On a failli perdre MANTA AIR
L’opération « MANTA » a été déclenchée en Aout 1983 et en novembre, je me retrouve chef du détachement JAGUAR à N’Djamena.
Comme bien souvent à cette époque, la mise en place s’est effectuée de manière chaotique et l’installation sur la base aérienne des forces Françaises et Zaïroises qui comprenaient notamment quelques Mirage 5 s’est faite dans la précipitation.
Le chef des commandants fusiliers de l’Air était le capitaine JEAN, un ancien artificier de l’Armée de Terre. Nos rapports étaient excellents et lors d’une de nos discussions, il m’avait fait part de l’une de ses craintes « Tu vois dans ce bâtiment-là, l’ancien MVC de la base, il y a 25 tonnes de munitions appartenant à l’Armée Tchadienne qui sont stockées en vrac. Et ce n’est pas tout car il y en a autant de l’armée Zaïroise dans un des hangars qui jouxte celui des JAGUAR à l’aéroport militaire. Si ça saute, ça va faire un beau feu d’artifice et pour avoir vu un dépôt de munition sauter au Liban il y en a pour plusieurs jours avant que ça s’arrête. Et puis et surtout, je pense qu’il ne restera pas grand-chose des bâtiments, des Jaguar, F1C, Transall,… ».
Je lui demande s’il a prévenu le COMELEF et il me répond que oui, mais qu’à l’évidence, ça ne fait pas partie de ses préoccupations immédiates. Il m’amène dans l’ancien MVC et commence à me faire l’inventaire ; des obus de tout calibre, des mines anti-char empilées en équilibre instable, des roquettes… Effectivement il faudrait quand même faire quelque chose.
Au milieu du détam, un matin, je suis au camp Dubut de l’Armée de terre dans la salle d’OPS en train de discuter avec le COMAIR.
L’officier de permanence, capitaine de l’armée de terre repose le téléphone et s’adresse au sous-officier présent :
« Allez me chercher le général de toute urgence »
« Joli thorax » tel était son surnom arrive peu de temps après.
« Mon général, il y a un bâtiment qui brûle sur la base aérienne »
« Je m’en fous » répondit-il (sic)
« Oui, mais dans le bâtiment il y a 25 tonnes de munitions, mon général »
« Envoyez les pompiers immédiatement »
« Mon général, il y a des munitions à l’intérieur qui vont exploser»
« Qu’ils se sacrifient ! » (sic)
Entre temps, j’avais briefé le COMAIR sur le danger que représentait cet incendie, et il m’avait demandé de remonter sur la base et disperser les moyens afin de limiter la casse.
Investi de cette mission je fouettais les 40 CV de la 4L tout en réfléchissant à ce que j’allais bien pouvoir faire en arrivant là-haut. Et là-haut, je découvre devant l’ancien MVC un attroupement d’une centaine de personnes ; en matière de dispersion, ça commençait assez mal. Je descends de voiture pour aller voir les mécanos Jaguar et F1 présents et leur demander d’évacuer la zone, quand soudain je vois le capitaine JEAN.
« Ne t’énerves pas, c’est fini » me dit-il.
« Il s’est passé quoi ? »
« Je passais devant le bâtiment, quand tout d’un coup, il y a eu une détonation provenant de l’intérieur. Mon premier réflexe a été d’aller me planquer sachant que tout allait péter. Mais j’ai eu une hésitation et pendant ce temps-là, un coopérant qui travaillait dans un Algéco juste à côté est sorti pour voir d’où provenait le bruit. Et là, je me suis dit qu’il fallait y aller. On ouvre la porte du hangar complètement enfumé quand tout d’un coup retentit une deuxième détonation. Par réflexe je baisse la tête et dans l’obscurité on distingue des caisses en train de brûler ; plus précisément, c’est le conditionnement qui était constitué de sorte de copeaux de bois qui se consumait. A nous deux, on en sort 3 ou 4 et à notre grand soulagement la fumée se dissipe. »
« En fait, ce sont des électriciens locaux qui sont intervenus sur la boite électrique du bâtiment. En faisant une mauvaise manip, ils ont provoqué un court-circuit au niveau des fils qui ont généré des étincelles qui elles-mêmes sont tombées dans les caisses d’obus ouvertes. Le conditionnement a commencé à se consumer et sous l’effet de la chaleur, les obus ont dépoté. On a sorti les caisses qui brûlaient et ça a suffit ».
Si vous connaissez la base, l’ancien MVC est le bâtiment qui est situé au bout du chemin qui va du LC0 vers les OPS. Au bout du chemin après avoir passé le petit pont, vous êtes obligé de tourner à droite ou à gauche ; le MVC est le bâtiment juste en face. Si vous allez sur le côté droit, vous pourrez voir (à moins qu’on l’ait repeint, ce qui est peu probable) deux trous d’environ 20 cm de diamètre, distant d’un mètre et à 50 cm de hauteur et qui ont été rebouchés : ce sont les traces des 2 obus qui ont dépoté… J’avoue que j’ai oublié les détails : quel type d’obus, est ce qu’il y avait la charge et si oui où sont-elles allées,…
Le capitaine JEAN fut bien évidemment récompensé, mais de l’avis général ce fut petit bras malgré la bravoure dont il a fait preuve et l’ampleur de la catastrophe évitée. Et ceci explique peut-être cela : une récompense importance était quelque part une preuve du constat d’échec des responsables qui n’avaient pas voulu traiter le problème en amont. Et puis il faut dire aussi que JEAN avait une forte personnalité qui parfois dérangeait. Il ne s’embarrassait pas toujours de détails comme le soir où, dans le hangar qui est juste à côté de la salle d’OPS et qui servait de bar, n’arrivant pas à se faire entendre, il sortit son revolver et tira 3 coups en l’air. Il fit trois trous bien alignés et distant de quelques centimètres. Là aussi je pense que les trous doivent encore exister…
PS : compte tenu de l’importance des opérations en cours, le paysage sur la base a beaucoup changé. J’ai demandé à un collègue qui effectuait une mission à N’Djamena de me faire quelques photos du MVC. Il reste bien un bâtiment, mais ce dernier a été entièrement refait et pour ce qui est du hangar, il est actuellement occupé par les forces Tchadiennes et impossible d’accès. Dommage pour les photos preuves….
Bonjour,
j’ai vécu ces moments.
Affecté à l’OSO, ce qui m’intrigua le plus, outre le bruit des détonations, c’est le comportement des Tchadiens…… Ils couraient, et très, très vite; cela n’était pas du tout leur ordinaire.
Par la suite, ils nous a été “rapporté” que sur le sol, se trouvait de la poudre à cartouche mélangée avec d’autres détritus, et que le court-circuit l’avait enflammée. Alors, “légende urbaine” ou non, d’autres ont dit que, parmi les caisses sorties par le Capitaine Jean (pour nous il était issu des Bérets rouges et avait rejoint l’A.A) et le coopérant, il y avait des obus neurotoxiques……….
A titre de récompense – je crois côté Tchadien – il lui avait été offert un fusil M-16. Sa demande (de l’ordre ministérielle) pour le ramener en France lui fut refusée.
Ce qui n’est pas évoqué, à moins que ma mémoire défaille, il y avait aussi ces énormes réservoirs souples de kéro à proximité des Transall.
Oui, effectivement ce jour là, Manta a failli tourner court.
Quant à la personnalité de “Joli thorax”, je la résume par une anecdote vécue. A l’OSO, il y avait après le bar, une petite salle qui était réservée pour les repas des “hautes autorités”, lors de la fin d’un repas, “Joli thorax” brandit son bras avec un billet de 500 francs, (un Pascal), pour offrir des cigares à ses invités, dans un geste condescendant.
Ce qu’il me reste de Manta, d’une part la frustration (1) de ne pas disposer de nos avions, nous étions les chauffeurs des Terriens, nous avons payé au prix fort les erreurs de l’Intendance, qui, sur chaque article nous surfacturait – on appelait cela : le Taux de marque – pour combler le déficit de ses comptes; et d’autre part la satisfaction, avec les équipages de DC8 et les gérants de Villa, d’avoir mis en place un système de commandes et de livraisons parallèles, grâce à l’Adc Goulven Cochard qui était le gérant de l’OSO. Ainsi, quant le B4 venait dépoter les soutes, nous faisions toujours les étonnés à la découverte des nombreux colis qui nous étaient adressés, mettant en avant la solidarité entre Aviateurs.
C’est ainsi que le matin de Noël, nous avons pu déguster des huîtres avec du muscadet, envoyés par les collègues de Villa, grâce au cdb d’un DC8.
Ainsi, chaque midi et soir nous mangions en plein air sous le soleil quelques fois brûlant, nous pouvions améliorer l’ordinaire des Aviateurs, avec de la charcuterie fraiche (sous vide) et surtout du fromage…..
Par contre, nous avions un COMAIR, très proche de nous : le Colonel Le Patézour (GDA qui vient de nous quitter en août dernier à 77 ans), tapant la pétanque avec nous jusqu’à 2 heures du matin.
Devant recevoir l’Ambassadeur de France, il nous avait demandé de lui concocter un repas “très classe”. Le clou en fut du “capitaine à la tahitienne”, dès la réception terminée, il déboula à l’OSO, nous offrit le champagne qu’il sabla en notre compagnie.
Il faut se rappeler qu’à l’époque, il n’y avait pas de structures administratives formelles, et c’était plutôt une autodiscipline de chacun qui donnait ce bel esprit qui régnait. Au réveillon de Noël 1983, nous nous passions munitions et armement au milieu du repas pour aller relever nos camarades de garde, car de fortes menaces libyennes pesaient à cette période.
Ayons une pensée, pour notre feu CEMAA, le Général Capillon, qui vînt nous inspecter (2) à cette période, nous apportant dans les soutes, baby foot, jeux de société, un écran à mettre devant la TV pour amplifier l’image – on est loin des TV HD 150 cm – et surtout les 180 bouteilles de champagne (Mercier) pour les fêtes de fin d’année.
Jean-Loup FROMMER
(1) Autre frustration, l’insigne Manta, où était banni l’Armée de l’Air et la Marine, car n’oublions pas, il y avait un Atlantic.
C’est ainsi qu’un de mes camarades, comptable, le Sergent-chef Jean-Louis Caldès, créa l’insigne Manta “type 2”, dont le dessin n’est pas du tout innocent, avec un charognard tenant dans ses serres acérées la Manta…………..
(2) Le Général Capillon nous mettait en cercle autour de lui pour répondre à nos questions, insistant pour que l’on se rapproche au plus près. Je vis par la suite dans ma carrière, d’autres généraux user de cette méthode, alors qu’en 1983, jeunes pilotes de chasse ils questionnaient notre CEMA.
A la suite de l’inspection, il y eu des “retombées”, car pour ma part le fait qu’en opération nous ayons réceptionné des Marion dans un état plus que déplorable, n’avait pas été apprécié. Un certain commissaire en métropole déniant l’état de celles-ci, lors de l’inspection le Général Capillon fît prendre moult clichés par son photographe. Pour des raisons de sécurité – plusieurs locaux tchadiens s’étant brûlés avec l’essence blanche – nous utilisions du gas-oil, ce qui obligeait notre papy très moustachu de l’infra, à décrasser chaque jour une Marion, pour assurer les repas avec les autres.
Le coin des Marion était alimenté par un câble de 380 volts tiré à travers les différentes pièces de l’OSO, qui étaient à l’air libre sans toit. C’est ainsi qu’un soir, je vis le plus grand arc électrique de ma vie, nous plongeant pendant quelques heures dans l’obscurité. Finalement, on réussit à trouver un électricien tchadien de l’époque de “Fort-Lamy BA 172”, qui connaissait encore bien les schémas électriques de la base et les transformateurs.
Des découvertes, nous en faisions, comme par exemple quand il fut décidé de mettre une toiture de l’OSO sur la partie du bâtiment devant faire réfectoire, où en désherbant nous tombions sur des grenades cylindriques quadrillées……..
Les caves inondées de l’OSO, devaient communiquer avec le Chari, car à travers les soupiraux, nous pouvions y voir de gros poissons chat qui affleuraient la surface, et dont certains pendant “la sieste” s’essayaient à la pêche.
Bonjour,
Je suis celui qui a informé le PC de cette situation, je ne pensais pas retrouver un jour le récit de cet évènement.
Notre logement (chambre type dortoir avec douches communes) des personnels de la Défense Aérienne, hors secteur de protection de la zone vie de la base, se situait à une trentaine de mètres de ce dépôt de munitions qui était inconnu de notre détachement AIR. Je me trouvais dans notre chambrée, prêt à me rendre à la relève contrôleur du SNERI se trouvant dans la zone aéroportuaire et j’ai entendu comme des rafales d’armes automatiques et des petites explosions sourdes. J’ai pensé à une attaque de notre secteur non protégé par des rebelles tchadiens car je dois préciser que nous nous trouvions cantonner dans une zone de transit de soldats de l’armée tchadienne qui avait déserté le camp opposé à Hissène Habré, pour le rallier, en attente d’intégration dans les troupes du président en exercice (risque d’infiltration de l’ennemi).
Je me rappelle mettre approcher de ce Bâtiment qui n’était pas encore en feu et les soldats tchadiens couraient dans tous les sens en hurlant et gesticulant. Par instinct et pressentant le pire, je me suis mis à couvert derrière un énorme arbre qui se trouvait entre notre dortoir et le bâtiment incriminé, arbre après coup qui ne m’aurait hélas été d’aucune protection et j’ai saisi au vol avec force par le coup un soldat tchadien affolé qui courait vers moi que j’ai immobilisé sur place et interrogé sur la situation du moment. Oh surprise, Il m’a indiqué que ce bâtiment était un dépôt d’armement et munitions. J’ai mesuré à cet instant le risque et les dangers que nous encourions tous , personnels et matériel, si ce dépôt devait exploser. Je suis retourné à la chambrée et j’ai utilisé notre téléphone en ligne directe avec notre PC Menta. J’ai demandé à parler en urgence avec l’officier de l’Armée de l’Air et lui ai expliqué la situation et les risques extrêmes encourus. Une fois fait,Le petit nombre que nous étions dans la chambrée à cet instant s’est replié le plus loin possible de l’endroit pour se mettre dans un secteur sécurisé.
La suite, vous la connaissez, voir le récit plus haut :
“Au milieu du détam, un matin, je suis au camp Dubut de l’Armée de terre dans la salle d’OPS en train de discuter avec le COMAIR.
L’officier de permanence, capitaine de l’armée de terre repose le téléphone et s’adresse au sous-officier présent : « Allez me chercher le général de toute urgence »……………………………
@ Carbon
Bonjour,
Pourriez-vous me dire si c’était bien le Cne Turchet, que je croisais lors de mon footing matinal, et qui peu de temps après son arrivée s’était blessé lors d’un décrassage.
Il était question, à l’époque, qu’il soit rapatrié “sanitaire”, mais son grade, me semble-t-il, était Ltt.
Bien cordialement.
Manta Oct-Déc 1983.
Cela commence à dater, mais il me semble que Turchet (cne ou ltt ?) se soit blessé à une cheville et effectivement il est rentré en France. Le nom de son remplaçant m’échappe, mais ça reviendra.