La naissance d’un pilote

 

Après son livre “La guerre vue du ciel”, Marco récidive en proposant un ouvrage qui retrace ses débuts de pilote depuis l’instant où il pousse les portes du BIA (Bureau Information Air) jusqu’à la fin de sa progression sur Alphajet. Ceux qui sont passés par là pourront comparer et pour les autres, ils découvriront que devenir pilote de chasse n’est pas chose facile, mais qu’avec motivation et détermination on peut venir  à bout des épreuves les plus difficiles.

Marco m’a autorisé à publier un extrait de son livre que je vous recommande, et dans lequel il nous raconte comment “il a ressentit le “déclic” complet , lui ouvrant ainsi la voie vers l’escadron de chasse”.

La couche devient un peu plus dense. Inconsciemment je me rapproche. La visibilité n’est que de quelques mètres, juste de quoi rester en place, à près de 600 km/h. À nouveau, je ne distingue plus que la silhouette indécise de l’autre appareil. Je puise à nouveau dans mes réserves pour ne pas dégager d’un bon coup de manche. Peu à peu les remous se calment. Autour de nous, le gris foncé vire au gris clair. Nous sortons progressivement du linceul blanchâtre, les contours deviennent plus nets et les haillons humides s’espacent. Entre deux écartements de nuages, j’entrevois derrière Dalvi des portions de ciel bleu. Passant le niveau 120, nous trouvons enfin des bribes de soleil dans un ciel épique composé d’un enchevêtrement de cumulonimbus. Leurs contours sont parés d’auréoles aveuglantes, quelques-unes sont transpercées par de puissants rais de lumière.

Poussés par nos deux petits réacteurs, nos frêles Gadget se frayent un chemin au milieu de colonnes d’orage aux allures d’enclumes et de champignons géants.

Venin Alpha, actions vitales !

Alpha Deux, 1 500 litres.

– Reçu, idem, on est parti pour la patrouille serrée !

Dalvi commence par quelques virages souples. Petit à petit, nos trajectoires prennent de l’amplitude, jusqu’à faire le grand huit entre deux nuages. Anticipant sur les manœuvres du leader, je m’accroche du mieux possible. Un peu instable lors des ressources sous facteur de charge, je dois encore affiner le dosage aux commandes.

En patrouille serrée ; sur le dos
En patrouille serrée ; sur le dos

Après dix minutes et quelques changements d’aile, je gagne en assurance et en précision. J’ai enfin le bon tempo et je tiens jusqu’au trois quarts dos en haut de figure. Dalvi a l’air satisfait. Nous pouvons passer à la suite. D’un geste franc du revers de la main, Dalvi me fait valser en formation de combat.

Nos deux Gadget s’écartent. Je me remets parallèle et je réajuste la puissance. Espacés de quelques centaines de mètres, nous continuons à monter sur 10 000 pieds. Dalvi commence par quelques manœuvres souples. R.A.S. Il me balance à la radio :

– On affiche plein gaz !

Dans la foulée, il renverse et se plante vers le sol. Sans réfléchir, j’écrase les manettes en butée avant et je pilote à l’imitation. Nos 4 tonnes de métal tombent à la verticale. Je reste derrière, légèrement décalé sur la gauche. Fuselages parallèles, ailes parallèles.

L’altimètre dévisse, la vitesse augmente. Nos deux petits Alphajet deviennent de plus en plus nerveux. Dalvi redresse violemment sous le nez. Surpris, je rends légèrement la main pour croiser et me laisser glisser à l’extérieur de son cercle. Éviter le souffle. Pour ne pas croiser le fer avec les flux des réacteurs de Dalvi, je prends soin de ne pas passer plein cul.

Au croisement, je cadence à nouveau et me cramponne à mon leader. De fines aigrettes blanches s’échappent des bouts d’ailes. Par réflexe, je vérifie l’accéléromètre. 6G. Dalvi dégauchit et cabre. Son avion se satellise. Je coupe à l’intérieur pour me rapprocher. Le rythme s’emballe. Mon cône d’évolution rétrécit derrière. Le bout de mon nez sur le bout de ses ailes. Nous enchaînons les tonneaux, les virages serrés et les boucles. Les nuages, le ciel, le soleil tourbillonnent pendant d’interminables minutes. Dalvi fait tout pour me décrocher. Plus je tiens, plus ça souque. Mon pilotage devient de plus en plus agressif et tranchant. Ce sont mes yeux qui mènent l’action, je visualise et devance de mieux en mieux ses trajectoires. Quand nous n’aurons plus de jus en haut, je sais qu’il va nous falloir piquer et refaire de l’énergie. Une fois en bas, pour éviter d’emplafonner la vitesse maximale, nous serons forcés de remonter.

Reste à trouver le bon moment pour partir et le sens de virage. Je suis à l’affût du moindre frémissement de ses ailes qui pourrait me donner des indications sur la manœuvre suivante. Soudain les évolutions deviennent plus sages, plus souples. Je me replace à une cinquantaine de mètres sur la droite. Nous sommes au plancher de la zone, cernés par deux immenses cumulus bien joufflus, et devons reprendre de l’altitude.

– Claudia, actions vitales !

Je vérifie mes paramètres moteurs et le pétrole. 1 200 litres. De quoi tenir dix minutes.

– Deux, 1 200 litres.

– Leader same… c’est reparti !

Dalvi jette un bref coup d’œil vers moi et me fait signe de la tête en guise de défi : « C’est bien, tu as pris tes marques, maintenant on passe aux choses sérieuses. » Il n’en faut pas plus pour me galvaniser. Vas-y, je te suis. Je le vois replonger. Dalvi resserre encore plus et essaye maintenant de s’enrouler autour de moi. Je m’efforce de rester derrière lui.

Mon Gadget vibre, à la limite de la perte de contrôle. Tassé sur mon siège par le facteur de charge, je résiste. Le monde tournoie à toute vitesse, en blanc et bleu. Par instants, ma vision se voile. Le cœur dans les chaussettes, les manettes des gaz « dans le phare », j’ai attrapé le manche à deux mains pour lui emboîter le pas et me coller dans son sillage, le plus près possible. Ne pas se laisser distancer, ne pas se laisser déphaser.

Puisqu’il ne parvient pas à se débarrasser de moi, Dalvi change de tactique. Il fonce en bordure de grosses volutes blanches et rondes, et s’enroule autour à pleine vitesse. Je le perds quelques secondes avant de le retrouver derrière presque à la verticale, accroché au flanc cotonneux. Tu ne vas pas me baiser aussi facilement ! D’une traction virile, je repars à sa poursuite. Le vol se transforme bientôt en bonne séance de musculation.

Nous jouons ainsi à cache-cache, escaladant les murailles poudrées puis les dévalant en cascade. La combinaison trempée, le visage en eau, mes yeux clignent sous la sueur qui dégouline alors que je lutte pour ne pas « coiffer » le leader en évolution et risquer ainsi de le perdre en visuel. Ne pas le perdre de vue, ne pas le masquer. Ces mots résonnent en boucle dans ma tête tandis que nous allons progressivement dans tous les coins du domaine. Basses vitesses, grande incidence, hautes vitesses et fort facteur de charge. Comme un musicien qui accorde son instrument, j’ai trouvé le dosage parfait aux commandes. La confiance s’installe. Mon Alphajet répond au millimètre et donne tout ce qu’il a, et moi aussi. Le plancher de la zone approche à nouveau. Dalvi remet les ailes à plat. Les évolutions se desserrent. Je vérifie les jaugeurs : 900 litres.

– On prend 300 nœuds, 90 %, recalage des gyroscopes, quand c’est bon, tu me rassembles et on rentre !

Le jeune Marco à Tours devant son Alphajet
Le jeune Marco à Tours devant son Alphajet

Excellente idée de cadeau pour cette période des fêtes qui approche ; livre que vous pourrez trouver à l’adresse suivante  http://www.nimrod.fr/71-la-naissance-d-un-pilote.html

Une réponse sur “La naissance d’un pilote”

  1. Après ” la guerre vue du ciel ” Marco confirme son talent d’écrivain . C’est ” Le Grand cirque ” contemporain ; gageons que le regretté Pierre Clostermann aurait apprécié . Pour moi qui rampait , avec Marco je vole !
    Sincères remerciements d’un ancien pompier de l’Air

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