Dans le cadre de l’opération Lamantin, un détachement de Jaguar de la 11ème Escadre de Chasse est mis en place sur l’aéroport de Dakar. Cette présence a pour mission d’empêcher les éléments du front Polisario d’endommager la voie ferrée reliant les mines de fer de Zouerate au port de Nouadhibou en Mauritanie, d’où est exporté le précieux minerai.
En ce mois d’avril 1978, c’est l’Escadron de Chasse 1/11 Roussillon qui assure le détachement sur l’aéroport de Dakar. Régulièrement une patrouille de Jaguar fait de courts séjours sur l’aéroport de Nouadhibou afin d’effectuer des vols de reconnaissance le long de la voie ferrée et de porter, si besoin, des coups aux saboteurs.
C’est ainsi qu’en ce beau mois d’avril, la somnolence dans laquelle baigne le personnel en poste à Yoff est interrompue : le biplace de Nouadhibou refuse de démarrer. Une équipe de dépannage est envoyée en urgence au chevet du malade. Pour le reste du détachement, l’attente commence. Au fil des heures, les infos provenant de Mauritanie indiquent que l’équipe en place a, par manque de moyens, des difficultés pour dépanner l’avion. En conséquence, la décision est prise d’envoyer du matériel et des mécanos en supplément.
Le Nord 2501, configuré V.I.P., en poste à Dakar, est mis à contribution pour acheminer vers Nouadhibou les renforts nécessaires. Après un atterrissage nocturne (Mermoz aurait sûrement apprécié), les mécanos se trouvent devant une panne inédite. Le générateur Microturbo du biplace immatriculé 11-MV, se lance correctement mais quel que soit le moteur (GTR) sélectionné, aucun des deux ne démarre. Après différents contrôles, échanges de matériels te tests, sur la partie mécanique et recherche d’anomalies sur les circuits électriques, il faut se rendre à l’évidence, les électrovannes d’alimentation en air des démarreurs ne fonctionnent pas. Par contre, lorsqu’elles sont déposées, inspectées et alimentées individuellement par une source extérieure, elles fonctionnent. Perplexité générale au sein de l’équipe. Une perte d’intensité sur le circuit avion, indécelable en l’état semble être à l’origine du mal. Il est évident que la présence du biplace à Nouadhibou ne doit pas s’éterniser et c’est à une heure très avancée de la nuit qu’une solution provisoire est envisagée. Le démarrage des GTR doit pouvoir se faire à l’aide d’une alimentation électrique extérieure. Pour valider ce mode opératoire, un test est effectué.
Un mécano équipement, le nez dans le compartiment Microturbo procède à la déconnexion d’une électrovanne du circuit avion, effectue un branchement entre l’électrovanne et une batterie posée à même le sol. Une fois le générateur d’air en fonction, l’électrovanne est alimentée. La séquence de démarrage du GTR se déroule normalement et c’est avec un « ouf » de soulagement que l’équipe entend le doux bruit de l’Adour, déchirant le silence de la nuit mauritanienne. L’opération validée sur les deux GTR, les mécanos rejoignent leur suite V.I.P. dans la « grise », pour un court sommeil réparateur, laissant aux commandos de l’air le soin de garder l’avion.
Le lendemain, à la fraîche tout le monde s’active pour reconditionner Mike Victor. Signalons au passage, que les attaches du capot moteur étant comme sur de nombreux exemplaires, en congé maladie, il faut remettre celui-ci à bout de bras. Cela en la présence sur le tarmac, d’un avion d’U.T.A. qui déverse d’étranges passagers, habillés à la mode de Pékin, qui ont tout le loisir de jeter un œil sur l’opération de dépannage du félin. Et que dire du Tupolev 154 de l’Aeroflot, qui a sa propre agence sur l’aéroport (!), et dont la présence est bien utile quand on voit le nombre de chalutiers soviétiques bardés d’antennes qui occupent le port. Le TU 154 reste stationné un bon moment le nez vers le Jaguar. De loin, on peut apercevoir les occupants du cockpit très attentifs au spectacle que leur offre la 11… Question discrétion, en pleine guerre froide, on peut faire mieux.
C’est bon, l’avion est prêt. Une fois la PPV effectuée et les consignes données à l’équipage pour la séquence de démarrage, le pilote procède au lancement du générateur d’air et le mécanicien alimente successivement les électrovannes permettant les mises en route des deux GTR. Après la gestuelle habituelle du pistard, le pilote lâche les freins et le Jaguar rejoint le taxiway. Quelques minutes plus tard, Mike Victor quitte le sol mauritanien pour rejoindre le Sénégal. Après un aurevoir aux paras, véritables gardiens du feu (ils ont sous leurs lits des caissons d’obus pour les Jaguar) les mécanos embarquent dans le C160 qui doit les ramener à Dakar.
C’est un retour mouvementé qui les attend car l’équipage du Transall s’est vu confié la mission de longer la voie ferrée en TBA. Durant cette inspection, les passagers peuvent apercevoir de temps à autres, une guérite occupée par un garde. Celui-ci doit se sentir plus rassuré en voyant l’avion, du moins faut-il le penser. Autre agrément non prévu au programme, l’avion a dans sa soute une flopée de mauritaniens en armes accompagnés de leurs familles. Le commandant de bord a eu beaucoup de mal à les convaincre de mettre leurs armes en caisse pour la durée du vol. Par la suite, le radada le long de la voie ferrée a raison des estomacs de ces nobles guerriers et c’est dans une ambiance olfactive des plus exotiques que le voyage se poursuit. À l’escale de Nouakchott, nos baptisés de l’air nous quittent et nous avons la visite du « grand Yaka », le Général Forget, COMELEF de l’opération Lamantin dont le PC est situé dans la capitale mauritanienne. Apparemment, notre grand chef veut voir de près ses « héros de la mécanique » et avoir de plus amples informations concernant le dépannage.
Retour à Yoff et la vie du détachement reprend son cours. Mais le Mike Victor doit rentrer en France pour se refaire une santé auprès du 2ème échelon. Pour son départ, l’opération système D se répète, la liaison électrovannes – batterie est réalisée, avec à bord de l’avion, un Lieutenant-colonel plus qu’incrédule quant à l’issue de la manœuvre. Mais tout se déroule normalement, si l’on peut dire. Voilà le Jaguar E 35 (*) parti pour la métropole.
L’histoire nous dit, que Mike-Victor une fois posé sur le sol de France, accepte sans rechigner de démarrer normalement.
Ne dit-on pas, que les voies de la mécanique, sont parfois impénétrables ? À moins que Saint-Éloi…
Jean Claude MONTANT
NB : Plus de quatre décennies se sont écoulées depuis ces événements, il se peut que la mémoire ai fait défaut au narrateur, surtout en ce qui concerne l’origine de la panne. Donc tout souvenir concernant cette intervention sera le bienvenu.
- Renseignements pris, l’immatriculation correspond au numéro de série du Jaguar E 35, en place au 2/11 durant cette période.