DANS L’ARMÉE DE L’AIR
Les débuts de l’armement guidé laser ont déjà fait l’objet d’un article de la part du Général BRETON. Jean Claude VERGNERES a été lui aussi au cœur de ce programme, puisqu’après être passé à la 11EC sur F 100 et JAGUAR, il a intégré l’Equipe de Marque ATLIS au CEAM puis a travaillé chez TOSA au développement des PODS ATLIS, PDLCT, CTS et DAMOCLES. Je le remercie de nous faire de son témoignage d’un programme long et complexe.
HISTORIQUE
Le développement de l’armement guidé laser n’a pas débuté en France mais aux USA (comme souvent dans le domaine des armements). En effet durant la guerre du Viet Nam, les forces aériennes US cherchaient à détruire le pont de chemin de fer de Thanh Hoa près d’Hanoï. Après bien des bombardements conventionnels et de nombreux échecs associés à des pertes considérables, une nouvelle technologie à fait son apparition : le guidage d’une bombe larguée à distance de sécurité par un avion sur un objectif localisé par ses coordonnées géographiques. Cette bombe munie d’un autodirecteur est autopilotée vers un endroit bien précis de l’objectif « éclairé» par faisceau laser, lui-même émis depuis un autre avion. La précision d’impact de cette nouvelle bombe appelée PAVEWAY a enfin permis en 1972, en détruisant la pile centrale du pont en une seule mission, de réduire cette cible stratégique.
L’Armement guidé laser était né mais la complexité de la synchronisation tireur/ illuminateur a engagé l’US AIR FORCE à lancer le développement d’un système autonome de guidage laser pour tir de précision à distance de sécurité : l’avion illuminateur est aussi l’avion tireur.
Un appel d’offre est lancé et la société MARTIN-MARIETTA (devenue par la suite LOCKHEED MARTIN) gagne ce développement.
En parallèle en France la société THOMSON CSF commence à travailler sur des systèmes de tracking télévision à partir de capteurs testés en vol sur Nord 262 au CEV de Brétigny (système TANAGRA) et la société CILAS développe un laser embarquable émettant en 1,06 µm
Ces deux sociétés travaillent donc sur des programmes dont les caractéristiques sont très proches. Ces programmes sont conduits sous l’autorité des Bureaux Programmes des États-Majors respectifs. Il y a donc concordance de travaux de recherche et concordance de fiche programme pour un équipement ; il ne restait plus que la volonté de coopération des deux pays pour avancer en commun. Le coup de pouce significatif de cette coopération viendra de la volonté de deux hommes positionnés aux BSA des deux Etats Major US et Français) au travers du Colonel BOICHOT, chef du Bureau Opérations à l’EMAA (futur Général et malheureusement décédé en service aérien commandé ) et de son beau-frère occupant un poste équivalent à l’Etat-Major de l’USAF. Tous deux vont faire en sorte de faire signer une convention de développement Franco-Américaine entre la société MARTIN MARIETTA et THOMSON CSF.
Un contrat de coopération est signé entre les deux pays et le POD ATLIS 001 («Automatic Tracking and Laser Integration System») était né.
NAISSANCE de l’OPTRONIQUE
La technologie Optronique consiste à coupler l’OPTIQUE, la Mécanique et l’Electronique dans un même équipement. THOMSON CSF Optronique (devenu quelques années plus tard THALES Optronique) est créé en 1975.
Martin Marietta assemble le premier POD dans son usine à ORLANDO. Ce POD Intégré sur un simulateur de vol va permettre aux ingénieurs des essais en vol de venir définir le futur emploi de ce système dans un cadre opérationnel contraint pour permettre son intégration sur avion d’arme avec la capacité illuminateur/tireur.
DEFINITION du SYSTEME.
Deux opérationnels Français participeront à Orlando (en Floride) à ces travaux : les Cdt Le Bretton (Général 2s), pilote d’essais du CEV de Cazaux et le Cdt Sayous de l’Annexe du CEAM à Cazaux. En parallèle sont lancées l’ensemble des fiches programmes nécessaires au développement de ce système d’arme complexe qui dépasse bien sûr le seul développement du Pod de targetting.
Le JAGUAR, l’avion Français de l’époque dévolu aux missions tactiques, a tout naturellement été choisi pour assurer cette future mission d’attaque au sol.
La société DASSAULT AVIATION s’est vu confier la modification très importante du Jaguar A4 (avion de première tranche et futur avion d’essais du système AGL). La modification série sera appliquée sur tous les avions 4ème tranche à partir du N°140. Cette modification consistait en d’importantes transformations cabine avec l’adjonction d’un moniteur TV de 11cm en partie latérale en haut et à gauche, d’un boîtier de commande du Pod et de gestion du code laser sur la banquette latérale droite et d’un mini-manche de pilotage du Pod, côté gauche, (avec pas moins de 7 commandes). Le Jaguar étant un avion rustique, sans calculateur de mission, Thomson CSF a dû développer un calculateur appelé BAD qui réalisait l’interface avion système. Il a été intégré dans un des compartiments avion sur la partie droite sous l’entrée d’air. Enfin un magnétoscope au format VHS fut intégré dans le compartiment latéral permettait la restitution totale de la mission.
Bien évidemment en parallèle sont lancés les développements d’armements associés.
Pour la France :
– L’AS 30 L basé sur le missile AS 30 de la société AEROSPACIALE qui équipait les Mirage 3 pour l’attaque au sol auquel a été adjoint un autodirecteur Laser ARIEL développé par THOMSON CSF. Cet autodirecteur équipé d’un gyroscope à lancement pyrotechnique avait un champ étroit de 6° (j’y reviendrais plus tard).
– La BGL de 1000Kg développée par MATRA Défense sur laquelle était intégré un autodirecteur EBLIS développé par THOMSON CSF avec un champ de 32°.
Nous voyons que pour l’ensemble de ce système d’armes, toutes les grandes sociétés françaises d’armement aéronautiques ont été concernées et à partir de 1975 conduites à coopérer pour faire une réussite de ce programme dont les développements ont été étalés sur plus de 15 ans.
Mais revenons aux essais.
LES ESSAIS
A partir du lancement de la coopération Thomson CSF / Martin Marietta en 1975, Thomson CSF Optronique a débuté l’assemblage du deuxième POD en France dans son usine d’Issy les Moulineaux.
Ce pod identique à celui testé à Orlando comportait :
– une caméra TV à tube qui travaillait dans le proche visible et très proche infrarouge dans la bande 0,5µm à 0,9µm.
– un télémètre /illuminateur laser émettant en 1,06µm et modulable en fréquence pour être codable.
– un système de roulis de type « queue de cochon » autorisant un roulis maximum de la tête de 270°.
– les systèmes optiques avec verrière et téléobjectif permettant des champs optiques de 6° et 1,5° sous-balayés électroniquement pour obtenir 3° et 0,75° de champ.
– un compartiment électronique comprenant 23 cartes spécifiques pour le pilotage des différentes fonctions du POD.
– deux alimentations pour l’électronique et le laser et enfin un groupe de climatisation pour le refroidissement de l’ensemble corps électronique et émetteur laser.
Une fois intégré et testé ce pod a été avionné sur le Jaguar A4 à Cazaux pour débuter les essais en vol d’ouverture de domaine et d’essais système en septembre 1976. Une cible spécifique a été développée et construite sur le champ de tir de Calamar à Cazaux (champ de tir parallèle à la piste de décollage et limitrophe du lac de Cazaux). Cette cible constituée d’un mur vertical de 12m x 12 m sur lequel était peint un carré central blanc de 8m x 8m entouré de noir était parfaite pour le développement du TIC (Trackeur sur Information de Contraste). Les cibles d’opportunité telles que chars existant sur le site ont constitué les cibles pour le développement du système.
Dans le cadre du CEV (Centre d’Essais en Vol) de Cazaux, un grand nombre d’essais fonctionnels et d’ouverture de domaine ont été réalisés par les pilotes d’essais (essentiellement G Le Bretton).
Le cadre d’emploi étant très contraint (avion monoplace, concept tactique TBA/TGV), Il n’a pas été simple de définir l’ergonomie des commandes, de réaliser la mise au point du/des traqueurs puisqu’assez rapidement un nouveau traqueur sur information de contraste appelé TAC a été développé et intégré. Beaucoup de modifications et d’améliorations ont été apportées au système par l’industriel durant cette période d’essais pour le rendre susceptible d’emploi opérationnel en unité de chasse. Comme l’a fort bien décrit le Gal Le Bretton dans son article sur l’AGL (article du 27 avril 2019 anciens de la 11em Escadre), ces essais n’ont pas laissé indifférentes certaines nations et des démonstrations ont été conduites au CEV avec le soutien de l’industriel THOMSON CSF pour démontrer l’avancement et le potentiel de ce système.
Démonstrations
– à la RAF sans succès car lié à un concept d’emploi inadapté, la RAF considérant que l’utilisation d’un avion monoplace pour une telle mission était dangereuse.
– à l’US Air Force pour une adaptation au F16 plutôt satisfaisante.
Nous étions au début des années 1980 et le programme avançait bien mais malheureusement le congrès US en 1981 a décidé de rompre le contrat de coopération franco/américain sur ce programme pour le réorienter sur un programme national qui débouchera sur le LANTIRN. Une des raisons invoquée a été la non permanence de la menace avec la nacelle ATLIS capable de n’être utilisée que de jour du fait de son capteur TV ; contrairement au LANTIRN qui avait la capacité nuit grâce à l’intégration d’un capteur Infra Rouge travaillant dans la bande 8µm à 12µm en lieu et place de la caméra TV. Technologie non disponible en France à l’époque et considérée comme stratégique par les US. Ce nouveau pod sera livré à l’US Air Force en 1987.
Voilà donc Thomson CSF Optronique contraint de poursuivre le développement et de “Franciser”, avec l’accord de la DGA et de L’état-major de l’Armée de L’air.
Le Pod ATLIS II devient donc : Autopointeur Television à Laser Illuminant le Sol……
Ce pod conservera la caméra de télévision après accord de transfert de technologie de la part des USA mais surtout sera doté d’un joint tournant permettant la rotation de la tête optique sur 360° ce qui opérationnellement sera indispensable pour permettre une poursuite stabilisée durant le dégagement de l’avion sans trop de limitations exceptées celle du masque avion. Ce développement si essentiel a demandé beaucoup d’essais usine car il permettait au corps central de dialoguer avec l’optique et l’électronique du traitement d’image recueillie par la caméra et les systèmes optiques mais également d’alimenter l’émetteur laser et de le refroidir ainsi que l’ensemble électronique du tronçon avant. Il a fallu développer des joints tournant hydrauliques pour le coolanol (liquide de refroidissement) et des joints tournants électriques pour la basse et haute tension. Ce fut fait et bien fait puisqu’au cours des essais nous n’aurons pas eu de défaillance de ce côté.
Le POD ATLIS II livré à Cazaux, les essais opérationnels pouvaient débuter et c’est donc à cette époque, décembre 1981, que l’équipe de marque AGL est créée au sein de l’annexe du CEAM à Cazaux avec pour mission :
– Définir le concept d’emploi opérationnel de ce système,
– Qualifier opérationnellement les différents armements (AS 30L et BGL 1000Kg),
– Définir l’emploi technique et la maintenance 1er et 2em échelon,
– Rédiger les documents supports techniques et opérationnels,
– Transformer les équipages et techniciens de l’unité de chasse ( 11ème Escadre ) à l’emploi de ce système.
Vaste programme qui va s’effectuer sur une période de 5 ans et qui va nécessiter près de 200 vols d’essais qui vont se dérouler majoritairement sur le champ de tir de calamar sous la conduite des ingénieurs d’essais du CEV de Cazaux, dont Philippe Maubert a été la cheville ouvrière.
Dans un premier temps, il faut rappeler le contexte dans lequel ce développement a été réalisé ; en effet nous étions en pleine guerre froide et l’ensemble de l’armée de l’air était tournée vers la “noble” mission de DA (défense aérienne) ; je monte/ je membre / je rentre.
Ces missions étaient dévolues aux Mirages III et F1avec des moyens de restitutions plutôt “verbaux ” que techniques ( cela changera avec l’arrivée en unité du couple M2000/RDI ).
Comme vous pouvez l’imaginer, le développement d’un système d’attaque au sol, sur Jaguar, permettant de restituer l’ensemble de la mission par vidéo n’a pas été du goût de beaucoup et ce développement a été réalisé dans une relative indifférence voire suspicion de la part de beaucoup d’aviateurs de haut rang à l’époque. Mais rendons grâce à certains d’y avoir cru : le Gal Gueguen sous-chef Plans Programmes, Le colonel Claude Mennessier au BPM, le Col Détry au CEAM, le colonel Gérard Le Bretton au CEAM et, bien évidemment le Gal Boichot à l’origine du programme. Sans eux et leur soutien indéfectible ce programme n’aurait certainement pas abouti de la même façon et les laborieux que nous fûmes n’auraient pu le faire autant évoluer.
La mise au point de ce système dans les conditions d’emploi de l’époque TBA/TGV sur l’avion Jaguar a nécessité de nombreuses modifications et améliorations de l’ensemble des éléments Pod, Armements, et avion. Je vais essayer de vous relater les principales.
Au cours d’un des premiers vols d’essais que j’ai réalisés, j’ai essayé de reproduire ce que je venais de vivre au Tchad : la TBA/TGV, et qu’elle n’a pas été ma surprise de constater qu’au cours du dégagement sous 4g à partir de 450 Kt un flou d’image apparaissait rendant très délicat le suivi de la poursuite sur cible. Plusieurs vols ont permis de faire le même constat et l’industriel malgré ses réticences et surtout la forte pression de l’État-major et de la DGA a dû reprendre des essais en soufflerie pour constater un décollement de couche limite à partir de 420 Kt lié à la forme des verrières. Il a donc fallu reprendre la forme de la pointe avant, rajouter une vitre et ainsi recoller la couche limite. Ce fut fait avec succès.
Mais entre-temps les essais ont continué pour améliorer un autre point majeur : la pilotabilité de la ligne de visée. En effet le pilote disposait d’un Joy Stick sur la poignée ATLIS qui permettait au pilote de piloter sa ligne de visée sur la cible. La logique de déplacement liée à cette commande tenait plus de la savonnette que d’une commande asservie. Après bien des essais pour améliorer ce point, il a été décidé de doter ce Joystick d’une commande à deux vitesses (rapide et lente). Ainsi, il était enfin possible, sans trop de charge de travail, de positionner la ligne de visée sur la cible et d’effectuer pendant le dégagement des mini recalage liés aux glissements des systèmes de poursuite automatiques. (TAC/TIC/TAZ)
Justement venons-en aux systèmes de poursuite automatiques. Au début du programme le système était doté de deux traqueurs de poursuite :
– L’un basé sur la corrélation d’image (TAC) qui permettait une poursuite stable sans évolution,
– Et un autre sur information de contraste (TIC) très stable sur une cible à contour très géométrique et très contrastée, ce qui était le cas sur le champ de tir, pour les essais, mais très rare dans la nature.
Ces deux traqueurs nécessitaient beaucoup de recalages pilote dans la phase très délicate du dégagement et après bien des essais il a été décidé de supprimer le TIC jugé non opérationnel pour le remplacer par un traqueur à corrélation sur zone réduite (TAZ) qui donnait une bien meilleure stabilité de la ligne de visée en dégagement.
Une autre amélioration a été amenée par les essais. Elle consistait au couplage de ligne de visée du Pod sur le système de navigation de l’avion. En effet au tout début le Pod avait un positionnement prédéfini dans l’axe du vecteur vitesse de l’avion. Cela imposait au pilote d’acquérir à vue la cible avant l’engagement de la poursuite automatique du pod. Cela rendait la mission très complexe et diminuait très sensiblement le pourcentage de réussite de la mission si cette acquisition n’était pas réalisée sur des cibles masquées. Sur le Jaguar qui avait un système de navigation “perfectible” à Doppler, cette amélioration n’a pas été très efficiente mais par contre sur les avions dotés de centrales à inertie type Super Etendard, F1 EQ et Mirage 2000 de l’époque cela a été essentiel et a permis la réussite de très nombreuses missions de guerre.
En parallèle à ces essais en vol était développé le concept de maintenance premier échelon à Cazaux et 2ème échelon au CEAM de Mont de Marsan sous la supervision du Cdt Dominique Jamaux pour la maintenance des Pods, le test du Missile AS 30L et de la BGL 1000Kgs afin de préparer l’infrastructure, avec salle blanche, à réaliser sur la base 136 de TOUL. En effet la maintenance de la nacelle devait se faire dans un environnement particulièrement sain et exempt de toute impuretés afin d’éviter des destructions d’optiques dues à la combustion de microparticules sous l’effet du rayon laser. La pointe avant du pod ne pouvant donc être ouverte pour maintenance que dans cet environnement spécifique et particulièrement contraignant pour les opérationnels.
QUALIFICATION de l’AS 30L
Bien des modifications ont été apportées pour arriver en fin 1986 à la transformation de la 11ème Escadre.
A partir de 1983 la nacelle ATLIS arrivant à maturité et permettant un emploi opérationnel l’Etat-Major a décidé de lancer la phase de qualification opérationnelle du missile AS30L. 5 missiles dont 4 à case télémesure et 1 “bon de guerre” ont été affectés pour cette phase de qualification. Tous ont générés d’importantes modifications et ont permis de faire de ce système une réussite opérationnelle en IRAK comme dans la guerre du Golfe Pour ces essais le CEL avait construit face à la côte un “Mur AS 30” identique à celui utilisé au CEV de Cazaux sur le champ de tir de Calamar, à savoir, un mur de 12/12m avec peint sur fond noir un carré blanc de 8/8m
Le premier tir
Le 5 /12/ 1983 avec le Jaguar A4 et un missile AS30L dont la charge militaire était remplacée par une case à télémesure pour la restitution a été réalisé au Centre d’Essais des landes (CEL) sous la conduite d’ingénieurs d’essais du CEV/CEL (dont Michel Delage). Les paramètres de tir étaient haut du domaine ouvert au préalable par le CEV à savoir :
– Vitesse 450kt ;
– Altitude 1000ft
– Et distance de tir 10Km les conditions météo temps clair mais fort vent du nord de 32Kts.
Tous les éléments de tir sont respectés le tir est réalisé le dégagement conforme mais le missile n’a jamais vu la tâche laser ! Après restitution de l’ensemble des paramètres il s’est avéré que le tir réalisé en limite de domaine angulaire de l’axe du vecteur vitesse avion et de la cible, l’autodirecteur de champ 6° n’est pas rentré dans le champ de rétrodiffusion du laser sur la cible du fait de l’importante dérive liée au vent. Il a donc fallu fixer une consigne de limite de champ latérale au cours de la visée : le pilote doit donc vérifier cette limite avant le tir que nous avons définie à l’aide de la symbologie existante sur Jaguar. Premier échec !!
Le deuxième Tir
Réalisé au Centre d’essais de la Méditerranée (CEM) sur la coque Aunis un bateau de la marine Nationale utilisé pour les essais de tir de missile antiradar et ancré au large de l’Île Longue. Ce cas de tir devait nous permettre de valider le concept opérationnel de tir après une mission longue avec ravitaillement en vol. La mission : décollage de Cazaux rejointe du ravitailleur C135 au large de la Corse et, au top du CEM, descente rapide et tir après 3h de vol. L’avion utilisé était le Jaguar A160 en configuration dissymétrique Pod ATLIS en ventral Missile AS30 L à droite et bidon à gauche.
Paramètres de tir : Distance 9 km, vitesse 450Kt et altitude 500ft.
Le tir et le dégagement sont réalisés conformément aux ordres mais après environ 30 km de vol le missile a percuté la mer sans avoir ne été piloté ni détecter la tache laser. La restitution des éléments par le constructeur de l’autodirecteur et le missile ont permis de mettre en cause le gyroscope de l’autodirecteur. En effet ce gyroscope permet au missile d’être piloté avec une référence de verticale et celui-ci est lancé par pyrotechnie juste au moment du tir. La pyrotechnie a bien fonctionné mais la graisse du gyroscope ayant gelée durant le long séjour en altitude a bloqué le lancement du gyroscope. Bien sûr le type de graisse a été changée et tout ensuite a bien fonctionné dans les opérations suivantes. Donc : Deuxième échec
Troisième Tir.
Pour ce cas, l’objectif était de valider le comportement de l’avion et du système dans le cas du tir en salve et du dégagement du côté du missile tiré.
Le tir a été réalisé le 13/11/1985 à partir de la base aéronavale de Hyères dans la zone du CEM et la cible était toujours la coque Aunis. Le Jaguar A 160 en configuration dissymétrique avec un missile AS30L à case télémesure en voilure gauche
Les paramètres de tir : Vitesse 450 Kt ; distance 10 km, Altitude 500Ft
Le tir est effectué conformément aux ordres, le dégagement à 4g engagé immédiatement a amené l’avion à croiser le souffle du missile qui a provoqué une très forte turbulence avec passage dos de l’avion et perte de la génération électrique avion et apparition d’alphanumériques sur le moniteur de l’avion et évidemment perte de poursuite. Heureusement la position inusuelle à très basse altitude a été récupérée mais la génération électrique est restée défaillante et le tir un échec bien que le missile ait parcouru 30 Km…. Bien sûr cela a engendré une modification du domaine de tir en interdisant le dégagement coté missile tiré et une modification de la génération électrique du Pod et de l’avion pour éviter des déclenchements sur forte turbulence. Donc : Troisième échec
Quatrième tir
Dernier tir de la série de qualification. C’était le tir en salve avec un missile bon de guerre et un missile à télémesure pour vérifier le comportement du deuxième missile après l’explosion du premier sur la cible. Ce tir réalisé le 3 /03/1987 par Bernard Foron un pilote d’essais du CEV. Au départ de la base de Hyères toujours sur la coque Aunis au CEM.
L’avion le Jaguar A 160 et les paramètres : vitesse 420Kt / altitude1000Ft / distance 10KM.
Le tir est effectué nominalement les missiles touchent la coque en son centre avec un délais de quelques secondes.
Le premier missile explose et le second, à télémesure fait un trou bien visible à côté de la première explosion. Tout est donc nominal sauf que la coque Aunis équipée de caméras à très grande vitesse, pour la restitution des impacts, et réputée insubmersible par nos camarades marins, a coulé au fond de la Méditerranée 30 minutes après l’impact. Quatrième Réussi Ce dernier tir a très certainement convaincu l’État-major de la marine Nationale de se doter de ce système d’arme, ce qui fut fait et adapté par Dassault Aviation au Super Etendard à partir de 1988.
Ainsi s’est achevée la phase de qualification AGL de l’AS30L.
Tous ces échecs ont bien évidemment permis d’engager les modifications du système d’arme nécessaires à son efficacité et à sa fiabilité. Cela lui aura permis de connaître beaucoup de succès au cours des conflits des années 1990 (IRAN/ IRAK; la Guerre du golfe; ex Yougoslavie) et ainsi donner aux forces aériennes Française, dans le domaine de l’attaque au sol la crédibilité qui est la sienne aujourd’hui.
LE DEBUT des OPERATIONS
Mais revenons au développement du système qui s’est poursuivi tout au long de l’année 1985 pour enfin arriver à maturité en cette fin d’année. A ce stade un certain nombre de démonstrations ont été faites aux plus hautes autorités de l’Armée de L’Air et des Armées.
La première démonstration au CEMAA réalisée au CEAM de Mont de Marsan n’a pas été couronnée de succès, le système étant jugé trop complexe à utiliser, sans avenir donc : « circulez il n’y a rien à voir..»
La deuxième démonstration beaucoup plus importante sur la base Aérienne 136 de TOUL au CEMA le Gal SAUNIER. Très intéressé par la présentation, le Chef D’Etat Major des Armées une fois revenu à son bureau a demandé des explications complémentaires. Je me suis donc retrouvé un jour de novembre 1985 convoqué rue St Dominique en présence du futur Gal Le moine ancien de la 11 et pas étranger à cette convocation…pour une présentation précise de nos capacités d’intervention avec un tel système basé sur le trinôme Jaguar/ATLIS/AS30L. J’étais accompagné dans ce périple du Col DETRY, Cdt le CEAM. Cela nous a d’ailleurs valu un déroutement et une nuit à Cognac, le brouillard nous interdisant l’atterrissage à Mont de Marsan…. Mais au-delà de cette péripétie j’ai été contraint avec mes troupes rapprochées de l’équipe de marque à la tenue d’une astreinte permanente pour un éventuel départ en mission opérationnelle…….Tout se passait donc bien nous poursuivions les vols d’essais pour les dernières mises au point et améliorations. Je décide alors, début février, de m’accorder un séjour au ski avec ma famille à St Lary. Le soir de mon arrivée à la station, conformément à mon astreinte, je préviens la gendarmerie de ma position exacte au “Plat d’Adet”. Les gendarmes obéissants enregistrent bien qu’interloqués, et incrédules ma déclaration. Nous montons nous installer prêts pour une grandiose semaine de ski….Mais voilà, le lendemain matin à 7h, toc, toc! les gendarmes viennent me prévenir qu’ils avaient ordre de créer une DZ et un hélicoptère est venu me récupérer direction Mont de Marsan puis Cazaux puis Istres et le lendemain mon équipe et moi-même partions pour une mission opérationnelle AGL en Afrique qui durera deux mois mais cela est une autre histoire qu’il faudra raconter…..
Dans un premier temps Libreville; puis Bangui; puis Ndjamena deux mois plus tard je rentrais fort de cet enseignement opérationnel qui nous aura permis de vérifier le bien-fondé de ces développements et du travail effectué.
Parmi les enseignements retirés, au-delà du fait que c’était la première fois qu’un détachement opérationnel était conduit par le CEAM, il y a eu des enseignements retirés pour le système. En premier, le constat que le Pod ATLIS n’aimait “pas du tout” les orages tropicaux et il aura fallu une très importante modification de l’étanchéité du tronçon central électronique pour que celui-ci résiste aux intempéries.
En second, l’autodirecteur ARIEL de l’AS30L a été très érodé par les vols à grande vitesse en conditions tropicales. Afin d’éviter une trop forte dégradation des optiques, il a été développé une coiffe en bakélite pour leur protection et éjectée au moment du tir grâce à un cordon détonant ouvrant le cône de protection qui s’éjectait. Aucun dysfonctionnement n’aura été constaté en opération sur cet armement malgré les très nombreux tirs effectués dans la zone tropicale désertique (golfe persique). Enfin la déficience du système de navigation du Jaguar rendait l’acquisition de la cible très aléatoire et le couplage avec le système de navigation a été une évidence. De plus, dans les zones opérationnelles ou la maîtrise du ciel est assurée l’utilisation de l’AGL est particulièrement adaptée et c’est ce qui s’est vérifié depuis sur tous les théâtres opérationnels sur lesquels il a été utilisé. (IRAK, Golfe, Ex Yougoslavie, Sahel…)
Dans bien de ces cas, l’Armée de L’air Française n’aurait pas été éligible dans les coalitions internationales sans ce type d’armement incontournable aujourd’hui.
UN CAS CONCRET D’UTILISATION D’ARMEMENT GUIDE LASER
Le « système » étant arrivé à son stade de développement final et sa capacité opérationnelle étant vérifiée, la transformation de la première unité de chasse au système AGL a été engagée à Mont de Marsan le 6 Mai 1986. 15 jours de transfo de la première équipe de pilotes et mécaniciens conduite par le Cdt de la 11ème Escadre, le futur Gal Longuet. Ce fut donc la fin de cette première histoire de L’AGL en France.
Il restait encore des développements et des tests à réaliser :
– En particulier la validation de la BGL 1000Kgs développé par MATRA et son directeur de programme Mr Evrard.
– S’agissant des systèmes et bombes US Paveway, cela a été fait dès leur mise en service et a permis leur utilisation opérationnelle avec succès dans certains conflits.
Thomson CSF Optronique devenu THALES Optronique a beaucoup œuvré pour que ces développements aboutissent et je dois rendre hommage aux industriels visionnaires et déterminés qui se sont lancés, à l’époque, dans cette aventure si évidente aujourd’hui. Il faut bien évidemment citer le premier d’entre J Barbet le PDG mais aussi les ingénieurs, techniciens directeurs techniques et de programme qui à l’époque n’ont pas compté leurs heures et leurs efforts. Citons, messieurs JC Nico, T Arnaud, JL Ricci, Grancoin, Lepeytre et bien d’autres.
Une famille de Pods a été développée depuis : ATLIS/ PDL CT / PDL CTS / DAMOCLES/ TALIOS,
Tous adaptés à de nombreux avions : JAGUAR /Super Etendard /Mirage F1EQ / F16 /TORNADO /Mirage 2000 D, Mirage 2000EAD / Mirage 2000 Indien /RAFALE.
Plusieurs types de capteurs sont utilisés en fonction des capacités technologiques du moment :
– La Caméra TV pour ATLIS.
– Le détecteur IR en 8-12 µm pour le PDL CT et CTS,
– Le détecteur 3-5µm pour Damocles.
– Les détecteurs Visible et 8-12µm pour TALIOS
Tous ces Pods ont conservé le concept d’utilisation mis au point plus de 30 ans auparavant tout en améliorant leurs capacités d’acquisition, d’identification et de reconnaissance ; de jour comme de nuit, avec pour objectif d’augmenter la précision et donc l’efficacité opérationnelle tout en diminuant considérablement les effets collatéraux.
Une belle réussite technique et une extraordinaire aventure humaine.
Jean-Claude VERGNERES