Cet article est tiré de la revue “Aviation Magazine” et date du début de l’année 1975, soit près de 2 ans après la première mise en service du JAGUAR au sein de la 7° Escadre de Saint Dizier. Pour ceux qui ont connu cette époque je vous laisse apprécier les commentaires sur cet avion qui dans les 25 années à suivre allait devenir mythique.
Les débuts du ” Jaguar” dans l’armée de l’Air
C’est à la fin du mois de mai 1973 que les premiers « Jaguar » sont arrivés en unité. Aujourd’hui les appareils livrés à la 7e escadre de chasse stationnée à Saint-Dizier ont accumulé plus de 6 000 heures de vol. La dotation de l’escadre sera complétée dans les premières semaines de 1975. Un premier bilan peut être dressé.
A quelque niveau que l’on pose la question, la réponse est toujours la même : « l’armée de l’Air est satisfaite du « Jaguar » ». Cette satisfaction venant après tant de polémiques lors du développement du programme mérite qu’on s’y arrête un peu.
Où en est-on des livraisons ? La cadence de livraison à l’armée de l’Air est de 2,5 avions par mois. Ce rythme facilement compatible avec les capacités d’absorption des unités, permettra d’équiper complètement le premier escadron de la 11ème Escadre de Chasse basée à Toul actuellement dotée de F-100 avant la fin 1975. Au total la commande française notifiée s’élève pour l’instant à 170 avions avec une livraison étalée jusqu’au début 1979.
Ces chiffres sont à comparer avec les commandes britanniques et les livraisons à la RAF: total des commandes 202 unités, cadence actuelle de livraison, environ 5,5 avions par mois, dernier appareil à livrer en novembre 1977. Ce rythme très élevé ne va pas sans poser des problèmes de mise en route.
Après plus de dix-sept mois de mise en service, où en est-on du défrichage du domaine d’emploi opérationnel ?
En unité, à Saint-Dizier, la majorité des vols s’effectuent en configuration lisse, certains ont cependant lieu avec bidons. Dans quelques jours ou au pire dans un petit nombre de semaines, deux nouvelles configurations avec charges extérieures pourront être utilisées : l’une avec bombes de 400 kg, l’autre avec roquettes. Ces deux configurations n’ont pas amené de problème particulier.
Restent à délivrer les configurations suivantes
– bombes de 250 et 125 kg (pour lesquelles les essais sont à mi-course à Istres sur le A-04) et bombes d’entraînement ;
– engins anti-radar « Martel » (essais en cours à Istres également) ;
– lance-roquettes F-1,
– réservoirs spéciaux de napalm, conteneurs de contre-mesures électroniques ;
– nacelle de ravitaillement en vol ;
– configurations diverses : remorquage de cibles, panneaux, etc.
A noter que les essais d’emport d’engins air-air à courte portée « Magic » ont commencé, mais le domaine de tir n’a pas encore été étudié.
A la fin du premier semestre 1975, l’ensemble des configurations avec armement classique sera autorisé pour la 7ème Escadre.
Les essais avec charge ventrale accomplis jusqu’ici se sont déroulés sans problème majeur, ils ont montré l’efficacité des amortisseurs montés sur les trois axes.
Les équipements de navigation qui ont toujours donné satisfaction se révèlent au fil des vols d’une grande qualité, et affichent des performances légèrement supérieures aux spécifications. Ils méritent selon les utilisateurs la mention « très bien ».
La manœuvrabilité à basse altitude même avec un chargement de bombes de 400 kg — reste l’atout essentiel de l’avion. A basse vitesse, les dispositifs hypersustentateurs sont tels qu’ils permettent un pilotage facile en approche, avec atterrissage sans arrondi. Le taux d’accident — d’incident en fait — est très faible, il a été l’an passé le meilleur de toute la Force aérienne tactique. D’autre part la formule bimoteur s’est révélée payante à plusieurs reprises, les pilotes ayant réduit volontairement l’un des moteurs dont le fonctionnement se révélait défectueux en cours de vol.
La maintenance en piste n’a pas jusqu’ici soulevé de difficultés, l’effort fait au stade de la conception, pour la faciliter a porté ses fruits. La doctrine de maintenance aux autres échelons est en cours de définition.
Les points critiques, ou plutôt critiqués, de l’avion ne posent finalement aucun problème. La longévité du compresseur des réacteurs « Adour » théoriquement de 300 heures dans un premier temps doit passer progressivement au double. La stabilité en toute configuration est bonne grâce aux amortisseurs auto stables. La consommation élevée de la post-combustion à basse altitude n’est pas de l’avis des utilisateurs un lourd handicap, la manœuvrabilité dans la plage des vitesses moyennes constituant la meilleure défense. La complexité de l’appareil est compensée par la fiabilité du matériel et ta facilité de maintenance.
Tel qu’il est, le « Jaguar » donne incontestablement satisfaction à ceux qui l’utilisent en France, est-ce à dire que l’avion et son système sont figés ? Bien que présentant un intérêt dans l’absolu, le rétrofit des avions avec le réacteur « Adour » 26 qui doit équiper la version exportation —- n’est pas envisagé, bien qu’il ne soit pas non plus totalement exclu. L’opération serait d’autant plus délicate que la presque totalité des moteurs a été livrée.
La RAF s’intéresse à L’utilisation des becs de combat dans une plage de vitesse aussi grande que possible pour bénéficier le plus largement des qualités manœuvrières de l’avion.
L’armée de l’Air, qui a déjà réalisé, tant avec la version monoplace que la version biplace, des essais de ravitaillement en vol derrière C-135F, va étudier les possibilités offertes par le ravitaillement de l’avion par un autre « Jaguar » équipé d’une nacelle de ravitaillement.
Mais c’est certainement au niveau du système d’armes que les améliorations les plus spectaculaires pourraient être apportées. Sans qu’aucune décision n’ait été prise, il est question d’illuminateur laser et des armements associés pour les missions d’attaque au sol, cependant que pour les missions nucléaires essentiellement, est en cours de développement une série de matériels de contre-mesures électroniques qui devrait équiper les avions avant la fin de la décennie.
Ce bilan un peu idyllique sera remis en question avec l’arrivée du JAGUAR à la 11ème Escadre de Toul ; c’est une autre histoire que je raconterai plus tard, mais pour en donner un avant-gout, je joins ce dessin de CARRASCO tiré du cahier de marche de l’ETIS qui accueillait un premier groupe de pilotes du 1/11. Je pense que celui qui est représenté est facilement reconnaissable.