Les débuts d’Épervier

N'Djamena

 

Article écrit il y a au moins 5 ans et que j’ai (étonnamment) oublié de publier…. 

Rappel de « l’épisode » précédent ; le 16 Février 1986 l’Escadron 1/11  a attaqué la piste de Ouadi Doum avec 11 Jaguar, et le lendemain matin Jean Michel vient cogner à la porte de ma chambre « Les Lybiens viennent de bombarder la piste de N’Djamena !».

Lundi 17 Février, on se retrouve tous à la villa pour préparer la réplique de l’attaque de la piste de N’Djamena par un TU 22 Lybien.

Le TU 22 a tiré une seule bombe, mais une bombe de 2 tonnes qui a fait un gros trou dans la piste : un cratère d’environ 5m situé à 600m de l’entrée de la piste 25, mais laissant une demi bande utilisable. Dit autrement la piste est encore praticable à condition de n’utiliser que la partie non touchée. Malgré le coté rustique de cet armement classique, la bombe a été très efficace ; l’entreprise de BTP française en charge de réparer la piste a mis plus d’une semaine et une fois les travaux terminés, le premier avion qui s’est posé (un DC8) a enfoncé la rustine ce qui a nécessité une reprise des travaux.  On a retrouvé une pierre d’environ 2 kg dans la tour de contrôle située à plus d’un kilomètre !

A la villa, c’est l’effervescence et on commence à parler d’escalade dans l’engagement. L’objectif de la mission est cette fois, la piste de Faya Largeau ; elle est en latérite et ne peut pas accueillir de chasseurs. On a quand même la sensation que les décideurs ont eu du mal à trouver un objectif digne de ce nom, car l’intérêt opérationnel d’une telle attaque n’est pas évident.

La logique est la même que précédemment ; on a une journée pour préparer et on attaque le lendemain, sauf que cette fois l’HSO (heure sur objectif) est fixée à midi. On ne sera pas obligé de lever aux aurores !  Question armement, il a été décidé d’utiliser des Durandal ; même principe que les BAP 100, mais en beaucoup plus gros car on n’en amène que 3 au lieu de 12. Lors de la journée de préparation, on commence à ressentir quelques signes de nervosité, probablement dus à la fatigue, mais en début d’après-midi la mission est prête. Après l’ordre, le contrordre ; on abandonne l’attaque de la piste et on envoie les 4 F1C à N’Djamena. Comme du côté navigation nos collègues de la défense aérienne sont un peu démunis, 2 Jaguar les accompagneront histoire d’être certain qu’ils arriveront à bon port. Il faut signaler que le F1C n’avait pas de calculateur de navigation et je crois qu’il n’est pas équipé de VOR.

Comme prévu, Jean Michel leader de la patrouille des 2 Jaguar, est de retour en fin d’après-midi après avoir accompagné les F1C. On pense qu’on va rester dans cette configuration lorsque Alban nous réunit avant le repas pour nous annoncer que demain 2 Jaguar font mouvement vers N’Djamena et y resteront ; les 2 pilotes gagnants sont… 3D et moi !

Le lendemain à bonne heure, nous voilà donc partis vers ce beau port de pêche que je connais déjà ; comme l’opération EPERVIER a démarré il y a 3 jours, je suppose qu’au niveau logistique je vais revivre ce que déjà vécu pour Manta. Pas de soutien, des conditions de vie plus que limites, des problèmes d’approvisionnement,… bref un grand classique. Et en plus je vais retrouver le « boulanger du désert » (surnommé ainsi pour sa propension à distribuer des pains, jours d’arrêt en langage militaire)  le COMELEF que j’ai eu comme commandant d’escadre et avec qui ça s’est moyennement passé à Toul.

Le boulanger du désert
Le boulanger du désert

En arrivant, la tour nous informe sur l’état de la piste et effectivement, on se rend compte  que le trou est gros et que des ouvriers sont déjà à pied d’œuvre.  Atterrissage 600m long et on va  se garer à l’aéroport civil pour faire les pleins (cas connu). Là nous attend Nénesse, mon officier mécano que j’avais quitté à Libreville, en tenue de combat et en baskets blanches. Le bilan est plus que moyen : seul le chef des armuriers l’accompagne et question matériel, en tout et pour tout il ne dispose que d’une seule échelle, une roue de train avant et un tournevis ! « On est parti dans l’urgence de Libreville et c’est tout ce qu’on a pu embarquer ; c’est comme ça que j’ai oublié mes chaussures », me dit Nénesse ! De retour au parking militaire de l’autre côté de la piste, je suis conduit chez le COMELEF pour une première prise de contact qui s’avère très cordiale et pendant laquelle j’apprends que mes prévisions s’avèrent exactes en ce qui concerne tout le soutien. A peine le temps de manger un morceau, on nous demande 3D et moi de repartir pour une reconnaissance à vue (RAV) au nord de N’Djamena, à la recherche de troupes Libyennes ; on décolle face à l’ouest et le trou de la bombe est à 600m. Un mécano est positionné au seuil  de piste à côté des avions avec un chiffon blanc et un de ses collègues, proche du trou avec un chiffon identique. Lorsque les deux chiffons s’agitent et après clearence de la tour, on lâche les freins. La vitesse à proximité des travaux est d’environ 80kts et on a le temps de voir les ouvriers situés seulement à quelques mètres nous faire des grands signes ou plus stoïques pour certains qui sont appuyés sur leur manche de pelle. Question sécurité des vols, ce n’est pas vraiment ça, mais c’est l’Afrique patron !

Coté aéroport civil à N'Djamena
Coté aéroport civil à N’Djamena

Comme je l’avais pressenti, les conditions de vie  sont  spartiates ; je n’ai jamais compris cette hâte à faire venir les avions d’arme avant d’avoir des conditions d’accueil décentes, que ce soit pour les personnels ou les matériels. Un copain de promo, commissaire décrit ce qu’il a dû entreprendre pour améliorer l’ordinaire de chacun dans un article déjà publié précédemment. Certes, on survit, cela reste comme de bons souvenirs quelques années après, mais il faut reconnaître que ce n’est pas facile à vivre.  De plus, nous sommes confinés sur la base et il faut avouer que les journées sans vol sont longues.

Une des chambres mécanos
Une des chambres mécanos

Question vol, avec une échelle et un tournevis, ce n’est pas le Pérou ; dès notre arrivée, je fait part de la situation au COMELEF qui m’écoute amusé et pour qui ce n’est pas vraiment un souci. Je réussis à lui faire signer un message pour demander à ce qu’on m’envoie du renfort de Bangui. En attendant, on utilise les avions comme le ferait monsieur tout le monde avec sa voiture ; on vole, l’avion est Ok au retour, on refait les pleins et on est prêt pour le tour suivant. Chaque jour, avec Nénesse on est à l’arrivée des Transall, espérant voir venir du personnel ou du matériel ; chaque fois c’est la déception et chaque soir c’est un nouveau message de relance qui reste lettre morte. Sauf qu’un soir on voit débarquer du C160 un pilote : Engie ! Content de le voir mais ce n’est pas question pilote que ça coince. On aurait pu continuer comme ça un bon moment, sauf que les moteurs Adour du Jaguar consomment de l’huile à chaque vol ; on a bien essayé d’aller voir du côté des F1C, mais les embouts pour refaire les pleins ne sont pas les mêmes !

Question vol il y avait un autre problème qui cette fois était général, celui du pétrole. La  source principale d’approvisionnement consistait à faire venir un DC8 de la compagnie « Minerve » (aujourd’hui disparue) qui décollait de Libreville avec le plein complet, dépotait le carburant de l’avion pour ne garder que la quantité minimale pour revenir à Libreville. On peut imaginer le prix du litre (et aussi ce qu’ils gardaient pour le retour)! On s’accommodait de cette situation qui réduisait l’activité aérienne, mais quelle ne fut ma surprise de découvrir en dernier virage au-dessus du fleuve Chari (frontière entre le Cameroun et le Tchad) des kilomètres de camions citernes attendant une autorisation administrative pour prendre le bac et traverser le fleuve ! Il ne faut pas oublier que le France est revenue à N’Djamena à la demande du Tchad.

Finale à N'Djamena en piste 25 au dessus du Chari
Finale à N’Djamena en piste 25 au dessus du Chari

Sur la base avec nos 2 Jaguar, 2 (puis 3) pilotes et les 2 mécanos, on est un peu à part et la priorité est donnée aux F1C qui tiennent une alerte H24 à 5 minutes. C’est beaucoup de présence, beaucoup de contraintes et beaucoup d’attente. Le chef de détachement est mon copain de promo Baudouin et histoire de s’occuper, tous les matins on fait le tour des installations OPS ; j’en profite pour compter ses missiles super 530 ; 1, 2 , 3 et 4 le compte est bon ! Et puis un jour, pendant notre promenade matinale,  on voit arriver un biffin (terme affectif pour désigner un représentant de l’armée de terre) tout excité en train d’agiter  un long ruban de papier blanc qui s’avère être une suite de messages Libyens interceptés par nos services « Je savais bien que vous ne l’aviez pas détruite » nous crie t’il avec un grand sourire. En fait il parlait de la piste de Ouadi-Doum au sujet de laquelle, depuis quelques jours, commençait à circuler la rumeur que l’attaque du 16 février n’avait pas été couronnée de succès. Visiblement il en était ravi et il  me montre un message décrivant l’activité aérienne prévue ce jour sur la base ; TU 22, MIG 23,…. Je lui réplique que ce n’était parce que c’était écrit que cela allait se faire. Argument rejeté, et puis en regardant les autres messages qui ne traitaient que de sujets sans grande importance, je m’aperçois que ceux-ci comportaient  des mots manquants ou remplacés par une série de croix. Je lui pose une question à ce sujet et la réponse est simple : de temps en temps on ne décode pas certains mots des messages Lybiens et on les remplace par des croix. Je lui fais alors remarquer que le seul message entier, donc non codé, est le plus important car c’est celui qui concerne l’activité aérienne. Cela ne l’a absolument pas ébranlé dans sa certitude et il est parti aussi sec répandre la (bonne) nouvelle.

A force de consommer de l’huile, nous avons fini par faire le constat qu’il ne restait plus qu’un potentiel de 1H30 de vol par avion, de quoi évacuer N’Djamena en cas d’urgence. Je réussis à convaincre le COMELEF de me laisser partir sur Bangui pour expliquer notre situation qui à l’évidence était le cadet de ses soucis.

Quelques jours plus tard, les Jaguar de Bangui firent mouvement vers N’Djamena et commença ainsi véritablement, l’opération EPREVIER qui dura plus de 25 ans.

N'Djamena. La zone vie : les mess et le LC0
N’Djamena. La zone vie : les mess et le LC0
Vue du LC0
Vue du LC0

Une photo, une histoire : Tchad One

Tchad one

 

En faisant du classement dans mes archives, j’ai retrouvé cette photo dont je vous avais promis l’histoire.

On est en Mars ou Avril 1986 au début de l’opération “Epervier”   et les troupes françaises présentes à N’Djamena sont suffisantes pour  de nouveau assurer la stabilité du pays. Au titre de l’aide au pays, il est décidé de doter l’Armée de l’Air Tchadienne de C 130. Le premier “Tchad One” est acheté d’occasion en Australie (je crois) et durant les mois de Février et Mars les premiers équipages Tchadiens sont formés et lâchés sur l’avion.

Un après midi vers 15H00 au plus fort de la chaleur, Tchad One effectue un de ses premiers vols avec un équipage Tchadien. Il est chargé de soldats et de matériel, s’aligne pour décoller face à l’ouest, pour effectuer une mission de transit. Le lâcher des freins et l’accélération se passent sans encombre jusqu’à peu près mi-piste ; à cet endroit, le commandant de bord prend la décision d’avorter le décollage “Ça ne passe plus” et réduit les moteurs. Mais il se ravise aussitôt et remet plein pot ; dans l’affaire, il a effacé quelques dizaines de mètres qui vont lui manquer en bout de piste où, malgré une vitesse insuffisante il décolle l’avion. Ensuite c’est du classique : décollage au second régime, vol sur quelques centaines de mètres à quelques mètres du sol, décrochage et fin de l’aventure 2 km après le bout de bande.

Un copain chirurgien était de garde à l’infirmerie et compte tenu de l’heure, faisait la sieste sur un lit picot. Juste après le crash, on vient le réveiller d’urgence pour lui expliquer que Tchad One venait de se planter en bout de piste. “Ils sont tous morts ou indemnes” , et se recouche.

L’histoire lui donna raison : des membres d’équipage et des soldats dans le cargo, pas un ne fut blessé. On raconta même que les passagers sont venus féliciter le pilote pour sa maitrise à poser l’avion dans de conditions si délicates. Mais ce ne sont que des histoires…

NDJ le C130 Tchad One en bout de piste
Tchad One en bout de piste

Opération MANTA ; les débuts racontés par un C 135

Décollage C135 Afrique

Un article précédent “Les C135 : Nos amis les lourds” décrivait le caractère indissociable avion d’arme/ravitailleur en opération. Les avions et les missions sont complémentaires et vécues différemment y compris au sol ; Daniel DALMAS PCA (pilote commandant d’avion) C 135 nous raconte les débuts de l’opération MANTA et les conditions logistiques du départ qui il faut le reconnaitre, furent misérables.

Opération MANTA ; les débuts racontés par un C 135

Extrait de document ECPAD

“Afin de contrer l’intervention de l’armée libyenne sur le territoire tchadien , la France déclenche l’opération “Manta” le 11 août 1983, à la demande du président tchadien Hissène Habré qui dirige les FANT (Forces Armées Nationales Tchadiennes). L’armée libyenne équipait alors l’ALN (Armée de Libération Nationale) dirigée par l’ancien président tchadien Goukouni Oueddeï, opposé à Hissène Habré.  Mais Hissène Habré perd patience et décide de prendre la place. Il s’en suit une terrible guerre civile à la suite de laquelle, Hissène Habré devient président en Juin 82 et Goukouni se retire avec ses fidèles soldats, dans le Tibesti.

Le ministère de la Défense
Le ministère de la Défense en 1983

Goukouni n’a pas dit son dernier mot. Il appelle à l’aide le Libyen Kadhafi qui depuis longtemps, avait des vues sur le nord du Tchad et n’attendait que cela, pour envahir la bande d’Aozou. Il y installe ses avions de combat Mirages 5, F1, MiG et Tu 22. Goukouni reconstitue ses forces, occupe Faya et menace Abéché, réagit vite et ses brillants guerriers reprennent la garnison. Mobutu, président du Zaïre, apporte son aide à Hissène en lui envoyant 3 Mirage 5 et 3 Macchi. De quoi faire rire Kadhafi…. Les hommes de GOUKOUNI reprennent FAYA et d’autres localités sur le sud du Tibesti. Hissène se rend compte que la situation devient grave et fait appel à la France. La France, pour démontrer que les accords de défense n’étaient pas de vains mots, vole au secours de l’ancien adversaire, en déployant une très grande opération : MANTA

Mon récit, n’est ni polémique, ni critique, car la difficulté était très grande, pour mettre en place de si gros moyens, sur une plateforme aérienne unique dont l’infrastructure d’accueil était à l’abandon. Pour la force aérienne, le démarrage de l’opération fut laborieux. Il manquait l’essentiel : le carburant. Mais MANTA sera une belle opération. Trois jours après son arrivée, la force aérienne était opérationnelle. Pour l’avoir vécu et pour bien illustrer les difficultés rencontrées, Je vais détailler un peu le récit de notre mise en place.

A partir du 11 Aout 1983, les forces terrestres convergent vers le Tchad.2 C135F sont en place à Libreville, 4 F1 en attente à Bangui, 4 Jaguar à Dakar.

Le 19 Aout, avec mon équipage (Paul F…….d, Rolland B…..t, Titi L……d, et 9 mécaniciens, nous décollons d’Istres .Nous convoyons 4 Jaguar pour une mise en place à Dakar, en attendant que N’Djaména puisse nous recevoir et ce, pas avant 2 ou 3 jours, d’ après les renseignements que nous avions. Arrivés à Dakar le commandant des Jaguar me montre la mission du lendemain ??? …un trait tout droit Dakar N’Djaména ??? .Ce n’était pas prévu si tôt… Je fis remarquer que nous n’avions pas l’accord du COMAIR N’Djaména de nous poser, et que nous survolions des pays étrangers, sans autorisation, ni de ces pays ni du commandement. Après quelques tergiversations, j’obéissais aux ordres du Cdt des Jaguars. Mais, au moment de la mise en route, la voiture du COMAIR DAKAR arriva en trombe pour arrêter le départ…nous n’avions pas l’autorisation d’aller tout droit, il fallait passer par Libreville……..trajet entièrement maritime. Arrivés à Libreville, bien informés que N’Djaména ne pouvait pas nous recevoir, les Jaguar tenaient absolument à partir le lendemain. Sans informations météo, sans information sur l’infrastructure dont nous savions qu’elle avait beaucoup souffert et, sachant qu’il n’y avait pas de pétrole. Jean-Claude P….é décollait avant nous, pour nous ouvrir la route, nous informer et se poser avec le maximum de pétrole pour en mettre un peu dans les cuves de l’aéroport. En outre, je ne tenais pas à errer tout seul, au milieu de l’Afrique avec 4 Jaguar dans l’aile. Jean-Claude aurait pu les ramener en cas de problème de dernière minute. Nous nous sommes posés vers midi le dimanche 21 Aout. Les F1, arrivent peu après de Bangui, guidés par un Jaguar. Personne n’est là pour nous accueillir. Il faudra attendre presque une heure pour voir arriver le COMAIR et le Chef OPS (Cdt G……), levant les bras au ciel et demandant « Qui vous a dit de venir, on n’a rien, pas de bouffe, pas de logement, pas de pétrole …. » . Les informations données au départ d’Istres étaient bonnes.

La première difficulté fut de faire les pleins. Le Jaguar de Bangui (qui devait y retourner), les 4 Jaguar et 3 F1 seulement, reçurent leurs pleins. Ce qui à mes yeux était une erreur, car les seuls moyens de protection de l’aérodrome étaient les F1. Si le Tu22 était venu bombarder la piste, comme il le fit plus tard, je ne sais pas ce qu’il serait advenu de Manta … 1 F1 et le C135 durent attendre le mercredi pour avoir leur pétrole. Il fallut presque 4 heures pour faire le plein d’eau du C135, cause petite citerne et débit insuffisant. Le pilote du Jag devant retourner à Bangui (le Cne F……a), que je connaissais des opérations précédentes, n’avait rien à manger. Je l’invitais au C135 où il y avait encore quelques bricoles à grignoter et à boire. L’ORV et nos mécanos très prévoyants, avaient un peu gonflé les provisions de bord. Tout le personnel ( Jaguar, F1,C35, pilotes, mécanos), fut logé ce soir-là dans une sorte de villa où s’entassaient des lits Picot. On dîna grâce à une gamelle de « riz cuit colle », à l’eau fortement permanganatée, préparée par les cuistots Paras (un grand merci à eux, qui nous nourrirent pendant 3 jours et à ceux qui assurèrent notre protection… Légion, BIMA etc..). Avec la chaleur, la promiscuité, les odeurs, les bruits, les moustiques…ce fut notre première nuit …sans dormir…d’autres suivront. Le lendemain, ne sachant où nous mettre, on nous ramena à l’avion. Et comme nous n’avions pas de véhicule ni de radio, et que tout le monde avait déménagé vers ce qu’il restait de bâtiment de l’Escadrille Tchadienne….. à l’opposé de notre avion… On nous oublia un peu ….

C’est à l’heure du briefing que notre absence fut ressentie. Un véhicule vint me chercher. Au briefing, à la question : «Que peut faire le C135?» je répondis : « aller à Bangui, il ne nous reste que 45000 livres de carburant. ». Ce fut ma réponse pendant 3 briefings consécutifs.

A mes questions :

– Quand pourrons-nous avoir du pétrole ? Réponse : on ne sait pas, des avions civils font des rotations entre Douala et N’Jam pour en amener un peu, avant que n’arrivent les premières citernes de Douala…. si elles ne sont pas piratées.

– Pourrait-on avoir un véhicule ? Réponse : On va louer un taxi à la journée qui stationnera en permanence devant l’aérogare. (ce fut fait.)

– Où serons-nous hébergés ? Réponse : A l’avion, pour l’instant.

– Et pour les repas ? Réponse : Des gamelles comme hier….J’eus une pensée pour mon copilote Paul F…….d, qui était allergique au riz. Je demandais des rations de combat : « on n’en a pas et c’est trop cher ». Pour finir on nous remit des brassards bleus blancs rouges marqués Division d’Instruction, car nous étions ici : «  pour instruire l’armée Tchadienne » !!!

Le camping sous l'aile de l'avion
Le camping sous l’aile de l’avion

La journée se passait à l’ombre des ailes sur des couvertures et, bien heureux celui qui, aux heures les plus chaudes pouvait mettre sa tête à l’abri de l’air brulant, entre les roues du tain d’atterrissage.

La nuit, nous essayions de dormir dans l’avion. C’était quasiment impossible à cause du bruit de ceux qui amenaient du pétrole jour et nuit. De plus, des nuées de moustiques nous envahissaient et, celui qui n’avait pas pensé à mettre de la crème sous la plante des pieds (presque tous… dont moi), ne pouvait pas marcher le lendemain. Pour les toilettes il y avait ceux de l’ «aéroport» dans un état indescriptible et, un robinet d’eau qu’il ne fallait pas boire. Nous avions heureusement à bord, de l’eau en bouteille et d’autres boissons bien connues,……… qui ne pouvaient pas contenir de bactéries.

Il y eut de nombreux malades parmi le personnel des autres détachements qui, asséchés par la chaleur, succombaient à l’envie de boire au robinet. Par bonheur, l’usine GALA fut une des premières unités opérationnelles à bien fonctionner. Contrairement à Tacaud, la sécurité n’était pas un problème. Il y avait les militaires en tenue mais surtout, les hommes d’ Hissène Habré, enturbannés, portant de larges vêtements blancs serrés à la ceinture par une cartouchière, armés de Kalaches… Ils étaient partout, souvent à l’ombre, allongés sur des nattes, paraissant assoupis mais avec l’œil et l’oreille du chat qui dort. Grâce aux taxis, l’équipage pouvait se rendre aux OPS. La salle d’OPS était celle de l’Escadrille Tchadienne squattée par nos chasseurs. Ainsi, nous étions un peu au courant de l’état d’avancée de la force MANTA. Nous en profitions pour prendre connaissance des zones des futures interventions des Jaguar et des méthodes de protection envisagées par les F1. Un briefing fait par un colonel venu COAA, nous apprit que MANTA calma provisoirement les velléités de Kadhafi. La France faisant savoir que le survol du Tchad était interdit et, que toute intrusion aérienne ou terrestre, au sud d’une ligne grosso modo Oumchalouba – Korotoro (entre 15 ème et 16 ème parallèle), serait considérée comme hostile et traitée comme telle.

Pendant cette période « camping », mon souci majeur était de trouver le moyen de faire le plein d’eau plus rapidement. Les mécanos retrouvèrent la belle citerne toute neuve livrée pendant Tacaud, …. Complètement désossée. J’en informais les FAS qui nous envoyaient le « kit plein d’eau », dont j’ignorais totalement l’existence. Il s’agissait d’un gros réservoir souple qu’il suffisait de maintenir plein, et d’une pompe autonome qui alimentait le déminéralisateur avec un bon débit.

Le mercredi 24 vers midi, le C135F reçoit sont armement (le pétrole) ,…

Le C135 en alerte
Le C135 en alerte

Mais l’équipage est un peu sur les genoux, après toutes ces nuits de mauvais sommeil. Nous obtenons d’aller prendre une douche et de passer la nuit dans la «  villa » des Tansall, sur des lits Picots. Cependant, nous n’eûmes pas le plaisir d’apprécier le confort de ces célèbres lits… Les équipages des Transall (qui ont fait un énorme travail) allaient et venaient toute la nuit et, pour couronner le tout, au beau milieu de la nuit, il fallut aller déplacer l’avion aux moteurs, parce qu’il gênait celui de Mr Hernu (Ministre de la défense), venu nous rendre visite…. Nous avons fait notre premier vol le vendredi 25 Aout pour une mission relativement courte et simple de 3 heures, ravitaillant 1 seule fois 2 Jaguar et 2 F1.

Préparation de mission
Préparation de mission avec le chef de patrouille Jaguar

Les missions étaient au début, très semblables à celles de Tacaud avec un petit plus : la protection des F1 pendant les ravitaillements, ils descendaient ensuite avec des Jags. Par la suite elles devinrent un peu plus sophistiquées, avec plus d’avions, et RVTs aller et retour nécessitant parfois le C135 de Libreville. Le C135 restait, très en dehors du « ring ». En voyant l’armement des avions qui venaient ravitailler, on comprenait que le ton était monté.

Nos protecteurs
Nos protecteurs

J’ai failli oublier nos camarades de l’Aéronavale qui, infatigables comme les équipages de Transall, se mettaient en l’air de façon presque permanente, pour recueillir le maximum de renseignements et deviner l’activité et les projets de l’adversaire. Petit à petit, Manta se mettait en marche. Les Crotales, les bitubes de DA, et même un SRE s’installaient. Je n’oublie pas les trans (grosse différence par rapport à Tacaud), toute l’intendance, la popote, l’infirmerie etc.…. Pendant ce temps-là, le Génie, à ses moments perdus… pas beaucoup, nous remettait au propre la zone vie qui était envahie par les buissons, les eaux usées et autres immondices.

 Dans la chambre avec les brassards
Dans la chambre avec les brassards détachement instruction

Les bâtiments, délabrés, criblés de balles et d’impacts de roquettes, étaient retapés tant bien que mal. Ceci nous permit d’avoir enfin des «  chambres »…mais dans quel état !! Presque plus de vitres, 1Cm de poussière partout, des restes de feux de bois et des pierres dans un coin, les installations d’eau et d’électricité inutilisables, les climatiseurs tout neufs mis en place par Tacaud, disparus…. Comme nous ne volions pas pour économiser le carburant de N’Djaména, c’est le C135 de Libreville qui faisait des aller retour, sans se poser au Tchad. Ceci nous donna le temps de mettre nos «chambres» en état. Cette opération de nettoyage permit à un champignon sous cutané, de se développer sur mon épaule gauche. Je le soignais à la javel pure. Un 4X4 Land rover de l’armée Tchadienne, nous fut attribué mais, le système de démarrage fonctionnait mal. Nos mécanos réglèrent ce problème très rapidement. L’alternateur ne fonctionnait pas du tout, ce qui obligeait à mettre la batterie en charge tous les soirs. Le hasard fit que je rencontrais un civil Français, qui était responsable de l’atelier de réparation des automitrailleuses Panhard, des Tchadiens. Je lui parlais de notre alternateur… Il me demanda de revenir discrètement le lendemain avec un sac. Ce que je fis, et je repartis avec un alternateur tout neuf…. les mécanos firent le reste.

Pendant que le confort s’améliorait, la force aérienne Manta était devenue totalement opérationnelle. Nous prenions l’alerte en salle d’OPS où parfois, l’équipe de mécanos d’alerte venait nous rejoindre pour profiter un peu de la « clim ». Ils ont beaucoup souffert nos mécanos…mais l’avion était toujours dispo. Nous étions concernés par les préparations de missions à plus d’un titre. Nos calculs de performances par température élevée, éveilla l’attention des Jags. Leurs niveaux de ravitaillement avec avion lourdement armé, furent alors fortement revus à la baisse. Je devais aussi mettre au point les ravitaillements et les messages destinés au C135 de Libreville qui les faisait le lendemain. Ces messages devenaient de vrais romans tellement les points de rendez-vous et les caps variaient. Expédiés tard en soirée, ils risquaient de ne pas arriver au PCA à temps ou de rester sous le coude de l’ OPO (ce fut une fois le cas) . Pour simplifier et accélérer la rédaction de ces massages, je proposais au COMAIR d’ établir des axes comme en France ….mon idée fut appréciée et après avoir consulté tous les intéressés, tout l’équipage se mit à l’ œuvre pour penser et établir des axes, qui permettaient à tout C135 venant de N’Djaména, Bangui, Libreville ou même Dakar, de ravitailler un raid vers n’importe quelle zone d’ opération. Notre carte, fut acceptée et, à ma grande satisfaction, lors de mon dernier séjour en 1988… elle servait encore.

Le Briefing global du soir, très instructif et passionnant, était présidé par le COMFORMANTA, le Général dit « Joli Thorax » en raison de sa façon de bomber le torse. Nous n’avons fait que 4 missions opérationnelles, sans qu’il n’y ait eu d’engagement.

Notre séjour prit fin le 13 septembre. Je rentrais en France avec mon champignon, le navigateur R.B…..T, qui rêvait d’un bon bœuf carotte, avec une bonne gastro…pour ne pas dire autre chose. Le copilote : P. F…….d, encore plus allergique au riz, et l’ ORV : T. L…..d, toujours souriant. Seuls les protagonistes comprendront mes petites allusions. Manta se poursuivait

Un C135F, restait à N’djaména , un autre à Libreville et selon l’activité, un 3ème à Bangui. Je terminerai ce récit, par une petite pensée pour Michel CROCCI, Pilote de Jaguar, qui fut abattu en intervenant sur une colonne des forces du GUNT, ayant franchi la ligne rouge, le 25 Janvier 1984. Les Choses sérieuses commencèrent ce jour là.

Je fis de nombreux autres séjours, surtout à Libreville, que, comparés à celui-là, je qualifiais de : séjours « confortables ».

Récit de Daniel DALMAS

Comment l’harmattan a sauvé les Jaguar de l’opération « Tacaud », le 30 juillet 1978.

JAGUAR DC4

 

L’harmattan, vent sec (Alizé) de Nord-Est, chaud et chargé de poussière, venu du Sahara, sévit , durant plus de six mois au nord du Sahel de novembre à mai. Ce vent engendre la principale source de poussière dans le monde (120 millions de tonnes par an, soit 20 % du total mondial).

SITUATION

À l’origine, en décembre 1975 après le coup d’état du 13 avril par le général Félix Malloum et à la demande expresse du gouvernement tchadien, la France a rapatrié l’ensemble de ses troupes présentes dans le pays, remplacées par des accords de coopération technique militaire en mars 1976.

Depuis juillet 1977, la situation au Tchad n’est pas brillante à cause de l’offensive du Frolinat (Front de Libération Nationale du Tchad) appuyée par la logistique lourde de la Légion islamique libyenne. À la tête de la deuxième armée, Goukouni Oueddeï prend le poste de Bardai le 5 juillet et Kirdimi le 12 juillet.

Le poste de Zouar est à son tour attaqué le 15 juillet, 200 soldats des Forces Armées Tchadiennes (FAT) sont évacués par trois Transall venus directement de France (opération Camomille). En septembre 1977, Hissène Habré et ses Forces Armées du Nord (FAN), anti-Libyens, rejoignent le gouvernement du Président national Félix Malloum

Début janvier 1978, sous l’impulsion des Libyens, l’offensive « Ibrahima Abatcha » est lancée vers le sud de la région du Borkou-Ennedi-Tibesti (BET) par le Frolinat. La garnison de Fada se rend le 14 février, puis celles d’Ounianga-Kébir et de Faya-Largeau le 17 Février. Celles de Koro-Toro (nord de N’Djamena) et d’Ati (nord-est de N’Djamena) suivront.

Pour sa part, la troisième armée Volcan (Ahmad Acyl) s’attaque à la région de Biltine et d’Abéché, dans l’est du pays. La première armée (Mahamat Abba Seïd), quant à elle, engagera la bataille de Salai (nord-ouest de N’Djamena) le 16 avril, forçant les français de « Tacaud » à s’engager dans le conflit pour la première fois depuis leur mise en place fin mars.

Tacaud
Faits aériens marquants de l’opération Tacaud

ENGAGEMENT FRANÇAIS

Le Président Giscard d’Estaing connaissait bien la préoccupation tchadienne grâce à un compte rendu du colonel Jean-Louis Delayen (conseiller du Président Félix Malloum depuis 1972) en juillet, au fort de Brégançon. Mais ayant déjà perdu les élections cantonales de 1976 et les municipales de 1977, il ne voulait pas mettre en péril les législatives du 12 et 19 mars 1978 sous la pression de l’opposition (programme commun de François Mitterrand et de Georges Marchais), en s’engageant sur un autre conflit « ensablé » après les opérations « Verveine » au Zaïre et « Lamantin » en Mauritanie en 1977.

Néanmoins il fera part de sa décision d’intervenir lors d’un conseil de défense du 20 février 1978. Ce sera l’opération « Tacaud », qui sera une manœuvre essentiellement défensive portée sur le vecteur aérien. Elle sera précédée par une opération de préparation in situ, « Citronnelle », pour être opérationnelle rapidement sur le terrain dès la fin des élections. Après la victoire aux législatives et dans le cadre de « Tacaud », l’arrivée des troupes au sol fin mars sera rapide (environ 2 000 soldats), puis dix Jaguar et deux C 135, ravitailleurs en vol venus de Dakar, se poseront sur l’aéroport de N’Djamena le 27 avril. Ils seront stationnés entre l’aéroport civil et la base aérienne « Sergent-chef Adji Kosseï », avec une protection relative, un ancien canon antiaérien Bofors de 40 mm (tchadien) et quelques fusiliers-marins français encadrant des soldats locaux.

Dans le camp des opposants au régime, malgré la présence des missiles sol-air Sam 7 fournis et servis par les Libyens qui abattront trois avions de l’escadrille tchadienne (un DC3 et un DC4 en février à Faya et un AD4 (Douglas A-1 Skyraider, bombardier d’appui tactique) en avril à Salal) et deux Jaguar, Khadafi et Oueddeï voulaient détruire tous les Jaguar en opération au Tchad.

En effet, lors de la reprise des garnisons d’Ati et de Djedda en mai 1978 par « Tacaud », ces avions auraient été responsables de la mort de centaines de rebelles et de nombreux Libyens, engendrant la panique et faisant remonter les troupes libyennes et du Frolinat au nord de la ligne Moussoro-Ati-Abéché

Jaguar armé sur le parking de N’Djamena
Jaguar armé sur le parking de N’Djamena

QUE FAIRE ET COMMENT FAIRE ?

Le chef de l’état libyen, le colonel Mouammar Kadhafi, avait, comme tous les chefs d’états d’Afrique, des conseillers étrangers. L’un d’entre-deux, E.P. W., était amé­ricain, ancien béret vert et ancien membre de la CIA, vendeur d’armes à l’occasion et impliqué dans de nombreuses affaires. Il fut donc sommé de trouver une solution pour éliminer les Jaguar, rapidement, moyennant finances et reconnaissance.

TACTIQUE DE E.P. W.

Il s’inspira certainement de la dernière tentative de coup d’état de Bob Denard le 16 janvier 1977 à Cotonou au Bénin, en proposant une destruction des appareils sur l’aéroport de N’Djamena, par un commando posé et récupéré dans les minutes suivantes. Il pensa à utiliser un type d’avion usuel qui ne surprenne pas les contrôleurs aériens tchadiens peu nombreux et peu vigilants de nuit. Il fallait simuler un atterrissage d’urgence en prétextant une panne, opération assez facile compte-tenu de l’état général des avions qui transitent au Tchad. Il resterait à « palabrer » au roulage avec la tour de contrôle tout en larguant le commando côté opposé dans l’ombre de la nuit, passerait devant elle en feignant de rejoindre un parking éloigné pour réparation, afin de se rapprocher du début de piste, et récupérerait le commando sur la raquette (aire de demi-tour pour reprendre la piste dans l’autre sens) et décollerait cap au Nord.

À partir des opérations « Manta » de 1983 à 1984 et « Épervier » en 1986, ce sont des contrôleurs français qui scruteront l’espace aérien tchadien, avec un matériel moderne. Ainsi venant du Cameroun en passant par le Niger puis par le Nigeria, un appareil libyen Tupolev TU-22, avec un équipage d’Allemands de l’Est et la soute à bombes ouverte, sera « accroché radar » (Centaure) et abattu par un missile Hawk au-dessus de la banlieue proche de N’Djamena le 7 septembre 1987.

Afin de mettre au point la mission, E.P. W. envoya son adjoint amé­ricain (ancien béret vert) dès juin à N’Djamena, pour prendre des renseignements et des photos sur l’activité des Jaguar et sur leur stationnement. Ce dernier confirma la protection relative des aéronefs et le type de trafic le plus commun, essentiellement composé de DC-3 (bimoteur hélices) ou de DC-4 (quadrimoteur hélices) datant de la première moitié du siècle dernier, de la compagnie locale Air Tchad et de l’escadrille aérienne tchadienne avec sa dizaine de DC-3 et ses trois DC-4.

Avec ces éléments, E P W. décida d’acquérir un avion du même type avec le recrutement d’un équipage français, parmi les mercenaires disponibles (qui restent toujours sous surveillance du SDECE).

Pour ne pas alarmer les services secrets sur la véritable cible de l’opération, il invoquera simplement une livraison officieuse d’armes, événement fréquent en ces temps sur l’Afrique. Ainsi nul ne pourra penser à la vraie nature de la mission à réaliser, en plus par des Français.

Pour ce faire, il contacte M. VV. 48 ans, commercial à Paris, qui effectue de temps à autre des «missions contractuelles ». Ancien parachutiste ayant participé à la guerre d’Indochine puis d’Algérie, il a loué « ses services » par la suite en Afrique, notamment pour se battre au Nigeria dans les années 70 et secourir les Biafrais. II avait participé au contrôle des Comores en 1975, en effectuant des recon­naissances aériennes. Après accord, la Libye lui propose la mission suivante avec un budget d’un million et demi de francs, « trouver un DC-3 ou un DC-4 en bon état ainsi qu’un équipage français », pour une simple mission de livraison d’armes en Afrique. M. W. accepte et achète un DC-3 (appelé aussi Dakota ou C-47) sorti de révision à Rodez et engage deux pilotes. Il sera pour sa part le mécanicien navigant pour compléter l’équipage et partira en qualité de responsable ce la mission.

Le premier pilote est un ami du Biafra, R. R., 42 ans, qui lui avait recommandé l’avion basé à Rodez. Il a été pilote de l’Armée de l’Air en Algérie, puis membre de l’OAS, condamné par la Cour de Sûreté de l’État. Il s’exilera en Amérique latine en 1963 où il sera piIote personnel du dictateur nicaraguayen Samoza, puis au Gabon, comme pilote personnel de Bongo jusqu’en 1972. Il est pour l’heure commandant de bord sur Fokker F-27 à Air Rouergue, basé à Rodez, mais pour le « fun » il fait aussi des convoyages d’avions dans le monde. Le second pilote P. T., 28 ans, pilote également à Air Rouergue est totalement étranger aux affaires africaines, mais voue une admiration pour les avions mythiques dont le célèbre Dakota. Passer sa qualification sur cet appareil est pour lui un rêve et surtout lui permettra de vivre ultérieurement des aventures en Afrique. Les différentes dispositions étant réglées, le DC-3 immatriculé F-BIEE partira de Toulouse-Blagnac le 27 juillet 1978 pour officiellement effectuer un convoyage vers la Thaïlande, avec une escale à Catane en Sicile.

Sur place il existait un relais libyen pour le chargement de bidons, remplis pour les uns d’essence en vue d’un ravitaillement et pour les autres, de billets de banque et d’armes.

L’OPÉRATION COMMENCE

Dix minutes après le décollage de Catane, le contrôle perd l’avion et signale sa disparition. Il sera déclaré abimé en mer le 28 juillet. Pendant ce temps, volant sous la détection des radars, le Dakota a mis le cap vers Zouar au Nord du Tchad à travers un couloir aérien au-dessus de la Libye qui leur était réservé. Goukouni Oueddeï et le colla­borateur de E.P. W. qui, depuis plusieurs semaines, entraîne un commando de trente hommes pro-Libyens à une opération de sabotage, font partie du comité d’accueil. Les armes débarquées, ils demandent aux Français d’effectuer un atterrissage d’assaut de nuit sur l’aéroport de N’Djamena le 30 juillet, pour un sabotage des stocks de carburant (supposés) et en fournissant tous les éléments et relevés nécessaires à la mission.

On peut envisager qu’ils ne connaissaient certainement pas la présence des Jaguar, pas plus que le lieu du parking, d’où le choix de la cible annoncé pour ne pas faire naître chez les deux anciens baroudeurs une trahison au code des frères d’armes. Sachant que les dépôts de Shell et de Mobil ne sont situés qu’à un kilomètre (Farcha) donc rapidement accessibles (pas d’utilité de stocks sur base) et que le commando s’était entraîné avec l’Américain sur des répliques d’avion hâtivement bricolées, afin de répondre à la mission libyenne avant l’arrivée de l’équipage, il devient facile d’envisager la vraie nature de la cible prévue.

INTERVENTION DE L’HARMATTAN

Le 30 juillet soit deux jours après son arrivée, le DC-3 décolla vers minuit de Zouar pour l’aéroport de N’Djamena avec le commando aux ordres de Chaïbo Bichara mais aussi avec l’harmattan, bien que la période ne soit pas propice à ce phénomène. Au fur et à mesure du vol, les quelques secousses par le vent se sont transformées en fortes turbulences et les rebelles, pour qui ce voyage était également un baptême de l’air, furent presque tous malades et vidés de leurs forces pendant les quatre heures de vol.

Comble de l’ironie, l’harmattan avait atteint la capitale avant l’avion et perturbé la production d’énergie, au point de provoquer une panne totale de courant affectant le balisage des pistes et l’éclairage des bâtiments avec une interruption du trafic radio. En arrivant sur zone mais privé de repères au sol et transportant des soldats en situation physique hors de combat, dans des conditions de vol extrêmes donc d’atterrissage très dangereux, l’avion doit remettre le cap sur Zouar en annulant ainsi la mission.

RETOUR ET MODIFICATION DE LA MISSION

L’accueil à Zouar fut houleux de la part des membres du Frolinat et des Libyens, qui demandèrent à l’équipage de repartir le lendemain, avec un autre commando. R.R. refuse fermement. Officiellement il évoque des carences évidentes de préparation de la mission précédente, le manque de renseignements sur l’aéroport de N’Djamena et une météo défavorable.

Très probablement il s’agit d’une tout autre raison qui relève de l’intime. Il avait appris incidemment auprès du commando la véritable cible au cours du vol. Cette mission ne répondait sûrement pas à leur « dogme patriotique ». À la nouvelle de l’échec, Kadhafi menaçant impose à E.P. W. de trouver un autre équipage dans les plus brefs délais, afin de réaliser et réussir cette mission au plus tôt.

Devant l’urgence, E.P. W. utilise le relais de la CIA, avec l’accord du gouvernement américain qui aurait même versé les primes…

Trois vétérans américains sont engagés et arrivent à Tripoli, une quinzaine de jours après le premier vol, pour prendre possession d’un Fokker F-27 (Le Fokker F27 est un avion à turbopropulseurs court courrier) et voler vers Zouar pour accomplir la mission. Seulement, quinze jours s’étaient écoulés et la situation avait évolué à Faya. Les différentes ethnies des Forces Armées Populaires se déchiraient, entre pro-Libyens et anti-Libyens, suite à une tentative politique de division de Kadhafi pour affaiblir le Frolinat, ce qui entraîna la dissolution des Forces Armées Populaires (FAP).

De ce fait à l’arrivée à Zouar, l’équipage américain est arrêté par les Tchadiens qui revendiquent des conditions particulières en donnant une réflexion de quelques jours aux Libyens, sinon les Américains seront passés par les armes.

DÉNOUEMENT

Sans développer les détails de la situation et en réponse à l’ultimatum, le camp libyen proche donne de l’artillerie sur le terrain de Zouar, ce qui permet ainsi à l’équipage de fuir discrètement en utilisant le DC3 français parqué à proximité. La surprise passée, les Tchadiens rétorquent par un tir nourri sur l’appareil au décollage, qui l’endommage sérieusement et blesse le co-pilote. Ils se poseront néanmoins à Sebha au sud de la Libye, sous la protection de E.P. W., avant de rentrer aux États-Unis et de rembourser les primes.

Pour sa part, E.P. W. sera arrêté en 1982 et jugé en 1983 dans son pays pour vente d’armes à la Libye malgré l’embargo, puis emprisonné et libéré en 2004 pour services rendus (il était en fait couvert secrètement et d’une manière officieuse par différents services secrets non coordonnés de l’état américain).

QUE SONT DEVENUS LES FRANÇAIS DE L’OPÉRATION ?

Selon des témoignages locaux rapportés par Jeune Afrique, les trois Français auraient été fusillés à Zouar. Dans ses interviews, Goukouni Oueddeï dément et affirme les avoir vus partir avec des Libyens en DC3, pour Tripoli. Une autre version, celle du Tchadien Chaibo Bichara, assassiné en 1988 par Hissène Habré, chef du commando qui faisait partie de la mission sur N’Djamena et interrogé à la télévision française en 1980, affirme que les pilotes auraient été amenés en Libye et faits prisonniers.

Pour les familles, il n’y aura aucune nouvelle ou action pendant près de 30 ans jusqu’à l’affaire des infirmières bulgares et du médecin palestinien, emprisonnés pendant huit ans et libérés le 24 juillet 2007 par Kadhafi sous l’influence politico-économique du Président Nicolas Sarkozy.

Profitant de cette libération, J.C. R., le frère de R., a écrit au Président français pour connaître la vérité sur la disparition des trois pilotes (journal La Dépêche du 26/11/2007). En réponse, la présidence de la République fait savoir « qu’à la demande du chef de l’État, l’ambassadeur de France à Tripoli a été instruit de sa démarche ». De même, dans le JDD Journal du Dimanche du 6 août 2011, Marie la fille de M. W. confiait au journaliste J.P. Vergés qu’elle portait plainte contre Kadhafi pour « séquestration ». « Ces hommes ont été recrutés non seulement en raison de leur connaissance du continent africain et de leurs compétences opérationnelles mais aussi dans le but de brouiller les pistes sur la nature véritable de leur mission », souligne Me Alexandre Varaut, avocat de Marie, qui assure que les mercenaires français ne s’attaquaient généralement pas aux intérêts de leur patrie. Le conflit international contre la Libye en 2011 n’a rien apporté de nouveau sur cette affaire.

Jean-Luc Gerber ; coopérant au Tchad de 1976 à 1979 (GR 31)

Article paru dans “La Charte”organe de la fédération nationale André MAGINOT

Consultations de récits réalisées pour confirmation des faits :

  • Presse : La Dépêche du Midi. La Dépêche du Dimanche, Journal du Dimanche, Jeune Afrique.
  • Livres d’auteurs spécialistes du Tchad Robert Buijtenhuijs et Florent Sené

L’attaque de Ouadi Doum ( 1 ère partie)

L’attaque de Ouadi Doum

En 1985 le Tchad, dirigé par Hissen Habré, était partagé en deux. Le 16e parallèle faisait office de frontière avec la Libye. KoroToro à l’ouest et Oum Chalouba à l’est, étaient les points habités les plus avancés du Tchad. De part et d’autre de cette ligne désertique que traversaient quelques pistes, des groupes armés s’observaient et se battaient régulièrement pour la conquête d’un morceau de sable ou pour le plaisir. Khadafi tendait à vouloir s’approprier de grands morceaux de ce désert. Son avance sera stoppée par une opération aérienne française d’envergure (après plusieurs annulations). En effet, il y a 30 ans, le 16 Février 1986, 11 Jaguar de l’escadron 1/11 Roussillon, attaquaient la piste de Ouadi Doum située au Tchad. Je vous propose dans cet article, tiré de la revue des anciens de l’École de l’Air, de voir et de comprendre ce qui s’est passé avant la date du raid

Le commandant de l’opération, le général BRUN, raconte.

Les débuts

Au cours de l’année 1984, il apparut clairement que la Libye avait débuté la construction d’une base et d’une piste d’atterrissage qui, lorsqu’elle serait achevée, modifierait considérablement l’équilibre stratégique local en plaçant N’Djamena à portée d’avions de combat, ce qui n’était pas le cas auparavant, les plus proches terrains libyens se situant à plus de 1200 km de la capitale. À partir de ce moment, la progression des travaux de la piste fut suivie avec une très grande attention par les autorités françaises. Tout portait à croire qu’une fois la piste achevée, les Libyens et leurs alliés stationnés à Faya et à Fada pourraient envahir le Tchad en bénéficiant d’un appui aérien, face à des Tchadiens qui en étaient démunis. Après l’opération Manta en 1983, la France avait quitté le Tchad ; ne demeuraient sur place que quelques coopérants.

En février 1985, il fut demandé à la Force aérienne tactique de proposer une solution opérationnelle qui permettrait de neutraliser la piste en construction. L’étude me fut confiée et, avec l’un de mes adjoints, le commandant René Giraud (64 – Carpentier), nous rédigeâmes à la main, dans le plus grand secret, l’étude demandée. Il était évident que de nombreuses difficultés devaient être surmontées: distances, munitions appropriées, sécurité, recalage de la navigation et nature du revêtement de la piste qui était constitué de plaques métalliques en double épaisseur, encliquetées entre elles et posées sur un sol dur. Elles n’avaient qu’un lointain rapport avec les plaques PSP. Le premier choix fut de déterminer le type de munitions qui permettrait de neutraliser la piste. Plusieurs solutions s’offraient à nous, parmi lesquelles les bombes classiques et les deux types de munitions anti piste dont disposait à l’époque la FATac : les Durandal et les BAP 100 .

Une analyse approfondie nous permit d’établir que la meilleure solution serait d’équiper les avions de BAP 100, munitions plus légères que les Durandal, qui pouvaient être emportées en plus grand nombre (jusqu’à18) avec un adaptateur situé sous le ventre de chaque appareil. L’objectif était de réaliser des coupures, en attaquant la piste avec 10 à 15 degrés de convergence, les appareils étant placés dans une formation suffisamment écartée pour que toute la longueur utile de la bande de décollage soit découpée en tronçons inexploitables. Le C.FATac approuva notre étude, la proposition d’ordre d’opération fut transmise aux états-majors de l’Armée de l’air et des Armées deux jours après la réception de la demande.

 

Bombes DURANDAL
Bombes DURANDAL
BAP 100
BAP 100

 

Convaincre certains ne fut pas très aisé mais je parvins à démontrer que le projet était cohérent et qu’il présentait, compte tenu des difficultés à résoudre, le meilleur compromis possible. En particulier, je démontrai que non seulement les BAP 100 feraient des trous dans la piste en explosant sous le revêtement comme elles l’auraient fait sous une bande bétonnée, mais que de surcroît elles gondoleraient le mécano métallique de la surface rendant, du fait des déformations subies par les plaques, très difficile sinon impossible toute réparation rapide.

La résolution des difficultés particulières

D’autres difficultés immédiatement identifiées résidaient dans :

  • le faible nombre de terrains de stationnement et de départ utilisables ;
  • les distances à parcourir ;
  • la capacité limitée du système de navigation des Jaguar.

Tous les terrains existants en Afrique centrale furent étudiés mais il fallut bien admettre que seuls Libreville et Bangui possédaient la capacité d’accueillir aussi bien les avions de combat que les ravitailleurs. En effet, en 1985, les C135F des FAS n’avaient pas encore été remotorisés avec des CFM 56. Les capacités de leurs propulseurs à ces latitudes limitaient leurs performances au décollage, allongeant leur course, limitant leur poids maximal et en conséquence, réduisant d’autant le carburant pouvant être délivré en vol aux avions de combat. En outre, les conditions de stationnement des avions étaient difficiles à maîtriser sur des terrains civils comme Libreville et Bangui dont les parkings étaient exigus et les conditions de roulage aléatoires. Enfin il fallait pouvoir relier les différents chefs de détachement par des liaisons protégées et fiables au sol comme en vol, et ce n’était pas une mince affaire, ce domaine n’ayant pas beaucoup évolué depuis l’opération Manta!

 

Carte d'Afrique
Carte d’Afrique

 

Un atout cependant était représenté par le Breguet Atlantic de l’Aéronautique navale. Poste de commandement en vol déjà utilisé à maintes reprises dans les opérations passées, cet appareil disposait d’une capacité remarquable de transmissions, de recueil du renseignement et de guerre électronique ; et les équipages qui se relayaient à Dakar et Bangui possédaient un niveau opérationnel remarquable. L’étude achevée proposait un dispositif de 8 Jaguar armés de BAP 100 et chargés d’équipements de guerre électronique d’autoprotection, des C135F en nombre suffisant et un Atlantic. Seuls les terrains de Bangui et de Libreville seraient utilisés, à l’aller comme au retour; N’Djamena était interdit sauf en secours. De plus, il n’était pas envisagé de réaliser de ravitaillement en vol au nord du 16e parallèle, ce qui se serait justifié parfaitement, mais aurait compliqué un peu plus le déroulement de la mission.

L’officialisation de la mission

Le projet fut finalement adopté au début du mois d’avril 1985; il fut baptisé du nom de code «Pivert». L’ordre d’opération fut diffusé en quelques exemplaires réservés et sévèrement classifiés. Le CEMA suivait personnellement l’affaire. Le commandement tactique me fut confié par le CEMAA et le C.FATac. À ce moment-là, la piste de Ouadi-Doum était recouverte de plaques métalliques sur environ 1600 m, les menaces sol-air identifiées se limitaient à des SA7 et des mitrailleuses.

Nous n’entendions plus parler de l’affaire, mais en réalité la situation était suivie au plus haut niveau. L’idée d’une frappe progressait tandis qu’au nord du 16e parallèle la piste de Ouadi-Doum s’allongeait. Le fabricant des fameuses plaques fut identifié. Cela permit d’en acheter une petite quantité et, une fois assemblées, de faire une expérimentation de l’efficacité des munitions prévues en grandeur nature. L’essai confirma nos suppositions.

Puis l’attente se poursuivit, ponctuée de temps en temps par des missions de reconnaissance destinées à surveiller l’évolution du dispositif libyen et à identifier les éventuelles émissions électromagnétiques des radars de veille ou des systèmes sol-air. Je restais en métropole comme les moyens destinés à l’opération.

Les premiers préparatifs sérieux

C’est après l’été 1985 que l’on reparla de cette mission. Malgré les conditions de chaleur régnant le jour au niveau du 18e parallèle, la piste s’était considérablement allongée et de petits avions d’entraînement pouvaient déjà l’utiliser. La défense sol-air avait été renforcée et les troupes au sol bivouaquaient encore au nord du 16e parallèle sur les principales pistes. À plusieurs reprises, des missions de reconnaissance, baptisées « Musaraigne », furent réalisées depuis Bangui par une patrouille légère de deux Jaguar équipés de bidons photo spéciaux. Ces avions allaient survoler le nord du 16e parallèle vers 15000 pieds pour y prendre des photos et observer ainsi la position et le volume des forces terrestres qui, l’arme au pied, tenaient les axes de communication face aux éléments tchadiens.

Le 28 octobre, je rejoignis Bangui par voie civile car, sous couvert d’un exercice banal planifié, une mise en place de la totalité du dispositif avait été décidée par le CEMA. En 48 heures l’ensemble du dispositif dont une partie venait de France fut prêt à intervenir. Le 1er novembre, tout fut démonté et le retour des appareils en surnombre, vers Dakar ou la métropole, fut réalisé tout aussi rapidement. Arrivé en France, je rendis compte de la réalisation de cette mise en place d’éléments dispersés qui aurait permis de frapper rapidement en bénéficiant de l’effet de surprise. À la lumière de l’expérience, des ajustements furent décidés.

Quelques jours après, dans la nuit du 9 au 10 novembre, je fus réveillé vers 1h du matin. Je sautai dans un N262 qui me conduisit en pleine nuit de Metz à Istres où m’attendait l’un des C 135F du dispositif. Nous rejoignîmes immédiatement Bangui. De toutes les bases concernées convergeaient simultanément les avions et les échelons techniques. La montée en puissance fut aussi réussie que la fois précédente alors que son déclenchement s’était produit sans aucune alerte préalable. L’annulation de la mission, qui était totalement prête, intervint dans le courant de l’après-midi du troisième jour. Je rentrai aussitôt dans l’un des C135 qui se posa à Roissy pour l’occasion, et je rendis compte immédiatement directement au CEMA en présence du CEMAA. Ils prirent la décision d’augmenter le dispositif et me demandèrent 12 Jaguar, 2 Atlantic, 4 Mirage F1 au parking à Bangui. d’ajuster en conséquence l’ordre d’opération. Le nombre de Jaguar fut porté à 12 appareils, auxquels s’ajoutèrent 4 Mirage F 1 de défense aérienne ainsi que 2 Transall ravitailleurs et, bien évidemment, le nombre de C135 F fut porté à 5 appareils.

L’ultime répétition

Le 4 décembre, le déclenchement impromptu de l’alerte vit l’ensemble des moyens se mettre en mouvement dans les plus brefs délais vers Bangui et Libreville. Le 5 décembre au soir, la totalité des avions et des personnels étaient en place. Le lendemain matin les derniers briefings se déroulèrent en présence de tous les chefs de dispositifs, y compris celui des C135F stationnés à Libreville. La situation tactique avait changé. Les moyens de défense sol-air s’étaient accrus. Les missions «Musaraigne» avaient permis d’établir une situation précise des radars de veille installés au Nord, à Faya et Fada en particulier, où se trouvait à présent un Flatface et à Ouadi-Doum où l’on avait identifié un Spoon-Rest, un Land-Roll et les systèmes sol-air SA 6, SA 7, SA 8 et SA 9, renforcés par la présence de canons de 14,5mm et de quadri-tubes de 23 mm, les ZSU 23/4. Les radars de veille accroissaient les risques, dans la mesure où, détectant un éventuel raid de beaucoup plus loin, ils pouvaient attirer très rapidement l’attention de la défense aérienne et de la chasse libyenne.

Le 5 décembre au soir j’attendis, à partir de 19h00 dans la cabine de la station Syracuse, la confirmation ou l’annulation de la mission. En cas de confirmation, je devais immédiatement transmettre l’heure H à tous les éléments du raid puis décoller le premier dans l’Atlantic PC-volant à bord duquel je commandais l’opération. Vers 20h00 un message arriva, annulant l’opération «Pivert». Je restai à Bangui avec la plus grande partie du dispositif en attente d’une visite du CEMAA.

Encore l’attente

Si en novembre les exécutants avaient un peu douté que la mission fût déclenchée, le 5 décembre chacun y avait cru jusqu’au dernier moment. La tension avait été perceptible pendant les briefings et tous avaient été déçus de son annulation. Afin de tester le dispositif ennemi au sol une mission «Musaraigne» de deux Jaguar fut déclenchée le 7 décembre, suivie quelques jours plus tard par une autre que je réalisai avec un vieux pilote du 4/11, habitué du Tchad. Ces missions confirmèrent la présence de troupes et de véhicules au nord du 16e parallèle. Dans le courant du mois, nous apprîmes qu’un ou deux appareils d’entraînement s’étaient posés à Ouadi-Doum. Le 18 décembre, le chef d’état-major de l’Armée de l’air, le général Capillon (50-Schloesing), vint inspecter l’ensemble du dispositif aérien. Il put observer la grande concentration des appareils sur la base aérienne de M’Poko. Puis avec la fin de l’année, on revint au dispositif normal.

La mission se précise

Au mois de janvier 1986, trois détachements de 4 Jaguar (cellule rapace) stationnaient sur les sites de Bangui, Libreville et Dakar, sur chaque terrain se trouvait également un C135F. Le 14 février, la mise en place fut déclenchée. Les Jaguar, les C135 et tous les éléments du dispositif convergèrent sur leurs terrains de décollage respectifs; je rejoignis Bangui avec les C135F supplémentaires alors que, dans le même temps, un message d’Armées-Paris avait été envoyé aux trois centres d’opérations (Air, FAS, FATAC) et au Comelef de Bangui: « Prenez disposition pour pouvoir exécuter mission Trionyx à partir de Bangui dimanche 16 février matin… Mission Trionyx sera confirmée par EMA le 15 février avant 17h00 Z. »

Le nom de l’opération avait changé, « Pivert » sans doute trop utilisé depuis presque une année était remplacé par « Trionyx ». Tous les participants présents sentaient que cette fois-ci ce serait la bonne, d’autant que simultanément se préparait la mise en place à N’Djamena des premiers éléments qui allaient, après l’attaque de Ouadi-Doum, composer l’opération «Épervier».

Le dispositif définitif

Les moyens mis en œuvre pour l’attaque furent les suivants:

– 12 Jaguar équipés de moyens de guerre électronique d’autoprotection dont 8 armés de 12 bombes anti piste de 100 mm (BAP 100) et de deux réservoirs largables de 1200 litres, et 4 de 2 bombes de 250 kg freinées et d’un réservoir largable ventral de 1200 litres. Ces appareils étaient destinés à l’attaque du terrain. Ils possédaient chacun en interne une caméra Omera 40 à balayage sur 180° qui permettait de filmer pendant les passes de tir;

– 4 Mirage F1 C de défense aérienne, équipés de missiles et de canons. Ils étaient surtout prévus pour escorter les C135F et ne devaient pas s’en séparer, restant de ce fait au sud du 16e parallèle;

– 6 C135F ravitailleurs en vol décollant de Libreville et de Bangui;

– 1 Atlantic PC-volant (doublé d’un spare) où se trouverait le chef de mission. Destiné à la veille électronique et au renseignement, il permettrait le commandement en vol des composants du raid, les transmissions avec les appareils et les centres d’opérations concernés, le compte rendu en vol et toutes les décisions devant être prises à chaud en fonction des circonstances, qu’il s’agisse de la conduite de la mission ou de la sécurité.

– 1 Puma prévu pour la SAR (Search and rescue).

– 2 Transall ravitailleurs stationnés à N’Djamena et à Bangui: capables de décoller sur alerte pour ravitailler en secours des avions de combat déroutés, ayant subi des avaries ou incapables de se poser du fait du mauvais temps.

 

Parking Bangui 12 Jag, 4 F1C, 2ATL 2
Parking Bangui 12 Jag, 4 F1C, 2ATL 

 

Les ultimes préparations

Le leader du dispositif des Jaguar était le commandant de l’Escadron de chasse 1/11, le commandant de Tellier (71-Blanckaert), son député leader était son second, le commandant Carbon (72-Madon), deux pilotes d’une grande expérience et deux chefs incontestés.

Les pilotes de l’escadron logeaient dans une villa proche du camp des 200 villas. C’est là, dans la salle à manger de la villa, dans des conditions relativement rustiques, quelquefois sur le sol, qu’ils tracèrent leurs cartes et traitèrent toutes les données nécessairement adaptées juste avant la mission : consommations, éléments de décollage, paramètres de tir et synthèses des renseignements. Les quinze pilotes qui composaient l’ensemble du détachement Jaguar accomplirent cette ultime tâche avec bonne humeur et efficacité. Dans le même temps, le leader des C135F et ses équipages effectuaient le même travail sur leurs bases respectives. Tous les leaders se retrouvèrent le 15 février en début d’après-midi dans la salle de briefing des Éléments Français en Afrique Occidentale (EFAO). À 17h30, chacun regagna son poste d’alerte pour attendre l’arrivée du message de confirmation ou d’annulation.

Le message fut envoyé par Armées-Paris le 15 février à 16h45 Z soit 17h45, heure de Paris. Il fut aussitôt répercuté sur les chefs de détachement. L’heure H, qui correspondait à l’heure de décollage des Jaguar, fut fixée à 04h30 Z soit 05h30 locale le lendemain matin, le dimanche 16 février 1986.

L’heure de décollage conditionnait toute la chronologie de la mission, y compris le décollage de l’Atlantic qui intervenait le premier, 3 heures avant l’heure H, ainsi que la mise en alerte et le décollage des trois C 135F de Libreville qui, pour être au rendez-vous des ravitaillements en vol, devaient décoller 1 heure 25 minutes avant les Jaguar.

Chronologie de la mission

La carte jointe montre le parcours prévu pour les Jaguar ainsi que les axes de ravitaillement. Pour permettre d’apprécier les distances, on peut dire que Libreville correspondait à Gibraltar, Bangui à Orange, Ouadi-Doum se situant approximativement au nord de l’Écosse. L’espace situé au nord de Bangui n’offrait aucun équipement de navigation et un seul terrain de secours, N’Djamena. Quant à la récupération d’un pilote éjecté au nord du 16e parallèle, elle reposait sur un dispositif très aléatoire!

La chronologie était la suivante :

H-3h Transmission de la météo pour la totalité du dispositif;

H-2h30 Décollage de l’Atlantic PC-volant;

H-1h25 Décollage des 3 C135F de Libreville;

H-1h00 Transmission de la météo pour les Jaguar;

H-0h30 Mise en alerte de la SAR;

H Décollage des Jaguar;

H Décollage du 4e C135F de Libreville;

H +0h37 Rassemblement des trois C135F de Libreville et des Jaguar et début du 1er ravitaillement;

H+1h00 Décollage des 2 C135F de Bangui;

H+1h00 Décollage des 4 Mirage F1C;

H +1h12Fin du 1er ravitaillement;

H+ 1h31Début du 2e ravitaillement en vol des Jaguar;

H +1h54 Fin du 2e ravitaillement;

H+1h55 Passage des Jaguar au nord du 16e parallèle en descente à basse altitude. Dernière possibilité d’annulation de la mission

H+1h56 Début du ravitaillement en vol des Mirage F1;

H+2h10 Fin du ravitaillement en vol des Mirage F1;

H+2h14 Attaque de Ouadi-Doum par les Jaguar;

H+2h36 Passage du 16e parallèle par les Jaguar;

H+2h57 Rassemblement des Jaguar et des C135F et 3e ravitaillement en vol des Jaguar;

H+3h14 Fin du 3e ravitaillement;

H+4h20 Atterrissage de 2 C135F à Libreville;

H+4h30 Atterrissage des Jaguar à Bangui;

H+4h45 Atterrissage des 2 C135F à Bangui;

H+5h20 Atterrissage des 2 derniers C135F à Libreville;

H+6h00 Atterrissage de l’Atlantic à Bangui;

À cette chronologie s’ajoutaient bien évidemment de nombreuses dispositions particulières qui s’efforçaient de prévoir tous les aléas envisageables. La totalité des incidents possibles avait été envisagée, et il faut avouer qu’à certaines phases de la mission les risques étaient nombreux. Plusieurs contraintes s’exerçaient sans qu’il soit possible de les éviter comme, par exemple pour les C135F, leur imbrication sur le parking exigu de Libreville, la nécessité de remonter la piste pour décoller, ou les limites dues aux conditions météorologiques locales (risque d’orage inondant la bande, incident dû à un appareil civil). Les mêmes risques étaient à redouter au décollage de Bangui, un décollage avorté d’un Jaguar pouvait retarder toute la mission, entraîner une consommation excessive des ravitailleurs et perturber les rassemblements. L’heure limite de décollage des Jaguar dans la configuration lourde qui était la leur ne pouvait dépasser 10 heures du matin. En vol les risques étaient plus classiques, les ravitaillements en vol par exemple: le point unique de ravitaillement dont disposaient les C135F condamnait les Jaguar à se succéder derrière la perche, mais la configuration, l’altitude et la température obligeaient les pilotes à le faire avec la postcombustion modulée, le bénéfice des ravitaillements en vol était limité par la consommation importante des avions pendant qu’ils se déroulaient.

Il serait trop long d’énumérer toutes les difficultés auxquelles je pensais ce 15 février vers 23h00, étendu sur un lit Picot dans le PC des 200 villas à Bangui en attendant de partir vers l’Atlantic.

Déroulement du raid

L’Atlantic décolla comme prévu. Il faisait nuit sur Bangui. Les prévisions météorologiques étaient favorables. Il ne restait plus qu’à attendre les confirmations des décollages successifs puis à suivre toutes les phases du raid, les ravitaillements, l’attaque et son compte rendu en vol, qui devait être aussitôt retransmis en code à Paris, afin que soit immédiatement exploité son résultat dans le contexte très politique et très médiatique qui environnait les affaires franco-africaines et tout particulièrement le Tchad. Le compte rendu du décollage des C 135F de Libreville ne me parvint pas pour des raisons de transmission. Comme il était, de toutes les façons, prévu que seuls les problèmes remettant en cause la suite du raid seraient immédiatement transmis à l’Atlantic par tous les moyens, y compris non discrets, je ne m’inquiétai pas outre mesure.

Jean-Jacques Brun (61 – Moulin)

A suivre

Une mission au Tchad mouvementée

Abéché Airport

Cet article est tiré de “RES NON VERBA”, le bulletin de l’association de  l’Amicale des anciens de la 11EC.    Voler en Afrique n’est pas toujours simple car les aides et moyens aéronautiques dédiés sont moins nombreux et amènent à des situations parfois chaudes. C’est le récit d’une d’entre elle que vous trouverez ci-dessous ; à titre personnel je pense qu’il aurait fallu la publier dans le BSV tellement il y a de choses à dire à ce sujet.

La ville d'Abéché
La ville d’Abéché

Une mission au Tchad mouvementée

En ce mois de janvier, pendant la saison sèche, l’Harmattan souffle sur le Tchad. Venu du nord, ce vent recouvre N’Djamena d’un nuage de poussière qui irrite la gorge et rend par moments la visibilité presque nulle. Cette situation dure depuis plusieurs jours, clouant au sol les Jaguar de la base aérienne de Kossei, venus en détachement de Bangui. Nul ne sait combien de temps cela va continuer ; les pilotes ont épuisé les charmes des dérivatifs et sont impatients de se mettre les fesses en l’air ; ils guettent dans le ciel le moindre signe d’amélioration ; leur frustration est d’autant plus grande qu’au-dessus de cette mince couche, le ciel est clair.

Abonné sur Jaguar depuis plusieurs années, je suis aussi impatient que les pilotes de l’escadron. Cet après-midi-là, vers 15 heures, la visibilité monte peu à peu, le rideau de poussière et de brume se déchire. Des missions de navigation à basse altitude sont prêtes depuis plusieurs jours. Aux avions!…

Deux patrouilles de deux avions décollent à dix minutes d’intervalle pour une mission d’entraînement, en direction du sud où la météo est la plus optimiste.

Je suis le leader de la deuxième. Par précaution, le Transall ravitailleur est en alerte au parking, prêt à mettre en route et à décoller pour donner une resucée aux Jaguar au cas où… Après le rassemblement, on constate que le parfond n’est pas terrible et que les huit km de visibilité requis par la réglementation, sont loin d’être atteints. Je sens que la navigation ne sera pas une promenade de santé. Les balles de coton, taches blanches dans ce décor vert et ocre, paraissent plus grosses que d’habitude. Dans ces conditions, inutile d’insister, on monte au-dessus de la mince couche et on abrège la mission pour revenir au terrain avec du pétrole. Sur la fréquence particulière, la première patouille, qui vient de se poser, nous annonce une dégradation rapide de la visibilité : au milieu de la piste, on n’en voit pas le bout. Le piège se referme sur nous : l’amélioration de tout à l’heure, c’était le trou du couillon et je me suis précipité dedans !… comme un jeune.

Malgré ces conditions je décide de tenter l’atterrissage en patrouille serrée sur ILS*. Je confie la conduite de l’opération à mon équipier, plus régulièrement entraîné que moi ; c’est un excellent chef de patrouille qui a participé aux missions de guerre sur le Koweit et l’Irak. J’ai confiance en lui. Je me mets en patrouille serrée sur son aile droite et je le suis. Pas totalement rassuré, je demande toutefois au Transall de décoller et de mettre le cap à l’est. On descend sur l’axe ILS. De temps en temps, je quitte brièvement des yeux le feu vert clignotant de son bout d’aile et je jette un regard furtif sur l’altimètre et sur le pare-brise, Rien devant…et on a passé les minima. Soudain, j’aperçois le balisage de l’entrée de piste, mais nous ne sommes pas axés et il est trop tard pour faire une baïonnette et se poser ensemble. Le leader me lance : « Deux allez-y, je remets les gaz ».

Je me sens responsable de la situation dans laquelle nous nous trouvons et il n’est pas question de le laisser seul. « Négatif, on reste ensemble ».  Ma décision est prise: on n’insiste pas à N’Djamena, car la visibilité ne s’améliorera plus à cette heure ; on se déroute. Mais où ?

Il commence à faire sombre, les terrains de déroutement du Cameroun sont probablement dans la même situation. Sont-ils encore ouverts ? Dans notre précipitation à partir aux avions, nous n’avons pas étudié au briefing leurs procédures d’atterrissage aux instruments.

Depuis le début de la mission, j’ai fait le choix du déroutement de nuit à Abéché, situé à 400 milles nautiques (700 km) à l’est de N’Djamena. Le Transall, qui est devant nous, nous donnera le carburant nécessaire pour atteindre cette piste en bitume de 2600m de long, construite quelques années auparavant pour servir de base à la défense aérienne, aux prises avec la menace de l’aviation libyenne. Toutefois, pour y avoir atterri plusieurs fois en Transall, je sais qu’un problème majeur se pose: depuis le départ des Mirage F1C, les câbles de l’alimentation électrique du balisage ont été chapardés par la population. Il faudra donc improviser, dans la demi-heure qui vient, un balisage de la piste formé par les phares des véhicules du détachement de l’armée de terre. Qui, en période de relève des commandos de l’air, garde la base aérienne dAbéché ? Je demande aux OPS de contacter en HF le chef de ce détachement de parachutistes ; il faudra aussi récupérer le contrôleur tchadien pour nous faire savoir si la piste est libre et pour nous donner la pression au sol; je demande également d’éclairer le parking avions pour nous donner un point de repère par rapport à la piste.

Quelle folie que d’aller vers la nuit avec tant d’incertitudes!

Le spectre de Séville* me traverse l’esprit quelques instants, ainsi que ma responsabilité à l’égard de mon équipier. Mais le dos au mur, on trouve des ressources insoupçonnées pour atteindre son objectif. La première difficulté est de rejoindre le Transall et de lui prendre suffisamment de pétrole pour pouvoir faire sereinement plusieurs tentatives d’atterrissage. La rejointe au Tacan air-air est laborieuse mais le commandant de bord est un vieux « chibani » qui en a vu d’autres ; ensuite, le ravitaillement se passe bien car en altitude la nuit n’est pas complètement tombée. Plusieurs années plus tard, il m’a appris qu’il s’était posé à N’Djamena avec cinquante pieds de plafond et qu’il n’avait pas suffisamment de pétrole pour se dérouter au Cameroun. Il nous avait donné tout ce qu’il avait.

Nous sommes maintenant en route seuls sur Abéché. J’effectue 45 minutes de patrouille serrée de nuit, exercice dont je n’ai jamais été un grand fana. J’ai le temps de ruminer, qu’est-ce que je fais là ? Je serais mieux au bord de la piscine à siroter un whisky en attendant le dîner. Il n’y avait aucune urgence opérationnelle à se mettre en l’air. Un mot de mon moniteur d’ULM me revient : « le plus difficile en ULM, c’est de savoir rester au sol ». Cette sentence de bon sens s’applique parfois aux avions de chasse… Mon équipier a peut-être les mêmes idées que moi, mais je ne sens aucune inquiétude dans sa voix. Depuis trente minutes, nous n’avons plus de contact radio avec personne. Nos calculateurs de navigation nous donnent des informations concordantes sur notre position; j’en conclus qu’elle est exacte. Un doute de moins. C’est le moment d’amorcer une descente économique vers Abéché. La confiance s’installe. Les premières lueurs de la ville apparaissent timidement au loin, ainsi que le halo du parking. Il nous restera à apercevoir les deux longs alignements de phares le long de la piste et à nous aligner dessus. Le contrôleur est sur la fréquence, il nous donne la météo et la pression. On stabilise l’altitude à 1500 pieds-sol. Toujours aucun visuel sur les véhicules-balises.

Le contrôleur nous annonce alors que les paras ont installé à l’entrée de la piste deux Jeeps phares allumés! Damned, on m’a appris à me poser sans le phare, mais pas sans le balisage !

On est revenu à la période des atterrissages clandestins de la Résistance.

C’est Presque à leur verticale que je les aperçois un court instant. On part au break en patrouille serrée; je les récupère à la vue en vent arrière et je les décris à mon équipier qui m’annonce

« Visuel ». « OK atterrissage individuel ». Il amorce son dernier virage; j’attends environ 30 Secondes pour virer, afin d’assurer l’espacement sur la piste.

« Train sorti- verrouillé – trois vertes ».

Dans l’éloignement, j’ai perdu de vue les deux frêles lumières au bout desquelles nos vies sont accrochées. Pendant ma recherche Pour les retrouver, mes éléments de vol se sont dégradés, et je remets les gaz en branchant la postcombustion, avec l’incidence mètre dans le rouge et l’altimètre proche de zéro. Nouvelle tentative. Je suis soulagé d’entendre mon équipier annoncer « Piste dégagée ».

Je récupère le visuel sur les deux Jeeps et je ne les lâche Plus. L’atterrissage sera un peu dur et surtout avec une divergence avec l’axe de la piste. Après l’arrêt des réacteurs, le Capitaine des paras nous propose de boire le champagne pour nous remettre de nos émotions. Pour moi, il aura un goût amer. Je ne peux pas lui en vouloir de m’avoir compliqué la vie. Je sais que j’ai forcé la main du commandant d’escadrille pour satisfaire mon état de manque et que j’ai ainsi mis en danger la vie des autres pilotes. Circonstance aggravante : le briefing de la mission a été incomplet et nous a forcés à improviser. La mise en place d’un balisage réduit à sa plus simple expression, par des personnels étrangers au milieu de l’aéronautique, en est la conséquence. Et si la vacation radio entre Epervier et Abéché n’avait pas fonctionné tout de suite ? … Quant à dire si l’option choisie était la bonne, aujourd’hui je réponds simplement oui, puisque ça s’est bien terminé. Mais de ce jour date ma devise : « On n’est pas à l’abri d’un coup de pot ». Le retour à N’Djamena, le lendemain fut discret. Au débriefing, on a décortiqué ensemble les erreurs commises, analysé la responsabilité de chacun dans les décisions, discuté de l’option choisie. Devait-on faire savoir cette histoire au BSV*** ? Je n’avais pas souhaité mettre par écrit cette aventure, sous le prétexte qu’il s’agissait d’un concours de circonstances exceptionnel qui n’avait aucune valeur exemplaire. Jusqu’à ce jour, une dizaine d’années plus tard…à N’Djamena.

* Une balise au sol transmet au pilote sa position par rapport à l’axe et à la pente de descente idéale.

** En 1967, six Mystère IV français de la base de Cazaux se sont perdus en allant à Séville et les pilotes ont tous du s’éjecter à court de carburant.

*** Bulletin de sécurité des vols : périodique de l’armée de l’air destiné à sensibiliser les personnels aux problèmes de sécurité aérienne.

L’éjection du Barbu (2) : vue des OPS de N’Djamena

L’éjection du Barbu (2) : vue des OPS de N’Djamena

La semaine dernière, j’avais fait paraitre un article sur l’éjection du Barbu ; cette semaine, je vous propose d’en reparler mais cette fois de la manière dont elle a été vécue  du coté des OPS à N’Djamena. J’ai trouvé cet article sur le site http://aviateurs.e-monsite.com/  que je vous invite à visiter et qui nous raconte plein d’histoires d’aviateurs.

En 1978 à  N’Djamena.

Sables encore, sables du Tchad, éternels. Si les grains se déplacent, les grandes dunes ne changent pas de position. Ainsi en va-t-il de cette histoire de rébellion Nord-Sud qui n’en finit pas.

Certes Fort-Lamy est devenue N’Djamena, certes le Toubou du Nord, Hissen Habré, va-t-il devenir Premier ministre puis chef d’État, on le saura plus tard, mais toujours et encore les combats Nord-Sud imprègnent les terres desséchées d’un sang souvent fraternel. Cette fois-ci, le N’Djamena du général Malloum est menacée par les libyo-goukounistes.

La France vient de dépêcher des troupes, quelques Jaguar et deux Breguet Atlantic : l’opération “Tacaud” n’a que deux mois lorsque je quitte le commandement de la flottille 33F. Paris m’envoie alors en tant qu’ “Adjoint Mer” auprès du général qui commande les éléments français au Tchad. Oui, un ” Adjoint Mer” en pleine Afrique car sur place se trouvent deux commandos Marine et deux avions de patrouille maritime.

ATL2 NDJ
ATL2 NDJ

Le jour de mon arrivée est marqué par la perte d’un Jaguar et c’est avec tristesse que je verrai dans la soirée un hélicoptère Puma se poser sur la base et déposer sur le tarmac (NDLR : « Tarmac » : abréviation de tarmacadam, revêtement du sol à base de goudron et de pierres concassées) surchauffé le sac réglementaire contenant les restes du malheureux pilote. (1)

Cet incident me concerne déjà puisque les Breguet Atlantic sont ici pour observer le désert, écouter l’espace, guider les Jaguar et éventuellement sauver leurs équipages : ils sont les yeux et les oreilles du chef des opérations, ils sont les Saint-Bernard de tous ceux qui volent au-dessus de ces terres immenses. Ils font ici, au-dessus des océans de sable ou de savane, ce qu’ils ont toujours fait au-dessus des masses grises et mouvantes de l’Atlantique ou de la Méditerranée : chercher l’adversaire, retrouver l’ami.

La perte de ce Jaguar a mis en évidence quelques défauts dans l’organisation de la coopération entre les troupes au sol et les moyens aériens. Ainsi en est-il souvent au début d’une opération, lorsque tous les éléments se mettent en place dans un contexte nouveau où l’urgence prédomine.

Mais en quelques semaines les choses se mettent en ordre peu à peu et bientôt, la situation tactique étant relativement calme, nous décidons, à l’État-major, de tester le dispositif de recherche et de sauvetage dans des conditions aussi proches que possible de la réalité.

– « Mon général, commence le colonel adjoint-Air, nous déclencherons demain un exercice de détresse en zone saharienne. Pour l’instant, et afin de préserver l’effet de surprise, seuls l’adjoint-Mer, l’adjoint-Terre et moi-même sommes dans le coup. »

Le général est grand, carré, l’air décidé. Il ne quitte jamais une bouffarde malodorante culottée au tabac des armées. C’est un homme bourru et parfois coléreux. Mais on l’aime pourtant car c’est un opérationnel, un homme pragmatique et de bon sens, et sa rugosité cache mal une grande générosité, la simplicité des hommes sincères, une bienveillance bougonne.

– « Bien ! Et qu’il en reste ainsi, je veux absolument pouvoir juger des réactions en grandeur nature : les équipages, les transmetteurs, la salle des opérations, bref les hommes devant l’imprévu. Cela servira en plus à votre remplaçant qui arrivera par l’avion de six heures. Il sera mis dans l’ambiance. Qu’avez-vous prévu ? »

– «  Le thème est un crash d’hélicoptère dans le nord de Moussoro pour environ trente kilomètres. Vers dix heures, une Alouette se posera à l’endroit prescrit et déposera une balise de détresse qu’il déclenchera. Il n’y aura plus qu’à voir ce qui se passe. »
– « Quels sont les vols programmés pour demain ? »
– « Une surveillance-reconnaissance par un Atlantic de 8 h à 12 h 50, dans le nord, une patrouille de deux Jaguar avec ravitaillement en vol par un C-135F du côté d’Ati, dans l’est. Je garde les Puma ici, et, comme toujours, le deuxième Atlantic reste prêt à remplacer celui qui vole.
– « Une journée comme les autres quoi ! Bon, on marche comme ça. Rendez-vous demain matin dix heures en salle Ops, et bien sûr, pas un mot. »

La soirée se déroule comme toutes les soirées militaires et tropicales : moiteur de la nuit, acharnement des moustiques, vacarme des crapauds-buffles, long drinks au bar de la Tchadienne, souvenirs de campagnes… On refait l’armée, on discute politique, “Café du Commerce” au pied des baobabs. Les étoiles inondent le ciel d’une pâleur lactée. De la mosquée, la modulation presque irréelle du muezzin appelle à la prière. La ville est calme et seules quelques patrouilles armées rappellent que l’avenir est incertain.

Le matin est plus frais. Serait-ce l’arrivée de la saison des pluies ? La mise en train de la base interarmées se fait comme à l’accoutumée. Du côté de la piste, les vols décollent les uns après les autres. Les avions restent à très basse altitude et, dès le bout de piste prennent un cap de sortie qui varie chaque fois afin de déjouer une embuscade éventuelle au SAM-7.

Turbopropulseurs des Transall et de l’Atlantic, grondement furieux du C-135F, sifflement des turbines d’Alouette ou de Puma, déchaînement rageur des Jaguar… Symphonie pour oreilles aéronautiques : la feuille des vols se déroule devant la membrane de nos tympans !

À 9 h 30, nous sommes tous là, entrés à quelques minutes d’intervalle dans la salle des opérations. Le général et ses adjoints regardent les cartes. L’adjoint-Air présente à son remplaçant, les divers moyens de transmission et de liaison à sa disposition, l’organigramme des éléments aériens… L’heure fatidique approche. Dans un quart d’heure, il va se passer quelque chose !

– « Charlie Oscar, ici Delta Bravo ? »

C’est l’Atlantic qui appelle notre poste de commandement sur HF.

– « Delta Bravo cinq cinq, parlez ! »
– « De Delta Bravo, je viens de recevoir une émission de détresse aéronautique, je vous rappelle. »

Nous nous consultons des yeux. Certes il y a un tout petit peu d’avance dans le programme, mais ç’a l’air de très bien marcher !

– « Delta Bravo de Charlie Oscar, bien vu pour la détection détresse. Il s’agit en fait d’un exercice. Continuez la localisation de la détresse et rappelez-nous »

Nous approchons de la carte, un doigt est posé sur la position où l’Alouette a dû déclencher sa balise. L’Atlantic n’est pas très loin, il ne va pas tarder à la localiser… Pourquoi cependant l’Alat n’a-t-elle pas respecté l’horaire ? Et l’exactitude militaire alors ?

L’attente n’est pas très longue en effet :

– « Ici Delta Bravo, l’émission de détresse est faible mais nous la relevons dans l’Est. Elle doit être loin, à plus de 100 nautiques ! »
– « Ici Charlie Oscar. Vérifiez bien, vous n’êtes pas très loin de la balise. »
– « Ici Delta Bravo, je confirme. L’émission est faible, dans l’est. Je compte entreprendre un circuit de recherche en remontant l’azimut. De plus mon radariste croit avoir vu un IFF Emergency furtif. Je vous demande confirmation de l’exercice. »

Quelque chose cloche visiblement. Le front des adjoints-Air prenant et quittant se plisse. Un doute soudain dissout le haie des visages.

L’adjoint-Air prenant, arrivé le matin même me demande, un peu brusque :

– « Vous êtes sûr de votre équipage, ils ne verraient pas des rats bleus par hasard ? »

Le colonel est un pilote de chasse. Alors les “lourds” ne peuvent être que des incompétents. Pour peu qu’ils soient marins, plus rien n’est sûr. Mais je mets son agressivité sur le compte d’une angoisse soudaine. Il a compris plus vite que les autres.

– « Mon colonel, je ne suis pas un spécialiste de la patrouille maritime mais j’ai suffisamment d’heures de vol pour juger les hommes assez rapidement. J’ai volé avec cet équipage, il y a deux jours. Le Lv Guillard qui le commande est un bon. C’est de plus un flegmatique à l’anglaise… et je m’y connais. Il a un équipage soudé, homogène. Vraiment j’ai eu l’impression d’avoir affaire à une équipe de “pros » entraînés.
– « OK compris. Qu’est ce qu’on a en l’air ? »
– « Deux Jaguar et un ravitailleur. »
– « Où? »
– « Dans l’est, du côté d’Ati ou d’Abéché. »
– « Alors c’est qu’on a un vrai pépin ! 

Au même moment la radio crache à nouveau :

– » Ici Delta Bravo, je reçois maintenant une balise de détresse dans l’ouest. »

Il est 10 h pile. Tous les visages s’assombrissent en un instant. Il est clair maintenant que l’on a, quelque part dans l’est, une détresse réelle.

– « Delta Bravo. Laissez tomber la balise qui vient de se déclencher, c’est celle de l’exercice. Entreprenez immédiatement une recherche vers l’est. On a dû avoir un crash. »

Tout s’accélère maintenant. Le deuxième Atlantic est mis en alerte. Une information nous parvient enfin du C-135F. Il a observé la collision de deux Jaguar à l’issue du ravitaillement en vol. L’un a disparu, l’autre est en l’air, endommagé sur l’avant, mais essaie probablement de rentrer.

– « Il n’a plus d’émission, dit le colonel, sinon il aurait appelé. Son IFF ne marche plus non plus sinon nos radars auraient son signal “Emergency”. Vous (il me désigne), allez à la piste voir ce qui se passe dans la roulotte radar. Qu’on prépare la récupération de cet avion. Alertez dès maintenant la sécurité de piste !

Très clairement, le colonel a pris les choses en main. Il décoince bien, cet arrivé du petit matin ! Me voici donc parti en direction du terrain après quelques coups de téléphone, et approche de la roulotte radar… juste pour voir sur la bretelle de dégagement un Jaguar sans nez rouler vers le parking sous les yeux éberlués des « rampants ».

Le pilote est aussitôt conduit aux Ops. Il est traumatisé, pâle, défait. Il explique :

– « On s’est empétardé à l’issue du ravitaillement. J’ai vu Le Barbu partir en vrille… L’ai pas vu s’éjecter. »

De belle taille, roux, c’est une “grande gueule”, sympathique pourtant, que ce Cne de l’Armée de l’air. Mais aujourd’hui, c’est un héros déchu. Le théâtre est fini. Il n’est plus devant nous qu’un homme à nu qui sanglote :

– « J’ai perdu mon copain ! j’ai perdu mon copain ! » (2)

On l’emmène à l’infirmerie afin de le calmer. Ses camarades l’entourent, compréhensifs. Il a dû avoir une sacrée peur au moment de la collision. Quant à son retour, il tient de l’exploit. Son Jaguar est tronqué, le nez a disparu, l’entrée d’air du réacteur droit est déformée. Il a dû le ramener en aveugle, sans radio, sans radar, sans moyen de navigation avec un de ses réacteurs hors service. Il a mis le cap vers l’est, en gros, pensant bien rencontrer le Chari, ce large ruban d’eau limoneuse qui s’insinue dans la savane, entre le Cameroun et le Tchad et qui accroche les feux du soleil. Un serpent d’argent qui parcourt la brousse et se voit de loin.

Quand on trouve le Chari, on trouve la base, elle est riveraine. Encore a-t-il fallu présenter l’appareil à l’atterrissage, tester son comportement à faible vitesse et sur un seul réacteur, apprécier les vibrations dues aux déchirures de la cellule, traquer, sur les instruments, la moindre anomalie dans le réseau électrique ou le réseau hydraulique pouvant compromettre l’atterrissage. Sortir le train, enfin, parier sur la tenue de son verrouillage, en particulier celui de la roulette de nez.

Et seul, toujours seul devant l’ultime décision : s’éjecter ou risquer le tout pour le tout, ramener la machine à la maison ? Quelle tension nerveuse ! Et ce doute lancinant qui brouille la réflexion : Le Barbu a-t-il pu sauter ?

Dans la salle des opérations, l’émotion est fugitive. Il reste à agir. Il faut retrouver Le Barbu. Il faut le récupérer à tout prix. S’il a sauté, il risque d’être fait prisonnier… ou d’être achevé.

La zone n’est pas sûre. Mais où chercher ? La collision s’est produite à 25.000 pieds avec des avions qui foncent à plus de 700 km/h. La position de ravitaillement fournie par le C-135F n’est pas bien précise, pas assez en tout cas pour obtenir un point d’impact. Et d’ailleurs l’avion s’est-il écrasé immédiatement ? Personne n’a vu le crash. Le pilote n’a-t-il pas essayé de le récupérer et de le ramener avant de s’éjecter ?

L’Atlantic a commencé ses recherches selon la méthode prescrite : remonter l’axe sur lequel on relève la balise, en effectuant de larges branches transversales, long et fastidieux feston aérien.

Radariste ATL2
Radariste ATL2

Dans l’avion les yeux scrutent le sol, le navigateur refait sans cesse ses calculs, le goniomètre est fébrile, prêt à relever toute émission… La méthode est lente mais elle est le fruit d’une longue expérience.

Ici, aux opérations, on calcule qu’il lui faudra deux heures pour arriver dans la zone où a eu lieu le ravitaillement en vol. Pourquoi n’irait-il pas directement là-bas ?

– « Delta Bravo, la position la plus probable du crash est dans le nord d’Ati pour 50 nautiques, ne pouvez-vous pas y aller directement ? »
– « Ah, ici Delta Bravo pas question ! »

La voix de Guillard est légèrement nasillarde, un peu traînante, empreinte de son flegmatisme. Le ton contraste avec la brièveté de la réponse. Il complète bientôt :

« Je ne peux pas faire d’impasse et céder à des pulsions. Faute de point de crash observé et d’autres signaux de détresse, la méthode la plus sûre est de remonter l’azimut de la dernière détection en ratissant. Y a pas à sortir de là. »

Un ATL2 en Afrique au cours d'une recherche SATER
Un ATL2 en Afrique au cours d’une recherche SATER

Le colonel hésite très peu, il se tourne vers moi :

– « Il a probablement raison, mais il faut gagner du temps et l’on peut très bien prendre le problème par les deux bouts. Sautez dans le deuxième Atlantic et décollez. Vous ferez entamer un autre type de recherche à partir du point de ravitaillement. Vous coordonnerez l’action des deux Atlantic de là-haut. »

La Jeep me dépose rapidement au pied du fuselage blanc et gris. L’équipage est déjà dans l’appareil. Le commandant de bord est un enseigne de vaisseau arrivé depuis peu au Tchad. Tous ruissellent de sueur, il fait plus de 50° dans la carlingue, au grand détriment de l’électronique d’ailleurs. Voler fera du bien ! La liste de mise en route s’égrène sur le téléphone de bord.

Chaque mot déclenche un geste bref, une réponse qui claque.

L’avion prend vie, vibre, hurle, les cadrans s’allument, le tableau de bord est un visage qui s’éveille et s’anime. Ça y est, on va rouler.

– « Merde ! »

Le mot ne fait pas partie de la procédure, mais il parle, comme on dit. La tête de l’enseigne aussi, d’ailleurs, qui contemple dans ses doigts un morceau de manette cassé. Usure du matériel ? Fébrilité dans la mise en route ? Impossible en tout cas de continuer, il n’y a pas de rechanges et de toute façon la réparation prendrait trop de temps. Le jour est décidément à la malchance.

Le regard que me lance le colonel à mon retour aux Ops ne reflète pas la plus grande sympathie. Comme tous les hommes d’action, il n’aime ni les contretemps, ni la maladresse, ni la malchance.

Et la poisse de notre enseigne de vaisseau remet en question sa confiance dans la Marine que je représente. Je ne peux lui en vouloir et, à vrai dire, il me plaît cet aviateur qui, arrivé depuis si peu de temps, a pris en main, d’autorité, la coordination des recherches, attrapant pour ainsi dire au vol les responsabilités de ses nouvelles fonctions.

Mais il ne reste maintenant qu’à attendre. Le silence est pesant, gênant et encombrant comme un linceul. Plus d’une heure s’est écoulée depuis le début de l’alerte. Nous sommes impuissants. Chacun imagine le lent travail de l’Atlantic, quelque part là-bas, laboureur besogneux d’un champ infini, dont les sillons abstraits sont le fruit de calculs mathématiques. Le C-135F participe aussi aux recherches mais il ne possède aucun moyen sérieux d’investigation.

Sur le “tarmac”, deux Puma sont prêts à décoller. Le soleil est haut maintenant, surchauffant le métal, faisant vibrer l’air, déformant les silhouettes.

Quelques contacts radio, à intervalles réguliers, raniment chaque fois l’espoir d’une bonne nouvelle. Mais ce n’est que procédure de contrôle, ce ne sont que quelques mots brefs, codifiés, laconiques, froids comme un ordinateur.

Un brasseur d’air tourne lentement. Rescapé des abandons successifs de cette base aux Africains, on a pu le remettre en marche, tant bien que mal, et l’on doit supporter un couinement agaçant, régulier, qui ponctue le temps qui passe. Plus d’une heure.

– « Ici Delta Bravo, nous avons visuel sur le pilote, il est vivant ! » 

Tout le monde s’est levé, un cri de joie explose, on se presse devant le récepteur.

– « Ici Delta Bravo, le pilote a l’air blessé mais il est bien vivant, je vous donne sa position, et pars localiser l’épave du Jaguar. Je guiderai le Puma.

Dans la salle Ops on devient bruyant :

– « Chapeau, la Marine ! »
– « De vrais Saint-Bernard ! »
– « Champagne ! »

Des rires, des accolades, c’est le moment de gloire de la Patrouille maritime. Seuls le LV Guillar et son équipage, qui par leur persévérance et leur professionnalisme ont permis de retrouver le rescapé ne pourront en profiter : ils atterriront quelque temps plus tard dans l’indifférence totale, la vedette étant revenue à l’heureux aviateur, ramené avec une jambe cassée, une bonne histoire à raconter, et l’aura de ceux qu’on a cru morts. On ne change pas les hommes…

Soulagé enfin, l’État-major se réunit à la table du mess, car l’appétit est revenu et l’après-midi bien entamé. La discussion va bon train, le rosé bien frais a une saveur qu’on ne lui connaissait pas. Heureux moment de détente.

Soudain le téléphone sonne. Étant le plus jeune, il me revient de répondre.

– « Commandant ? Ici le standard, je vous passe le groupement de Moussoro. »
– « Moussoro ? Oui, ici l’État-major. »
– «  Ici le Cne Rigel. Je vous téléphone au sujet de l’Alouette. »
– « Quelle Alouette ? »
– « Ben, l’Alouette qu’on a envoyée ce matin avec une balise. Elle vient de redécoller pour nous contacter. Elle demande ce qu’elle doit faire parce que depuis le début de l’exercice SAR, elle n’a rien vu venir.

Le capitaine baisse un peu la voix :

– « Le pilote n’a pas l’air content, il dit qu’avec une organisation de recherche et de sauvetage comme celle-là on peut tous crever dans le désert ! »

J’éclate de rire. Le serveur entre, son plateau est garni de coupes pétillantes…

Michel HEGER

> Extrait de “Une ancre et des ailes” (Ed : Editions du Pen-Duick et Ouest-France – 1989)

(1) Il s’agit du Lt Robert Jacquel du 3/11 qui, sur le 3Jaguar” A-109, heurte le sol au cours d’une attaque à basse altitude.

Mort du capitaine CROCI ; 30 ans déjà

 

Cne Croci (EC4.11)
Capitaine Michel CROCI

Il y a 30 ans le Tchad vivait une époque agitée qui avait amené le déclenchement de l’opération MANTA à l’été 1983. Dans le cadre de sa mission, la 11 ème escadre de Chasse avait assuré les détachements de 4 Jaguar à N’Djamena ; le 4/11 qui était parti sur alerte au mois d’Aout, le 3/11 avec le CDT Durand puis moi avec le 2/11. La relève avec le Detam de CROCI s’était effectuée entre Noël et nouvel an. La situation sur le terrain était tendue, mais mis à part les inévitables montées en puissance avec montage d’armement qui ne s’étaient pas concrétisées, le détachement avait été pénible à cause notamment des conditions d’hébergement et de vie, mais relativement calme sur le plan des opérations. Par contre, il s’était passé beaucoup de choses sur la base aérienne et je serai peut être amené à vous en reparler.
Je connaissais assez peu Michel Croci, mais lors des quelques jours que nous avions passés ensemble, j’avais été frappé par la tranquillité qu’il dégageait et l’adhésion qu’il avait de ses troupes ; signes d’une grande expérience professionnelle et de grandes qualités humaines. Le capitaine Michel Croci était unanimement apprécié et reconnu pour ses qualités de pilote et de chef. C’est donc l’esprit tranquille que je lui laissais les commandes du détachement le 30 Décembre.

Je vous propose ci-après le témoignage du Cne Kerfrieden qui aurait du effectuer la mission au cours de laquelle Michel Croci a trouvé la mort.

OPERATION MANTA

Par le CDT Kerfriden, à l’époque pilote de l’EC 4/11 “JURA”, par la suite commandant d’escadrille de l’EC 2/11 “VOSGES.

25 janvier 1984 en fin d’après-midi. Les personnels des escadrons en détachement à N’DJAMENA attendent sur le parking le retour des avions partis une heure plus tôt avec le fameux” BINGO VERT “, version française du ” Licence to kill “.

Cela fait bientôt un mois que les escadrons 2/12 et 4/11 vivent ensemble et des liens d’amitié se sont tissés fondés sur 1′ estime mutuelle et la reconnaissance des compétences de chacun. Aux chasseurs purs la maîtrise du ciel, la gloire et les longues attentes avant un décollage sur alerte. Aux pilotes des JAGUAR le sentiment d’être déjà de vieux africains rompus aux techniques de la navigation en très basse altitude !

Le JAGUAR est un véritable mythe et son évocation vous ouvre bien des portes en Afrique. A chacun son métier cependant et il faut reconnaitre qu’au-delà des quolibets traditionnels, 1′ ambiance est excellente.

Pourtant, en cette fin d’après-midi voilé déjà par le vent de sable qui s’est levé, une angoisse sourde rampe sur les parkings et étreint les cœurs car on sait déjà qu’un pilote ne reviendra pas. Chacun y va de son hypothèse. Les 2 MIRAGE FI se présentent en longue finale. L’un est touché et a perdu son carburant. Un JAGUAR se présente seul au break…

L’instant est lourd d’émotion.

Pour la première fois peut-être, j’ai peur de faire ce métier que j’ai choisi. Avec mon équipier, le Lieutenant Michel PRUNA, nous avions préparé notre mission quelques heures plus tôt. L’objectif : un commando du GUNT dans la région de TORODOUM.

Nous connaissons la région, plate, blanche, ourlée de dunes au nord que 1’on aperçoit toujours trop tard en basse altitude et ponctuée çà et là par de maigres îlots de verdure. C’est là qu’il faudra tirer nos OPIT (obus perforants, incendiaires et traçants). Mais qu’il y a loin de 1′ entraînement à CAPTIEUX à cette mission dans une région hostile. Le briefing s’est résumé à sa plus simple expression : la sécurité et le pétrole, car nous nous connaissons parfaitement et nous avons volé maintes fois dans la même patrouille. La confiance est totale et je suis très fier d’avoir Michel PRUNA comme équipier. Nous avons le même âge mais il fait déjà preuve d’une belle maturité et d’une motivation sans faille pour le vol. Il est promis à un bel avenir. Malheureusement, le destin en décidera autrement quand plus tard, son JAGUAR percutera un F16 dans les environs de Florennes.

Aujourd’hui il est très excité et tendu. Il réajuste en permanence son pantalon anti-G, compte les cartouches de son PA MAC 50, tourne autour de la table. L’angoisse est palpable. N’ a-t’ on pas aperçu du SA 7, du ZSU 23/4 peut-être…

1 Dans quelques instants, nos JAGUAR donneront la mort. Nous nous y sommes préparés de longue date. Pourtant la peur atroce nous colle à la peau.

” Tu feras la prochaine, il y a du SA 7 !… “.

Le Capitaine CROCI est entré dans la salle d’opération avec les dernières consignes du COMELEF. Je suis soulagé et déçu, mais notre commandant d’escadrille est un pilote chevronné et la peur n’a pas de prise sur lui.

Il ne reviendra pas. Son JAGUAR a explosé en percutant le sol.

Une cérémonie à sa mémoire est organisée le 29 Janvier sur la base aérienne de Bordeaux.

Tiré du livre référence d’Alain Vezin “JAGUAR”, ( http://aerostories.org/~aerobiblio/article1993.html)  je vous propose un extrait retraçant sa carrière.

Michel CROCI est né le 26 Juillet 1944 à Montmartin sur mer, dans la Manche. Le 4 Novembre 1963, titulaire du baccalauréat, il entre dans l’armée de l’air pour devenir pilote. Après la base école de Nîmes, le 3 Novembre 1965, il rejoint la base aérienne de Cognac pour suivre la phase de pilotage de base. Six mois plus tard, sélectionné pour la spécialisation chasse, il est affecté à l’école de chasse stationnée sur la base aérienne de TOURS où il poursuit sa formation sur T33 puis sur Mystère IV. Le 31 Janvier 1968, le sergent CROCI reçoit le macaron de pilote de chasse (brevet n° 40525). Le jeune breveté effectue son stage de transformation au sein de l’escadron 1/8 Saintonge à Cazaux, avant de choisir sa première affectation : la 11 ème Escadre de chasse à Toul Rosières.

Affecté à la première escadrille de l’escadron 3/11 « Corse », il est lâché sur F100, le 1er Juillet. Un an plus tard il obtient sa qualification de pilote opérationnel (PO), puis le 17 Aout 1970, son brevet de sous-chef de patrouille en poche, il est muté au groupement Ecole 315 sur la base de Cognac. A la fin de l’hiver 1970-1971, l’adjudant CROCI, suit le stage des officiers de réserve à Evreux. En Janvier 1973, il retrouve l’escadron 3/11 à Toul Rosières et obtient son brevet de chef de patrouille. En Septembre 1974, il se trouve à la tête de l’escadrille d’entrainement au vol sans visibilité  de la 11 ème Escadre. Le 25 Mai 1976, le lieutenant CROCI rejoint l’escadron de chasse 4/11 à Djibouti, pour occuper le poste d’adjoint au commandant d’escadrille. Le 9 Décembre 1978, il effectue son dernier vol sur F100, avion sur lequel il totalise 1 4245H45 de vol.

Toujours au 4/11, mais stationné sur la base de Bordeaux-Mérignac, le capitaine CROCI assure les fonctions de commandant de l’escadrille SPA 158, puis chef des opérations à partir du mois de Septembre 1982. Lors d’un détachement en Afrique, le 25 Janvier 1984, dans le cadre de l’opération MANTA, le capitaine CROCI trouve la mort en service aérien commandé. Le vendredi 3 Février, ses obsèques sont célébrées sur la base aérienne 106 de Bordeaux. La mention « Mort pour la France » est attribuée au capitaine CROCI par décision du ministre de la défense.

Ce même jour, il est cité à titre posthume, à l’ordre de l’armée aérienne.

« Officier aux qualités professionnelles, humaines et militaires exceptionnelles, pilote de chasse de très grande valeur, chef de patrouille particulièrement expérimenté totalisant 3860 heures de vol dont 1100 heures sur Jaguar. Sa personnalité, sa foi très profonde en la mission, son rayonnement et son dynamisme lui avaient permis de s’imposer très rapidement comme chef des opérations de l’escadron. Chef de détachement dans le cadre de l’opération Manta, il a fait le sacrifice suprême dans l’accomplissement de son devoir au cours d’une mission opérationnelle de reconnaissance au-dessus d’éléments hostiles le 25 Janvier 1984 à Torodum (République du Tchad).

 

Détachements en OPEX

Détachements en OPEX

J’avais déjà publié un article sur un détachement en OPEX du 3/11 à Rivolto ; aujourd’hui, je refais la même chose avec le 2/11 à N’Djamena pendant l’opération TACAUD.
Je vous mets quelques photos et vous pourrez en retrouver plus dans l’espace membre dans la page “Detam 2/11 en aout-sept 1979“.

Je pense que certains d’entre vous ont des photos qui me permettraient de publier d’autres pages/articles de ce genre ; plutôt que de les laisser au fond d’un tiroir, envoyez les moi et je suis certains qu’elles rappelleront de bons souvenirs.