Lorsque je suis entré dans l’armée de l’air en septembre 1968, le Jaguar faisait son premier vol. À l’époque, j’étais loin de me douter qu’il allait être le fil conducteur de ma carrière et que nous ne nous quitterions jamais. Après mon passage à Rochefort pour devenir Pétaf (armurier), me voici tout de suite dans le bain. C’est là que débute notre histoire commune ou plus exactement trente années que je vais passer au service de la Bête. Seulement quelques mois après avoir reçu le titre officiel de Pétaf, me voici affecté à l’ensemble mobile d’instruction communément appelé EMI Jaguar. A cette époque, j’étais comme la bête que je tentais d’apprivoiser très loin du terrain. Un tas de bouquins constructeur sur la table de travail, je faisais connaissance avec l’animal m’apercevant bien vite que ce que je découvrais était novateur par rapport à ce que j’avais appris quelques semaines et quelques mois plus tôt. Enfin, lorsque nous avons fait plus ample connaissance, il a fallu écrire les bouquins qui allaient servir de bible et de livre de chevet aux futurs serviteurs de la Bête.
Une fois tout cela terminé, nous étions fin prêts avant que le premier exemplaire ne se pose sur la base de Mont de Marsan où l’EMI s’était installé en 1971. Là nous avons fait partager nos découvertes aux mécanos du CEAM, une sorte de répétition générale avant les nombreuses représentations qui nous attendaient face à des salles bien remplies et plus ou moins réceptives à tout ce que nous leur racontions.
Lorsque les commandants Gauthier et Rolland se sont posés pour la première fois sur la base aérienne 118 avec le premier avion de l’armée de l’air, il y avait beaucoup de monde sur le tarmac pour accueillir le Jaguar, ce petit nouveau que tout le monde attendait avec impatience.
Puis les cours se sont enchaînés vitesse grand V avec la 7e escadre, les précurseurs du 3-11 avant que nous suivions l’animal à Toul. Là j’ai vu passer tous les Pétafs de la 11, des plus jeunes aux plus anciens. Ces derniers ponctuant régulièrement toujours leurs réflexions d’un « Tu es sûr petit, sur le F 100 c’est pas comme ça que ça marche ! ».
Après avoir transformé tous les escadrons Jaguar, j’ai participé à plusieurs campagnes de tir avec le 3-11, fait mes premiers détachements africains, Dakar avec le 3-11 et Libreville avec le 2-11. Ce dernier détachement s’était poursuivi avec les manœuvres Franco-Ivoiriennes et Franco-Togolaises. C’est là qu’un certain capitaine nous a fait prendre une soufflante par le chef, le Cdt Farina, parce que nous étions à la bourre pour une réception officielle avec l’attaché militaire. Le bougre avait joué avec la montre du chef pendant qu’il était sous la douche et n’avait pas su la remettre à bonne heure.
A force d’insister auprès de mon chef, le capitaine Julien, j’ai réussi à avoir gain de cause et le grand jour est enfin arrivé avec une mutation au 2-11 comme adjoint de l’ADC Tourman chef de l’atelier armement et de lui succéder quelques mois plus tard. J’allais pouvoir pleinement goûter à la vie, la vraie, pouvoir respirer chaque jour l’odeur de la bête, ou plutôt celle de la paperasse dont je m’étais comme par hasard retrouvé responsable. Seulement quelques jours après mon arrivée l’OAT, le Cne Vern, m’invitait gentiment à glisser une pièce de 100 balles dans la tirelire. Motif de la sanction : ne pas être arrivé en premier à ma première messe. « Bienvenue parmi nous » dit-il aussitôt que je me fus exécuté.
La vie coula paisiblement, faite du traintrain quotidien de la vie d’un escadron : le boulot normal, les campagnes de tir, les alertes, les manœuvres, les mises en place sur les territoires africains, les détams.
Que de merveilleux souvenirs dans une belle ambiance, une solidarité sans faille entre les mécanos dans les moments difficiles et les coups de bourre. De cette époque qui fût bénie des dieux le souvenir d’un moteur de MJ4, le seul du site, qui explose en plein milieu du parking de Djamena alors qu’une alerte vient de se déclencher et que tout urge. Il y a de quoi essuyer un grand moment de solitude, d’impuissance, de frustration et surtout une colère noire lorsque l’on anticipe la suite, équiper les avions avec les treuils de hissage. Mais, c’était sans compter sur la performance de Topette, le servitude, qui en deux temps trois mouvements va remettre la chose en état de marche pour que tout se déroule suivant le planning et le timing tracé par le COMAIR.
Après douze années passées sur la BA 136 et à la 11, c’est une mutation à l’équipe technique armement bord à Cazaux où je vais continuer à traiter les problèmes pour mes collègues qui servent l’avion d’homme. Mais là, je vais bénéficier d’un nouveau privilège, celui de faire partie des seuls mécanos autorisés à voler en mission de tir. Je ne vais pas m’en priver, faire quelques centaines d’heures dont une bonne partie en back seat sur Jaguar et connaître d’autres aventures, sentir vibrer la bête au-dessus de l’océan dans les norias de tir air-air lorsque les canons crachent leurs obus. Voilà une belle manière de boucler la boucle pour terminer une belle aventure au service d’un avion, objectivement le meilleur puisque je lui ai été fidèle pendant trente ans et je pense qu’il me l’a bien rendu.
Trente années qui seront très vite passées. De mon passage à la 11 et surtout au grand 2-11, je ne garde aujourd’hui que de merveilleux souvenirs tant sur le plan professionnel qu’humain.
Jacky DONZEAU alias “Zezette le Pétaf”
Hé oui Zezette de très bon souvenirs en ta compagnie. Merci pour cet article qui reflète notre amour pour la bête. Amitiés. Nénette.
Que de bon souvenirs passé ensemble à Toul et plus particulièrement au Grand 2/11