EN OPÉRATION SOUS LE SOLEIL D’AFRIQUE
Par le Col. Longuet, à l’époque pilote de l’EC 3/11 Corse, qui reviendra à Toul quelques années plus tard en tant que commandant de la 11 ème Escadre de chasse.
NOVEMBRE 1977
L’ordre de mise en place à DAKAR vient de tomber ; nous n’ osons plus y croire après deux mois d’attente entrecoupés de montées en puissance, de retours au calme et de nombreuses mises en place à Istres, de préférence dans la nuit du samedi au dimanche…
Mais cette fois-ci est la bonne et tandis que nous suivons bien sagement le C 135, nous n’imaginons pas que ce convoyage, vécu comme une aventure, deviendra par la suite une mission d’un type presque banal. Nous sommes tous à cent lieues de supposer aussi que notre atterrissage à DAKAR marquera le début d’une présence, ininterrompue jusqu’ à maintenant, d’avions de combat sur le continent africain.
DECEMBRE 1977
Nous sommes régulièrement mis en alerte au gré des attaques du Polisario contre le train minéralier qui relie ZOUERATE à NOUADHIBOU; hors périodes d’alerte, nos missions d’entraînement combinent ravitaillement en vol, guidage par Atlantic, reconnaissance de la voie ferrée et parfois tirs d’entraînement sur des carcasses de véhicules. Nous nous familiarisons avec un univers totalement nouveau : pas de TACAN, pas de VOR mais le seul calculateur du JAGUAR… et surtout la sacro-sainte règle du cap et de la montre ô combien utile pour pallier les quelque 50 petits milles nautiques d’erreur du calculateur en cours de mission.
LES MISSIONS
Une fois de plus, alerte, scénario habituel, le train a été attaqué ; le Breguet Atlantic a réussi à localiser la colonne du Polisario après son coup de main et la suit sans relâche, discrètement, à 20 000 ft, pendant toute la nuit. En effet, la tactique habituelle des combattants sahraouis consistait à se lancer à l’assaut du train en fin d’après-midi et de profiter de la nuit pour décrocher et regagner leurs bases arrières. Nous recevons l’ordre de décollage aux aurores et éprouvons tous alors le même petit frisson… peut-être enfin le grand moment. Deux patrouilles simples, espacées de 30mn décollent, chacune avec son C 135 ; arrivés à St-Louis de Sénégal, nous avons l’ordre de continuer, à n’en pas douter cette fois-ci, c’est sûr, “nous allons au charbon “. Je dois avouer qu’il s’opère alors un véritable changement de la mentalité du pilote dès lors qu’il y a une finalité réelle ; un curieux mélange au départ d’incrédulité, d’appréhension, le tout très rapidement submergé par une formidable concentration sur l’objectif de la mission.
Un premier ravitaillement en vol, un deuxième terminé à Atar et nous quittons le C 135 : l’aventure commence, nous rallions le Breguet Atlantic qui nous désigne l’ objectif ; aucun problème d’acquisition visuelle, les véhicules roulent en colonne sans se douter de la menace ; un dernier check-cabine, voyants canons allumés et nous dégringolons de 20 000 ft directement en”IN”; c’ est un type de passe canon très inhabituel qui nous a permis de vérifier que les limites avion étaient fort heureusement très largement calculées et, quoiqu’ on dise, le JAGUAR était un avion solide… no comment. Il me faut cependant rappeler les frayeurs que nous avons tous éprouvées au cours des premières passes : un enfoncement impressionnant de l’avion au moment du dégagement ; nous étions plein complet, il faisait chaud et nous avions surtout des distances de tir inavouables, il s’en suivait naturellement des ressources viriles que l’avion exécutait avec beaucoup de réticence. Je me souviens personnellement avoir éprouvé quelques picotements dans les mains très significatifs après l’une de ces passes de tir ; c’était passé vraiment très près.Nous effectuons des norias canons peu académiques ; à l’issue du tir poursuite dans l’axe pour éviter l’artillerie sol-air, puis vent arrière en très basse altitude avec l’obsession de la surveillance mutuelle de nos arrières. Au tout début, les colonnes de véhicules continuaient stoïquement à avancer, ce qui nous facilitait considérablement le travail.Pour les missions suivantes, la colonne éclatait littéralement à l’issue de la première passe, chaque véhicule utilisant alors un art remarquable du camouflage ; l’identification ne pouvait se faire qu’au passage à la verticale et nous avions toutes les peines du monde à ne pas perdre de vue l’objectif au cours de la noria : nous étions en proie à une sorte de ” target fascination ” qui s’exerçait au détriment de la sacro-sainte surveillance mutuelle de nos arrières. Fort heureusement, les défenses sol-air du Polisario étaient en nombre limité et n’avaient pas la sophistication des missiles d’aujourd’hui. Toutefois, certains d’ entre nous sont revenus avec des impacts de petit calibre vraisemblablement occasionnés par des tirs de barrage de kalachnikov ; généralement, ces tirs ne provoquaient aucun dommage grave, sauf une fois,où l’ un d’ entre nous a dû se dérouter en urgence à NOUADHIBOU : une tuyauterie de carburant sectionnée, du pétrole dans la pressurisation et naturellement une panne d’ oxygène et de radio (une fois de plus la loi bien connue de l’ emm…maximum est vérifiée ) ; l’atmosphère devenant irrespirable dans la cabine, le pilote doit éjecter la verrière. Nous avons tous été admiratifs devant les réactions de ce pilote qui n’a jamais cédé à la panique dans des conditions pour le moins marginales.Nos interventions sur zone duraient en moyenne quinze à vingt minutes ; nous étions essentiellement limités par la quantité d’obus.
Une fois le tir terminé, il nous faut rejoindre le C 135. Je dois dire que la tension nerveuse tombe subitement et que nous nous relâchons totalement une fois le Boeing rassemblé : mais tout n’est pas fini, il faut ravitailler une dernière fois pour rejoindre DAKAR. Dans l’atmosphère du retour vers la base, nous effectuons des ravitaillements d’une perfection douteuse… Nous voilà enfin posés après quatre heures de vol environ. A peine au parking, nous recevons à nouveau I’ ordre de décollage, les avions sont réarmés et nous redécollons en début d’après-midi pour une mission semblable à celle du matin. J’ajouterai simplement que compte tenu de l’heure tardive, nous avons découvert sur le tas les joies du ravitaillement crépusculaire, quant à l’atterrissage de nuit à DAKAR, merci au train d’atterrissage du JAGUAR et sa solidité légendaire… il faut dire que nous avions déjà huit heures de vol dans les bras !