Le ravitaillement en vol sur F 100 « SUPER SABRE »

 Le ravitaillement en vol sur F 100 « SUPER SABRE »

C’est pendant mon premier séjour sur F-100, entre 1966 et 1967, qu’ont eu lieu les premiers essais de ravitaillement en vol à la 11 Escadre. Les informations sur ces opérations étaient rares.

Après avoir volé pendant six ans sur Mirage III E, c’est comme Commandant en second du 2/11 « Vosges » que j’ai retrouvé le F-100 et suivi le stage de transformation au ravitaillement en vol. Cet exercice ne m’a jamais paru particulièrement facile. Mes vols sur avions de chasse ont malheureusement pris fin le 26 mai 1975, date de ma troisième éjection.

Avec seulement 17 missions de ravitaillement, un seul détachement en Afrique, et même si elle m’a beaucoup marqué, mon expérience dans ce domaine est forcément limitée.

1 – Historique

Avec l’accession à l’indépendance de certains pays africains, des accords de défense sont signés. Ils prévoient l’intervention de moyens aériens français « en cas de besoin ». Les missions incluses dans le cadre de ces accords sont assurées par les « Vautour », seuls chasseurs à grande autonomie disponibles dans l’Armée de l’air. Les « Vautour » vieillissant, il faut songer à les remplacer. En dehors des Forces Aériennes Stratégiques (F.A.S.), le seul avion capable d’assurer la mission, car ravitaillable en vol, est le F-100. Les F-100 de la 11, « prêtés » à la France par les américains dans le cadre de l’« OTAN », ne peuvent pas intervenir en opérations sans leur autorisation et ne sont pas tous techniquement ravitaillables. La France achète donc quelques F-100 capables d’être ravitaillés en vol. Le ravitailleur prévu est, bien entendu, le C 135 F, déjà utilisé pour ravitailler les Mirages IV. Dans l’Armée de l’Air des « années soixante », seules les FAS ont une expérience du ravitaillement en vol. Les premiers pilotes transformés défrichent donc le terrain avec l’aide du CIFAS, le centre d’instruction des FAS, à Bordeaux.

2 – Technique

Deux types de perches de ravitaillement existent.

La perche droite, apparemment fragile et peu souple n’a pratiquement pas été utilisée. La perche coudée, plus souple, est la perche standard opérationnelle. Les réservoirs pendulaires (bidons) standards de 275 gallons ne sont pas ravitaillables en vol. Pour assurer les missions outre mer, des bidons de 335 gallons ravitaillables en vol sont achetés. Sur F-100, la perche de ravitaillement est située sur l’aile droite, à 2 mètres environ de l’axe de l’avion. L’opérateur ravitailleur positionne le panier de ravitaillement à 2 mètres à droite de l’axe du C 135. Le « boom » et le panier restent fixes pendant toute la durée du ravitaillement. Le débit du transfert de carburant (1000 lbs minute, je crois), conditionné par la résistance à la pression des réservoirs et des tuyaux du circuit de carburant du F-100, est très inférieur au débit utilisé pour les Mirage IV.

En phase d'approche du ravitaillement
En phase d’approche du ravitaillement

Pour ravitailler, le pilote du F 100 doit :

– mettre les réservoirs à l’air libre,

– sélectionner la loi de pressurisation dite « de combat », ce qui, en diminuant fortement la pression à l’intérieur du cockpit, réduit les risques liés à une décompression explosive en cas de choc avec le panier de ravitaillement.

La technique de contact demande de ne regarder ni le panier, ni la perche de ravitaillement. Le pilote du F-100 s’approche par l’arrière et en dessous du ravitailleur puis remonte vers lui pour se stabiliser 5 à 10 mètres derrière le panier. La perche est dans l’axe du panier si:

– les yeux du pilote du F 100 sont alignés sur la ligne peinte sous le fuselage et dans l’axe du C 135,

– l’extrémité rigide du « boom » est sur l’horizon.

Quand la position est stable, le pilote avance lentement jusqu’à ce qu’il « sente » le contact de la perche avec le panier. Pendant ce temps, pour aider le pilote et renseigner aussi l’équipage du C135, le « Boom » annonce la distance restante en mètres : « Deux mètres, un mètre, contact». A ce moment, le pilote augmente légèrement la puissance du réacteur tout en mettant du palonnier à gauche (à l’opposé de la perche) pour que le tuyau souple qui porte le panier forme un « S ». Si le contact est bon, la perche est verrouillée au panier et il suffit d’avancer sous le ravitailleur jusqu’à ce que le bon repère, peint sur le tuyau souple, atteigne  la courbure du « S » sans le dépasser. Après quoi la tension dans la cabine se relâche un peu. Il suffit de maintenir la pression sur le palonnier pour compenser la résistance de la perche sur le panier, et garder la position par rapport au ravitailleur avec une tolérance pouvant aller jusqu’à un mètre.

Dans le panier du C135
Dans le panier du C135

La précision du pilotage est primordiale. Les commandes de vol du F-100 n’ont pas la précision de celles d’avions plus modernes et l’opération demande une grande concentration. Cela n’empêche pas certains de ravitailler « les doigts dans le nez », mais pour la plupart d’entre nous l’opération n’est jamais gagnée d’avance. Il suffit, sur certains films, de regarder l’agitation de la gouverne de profondeur du ravitaillé, pour mesurer le travail et la nervosité du pilote. En fin de ravitaillement et indépendamment de la crampe à la jambe gauche du pilote, la masse atteinte par l’avion impose de mettre pleine puissance pour essayer de « téter » les derniers litres, car la vitesse de ravitaillement est plus favorable au ravitailleur qu’au ravitaillé. Il existait une technique d’utilisation de la post combustion, rarement utilisée car très coûteuse en carburant. En cas de nécessité, la procédure du toboggan pouvait aussi être utilisée, mais elle n’était pas opérationnelle pour ravitailler une patrouille de plusieurs avions. Le fait que la perche soit décalée latéralement et située assez en arrière par rapport au nez de l’avion rend le contact délicat, car le pilote ne voit ni le panier ni le « gland » pendant l’opération.

Il n’est pas exceptionnel que, le contact ayant eu lieu en bordure de panier, celui-ci se dégage en « fouettant » vers le F-100. En général le pilote, qui a toujours un œil qui traîne du coté droit, a juste le temps de descendre d’un mètre et de baisser la tête pour voir le panier passer à quelques centimètres de la verrière. Il y a eu, à ma connaissance, au moins un cas de retour d’un F-100 en « décapotable », comme suite à une collision avec le panier au cours d’un contact un peu viril.

3 – Opérations

Le ravitaillement des F 100 ayant pour but d’intervenir en Afrique, il a fallu mettre au point différentes méthodes pour permettre à l’équipe F 100 / C135, de décoller, naviguer, se dérouter, percer, atterrir, tout en assurant la cohésion de l’ensemble, même par mauvaise météo. Les ravitaillements sont effectués au cours de deux types principaux de missions.

3.1 – les missions de convoyage outre-mer.

Le dispositif standard de mission outre-mer comprend 1 ravitailleur et 3 chasseurs. Pendant les vols de convoyage, les chasseurs restent en formation de manœuvre sur le ravitailleur dans lequel se trouve une équipe de mécaniciens et de pilotes, dont un « directeur des vols », capable de prendre toute décision au titre des F-100 ( gestion des pannes, déroutements éventuels, « timing » des ravitaillements, etc.). Le ravitailleur assure la navigation, les procédures imposées par le contrôle aérien et le ravitaillement. La procédure de décollage classique prévoit de faire décoller d’abord les chasseurs pour s’assurer qu’ils peuvent assurer la mission (pas de panne). En cas d’incident les chasseurs déjà en l’air atterrissent et peuvent être dépannés tout de suite puisque les mécaniciens sont toujours au sol. Quand tout va bien, le ravitailleur met en route et roule jusqu’en bout de piste. Pendant ce temps les chasseurs effectuent un « hippodrome » assez large et, à leur top, le ravitailleur lâche les freins pour décoller. Le top est calculé pour que le rassemblement en formation serrée sur le ravitailleur (1 F-100 d’un coté, 2 de l’autre) soit assuré au moment où celui-ci atteint ses paramètres de montée. De cette manière, l’ensemble peut pénétrer en sécurité dans une couche nuageuse, même à basse altitude. Les ravitaillements (souvent 2) se font sur le trajet, dans un secteur où, compte tenu de la météo et des impératifs de la circulation aérienne, le dispositif n’est pas trop sollicité par le contrôle aérien et peut rejoindre un terrain de déroutement en cas d’incident. En règle générale, pour équilibrer l’autonomie des chasseurs, chacun commence par assurer 80% de son plein et complète à 100% au cours d’un deuxième passage. L’opération complète dure de 30 à 40 minutes. En fin de convoyage, si la météo le permet, les chasseurs prennent leur autonomie et rejoignent l’aérodrome de destination par leurs propres moyens. En cas de mauvais temps, ils traversent la couche nuageuse en patrouille serrée sur le ravitailleur (qui sortait le train d’atterrissage à 30 000 pieds). En vue du sol, ils effectuent un circuit d’atterrissage ou une finale directe, parfois assez bas, pendant que le ravitailleur remet les gaz.

Ravitaillement durant un convoyage
Ravitaillement durant un convoyage

 3.2 – les missions d’entraînement.

Elles ont pour objectif de maintenir à la fois la capacité des pilotes à ravitailler, mais aussi leur capacité à gérer la fatigue d’un vol pouvant dépasser six heures. Le problème de fatigue et de concentration en vol des pilotes est réel. Indépendamment des ravitaillements, et avec les risques de collision entre avions ou avec le sol que cela induit, ils effectuent en patrouille et pendant le reste de la mission : de la manœuvre, du tir, de la navigation à basse et à haute altitude. Chacun organise sa pause casse-croûte et surtout boisson pendant les périodes de vol où le port du masque à oxygène n’est pas indispensable. D’autres besoins naturels, que des équipements individuels permettent de mieux résoudre aujourd’hui, peuvent poser de gros problèmes dans un monoplace peu confortable et non équipé de pilote automatique. Pour ces missions, la patrouille standard de quatre avions rejoint un ravitailleur qui « fait le trottoir » sur un axe et ravitaille en utilisant les mêmes techniques que pour les missions de convoyage. La procédure de ravitaillement en deux passages par avion est indispensable. Avec un seul passage, en fin d’opération le premier ravitaillé aurait eu 30 à 40 minutes d’autonomie en moins que le dernier. Dans le cas où un des chasseurs était équipé de bidons de 275 gallons non ravitaillables, le pilote ne branchait pas ses bidons (c’était possible sur F-100). Il utilisait dès le décollage le carburant contenu dans le fuselage et les ailes qui pouvaient, eux, être ravitaillés en vol. De cette manière, il pouvait recomplèter les pleins à peu près comme les autres avions de la patrouille et, en cas d’incident et sauf panne de transfert, il pouvait transvaser dans le fuselage le carburant gardé en réserve dans les bidons.

4 – La transfo.

Le stage de transformation au ravitaillement s’effectue généralement à Istres, où sont basés les C-135. Tous les briefings et tous les débriefings ravitailleur/ravitaillés sont faits en commun. Pour la première mission, le stagiaire est en place arrière d’un F-100 F (biplace). La visualisation des positions relatives entre avions y est meilleure qu’en place avant où le pilote est très en avant de la perche. Plusieurs contacts secs et/ou humides sont faits à chaque mission. Au bout de 3 ou 4 missions dont au moins 2 en place avant, le pilote stagiaire part en monoplace. Puis les missions en mono et en biplace alternent en fonction des besoins des stagiaires ou des impératifs d’entraînement et des disponibilités des avions. Après 8 à 10 missions sans problème, le pilote est considéré comme dégrossi et s’entraîne régulièrement à partir de Toul.

Ma transfo s’est déroulée du 5 au 14 novembre 1974.

J’ai effectué :

. 3 missions en double commandes incluant 12 contacts

. 1 solo incluant 6 contacts

. 2 missions en double commandes incluant 6 contacts

. 2 solos incluant 8 contacts.

Denis TURINA 

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