Le malheureux destin du SIEBEL N°84
Daniel HARTMANN : 2 ème escadrille du 1/11, de novembre 1953 à octobre 1960
Le 19 août 1956, eut lieu, un meeting national de l’air. La 11e escadre de chasse, qui était chez elle, y participa activement.
La prestation du 1/11, avec un défilé à 16 avions suivis d’un simulacre d’attaque de la piste fut très remarquée. Les normes de sécurité de l’époque n’étaient pas aussi strictes qu’aujourd’hui, mais elles furent quand même allègrement dépassées, il existe de très belles photos de passage de F84F ventres à terre et plein pot sur la piste.
Jetais à l’époque interdit de siège éjectable, et voici pourquoi.
Une semaine avant, je reçus l’ordre d’aller chercher à ROCROI, le générale Gardes, directeur des meetings nationaux. Le 12 août avait eu lieu un meeting à Charleville-Mézières, mais à la piste en herbe détrempée et un peu courte de ce terrain, on préférera une piste NATO en construction à 25 km de là. La piste de Rocroi était utilisable, mais les bretelles et autres « taxyway » étaient en chantier.
Pas de contrôle, pas de météo, un caporal et six hommes pour le gardiennage. Le sergent Potron, mécano à l’escadrille de liaison, avait préparé le Siebel NC701 numéro 84. Le moteur tournait, il n’y avait plus qu’à aller.
Voyage aller sans histoire, verticale Rocroi, je cherche une aire à signaux, une biroute… rien. Je choisis donc la piste pour laquelle j’étais vent arrière. C’était très turbulent, et en étape de base, je me suis vite rendu compte que ce n’était pas le bon QFU. Donc remise de gaz, positionnement vent arrière pour l’autre QFU. Là nous nous apercevons la fumée d’un feu allumé par les gars d’en bas pour nous indiquer la direction du vent. La fumée courait au ras du sol à 90° de la piste, face à ma nouvelle étape de base.
Informé du vent, j’ai fait un atterrissage tout juste maîtrisé, du genre « posé pas cassé».
Accueil sympa des « bidasses » qui n’avaient pas de nouvelles de nos passagers. Moi, je n’étais pas trop pressé de tenter ma chance au décollage, et je voyais bien que Potron n’était pas trop inquiet aussi. Comme personne ne s’annonçait et que le temps passait, j’espérais que le général avait conscience de la difficulté, et qu’il attendrait que le vent se calme.
C’est alors qu’un véritable cortège de voitures est arrivé. Outre le général et ses trois secrétaires en uniforme, il y avait le préfet et toute une suite de notables, Léon Biancoto (champion du monde de voltige de l’époque) et Lucienne son épouse (que j’ai eu l’occasion de revoir plus de 30 ans après) que sais-je encore ?
Moi, petit sergent pilote, impressionné par tout cet aréopage, lorsque le général m’a tapé dans le dos en me disant « alors, on n’y va mon p’tit gars ? » Et bien j’y suis allé !
J’ai pourtant débuté ma carrière sur des avions à train classique, comme le Stampe ou le T6, j’étais lâché et pilotais régulièrement le Nord 1002, pas facile par vent de travers avec son train très étroit… Mais j’ai tout oublié en poussant les manettes !
L’avion est tout de suite partie à gauche dans le vent, j’ai immédiatement contré au moteur, le pied et le manche étant déjà en butée. Alors qu’il allait sortir de la piste à gauche, l’avion s’est ravisé est parti du côté droit, moteur gauche en surpuissance! Ce que voyant, je poussai le moteur droit à fond, et tirait sur le manche pour décoller avant de sortir de la piste à droite ! Mais nous étions loin du compte au point de vue badin.
À droite, il y avait une bretelle en construction, des fossés, des buses, des tas de terre, etc.… et c’est là que nous avons quitté la piste ! En plein dérapage sur la droite, les trains ont été fauchés, le moteur droit et son bâtis ont fait 30° vers la gauche, l’hélice entamant le cockpit 10 cm devant les genoux du mécano !
Le sergent Potron avait tout coupé, y compris les robinets coupe-feu, éjecté les sorties de secours au plafond du poste de pilotage, tout le monde descend !
Le général qui avait omis de boucler sa ceinture, avait un bras cassé. Deux de ses collaboratrices étaient légèrement blessées, la troisième, assise dos à la route était indemne. Potron avait une légère blessure au front, et moi, gravement blessé dans mon amour-propre. « Quand un décollage est mal partit, on insiste pas » me dit mon général en se tenant le bras.
Le soir, un Siebel piloté par le capitaine Moine, commandant de l’escadrille de liaison, est venu nous chercher. J’ai particulièrement apprécié qu’il m’installe à gauche pour le voyage retour (la place du commandant de bord), et en plus pendant le décollage, il se retourne ostensiblement sur son siège vers l’arrière, pour discuter avec les passagers. Il avait bien entendu « les antennes toutes dehors » et le vent s’était un peu calmé, mais j’avais vraiment besoin d’une telle marque de confiance à ce moment-là, et lui en suis reconnaissant encore aujourd’hui.
De retour à l’escadron je me suis fait charrier, mais j’ai été très soutenu par ma hiérarchie, ça non plus, je ne l’ai pas oublié.
En conclusion : ce sera 10 points négatifs et une incapacité au siège éjectable de deux mois, suite à un tassement de vertèbres. Pendant ces deux mois, j’étais « scotché » sur le siège pilote des « Siebel » et « Nord 1002 » de la liaison.
On a raconté par la suite, que dans le cadre de l’enquête, en l’absence de données météo, l’une des collaboratrices du général ayant déclaré avoir perdu son calot du fait du fort vent alors qu’elle se rendait à l’avion, elle serait passée en soufflerie à Chalet-Meudon, pour déterminer la vitesse du vent à laquelle elle perdait son calot.
C’est évidemment probablement faux, mais moi, ça me plaît c’est comme cela que je termine mon histoire lorsque je la raconte je la raconte souvent.
La camaraderie par delà les grades est tout a l honneur de l armée en ces heures de gloire et de souffrances . Le Siebel a une petite allure germanique et ses blocs moteurs annoncent le Flamand de AMD ? Bons vents pour la suite , et si plein travers , des gaz très progressifs avant vmcg !