dû infliger à nos tout nouveaux Dewoitine. Mais quand nous sommes arrivés à l’aérodrome nous avons été agréablement surpris. Tous les Dewoitine étaient intacts. Seuls trois Morane 406 avait été légèrement endommagés. »
Si les faits décrits par Cwynar sont exacts, cela n’aurait pas été la première fois que des pilotes français se seraient fait surprendre au restaurant durant une attaque de leur terrain – les pilotes du GC II/5 y étaient durant l’opération Tapir le 5 juin 1940, emmenés par leur commandant Marcel Hugues, lorsque les terrains de la région parisienne ont été attaqués en masse par les bombardiers de la Luftwaffe ! Ce récit reste à prendre comme un simple témoignage, sans tirer de conclusions définitives – on observe que le capitaine Guerrier est bien en l’air dans selon le cahier d’ordres de la 5e escadrille et non au restaurant comme le prétend Cwynar.
Quelles que soient les circonstances dans lesquelles les pilotes français ont combattu, les archives italiennes permettent de confirmer la réalité de l’ensemble de l’ensemble des victoires revendiquées par Le Gloan et sa patrouille. Elles indiquent qu’un Fiat BR 20 (MM 21873 de la 172e Squadriglia de reconnaissance stratégique) abattu par la chasse dans la région du Cannet-des-Maures, avec 2 pilotes et un mitrailleur capturés (Cdt Marco Salvadori, Cne Gionio Parodi, soldat Attilio Imparator) et deux mitrailleurs tués (soldats Giovanni Bonanno et Egisto Di Croce). Il s’agit sans nul doute de la 5e victoire de Le Gloan. Concernant les chasseurs, trois Fiat CR 42 sont reconnus abattus par la chasse « dans la région du Cannet-des-Maures », ainsi qu’un autre attaqué par la chasse dans le même secteur et revenu à sa base endommagé avec le pilote blessé (Adj Pasquetti, 23e Gruppo). Il s’agit probablement de la deuxième victoire de Le Gloan et Assolant que les témoins auraient cru voir tomber dans l’anse de Pampelonne car un de ses camarades du 23e Gruppo, le Cne Luigi Filippi qui est capturé, a vu son Fiat (MM 4361) tomber à Ramatuelle sur le lieu même de revendication de la 1ere victoire. Les 3e et 4e victoires de Le Gloan sont très probablement deux pilotes du 18e Gruppo, l’adjudant Francesco Colombo (tué) et le sergent Eudo Parmiggiani (capturé) sans qu’on puisse déterminer lequel est tombé à Beauvallon ou au Luc. Précisons enfin qu’un Fiat CR 42 du 150e Gruppo est abattu à Rocbaron (Cne Nino Caselli, tué), à l’ouest des combats livrés par Le Gloan, et est vraisemblablement tombé sous les balles des Bloch 151 de l’AC 3. Un autre CR 42 du 18e Gruppo (Cne Anelli), de la formation attaquée par Le Gloan et Assolant, rentre dans ses lignes si endommagé qu’il doit être condamné : il a pu être touché par le tir de ces derniers ou par un chasseur de l’AC 3.
Le seul as du communiqué.
Alors que la France s’effondre, que la capitale est aux mains des troupes allemandes et que des dizaines de milliers de français sont sur les routes de l’exode, l’exploit militaire de l’adjudant-chef Pierre Le Gloan va faire l’objet d’un traitement médiatique tout particulier. Les demandes d’homologations signées le 16 juin par le capitaine Stehlin sont transmises le 17 juin par le colonel Armand de Turenne, chef du groupement de chasse 24, au général Houdemon, qui dirige la Zone d’Opérations Aérienne des Alpes, lequel les homologue immédiatement. Ce privilège est assez unique car le processus administratif d’homologation des victoires dure habituellement entre deux et cinq semaines. Dès la fin de la journée du 17 juin, le communiqué quotidien aux armées, qui est repris par les éditions du soir de la presse française – du moins celle qui paraît encore dans la zone non occupée par les troupes allemandes, précise que « De nombreux combats aériens ont été livrés, en particulier dans la journée du 15. Le sergent-chef Le Gloan a abattu à lui seul, au cours d’une même sortie 5 avions italiens, dont 3 chasseurs et 2 bombardiers ». Ce communiqué renoue avec la tradition de la première mondiale réservant cet honneur aux as ayant obtenu cinq victoires aériennes. Avec cet exploit, Pierre Le Gloan obtient le meilleur score jamais remporté par un pilote de chasse français en un seul vol. L’as des as de 14-18 René Fonck a bien obtenu à deux reprises six victoires en une journée, mais à chaque fois au cours de deux vols différents… Le grand as de 14-18, qui en 1940 est colonel et inspecteur général de la chasse, vient personnellement au Luc pour féliciter le jeune pilote et lui annoncer sa promotion au grade de sous-lieutenant. Le Gloan sera le seul as de la campagne de 39-40 à voir son nom célébré durant celle-ci : aucun pilote français n’a obtenu 5 victoires durant la drôle de guerre. Pour les pilotes ayant atteint ce score durant la courte et violente campagne de France, les dossiers d’homologation n’auront pas eu le temps de remonter jusqu’à l’état-major et le grand public ne découvrira les noms de Marin la Meslée, Accart ou Dorance qu’après l’armistice… Le communiqué du 17 juin, déjà publié dans les journaux, va connaître une petite suite car au moins un titre de la presse régionale va tenter de broder autour de l’exploit accompli par le pilote breton : Le Petit Provençal dans son édition du 18 juin fait preuve d’une certaine imagination en décrivant des combats qui n’ont rien de commun avec la réalité, et prêtant à l’as les propos suivants tenus à son chef d’escadrille venu le féliciter : « Je vous assure mon commandant que je n’ai pas grand mérite. Vraiment je n’ai pas eu beaucoup de peine. Tenez, constatez-le vous-même : je n’ai pas utilisé toute ma bande de mitrailleuse ! »
Les évènements laissent peu de répit pour profiter de cette notoriété. Après deux jours passés sans rencontrer l’ennemi malgré quelques missions de chasse, le GC III/6, maintenant entièrement transformé sur Dewoitine 520, reçoit le 18 juin l’ordre de se replier à Perpignan qu’il atteint en fin de soirée, abandonnant au Luc deux Dewoitine endommagés dans le mitraillage du 15 juin. De cet ultime terrain en France métropolitaine tous les pilotes s’envolent pour l’Algérie le 20 juin 1940 en suivant l’appareil du capitaine Assolant qui assure la navigation et conduit les 36 pilotes sans incident sur le terrain d’Alger. L’armistice entrera en application quelques jours plus tard et un nouvel épisode de la guerre commence pour le sous-lieutenant Pierre Le Gloan.
A suivre
Quelques photos