Groupe III/6 : le Cheeze de CASSAIGNE

 

Si les héros du III/6 ont su, tout au long des années de guerre, faire briller leurs insignes dans tous les cieux de bataille, ils ont su aussi le faire au sol au cours de nombreuses épopées nocturnes dont nous vous relatons ici l’une des meilleures, extraite du Journal de Marche.

« Nos héros cette fois n’ont pas lutté à un contre cent dans le ciel, ils n’ont pas fait une hécatombe de pointus?  Ils ont fait mieux. Ce n’était pas en l’air, c’était au sol. Pas le jour mais la nuit.

Comme tous les grands événements la chose commença par un fait de minime importance : l’aspirant toubib s’en allait vers la civili­sation, la vie belle, les femmes et les états-majors, nous laissant, ce sans cœur, croupir dans notre coin perdu. Voilà la cause. Comment cette petite cause? …. mais n’anticipons pas.

Pour célébrer le départ du toubib et noyer le chagrin, le brigadier paya une fine générale ce qui eut pour effet d’échauffer un peu le climat, puis quelqu’un (qui au juste? nul ne saura jamais) dit : “Il faut faire du « CHEEZE ». Parole fatale.

C’est ainsi que fut décidée l’attaque à main armée de CASSAIGNE. Préparation rapide et efficace : la tour fournit le pistolet si­gnaleur et un lot de fusées vertes, rouges et jaunes. Les attaquants vont chercher leur pistolet à la maison. Pas de plan préconçu : inspiration et fantaisie sont de règle. On s’entasse dans ceux jeeps et à une allure qui frise le suicide, on se rue sur CASSAIGNE endormie.

Région de Cassaigen en Algérie
Région de Cassaigne en Algérie

Premier passage avec pétarades variées, faces ahuries dans tous les coins. Deuxième passage phares éteints, avec hurlements divers de panique, et décharge de fusées d’un effet artistique certain. Une des fusées astucieusement dirigée a failli mettre le feu à un camion dans un parc auto. Évidemment on ne peut pas tout réussir. Mais à part ce rôti regrettable, tout a très bien marché. Retour sur les chapeaux de roue. Un jeune lieutenant l’arme encore mal aguerrie, et qui manque un peu de service, fait quelques remarques déplacées lorsque le conducteur manque le précipice d’un cheveu : il tient à sa vie et le montre à chaque virage. Les autres fouettent, et sont de cœur avec lui, mais plus hypocrites ils affectent de trouver le voyage plaisant. A l’instant où il semble que les lois de l’équilibre soient sur le point de se renverser à notre profit, l’autre jeep corne pour nous dépasser et s’impatiente pour doubler dans le virage.

Arrivés dans LAPASSET: retour du pistolet signaleur à son usage normal. Mine attristée de 15 lurons qui trouvent que décidément, toute cette affaire est bien plate. Nouvelle idée qui part comme une « fusée » (encore des fusées) après CASSAIGNE, LAPASSET ? Adoption à l’unanimité. Il devient évident à tous que la sirène gardée jalousement par le dragon de discipline n’est là que pour servir à semer la panique dans LAPASSET endormie.

Le clocher de Lapasset
Le clocher de Lapasset

Exécution, on fauche la sirène à son propriétaire avec une dérisoire et désolante facilité. Un garçon bien allant la tourne à s’en péter les jointures, dans la jeep qui roule à toute allure dans LAPASSET. “Faces ahuries encore”, gens en chemise sur leur porte qui grelottent de froid ou de peur? et n’osent pas allumer. Pensez donc.

Puis tout se tait et la 2 ème escadrille rentre se coucher (prématurément il faut l’avouer).

Elle est bientôt réveillée par le bruit caractéristique d’une cloche qui sonne le glas funèbre à toute volée… l’affaire rebondit.

Deux individus douteux de la 1 ère Escadrille, jugeant que cette nuit n’avait pas apporté de distraction suffisamment substantielle, ont décidé secrètement de continuer cette petite plaisanterie innocente.

Ils réveillent donc le guet de la DAT (sis sur le clocher de Notre-Dame de LAPASSET), qui s’affole à l’idée qu’il avait pu manquer à son devoir, et sonne le glas à toute volée pour se rattraper. Le Sergent DAT en caleçon stimule de la voix et du geste le zèle de ses adjoints. Vous n’avez pas entendu l’alarme non? Espèce de c…? etc.. etc… Donc sonneries, fré­nétiques ;

Sur ce, notre aumônier s’éveille et vient apporter son précieux concours : il a indiqué à la DAT qu’il sonne la mauvaise cloche et lui montre le travail. Maintenant ce sont les deux glas qui sonnent à toute volée». Les deux individus douteux susnommés, ayant déclenché leur affaire, se désintéressent de ce glas, désormais en bonne main, pour concentrer toute leur énergie sur une nouvelle idée qui leur est venue. Ils vont au Central, et là, l’un deux saisit le téléphone, demande l’officier de service des “Biffins” de LAPASSET et dit “‘ici le Général Tartempion ». Envoyez d’urgence toutes vos forces disponibles sur PICARD.

Acte inexplicable. Geste aux conséquences incalculables et dramatiques qui allait déclencher d’insoupçonnables cascades de catastrophes « bien non Général » dit un quelconque imbécile au bout du fil, comptez sur nous”.

Et voilà l’avalanche qui s’ébranle. Alerte chez les “Biffins”, qui se préparent fiévreusement, et à 4 heures du matin, se ruent sur les camions en direction de PICARD ; détail combien savoureux, ils réveillent l’un des acteurs du “CHEEZE” qui s’était paisiblement endormi, la conscience en paix. Celui-ci les engueula copieusement et très sincèrement sur ce boucan inopportun et réellement déplacé, mais les “biffins” qui ont une haute concep­tion de leurs devoirs, et connaissent leur métier, alertent MOSTAGANEM et ORAN.

Bilan de cette belle journée :

1°) – Une division entière mise sur pied de guerre, et tenue toute une nuit sur ce pied (soit vingt mille hommes)

2°) – L’alarme et l’alerte fiévreuse sur de paisibles territoires

3°) – Un échange de lettres et de télégrammes qui ont tenu les postes sur les dents jusqu’à 6H du matin

4°) – Suivi  d’un échange de jeeps porteuses de personnalités marquantes qui viennent l’une après l’autre assiéger le Capitaine Commandant en second qui doit faire appel à toutes les ressources de sa diplomatie tortueuse, à tous ses trésors de mauvaise foi, pour démontrer que cette petite affaire ne mérite pas tout ce bruit et doit être classée au plus tôt.

5°) Arrêts de rigueur en nombre encore inconnu, demandés par le Général pour les têtes de l’émeute, le Général estimant que l’on ne mobilise pas 20 00 hommes pour se distraire.

6°) – Un canon de revolver gonflé à la suite d’un usage abusif, somme toute pour le prix, ce n’est pas cher. Quand on ne fait pas de l’aviation, on en fait des choses quand même, au III/6.”

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