Première partie de l’histoire des F100 français ; article paru dans AIR FAN, avec l’aimable autorisation de “Bibi”.
F 100 Français
L’épopée tricolore du North American F-100D “Super Sabre”, un avion de combat hors du commun qui fut le premier appareil de l’Armée de l’Air à être doté de l’arme atomique, à pouvoir pratiquer le ravitaillement en vol et à être capable du vol supersonique soutenu : trois particularités alors à l’avant-garde de la guerre moderne.
Le 12 décembre 1978, à plusieurs milliers de kilomètres de la France, étaient effectués les derniers vols opérationnels de chasseurs bombardiers North American F-100 Super Sabre dans l’Armée de l’Air. Réalisées par l’escadron de Chasse 4/1 1 “Jura”, détaché de la 11ème Escadre de Chasse de Toul Rosières en République de Djibouti, ces ultimes sorties sonnaient le glas de vingt ans de bons et loyaux services. Le Super Sabre entrait alors dans l’histoire des ailes françaises. De pilier opérationnel du 1er CATac, à ses débuts, jusqu’à sa mission finale de coopération armée outre-mer, le F-100 quittait la FATac la tête haute.
Lorsque le 1er Commandement Aérien Tactique (CATac) de l’Armée de l’Air est formé en juillet 1954, ses forces sont en totalité rassemblées dans l’est de la France et sur le sol de la République Fédérale d’Allemagne. En temps de guerre, son état-major et ses moyens sont destinés à être intégrés à la 4th Allied Tactical Air Force ou 4e ATAF de l’OTAN, seul commandement opérationnel interallié responsable de sa mise en œuvre et charnière du système de défense des pays du Pacte Atlantique en Centre Europe (AFCENT).
Le 1er Commandement Aérien Tactique, héritier du 1er Corps Aérien Français de 1945, est alors composé de sept escadres de chasse mettant en œuvre quelque dix-huit escadrons de chasse et de reconnaissance représentant, avec les réserves, presque cinq cents avions de combat ! L’état-major du 1er CATac est implanté sur la base de Lahr Hugsweier, en territoire allemand, à quelques dizaines de kilomètres de Strasbourg, de l’autre côté du Rhin. Les appareils qui composent ce “coin offensif” de l’Armée de l’Air ont pour noms : Republic F-84E/G Thunder jet et Dassault Ouragan, les seconds devant assurer la couverture des premiers, chasseurs-bombardiers tactiques type des forces aériennes des pays de l’OTAN largement éprouvés en Corée.
A partir de 1955, les Republic F-84E et G sont graduellement remplacés par les F-84F et RF-84F plus performants, tandis que les Mystère IVA succèdent aux Ouragan. Mais au milieu des années cinquante, également, l’ère du vol supersonique opérationnel vient d’être ouverte. C’est un nouvel avion, successeur du célèbre F-86 Sabre, de la Guerre de Corée, le F-100 Super Sabre, autre création de la firme North American, qui depuis quelques mois est devenu le premier avion produit en série capable de voler en palier à Mach 1. Les premières séries de F-100, les F-100A, donnent à I’U.S. Air Force son premier intercepteur supersonique de jour. Mais ce rôle n’est plus approprié au moment où les premiers chasseurs tout-temps supersoniques, les Convair F-102A, commencent à entrer en service dans l’Air Defense Command. Désireuse d’utiliser le F-100 dans la mission de chasse-bombardement, I’U.S. Air Force commande alors le F-100C, version du Super Sabre dotée d’un moteur plus puissant et optimisé pour l’attaque au sol. Exactement 476 F-100C seront construits et livrés à l’USAF.
Afin d’augmenter son potentiel d’attaque, cette même USAF décide, en 1956, de commander une nouvelle version du Super Sabre dérivée du F-IOOC. Ce nouvel avion, ravitaillable en vol et capable d’emporter une arme nucléaire ou thermonucléaire, est le F-100D. De toutes les versions du F-100, la version “D” sera la plus produite, 1274 exemplaires devant sortir des usines North American d’Inglewood (Californie) et de Columbus (Ohio). Sur ce total impressionnant, plusieurs centaines de F-100D cependant ne devaient pas être utilisées plus de quelques mois par l’USAF. En effet, à partir de 1958, dans le cadre du Military Assistance Program de l’OTAN, les Etats-Unis décident de relever le potentiel aérien de leurs alliés européens en leur fournissant, en remplacement d’une partie de leurs chasseurs-bombardiers Thunderjet et Thunderstreak subsoniques, des F-100D Super Sabre. Premiers récipiendaires de l’aide américaine, les Danske Flyvevaabnet danoises et l’Armée de l’Air reçoivent respectivement soixante et quatre-vingt-dix F-100D. Par la suite, la Türk Hava Kuvvetleri turque recevra également des Super Sabre, principalement en versions « D et F ». Le F-100F, est la version biplace du F-100D réservée à l’entraînement opérationnel mais également capable de missions de guerre. Ce modèle diffère par son fuselage rallongé de 0,91 m afin de permettre l’installation d’un second membre d’équipage en place arrière. Il perd cependant en capacité de carburant et il ne possède plus que deux des quatre canons Pontiac M39E de 20 mm présents sur le F-100D monoplace. Des F-100F seront livrés au Danemark et à la France en même temps que les F-100D : respectivement environ dix et quatorze. La plupart des North American F-100D et F qui vont être livrés à l’Armée de l’Air ont déjà effectué un certain nombre d’heures de vol au sein de I’U.S. Air Force. Avant leur transfert à la France, ils vont être révisés entièrement dans les ateliers de maintenance que la firme North American a installé à Barajas, près de Madrid en Espagne.
La “Onze”, première sur F100
La 11ème Escadre de Chasse de l’Armée de l’Air, qui stationne depuis le 12 juin 1953 sur la base aérienne de Luxeuil-St-Sauveur, est la première unité du 1er CATac à être désignée pour voler sur Super Sabre. Equipée, depuis 1956, avec des chasseurs bombardiers F-84F Thunderstreak, la 11ème Escadre assure à la fois la défense aérienne de la zone opérationnelle de la 1ère Région Aérienne et l’appui au sol des éléments de la 1ère Armée française stationnée par-delà le Rhin.
Fin 1957, les deux escadrons constitutifs de la 11ème Escadre, les Escadrons de Chasse 1/11 « Roussillon » et 2/11 « Vosges » (I’E.C. 3/11 « Jura » vient tout juste d’être dissous) se préparent à troquer leur vieux F-84F (dont certains ont participé à l’intervention de Suez d’octobre 1956) contre des F-100D tout neufs, à quelques éraflures près. A partir du 1er janvier 1958, un noyau de pilotes de I’E.C. 2/11 est dépêché aux Etats-Unis, sur ta base de Luke (Arizona), afin de se transformer sur F- 100. Peu après leur retour en France, le 1er mai 1958, en fin de matinée, apparaissent dans le ciel de Luxeuil les trois premiers F-100D pour l’Armée de l’Air, convoyés depuis Madrid par des pilotes américains. Quelques jours plus tard commence, pour les quelques rares privilégiés, l’entraînement sur cette nouvelle monture qui constitue, à cette date, l’avion de combat le plus puissant de l’Armée de l’Air. Ce faisant, les pilotes français découvrent vite les possibilités de la post-combustion (“la P.C”, en argot de pilote). Et ils s’en donnent à cœur joie. Cette innovation, encore récente à l’époque, leur apporte près de 60 % de puissance supplémentaire instantanée et leur permet ainsi d’intercepter, dans le ciel de l’est, tout ce qui passe à leur portée ! Il faudra attendre un an et demi pour voir la 11ème Escadre de Chasse atteindre le stade opérationnel sur F-100. Fin 1959, c’est chose faite.
La “Trois” en deux
Après la “Onze”, c’est au tour de la 3ème Escadre de Chasse de se voir attribuer des F-100D. Cette escadre, stationnée depuis le printemps de 1950 sur la base de Reims-Bétheny, été à l’origine la première de l’Armée de l’Air à percevoir des chasseurs bombardiers F-84E Thunderjet. La “Trois” est, en 1958, forte de deux escadrons : les E.C. 1/3 « Navarre » et 2/3 « Champagne » ; son troisième escadron traditionnel, I’E.C. 3/3 « Ardennes » a été dissous l’année précédente, au mois de novembre. Comme la 11ème Escadre de Luxeuil, la 3ème Escadre de Reims vole depuis 1956 sur F-84F Thunderstreak lorsqu’elle entame sa transformation sur F-100D Super Sabre à compter de septembre 1958. Comme pour la 11ème Escadre également, un important détachement des deux escadrons de la “Trois” a participé à l’intervention de Suez depuis la base britannique de RAF Akrotiri de Chypre.
Les premiers F-100D étiquetés pour l’escadre arrivent à Reims en janvier 1959 au terme d’un voyage sans escale au-dessus de l’Atlantique Nord réalisé par des pilotes américains ravitaillés, en cours de route, par des KC-97 du Strategic Air Command de l’USAF. Ils sont aussitôt attribués au 1/3 « Navarre ». Alors même que pilotes et mécaniciens de l’escadron se familiarisent avec le F- 100D, ils sont bientôt rejoints par un échelon précurseur du 2/3 « Champagne ». En effet, en attendant ses propres avions, le 2/3 a reçu l’ordre d’entamer sa « transfo » sur les appareils du 1/3. C’est seulement à la mi-juillet qu’il touchera ses avions en propre, avions qui font partie du dernier lot de base cédé à l’Armée de l’Air par l’USAF. Au début de l’année 1960, juste un peu plus d’un mois après la « Onze », la « Trois » est déclarée opérationnelle sur ses Super Sabre.
Dans la foulée, et pour ne pas perdre de temps, les deux escadres nouvellement équipées de F-100 se déplacent en escadrons constitués (un de chaque escadre) sur la base de Cazaux pour effectuer leur première campagne de tir officielle sur F-100. Menée de concert par I’E.C. 1/11 « Roussillon », avec treize avions, et I’E.C. 2/3 « Champagne », avec onze appareils, cette campagne se traduit rapidement par un très grand nombre de sorties opérationnelles. Pour donner une idée de l’activité déployée pendant cette campagne inaugurale sur F-100, citons seulement quelques chiffres pour les mois de mars et avril 1960 : 937 sorties aériennes, 681 heures de vol enregistrées, 611 tirs canons effectués pour 44 907 obus tirés en passes air-air, 164 tirs canons pour 13 054 obus en tir air-sol sans oublier 432 roquettes, 18 bidons de napalm et 10 bombes US MK 25 largués. Pour l’Armée de l’Air, ce premier contact avec les réalités opérationnelles commence bien. Confiante, elle aborde une nouvelle décennie avec un chasseur bombardier américain de loin supérieur à tout ce qui se fait de l’autre côté du « Rideau de Fer » à cette époque.
(à suivre) Patrick BIGEL
Ci-contre, dans le ciel d’Allemagne, au début des années soixante, deux F-100D de l’E.C. 2/3 « Champagne ». Le 54-2128 au premier plan est le « 3-JA » et le 54- 2166, au fond, le « 3-JH ». Ces deux avions volèrent sans incident durant seize ans avant d’être rendus aux Américains.
Ci-dessous, décollage de Lohr. “P.C.” allumée. en 1964, une mission de bombardement d’exercice.
La panoplie d’armement du F-100D présentée en 1961 à Luxeuil. On distingue un F-84F de la 1ère Escadre à l’arrière-plan.
Image de titre : en avril 1978, à quelques mois seulement du retrait définitif des deniers North American F 100 Super Sabre de l’armée de l’Air et virtuellement au terme de vingt ans de service. un F-100D (USAF serial 54-2154) de l’Escadron de Chasse 4/11 « Jura » basé en République de Djibouti, survole les étendues arides du Ghoubet el Kharob. Dernier avion de combat américain à voler sous couleurs françaises, sa carrière s’est déjà achevée en Métropole où un autre chasseur-bombardier, le Jaguar franco-britannique, le remplace déjà dans les trois autres escadrons de I’Escadre de Chasse de Toul Rosières.
Ci-dessus : un air nul autre pareil ! un F-100D de l’E.C. 2/11 « Vosges » dévoile son impressionnante entrée d’air tandis que des armuriers arriment une bombe de 500 lb sur le pylône intérieur droit.
En bas le début des F- 100 dans l’Armée de l’Air. Fin 1958, sur le parking de la base de Luxeuil, les Super Sabre de la 11ème Escadre (la première à recevoir cet avion dans le cadre de l’OTAN) font connaissance avec les frimas de l’Est. Aucun insigne ou marque d’unité n’est encore visible sur le fuselage des avions récemment transférés de I’lJSAF à l’Armée de l’Air et c’est peine si l’on distingue les restes de l’inscription “U.S. Air Force” effacée des flancs très brillants des avions.
Ci-contre, un North American F-100D Super Sabre de l’Armée l’Air dans la livrée des débuts. Les avions ne reçurent pas leurs indicatifs et insignes d’escadrons tout de suite. Le F-100D-15-NA illustré ici en 1959, alors qu’il était en service à l’EC 1 /3, porte toujours son « buzz-number” d’origine : “M-247”. Il deviendra, par la suite, le « 3-10 ».
Au centre, le F-100F-15NA 56-4014″ vu peu après son arrivée à la 3ème à l’Escadre de Reims à la fin de 1958. Il volera par la suite à la 11EC avant d’être rendu aux Américains en 1977.
Ci-dessous, moins chanceux sera le F100-15-NA 56-4013 « FW-013 » photographié détruit en janvier de 1959 à son arrivée à la « Trois ». Il sera détruit moins de sept mois plus tard.
Ci-dessous, les F-100 de la 11ème Escadre sur leur parking de Luxeuil en 1960, perches Pitot au garde-à-vous. Les « buzz number » américains d’origine ont disparu et les premiers insignes d’escadrons ont fait leur apparition ; ici, le “Masque de comédie” de la 1ère Escadrille de I’EC 1/11 « Roussillon ».
Au sein de la 11ème Escadre de Chasse, les North American F – 100 Super Sabre servirent jusqu’au bout de 1958 à 1978. d’un escadron à un autre comme le montre ces les photos de ces deux pages qui illustrent deux Super Sabre, les F 100D 5-NA numéros USAF 54-2148 et 54-2138 à deux périodes distinctes de leur affectation de cette escadre.
Vu à Toul en juin 1972 le « 148 » aux couleurs de I’E.C 1/11 « Roussillon », l’avion porte indicatif « 11-EM » et l’insigne de la 2ème escadrille sur la dérive.
Vu à Toul en juin 1972, le « 138 » porte les marques de l’E.C.3/11 « Corse » avec l’insigne de la 1ère escadrille peint sur la dérive. On note sur cette vue les réservoirs supplémentaires de 335 gallons US (dits “grosses bananes ») utilisés surtout par le « Corse » pour ses. déploiements tactiques grandes distance avec ravitaillement en vol.
Le même appareil (148) vu en avril 1975 armé de deux bombes freinées de 500 lb US. Lors d’une campagne de tir à Cazaux. Cette fois-ci, l’avion est camouflé et porte les marques de l’E.C. 2/11 « Vosges ». On note l’absence d’insigne d’escadrille sur la dérive, insigne qui apparait cependant sur la manche de la combinaison du pilote (SPA 91). L’indicatif « 11-MK » et Ie sérial” sont de taille nettement plus réduite.
On retrouve le « 138 » revêtu d’un camouflage sur le parking de la BA188 de Djibouti en mai 1976 avec cette fois-ci les marques et couleurs de l’E.C. 4/11 « Jura ». L’insigne de la 1ère escadrille est visible, en petits sur la dérive.
Remerciements : une fois n’est pas coutume, l’auteur tient à remercier dès maintenant les personnes qui l’ont aidé dans la réalisation de cette étude, tant par leur assistance technique que par leurs photos. En premier lieu, un très grand merci à Jean-Michel Guhl auquel l’on doit la forme de cet article et nombre d’illustrations, à Alain Crosnier, à Michel Cristescu, à Michel Fournier et à Thierry Cuq. Un grand merci également au Capitaine Croci, un vétéran des F-100, au Capitane Léonard de I’E.T. 3/60 et au Lieutenant Deltrieu, OSV 11 E.C. Merci, enfin, à Bernard Régnier pour nous avoir permis de publier certaines de ses photos et au Lt. Col Chenel sans lequel nous aurions eu quelques difficultés d’identification relatives de la vie des Super Sabre français et à leurs immatriculations successives au cours de leur carrière.
J’ai vu voler plus d’une fois cette avion mon père était au PC1 de la Base 136 de Toul Rosières et j’allais souvent avec lui à la base le jeudi une autre époque où j’ai eu des baptêmes sur Nord Atlas Transall et Morgane que de souvenirs merci pour ce texte et images
Bonjour,
J’ai eu l’honneur d’être mécano de piste au 1/11à Bremgarten en 1963 et 1964 sur ce super et superbe avion le F-100.
Que de bons souvenirs.