Depuis un certain temps on parle… d’une intervention en Égypte depuis que le canal a été nationalisé. On nous parle d’Israël, mais qu’irions-nous faire là-bas ?
TOP SECRET (dixit nos chefs)
En ville beaucoup de gens semblent très au courant sur la destination… Mais oui, mais non. Questions aux chefs :
CHUT, N’EN PARLEZ PAS et N’INVENTEZ RIEN – AH BON !
Une semaine avant ce qui sera le grand départ, le boucher du coin, qui tient ça «des plus hautes autorités » annonce à ma femme où nous irons. Elle me somme de m’expliquer – allons bon.
Ça se confirme et fin octobre nous décollons. Pleins complets et fusées d’appoint JATO, SVP : 1 ère étape : Brindisi. Nous sommes avertis,
« VOUS NE SAVEZ RIEN, LES CP ONT UNE ENVELOPPE »
(Ordres, destination, à ouvrir en temps voulu pour la suite) – ah bon !
Au décollage de l’unité de Brindisi, les choses commencent à se gâter pour « O » un collègue de l’Argonne et moi-même. L’avion de « O » présentait un problème hydraulique, et le mien… MILLE PARDON celui de mon commandant d’unité car sa machine au démarrage présentant une énigme JATO, il me confisqua mon appareil, et c’est ainsi que deux équipiers se retrouvèrent sans consignes (les fameuses enveloppes des CP) et sans leaders, abandonnés sur un terrain étranger.
Le jour suivant, à plusieurs reprises le panier JATO mis en place tombait au sol dès qu’une source électrique était branchée. Ceci me fit dire que les fils qui aboutissaient à l’interrupteur devaient se toucher. Je formulais cette réflexion à mi-voix, pressentant que l’ignare que j’étais (et à cette époque les équipiers étaient ainsi convaincus) émettais fort probablement une énormité ; et, d’autre part, qu’il était impossible à un type comme moi, de penser pouvoir orienter une équipe de mécanos super professionnels, dévoués, et animés d’un excellent état d’esprit dans les circonstances d’alors. De plus ils avaient à leur tête un officier mécanicien bien sous tous rapports si je peux me permettre – auquel je présentais ma suggestion sur la vie de l’interrupteur, qui n’engendra de sa part qu’un silence et un regard poli, mais en coin, transpirant-le :
« DE QUOI Y’S’MÊLE, CELUI – LA ? »
Le lendemain, le support JATO était opérationnel. On me confirma l’histoire de l’interrupteur ; simplement, je n’ai jamais su si c’était pour me faire plaisir, comme boutade ou tout bêtement la vérité. J’en suis encore frustré.
Entre temps, soucieux de rejoindre la « UNE » à Chypre, j’appris qu’une formation de RF84F passerait bientôt, et nous pensions « O » et moi, nous y joindre pour ne pas voyager seuls, ainsi en cas de panne en Grèce ou en Turquie, quelqu’un pourrait lancer l’alerte.
Effectivement, après deux nuits à Brindisi nous avons décollé avec les gens de la 33. On m’avait averti que le chef de patrouille de la formation était un « TEIGNEUX » du genre
« DISCUTEZ PAS, FAITES CE QUE JE VOUS DIS »
Les CP de l’époque (je ne sais comment ils sont maintenant) exigeaient une obéissance de tous les instants, ne partageaient que très rarement leurs intentions et leurs doutes et vous CRASHAIENT royalement six avions en Espagne. Aussi, me suis-je efforcé que rien ne « cloche » lors de ce voyage, à la demande de ce foudre de guerre, je n’hésitais pas à me déclarer SCP. Comment irait-il vérifier ? De plus j’avais le pressentiment que, si je disais la vérité, nous resterions en plan sur le tarmac de cette belle ville italienne. Au cours de cette traversée vers Chypre j’ai eu l’occasion d’un premier grand étonnement qui me fit prendre conscience de la relative “FORCE INTERIEURE” des êtres humains en général mais surtout des Géants de notre petit monde aéronautique. M’étant placé avec mon équipier à gauche du dispositif, à l’opposé du soleil (déjà dans l’ambiance de guerre, n’est-ce pas !), moi, le chasseur pas « FUTE-FUTE » selon les critères de la Grande Escadre de Reconnaissance, je mis un point d’honneur à me tenir 3 à 4000 pieds plus haut, par respect des traditions et ne pas défaillir à l’honneur de la1ère Escadre de chasse. Malheureusement une voix hargneuse et sèche me posa cette simple question :
« QUE FOUTEZ VOUS LA HAUT ? »
Sous le coup de la stupeur, j’ai imité Cambronne… oh ! in petto, comme on dit, comment me suis-je permis. Comment un chef de patrouille émérite, réputé et craint, pouvait-il ignorer la raison de cette position ? – me suis-je demandé. Alors j’ai répondu conditionné par les consignes de silence radio « le soleil ». Il ne me fut pas répondu, même pas à l’arrivée à Chypre.
Je me suis rassuré en me faisant la réflexion que le règlement de la RECO n’était probablement pas comparable à celui de la Chasse B……
Après l’atterrissage, toujours à la recherche de mon unité, je me présentais aux opérations de la 3ème Escadre. Bien évidemment, personne n’était au courant de quoi que ce soit (ou faisait semblant…, on ne s’engage pas.). On subodorait que la UNE, partie la veille, devait se trouver en Israël (et avec leurs enveloppes, ils n’avaient rien dit, ces cochons !), mais personne ne voulait être ferme sur la destination. Par contre on me demanda mes intentions. J’ai senti qu’il fallait être « TRES CHEF », aussi ai-je pris un ton bourru pour répondre :
- Rejoindre ( Je me disais en même temps que, moins j’en disais mieux ce serait).
- Quelle qualification avez-vous ?
- SCP (autant continuer le mensonge !)
- Bien ! (Oh ! la pesanteur du temps de paix !)
- Vous vous doutez où sont vos camarades !?
- Oui, en ISRAËL
- Je le pense aussi (c’était le chef des OPS de la 3ème Escadre de chasse dont j’ai malheureusement oublié le nom quoi qu’il fut très amical)
- Quand partez-vous ? De suite (ne traînons pas là, me disais-je… )
- Quels pleins vous fait-on ?
- Complets plus 800 litres par bidon (je m’étais préparé en 5 minutes, prévoyant largement le pétrole, pourquoi faire juste…, cap, durée altitude, déroutement (un seul possible) et surtout le point de non-retour tout cela sur l’aile de mon appareil dans un petit vent qui ne facilitera pas la suite de cette aventure comme vous pourrez le constater en poursuivant ce récit.
- vous avez raison, j’aurais fait de même ! (Ouf! merci, quel compliment involontaire à un petit…).
Notre conversation étant terminée, pressant le pas vers mon avion avec la peur que quelqu’un ne se renseigne à Saint Dizier ou ailleurs pour connaître mon rôle dans l’organigramme de la 1ère Escadre, je me mettais à philosopher sur la condition du militaire.
ETRANGE, MÊME BIZARRE
En France : – Nous ne pouvions rien faire sans être suspectés de ceci ou de cela, nous finissions par être conditionnés dans la retenue.
Ici, à Chypre : – Il semblera que chacun ayant son problème, personne ne voulait avoir l’air de se mêler des vôtres. D…..Z-vous ! OK, je marche !
- Nous avons quitté Akrotiri, cap sur Israël. Navigation bien préparée. J’avais choisi une altitude moyenne, nous consommions un peu plus qu’en HA, mais après tout ce que l’on nous avait dit sur les forces environnantes, susceptibles de devenir rapidement agressives, nous ne pouvions être attaqués… (on disait tellement de choses à l’époque… autre leçon pour l’avenir : RESTER CALME ET BOIRE FRAIS,..). Mais nourri d’histoires Militaires, je gardais présent à l’esprit certaines dispositions de sûreté non superflues lorsque vous « marchez à l’ennemi », et je ne voulais pas être surpris ; ce serait trop C…
- Durée du vol : 17 minutes jusqu’à la côte aux abords d’Haïfa. Pour la suite nous verrons bien puisque le détachement était probablement à Lydda. J’avais le pétrole pour le retour. Dix-sept minutes plus tard, nous étions toujours en pleine mer, aucune terre ne se profilant à l’horizon. !!! Patatras… j’ai gagné le cocotier. C’est brutal mais c’est comme ça. Et « O » qui me tarabuste ! …
Je décidais : – Alpha – De refaire le calcul de ma navigation, formé en cela en escadre (heureuse habitude désagréablement ressentie lorsque des chefs de patrouille emmer…rs, nous lançaient cet exercice impromptu et maintenant béni, (l’habitude, pas le chef !).
– Bravo – De garder le cap et m’accorder 5 minutes avant le demi-tour, (loin du déshonneur !).
- Je recalcule donc ma NAV en déployant toutes mes cartes – autant que faire se peut – notamment une toute bleue (de mer) dont je n’avais besoin que d’un coin ! (qu’ils sont C… ces mecs qui établissent les cartes, faudra que j’en cause dès mon retour, si j’en reviens).
– Je me force à bien identifier les cartes, à les abouter correctement, passant de l’une à l’autre, je retrace ma NAV comme si l’autre n’existait pas ! … Ce n’est tout de même pas compliqué, le cap est bon, le soleil est en place. De Chypre vers Israël le cap est inévitablement entre 130 et 150. Alors quoi, c’est pas possible ?
– Six à dix secondes de stupeur qui m’approchent tout doucement de la panique… (oh! la honte, le faux SCP, le pot aux roses, la Une déshonorée, l’obsession…, machin : ne pense pas à ça, mais à ton problème). Soudain, la solution. Habitué à naviguer en France à la 500.000, j’ai pris le mauvais côté de la règle et je suis sur une 1.000.000. Trente-trois ou trente-quatre minutes après le départ nous abordions la côte d’Israël du côté d’Haifa.
– Bonne ‘prep’ quand même (tu parles !)
– Sur le parking d’Akrotiri, j’aurais dû me méfier lorsque nous avions reçu des pilotes présents lors de notre décollage le conseil suivant : «Avant de pénétrer sur le territoire, vous effectuerez un hippodrome pour identification à 5000 pieds ». Ça n’a servi à rien, sauf à consommer du pétrole et nous voilà donc «O » et moi à la recherche de notre terrain d’atterrissage et surtout de notre unité.
– Premier terrain, pas d’avions. Second, “bernique”. Et de fil en aiguille nous arrivions à la verticale de Lydda. Ma première vision des appareils au sol fut leur couleur, “tout blanc” avec le sigle ” UN !!!
Je me voyais déjà la cause et la cible d’un scandale international, ayant mis l’Armée de l’Air dans la panade !!! J’échappe à la Méditerranée pour tomber dans les griffes de l’ONU, soudain Ô ! Joie, dans un coin du terrain, j’aperçois nos avions avec leurs dessins de queue caractéristiques. «Dieu qu’ils sont beaux».
- Je m’efforce d’identifier la bonne piste, car il y en a trois, de longueurs différentes (deux camarades, pas très bien informés par la tour de contrôle, « crasherons » leurs avions en patrouille en bout de piste. Ils s’en sortiront indemnes, mais elle était vraiment trop courte !). Le reste, présentation, break et atterrissage est tout à fait classique. «O» et moi, serons accueillis avec un seul cri de joie
« AU POIL, CA NOUS FAIT 2 AVIONS DE PLUS ! »
Nous nous sommes regardés, la grande fraternité de la chasse, nous allant directement au cœur. Le plus beau pour moi reste à venir. Cette année-là, j’aurai dans ma notation sur mon carnet professionnel, la remarque suivante : « Bon pilote », (et ma NAV donc), « mais manque un peu du sens de l’initiative ». Je n’en ai pas fait une maladie, ça m’a fait franchement rigoler. J’étais bienheureux de cette expérience qui aurait pu mal se terminer. J’en ai fait un souvenir cocasse qui fait partie de mon bagage de connaissances des êtres humains, de moi et de mes chefs FAILLIBLES.
EPILOGUE : – Depuis, j’ai lu un conseil aux assassins d’un grand écrivain dont le nom m’échappe :
« N’AVOUE JAMAIS »
Quarante ans après je peux le dire.
Bernard HAEGEL
G/C 1/1 « CORSE »