Ma première mission réelle Lamantin

 

Il y a exactement 41 ans, le 2 Décembre 1977, les Jaguar de la 11EC ouvraient le feu sur une colonne du Polisario, une première depuis la guerre d’Agérie. René raconte :

Comme ma première mission réelle « Lamantin » fut aussi la toute première, il me semble utile de rappeler comment tout cela a commencé.

Cela faisait un moment qu’il y avait une belle agitation en France à cause de ce qui se passait en Mauritanie ; les alertes se succédaient, sans suite, et fin Novembre 1977, je me retrouve à Istres prêt à partir pour l’Afrique, une fois de plus. Sauf que cette fois fut la bonne et le 23 Novembre, on nous annonce que l’équipe d’alerte fait mouvement sur Dakar. Bonne nouvelle, mais je suis surtout inquiet pour le convoyage que je vais faire en N°2 ; pour ce genre de mission, on sort des sentiers battus et le ravitaillement n’étant jamais une partie de plaisir, j’espère que malgré ma petite expérience (une seule mission en monoplace) cela va bien se passer. J’ai eu raison de m’inquiéter car au moment de ravitailler, on rentre dans une zone de turbulence et le panier du C135 se met à bouger dans tous les sens ! Grosse séance de sport à affronter un panier remuant qui se termine bien à mon grand soulagement (et aussi des autres participants).

A l’arrivée à Dakar, c’est le dépaysement complet ; c’est l’Afrique et il fait bon contrairement au climat lorrain que nous venons de quitter. A ce moment, entre la mission qui ne fut pas de tout repos, les nouvelles conditions de vie, je suis loin d’imaginer que je suis susceptible d’intervenir réellement comme cela va se produire quelques jours plus tard. A Dakar on retrouve des collègues de retour d’un périple en Côte d’Ivoire, ce qui n’est pas sans poser de problème. « Les touristes » flairant le bon coup font le forcing pour prendre notre place et nous renvoyer en France. En tant que simple exécutant je regarde en spectateur et attend impatiemment le résultat de l’explication de gravure entre chefs. La décision tombe : « les touristes » rentrent retrouver les brumes de l’Est.

Le lendemain, le soufflé est retombé et on entame une période de prise d’alerte et d’activité normale sur le DA (détachement Air) de Dakar où on est les bienvenus, malgré le sentiment de bousculer les petites habitudes des personnels du DA.

Et puis le 2 Décembre dans la journée, nous décollons sur alerte ; je suis N°2 de la patrouille et malgré l’enjeu potentiel, je suis plus préoccupé par bien faire mon boulot d’équipier (tenue de place, aide au leader et éventuellement appui des feux) que par la finalité et les risques encourus. Arrivés sur zone et aidés par l’Atlantique nous acquérons le visuel d’une colonne de véhicules. Le « Bingo vert » (autorisation de tir) se fait attendre mais finit par arriver, et mon premier réflexe est de vérifier que l’armement est bien sur « ON ». Pas le temps d’avoir d’état d’âme ou de penser à autre chose ; le leader est parti pour exécuter une passe de tir ;

« Ne pas le perdre de vue, assurer l’espacement, conserver le visuel de l’objectif, prendre les paramètres de tir ».

En résumé refaire maintes fois les manœuvres réalisées à l’entrainement, sauf que cette fois c’est du réel… et que les conditions ne sont pas les mêmes. On déboule de 15 000 ft, alors que sur les champs de tir de Suippes ou d’Epagny, c’est 1500 ft ; dix fois plus haut, ce qui se traduit par une vitesse largement au-dessus des 450 kts habituels. J’ai la sensation de subir les évènements, ce qui est vrai et ce qui a pour conséquence de me faire tirer long et de manquer le véhicule que je voulais tirer.

« Dégager, retrouver le leader, rassembler et repartir pour une nouvelle passe ».

Une fois la situation rétablie, je repense à ce qui vient de passer et je suis partagé ; je suis excité et heureux car je viens de réaliser ce pour quoi je me suis entraîné pendant toutes ces années, c’est-à-dire délivrer de l’armement sur un objectif réel. Mais j’ai aussi le désagréable sentiment d’avoir « merdé ». Je n’ai qu’une envie : y retourner. Malheureusement je n’en aurai pas l’occasion car le contre ordre arrive sous la forme d’une interdiction de tir. Frustration sur le moment mais qui passera par la suite car j’ai eu à intervenir réellement de nouveau les jours suivant. 

Lors du retour de la mission, c’est quand même le sentiment du devoir accompli qui domine, mais je pense aussi aux causes qui m’ont fait manquer l’objectif ; on en parlera longuement entre nous. Lors de ce « débriefing », j’ai pu constater que d’autres, pour les mêmes raisons avaient été surpris par ces conditions de tir inhabituelles et avaient la même « réussite » que moi.

En fait on a vérifié le vieil adage qui dit « you fight as you train » ; je n’avais jamais réalisé auparavant une passe de tir canons à partir de 15 000 ft et je n’ai pas pu maîtriser tous les paramètres (et je ne fus pas le seul) qui conditionnent la réussite d’un tir. Certains ont réussi, mais on était tous d’accord pour dire que nous n’étions pas entraînés face à ce cas de figure.

C’est le principal enseignement que j’ai retenu de cette mission et lorsque j’en parle aujourd’hui c’est ce qui me vient immédiatement à l’esprit. On m’a aussi demandé si j’avais eu des états d’âme de tirer sur des véhicules dans lesquels se trouvaient des personnels. La réponse est simple ; on ne voit que le véhicule sur lequel on tire, car c’est l’objectif. Pour ce qui est des conséquences sur les personnels au sol quand on a vu sur les films ramenés par les avions, que ceux d’en bas nous tiraient dessus et cherchaient à nous abattre, on conclut rapidement que dans ce combat « c’est eux ou nous ».

René Le Gall 

Un véhicule Mercedes du Polisario
Un véhicule Mercedes du Polisario

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